Celtes et Gaulois dans l`histoire, l`historiographie et l`idéologie

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Celtes et Gaulois dans l`histoire, l`historiographie et l`idéologie
Celtes et Gaulois dans l'histoire, l'historiographie et l'idéologie moderne
Rieckhoff 2006 : RIECKHOFF (S.) dir. — Celtes et Gaulois, l’Archéologie face à l’Histoire, 1 : Celtes et
Gaulois dans l’Histoire, l’historiographie et l’idéologie moderne. Actes de la table ronde de Leipzig, 16-17 juin
2005. Glux-en-Glenne :Bibracte, 2006, 252 p. 79 ill. (Bibracte ; 12/1).
Les cinq fascicules édités sous le même n° 12 de la collection Bibracte présentent les actes de tables rondes
thématiques tenues au printemps 2005 dans le but d'effectuer la synthèse de vingt années d'acquis
scientifiques sur les Celtes protohistoriques :
-12/1 : Les Celtes dans l'histoire, l'historiographie et l'idéologie moderne
(table ronde de Leipzig, 16-17 juin 2005)
-12/2 : La Préhistoire des Celtes
(table ronde de Bologne-Monterenzio, 28-29 mai 2005)
-12/3 : Les Civilisés et les Barbares, Ve-IIe siècles avant J.-C.
(table ronde de Budapest, 17-18 juin 2005)
-12/4 : Les mutations de la fin de l'âge du Fer
(table ronde de Cambridge, 7-8 juillet 2005)
-12/5 : La romanisation et la question de l'héritage celtique
(table ronde de Lausanne, 17-18 juin 2005).
Sans constituer une somme encyclopédique, les soixante-dix contributions réunies manifestent la diversité
des études contemporaines consacrées aux Celtes protohistoriques, tributaire de la variété des traditions
académiques et des approches du sujet (linguistique, philologique ou archéologique).
Ces contributions font la part belle à l'archéologie ; le développement sans précédent de cette discipline a
en effet bouleversé au cours des deux dernières décennies notre perception des Celtes protohistoriques.
Les Celtes dans l'histoire, l'historiographie et l'idéologie moderne
Depuis leur entrée dans l'histoire, au
VI
e
siècle avant J.-C., les peuples celtes sont considérés avec un
regard extérieur, qu'il s'agisse de celui du "civilisé" gréco-romain de l'Antiquité ou de l'intellectuel moderne
qui considère ces Européens du passé à travers le prisme déformant des sources antiques et de ses
propres préoccupations, sans parler de l'homme de la rue de ce début du XXIe siècle, pour qui la "tradition
celtique" semble pouvoir cristalliser une alternative aux modèles socio-politiques dominants.
La table ronde de Leipzig a eu pour objet d'analyser l'évolution de la perception des Celtes au cours des
vingt-cinq derniers siècles, depuis les premiers récits des auteurs grecs jusqu'aux points de vue développés
par les scientifiques d'aujourd'hui – qu'ils soient historiens, archéologues ou linguistes… – et à ceux
popularisés par la culture de masse.
La table ronde évoque ainsi des préoccupations qui ont émergé au cours des deux dernières décennies et
qui ont conduit parfois à des prises de position hypercritiques sur la possibilité de considérer les peuples
celtes de l'Antiquité comme un objet d'étude pertinent. Les articles réunis dans ce volume abordent le sujet
selon des perspectives aussi variées que possible – sans prétendre à l'exhaustivité – en privilégiant une
époque, une région ou un point de vue thématique. Ils montrent que le concept de "Celtes", très largement
débattu aujourd'hui, ne peut être utilisé sans préciser le champ sémantique que l'on considère, tant celui-ci
varie selon les moments de la recherche et les points de vue.
Avant propos du responsable de la table ronde
Le colloque international intitulé Celtes et Gaulois, l’Archéologie face à l’Histoire, qui vise à faire le point
de vingt-cinq années de recherche européenne, commence par un chapitre qui est exclusivement consacré à
l’histoire même de cette recherche. Pour un historien, cela va aujourd’hui peut-être de soi, mais en
archéologie, ce n’est pas du tout l’usage.
Afin de rendre plus claires les questions sur les Celtes et Gaulois dans l’Histoire, l’historiographie et
l’idéologie moderne discutées à Leipzig, une différenciation terminologique du terme histoire de la recherche
tel qu’on l’utilise aujourd’hui en archéologie est nécessaire. On peut en entendre deux choses différentes :
D’un côté, il s’agit du regard rétrospectif sur l’état de la recherche, qui nous est familier et sans lequel
presque aucun résultat de recherche archéologique n’a été et n’est publié. Méthodologiquement, il est tout
naturel de classer ses propres résultats dans le contexte des recherches précédentes dans le but de déterminer
le point de vue actuel et de redéfinir, à partir de celui-ci, les objectifs futurs de la recherche. Dans cette
perspective, on met l’accent sur les progrès de la recherche. Sans une telle vision historiciste, il n’y aurait pas
d’ “ordre des choses” (Foucault 1966), pas de savoir recueilli, pas de bilans des recherches scientifiques tels
qu’ils ont été réalisés pour cette table ronde. Faire l’état de la recherche archéologique est toujours requis s’il
s’agit de problèmes heuristiques, c’est à dire d’une réserve de sources dont la quantité et la qualité sont liées
à des questions de base herméneutiques. Deux genres de sources qui sont par tradition inséparablement liés à
la question de l’existence des Celtes et qui entretiennent, en outre, des rapports dialectiques entre eux,
peuvent illustrer ce fait : l’art et la langue. L’art de La Tène ancienne a été considéré, jusqu’aujourd’hui,
comme le synonyme de la culture de La Tène ancienne, tandis que les langues celtiques sont considérées
comme le synonyme de l’ethnicité celtique ; mais l’une ne coïncide pas avec l’autre et tous les deux ne
coïncident pas avec la localisation des Celtes telle que les sources antiques l’ont transmise. Dans ces cas et
dans d’autres, on ne peut certes pas attendre une solution des problèmes mais une modification des
hypothèses.
De l’autre côté, il s’agit de l’histoire de la science, c’est à dire de l’histoire des bases épistémologiques
de l’archéologie. L’histoire de la science n’a pas pour but l’accumulation du savoir, mais elle médite sur
l’interaction entre les différents paradigmes de la recherche et le discours social de l’époque, entre les
différents mécanismes de la production du savoir et l’esprit du temps. L’histoire de la science sert à la
compréhension théorique de la pratique archéologique en permettant la prise en compte du passé et de
l’avenir et en préservant ainsi la recherche actuelle d’une “téléologie historique naïve” (Lessing 1983). Son
objectif n’est pas de modifier des hypothèses existantes mais d’en créer de nouvelles. Sur ce point,
l’histoire de la science n’est absolument pas une fin en soi, mais elle apporte une contribution indispensable
à la discussion théorique sur les buts et les méthodes de la recherche archéologique.
Pourtant, la nécessité d’une telle discussion après l’effondrement intellectuel et moral de la Deuxième
Guerre mondiale n’a emergé que très lentement sur le continent européen. Si l’on feuillette les nombreux
catalogues d’exposition et les ouvrages généraux sur les Celtes – c’est à dire les publications des trente
dernières années destinées au grand public s’intéressant à l’histoire –, on se rend compte que, à part quelques
exceptions et malgré une illustration de plus en plus raffinée, la monotonie antiquaire et les modèles de l’avantguerre restent prédominants : objets et structures, typologie, chronologie et chorologie, le concept de
l’équivalence entre la culture archéologique et l’identité ethnique. Peu importe si en Allemagne, en Italie ou en
France, l’histoire de la recherche est prise en compte, elle se limite à l’énumération de découvertes
sensationnelles ou de résultats de chercheurs exceptionnels. On explique les stagnations, les régressions et les
égarements de l’archéologie, dont la première moitié du XXe siècle est tellement riche, par des destins
biographiques ou des catastrophes historiques telles que les deux guerres mondiales. De cette façon,
l’archéologie donne au public l’image d’une historiographie qui selon W. Benjamin (1940, XVII) “n’a pas
d’armature théorique. Son procédé est additif : elle met la grande masse des faits en œuvre afin de remplir le
temps homogène et vide”, qui n’est aussi qu’un temps fictif qui existe seulement dans l’imagination de ceux
qui croient au continuum de l’histoire, tandis que l’histoire est, à son avis, “objet d’une construction” qui se
constitue dans le présent. Il est difficile de formuler une devise plus actuelle pour la table ronde de Leipzig,
tenue plus d’un demi-siècle après que le philosophe aie tenu ces propos.
C’est seulement à partir du moment où le concept traditionnel de l’équivalence entre la culture
archéologique et l’identité ethnique, développé et utilisé abusivement depuis la deuxième moitié du XIXe s.,
s’est révélé de plus en plus insuffisant et même contradictoire (par exemple par la révolution de la chronologie
par le 14C), que la génération d’après-guerre a réussi à le mettre en question. C’était surtout la Nouvelle
Archéologie anglaise qui a stimulé ce développement ; celle-ci s’inspirait elle-même de l’anthropologie
culturelle américaine des années soixante. Pendant les années soixante-dix, les réactions en Europe étaient
encore rares. La percée n’a pas eu lieu avant les années quatre-vingt, et, sur une base plus vaste, elle s’est en
effet produite il y a seulement dix à quinze ans. Cette fois-ci, la stimulation provenait des sciences sociales
anglaises. Les Sociétés imaginaires (Anderson 1983) et les Traditions inventées (Hobsbawm 1983) font
aujourd’hui partie des mots-clés les plus cités quant à l’histoire de l’instrumentalisation de l’archéologie et à la
construction d’identités dans le passé ainsi que dans le présent.
C’est dans ce contexte qu’il faut discuter de nouveau de l’histoire de la notion de culture et du paradigme
ethnique en archéologie, mais aussi du rôle politique et social de l’archéologie au cours des 250 dernières
années. Cette discussion doit être différente selon les pays. En Allemagne, par exemple, un débat intensif sur
la recherche concernant les Germains pendant le national-socialisme a enfin commencé au début des années
quatre-vingt-dix parmi les collègues plus jeunes. Les Celtes, qui remplissent depuis 1945 et jusqu’à nos jours
la fonction de modèles identificatoires positifs, en ont profité. Cette situation n’est pas comparable au
gallicisme du nationalisme français ou au celticisme du régionalisme espagnol. Mais, depuis que les Celtes
représentent l’identité culturelle de l’Europe, ils ont perdu leur innocence partout. Entre-temps, plusieurs
ouvrages critiques sur la conception des Celtes, publiés pour la plupart par de jeunes collègues anglais et
espagnols, ont paru. Nous nous sommes fondés sur ces travaux préliminaires à Leipzig et nous avons mis un
forum à la disposition de l’histoire de la recherche sur les Celtes et les Gaulois où les quatre sujets suivants
ont été discutés :
− la conception des Celtes dans l’art de l’âge du Fer, dans la linguistique et dans la science des religions ;
− l’instrumentalisation de l’image des Celtes dans les écrits et l’iconographie de l’Antiquité ;
− la conception des Celtes entre le siècle des Lumières et l’époque moderne en Grande-Bretagne et en
France, dans l’histoire et l’histoire de l’art ;
− la conception contemporaine des Celtes.
Bien sûr, nous n’avons pu choisir que quelques exemples du grand nombre de sujets possibles. Mais ce
choix s’est révélé réussi. Les discussions vives entre les chercheurs des disciplines différentes – archéologie,
histoire, linguistique, science des religions, histoire de l’art, études germaniques et celtologie – furent un
enrichissement pour tous les participants. Je tiens à remercier tous les communicants pour leur engagement,
surtout Michael Dietler pour sa conclusion ainsi que Felix Fleischer et tous les collègues de l’Institut de Préet Protohistoire qui se sont occupés de l’organisation parfaite de cette manifestation.
Leipzig, mai 2006
Sabine RIECKHOFF
Traduction : Caroline von Nicolai
Après sa thèse soutenue en 1974 à Fribourg en Breisgau portant sur l’archéologie des provinces
romaines, Sabine Rieckhoff a été conservatrice au musée d’Histoire de Ratisbonne (Bavière). Habilitée à
l’enseignement supérieur à l’université de Marburg en 1990, elle est devenue professeur à l’université de
Leipzig où elle enseigne la Préhistoire et la Protohistoire. Parmi ses thèmes de recherche dominent les
périodes de transition telles que l’âge du Bronze ancien et le deuxième âge du Fer, particulièrement la période
des oppida caractérisée par les tensions entre sources archéologiques et historiques. C’est la raison pour
laquelle elle dirige, depuis une dizaine d’années, des fouilles sur l’oppidum de Bibracte-Mont Beuvray
(Bourgogne, France). Ses recherches récentes se concentrent sur des questions de l’archéologie sociale ainsi
que sur l’histoire et la théorie de la Préhistoire.

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