Un vêtement qui nous ressemble, un vêtement qui nous rassemble

Transcription

Un vêtement qui nous ressemble, un vêtement qui nous rassemble
Article restituant une expérience pédagogique
autour de la réception d’œuvres du FRAC - Nord Pas de Calais
Œuvre(s) du FRAC Nord - Pas de Calais accueillie(s)
par : le collège d'Harnes (62)
Œuvre(s) accueillie(s) :
Stephen Willats (1943-), « Free Expression »,
de la série : « Multiple Clothing », 1992,
robe interactive, panneaux en plastique, feutres,
éponge, 88 x 47,5 cm.
Exposition du 26 février au 31 mars 2016.
STEPHEN WILLATS
Présentation de l’œuvre sous le regard de l’étude menée :
Cette œuvre est une robe de plastique blanc accompagnée de feutres effaçables. L’artiste interroge les
rapports humains directs dans une société de plus en plus virtuelle. La robe est activée, portée, chacun peut
écrire dessus. Celle qui la porte et les spectateurs deviennent acteurs, ils participent activement à l’œuvre.
Cette robe vectrice de communication remet en question nos relations humaines. Il est possible d’écrire sur la
robe, mais aussi de tout effacer à chaque instant, de faire et de défaire une identité.
Pourquoi abandonner son image à l’autre ? Peut-on confier son image à n’importe qui ? Suis-je responsable du
regard des autres sur moi ? Est-ce que je peux changer mon image, le regard que les autres portent sur moi ?
Est-ce que je peux sans cesse repartir à zéro dans la construction de mon identité ? Le corps est-il un matériau
comme les autres ? Pourquoi peut-il être dangereux de s’exposer au regard des autres ?
Rencontres et expériences vécues entre les élèves et les œuvres
Arts plastiques
les Arts du visuel
Public concerné : toutes les classes de 4e.
Free Expression,
un vêtement qui nous ressemble, un vêtement qui rassemble
« On peut dessiner dessus ? », demande Shakira tout en s’approchant dangereusement de Free Expression de
Stephan WILLATS. Shakira, élève en classe de 6e, a le chic pour dire tout haut les questions que les autres se
posent tout bas. Il est vrai que les feutres, fixés un peu au-dessus de la poitrine, constituent sinon une
invitation, du moins une vive tentation. Sans parler des petites tâches indélébiles qui ont l’air d’avoir été
fraichement posées…
C’est pourquoi, la distance que met l’objet avec le spectateur, là, immobile et emmanché sur un mannequin
hiératique, est irritante. L’étudier en classe avant son arrivée n’a pas facilité les choses : dans la plupart des
images ou vidéo vues en classe, la robe était portée par un performeur et, le cas échéant, un spectateur était
en train d’intervenir sur l’objet.
Mais « Free Expression » est la trace d’une performance passée. Et c’est bien ce qui rend cet objet à la fois
attirant et déceptif (il vous faudra réfréner l’ardeur de vos élèves !). Si la robe demeure un témoignage
éloquent de la performance, elle n’en demeure pas moins le reliquat d’un art qui a été, jadis, vivant.
Recréer une performance dont le support serait un vêtement, voilà quel serait l’objectif proposé aux élèves.
Les 4e venaient précisément d’achever leur vêtement symbolique.
Deux heures nous ont permis de mettre en place et de travailler la performance que trois élèves volontaires,
par ailleurs membres du club de théâtre, allaient exécuter le soir du vernissage eao. La première fut consacrée
à l’analyse du travail du chorégraphe et performeur Jérôme Bel. L’autre fut dédiée à la répétition.
Voici comment les choses se sont passées. Les élèves avaient préalablement superposé des couches de tshirts conçus en classe, lors de la séquence « mon identité me colle à la peau » (cf. article sur Margot Zanni).
Chacun leur tour, lentement et en silence, les performeurs ont feint de relire tous les détails du t-shirt.
Chaque symbole, signe ou trace est passé au peigne fin et lu avec une concentration intense.
Une fois que le côté face du t-shirt est inspecté, l’élève se met de dos et essaye de faire de même. Les gestes
changent obligatoirement. Quand il est de dos, le performeur semble nous montrer ce qu’il ne peut pas voir.
Tout se passe comme s’il nous chargeait de percer les secrets cachés sous ces signes hermétiques. Demi-tour.
L’élève-performeur est de nouveau face à nous. Il ôte alors soigneusement son vêtement et examine le
suivant.
Le processus est apparemment le même pour les trois élèves. Mais, c’est en fait de façon très personnelle que
le performeur (se) découvre et fait découvrir les reliefs du vêtement. En effet, le temps consacré à chaque
symbole varie selon l’individu. Les élèves ne se retournent donc pas au même rythme, ce qui écarte l’idée
d’une chorégraphie où le danseur obéit à un canevas préconçu et à un rythme imposé par la musique.
Les élèves avaient décidé qu’ils porteraient les projets que les élèves ont oubliés en classe ou qu’ils n’ont pas
souhaité emporter chez eux. En regardant les t-shirts avec attention, les élèvent allaient ainsi valoriser et
donner de l’estime à l’objet délaissé.
Ce faisant, les performeurs invitent le spectateur à faire de même. A aucun moment, les performeurs ne
regardent le public. Leur tête est penchée sur les signes, leurs yeux sont rivés sur chaque détail. Les élèves ont
emprunté cette attitude au chorégraphe Jérôme Bel (Shirtology) dont le visage penché vers les inscriptions
des t-shirts fonctionne comme un panneau indicateur. La gestuelle semble dire : cessez de me regarder,
regardez plutôt ce que je regarde.
Le silence régnant au moment de la performance a aidé le spectateur à convertir son regard. S’il a pu voir la
performance comme une attraction curieuse au début, la durée de l’action, son rituel, a conduit le spectateur
à s’installer dans une attitude contemplative.
Performance des élèves de 4e pendant le vernissage eao du collège d’Harnes.