Xavier Niel et Patrick Drahi: les frères ennemis des

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Xavier Niel et Patrick Drahi: les frères ennemis des
Date : 30/05/2015
Heure : 10:11:32
Journaliste : Gilles Fontaine
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Pays : France
Dynamisme : 156
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Xavier Niel et Patrick Drahi: les frères ennemis des télécoms
Rien ne semble freiner le patron de Free et celui de Numericable-SFR dans leurs offensives internationales.
Mais tout les sépare dans leurs stratégies et le mode opératoire. Explications.
Xavier Niel / Patrick Drahi. AFP
Patrick Drahi ne mettra pas la main sur Time Warner Cable, numéro deux du câble aux Etats-Unis. Charter
Communications, le leader américain, lui a soufflé l’affaire le 26 mai. On ne peut pas gagner à tous les
coups. Une semaine plus tôt, le patron d’Altice a pris tout le monde de court en bouclant le rachat de 70%
du câblo-opérateur Suddenlink, septième acteur du marché américain, pour 9,1 milliards de dollars.
Les discussions avaient été engagées il y a un an. Au moment même où Xavier Niel mobilisait les équipes
d’Iliad sur le rachat de T-Mobile, quatrième opérateur mobile américain. Lui aussi voit loin et grand. L’offre à
15 milliards de dollars avait été retoquée par l’actionnaire Deutsche Telekom, mais le créateur de Free a pu
se consoler avec Monaco Telecom et Orange Suisse, dont il a pris le contrôle via son holding NJJ Capital.
Rien ne semble désormais freiner les deux entrepreneurs français des télécoms : le monde est leur terrain
de jeu. Mais leurs stratégies divergent radicalement.
La stratégie industrielle : le roi du câble et l’apôtre du mobile
Avec Suddenlink, le président d’Altice – maison mère de Numericable-SFR – revient à ses premières
amours : le câble. Dans tous les pays où il a investi – France, Belgique, Israël ou Portugal –, ce X-Télécoms a
toujours posé un premier jalon en rachetant des réseaux de télécommunications fixes, et tout spécialement
dans le secteur du câble, qu’il considère comme une technologie d’avenir et où les entreprises sont sousévaluées. Dans un second temps, il prend position dans le mobile et construit des offres convergentes. Aux
Etats-Unis, Patrick Drahi veut participer à la consolidation d’un marché du câble extrêmement morcelé et
très dynamique, avec une croissance annuelle de près de 7%, tandis que Numericable peine, se contentant
d’une croissance de 1 à 2% en France, un marché ultradominé par la technologie ADSL, sous l’impulsion
de Free.
Xavier Niel, quant à lui, n’a jamais cru aux opportunités du câble dans l’Hexagone. Il juge l’infrastructure
dépassée, essentiellement du fait du manque d’investissements des opérateurs français au fil du temps. "Le
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fondateur d’Iliad ne s’interdit pas d’étudier des dossiers ailleurs dans ce secteur, notamment en Europe du
Nord", indique un bon connaisseur de ces dossiers. Mais c’est d’abord sur le mobile qu’il fonde désormais
sa stratégie d’acquisitions. Cela s’est vu aux Etats-Unis, en Israël et en Suisse. L’homme d’affaires cherche
avant tout de la croissance pour alimenter son business, dont la structure de coût est extrêmement serrée.
La chasse aux coûts est un sport assidûment pratiqué par les deux hommes. Avec quelques variantes.
La chasse aux coûts : le consolidateur cost killer et le développeur sobre
Lors de leur campagne américaine avortée, les équipes d’Iliad avaient mis en avant les synergies qu’elles
pourraient engager en restructurant T-Mobile. Au cœur de cette réorganisation, le système d’information,
qui constitue un énorme coût supporté par les opérateurs. Cette plateforme, qui gère aussi bien le trafic
sur le réseau que la facturation des clients, est elle-même le fruit d’une organisation originale déployée par
Xavier Niel, et qui permet au groupe de fonctionner au quotidien de manière frugale.
Mais au-delà des choix technologiques, le comité exécutif comprenant huit membres n’a pas bougé depuis
une dizaine d’années, équipes et salaires sont resserrés, la performance est récompensée, la recherche
et le développement se font en interne… Une sobriété qui porte ses fruits : dans le dernier classement des
patrons performants publié par Challenges, la rentabilité (sur capitaux employés) d’Iliad approche les 19%
par an, quand celle du secteur dépasse à peine les 8%.
De son côté, Patrick Drahi a démontré ses talents de cost killer. Son empire, il l’a construit en rachetant des
opérations existantes et mal en point. En consolidant le secteur du câble en France, il a eu l’occasion de se
faire la main sur une myriade de sociétés de taille variable depuis 1999. L’homme d’affaires a la réputation
d’acheter au bon moment et au bon prix, puis de restructurer sans états d’âme. Traque des gros salaires,
chasse aux consultants, pression extrême sur les fournisseurs… Tous les moyens sont bons pour réduire
les structures de coûts. Pour Xavier Niel ou Patrick Drahi, ces cures d’amaigrissement n’ont toutefois pas
la même finalité.
Les capacités financières : priorité au remboursement de la dette ou à la baisse des prix
A Altice, la chasse aux coûts permet d’accélérer le remboursement de la dette que Patrick Drahi maintient
à des niveaux maximaux. L’opération américaine porte la dette nette d’Altice à 33,4 milliards d’euros, soit
5,5 fois son résultat brut d’exploitation, selon une note d’analystes de RBS. A titre de comparaison, Charter
Communications, le groupe de John Malone, le roi américain du câble que Patrick Drahi décrit comme son
mentor, affiche un ratio de 5. Une situation qui ne semble pas inquiéter les marchés : en un an, la valorisation
d’Altice a progressé de 160% pour atteindre quelque 32 milliards d’euros. Pour les investisseurs, Patrick
Drahi a le vent dans le dos avec des taux d’intérêt historiquement bas, et une méthode qui lui permet de
générer un maximum de cash de ses acquisitions.
Cette efficacité est lisible dans les résultats du premier trimestre 2015 de Numericable-SFR, au sein
desquels on peut estimer à 200 millions les économies dégagées. A ce rythme, elles dépassent déjà les
150 millions de frais financiers prévus chaque trimestre pour le remboursement de la dette d’acquisition de
SFR. Pas étonnant dès lors que le groupe prévoie pour 2015 un Ebitda en hausse de 20% à 2 milliards,
quand les analystes tablaient sur 1,3 milliard. A tel point, constate Anthony Carvalho, analyste pour le fonds
d’investissement Fourpoints, que "leur bilan n’est pas assez endetté. Ils ont de la marge pour poursuivre
leurs ambitions en Europe". Ou financer de nouvelles acquisitions américaines.
Iliad utilise le cash généré pour maintenir les prix le plus bas possible et gagner des parts de marché. Le
groupe n’est pas allergique à la dette et l’avait démontré en 2008, en réussissant à boucler le financement
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du rachat d’Alice une semaine après la faillite de Lehman Brothers. Et encore aux Etats-Unis l’été dernier :
l’opération T-Mobile a démontré la capacité du groupe à lever rapidement 15 milliards de dollars dans une
acquisition. Et à mobiliser ses troupes.
Les gardes rapprochées : la task force très française et le commando international
Lors de sa campagne américaine, Xavier Niel a démontré l’efficacité de sa task force. Au cœur du dispositif,
le très secret Rani Assaf pour plancher sur le réseau et les systèmes informatiques. A l’opérationnel, il peut
compter sur son directeur général, Maxime Lombardini : c’est lui qui fait tourner la maison Free au jour le jour.
Pour travailler avec les banques, il se repose sur Thomas Reynaud, son responsable financier, désormais
directeur général adjoint, à la tête d’une équipe de cinq jeunes loups. Il y a enfin Michaël Boukobza, qui vit
à Tel-Aviv, mais est réquisitionné par Xavier Niel quand il faut restructurer.
Pour l’épauler dans son offensive aux Etats-Unis, Patrick Drahi peut s’appuyer sur son équipe commando
très internationale, menée par Dexter Goei, Franco-Américain de 43 ans, le CEO d’Altice. Ce virtuose de
la finance est aidé par un directeur financier de poids : le Hollandais Dennis Okhuijsen, 45 ans, ancien
trésorier de John Malone.
Le petit staff comprend également Jeremie Bonnin, 40 ans, fidèle parmi les fidèles, secrétaire général
d’Altice, ainsi que deux recrues plus récentes : l’Allemand Burkhard Koep, un ancien de Morgan Stanley, a
rejoint l’équipe il y a moins d’un an pour prendre en charge toute la partie fusions-acquisitions. Et Alexandre
Marque, le conseil juridique de Patrick Drahi, fondateur du cabinet parisien Franklin, qui a participé à une
quinzaine d’opérations pour Altice.
Habitués à travailler ensemble, les hommes du commando Drahi ont pris l’habitude "de répertorier toutes les
best practices de chaque opération", raconte un familier de l’homme d’affaires : des formats de documents
aux méthodes de discussion en passant par le déroulement des négociations, tout est mémorisé et réutilisé
dans les deals suivants.
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