au risque de perdre la boussole

Transcription

au risque de perdre la boussole
Aline Lizotte propose une histoire du féminisme
Newsletter - AFCP- Février 2013
Association pour la Formation Chrétienne de la Personne
AU RISQUE DE PERDRE LA BOUSSOLE
Bientôt, l’homosexualité deviendra une vertu ; la pédophilie, une maïeutique ; la procréation
médicalement assistée, un acte de compassion ; l’avortement, une norme d’hygiène publique ;
les couples hétérosexuels perdront leur propre identité : ils ne seront plus mari et femme, ils
seront des époux non identifiés ou seulement des partenaire ; la famille sera un souvenir
archaïque : terminée l’ère des papas, des mamans, des grands-parents, des oncles, des tantes,
des cousins, des cousines ; ces mots disparaîtront et du Code civil et du dictionnaire ; la
famille disparue sera remplacée par un micromelting pot : l’enfant sans père ou sans mère sera
confié à un groupe parental avec un parent n°1 ou un parent n°2 et d’autres sous-parents ; quel
nom lui donnera-t-on ? : celui du parent n°1 ou du parent n°2, ou, comme en Suède, un vague
pronom neutre (ceci ou cela) ! Et à quel homme se rattachera l’enfant ? L’homme responsable
de sa conception, l’homme dont il portera le nom, le troisième qui a bien voulu assumer les
frais de scolarité en guise d’éducation ou le quatrième qui, pendant un temps, vit avec la mère
? Et de quelle mère s’agira-t-il ? De celle qui a donné l’ovocyte, de celle qui a assumé la
gestation et donné naissance à l’enfant, de celle qui en a pris la charge et l’a éduqué ou d’une
quatrième qui assume, auprès de l'enfant, une tâche de nourricière ? Et quand il n’y aura plus
que des femmes ou que des hommes dans l’entourage de l’enfant, à qui se rattachera-t-il : à
l’homme n°1 ou à l’homme n°2 ? À la femme n°1 ou à la femme n°2 ?
C’est le monde de la libération sexuelle ! On peut se demander sérieusement comment on en
est arrivé là ? On n’y a pas fait attention, car on les prenait pour un groupe d’excitées
déboussolées, mais nous devons ce beau gâchis à la montée d’un certain féminisme. Ce
féminisme inspiré d’une idéologie trotskyste. Ce féminisme est venu par vagues ! Examinonsen, brièvement, la montée.
1ère vague - les suffragettes (revendication des droits de la femme en tant que
femme)
Le XIXe siècle est, dans la classe bourgeoise libérale, un monde d’hommes. Les femmes ne
travaillent pas, ont des domestiques et occupent socialement un second rang. Leurs droits
politiques n’existent pas et les carrières publiques sont réservées aux hommes : l’armée est un
organisme complètement masculin, l’université n’est que masculine, la vie politique
parlementaire appartient aussi aux hommes. Ils dominent même la vie sociale. Après un dîner,
les hommes passent au smoking-rom – il serait indécent pour une femme de fumer – tandis
que les femmes font salon. Partout les qualités dites « masculines » sont mises en évidence.
Les manières viriles sont louées et signifiées dans les vêtements et comportements (port de la
barbe, ou du moins de la moustache ; d'une canne et de gants qui rappellent la cravache du
cavalier et le sport préféré de cette gentry, l’équitation ; consommation de whisky). La
pratique du duel est encore en vogue en Allemagne parmi les officiers de l’armée et dans
certaines associations d’étudiants. Ce monde tranquille, confortable, riche, dominateur et sûr
de sa pérennité allait se voir attaqué de tous côtés et, finalement, disparaître comme modèle
social. Idéologiquement deux lames de fond l’ont secoué : les luttes ouvrières et les femmes ;
deux lames de fond qui se sont combinées. Socialement, les deux grandes guerres du
XXe siècle ont eu raison de son arrogance.
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Louisa West (1893-1983) parmi les suffragettes en une manifestation mai 1935
En 1879, au congrès ouvrier de Marseille, Hubertine Auclert jetait le premier pont entre
féminisme et socialisme. La salle des Folies-Bergères, à Marseille, est pleine à craquer depuis
trois jours quand, en ce mercredi 22 octobre 1879, Hubertine Auclert monte à la tribune
tendue de velours rouge pour s’adresser à la foule ouvrière. C’est une jeune bourgeoise de 31
ans, énergique et éloquente. Face à elle, 132 délégués de sociétés ouvrières ou de groupes
socialistes de tout l’Hexagone… et un auditoire de 1500 à 1800 spectateurs venus assister aux
débats !1 En 1876, Hubertine Auclert avait déjà fondé la société Le droit des femmes, qui
soutient le droit de vote pour les femmes. L’ébranlement que causa le mouvement fut bientôt
suivi dans plusieurs pays.
En 1903, Emmeline Pankhurst fonda l'Union sociale et politique féminine (Women's Social
and Political Union, WSPU) avec ses deux filles, Christabel et Sylvia, assistées d'un groupe
de femmes britanniques rapidement nommées « suffragettes ». Commence une bataille plus
violente pour obtenir l'égalité politique entre hommes et femmes. Les suffragettes se mirent à
brûler des institutions qui symbolisaient le pouvoir masculin : églises, terrains de golf et
autres et, emprisonnées, firent une grève de la faim, ce qui leur attira la sympathie du public
britannique. Elles eurent gain de cause : le premier pays à donner le droit de vote aux femmes
fut la Nouvelle-Zélande ; les États-Unis, sur le plan fédéral, l'adoptent en 1919, et la GrandeBretagne en 1928 ; en France, les femmes n'eurent ce droit qu’en 1944, à la fin de la Seconde
Guerre mondiale.
Ce mouvement, né dans l’inspiration des groupes politiques socialistes, s’est étroitement
inspiré des courants idéologiques marxistes et trotskystes de l’époque. Hubertine Auclert fut
la secrétaire de Léon Richer (1824-1911), un journaliste franc-maçon, libre-penseur et
féministe français, qui travaillait avec Maria Deraismes, première femme à avoir été initiée,
en France, à la franc-maçonnerie. C'est une libre-penseuse, anticléricale et théoricienne du
féminisme. Emmeline Pankhurst et son mari, Richard, furent des activistes socialistes et
sympathisants marxistes bien que, à la fin de sa vie, elle tourna le dos au Labor Party, au
grand désespoir de sa fille Sylvia qui l’accusa de trahir la cause de l’International solidarity.
Ce combat pour l’égalité politique du droit de vote fut marqué par l’ambiguïté. Donner aux
femmes le droit de vote est une bonne chose ; mais les femmes n’ont pas droit à faire
connaître leur voix lors d’une élection en tant que femmes luttant contre l’oppression
masculine, mais en tant que citoyennes. Étant donné l’évolution politique des sociétés, il était
juste qu’une démocratie consulte tous ses citoyens et non seulement une partie d’entre eux.
Mais détourner ce combat politique vers une dénonciation de l’oppression sexuelle dépassait
largement ses objectifs et contenait en germe une idéologie qui n’a pas manqué de se
répandre.
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2e vague - la femme mystique : rendre la femme sexuellement libre
La bataille pour l’acquisition du droit de vote termina le mouvement des suffragettes avec ce
qu’il comportait de violence (incendies de bâtiments, provocations, grèves de la faim), mais
n’éteignit pas la flamme féministe. Les différents mouvements féministes n’en étaient qu’à
leur début. En 1956, financé par Margaret Sanger (1879-1966), la fondatrice des centres
mondialement répandus du Family Planning, le Dr Pincus atteint le terme de ses recherches
sur l'anovulant, la pilule Noretindrona, destiné en premier lieu à soigner les troubles de la
fécondité. La pilule est autorisée comme contraceptif en 1960 par la FDA aux USA. Elle est
répandue en un éclair par toutes les grandes revues américaines (Better Home, Time
Magazine) et se retrouve en peu de temps dans tous les pays du monde, principalement les
plus riches, ceux de l'Occident industrialisé. La découverte et la commercialisation de la
pilule allaient lancer le mouvement féministe sur une autre voie. Il ne s’agit plus de donner à
la femme des droits politiques, il fallait qu’elle conquiert une liberté de sa sexualité égale à
celle de l’homme.
En 1914, Sanger lance une revue intitulée Woman Rebel, qui prend comme devise celle d’un
anarchiste français : « ni Dieu, ni maître ». À chaque tirage, elle proclame que la femme doit
être le seul maître de son propre corps. Woman Rebel ne véhiculait que des idées, et
pourtant chaque numéro était une violation de la Federal Law qui interdisait ce genre
d’écritures, les considérant comme « obscènes ». Des idées, il fallait passer à l’acte. Sanger
osa alors publier Family Limitation, où les techniques de la contraception étaient enseignées.
Mis à la poste, ces feuillets étaient une violation directe de la Custom Law qui interdisait de se
servir des services publics pour diffuser des écrits obscènes ; Sanger dut s’exiler en Europe
pour éviter d’être condamnée et emprisonnée aux États-Unis.
Mais le mouvement était lancé et, après la Deuxième Guerre, il reprit avec plus de force et
d’audace. En plein baby-boom, il fallait libérer la femme des charges de la maternité, c’est-àdire séparer la sexualité de son lien avec la procréation. Ce fut la tâche que se donnèrent
les féministes de la seconde vague.
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Betty Friedan (1921 -2006)
L’une des féministes les plus renommées, Betty Friedan, née Golstein le 4 février 1921 de
parents juifs émigrés de Hongrie, fut dans son enfance une militante marxiste et une partisane
forcenée des cercles juifs qui luttaient contre l’antisémitisme. Elle fréquente le Smith College,
qui n’est ouvert qu’aux femmes, et termine ses études en 1943 à l’Université de Berkeley
(Californie), où elle fait la connaissance de Milton Erikson. Elle est toujours une ardente
marxiste et même une propagandiste stalinienne. En 1966, elle fonde le National
Organization for Women (NOW) dont elle devient la première présidente jusqu’en 1970. En
1957, pour le Smith College, elle organise une large enquête
dans tous les États-Unis. Cette enquête lui donna les
fondements de son livre The feminine mystique. Ce livre,
vendu à plus de 3 millions d’exemplaires et traduit en
plusieurs langues, marque le point de départ de la deuxième
vague. La femme, enseigne-t-il, est un mythe dans la tête des
hommes. Ils la considèrent heureuse quand elle vit au foyer,
bonne ménagère au milieu de ses enfants, mais comme
épouse elle n’est jamais son égale, elle est asservie à une vie
infantile et d’arrière plan. À l’époque où, en Amérique,
Freud est considéré comme un génie, Friedan le critique
sévèrement pour avoir fait de la femme une mineure qui
n’est destinée qu’à devenir mère au foyer. Friedan lutta pour
la dépénalisation de l’avortement quoique, vers la fin de sa
vie, elle réprouva les excès des féministes sur la
revendication d’une libération sans condition. Le futuriste
Alvin Toffler déclara que The feminine mystique était un
moment choc dans l’histoire du féminisme. Rien ne serait plus pareil après la parution du livre
de Betty Friedan. Elle mourut le 4 février 2006 dans sa maison à Washington (DC), elle avait
85 ans.
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Kate Millet (1936, 2001)
Rien, en effet, n’a été pareil dans l’histoire du féminisme. Celles qui ont lutté dans le sillage
de Betty Friedan l’ont vite dépassée. Kate Millett, née en 1934 à St Paul (Minnesota), fut
rendue célèbre par la publication de sa thèse, La Politique du mâle, où l’on voit apparaître la
notion de gender. La Politique du mâle (Sexual politics) est une critique de la société
occidentale qui se concentre sur une dénonciation du pouvoir patriarcal entraînant la négation
du corps féminin à tous les niveaux : idéologique, sociologique, anthropologique, politique,
ainsi que littéraire. Dès sa sortie, La Politique du mâlefit l’effet d’un pavé dans la mare et
contribua par la suite à stimuler le développement des études et recherches féministes au
niveau universitaire, ainsi que la révélation d’injustices qui allaient éclater au grand jour
pendant la deuxième vague du féminisme.
Germaine Greer (1936 ...)
Germaine Greer, qui a vivement critiqué Friedan pour son égocentrisme et la dureté de son
caractère, fait pâlir l’étoile du féminisme par son livre The female Enuch. Greer est née à
Melbourne d’un père qui exerçait le métier de journaliste, milieu dans lequel elle déployait
elle-même ses talents d’écrivain soutenant les causes anarchistes, tout en se définissant
comme anarchiste communiste en rupture avec Marx. The female Enuch est l’œuvre qui l’a
rendue célèbre et qui la pose carrément comme une militante du mouvement de la libération
des femmes. Elle déclare, pour justifier son appel à la révolution, que « les femmes ne se
rendent pas compte jusqu’à quel point les hommes les haïssent et que, de plus, on leur
apprend à les haïr ». Interrogée par un journaliste du New York Times à la parution de son
livre, elle déclare : « en quelque sorte, les femmes ont été coupées de leur libido, de leur
capacité de désirer, de leur sexualité. Elles l’ont recouvert de soupçon. Comme des bêtes que
l’on castre sur une ferme, pour qu’elles deviennent soumises aux besoins de leurs maîtres –
être engraissées ou devenir docile –, les femmes ont été amputées de leur capacité d’agir. Ce
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processus qui sacrifie la vigueur à la délicatesse et à la succulence, ce processus doit
changer ».
Simone de Beauvoir (1906 -1986)
Le continent européen ne fut pas en reste, car Simone de Beauvoir (1906-1986), qui écrivit Le
deuxième sexe, apportait son talent d’écrivain et son argumentation de philosophe à ce
mouvement féministe. Théoricienne importante du féminisme, elle a participé au mouvement
de libération des femmes (Mouvement pour la liberté de l’avortement et de la contraception (MLAC)- fondé en 1973). On connaît sa thèse : « on ne naît pas femme : on le devient.
Aucun destin biologique, psychique, économique ne définit la figure que revêt au sein de la
société la femelle humaine ; c’est l'ensemble de la civilisation qui élabore ce produit
intermédiaire entre le mâle et le castrat qu'on qualifie de féminin2 ». En conséquence, la
libération de la femme consiste à séparer sa génitalité de la tâche que la société lui a imposée :
la maternité. Car l’histoire de la femme est celle d’un individu aliéné au besoin de l’espèce et
doué d’une sexualité qu’elle ne possède pas pour elle-même mais pour un bien qui lui est
étranger, celui de l’homme et, éventuellement, celui de sa continuité « raciale ». Aussi la
libération de la femme consiste-t-elle dans une libération sexuelle, c'est-à-dire une liberté qui
lui permettrait d’exercer sa sexualité pour elle-même, dans la transcendance ou le
dépassement de son aliénation, en vue du développement de son individualité propre. Pour
cela, il faut qu’elle dépasse sa génitalité, qu’elle soit libérée du fardeau de la maternité. Libre
comme l’homme ! Libre d’éprouver le plaisir pour le plaisir ! Dans une perspective marxiste,
c’est le grand soir de la femme ! Le jour où elle aura vaincu son aliénation3.
Si Betty Friedan donne le premier coup de marteau, c’est Simone de Beauvoir qui enfonce le
clou. En disant qu’on ne naît pas femme, mais qu’on le devient, elle stigmatisait un des points
sur lequel s’était construite la civilisation occidentale, nourrie de ses racines chrétiennes :
la sexualité responsable de la procréation. Avec le féminisme de la 2e vague, le lien entre
ces deux fondements de la dignité de la personne humaine dans son identité s’est rompu. Et
l’on peut dire qu’il s’est vraiment rompu : la sexualité a été dégagée de ce qui lui donnait sa
dignité humaine,la procréation comme un don de la vie.
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3evague - les « gender studies » (libérer le plaisir du sexe)4
Lorsque l’on parle de féminisme de la 1ère et de la 2e vagues, on parle encore de femmes
sexuellement distinctes de l’homme et que l’on cherche à libérer de l’oppression masculine.
La lutte dans bien des cas emploie un schéma marxiste. Le chanoine Olivier Bonnewijn a bien
montré ce schéma5. Ce schéma prélude à l’entrée en scène d’un concept opérationnel
emprunté à la psychologie sociale américaine et développé entre autres par John Money : le
concept du gender.
À la fin des années 70, le mouvement féministe s’effiloche. Tout d’abord est apparu le Black
féminism, dont les premières revendications se sont séparées de celles des féministes
blanches. L’oppression que dénoncent les femmes noires n’est pas celle de l’Américaine
blanche politiquement sevrée de ses droits, confinée au foyer et faiseuse d’enfants. « La
femme noire demande une nouvelle gamme de définitions de la femme, elle demande à être
reconnue comme une citoyenne, une compagne, une confidente et non comme une vilaine
matriarche ou une auxiliaire pour fabriquer des bébés6 ». Mais la femme noire peut être
opprimée en tant que femme, en tant que noire, ou même en tant que lesbienne. L’étude de
ces oppressions diverses a permis aux féministes de la troisième vague de développer un
concept unificateur de leur lutte : l’intersectionnalité, concept forgé par l'universitaire
féministe américaine Kimberlé Crenshaw. L’intersectionnalité montre que les formes de
domination et de discrimination ne peuvent pas être entièrement expliquées si elles sont
étudiées séparément les unes des autres. Il faut les étudier dans les liens qui se nouent entre
elles, en partant d’un principe conducteur. Quel est ce principe ? Le mâle ou le sexe ? Les
1ère et 2e vagues de la lutte pour la libéralisation des femmes ont vu dans le mâle le principe
conducteur de l’analyse de l’oppression féminine. La 3 e vague l’analysera non selon une
identité « naturelle » ou biologique précise, mais selon un concept heuristique, le SEXE.
Autrement dit, ce n’est pas le mâle qui cause l’oppression mais le sexe, comme ce n’était pas
le riche ou le bourgeois qui était cause de la misère prolétarienne, mais le Capital ; ainsi, ce
n’est pas l’homme qui est cause de l’aliénation de la femme, c’est le sexe. Le principe
conducteur de l’analyse de toutes les oppressions féminines devient donc le sexe. Il faut,
maintenant, conduire toutes les analyses des diverses formes d’aliénation féminine à partir de
l’opposition entre le sexe et le corps. Pour cette analyse, le concept du gender devient un
concept clé. Quelques réflexions sont nécessaires pour montrer les divers apports de cette
nouvelle construction.
French Theory
L’utilisation du concept de gender pour alimenter la lutte en vue de la libéralisation de la
femme a été nourrie en partie aux États-Unis depuis les années 1970 par certain nombre
d'auteurs français, notamment Jacques Derrida, Gilles Deleuze, Michel Foucault, Jacques
Lacan, Jean-Francois Lyotard et bien d'autres. Il serait intéressant d’analyser chacun de ces
penseurs. Dans les limites de cetteNewsletter, on ne parlera que d’un point de vue, celui de
Michel Foucault7. Dans son Histoire de la Sexualité8, Foucault commence par détacher le
sexe de tout sujet sexué (homme ou femme). En lui-même, le sexe contient le mécanisme et
les normes de l’oppression. Le sexe, en effet, engendre son propre dévoilement dans l’aveu,
que cet aveu s’exerce par la confession ou par la psychiatrie. Ces pratiques ne sont que des
mécanismes de dévoilement qui s’opposent à la force inhérente du sexe : le plaisir secret.
Dévoilé, le sexe, afin de retrouver son pouvoir, engendre une répression souvent masquée par
les normes de la bienséance, de la morale et de la santé publique. La force inhérente à la
répression sécrète sa propre antithèse, la domination. Car la classe qui possède ce pouvoir de
refouler, réprimer, maîtriser les forces du sexe, c’est la classe dominante. Elle domine non
8
parce qu’elle possède le pouvoir économique mais parce qu’elle aliène la force majeure du
sexe, le plaisir, l’Éros. Pour libérer l’Éros, il faut le dé-subjectiver, il faut qu’il soit l’acte du
corps, d’un corps délivré de la sexualité. La sexualité n’est en fait qu’un langage dominateur
du corps. Elle le détourne, ce corps, de sa véritable existence, être le souci de lui-même, le
souci de son plaisir de vivre. Terminant son traité sur la sexualité, Foucault, qui fait l’apologie
de la pédérastie grecque, écrit : « le monde de la femme est trompeur, parce que c’est un
monde secret (…). Le plaisir avec les garçons est placé sous le signe de la vérité 9». C’est lui
qui primordialement mérite le caractère de l’aretē (la vertu). Sa vérité, telle que les Grecs
dans leur œuvre poétique la concevait, doit donc servir de fondement à l’amour dans le
mariage !
La pensée Straight
C’est celle de Monique Wittig10 qui s’affiche comme « lesbienne radicale » :la femme
n’existe pas et, corrélativement, l’homme non plus. Car ces catégories « hommes » et «
femmes » sont des artifices du langage. Olivier Bonnewijn a bien analysé la pensée de
Monique Witting, je le laisse la décrire :
Monique Wittig (1935-2003)
Pour Monique Wittig, une telle question ne se pose pas. La femme universelle ou même
le féminin n’existe pas. Le langage est absolument premier. Tout est
langage. Dieu dit et cela est, lit- on dans le premier chapitre de la
Genèse. Dans notre univers débarrassé de l’illusion religieuse, cela
signifie : « le langage humain dit et cela est. » Il a un pouvoir
créateur. Il fait ce qu’il dit. Il est performance ou performation.
Parler, c’est commander, faire exister et faire disparaître, instituer,
constituer et destituer. Manipulé par les hommes, le langage
occidental selon Monique Wittig a construit un univers hétérosexiste
à partir du raisonnement idéologique suivant : l’ordre naturel est
normatif ; or seul le gender hétérosexuel est fondé sur cet ordre ;
donc les autres genders sont antinaturels ; donc ils sont désordonnés
et illégitimes à tous les points de vue. Ce type de raisonnement et de
langage s’est imposé à force de répétitions compulsives et incantatoires. Il s’est
institutionnalisé de multiples façons dans les différents aspects de la vie sociale, éducative,
culturelle, politique, religieuse. Il est historiquement à la base d’un système oppressif et
injuste envers les autres genders et envers l’authentique gender hétérosexuel lui-même.
L’heure est venue de secouer le joug de cette puissante tyrannie. Il faut inventer un nouveau
langage et une nouvelle grammaire, en remplaçant par exemple tous les termes générospécifiques (père, mère, mari, femme) par des termesgénéro-neutres11 ».
La queer Theory
Judith Butler, (1956)
Le terme « queer » signifie étrange, bizarre, anormal. Pour le traduire
dans toute son ampleur linguistique appliquée à la sexualité, on devrait
dire « pédé », « gouines » « tranny12 ». Ce sont les anormaux du sexe !
La Queer Theory veut montrer que ces « anormaux » sont les vraies
forces du seul changement politique des sociétés, comme le prolétaire
était la seule force dialectique de la destruction du capitalisme. Si on
9
prend l’affirmation de Monique Wittig, la femme n’existe pas, seul le langage qui l’enferme
comme corps sexuellement identitaire, existe. De même, on doit dire que l’anormal n’existe
que dans son opposition linguistique au normal. Cependant, on a toujours défini le normal
comme l’hétérosexuel et l’homosexuel comme anormal. Cela n’est pas ! Le normal n’est pas
l’hétérosexuel par rapport à l’homosexuel, ce n’est pas la femme par rapport à la lesbienne, ni
le transsexuel par rapport à l’homme ou à la femme. Le normal, c’est la force productrice de
la relation de plaisir. Et cette force, c’est uniquement le corps libéré de toute aliénation
sexuelle, le corps capable de tout GENRE de plaisir, de toute forme de vie qui permet de vivre
agréablement. Ces corps bizarres, ces corps désidentifiés, « ces gouines qui ne sont pas des
femmes, ces pédés qui ne sont pas des hommes, ces trannies qui ne sont ni femmes ni
homme»13, sont les ressources qui permettent d’organiser toute résistance à une tentative de
ré-aliénation par le pouvoir dominant de l’hétérosexualité. Ces corps bizarres « résistent à la
normalisation attentive, au pouvoir totalisant des appels à l’universalisation »14. Tant qu’il y
aura des homosexuels, des lesbiennes et des travestis, la force de transformation de la
civilisation existera. Tant qu’il y aura ces « anormaux », il y aura une capacité de résistance à
la normalisation hétérosexuelle, à la prétendue loi de l’universalité, appropriation indue de
l’Éros pour asseoir la domination d’une classe – non celle des hommes, mais celle des
hétéros. Ces hétéros ont forgé toutes les normes, les mécanismes, les services de la société qui
fonctionnent pour les servir : la médecine, la psychiatrie, l’école, la religion, l’économie, la
politique, etc. Ces produits sont les aliénations du plaisir. Tant qu’il y aura une politique
assise sur l’hétérosexualité, l’aliénation demeurera, car l’altérité sexuelle demeurera. Chaque
pas qui détruit l’altérité sexuelle est un progrès vers la totale liberté, celle de l'Éros, la force
qui rend la vie viable.
Nous y voilà, il faut affranchir le genre de toute référence à une sexualité déterminée. Le
genre n’est plus un produit de la culture, comme le « genre femme » s’oppose au « genre
homme ». Il ne dépend pas d’un comportement, d’une classification des corps selon leurs
constituants organiques. Il ne dépend ni d’un langage ni d’une politique. Affranchi de la
sexualité, il ne doit devenir que la visibilité d’un présent, d’un moment, selon lequel le corps
exprime son vouloir vivre, son vouloir bien vivre. Avec son livre, Trouble dans le
Genre, Judith Butler est une référence pour la queer theory. Dans une conférence donnée à
Nanterre le 25 mai 2004, on pouvait l'entendre dire :
« Au sein de la queer theory contemporaine, cette réduction du genre à la sexualité a
provoqué deux types de démarche distinctes, mais qui se recoupent. La première consiste à
opérer un clivage entre sexualité et genre, de sorte que, d’une part, avoir un genre ne
présuppose pas un engagement quelconque dans telle ou telle pratique sexuelle et que, d’autre
part, l’engagement dans une pratique sexuelle donnée - anale, par exemple - ne présuppose
pas l’appartenance à un genre déterminé. Dans la seconde démarche (liée à la première), le
genre n’est pas réductible à une hétérosexualité hiérarchisée et prend donc des formes
différentes dans un contexte de sexualités homosexuelles [queer]. En échappant au cadre
hétérosexuel, la binarité sexuelle ne peut donc plus être considérée comme allant de soi »15.
Saisissons bien où est la rupture ! Il ne s’agit pas de nier que le corps ait des organes sexuels
qui sont différents pour ceux que l’on appelle des hommes et pour celles que l’on appelle des
femmes. Nier l’organicité du corps serait imbécile ! Il faut enlever à ce substrat
biologique tout pouvoir de normalisation d’un comportement de jouissance. Le sexe
comme norme de comportement n’a plus de pouvoir. Faire disparaître le pouvoir de
normalisation du sexe, c’est délivrer le plaisir de son aliénation hétérosexuelle. Il n’y a donc
plus ni homme, ni femme, il n’y a plus que des corps qui veulent exprimer le vouloir vivre par
l’Éros.
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« Ces excitées déboussolées »
Ces femmes ont réussi là où Marx et Lénine ont échoué. Le communiste marxiste ou léniniste
n’a jamais réussi ce que le féministe a réussi. Le capitalisme dure encore et, déchaîné, il est
menaçant pour l’équilibre économique mondial. Les révolutions socialistes n’ont pas réussi à
le soumettre. Mais les révolutions féministes sont en train de changer le monde. La
contraception, l’avortement, l’homosexualité, les comportements sexuels autrefois qualifiés
de « déviants » sont maintenant des acquis devenus intouchables. Les institutions sociales
plient devant leurs exigences. La binarité des genres est dépassée ! Non seulement il n’y a
plus le « genre homme » et le « genre femme », mais il n’y a plus de gender qui tienne
compte d’une sexualité du corps. Agir selon la sexualité du corps est une option libre de droits
et selon le goût du jour ! Il est possible de se procurer tous les plaisirs en utilisant le corps
comme cela plaît. Il n’y a qu’à apprendre les techniques ! Ce qui est nouveau, ce n’est pas que
ce soit possible. Ce qui est nouveau, c’est que cela soit devenu le fondement du « normal », le
guide social de la liberté. Si le corps est ainsi désexualisé, désidentifié, il est logique de
s’attaquer aux institutions. À commencer par le mariage. Et cela est intouchable !
Quand Christiane Taubira nous parle de « justice » et d’égalité de droit envers les lesbiennes
et les homo, elle dissimule l’idéologie dont elle s’inspire. Il ne s’agit pas de rétablir la justice
ou de corriger une injustice. Derrière ce projet de loi, il y a toutes les pressions des
associations, tous les mouvements plus ou moins proches du marxisme trotskyste et de ses
théories de « libération » de la femme 16qui s’inspirent des idées que l’on vient d’analyser.
Derrière ce projet, il s’agit de faire passer l’idéologie du féminisme de Pékin qui définit une
femme sans sexe, une conjugalité sans altérité, un enfantement sans complémentarité, et une
famille sans paternité ou sans maternité. Quand la ministre du Droit des Femmes17, Najat
Vallaud-Belkacem, a présenté le « mariage pour tous » comme une « avancée » lors d'une
visite dans un collège du Loiret cet automne, en disant que « cela va permettre plus
d'épanouissement, plus de liberté, plus d’égalité dans la société », elle se réfère à la même
idéologie. Judith Butler aurait pu tenir le même discours et avec plus de hauteur ! C’est en ce
sens que ce projet de loi est une supercherie. L’égalité dont il se réclame est celle du
féminisme marxiste trotskyste.
Ce féminisme a instauré un terrorisme culturel qui risque d’être pire que celui des polices
secrètes des régimes totalitaire, il faut aussi en prendre conscience. Il nous met dans la peur de
la peur. Nous avons peur de l’homophobie ! Peur d’aller contre le progrès de la civilisation,
peur de retarder la marche de l’Histoire. Nous avons peur de faire le jeu de l’aliénation ! Nous
avons peur d’être des tyrans et des totalitaires rétrogrades et obscurantistes. Et cette peur se
nourrit de notre propre système de valeurs. Car nos valeurs nous enseignent, à juste titre, le
respect des personnes. Mais respecter les personnes n’est pas consentir à toutes les théories
qui en détruisent la dignité ! Quand le ministre de l’Éducation tance le secrétaire général de
l’enseignement catholique au nom de la liberté des consciences, il y a de quoi rire ou pleurer !
Le respect de la liberté des consciences supposerait alors de recevoir, sans mot dire, ce que
l’État propose comme la Vérité incontournable. Le contrat avec l’État pour la rémunération
des professeurs est-il un contrat qui achète les consciences et qui les oblige à se taire ?
Il nous faut réagir en profondeur. Car si nous ne nous ressaisissons pas, nous perdrons la
boussole ! Et nous deviendrons nus !
1 Alternative libertaire, le mensuel, 2009, n°18
2 Simone de Beauvoir, Le deuxième sexe, tome 2, Folio, Essais, pp. 13-14
3 Ibid, tome 1, p. 64
11
4 Pour progresser dans l’étude du genre, il faut lire l’excellent article d'Olivier
Bonnewijn, Gender qui es-tu ? Institut d’Etudes Théologiquesn Bruxelles, le 1 er novembre
2011, Institut Universitaire Pierre Goursat
5 Une partie des féministes fondent leur combat pour l’égalité des droits sur une vision
marxiste de l’Histoire. Il leur suffit d’opérer trois légères modifications, déjà préparées par
Engels et développées par l’Ecole de Francfort : - remplacer la classe du prolétariat oppressé
par celle des femmes, - remplacer la classe capitaliste oppressante par celle des hommes, remplacer l’histoire de la lutte des classes par celle de la lutte des sexes. Olivier Bonnewijn,
op.cit.
6 Black Woman's Manifesto, The Black Scholar, Vol. I., May 1970, p. 42
7 Paul-Michel Foucault, né le 15 octobre 1926 à Poitiers et mort le 25 juin 1984 à Paris, est un
philosophe français. L'adjectif s'y rapportant est « foucaldien ». Il fut, entre 1970 et 1984,
titulaire d'une chaire au Collège de France, à laquelle il donna pour titre Histoire des systèmes
de pensée. Puisant dans Nietzsche et Heidegger, son œuvre est une critique des normes et des
mécanismes aveugles de pouvoir qui s'exercent au travers d'institutions en apparence neutres
(la médecine, le marché, la psychiatrie, l'art...) et problématise, à partir de l'étude d'identités
individuelles et collectives en mouvement, les processus toujours reconduits de libération et
de « subjectivation ».
8 Michel Foucault, Histoire de la sexualité, vol 1 : La volonté de savoir, vol 2, L’usage des
plaisirs, vol 3, Le souci de soi, Collection Tel, Gallimard
9 Foucault, op.cit., vol. 3, in fine
10Née le 13 juillet 1935 à Dannemarie dans le Haut-Rhin (France), Monique Wittig a été
l'une des fondatrices du Mouvement de libération des femmes. En 1971, on la retrouvait
aux Gouines rouges, premier groupe lesbien constitué à Paris. Elle participa également
aux Féministes Révolutionnaires. Soutenu par Marguerite Duras, son premier
livre, L'Opoponax, reçoit le Prix Médicis. Ses œuvres littéraires suivantes ne passent pas
inaperçues : Le Corps lesbien, Les Guérillères... En 1976 elle quitte Paris pour les États-Unis,
où elle enseignera dans de nombreuses universités, notamment à l’Université de Tucson, où
elle donne ses derniers cours entre autres au département des Études sur les Femmes. Elle est
décédée le 3 janvier 2003
11 Olivier Bonnwijn, op. cit.
12 transexsuel
13 Beartiz Preciado, Multitudes Queer, Notes pour une politique des anormaux, 2003/2, n°12
14 Ibid
15 Judith Butler, Faire et Défaire le genre, Conférence donnée à Paris Nanterre, le 25 mai
2004, publiée dans Multitude Queer, octobre 2004
16 Le manifeste du Grand Rabbin, Gilles Bernheim, le montre clairement dans la 2 epartie de
son manifeste : Mariage homosexuel, homoparentalité et adoption : ce que l’on oublie de
dire :
Derrière
les
arguments,
la
confrontation
de
deux
visions
du
monde.http://www.grandrabbindefrance.com/
17 Cf Le Figaro, 5/01/2013 Quand une ministre louait le mariage homo dans un collège