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année e 30 trimestriel Lecture Jeune Sophie Leblanc pour Muze, octobre 2006, rubrique “ety-mot“ Revue de réflexion, d’information et de choix de livres pour adolescents Les lectures “psy” des ados juin 2007 N°122 I Chers lecteurs, Lecture Jeunesse vous donne rendez-vous sur son site Internet : www.lecturejeunesse.com LJ122_P1-3.qxd 31/05/07 20:02 Page 1 Sommaire Éditorial Rencontre avec… Hélène Ramdani, éditrice Dossier Les lectures « psy » des ados Parcours de lecture Livres accroche Et après Lecteurs confirmés Ouvrages de référence page 2 page 4 à 6 page 7 page 32 page 42 page 56 page 69 En savoir plus page 71 Index page 75 LJ122_P1-3.qxd 31/05/07 20:02 Page 2 2 Édito Hélène Sagnet 1 Le roman pour adolescents aujourd’hui : écriture, thématiques et réception, CRDP de Créteil La Joie par les livres, 2006 (Argos références) 2 Girls !, Jeune et Jolie, Phosphore Participons-nous à une société du « tout psychologique » ? Connaissance de soi et épanouissement personnel semblent devenus les maîtres mots d’une époque qui recourt sans cesse aux explications d’ordre psychologique. A l’adolescence, ces problématiques revêtent une dimension autrement plus concrète et urgente dans un processus de construction identitaire, parfois douloureux. Quelles réponses les jeunes lecteurs trouvent-ils dans les supports qui leur sont adressés ? Du roman au documentaire en passant par la presse, la veine « psy» est en effet bien exploitée par les éditeurs. Peut-on ainsi qualifier de « psychologique » la littérature pour adolescents ? Oui, répond Daniel Delbrassine, auteur d’une thèse sur ce sujet1, qui nous rappelle que dès ses origines, cette littérature privilégie les récits de l’intime pour répondre aux questionnements de son public. Jean-Marc Talpin, psychologue clinicien, revient sur les enjeux psychiques de la lecture à l’adolescence et montre comment le roman miroir participe de la construction de l’identité du jeune lecteur. Il poursuit son analyse en prenant l’exemple du traitement d’une thématique signifiante en littérature de jeunesse, l’adoption. Sans emprunter les chemins de la fiction, dans une démarche qui se veut plus documentaire et pratique, certains éditeurs proposent d’autres pistes de réflexion aux adolescents : entretien avec Béatrice Decroix autour des collections « Hydrogène » et « Oxygène ». Autre support, les magazines ados multiplient comme leurs aînés les rubriques « psy » et prétendent eux aussi apporter des réponses. Christelle Crumière, sémiologue, analyse les discours de trois titres qui leur sont dédiés2 et caractérise les modalités de rapport à soi qu’ils proposent. Et si ces questions trouvaient également leur place au sein de la bibliothèque ? Meryem Daoudi nous fait partager une expérience menée à la médiathèque de l’Institut français de Meknès. Que signifie finalement ce phénomène de banalisation du « psy » ? Jean-Claude Rouchy, psychologue clinicien, nous alerte sur cette société qui prône la recherche personnelle du bonheur et l’accomplissement de soi, provoquant selon lui un repli inquiétant sur des valeurs individualistes. Vous l’aurez noté comme nous, ces derniers mois ont été marqués par une offre éditoriale accrue en direction des adolescents. Vous découvrirez dans ce numéro de nouvelles collections qui ont su nous séduire par des concepts singuliers et des formes qui font écho aux cultures adolescentes : l’oralité (« D’une seule voix », Actes Sud junior), la forme courte (« Nouvelles », Thierry Magnier), le croisement des modes d’expression artistique (« Photo roman », Thierry Magnier) entre autres. Dans ce foisonnement, une maison d’édition récemment créée se consacre exclusivement au public adolescent et fait le choix de la littérature de genre et d’aventure : notre rubrique « Rencontre » est dédiée au Navire en pleine ville. Lecture Jeune - juin 2007 LJ122_P1-3.qxd 31/05/07 20:02 Page 3 Rencontre avec… Hélène Ramdani Editrice par Michelle Charbonnier pages 4 à 6 LJ122_P4-7.qxd 31/05/07 20:02 Page 4 4 Rencontre avec… Hélène Ramdani Éditrice Entretien réalisé par Michelle Charbonnier Une nouvelle maison d’édition a rejoint les éditeurs jeunesse en novembre 2005. Le Navire en pleine ville offre aux adolescents des titres forts aux univers singuliers et aux genres affirmés. Lecture Jeune a rencontré Hélène Ramdani, sa directrice. Quel parcours, individuel et professionnel, vous a amenée à créer le Navire en pleine ville ? Hélène Ramdani Directrice du Navire en pleine ville C’est un parcours un peu complexe. Dès mon plus jeune âge, j’ai été formée par mon père André Massepain, directeur de la collection « Plein vent » chez Robert Laffont de 1966 à 1987. Il me donnait à lire et « testait » sur moi les manuscrits qu’il recevait. A dix-huit ans, je suis devenue officiellement lectrice pour Laffont. Lorsque les Presses de la Cité ont racheté les éditions, les équipes ont été remaniées. « Exit » l’édition ! Après un bref passage dans la communication évènementielle, je me suis lancée dans des études… d’éthologie ! Cette formation servira finalement mon projet professionnel, puisqu’elle exige une grande rigueur, de la patience et un certain sens de l’observation. C’est alors que j’ai eu envie de créer ma propre maison d’édition. Le moment me paraissait propice. Harry Potter avait prouvé que les jeunes étaient capables de lire des textes longs, que les adultes pouvaient se passionner pour un roman jeunesse… Certes, il existait déjà d’autres collections de qualité pour les adolescents, mais j’avais le désir de leur proposer autre chose, et surtout, de dénicher de nouveaux auteurs. Quelle est la spécificité de votre catalogue au sein de la production destinée aux adolescents, et quels sont vos axes de travail ? Nous avons délibérément choisi la littérature de genre et d’aventure, qui puise ses racines dans la littérature dite de « mauvais genre » ! Les adolescents en sont très friands. C’est ce qu’a compris l’éditeur Bragelonne, qui fait un magnifique travail de « passeur ». Ils se montrent également exigeants vis-à-vis des textes. Nous leur proposons une littérature d’évasion, susceptible de les rassurer avant de passer à la lecture adulte. Une littérature qui favorise l’identification aux personnages, avec des atmosphères singulières, ce qui n’exclut en rien les qualités littéraires. « Offrir ce qui se fait de mieux, tirer les jeunes lecteurs vers le haut… ne pas sous-estimer leur intelligence et leur capacité à s’attacher à la complexité et à la subtilité » : telle est notre ligne éditoriale, même si nos titres s’adressent à des publics aux compétences de lecture différentes. Ainsi Les virus de l’ombre d’Hicham Charif est un roman plus abordable que C’est l’Inuit qui gardera le souvenir du Blanc, de Lilian Bathelot. Je m’insurge contre ceux qui prétendent que les adolescents ne lisent plus. La vérité, c’est que les lecteurs en panne ne se reconnaissent plus dans la langue des textes classiques. Une langue évolue, elle vit, les éditeurs Lecture Jeune - juin 2007 LJ122_P4-7.qxd 31/05/07 20:02 Page 5 5 devraient s’en faire l’écho sans pour autant abandonner leurs critères d’exigence. Ils peuvent également trouver d’autres vecteurs pour familiariser les jeunes avec cette langue, comme les livres audio, qui constituent une étape avant de passer au livre. Vous rééditez également des classiques… Outre les romans inédits, qui paraissent dans la collection « Sous le Vent », nous rééditons effectivement dans la collection « Sous le Vent - classiques » des romans de littérature jeunesse qui sont devenus des classiques du genre. Des textes forts et militants, comme Demain l’an Mil, de Claude Cénac, ou Buveurs de vie, de Jean-Pierre Andrevon. La collection « Avis de tempête » enfin rassemble des essais sans concessions en sciences sociales et humaines, tels que L’athéisme expliqué aux croyants de Paul Desalmand ou Terre-Mère : homicide volontaire de Pierre Rabhi. Elle devrait, je l’espère, susciter des débats citoyens. Quel regard portez-vous sur l’adolescence ? Quels furent vos héros en littérature ? L’adolescence reste une période magique, même si c’est un passage difficile : on y découvre sa propre place dans la société et tout ce que l’on va pouvoir y jouer. Quant au héros de ma propre adolescence, c’est Dylan Stark, le personnage imaginé par Pierre Pelot, métis d’Indien aux yeux clairs, éternel insoumis, dont les parents ont été assassinés pendant la guerre de Sécession. J’ai pour lui un grand attachement, avec à la fois une identification très forte, bien qu’il s’agisse d’un personnage masculin, et un regard presque amoureux. C’est pour cela que j’ai réédité ses romans1. Parmi nos titres récents, j’ai une affection toute maternelle pour le personnage de Kisimii dans C’est l’Inuit qui gardera le souvenir du Blanc. Elle symbolise vraiment pour moi la femme, fragile et courageuse à la fois. 1 Sierra brûlante, La couleur de Dieu et Quatre hommes pour l’enfer (Sous le Vent - classiques) Comment découvrez-vous de nouveaux auteurs comme Hicham Charif ou Lilian Bathelot, qui ont une écriture forte et une tonalité singulière ? Les rencontres sont parfois fortuites. Pour Lilian Bathelot2, nous avions fait un appel à textes sur l’ancien site « mauvais genres », et c’est celui-ci que nous avons reçu en premier. Hicham Charif3 nous a écrit un manuscrit par amitié. Pour les auteurs anglo-saxons comme Elisabeth E. Richardson4, nous sommes en contact avec des agents littéraires. 2 C’est l’Inuit qui gardera le souvenir du Blanc 3 Les virus de l’ombre 4 L’escalier du diable Pourquoi ce nom surprenant du Navire en pleine ville ? Plusieurs raisons nous l’ont fait choisir. Tout d’abord, c’est un nom qui renvoie au rêve, à l’évasion, à la lecture en ville. C’est ensuite un hommage à mon père, André Massepain. Le navire en pleine ville est en effet le titre de son premier roman5. Ce nom a enfin pour moi une portée symbolique. A la fin de la Seconde Guerre mondiale, le port d’Athènes a subi un blocus italo-allemand. Pour échapper à ce diktat, des marins grecs construisirent un bateau de pêche. Transposé à la littérature, cet acte de résistance signifie lutter contre le consensus ambiant, résister aux sirènes. Lecture Jeune - juin 2007 5 Editions Hier et aujourd’hui, 1948 LJ122_P4-7.qxd 6 31/05/07 20:02 Page 6 Rencontre avec… Après une année d’existence, pouvez-vous dresser un bilan ? Nous avons d’excellents retours des libraires, qui ont chroniqué nos titres et se sont intéressés à notre maison d’édition, mais aussi de l’ensemble des prescripteurs : professeurs de français, bibliothécaires… La presse professionnelle et les sites littéraires se sont montrés très enthousiastes également. Cette réception positive est encourageante et compte beaucoup pour nous, car les ventes restent encore modestes. Le Salon du livre et de la presse jeunesse de Montreuil en novembre 2006 et les Imaginales d’Epinal en mai 2007 nous ont permis de rencontrer nos publics et les prescripteurs. Montreuil a une dimension et une spécificité dans laquelle nous nous retrouvons. Quels ont été vos coups de cœur littéraires ces derniers mois ? 6 Mnémos, 2005 7 La Volte, 2005 8 Actes Sud, 2006 Principalement des textes de science-fiction : Le goût de l’immortalité, de Catherine Dufour6 et La horde du contrevent, d’Alain Damasio7. Ces romans ont vraiment rencontré un écho très fort en moi, ils m’ont énormément touchée. J’ai beaucoup aimé également le très beau texte de François Dupeyron, Le grand soir 8. Il nous fait découvrir un Gustave Courbet surprenant. Donc pas de « coup de cœur » en littérature de jeunesse ! Le Navire en pleine ville Château de Planque Route de Lasalle 30170 Saint Hippolyte du Fort Tél. : 04.66.53.60.07 [email protected] site : www.lenavireenpleineville.fr Lecture Jeune - juin 2007 LJ122_P4-7.qxd 31/05/07 20:02 Page 7 Le Dossier thématique Les lectures « psy » des ados Le roman pour ados : un roman « psychologique ? » par Daniel Delbrassine pages 8 à 12 Se construire grâce aux romans miroir par Jean-Marc Talpin pages 13 à 15 L’adoption vue par la littérature jeunesse par Jean-Marc Talpin pages 16 à 19 La psychologie à la portée des ados par Anne Lanchon et Anabel Jouineau pages 20 à 22 Les discours « psy » dans la presse ado par Christelle Crumière pages 23 à 26 « Les ados ont la parole » par Hélène Sagnet pages 27 à 28 La banalisation du « psy » par Jean-Claude Rouchy pages 29 à 30 LJ122_P8-12.qxd 31/05/07 20:06 Page 8 Le roman pour ados : Le Dossier un roman « psychologique » ? 8 Daniel Delbrassine Panorama Un observateur attentif de la production éditoriale adressée aux adolescents aura sans aucun doute relevé l’importance de la veine psychologique au sein du roman contemporain. Que peut-on entendre ici par « roman psychologique » et comment expliquer cette préférence ? Daniel Delbrassine, est formateur de bibliothécaires en Belgique francophone. Il collabore régulièrement à la revue professionnelle Lectures. Il est l’auteur d’une thèse sur Le roman pour adolescents aujourd’hui : écriture, thématiques et réception, CRDP de Créteil - La Joie par les livres, 2006, (Argos Références) 1 L’école des loisirs, 1991 (Médium) 2 L’école des loisirs, 1990 (Médium) 3 L’école des loisirs, 1989 (Médium) 4 L’école des loisirs, 1990 (Médium) 5 Gallimard jeunesse, 1995 (Page blanche) Le roman pour adolescents tel que nous le connaissons aujourd’hui naît aux Etats-Unis dans les années 70 avec des auteurs comme Robert Cormier et Judy Blume. Dès cette époque, la « Teenage Fiction » offre aux jeunes américains des récits centrés sur leur propre vie intérieure : les héros adolescents y affrontent des épreuves nouvelles, et les problèmes particuliers à leur âge sont au cœur de l’intrigue. La guerre des chocolats de Robert Cormier1 (The Chocolate War,1974), avec son héros lycéen confronté au harcèlement moral et physique dans le cadre scolaire, et Pour toujours de Judy Blume2 (Forever, 1975), récit des premiers émois (et ébats) d’une adolescente, font figure de précurseurs pour un genre dénommé « Problem Novel » outre-Atlantique et promis à un bel avenir en France. Dans les années 80, des collections nouvelles installent le roman « psychologique » comme un genre majeur dans la production adressée à cette classe d’âge. « Médium » (L’école des loisirs), « Travelling » (Duculot) ou « Les chemins de l’amitié » (Rageot), par exemple, proposent aux adolescents francophones des romans axés sur leurs problèmes et témoignant d’un réalisme inaperçu jusqu’alors. Dans le très sage Babysitter blues3, l’Emilien de Marie-Aude Murail découvre que le vol en magasin est une activité tout à fait banale aux yeux de ses semblables… Dans La nuit du concert 4 (Night Kites, 1986), M. E. Kerr met en scène l’homosexualité chez des adolescents. Ce réalisme et cette audace sont très présents dans des textes traduits de l’américain. Ils se doublent d’une analyse psychologique approfondie, particulièrement dans la production scandinave et allemande depuis les années 70. Considéré en Suède comme un classique, Jan mon ami, de Peter Pohl5 (Janne, min vän, 1985), interroge le lecteur sur les failles du système social. Le narrateur s’y livre à un exercice d’introspection d’autant plus troublant qu’il est limité par la vision propre à son âge. L’importance de la veine « psychologique » au sein du roman français adressé aux adolescents n’a donc rien d’un phénomène récent : ce n’est pas non plus une particularité propre au domaine francophone. Pourquoi cette prédominance ? Que peut-on entendre ici par « roman psychologique » ? Lecture Jeune - juin 2007 LJ122_P8-12.qxd 31/05/07 20:06 Page 9 9 ? Le « roman psychologique » tel qu’il est proposé à ses jeunes lecteurs, c’est d’abord un contenu, des thèmes, qui font de la vie intérieure du héros le lieu principal de l’action. A l’instar des auteurs étrangers, les romanciers français mettent en scène un type de personnage dont les difficultés sont d’abord liées à l’identité et aux relations interpersonnelles : conflit avec les parents, rejet de l’autorité, problème d’insertion dans le groupe, relation à l’autre sexe… L’intrigue du récit montre comment l’adolescent surmonte peu à peu son problème et résout la crise initiale. Les enjeux sont donc ici purement immatériels, et les obstacles dépassés jalonnent un parcours qui conduit vers l’âge adulte. Dans Seule au monde6, de Guillaume Le Touze, le récit est centré sur les problèmes affectifs de l’héroïne : d’abord habitée d’une pulsion incestueuse qui lui fait désirer le compagnon de sa mère, elle tombe ensuite sous le charme d’un garçon qu’elle admire pour sa beauté. Elle construit enfin une relation moins superficielle avec Laurent, dont on devine qu’il deviendra son premier amant. Cette lycéenne réalise donc un parcours complet qui la mène d’une jalousie très œdipienne à une relation authentique. La nature du suspense est évidemment affectée par cette importance des problèmes psychologiques. La tension née de l’action et des péripéties (suspense « extérieur »), typique des romans d’aventure et des récits policiers, est supplantée ici « par un suspense intérieur qui consiste à atteindre un équilibre psychologique, à résoudre un conflit ou à surmonter une crise »7. L’essor récent de la fantasy et du roman historique pourrait apparaître comme un démenti cinglant à la prédominance des questions psychologiques dans le roman contemporain. Mais un examen approfondi de certains titres à succès permet de mettre en évidence ce qui se joue derrière le décor fantastique : on représente métaphoriquement les affrontements intérieurs et les questionnements les plus intimes. Comme dans le théâtre médiéval, les monstres sont des allégories qui représentent les pulsions et les sentiments mis en jeu (cf. Eragon ou Harry Potter). Dans le cas du genre historique, les travaux de Cécile Boulaire8 ont démontré que le roman médiéval pour enfants est avant tout un récit de passage sur fond de châteaux-forts et tournois. Ce contenu marqué par la résolution d’un problème personnel conduit naturellement à privilégier ce que l’on a coutume d’appeler les thèmes « tabous » : l’amour et le sexe, la violence et la mort, l’autorité et les institutions. En 1974, Marc Soriano9 jugeait « impossible la conquête du public adolescent ». Comment, en effet, passionner des lecteurs en évitant tous les sujets qui les intéressent ? Depuis cette époque où romans historiques et récits d’aventure dominaient la production (cf. la collection « Plein Vent », chez Robert Laffont), les catalogues se sont progressivement affranchis des contraintes de la censure pour donner la priorité à des textes qui abordent de front ces questions fondamentales. L’auteur assume ainsi le rôle d’un formateur ou d’un initiateur, parce qu’il choisit de traiter les questions les plus dérangeantes, les sujets les plus Lecture Jeune - juin 2007 6 Gallimard jeunesse, 1998 (Frontières) 7 Hans-Heino Ewers, « Die Emanzipation der Kinderliteratur… », in Zwischen Bullerbü und Schewenborn, Auf Spurensuche auf 40 Jahren deutschsprachiger Kinder-und Jugendliteratur, de R. Raecke et U.D. Baumann, Arbeitskreis für Jugendliteratur, 1995 8 Le Moyen Age dans la littérature pour enfants, Presses Universitaires de Rennes, 2002 9 Guide de littérature pour la jeunesse, Delagrave, 2002 (1ère éd. 1974) LJ122_P8-12.qxd 10 31/05/07 20:06 Page 10 Le roman pour ados : un roman « psychologique » ? 10 Folio, 1999 11 Jules Verne et le roman initiatique, Sirac, 1973 12 L’école des loisirs, 2000 (Médium) 13 Le roman pour adolescents aujourd’hui, CRDP Créteil - La Joie par les livres, 2006 (p.361-380 et 408-410) 14 L’école des loisirs, 2003 (Médium) délicats. On tient là deux des concepts les plus fréquemment utilisés pour désigner le roman contemporain adressé aux adolescents. La formation et l’initiation sont deux notions pour lesquelles l’analyse littéraire propose des définitions précises : on renverra par exemple au « Bildungsroman » allemand, né sous la plume de Goethe en 1796 (Les années d’apprentissage de Wilhelm Meister)10 ou à la définition du roman initiatique par Simone Vierne11. Très souvent roman de formation du héros, qui progresse vers l’âge adulte à travers des épreuves, le roman pour adolescents emprunte parfois à l’initiation son parcours, comme dans Le passage de Louis Sachar12. On y retrouve les étapes de l’initiation rituelle telle que la définit l’anthropologue Barbara Glowczewski. Stanley est d’abord éloigné de ses parents à la suite de son arrestation (séparation) ; accusé d’avoir volé les chaussures d’un grand champion, il est envoyé au camp du Lac Vert (réclusion), où il apprend la souffrance et endurcit son corps. Transformé physiquement et mentalement (métamorphose), il décide de fuir et rejoint son ami Zéro parti seul à travers le désert. Les deux garçons trouvent une force nouvelle (révélation) pour surmonter la tentation d’abandonner (mort) et parvenir au sommet de la montagne. Après avoir récupéré la fortune perdue par l’aïeul de Stanley (les ancêtres) et s’être débarrassés de leur surnom (changement de nom), ils commencent une nouvelle vie marquée par une réunion familiale (fête de clôture). A la formation/initiation du héros – représentée dans la fiction – répond celle de l’adolescent lecteur, réalisée virtuellement en cours de lecture, grâce à tous les choix techniques qui permettent au lecteur de « vivre » l’expérience. C’est ce que nous avons appelé « la médiation par l’imaginaire »13. On ne s’étonnera donc pas de découvrir par exemple des « romans du deuil ». Dans La messe anniversaire14, Olivier Adam livre à son lecteur cinq récits successifs qui permettent d’approcher le personnage manquant : « De Caroline, il restait des photos, des souvenirs de rien. Mais ce qui restait gravé, c’était le sentiment, l’os du sentiment que chacun éprouvait pour elle. Une chose indéfinissable et abstraite. Une sensation où s’emmêlent la douceur, un rire, quelques mots indéchiffrables, la sensation de sa main sur la joue ou au creux de la nôtre, la caresse de ses yeux qui se posaient sur nous. Ce qui reste gravé, c’est le lien, une chose physique. » L’un après l’autre, chaque narrateur livre son parcours durant cette année de deuil où la souffrance se métamorphose lentement en souvenir. Et, comme une image kaléidoscopique, ils recomposent le portrait de la disparue. Le lecteur découvre ainsi cinq itinéraires psychologiques comme autant d’expériences de la douleur et de la perte. Autre appellation fréquente, celle de « roman miroir ». Une approche sur un large corpus de romans (247 titres parus entre 1997 et 2000) a permis de mettre en lumière la présence d’une très concrète scène du Lecture Jeune - juin 2007 LJ122_P8-12.qxd 31/05/07 20:06 Page 11 11 miroir dans 10 % des textes. La glace au chocolat15 de Kéthévane Davrichewy en offre même deux : l’une au début, l’autre à la fin, avec une transformation radicale et positive de l’image de soi. Le miroir, objet symbolique de la quête d’identité, trouve ici naturellement sa place. On pourrait d’ailleurs voir dans cette scène la représentation, mise en abîme, du lecteur face au roman : le héros devant sa glace étant confronté à des questions d’identité semblables à celles du lecteur devant le récit. Le roman miroir permettrait donc au lecteur de voir le personnage comme un alter ego, semblable mais différent, quitte à finir comme lui « dans la salle de bains, face au miroir », pour s’entendre dire comme le héros d’Agnès Desarthe dans Je manque d’assurance : « Tu es extrêmement beau » !16 Cette définition du « roman miroir » se double d’une autre conception, où le roman adressé à la jeunesse reflète systématiquement le lecteur et son monde. Chercher ainsi à coller au plus près à la réalité des adolescents d’aujourd’hui implique évidemment un « rétrécissement de l’horizon », un « nombrilisme » dénoncés par Danielle Thaler et Alain Jean-Bart17. Cette tentation narcissique a parfois fait figure de recette pour des collections adressées aux pré-adolescentes. Les ingrédients en sont classiques : un héros, figure interchangeable de l’enfant ou de l’adolescent moyen (le miroir), un parcours fantasmatique dans un milieu choisi : danse, show-business, équitation (les alouettes). Le « roman psychologique », c’est aussi un ensemble de choix esthétiques et formels qui privilégient l’approche des sentiments et comportements des personnages. La perspective adolescente, caractéristique dominante sur l’ensemble de la production contemporaine, amène le lecteur à voir les faits de l’intrigue avec les yeux d’un jeune héros. Il entre ainsi dans l’expérience d’un homologue qui lui donne accès à son intimité : les pensées de cet alter ego de fiction lui sont accessibles comme jamais dans la réalité des relations humaines. Dans Maintenant, c’est ma vie de Meg Rosoff18, le lecteur ne comprend rien à l’étrange conflit qui ravage l’Angleterre parce que Daisy, la narratrice, n’en sait pas plus que lui. La perspective adolescente façonne ici le récit jusqu’à la limite de l’absurde, parce que l’essentiel est ailleurs, dans la vie intérieure de cette jeune fille amoureuse, pour qui la guerre n’est qu’un décor. Ce qui compte, c’est elle et Edmond, c’est son expérience sentimentale qu’elle nous livre avec une totale franchise, c’est cette « nouvelle personne » qu’elle annonce être devenue. Les difficultés liées à la guerre apparaissent alors comme les étapes d’une transformation qui lui permet de se « réinventer en tant qu’être humain ». Ce roman anglais ne fait pas exception dans un genre où la voix du Je narrateur est omniprésente. Journaux intimes, romans épistolaires et surtout autobiographies foisonnent, mais le « pacte autobiographique » tel que le définit Philippe Lejeune19 est le plus souvent rompu car auteur, narrateur et personnage ne coïncident pas. Dans la plupart des cas, le Lecture Jeune - juin 2007 15 L’école des loisirs, 1998 (Médium) 16 L’école des loisirs, 1997 (Médium) 17 Les enjeux du roman pour adolescents. Roman historique, roman-miroir, roman d’aventures, L’Harmattan, 2002 18 Albin Michel jeunesse, 2006 (Wiz) 19 «Pour l’autobiographie», in Magazine littéraire n° 409, mai 2002 LJ122_P8-12.qxd 12 31/05/07 20:06 Page 12 Le roman pour ados : un roman « psychologique » ? 20 Adieu Maxime, L’école des loisirs, 2000 (Médium) 21 « L’inspiration autobiographique dans les collections pour adolescents », in Le récit d’enfance, Enfance et écriture, de Denise Escarpit et Bernadette Poulou, Ed.du Sorbier, 1993 22 Benjamin Lebert, Nil éditions, 2000 23 « Pourquoi l’autobiographie ? », in Le Monde des livres, 1er nov. 2002 24 L’intimité surexposée, Ramsay, 2001 25 De La Martinière jeunesse roman pour adolescents se donne pour auto-biographique mais reste une fiction pure : le Je narrateur qui s’adresse au lecteur pour lui dévoiler sa vie intime est un pur produit de l’imagination, comme le Maxime de Brigitte Smadja qui, à 11 ans, se demande s’il est obsédé sexuel comme son oncle20. Cette « écriture de l’intime », comme la décrit Bernadette Poulou21, propose une relation avec un être de papier qui livre son âme au lecteur : la lecture devient rencontre, rencontre virtuelle d’autant plus riche qu’elle donne accès de plain-pied à l’intimité de l’Autre. Très souvent, en effet, le héros entretient avec le lecteur une relation particulière en lui adressant directement la parole, en lui révélant des secrets ou en lui réservant des confidences. Ces procédés, classiques pour créer l’illusion que le personnage existe, instaurent une proximité exceptionnelle qui répond à la demande du jeune lecteur. Le livre peut alors se terminer sur une invitation : « Si vous le souhaitez, vous pouvez même venir me rendre visite. Après toute cette histoire, vous devriez en principe plutôt bien me connaître… », écrit le narrateur de Crazy22. On sait que, même en littérature générale, « l’expansion des textes autobiographiques est aujourd’hui sans limites », selon les termes de Thomas Clerc23 qui parle de « littérature-réalité » en référence à la télévision. Une journaliste allemande évoque même ces « strip-teases de l’âme » (« Seelenstriptease ») auxquels se livrent certains jeunes auteurs. Le psychiatre et psychanalyste Serge Tisseron analyse le phénomène social et parle d’une « intimité surexposée »24. Le roman pour adolescents est lui aussi marqué par cette tendance, comme le prouve la collection « Confessions » née en en 200325, mais cette écriture de l’intime est d’abord une caractéristique propre au genre depuis ses origines. Elle se renforce aujourd’hui du fait de la mode littéraire qui privilégie l’expression du Moi. Par ses origines, par les influences qu’il subit, le roman contemporain adressé aux adolescents peut souvent être qualifié de « psychologique ». Son contenu thématique et les choix formels qu’il privilégie témoignent d’un intérêt prioritaire pour les questions de la vie intérieure. Il répond en cela à la demande de ses lecteurs, préoccupés par les questions existentielles les plus fondamentales : l’amour, la mort, et l’identité. Lecture Jeune - juin 2007 LJ122_P13-15.qxd 31/05/07 20:08 Page 13 Se construire grâce Le Dossier aux romans miroir 13 Jean-Marc Talpin Eclairage L’homme se construit tout au long de sa vie : il construit son identité, mais aussi le sentiment qu’il a de celle-ci. Il est des périodes calmes, d’autres plus mouvementées, soit pour des raisons de développement (l’adolescence en fait partie), soit pour des raisons conjoncturelles, accidentelles, qui font traumatisme. On parle communément de crise à propos de l’adolescence. Elle n’est pas forcément violente ni bruyante. Par le mot crise, il convient d’entendre, avec le psychanalyste René Kaës1, ces transformations physiques et psychiques, qui s’imposent à lui, qu’il ne comprend pas toujours et qu’il doit aussi se représenter, c’est-à-dire symboliser. Lorsqu’il n’y parvient pas seul, ce qui est fréquent, il va chercher à un autre niveau d’organisation (la famille, le groupe de copains…) un appui, une aide et des repères. Il peut aussi trouver un étayage important dans « le trésor déjà là de la culture »2, dans les objets et les dispositifs proposés par celle-ci : les livres bien sûr, mais aussi les chansons, les films, les jeux sur ordinateur… Certains romans se présentent, de manière plus ou moins volontaire et explicite, comme miroirs pour les jeunes : ils mettent en scène et en jeu la question de l’identité, qu’elle soit centrée sur l’individu ou en relation avec les autres. Jean-Marc Talpin, est psychologue clinicien, maître de conférence à l’université Lumière - Lyon 2 et membre du Centre de Recherche en Psychologie et Psychopathologie Clinique. Il a soutenu en 1992 une thèse intitulée « Pour une esthétique psychanalytique de la lecture du texte littéraire : lire Marguerite Duras ». Depuis il travaille régulièrement sur la lecture à l’adolescence et sur la littérature à destination de ce public. Miroir, miroirs… La construction de l’identité est indissociable d’un processus réflexif qui permet au sujet, en même temps qu’il se construit, de se représenter à luimême. C’est vrai lors de la petite enfance, ça l’est tout autant à l’adolescence, avec les difficultés que l’on connaît, tant l’image de soi est fragile et peu satisfaisante à cet âge. Le premier miroir, tel que l’a bien montré Donald W. Winnicott3, est le regard de la mère qui renvoie à l’enfant ses propres émotions contenues. L’enfant ne se représente pas tel qu’il est physiquement mais tel qu’il est (vu par la mère) psychiquement. Le second miroir, décrit par Jacques Lacan4, fait référence au moment où l’enfant se reconnaît dans une glace en présence de la mère. Ces deux moments clés s’accompagnent de mots. L’enfant grandit. A côté du miroir-glace, très prisé par les adolescents, le miroir de mots prend une place essentielle : il ne sert pas seulement à dire ce qui est mais aussi à le qualifier, à lier émotions et affects. Ce miroir de mots est en partie porté par les parents, les copains, mais aussi par des tiers culturels qui offrent une distance confortable à l’adolescent. Reflet de l’état psychique du jeune, ce miroir témoigne aussi du regard qu’il porte sur lui-même. Lecture Jeune - juin 2007 1 Crise, rupture et dépassement, Dunod, 1979 2 Le malaise dans la culture, Sigmund Freud, PUF, 2004 (1ère édition 1929) 3 Jeu et réalité, Donald W. Winnicott, Gallimard, 1975 (Folio essais) 4 Le stade du miroir comme formateur de la fonction du Je, Seuil, 1966 LJ122_P13-15.qxd 14 31/05/07 20:08 Page 14 Se romans miroirado … Lesconstruire discours grâce « psyaux » dans la presse Publications sur la lecture « Le passage à l’acte de lire », Les adolescents et la lecture, sous la direction de S. Goffard et A. Lorant-Jolly, CRDP Créteil, 1995 « Lire : de l’entre-prise à l’inter-prêt », La lecture littéraire n°1, Klincksieck, 1996 « Le lecteur séduit : du pacte à la jouissance », L’école des lettres n° 14, juillet 1998 « Lectures, constructions adolescentes de l’identité et réalité », Lire au lycée professionnel, CRDP Grenoble n° 35-36, 2001 « Des fractures du moi au Je d’écriture », in Les processus psychiques de la médiation, B. Chouvier et al., Dunod, 2002 « Quels enjeux psychiques pour la lecture à l’adolescence ? », Bulletin des bibliothèques de France n°3, 2003 « Lire à l’adolescence enjeux psychiques », La lettre de l’enfance et de l’adolescence n°61, Erès, septembre 2006 Les enjeux psychiques de la lecture Dans la perspective qui est la nôtre, nous distinguerons trois grands enjeux psychiques de la lecture. Les livres proposent en effet aux adolescents des représentations du monde externe et du monde interne, qui font l’objet d’un travail psychique de mise en mots, de mise en récits, parfois aussi, dans le cas de la bande dessinée, de mise en images. Les romans, et plus encore les romans miroir, s’offrent aux jeunes comme des figures intermédiaires, qui peuvent cependant être inquiétantes pour ceux qui ont un rapport difficile au langage et au monde du livre, connoté socialement. La lecture permet en premier lieu de figurer et de représenter ce qui était pour le lecteur du registre de l’informe, de l’irreprésenté, voire de l’irreprésentable. Le livre vient mettre des mots sur ce qu’éprouve, et qui souvent éprouve l’adolescent, sur des vécus corporels mais aussi psychiques (angoisses, fantasmes) d’une manière qui n’est ni brutale ni frontale. Il maintient une certaine méconnaissance. Les adolescents peuvent ainsi parler d’eux à travers leurs lectures, de manière inconsciente parfois. Avec leur contenu structuré, les romans permettent de se représenter ce qui ne l’était pas encore (sensations, émotions, affects), de rendre préconscient ou conscient ce qui jusque là était refoulé, pas acceptable comme tel par le moi conscient. Ce dernier point renvoie à la deuxième fonction de la lecture développée par René Kaës à propos du conte : la légitimation5. Le lecteur retrouve dans l’œuvre ses propres pensées et les accepte dans la mesure où elles existent chez l’autre (auteur ou narrateur) et où de surcroît elles sont valorisées socialement du fait de leur publication. La légitimation peut concerner deux sentiments fréquents à l’adolescence : la honte et la culpabilité. La honte conduit l’adolescent à s’isoler : il se croit seul à ressentir certaines choses qu’il pense anormales. Elle concerne tout particulièrement l’idéal du moi et le narcissisme. La culpabilité, qui renvoie au surmoi, apparaît lorsque l’adolescent a le sentiment de transgresser des interdits. La légitimation ne signifie pas à l’adolescent qu’il a raison, que ce qu’il pense ou fait est bien (ou mal). Elle lui signifie qu’il n’est pas seul dans son cas et qu’il est possible d’en parler ou de l’écrire. Il en est ainsi des relations conflictuelles aux parents, telles qu’elles sont décrites dans Avec tout ce qu’on a fait pour toi 6 de Marie Brantôme, du sentiment de solitude dépeint par Brigitte Smadja dans Billie7, de ne pas aimer son corps, thème abordé par Mikaël Ollivier dans La vie en gros8, de l’attirance homosexuelle, abordée par Paula Fox dans Le cerfvolant brisé9, et de mille autres thématiques encore. La littérature offre enfin aux jeunes un important réservoir de figures auxquelles s’identifier, c’est la troisième fonction de la lecture. Lecture Jeune - juin 2007 LJ122_P13-15.qxd 31/05/07 20:08 Page 15 15 L’adolescence est à cet égard complexe : elle témoigne à la fois d’une forte appétence identificatoire, liée à de nouveaux investissements pour s’éloigner des figures parentales, mais aussi d’un refus de l’identification pour conserver (fantasmatiquement) sa pureté narcissique. En matière de lecture, l’identification est d’autant plus facile que les modèles sont fictifs, il n’y a donc aucun risque de les rencontrer et de dépendre d’eux. Cette identification s’appuie sur deux dynamiques. D’une part, l’adolescent se reconnaît dans le livre, ce qui renvoie à la représentation et à la légitimation évoquées plus haut : le livre lui permet de se raconter, de donner une cohérence à ses mouvements psychiques désordonnés. Mais il permet également de s’identifier à des personnages différents de soi, non inquiétants, voire héroïques. Cette identification à des objets en apparence lointains ne doit pas leurrer : la distance sert de couverture à une réelle proximité psychique, le déplacement étant un mécanisme de défense efficace. Il en est ainsi des romans historiques ou de sciencefiction, qui jouent du déplacement dans le temps, ou des romans « ethnologiques », qui jouent du déplacement dans l’espace, dans les cultures. 5 Contes et divan. Médiation du conte dans la vie psychique, Dunod, 1984 6 Seuil, 1995 7 L’école des loisirs, 1991 (Médium) 8 Thierry Magnier, 2001 9 L’école des loisirs, 1997 (Médium) Conclusion Toute une gamme de romans pour adolescents, en particulier les récits de vie, visent un effet miroir. Certains se montrent complaisants, flattent les lecteurs dans le sens de leurs attentes ou fonctionnent dans une simplification qui les réduit à un trait, un symptôme, une caractéristique (sportif, en échec, surdoué, anorexique, étranger, etc). Cela peut les séduire dans un premier temps en les confortant psychiquement et narcissiquement, mais risque de les aliéner à une identification. D’autres romans prouvent au contraire qu’on peut aborder en littérature jeunesse des enjeux psychiques complexes et intriqués quel que soit le registre choisi : grave ou fantaisiste, réaliste ou imaginaire. Au-delà de ces romans qui visent explicitement un effet miroir, c’est toute la littérature qui fonctionne ainsi : le lecteur aime les livres dans lesquels il se reconnaît et se découvre, sans pour autant se mettre à nu vis-à-vis d’autrui. C’est en ceci que la lecture est un jeu, comme le souligne Michel Picard10 : jeu entre monde psychique et réalité, jeu entre images et mots, jeu aussi entre soi et soi : soi au passé (personnel et familial), au présent (incertain, plus ou moins cohérent) et au futur, futur dans lequel il est difficile pour l’adolescent de se projeter, car cela impliquerait qu’il pense ses propres transformations. Le livre ne se contente donc pas de conforter les adolescents dans l’image qu’ils ont d’eux-mêmes. Il participe aussi à la construction et à l’image de soi, sinon au futur du moins pour le futur. Lecture Jeune - juin 2007 10 La lecture comme jeu, Minuit, 1986 LJ122_P16-19.qxd 31/05/07 20:24 Page 16 L’adoption vue Le Dossier par la littérature jeunesse 16 Jean-Marc Talpin Analyse L’année 2006 a été riche en publications destinées aux adolescents portant de près ou de loin sur l’adoption. Signe des temps sans doute, tant celle-ci relance l’éternel débat entre biologique et psychologique à une époque où les enjeux se brouillent. Signe d’un âge également, l’adolescence, où la question de l’origine et du lien aux parents redevient cruciale. 1 Lecture Jeune a proposé à Jean-Marc Talpin d’étudier le corpus suivant : L’année de mes 15 ans, Marie-Claude Bérot, Flammarion, 2006 (Tribal) La tête à l’envers, Anne Fine, L’école des loisirs, 2006 (Médium) Là-bas, Romuald Giulivo, L’école des loisirs, 2006 (Médium) Un été outremer, Anne Vantal, Actes Sud junior, 2006 (ado) Les quatre romans ici retenus1 font preuve d’une réelle finesse, d’une réelle capacité à ne pas foncer tête baissée dans les enjeux idéologiques liés à l’accouchement sous X. La richesse de ces livres vient également de ce qu’ils peuvent toucher tous les adolescents, dès lors qu’ils éprouvent des sentiments ambivalents d’amour et de rejet visà-vis de leurs parents, et que se réactive en eux le « roman familial », qui consiste à s’imaginer enfant d’autres parents (en général plus prestigieux). La première partie de notre analyse sera centrée sur la quête des origines, prévalente dans deux romans. La seconde insistera sur la quête de l’amour parental telle que l’adoption la suscite ou la met en scène. L’année de mes quinze ans et Un été outremer traitent principalement de l’adoption et de la quête des origines : elles constituent même le moteur de l’intrigue. Il est remarquable que ces deux romans échappent au clivage facile « bonne famille biologique - mauvaise famille adoptive » (ou le contraire). Leurs héros sont globalement heureux, leur démarche n’est pas motivée par une opposition à leur famille d’adoption mais par la question, centrale à l’adolescence, de leur origine et du désir à l’origine de leur vie. De plus, on ne constate aucune opposition « vrais parents - faux parents », la parentalité des parents adoptifs n’étant pas remise en cause. Dans les deux autres, Là-bas et La tête à l’envers, l’adoption constitue un élément important mais pas déclencheur de la narration. Elle fonctionne comme révélateur du lien enfant - parent(s), de l’investissement du premier par le(s) second(s). Adoption et quête des origines L’année de mes quinze ans échappe au clivage car il alterne les chapitres qui donnent voix à Constance, la mère biologique et à Victoire, la fille adoptée. Il donne à entendre deux souffrances longtemps muettes qui se réveillent peu à peu, jusqu’à la rencontre Lecture Jeune - juin 2007 LJ122_P16-19.qxd 31/05/07 20:24 Page 17 17 finale entre les deux femmes. Constance, élevée dans une famille rigide, se retrouve enceinte à quinze ans et n’ose pas s’opposer à ses parents lorsqu’ils choisissent pour elle l’accouchement sous X. Elle se gèle dans ce deuil, se construit une vie amoureuse et professionnelle mais vit en retrait. Malgré l’amour de son compagnon, auquel elle n’a rien dit, elle ne peut se résoudre à avoir un enfant. Victoire a été adoptée par une famille aimante, elle a un grand frère qui la protège et l’admire pour sa légèreté, qui est en fait une défense : la jeune fille se refuse à aborder toute conversation sérieuse depuis la révélation de son adoption. La découverte d’une photo dans un portefeuille perdu lui permet de remonter la piste jusqu’à Constance. Ceci conduit au dégel des affects, du fait que chacune peut dire sa souffrance. Le livre se ferme au moment où les deux femmes se dirigent l’une vers l’autre, ce qui laisse la porte ouverte à l’imagination, imagination bridée par le fait que chacune se sait et sait l’autre prise dans d’autres liens : il ne s’agit pas de recomposer une famille originaire idéale mais de comprendre, de savoir qui est l’autre. La rencontre mère biologique - enfant n’a pas lieu non plus dans Un été outremer. Félicien, le personnage principal, sait depuis toujours qu’il est adopté, tout comme sa sœur qui, au moment de son voyage, demeure un lien fort et l’intermédiaire avec les parents. Dans ces deux premiers romans, la fratrie représente un objet sur lequel se déplace une partie des enjeux psychiques liés aux parents, un objet d’investissement intermédiaire et particulièrement solide, même si l’investissement des parents adoptifs n’est jamais remis en cause et que ces parents sont vécus, avec leurs petits travers, comme des parents « suffisamment bons »2. Le jour de ses dix-huit ans, Félicien consulte son dossier d’adoption et découvre que sa mère est algérienne. Il entreprend en secret un voyage outremer (mot à forte résonance !) pour la retrouver. Le lecteur le suit dans cette quête des origines et de la découverte d’une culture qu’il ignore et rejette initialement. D’étape en étape, il remonte vers sa mère biologique, sous le prétexte que sa mère adoptive est mourante, comme s’il fallait tuer symboliquement celle-ci pour retrouver la première. Au bout du chemin, il découvre sa grand-mère qui lui apprend qu’elle est décédée. Il choisit alors de ne pas se faire connaître, dans un mouvement de protection et de complicité vis-à-vis de cette mère. Ce roman, comme bien des contes et des romans de formation, met en espace un cheminement intérieur qui mène de l’enfance à l’âge adulte. L’année de mes quinze ans et Un été outremer ont une démarche explicitement psychologique, favorisée par une construction narrative linéaire. Cette linéarité facilite l’identification du lecteur au personnage central ou, par déflexion, à des personnages secondaires. Lecture Jeune - juin 2007 2 L’enfant et sa famille, Donald W. Winnicott, Payot (1981) LJ122_P16-19.qxd 18 31/05/07 20:24 Page 18 L’adoption vue par la littérature jeunesse Là-bas et La tête à l’envers optent en revanche pour une construction narrative plus complexe avec des jeux de flash-backs qui peuvent désorienter au début. Ils donnent à vivre de l’intérieur les expériences psychiques des personnages, et obligent le lecteur à un travail de symbolisation plus important. En revanche, ce dernier peut y trouver des formes dans lesquelles glisser ses propres ressentis, qu’il soit ou non adopté. Adoption et quête de l’amour parental La différence culturelle constitue dans Là-bas également un thème et un ressort narratif importants : une manière de figurer la différence d’origine. Mais c’est dans une perspective beaucoup plus dramatique, voire pathologique. Badr, le personnage principal dont nous ne connaîtrons jamais le vrai prénom, pour mieux signifier la problématique identitaire, est le narrateur de ce récit qui met en parallèle histoire singulière et internationale. Avec une construction temporelle complexe, le roman montre en effet comment Badr se dégrade psychiquement, en s’appuyant sur des événements historiques pour évoquer son malaise interne (11 septembre, guerre en Irak). A partir d’une construction fragmentaire, le lecteur comprend que Badr a une mère journaliste peu présente physiquement mais aussi psychiquement. Ce roman peut être lu comme la tentative vitale de Badr de se faire remarquer par sa mère par des manifestations symptomatiques de plus en plus inquiétantes (alcool, violence contre les objets, problèmes scolaires). En fouillant dans ses archives vidéo, Badr réalise qu’il est un enfant adopté. Il découvre également qu’il a une sœur en Irak et décide de la retrouver (voir plus haut ce que nous disions de la fratrie). C’est pour lui une découverte totale et violente, mais qui déclenche enfin le dialogue entre mère et fils. Dans Là-bas, l’enjeu est moins celui de l’adoption que celui du manque d’investissement de l’enfant par son parent. L’adoption vient en quelque sorte redoubler et dramatiser cette problématique et, du fait qu’elle a eu lieu dans un pays en guerre, fournit une scène au chaos interne éprouvé par Badr : pourquoi adopter si c’est pour ne pas s’occuper de l’enfant ? Ce roman permet aussi de ressentir la confrontation à une histoire à laquelle il manque des pièces : l’adoption n’est qu’un exemple possible des secrets de famille. La tête à l’envers, roman à l’humour décalé, met en scène deux personnages qui, en miroir, évoquent la question de l’adoption et de l’investissement par les parents. Ian a été adopté après avoir été abandonné par sa mère dans un carton tout propre dans une rue. Cette histoire, ce « mythe familial » lui a été transmis d’emblée, il n’y a donc rien du côté du traumatisme de la révélation. Sa famille accueille Lecture Jeune - juin 2007 LJ122_P16-19.qxd 31/05/07 20:24 Page 19 19 souvent son copain Stol, dont les parents sont très peu présents et ne pensent qu’à leur travail. Stol est hospitalisé à la suite d’une chute par une fenêtre qui l’a laissé avec de nombreuses fractures et dans un quasi-coma. Ian, à son chevet, essaie de comprendre… Cette histoire fait bien ressortir qu’au fond tout enfant doit être adopté par ses propres parents : Ian a été adopté juridiquement mais surtout psychiquement, il ne doute guère d’être aimé et s’autorise ainsi à aimer et critiquer ses parents, comme n’importe quel enfant biologique. Stol au contraire se perd dans un monde fantasque pour oublier sa propre détresse, éviter de localiser l’objet de sa souffrance, au point de se mettre régulièrement en danger physique. Lorsqu’il incite Ian à parler de son adoption, la dimension projective est claire. A travers ses questions, c’est lui même que Stol questionne : l’origine est en effet moins celle du biologique que du désir. « Je n’ai pas demandé à naître ! », clament souvent les adolescents, comme pour interroger leurs parents sur le désir à l’origine de leur naissance. Dans un beau renversement final, Ian décide d’écrire la vie de Stol et l’oblige à la lire, afin qu’il sache qu’il existe pour ceux qui l’aiment. Ces quatre romans réunis par une thématique commune témoignent d’une connaissance fine des enjeux psychiques de l’adoption. Ils permettent également aux lecteurs adolescents, adoptés ou non, d’appréhender des problématiques plus universelles telles que le désir à l’origine de leur vie, la relation aimante (ou non) entre parents et enfants, la nécessaire séparation à l’adolescence, la crainte de l’abandon qui peut l’accompagner… Ce traitement psychique est possible parce que ces livres demeurent ouverts : le lecteur peut se les approprier, y injecter ses propres questions et parce qu’ils expriment, grâce à un réel travail d’écriture, la complexité de la vie psychique avec ses conflits, ses ambivalences, ses nuances. Pour les lecteurs adoptés ils s’offrent comme supports de figuration et d’identification, mais aussi comme lieux de légitimation de désirs, tels que la recherche des origines biologiques ou culturelles. Ces livres montrent enfin que tout cheminement comporte sa part de douleur mais ouvre sur un possible mieux vivre. Lecture Jeune - juin 2007 LJ122_P20-22.qxd 1/06/07 12:48 Page 20 La psychologie Le Dossier à la portée des ados 20 Béatrice Decroix Entretien Propos recueillis par Anne Lanchon Comment est née l’idée de créer les collections «Oxygène» et «Hydrogène» ? Adolescente, je me posais comme tous les jeunes de nombreuses questions, et ne trouvais aucun livre pour y répondre. Devenue éditrice, j’ai réalisé qu’il n’existait toujours rien pour accompagner les adolescents dans leur construction personnelle. J’ai eu envie de créer des livres d’un genre nouveau, dans l’esprit des manuels de savoir-vivre destinés aux jeunes filles d’antan, la dimension morale en moins ! Ainsi est née «Oxygène», avec une triple dimension : psychologie, société et scolarité. Béatrice Decroix Directrice des éditions De La Martinière Jeunesse, Béatrice Decroix a lancé en 1995 la première collection de «documentaires psy» destinée aux adolescents 1. «Oxygène», qui compte aujourd’hui 66 titres à son catalogue s’adresse aux 11-13 ans. «Hydrogène», qui a vu le jour deux ans plus tard, cible les 13-17 ans et totalise à ce jour 51 volumes. Quel est le concept de la collection ? Partir des interrogations des lecteurs et leur donner les outils pour réfléchir sur leur identité, leur environnement familial, sentimental, scolaire, la société dans laquelle ils vivent. Il ne s’agit pas de leur inculquer des connaissances de manière théorique, mais de s’inspirer de leur vécu et de les accompagner jusqu’au savoir. Le livre doit fonctionner comme une lampe de poche, non comme un entonnoir. C’est la raison pour laquelle nos auteurs sont rarement des psychologues ou des sociologues, mais des journalistes spécialisés ou des écrivains qui enquêtent et «digèrent» la pensée des spécialistes pour mieux la transmettre, avec une écriture qui ne soit ni académique ni démagogique. Je réfute le terme d’essai pour ces livres, trop intellectuel, et celui de documentaire, trop scolaire. Dans les librairies, ils sont classés dans les rayons «ados», on n’a pas trouvé d’autre mot pour les caractériser. Quel a été l’accueil de ces collections par les médiateurs ? 1 à l’exception de la collection « Etats d’âme » chez Nathan, qui a publié 13 titres entre 1990 et 1996. Très mitigé au début, car ils n’arrivaient pas à les cataloguer, justement. On les regardait même avec un certain dédain : ces livres n’étaient ni de la littérature, ni de l’accompagnement scolaire, ils ne pouvaient pas être sérieux ! Les premiers mois, j’étais invitée exclusivement dans les lycées professionnels, par des documentalistes qui avaient pris conscience que la fiction ne plaisait pas à leurs élèves, et pensaient les accrocher avec des sujets proches de leur vie quotidienne. Ce sont les lecteurs qui ont fait le succès d’«Oxygène» et d’«Hydrogène». Les documentalistes et les bibliothécaires ont pris le relais, ils ont réalisé un remarquable travail de promotion. Les libraires ont été les derniers conquis. Aujourd’hui, le pari est gagné. Notre collection est clairement identifiée, elle a trouvé sa crédibilité et elle est même prescrite par certains psychologues à leurs patients ! Lecture Jeune - juin 2007 LJ122_P20-22.qxd 1/06/07 12:48 Page 21 21 Comment choisissez-vous vos thèmes ? Travaillez-vous avec un comité scientifique ? Nous n’avons pas de comité scientifique, mais je rencontre souvent des psychologues et des sociologues qui me suggèrent des idées de sujets. Par ailleurs, nous travaillons beaucoup également avec la Fondation de France et l’association Fil Santé jeunes, qui relit nos textes lorsqu’ils abordent des questions délicates : la santé, l’anorexie, la confiance en soi… Nous réunissons enfin régulièrement des comités de lecteurs, pour être en phase avec leurs préoccupations. Leurs propositions tournent souvent autour des sentiments et de la sexualité. Quels sont les titres qui fonctionnent le mieux ? Nos « best-sellers » parmi les titres «psy» d’«Oxygène» sont Ado blues2 et Nous les filles… 3, parce qu’ils sont très génériques sans doute. Leurs ventes tournent autour de 30.000 exemplaires. Les «Hydrogène» «psy» qui marchent le mieux sont La cigarette, c’est décidé j’arrête4 et L’homosexualité à l’adolescence5, parce que nous sommes les seuls à avoir abordé ces questions en documentaire jeunesse. 2 Michel Piquemal, 2006 (1ère édition 1996) 3 Moka, 2007 (1ère édition 1995) 4 Anne-Marie Thomazeau, 2005 5 Anne Vaisman, 2002 Ne craignez-vous pas d’épuiser un jour les sujets possibles ? Non, car les lecteurs évoluent avec la société. Nous avons publié en 1999 un «Oxygène» sur la drogue en général, La drogue vous êtes tous concernés 6, et cinq ans plus tard Cannabis, mieux vaut être informé 7, car la consommation de cannabis avait beaucoup augmenté entretemps. De même, nous n’aurions jamais édité autrefois Un psy pourquoi en voir un ? 8, car les jeunes fréquentaient moins les cabinets des psychologues. 6 Pierre Mezinski 7 David Pouilloux, 2004 8 Sofia Martin, 2005 «Oxygène» et «Hydrogène» ont été «relookés» début 2007. Pourquoi ? Leurs maquettes avaient vieilli au bout de dix ans. Je souhaitais également instaurer un contraste plus important entre les deux collections. La préadolescence commence de plus en plus tôt et la maturité des grands adolescents s’accentue. L’illustration des nouveaux «Oxygène», réalisée par Vincent Odin, est plus humoristique et proche de la BD. Chez «Hydrogène», nous avons remplacé les photos trop impersonnelles par des illustrations de la graphiste Mia, modernes et dans l’esprit manga. En 2003, vous avez ouvert votre catalogue à la littérature avec la collection «Confessions», qui compte aujourd’hui 20 titres. Quel en est le concept ? Certains sujets, trop sensibles ou trop pointus, peuvent difficilement être abordés dans un documentaire. C’est le cas de l’énurésie9, de la perte de la foi10, du complexe lié à une petite taille11… Seule la fiction peut en rendre compte avec subtilité. J’ai proposé à des auteurs connus d’écrire Lecture Jeune - juin 2007 9 Tu seras la risée du monde, de Jean-Paul Nozière, 2004 10 Ce soir là, Dieu est mort, de Christian Grenier, 2005 11 Hé, petite !, de Yaël Hassan, 2003 LJ122_P20-22.qxd 22 1/06/07 12:48 Page 22 La psychologie à la portée des ados 12 Celui qui n’aimait pas lire, 2004 13 Un autre que moi, 2003 un récit inspiré de leur adolescence, qui ne soit ni une autobiographie ni un journal intime, mais une création littéraire avec une portée universelle. Ces textes, dont la forme varie d’un livre à l’autre (roman, poésie…) permettent d’en apprendre un peu plus sur leur auteur, de mieux comprendre le reste de son œuvre parfois. On découvre que Mickaël Ollivier détestait lire étant enfant12, que Bernard Friot souffrait d’être interne13… Mais cette curiosité ne concerne que les lecteurs adultes ! Les adolescents, eux, apprécient de se reconnaître dans ces récits de vie qui témoignent d’un mal-être fréquent à leur âge. Pour qu’ils s’approprient la collection, nous avons choisi un petit format et une typo en couleur, moins intimidante que le noir et blanc. Les autres documentaires « psy » 14 J.L. Monestes et C. Boyer, 2006 15 D.A. Rouyer et M. Dupuy-Sauze, 2002 16 D. Jeammet et O. Amblard, Bayard, 2004 17 S. Feertchak-Ortoli, Plon, 2006 18 B. Costa-Prades, Albin Michel, 2007 IIl existe peu de collections « psy » destinées aux ados à l’exception de la souscollection « Psychologie, psychanalyse et sciences humaines » des « Essentiels » chez Milan. Conçue et rédigée par des professeurs de psychologie pour un public jeune, elle serait lue selon l’éditeur à 70 % par des adultes ! 15 titres sont parus à ce jour, tous très sérieux et bien documentés. Dernier ouvrage publié : Thérapies comportementales et cognitives14. Le Dico Ado publié en 2001 par Gallimard jeunesse, sous la direction de C. Dolto est devenu un ouvrage de référence, réactualisé chaque année. Il est divisé en plusieurs chapitres qui retracent les étapes essentielles de la vie. Médecins, psychologues et diététiciens répondent aux questions que se posent les adolescents avec précision et clarté. Le Dico des filles15 de Fleurus connaît l’année suivante un démarrage fulgurant : 30.000 exemplaires vendus en quinze jours ! Une édition réactualisée paraît à chaque rentrée, et la série est aujourd’hui déclinée en petits volumes individuels. L’approche ludique, humoristique et complice explique ce succès. Une ribambelle d'autres livres tels que La psycho 100% ado16, L’encyclopédie des filles17, Les garçons (un peu) expliqués aux filles, les filles (un peu) expliquées aux garçons 18 a envahi les rayons ados ou adultes des librairies. Ces ouvrages au ton humoristique et à la maquette attractive traitent de manière synthétique l’ensemble des thèmes qui intéressent les adolescents. Ils y trouvent les réponses à des questions qu’ils n’osent pas poser à leurs parents, et des conseils pour dédramatiser des situations auxquelles ils se trouvent confrontés. La production éditoriale sur ces sujets est cependant inégale : les conseils de certains « spécialistes » restent parfois superficiels et s’accompagnent de témoignages qui « sonnent » faux. Le ton y est sans doute pour beaucoup. Par ailleurs on peut se demander si le filon ne risque pas de s’épuiser, les thématiques n’évoluant guère d’un volume à l’autre. Anabel Jouineau, bibliothécaire à Meudon (92) Lecture Jeune - juin 2007 LJ122_P23-26.qxd 31/05/07 20:22 Page 23 Les discours « psy » Le Dossier dans la presse ado 23 Christelle Crumière Analyse Entre le rejet d’une enfance encore proche et l’aspiration à un statut adulte aussi désirable qu’angoissant, l’adolescence est l’âge des grandes interrogations identitaires. Qui suis-je ? Quel cheminement suivre ? À ces questions, formulées de façon plus ou moins explicite, les magazines destinés aux jeunes prétendent apporter des réponses adaptées. En témoigne le foisonnement des rubriques, chroniques, dossiers ou courriers à dimension psychologique. Comment fonctionne leur discours ? Quelle place accordent-ils à la parole des adolescents ? Quelles représentations leur renvoient-ils d’eux-mêmes ? Quel support offrent-ils à leur construction identitaire ? C’est ce que nous tenterons de comprendre en étudiant le contenu de trois des magazines les plus appréciés des adolescents – Girls !, Jeune et Jolie et Phosphore1– à travers deux axes d’analyse : - la place et les formes du discours à connotation psychologique dans le magazine. - le contenu de ce discours, à travers son mode énonciatif (posture du locuteur/implication du lecteur), son degré de spécialisation et les représentations qu’il véhicule. Découvre qui tu es : Girls ! ou la révélation de soi Place et formes du discours psychologique : Le magazine Girls ! réserve une place particulièrement importante au discours à tendance psychologique, qui se décline sous de multiples formes. On y trouve des pages explicitement estampillées « psycho », telles que le « Courrier psycho », auquel répondent deux psychologues, Laurence Siroit et Marie Delacourt, et la rubrique « Psycho », qui aborde les préoccupations principales des adolescentes (« Larguer ou se faire larguer ? Un choix difficile ») sous forme d’un article alternant témoignages de jeunes filles, commentaires d’un psychologue et synthèse d’une rédactrice. D’autres rubriques : « Love » (« Il faut croire en l’amour ! ») et « C’ ma vie » (« Pour être heureuses, elles sont allées jusqu’au bout d’ellesmêmes !») répondent au même principe, associant aux témoignages des lectrices un encadré « L’avis du psy », ainsi que des conseils, des recommandations (« Sept astuces pour réapprendre à aimer »), des adresses d’associations et des numéros de téléphone utiles (« Fil Santé Jeunes », « La Note Bleue », etc). Le magazine propose également des dossiers qui abordent des thèmes de société (« Se reconstruire après un viol ») ou des sujets intimes (« Sexualité, identité : qui suis-je ? ») sous un angle psychologique. À cela s’ajoutent de nombreux tests de personnalité supposés apporter à l’adolescente des Lecture Jeune - juin 2007 Christelle Crumière, est chargée de cours à l’université de Cergy-Pontoise (95) en sémiologie de l’image, traitement de l’information, droit et éthique du journalisme, dans le cadre d’une initiation à l’éducation aux médias. Elle achève actuellement une thèse de doctorat en sémiologie des médias, à l’Institut Français de Presse (Paris II), sur l’élaboration narrative du 11 septembre 2001 dans les journaux français. Corpus analysé : Girls !, Jeune et Jolie et Phosphore Numéros de janvier, février, mars et avril 2007. 1 Phosphore , Girls ! et Jeune et Jolie sont les titres de presse jeune les plus consultés par les15-18 ans, selon l’enquête Conso Junior 2006. Ils sont respectivement lus par 14,5% et 11,5% (ex æquo) des jeunes de cette tranche d’âge. Voir LJ n° 121, Les adolescents et la presse écrite. LJ122_P23-26.qxd 24 31/05/07 20:22 Page 24 Les discours « psy » dans la presse ado réponses à ses questionnements identitaires (« Sais-tu vraiment qui tu es ? ») ainsi qu’une rubrique « Météo perso » censée renseigner la lectrice sur les variations de son humeur et de ses états d’âme (« Vois-tu la vie en rose ? »). Contenu du discours : Selon les rubriques, le contenu du discours répond à des fonctions et préoccupations différentes. La rubrique « Courrier Psycho » opère essentiellement une fonction de conseil, qui va de la simple recommandation (« je te propose deux choses ») à la réorientation vers une structure adaptée ou une solution juridique (« n’hésite pas, porte plainte »), selon la gravité de la situation. Plus globalement, le discours de la psychologue s’inscrit dans une démarche de sécurisation : il a pour but de rassurer l’adolescente sur la normalité de ses sentiments ou de ses réactions (« il est normal que tu te sentes démunie »), de dédramatiser ses angoisses ordinaires (« il n’y a rien de grave »), de la décharger d’une culpabilité injustifiée (« en aucun cas tu n’es coupable de la mort de ton père »). Le recours au tutoiement, la forte implication énonciative (« je comprends tes inquiétudes ») et le faible niveau de spécialisation du langage (absence de conceptualisation, d’usage d’une terminologie scientifique) concourent à situer l’échange sur le registre de la confidence. Nombre de dossiers appartiennent au registre de la révélation identitaire (« Identité sexuelle… qui suis-je ? »), voire de l’accession à soi-même (« Et si tu décidais de régler ce problème. Histoire d’être toi-même… mais en mieux ? »). De même, les tests de personnalité répondent à une fonction de dévoilement (« Dis-moi comment tu réagis… je te dirai qui tu es ! »). L’identité y est présentée comme un territoire à découvrir, voire à conquérir (devenir soi-même est le terme d’une quête). Le magazine, qui prétend détenir la vérité de la jeune lectrice, apparaît comme son principal adjuvant au cours de ce cheminement. Deviens ce qui te plaît : Jeune et Jolie ou la transformation de soi Place et formes du discours psychologique : Le discours à dimension psychologique est moins abondant dans Jeune et Jolie, mais il y est surtout moins aisément repérable et beaucoup plus confus. Aucune rubrique ne propose d’échange direct avec un psychologue. Le seul espace de dialogue, « Chère Julie », se rapproche davantage d’un « courrier du cœur » et apporte des réponses de bon sens aux préoccupations amoureuses des jeunes lectrices (« Je viens de me faire larguer », « Ma copine est amoureuse de mon Jules »). Selon les numéros, le magazine décline différentes rubriques estampillées « psy » (« Psy friends », « Psy girl », « Psy couple », etc), mais cet intitulé ne garantit ni la teneur psychologique du discours, ni le recours aux compétences d’un spécialiste. A contrario, il peut arriver qu’une rubrique échappant à cette appellation bénéficie du concours d’un spécialiste, telle que « Love attitude » (« Jalousie, passion, dépendance. C’est ça l’amour ? » avec le Lecture Jeune - juin 2007 LJ122_P23-26.qxd 31/05/07 20:22 Page 25 25 psychiatre et psychanalyste Samuel Lepastier). Les dernières pages du mensuel, intitulées « J&J coach », sont composées de mini fiches conseils (mode, forme, beauté, loisirs, droits, etc), dont une fiche « psy » survolant les éventuelles difficultés rencontrées par l’adolescente dans sa famille, sa vie sociale ou scolaire. Enfin un certain nombre de tests prétendent, de façon ludique, renseigner la lectrice sur les secrets de sa personnalité (« Savez-vous tenir vos promesses ? »), voire de son identité (Supplément détachable : « Qui êtes-vous ? 24 tests pour mieux vous connaître »). Contenu du discours : La plupart des rubriques intitulées « Psy » se bornent à énumérer les cas de figure auxquels la lectrice peut être confrontée dans une situation type (« Avec Jules, les amies, la famille… Jouer les indifférentes, c’est risqué ? »), puis à lui en signaler les avantages et les inconvénients. Face aux divers comportements ou réactions envisagés, l’opinion de la rédactrice (« L’avis de J&J ») remplace ici « L’avis du psy » de Girls !. Le magazine encourage également l’adolescente à suivre des modèles attractifs (« Cultivées, sexy, lookées… Celles qui font plus que leur âge »), en les valorisant à ses yeux (« Ce qu’il y a de bon à prendre »), et en lui suggérant les moyens de s’y conformer (« Comment les imiter ? »). Moins qu’une fonction d’étayage psychologique, le mensuel développe une fonction de « coaching ». Ce rôle est d’ailleurs revendiqué dans le titre de nombreuses rubriques (« Psy coach », « Love coach », « Fun coach ») et le contenu des fiches « Psy » (« Coach lycée », « Coach parents »). Loin de la posture du thérapeute, le magazine adopte celle de l’entraîneur, du « pro », qui doit permettre à la lectrice non de se découvrir mais de se modeler et de se transformer pour atteindre une image idéale qu’elle s’est forgée ou qu’elle veut donner d’elle-même (« Etes-vous une nana qui fait fantasmer les garçons ? »). Au lieu de l'encourager à s’accepter telle qu’elle est, le magazine incite l’adolescente à s’identifier à des modèles superficiels (« Top canon, top classe. Les secrets des people les plus sexy »), à se conformer à l’intransigeance des critères esthétiques et comportementaux socialement valorisés (« Plans love/sexe : tout ce que vous allez oser »), quitte à se plier aux exigences de son éventuel partenaire (« Avez-vous le corps de ses envies ? »). Cultive ce que tu es : Phosphore ou l’affirmation de soi Place et formes du discours psychologique : À la différence des deux magazines précédents, Phosphore ne comporte aucune rubrique explicitement désignée comme relevant du domaine de la psychologie. En revanche, les enquêtes ou dossiers de société, qui croisent les angles d’approche et les points de vue peuvent faire appel, sans qu’elle soit exclusive, à une interprétation psychologique du sujet. Au même titre que celui des autres spécialistes sollicités, le discours du psychologue renvoie à un discours expert, capable d’éclairer, de rendre intelligible un aspect spécifique de la question traitée. Ainsi dans le numéro de janvier 2007, l’enquête consacrée aux sectes (« Sectes : comment elles vous piègent ») fait Lecture Jeune - juin 2007 LJ122_P23-26.qxd 26 31/05/07 20:22 Page 26 Les discours « psy » dans la presse ado alterner le commentaire des acteurs (victimes, membres d’associations présentes sur le terrain) et l’analyse théorique de spécialistes issus de disciplines diverses (psychologue clinicienne, historien des religions). C’est dans la rubrique « Et moi », organisée autour de l’expérience et de la parole des jeunes, que le recours au discours psychologique est le plus abondant, à travers les commentaires de spécialistes tels que psychiatres, psychologues, pédopsychiatres ou cliniciens. Contenu du discours : « Dis-moi comment tu (te) conduis, je te dirai qui tu es » titre une enquête sur les jeunes et le permis de conduire, décryptant, à l’aide d’un sociologue, d’un ethnologue et d’un psychologue le sens des comportements au volant, mais aussi le symbolisme du permis de conduire comme « passage rituel à l’âge adulte ». Intitulée « Les mots pour le dire », la rubrique « Et moi » de mars 2007 insiste sur l’importance de la verbalisation des émotions et difficultés tenues secrètes (« C’est le principe du sac à dos, explique MarieCatherine Chikh, psychologue à Fil Santé Jeunes. Si on se mure dans le silence avec ses problèmes, on porte un sac de plus en plus lourd. Quand on en parle, c’est comme si, symboliquement, l’autre nous aidait à porter ce sac à dos… qui devient alors plus léger. ») Sur le thème du « droit à l’erreur », la rubrique « Et moi » d’avril 2007 apporte aux questions des lecteurs (« Pourquoi fait-on des erreurs ? », « Comment rendre ses erreurs constructives ? ») des réponses qui vont dans le sens de l’acceptation (« Pour comprendre ses erreurs, il faut d’abord réussir à se les pardonner », rappelle la psychologue Isabelle Filliozat) et de l’élaboration de son identité. (« L’erreur est utile à notre construction, explique la psychologue Emmanuelle Yanni-Plantevin. Elle fait partie d’un processus de recherche, de tentative, d’essai. ») Ici le discours psychologique ne s’inscrit pas dans le registre de la confidence, encore moins du « coaching », mais dans celui de l’explicitation et de la production de sens : il retrouve pleinement sa fonction première, celle de mettre en lumière les mécanismes de la vie psychique et des comportements humains. Les représentations véhiculées sont celles de l’affirmation de soi (« Enfin, j’ai osé »), de l’indulgence envers soi-même (« Les bonnes raisons de se tromper »), l’adolescent étant invité à cultiver son identité plutôt qu’à tenter de se métamorphoser de façon toute puissante. Si dans ces trois magazines l’objet des discours à connotation psychologique consiste à répondre à la quête identitaire de l’adolescent, les réponses qu’ils lui offrent et les représentations qu’ils lui renvoient de luimême divergent de façon radicale : à la promesse d’un dévoilement magique affichée par Girls ! et à l’illusion d’une recréation démiurgique de soi-même véhiculée par Jeune et Jolie, s’oppose l’invitation de Phosphore au déploiement bienveillant et rationnel de son identité. Lecture Jeune - juin 2007 LJ122_P27-28.qxd 31/05/07 20:22 Page 27 27 Le Dossier «Les ados ont la parole» Meryem Daoudi Témoignage Meryem Daoudi est bibliothécaire-adjointe à la médiathèque de l’Institut français de Meknès (Maroc) depuis 1989, où elle est responsable du secteur jeunesse et adolescent. Passionnée d’art dramatique, cette ancienne comédienne, animatrice d’ateliers de théâtre, a lancé dès 1992 un club de lecture auquel participe une quarantaine de jeunes de 10 à 23 ans, filles et garçons. Au sein de ce club, une petite troupe s’est constituée, qui propose chaque année une mise en scène, du « défilé de livres » en 1994 à un Roméo et Juliette revisité en mars 2007, dans le cadre du Printemps des poètes. Le club de lecture se réunit quant à lui chaque semaine. Meryem Daoudi s’est donné pour objectif de « rapprocher les enfants des livres ». Lorsqu’ils présentent les ouvrages qu’ils ont lus, elle les incite fortement à parler d’eux-mêmes, de leurs émotions, à se comparer aux personnages… Une grande complicité et une confiance mutuelle se sont ainsi instaurées entre la jeune femme et le groupe d’adolescents. Leurs rendez-vous sont vite devenus indispensables aux jeunes, qui trouvaient là l’occasion d’évoquer leur quotidien et leurs questionnements d’adolescents : la religion, le deuil, les relations filles/garçons, le terrorisme… Meryem Daoudi a perçu leur besoin d’expression et d’écoute. Elle a compris qu’elle ne pourrait pas répondre à toutes leurs interrogations. Elle leur a donc proposé d’organiser des débats et d’inviter des professionnels de l’adolescence, plus qualifiés qu’elle. C’est ainsi qu’ont été initiées les journées « Les ados ont la parole », en 2006. Les membres du club de lecture ont défini quatre thématiques : la citoyenneté, le sida, le rôle des associations, ainsi qu’une journée de parole libre sur l’adolescence intitulée « Parlons-en ». Meryem Daoudi a choisi les intervenants. Ces journées, qui se sont tenues en octobre 2006 durant le Ramadan, ont remporté un vif succès, ce qui a surpris tout le monde. Les jeunes s’étaient en effet massivement abstenus lors des dernières élections communales. Près de 80 adolescents ont participé à chacune des trois premières rencontres. Ils étaient plus de 400 à assister à la dernière table ronde, manifestant ainsi leur besoin et leur volonté d’échanges. Les débats furent parfois houleux, ils ont révélé le malaise d’une génération qui ne parvient pas à trouver sa place dans la société marocaine. Les jeunes ont dit se sentir marginalisés et rejetés. Hors du cadre scolaire ou familial, la parole a donc été libre et parfois violente. Meryem Daoudi avait convié pour la dernière rencontre une mère de famille, un psychologue, un philosophe, un relaxologue ainsi qu’un médiathécaire. Ces adultes ont été destabilisés par la mise en cause Lecture Jeune - juin 2007 Propos recueillis par Hélène Sagnet Meryem Daoudi Bibliothécaire-adjointe Responsable du secteur jeunesse et adolescent Médiathèque de l’Institut français de Meknès. LJ122_P27-28.qxd 28 31/05/07 20:22 Page 28 « Les ados ont la parole » Médiathèque de l’Institut français de Meknès. Ferhat Hachad BP 337 50000 Meknès Maroc [email protected] 1 Non Lieu, 2006 directe dont ils ont fait l’objet dans un premier temps, mais l’échange s’est instauré ensuite. Les thèmes abordés ont été variés : l’injustice et l’exclusion, la religion, les rapports garçons/filles, les inégalités quotidiennes, dans le cadre scolaire surtout, la politique et la perte de confiance dans le système, etc. Des thèmes plus personnels ont également émergé tels que la maltraitance ou la sexualité, l’incompréhension et le manque d’écoute général dont ces jeunes disent souffrir. Lorsqu’on lui demande s’il revient à son établissement d’organiser ce type de débat, Meryem Daoudi avoue qu’elle a entendu de nombreux reproches, notamment celui selon lequel « la bibliothèque n’est pas un cabinet de consultation psychologique ». Elle ne renoncera pas pour autant à son projet. Si les jeunes viennent vers elle à la médiathèque, estime-t-elle, il faut qu’elle les écoute : « La bibliothèque est le reflet de la société pour eux. Ils doivent trouver ici des réponses, dans les ouvrages mais aussi auprès des personnes présentes. C’est grâce à cette parole et à cette confiance que nous deviendrons de bons passeurs de livres ». La jeune femme estime par ailleurs que ces rencontres ont modifié l’image de la médiathèque auprès de certains jeunes. Beaucoup d’entre eux se sont inscrits dans la foulée. Mais la fréquentation par ce public ne pose pas réellement de problème ici : les moins de 25 ans représentent plus de 85 % des usagers des médiathèques des Instituts français au Maroc. Elles constituent pour eux des lieux de rencontre et de vie culturelle, qui font défaut à Meknès comme ailleurs, même si l’Etat semble ébaucher une politique visible en direction de la jeunesse (ouverture de centres culturels, incitation à l’action associative…). Le réseau a donc engagé une réflexion spécifique autour de l’accueil des adolescents, très demandeurs, mais parfois trop présents et en conflit avec les autres générations d’usagers. Plusieurs médiathèques ont, comme à Meknès, créé des espaces et une programmation spécifiques pour répondre aux besoins de ce public dynamique. Un programme de formation des équipes a également été initié. Meryem Daoudi quant à elle poursuit les réunions du club de lecture. Elle invite ponctuellement une personnalité pour discuter avec les adolescents, comme par exemple l’écrivain El Driss, plus connu par les jeunes pour son rôle dans une série télévisée française que pour son roman Vivre à l’arrache1, sur l’immigration clandestine du Maroc vers la France. Lors du dernier comité, qui s’est tenu en avril 2007, elle a proposé aux enfants de reporter la présentation des livres et d’évoquer les attentats qui venaient d’avoir lieu à Casablanca. Lecture Jeune - juin 2007 LJ122_P29-30.qxd 31/05/07 20:21 Page 29 La banalisation du Le Dossier « psy » 29 Jean-Claude Rouchy Tribune Notre société est envahie de toutes parts par des interprétations psychologisantes de la réalité sociale. Est-ce une nouvelle idéologie, un phénomène passager ou un état récurrent apparaissant à certains moments de notre histoire et dans certaines conditions ? L'effondrement des idéaux politiques, le développement d'une politique libérale de marché, le déclin de valeurs humaines et de solidarité provoquent un repli sur des valeurs individualistes. La réussite sociale régit les rapports humains et laisse le champ libre à des attentes touchant de plus en plus à la vie privée, à la vie intime et même au corps. On constate cette poussée individualiste dès le collège avec l’orientation dans des filières différentes. La France est le seul pays d’Europe où les classes sont recomposées au fil de sélections successives, incitant les élèves à intégrer très tôt le dogme du « chacun pour soi ». Dans les autres pays, en Espagne et en Italie notamment, les élèves font leurs études dans le même groupe-classe de la 6e à la terminale. Ces valeurs individualistes contribuent à l’avènement d’un « tout psychologique » et nous incitent à nous réaliser dans la recherche individuelle du bonheur, du plaisir, de l’accomplissement de soi. L’intérêt narcissique pour la chose psychologique peut produire le meilleur, notamment au plan culturel, et le pire au plan commercial et de la publicité : « Parce que je le vaux bien !». L’exploitation ambiguë de ces capacités essentielles à notre équilibre et à notre recherche de bien-être a envahi notre univers. Les domaines concernés sont multiples et foisonnants : les médias surtout, qui s'en font l'écho, l'amplifient, le légitiment et le banalisent, tant dans le choix des thèmes que dans la façon de les traiter. Dans les années 1970, le « Psy-show » télévisuel du psychanalyste lacanien Serge Leclerc avait déjà surpris au-delà des cercles spécialisés. Les émissions de Françoise Dolto étaient mieux acceptées, car elle évitait de traiter les problèmes de manière personnelle et s’en servait pour donner une information universelle sans la banaliser pour autant. De même, Mireille Dumas fait preuve de compétence dans la conduite des entretiens, même si elle « spectacularise » des histoires intimes. En revanche, certains psychanalystes se donnent en spectacle chaque semaine dans des émissions de variété, sans oublier les reality-shows qui nous rendent complices d’un voyeurisme pervers, avec des séquences affligeantes de pseudo-entretiens psychologiques. La presse de son côté, notamment féminine, se situe dans le même registre. On y trouve des tests « psychologiques » sans valeur scientifique, dont les Lecture Jeune - juin 2007 Jean-Claude Rouchy, est psychologue clinicien, psychanalyste et analyste didacticien de groupe. Il est également rédacteur en chef de la Revue de psychothérapie psychanalytique de groupe (Erès) et de la revue Connexions (Erès) publiée par l’ARIP (Association pour la recherche et l’intervention psychosociologique). Il a présidé la Fédération des associations de psychothérapies psychanalytiques de groupe et préside actuellement l’association européenne Transition - Analyse de groupe et d'institution. Publications La double rencontre : toxicomanie et Sida, Erès, 1996 Le Groupe, espace analytique. Clinique et théorie, Erès, 1998 (Transition) La psychanalyse avec Nicolas Abraham et Maria Torok, Erès, 2001 (Transition) Institution et changement. Processus psychique et organisation, en collaboration avec Monique Soula Desroche, Erès, 2004 (Transition) LJ122_P29-30.qxd 30 31/05/07 20:21 Page 30 La banalisation du « psy » « Chacun a sa vie psychique, c’est pourquoi chacun se tient pour un psychologue. » Sigmund Freud (1926) résultats, exprimés dans un langage simpliste, éliminent toute dimension sociale, économique et politique. Un mensuel a même pris pour titre Psychologies et propose en couverture une personnalité du spectacle. Enquêtes, débats, portraits, courrier des lecteurs… : toutes ses rubriques tendent vers la quête de l’équilibre et du bonheur, sans oublier le cahier sexo. Il n’est pas le seul. La majorité des magazines féminins comporte aujourd’hui une rubrique « psy », où les conseils des spécialistes abondent, de la vie du couple à l’éducation des enfants. Au-delà de cette profusion, qui répond à une attente du public, on constate un appauvrissement de la représentation de la réalité sociale et institutionnelle, mais aussi une perversion des rapports de causalité. Les individus deviennent responsables des événements qu'ils subissent. La personne mise au chômage doit en chercher l’origine dans ses propres difficultés. Ce qui est vrai pour certains devient une explication généralisée à tous, dans la dénégation de facteurs structurels et économiques, financiers et géopolitiques. Quant aux « psychothérapies nouvelles », importées pour la plupart de la côte ouest des Etats-Unis il y a quarante ans (bioénergie, gestalt, analyse transactionnelle…), elles privilégient la catharsis par l'expression individuelle des émotions en groupe. Contrairement à la psychanalyse, elles ne visent pas un changement de la structure psychique du sujet mais une adaptation évolutionniste de celui-ci à son environnement social, sans que les valeurs qui le fondent soient interrogées. Cette centration sur l’individu ouvre la voie à certaines sectes pour le recrutement de nouveaux adeptes et comme moyen de manipulation, en utilisant la fragilité psychologique des personnes. Il en est parfois de même au sein de certaines sociétés, où l’objectif n'est plus celui d'un changement structurel, mais d'une adaptation des professionnels à leur fonction. Le développement du « coaching » fait ainsi porter à l’individu la responsabilité des difficultés et des conflits de la structure dans une dénégation de la dynamique des groupes, des contraintes sociales. Beaucoup de consultants en entreprise ont abandonné tout travail de groupe au profit de conseils individualisés. Tout serait donc plus ou moins « psy » dans un univers où les ravages du réel social et économique sont bien présents. La médiatisation des « psys » n’a sans doute jamais atteint une telle ampleur. Qu’on en juge par la place qu’ils occupent dans les médias, de l’astrologie à Loft Story. Psychologisation du social et hyperprésence des « psys » : ces deux phénomènes stigmatisent notre société marquée par la culture du narcissisme. Un des paradoxes créés par cette situation n'est-il pas que ce soient des psychologues, des psychiatres, des psychosociologues, des psychanalystes qui soient amenés à désigner cette « psychologisation du social » ? Le symptôme en serait l'appellation banalisée de « psy », qui vide de sens la spécificité des pratiques, des dispositifs et de leurs cadres institutionnels. Peut-on ainsi parler d'une psychologisation sans psychologues, ou d'une société à la fois psychologisée et désubjectivée ? Lecture Jeune - juin 2007 LJ122_P31-41.qxd 31/05/07 20:25 Page 31 Parcours de lecture Livres accroche Littératures Bandes Dessinées Documentaires pages 32 à 39 page 40 page 41 Et après Littératures Bandes Dessinées Documentaires pages 42 à 51 pages 52 à 54 page 55 Lecteurs confirmés Littératures Bandes Dessinées Documentaires Ouvrages de référence pages 56 à 66 page 67 page 68 pages 69 à 70 LJ122_P31-41.qxd 31/05/07 20:25 Page 32 32 Parcours de lecture Livres accroche Littératures 1I Catherine Anne L'école des loisirs, 2007 (Théâtre) 96 p. 6,50 € 978-2-211-08688-2 Genre Théâtre Adaptation Mots clés Amour Cette adaptation très libre du conte d’Andersen, en seize courtes scènes, se déroule tour à tour sur terre et au fond de la mer. La petite sirène, qui rêve d'aller voir au-dessus de l'eau, obtient l'autorisation de quitter le royaume le jour de ses quinze ans. Lors d'une tempête déclenchée par son père pour la faire revenir, elle sauve un jeune prince du naufrage. Pour le suivre sur terre, elle demande à la sorcière de lui donner des jambes en échange de sa voix. Le prince, un moment séduit, l'oublie et se marie avec une princesse. Dans cette version, « Petite sirène » ne meurt pas, sa grand-mère lui offre des ailes semblables à celles des sirènes du « temps jadis ». Dans sa préface, Catherine Anne explique les thèmes qu'elle souhaitait explorer dans sa pièce, écrite en partie en vers libres : la quête d'un ailleurs, la douleur d'aimer sans retour, la violence incontrôlée... C'est un texte sensible et évocateur, dans un style actuel, au ton souvent gai et incongru. Il a été joué au Théâtre de l'Est Parisien en 2006. ■ Gilberte Mantoux 2I Silvana Gandolfi Trad. de l'italien par Faustina Fiore Panama, 2007 175 p. 13 € 978-2-7557-0169-2 Genre Conte Humour Mots clés Jeunesse Népal Une petite sirène Le baume du dragon Andrew, le narrateur, ne supporte plus sa femme, une mégère qui le houspille sans arrêt. Au cours d'un voyage à Katmandou, il lui fausse compagnie. Lors de cette escapade, il rencontre un vieillard qui lui confie une mixture destinée à sa petite fille, la Kumari, petite déesse vivante de dix ans. Mais Andrew ne peut résister à l'envie de manger l'intégralité du baume. Il se met alors à rajeunir de jour en jour, à sa grande joie tout d'abord, puis à sa grande frayeur. Quant à la Kumari, en l'absence du baume magique, elle vieillit inéluctablement, ce qui pourrait lui faire perdre son statut honorifique. Les deux protagonistes s'allient alors pour stopper le processus et entreprennent un voyage parsemé d'embûches à destination d'un lac au bord de l'Himalaya. Ce périple népalais se conclut par un double mariage, preuve que la force de l'amour est plus puissante que la vieillesse et la mort… Comme toujours, Silvana Gandolfi fait preuve ici d'une imagination débridée, servie par une écriture allègre et agrémentée d'un humour burlesque jubilatoire. Un excellent livre accroche ! ■ Gilberte Mantoux Lecture Jeune - juin 2007 LJ122_P31-41.qxd 31/05/07 20:25 Page 33 33 3 I Les terribles aventures du futur capitaine Crochet James Matthew B. vient d’intégrer le fameux collège d'Eton, où est éduquée l'aristocratie anglaise. Fils d'un Lord qui ne l'a pas reconnu, il est vite considéré comme un gêneur. En compagnie de son seul véritable ami, Roger l'enjoué, il s'oppose aux coutumes de l’établissement. Sa vie bascule lors de la rencontre annuelle du Jeu du Mur. Il fait la connaissance d’Ananova, la fille d'un sultan, dont il tombe éperdument amoureux. Pour elle, il n'a plus qu'un objectif : trouver l'île de ses rêves, le Pays de Nulle Part. James V. Hart nous conte ici la jeunesse d'un méchant mondialement connu, le capitaine Crochet, jusqu'au moment où lui sera donné ce surnom. Le pari était risqué, il l’a réussi. Il imagine un personnage hors du commun, doté d'un physique inquiétant et d'un fort caractère qui le rendent antipathique à ses aînés. Le lecteur en revanche s'attache à cet adolescent que la vie n'a pas favorisé. Il se dégage enfin de ce livre une ambiance très noire correspondant parfaitement à l'antihéros présenté. ■ Sébastien Féranec James V. Hart Trad. de l’anglais (Etats-Unis) par Alice Marchand Flammarion, 2006 343 p. 13 € 978-2-0816-3470-1 Genre Roman d'aventure Mots clés Adolescence Pouvoir Amour 4 I Stravaganza : La cité des étoiles, T.2 Ce second volet de Stravaganza conduit Georgia, adolescente mal dans sa peau vivant à Londres au XXIe siècle, à « stravaganter » c’est-à-dire à rejoindre dans son sommeil un univers parallèle, par le biais d’une petite statuette représentant un cheval ailé. Georgia est projetée dans une cité de Talie au XVIe siècle, Remora, sur laquelle règne la famille des Chimici. Nous sommes à la veille d’une course de chevaux qui oppose les douze circonscriptions de la ville. La jeune fille découvre ainsi qu’elle est un « stravagante » : son pouvoir lui permet de voyager d’un monde à l’autre et de jouer un rôle incontournable dans les affaires de la cité. Rappelons que la série fonctionne sur le principe de l’uchronie : un événement modifie le cours de l’Histoire, en l’occurence Remus a vaincu Romulus, l’Italie est rebaptisée Talie, Belleza ressemble à Venise et Remora fait référence à Sienne, organisatrice de la course du Palio. La reconstruction historique est parfaite, l’univers savamment maîtrisé, mais pour suivre l’intrigue, qui repose sur les luttes de pouvoir entre les familles de Remora – les Chimici – et de Belleza – la Duchessa –, il est préférable d’avoir lu La cité des masques dont on retrouve ici tous les personnages. Georgia est une héroïne un peu falote et moins bien campée que Lucien, le héros du tome précédent. On regrette également que les beaux personnages féminins de La cité des masques soient ici secondaires. Mais l’aventure reste prenante. ■ Hélène Sagnet Lecture Jeune - juin 2007 Mary Hoffman Trad. de l’anglais par Jean Esch Pocket jeunesse, 2006 392 p. 15,50 € 978-2-266-15914-3 Genre Science-fiction Mots clés Mondes parallèles Italie XVIe siècle LJ122_P31-41.qxd 34 31/05/07 20:25 Page 34 Livres accroche La série Stravaganza se poursuivra avec La cité des fleurs en septembre 2007 et en 2008 avec La cité des secrets, où l’on retrouvera les personnages connus de Lucien et d’Ariana ainsi que de nouveaux protagonistes. ndlr 5 I La légende arménienne de David de Sassoun Jean V. Guréghian Albin Michel, 2006 183 p. 12 € 978-2-226-17203-3 Genre Mythes et légendes Mots clés Arménie Mythe fondateur de la culture arménienne, l'épopée populaire de David de Sassoun s'est transmise oralement jusqu'au XIXe siècle. Elle restitue la lutte du peuple arménien contre les envahisseurs arabes et égyptiens à partir du VIIe siècle. Ici, la saga se compose de quatre parties qui mettent en scène des héros de père en fils. David est l'un d'eux, personnage haut en couleurs qui incarne l'espérance d'un peuple tout entier. Il est d'ailleurs le favori des Arméniens. Cette épopée est passionnante car tous les ingrédients du conte y sont représentés : batailles, mariages, épreuves, démesure sont au rendez-vous page après page. Le récit s'accompagne judicieusement d'une carte de l'Arménie, de l'arbre généalogique des héros ainsi que de pages documentaires sur l'histoire et la culture arméniennes. Ce petit complément se révèle fort utile pour un lecteur qui découvre avec plaisir, en plus de la légende, un pan historique et géopolitique de ce pays mis à l'honneur en France en 2007 dans le cadre de l'année de l'Arménie. ■ Brigitte de Bergh 6 I Odyssée : Le sortilège des ombres, T.3 Michel Honaker Flammarion, 2007 390 p. 12 € 978-2-0816-3484-8 Genre Mythes et légendes Mots clés Ulysse Télémaque Après dix ans de combats stériles, Ulysse découvre enfin le moyen de prendre la ville de Troie. Mais les Grecs ravagent la cité et provoquent la colère de Poséidon, qui les condamne à errer sur les océans, tandis qu’à Ithaque, Pénélope et Télémaque affrontent les prétendants au trône. Ulysse et ses compagnons luttent désespérément contre leur destinée et combattent les adorateurs des Titans, la sorcière Circé, les sirènes... Télémaque, de son côté, tente de conjurer la prophétie selon laquelle il mourra lors de sa première nuit d'amour. Michel Honaker poursuit avec Le sortilège des ombres la réécriture de L'Odyssée d'Homère, entamée avec La malédiction des pierres noires et Les naufragés de Poséidon. Il réussit à rendre la lecture de ce récit légendaire plus aisée et l'histoire plus moderne, en alternant notamment les points de vue d’Ulysse et de Télémaque, qui occupe ici une place Lecture Jeune - juin 2007 LJ122_P31-41.qxd 31/05/07 20:25 Page 35 Littératures essentielle. Au-delà des portraits d’Ulysse, héros jouet des dieux, et de son fils Télémaque, on appréciera ceux des dieux eux-mêmes, Zeus, Poséidon et Apollon, tous très humains dans leurs attitudes. La majeure partie de ce volume est consacrée au passage d'Ulysse chez la sorcière Circé, l'un des plus réussis de cette épopée. ■ Sébastien Féranec 7 I Treize petites enveloppes bleues Qui n’a jamais rêvé de partir à l’aventure muni d’un unique sac à dos et d’une carte de crédit ? Ginny, 16 ans, relève le défi que lui propose sa tante Peg dans son testament : treize enveloppes lui indiquent les destinations où se rendre. A chaque escale elle devra accomplir une mission. Elle se rend à Londres demander à un certain Richard ce qu’il a vendu à la reine d’Angleterre, à Rome pour inviter un jeune homme à manger un gâteau… A chaque étape, la jeune fille découvre un aspect de la personnalité de sa tante, mûrit au contact des personnes qui croisent son chemin, et découvre les différents modes de vie européens. Il ne s’agit pas d’un voyage paisible, mais d’un véritable marathon qui nous emporte dans sept pays en l’espace de trois semaines. Ne dit-on pas que « les voyages forment la jeunesse » ? Ce proverbe prend ici toute sa mesure. Un bon livre accroche. ■ Emmanuelle Jair Maureen Johnson Trad. de l’anglais (Etats-Unis) par Julie Lopez Gallimard jeunesse, 2007 344 p. 13 € 978-2-07-057467-4 Genre Roman initiatique Mots clés Voyage 8 I Mauvais rêve Simon, quinze ans, a le don de sculpter les rêves et commence à travailler pour un institut qui vend du rêve sur mesure. Lorsque l’entreprise est rachetée par un homme d’affaires italien, le jeune homme découvre que son travail, qui lui permet de réussir socialement et d’accéder à la célébrité, peut aussi influer sur le cours des choses. Dans un style simple, avec une intrigue linéaire et captivante, Christian Léourier évoque ici les dangers d’une société où l’individu serait contrôlé jusque dans ses loisirs. Le héros adolescent se laisse dans un premier temps séduire par l’argent et le vedettariat, mais une amie réveille sa vigilance. Mauvais rêve trouve sa juste place dans la collection « Autres mondes » de Mango, qui souvent dénonce les dérives et les manipulations du pouvoir liées aux nouvelles technologies. Un livre passionnant. ■ Laurence Guillaume Lecture Jeune - juin 2007 Christian Léourier Mango, 2006 (Autres mondes) 191 p. 9€ 978-2-7404-2081-2 Genre Science-fiction Mots clés Manipulation Rêve Pouvoir 35 LJ122_P31-41.qxd 36 31/05/07 20:25 Page 36 Livres accroche 9 I Sous le vent de la liberté : Lumières d’Amérique, T.1 Chasseurs et proies, T.2 Les temps cruels, T.3 Christian Léourier Bayard jeunesse, 2005-2006, 407 p., 405 p., 475 p. 11,90 € 978-2-7470-1082-5 978-2-7470-1128-3 978-2-7470-1127-5 Genre Roman historique Roman d’aventure Mots clés Esclavage Marine Révolution En 1780, à la mort de son père, Jean de Kervadec est dépouillé de son héritage par son oncle. La vente de la propriété familiale à un négociant ne peut être annulée. Notre héros s’engage alors dans la Royale, est enrôlé de force dans l’armée anglaise pendant la guerre d’indépendance, se retrouve au Canada et vit pendant deux ans dans une tribu indienne. Dans le deuxième tome, il retrouve celle qu’il aime mariée à son frère. Désespéré, il reprend la mer, ignorant que le navire participe au trafic du « bois d’ébène ». Capturé par des pirates, il gagne la confiance de leur chef et, devenu capitaine, découvre l’Asie. Le troisième volume débute en 1791. A Saint-Domingue, Jean rencontre Toussaint Louverture à la tête d’une révolte pour l’abolition de l’esclavage. De retour à Paris sous la Révolution, il se trouve mêlé à l’assaut des Tuileries, aux massacres de septembre 1792 et à la mort du roi Louis XVI. Il décide alors de quitter la France avec femme et enfants pour une nouvelle vie. Dans ce récit historique mouvementé et passionnant, bien mené et très pédagogique, la petite histoire rejoint la grande. Le lecteur découvre l’ordre social sous la monarchie, l’esclavage et la traite des Noirs, le massacre des tribus indiennes en Amérique… Ce roman a également le mérite d’apprendre au lecteur à ouvrir les yeux et les oreilles pour écouter et respecter l’autre. ■ Agnès Donon 10 I Faire et défaire Mathis Thierry Magnier, 2007 (Nouvelles) 178 p. 9,50 € 978-2-84420-545-2 Genre Nouvelles Mots clés Relation père/fils Monde ouvrier Adolescence En dix nouvelles, Mathis esquisse ici le portrait d’un adolescent comme les autres, fan de science-fiction et de foot, mais qui n’hésite pas à donner un coup de main à son père maçon le samedi. Démolir une cheminée, installer une salle de bain, monter un mur brique après brique : la tâche est rude mais gratifiante. D’un chantier à l’autre, Thomas découvre le plaisir du travail bien fait et le sens du service, mais surtout son père sous un autre jour : un homme qui inspire le respect, exigeant avec lui-même comme avec son fils, patient, généreux, attentionné avec les personnes âgées. Il expérimente également le monde des adultes et ses petits travers, un vieil homme qui boit en cachette de sa femme, un bûcheron qui détourne du bois coupé, et se sent de plus en plus décalé par rapport à ses copains de lycée. Ce recueil de nouvelles d’inspiration autobiographique dépeint avec réalisme et authenticité le monde des Lecture Jeune - juin 2007 LJ122_P31-41.qxd 31/05/07 20:25 Page 37 Littératures travailleurs manuels : le poids des parpaings sur les épaules, la poussière sur les visages, la brûlure des paumes de main, tout sonne juste, y compris les dialogues bourrus. C’est surtout un beau témoignage d’amour d’un fils pour son père, d’une pudeur rare. ■ Anne Lanchon Nouvelle collection : Faire et défaire paraît chez Thierry Magnier dans la collection « Nouvelles » dirigée par Mikaël Ollivier, qui souhaite réhabiliter le genre de la nouvelle et attirer les lecteurs qu’impressionnent les gros pavés. Tous les registres y sont représentés, du polar à la SF en passant par le roman intimiste ou fantastique. Trois autres titres sont parus dans cette collection : Scènes de crime, de Brigitte Aubert, Avec la langue, d’Adam Bagdasarian et La revanche de l’ombre rouge, de Jean Molla. ndlr 11 I Sorcier ! : Menteurs, charlatans et soudards, T.1 Le Frélampier, T.2 Le premier temps du chaos, T.3 A 16 ans, Finn, fils présumé du grand sorcier Miricaï, rejoint l’école des sorciers de Lur. Il y ânonne des incantations incompréhensibles et, de peur qu’on découvre qu’il est un usurpateur, prend la fuite, ignorant que les magiciens de Lur comptaient sur lui pour leur apprendre le langage des sorciers dont ils ont perdu l'usage. Des frères guerriers se lancent à ses trousses. Pour leur échapper, Finn, malin, se fait passer pour un maître sorcier hors pair. Mais à T’Noor, un autre sorcier, Larix Vibur, veut aussi mettre la main sur lui… Siki-Siki, la fille du baron de T’Noor, le protège et lui révèle la dernière prophétie du grand devin : il est le « frélampier ». Il doit vivre pour générer le chaos, d’où naîtra un nouveau monde. Elle l’aide à fuir. À Hibbah, chez Sambuc le despote, Finn révèle que les sorciers n’ont aucun pouvoir. Le dictateur décide alors d’envahir les contrées voisines. Commence le temps du chaos… Pourchassé par les notables de toutes les régions où il est passé, Finn file vers les forêts septentrionales où, dit-on, vivent d’épouvantables dragons. Il n’y rencontre qu’un peuple dominé par le mage Marceldupon, qui prétend dialoguer avec les dieux. Moka dévoie ici les clichés et les motifs du genre de la « fantasy ». Finn n’a rien d’un preux chevalier. Ingénieux et impertinent, il est aussi roublard et souvent antipathique. L’univers moyenâgeux dans lequel il évolue est d’une grande complexité, peuplé de rites et de noms étranges, mais s’écarte peu à peu de son obscurantisme initial. D’ailleurs, si la magie est omniprésente dans le récit, elle n’existe que dans la croyance Lecture Jeune - juin 2007 Moka L’école des loisirs, 2006-2007 (Neuf) 205 p., 224 p., 196 p. 9,80 €, 10 €, 9,50 € 978-2-211-08322-6 978-2-211-08472-9 978-2-211-08644-8 Genre Fantasy Humour Mots clés Magie Initiation 37 LJ122_P31-41.qxd 38 31/05/07 20:25 Page 38 Livres accroche populaire. Elle est en revanche un formidable levier de l’ordre politique. Outre une quête initiatique originale, c’est en définitive un monde archaïque aux prémices de sa Révolution que dépeint Moka. Elle parvient également grâce à une intrigue complexe, pleine de rebondissements et à un humour fin, qui joue sur les mots, les noms, les références et la dérision, à faire de cette série un divertissement jubilatoire pour de bons lecteurs. ■ Cécile Burgard 12 I Hélène Montardre Rageot, 2007 331 p. 15 € 978-2-7002-3271-2 Genre Roman d’aventure Science-fiction Mots clés Environnement Réchauffement climatique Depuis la disparition de ses parents, Flavia habite avec son grand-père près d’une dune que menace l’océan. Persuadé que son avenir est de l’autre côté de l’Atlantique, son grand-père l’oblige à partir clandestinement pour New York où les réfugiés ne sont pas bienvenus. Elle y rencontre des scientifiques européens qui rassemblent des données pour protéger les hommes de la montée des eaux, mais également Chris, un jeune Américain dont elle tombe amoureuse. Ce voyage est l’occasion pour Flavia de faire des choix, de mûrir, de sortir du cocon tissé par son grand-père et de s’ouvrir au monde. Les oiseaux, signes de la montée des eaux, en représentent le fil conducteur. L’héroïne se découvre un lien avec eux qui devrait se préciser dans les tomes suivants. Dans une société à peine futuriste, marquée par le réchauffement climatique, les adolescents s’interrogent et s’engagent pour construire leur avenir. D’une façon un peu simpliste peut-être, l’auteur dépeint une société américaine renfermée sur elle-même et des Européens qui ne parviennent pas à s’entendre. Mais les jeunes lecteurs pourront y trouver matière à réflexion citoyenne. ■ Laurence Guillaume 13 I Kenneth Oppel Trad. de l’anglais (Canada) par Danièle Laruelle Bayard jeunesse, 2004-2006 (Estampille) 497 p., 518 p. 13,90 € 978-2-7470-1420-7 978-2-7470-2114-9 La prophétie des oiseaux : Océania, T.1 Fils du ciel Brise-ciel Les héros de Kenneth Oppel semblent particulièrement à l’aise dans les airs. Avec la trilogie Silverwing, Sunwing et Firewing, le lecteur suivait avec délices les tribulations de chauve-souris. Il est convié avec ces deux ouvrages à voyager à bord de dirigeables en compagnie de Matt Cruse, garçon de cabine puis stagiaire à bord d’aérostats, et de son amie Kate de Vries, fille de milliardaire, intrépide chercheuse d’animaux mystérieux. Leurs aventures les mènent dans le premier tome sur une île à la recherche d’un énigmatique spécimen animal, et dans le second en quête de l’épave d’un engin volant mythique et de son trésor. Les péripéties se Lecture Jeune - juin 2007 LJ122_P31-41.qxd 31/05/07 20:25 Page 39 Littératures succèdent à un rythme qui ne laisse pas de répit au lecteur. Les dialogues sont vifs et enlevés, les caractères tranchés sans être caricaturaux. Les deux héros, téméraires et opiniâtres, mûrissent au fil du temps et éprouvent les affres des premiers émois amoureux. Ils évoluent dans un univers « steampunk » très original, où l’on croise d’incroyables machines, où les aérostats remplacent les avions avec un naturel surprenant et où l’appât du gain déchaîne les passions. Ce roman d’aventure qui croise paradoxalement les influences de Jules Verne et de Miyazaki (Le château dans le ciel) déroule une intrigue chronologique, claire. Rédigé sous forme de carnet de voyages à la première personne par le jeune Matt, il emportera aisément l’adhésion des jeunes lecteurs. Un livre palpitant et inventif, que demander de plus pour les vacances ? ■ Marie-Françoise Brihaye 14 I Genre Roman d’aventure Science-fiction Mots clés Aviation Le violoniste Gabrielle Vincent, artiste humaniste, a laissé à la postérité ses magnifiques albums. Le violoniste est une merveille de sensibilité et de sobriété grâce, entre autres, à ce trait de fusain si signifiant. Un homme, seul, joue du violon accompagné par le regard d’un jeune garçon, au travers d’une vitre. Les regards nous parlent à nous lecteurs mais ne se croisent pas encore. L’homme, nous l’apprenons au fil de l’album, est un artiste raté aux yeux de son père, qui régulièrement lui signifie par courrier sa petitesse. Il n’est qu’un petit prof de musique, comme il dit. L’enfant, que l’adulte finit par découvrir, s’ouvre peu à peu à la musique et le violoniste se redresse en faisant fi de la vindicte paternelle. Choix de vie, vocation musicale et destinée, partage et transmission sont les thèmes magnifiquement portés par la main de Gabrielle Vincent. Ils devraient faire écho aux questionnements juvéniles. L’élégance, la souplesse et la précision des expressions et des traits donnent vie à ces personnages en quête de bonheur, d’amour et de reconnaissance. Nous sommes bouleversés. ■ Michelle Charbonnier Lecture Jeune - juin 2007 Gabrielle Vincent Rue du monde, 2006 120 p. 26 € 978-2-91556-968-1 Genre Album Mots clés Musique Relation père/fils 39 LJ122_P31-41.qxd 31/05/07 20:25 Page 40 40 Parcours de lecture Livres accroche BD 15 I Tsugumi Ohba Ill. de Takeshi Obata Trad. du japonais par Myloo Anhmet Dargaud, 2007 (Dark Kana) 197 p. 5,95 € 978-2-5050-0032-8 978-2-5050-0042-5 978-2-5050-0079-2 Genre Shonen manga Thriller Mots clés Mort Bien/Mal Ryûk, un dieu de la Mort, laisse tomber sur terre son death note (cahier de la Mort). Il suffit d'y noter le nom d'une personne pour qu'elle décède d'une crise cardiaque. Le carnet est ramassé par Light Yagama, un jeune lycéen talentueux, qui va s'en servir pour établir un monde idéal : il veut jouer le rôle de Dieu en tuant tous les criminels. Devant cette vague de décès incompréhensibles, Interpol fait appel à un adolescent surnommé L, capable de résoudre toutes les affaires. Commence alors un incroyable face-à-face. Death note est la nouvelle série phare au Japon. Elle ne compte que douze volumes. On retrouve avec un grand plaisir le dessin de Takeshi Obata après son dernier succès Hikaru no go. Tout l'intérêt de ce manga réside dans le duel entre les deux personnages principaux, d'un côté Light, le héros assassin et de l'autre L, le détective à l'air dépressif. L'intrigue est très bien menée, les rebondissements se multiplient. Le lecteur découvre peu à peu les subtilités d'utilisation du death note, au même rythme que le héros. Sans aucun doute, le manga événement de ce début d'année ! ■ Sébastien Féranec 16 I Tomo Taketomi Trad. du japonais par Thibaud Desbief Dargaud, 2006 (Big Kana) 7,35 € 978-2-50500-011-5 978-2-50500-012-3 Genre Shonen manga Mots clés Famille Violence Aïkido Death note : T.1, T.2 et T.3 Evil Heart : T.1 et T.2 Umeo Masaki, le héros de ce nouveau manga, est un jeune garçon plein de violence. Il n’est pas le seul. Sa mère est en prison pour avoir poignardé son fils aîné qui la battait. Umeo et sa sœur vivent désormais seuls dans la maison familiale. Voilà un manga dont le propos va à coup sûr parler au public adolescent. Umeo ne veut pas hériter de cette brutalité familiale, mais se sent lui-même impulsif et violent. Torturé par sa nature et celle de son frère, il tente avec difficulté de trouver sa voie. Pourquoi pas celle de l’aïkido ? Il doit pour cela accepter que la force physique ne résout pas tout, et que le pardon est preuve de sagesse. L’apprentissage sera dur, long mais salutaire. Le trait, moins figé que dans certains mangas, donne une forte personnalité au dessin. Les visages des héros sont tout en mouvements et chargés d’émotions. De belles âmes viennent épauler Umeo perdu dans sa colère. Malgré des scènes de bagarres relativement violentes, le message positif fera réfléchir les lecteurs. Un très bon shonen émouvant, subtil, et prometteur. ■ Sonia Seddiki Lecture Jeune - juin 2007 LJ122_P31-41.qxd 31/05/07 20:25 Page 41 41 Parcours de lecture Livres accroche Documentaires 17 I Familles à la loupe : une histoire des parents et des enfants Claire d’Harcourt pointe son regard sur les personnages des tableaux et photos qui composent ce documentaire et les fait témoigner à la première personne. L’histoire des mœurs et coutumes liées à l’éducation des enfants devient passionnante dans ce livre ludique et attrayant : couverture cartonnée, couleurs vives, grand format. L’ouvrage se découpe en quatre grandes périodes, chacune s’appuyant sur des scènes familiales rencontrées dans les œuvres de l’époque, de l’Antiquité à nos jours. À l’issue de la lecture, un questionnaire fait appel à la mémoire du lecteur en reprenant les éléments isolés des pages précédentes. Le lexique enfin apporte des informations sur les tableaux présentés. Un regret persiste : l’auteur achève son périple dans les années 50, sans chercher dans l’art contemporain les traces de notre façon de vivre la famille aujourd’hui. ■ Elise Hoël 18 I Claire d’Harcourt Seuil, 2006 (Le Funambule) 61 p. 23 € 978-2-02-089310-X Mots clés Famille Histoire Relation enfant/parent Soleil, histoire à deux voix Connaissance scientifique et imagination ne s’opposent pas toujours, mais peuvent se compléter avec bonheur. Pour le démontrer, une expérience fut réalisée de 1975 à 1977 dans un collège de la banlieue parisienne auprès de 80 élèves, animée par l’astrophysicien Hubert Reeves, Jacques Véry, un professeur d’arts plastiques, et Eliane Lemierre-Dauphin, professeur de lettres. Après avoir écouté les propos d’Hubert Reeves sur l’univers et notre système solaire, les collégiens étaient invités à laisser libre cours à leur imagination par la peinture ou la poésie. Le livre inspiré par cette expérience se présente comme un très bel album. L’exposé scientifique est rédigé sous forme de questions-réponses dans un langage très simple. Il est illustré d’excellentes photographies astronomiques de la NASA, la plupart en pleine page : c’est tout l’intérêt de cette nouvelle édition. Il alterne avec les œuvres des collégiens – tableaux et poèmes –, elles aussi présentées en pleine page. Une brève bibliographie et une liste d’adresses utiles achèvent l’ouvrage. Ce livre est d’un accès facile pour les jeunes lecteurs, mais du strict point de vue documentaire, un peu superficiel. Il manque également cruellement d’un index. En réalité, il incite à rêver plus qu’il n’informe. ■ Jean Ratier Lecture Jeune - juin 2007 Hubert Reeves, Jacques Véry et Eliane Lemierre-Dauphin Seuil, 2006 126 p. 18 € 978-2-02-090676-7 Nouvelle édition, mise à jour et remaquettée (1ère édition, La Noria,1976, 2e édition, La Nacelle 1977) Mots clés Astronomie Planète LJ122_P42-55.qxd 31/05/07 20:20 Page 42 42 Parcours de lecture Et après Littératures 19 I Shaïne Cassim Thierry Magnier, 2006 175 p. 8€ 978-2-84420-488-0 Genre Roman intimiste Mots clés Amour Famille Romy et sa grande sœur Ava vivent à l'aise dans leur grande maison, alors que leur mère s'étiole à ne rien faire depuis le départ de leur père. Romy est en hypokhâgne, Ava tient la boutique de décoration familiale. Accompagnée de Ferdinand, son meilleur ami amoureux d'elle, Romy cherche un sens à sa vie. Elle déclare son amour à Athanaël Delphus, le proviseur du lycée. Ecrit à la première personne, ce roman empli de sentiments colorés, parfois ambigus, dépeint avec justesse les questionnements de jeunes adultes issues d’un milieu un peu « bobo ». Certes, cet environnement n’est pas celui de tout le monde, mais les sentiments ici décrits toucheront les lectrices. L’évocation des tissus, qui utilise magistralement toute la palette du registre lexical (couleurs, toucher…) apporte une sérénité à ce roman un peu hors du temps. ■ Laurence Guillaume 20 I Fabrice Colin Hachette jeunesse, 2006 310 p. 12 € 978-2-01-200902-6 Genre Roman d'aventure Fantastique Mots clés Japon XIXe siècle Deux sœurs en décembre Le réveil des dieux Nous sommes en 1888. Le jeune Errol Steel, pensionnaire au collège Sugarawa de Tokyo, apprend que son père, diplomate, vient d’être arrêté pour trahison vis-à-vis de l'Empereur. Alors qu'il tente de lui porter secours, il rencontre Tosho Daigongen, l'âme de Tokyo, qui lui révèle qu'il peut sauver la ville d’un futur cataclysme. Errol se trouve face à un terrible dilemme : doit-il privilégier son père ou les dix millions d’habitants de la capitale ? Ce roman est une grande réussite, car Colin décrit parfaitement le contexte historique et culturel de l’époque. En 1876, les Britanniques ont en effet profité d'un tremblement de terre pour accaparer tous les pouvoirs au Japon. Dans Le réveil des dieux, des groupuscules tentent de lutter contre l’envahisseur occidental en multipliant les attentats. S’y ajoutent la chute d'une météorite et la découverte d'un nouveau métal, l'Antélium. Les personnages secondaires ont tous une personnalité et une histoire très riches, avec une mention particulière pour les frères ennemis, le sorcier Ikaru et le funambule Ookajiro. Tous ces éléments tissent une toile complexe où le jeune héros tente de réussir une mission, qui semble trop lourde pour lui. ■ Sébastien Féranec Lecture Jeune - juin 2007 LJ122_P42-55.qxd 31/05/07 20:20 Page 43 43 21 I Rien dire A l’occasion d’un stage de préparation au bac, Brahim, issu d’une famille d'origine maghrébine qui apparaît comme un modèle d’intégration, doit « se raconter » devant les autres, en donnant libre cours à ses pensées. Il a le sentiment de n’avoir rien à dire. Pourtant, au fil des pages, le jeune homme livre ses sentiments sans retenue : il exprime son attirance pour l’Allemagne depuis le départ de son oncle pour ce pays, son goût pour la pâtisserie dont il veut faire un métier, son affection pour sa grand-mère, son angoisse d’avoir un trou à ses chaussettes… Peu à peu, le lecteur devine que ces pensées expriment un vide plus profond, une absence. Le temps pour une bougie de se consumer, Brahim nous dit tout de sa vie d’adolescent, de ses doutes, de ses inquiétudes. Il s’agit d’un récit intime, mais les préoccupations du narrateur toucheront les jeunes lecteurs par leur caractère universel. ■ Laurence Guillaume Nouvelle collection : Actes Sud junior lance en mars 2007 la collection « D’une seule voix » dirigée par Jeanne Benameur et Claire David, « des textes à murmurer à l’oreille d’un ami, à hurler devant son miroir, à partager avec soi et le monde ». Outre Rien dire, sont parus à ce jour Kaïna-Marseille (voir notice n° 34), Le Ramadan de la parole, de Jeanne Benameur et Quand les trains passent…, de Malin Lindroth. Ce dernier a fait débat. ndlr 22 I Bernard Friot Actes Sud junior, 2007 (D’une seule voix) 94 p. 7,80 € 978-2-7427-695-6 Genre Monologue Mots clés Père Immigration Adolescence Choses qui font peur Au XIe siècle, une dame de la cour impériale japonnaise, Sei Shônagon, écrit le soir dans le silence de sa chambre, saisissant « au courant du pinceau » toutes les images, les idées et les réflexions parfois répétitives ou contradictoires qui s’offrent à son esprit. Ces « notes de chevet » constituent le premier sôshi, genre intime et libre qui propose au lecteur des listes de « choses ». Choses qui font battre le cœur, dont on n’a aucun regret, qui frappent de stupeur, qui émeuvent profondément, que l’on a grande hâte de voir ou d’entendre, choses qui font peur. Troublant et mystérieux, l’album de Bruno Gibert et Pierre Mornet se présente d’abord comme un texte seul, à la mise en page déroutante : sur fond brun, les mots s’inscrivent en blanc et vermillon, énumérant les frayeurs enfantines. Une sensation dans la bouche - celle de la dent qui bouge toute seule, va partir - réveille les terreurs enfouies : peur de l’ombre, peur de disparaître, frissons délicieux de l’imagination, peur de vivre, peur de grandir. La dernière phrase revient au point de départ, cette dent qui bouge et apparaît désormais comme le signe rassurant de la vie qui continue. Mais cette voix, à qui appartient-elle ? Est-ce celle de la petite fille qui, sur Lecture Jeune - juin 2007 Bruno Gibert Ill. de Pierre Mornet Autrement, 2006 48 p. 14,50 € 978-2-7467-0745-4 Genre Sôshi (énumération poétique au Japon) Album Mots clés Enfance Phobie LJ122_P42-55.qxd 44 31/05/07 20:20 Page 44 Et après la couverture, repousse d’invisibles peurs ? Ce n’est qu’en dépliant les rabats secrets de l’album qu’on retrouve l’enfant dans les étranges et magnifiques tableaux de Pierre Mornet. Nouvelle Alice vêtue de rouge, la minuscule fillette s’échappe d’un œil ouvert. Au pays des cauchemars, elle grandit près d’une mère sévère, fuit les oiseaux, sombre dans l’eau parmi les poissons, se dédouble parfois. Chaque planche répète des éléments de la précédente jusqu’à la dernière image : autour de la jeune fille endormie figurent tous les objets finalement inoffensifs qui ont généré ses craintes : un oiseau, des poissons rouges, et même le livre Choses qui font peur, abandonné sur le lit. Un voyage sensuel et intime dans nos peurs secrètes. ■ Charlotte Plat 23 I Pierre Grimbert Octobre, 2006 (Croix des Fées) 267 p. 18 € 978-2-915621-15-2 Genre Fantasy Humour Roman d'aventure Le prophétionnel : La théorie du bouclier, T.1 Etre son propre éditeur donne à Pierre Grimbert une liberté certaine. Il la prend avec cet ouvrage de fantasy humoristique, marquant une rupture avec ses précédents cycles de facture classique. Ulser de Brise-Camail vit dans une période de paix où il est impossible d’envisager de combattre contre des forces du mal, en sommeil, et d’obtenir la main de sa dulcinée, courtisée par un tueur de dragons autoproclamé… Heureusement, notre héros découvre qu’il est un « prophétionnel » : un personnage capable de rendre caduques les prophéties. Il fallait le trouver ! L’amour aidant, Ulser se lance, contre l'avis de tous, dans l’accomplissement d’une prophétie, treize ans à l’avance ! Pierre Grimbert s’amuse au fil du récit à tourner en dérision les clichés et ressorts classiques d’un récit d’héroic fantasy. Il anime ici une galerie de personnages, antihéros cocasses (un chevalier benêt et peureux, une amazone efficace mais fort naïve, un voleur pas doué…) et leur donne à vivre une quête mouvementée mais drôle. Ce livre de lecture facile fait passer un bon moment et s’apprécie d’autant mieux qu’on en saisit le second degré. L'auteur parodie sans méchanceté ni vulgarité un genre qu’il maîtrise parfaitement. Peut-être compte-t-il suivre les voies ouvertes par Terry Pratchett ? ■ Marie-Françoise Brihaye Réseau de lecture : ce livre évoque l’humour parodique et burlesque de Monty Python sacré Graal de Terry Gilliam et Terry Jones. 24 I Le voyage de Mosca Que peut une jeune orpheline, fille d’un penseur engagé dans une bataille perdue pour la liberté d’expression, sinon fuir ? Fuir l’ennui d’un village rongé d’humidité en compagnie de la fidèle oie Sarrasin. Héroïne Lecture Jeune - juin 2007 LJ122_P42-55.qxd 31/05/07 20:20 Page 45 Littératures picaresque lancée à 12 ans sur les routes d’une campagne vaguement anglaise, capable de survivre dans les pires circonstances, Mosca se méfie de tout ce qui peut entraver sa liberté. Elle fait cependant équipe avec un compagnon de hasard, Eponyme Clent, « vieux matou gras et coquet… de longues griffes et pas de crocs ». Elle est surtout prête à risquer sa vie pour des idées. Rocambolesques, pleines de suspense, les aventures s’enchaînent comme les lettres de l’alphabet jusqu’au chapitre « U Comme Urgence », dans lequel Mosca résout toutes les énigmes. Ce roman, qui est en réalité un conte, soulève des questions capitales dont le siècle des lumières a largement débattu. Comment les idées subversives peuvent-elles mettre en péril la religion et l’autorité ? En quoi réside le danger des livres, « capables d’incendier les châteaux de l’âme et de changer la couleur du ciel » : dans les idées qu’ils véhiculent ou la pensée des lecteurs qu’ils mettent en mouvement ? Ce livre devrait séduire des adolescents : héros résolument optimistes, méchants éliminés, combats, complots, luttes aussi impitoyables que celles des gangs… Et derrière tout cela une réflexion sur les enjeux des écrits, sur le lien indissoluble entre liberté de conscience et liberté d’expression. ■ Nicole Wells Autre avis : Ce roman extrêmement riche emporte l’adhésion tant l’auteur a apporté un soin particulier au moindre détail. L’histoire est à la fois complexe et clairement expliquée. Les personnages ne sont pas de simples marionnettes s’agitant devant un décor, mais des acteurs impliqués malgré eux dans la marche du Royaume divisé. La religion des Biens-Aimés y tient une place importante ainsi que les guildes professionnelles (Papetiers, Serruriers, Oiseleurs, Bateliers…) et le Parlement, censé élire celui qui est destiné à monter sur le trône. Cette réflexion sur le pouvoir, la tolérance, la liberté d’expression peut se lire aussi comme un récit picaresque. L’intrépide héroïne, aussi roublarde qu’intelligente, entraîne le lecteur dans sa course au gré de bons mots et d’une rage de vivre communicative. Malgré misère, pluie et complots, on rit beaucoup en lisant ce livre qui emprunte au conte philosophique sa force de dénonciation. Une belle réussite. ■ Sandrine Brugot-Maillard 25 I 45 Frances Hardinge Trad. de l'anglais par Philippe Giraudon Gallimard Jeunesse, 2006 425 p. 16,50 € 978-2-07-057485-7 Genre Roman d'aventure Conte Mots clés Liberté d'expression Religion La théorie de la relativité Depuis quelques semaines, Dylan vit dans la rue. Sa mère l’a jeté dehors et depuis il essaie de survivre à la faim et au froid, dans la crasse. Il découvre un monde hostile, peuplé d'êtres interlopes, qui possède ses propres lois et où la drogue et la prostitution règnent en maîtres. L’ambiance de ce récit évoque L’herbe bleue ainsi que Junk, de Melvin Burgess (voir LJ n°87), où l’on côtoie des adolescents à la rue, livrés à eux même et surtout à la drogue. Sauf qu’ici, le personnage principal reste à Lecture Jeune - juin 2007 Barbara Haworth-Attard Trad. de l'anglais (Canada) par Jean Esch Thierry Magnier, 2007 287 p. 10,50 € 978-2-84420-519-4 LJ122_P42-55.qxd 46 31/05/07 20:20 Page 46 Et après Mots clés Drogue Désespoir Exclusion la marge de cet univers qui tente de l’engloutir. Son regard singulier et sa résistance au monde qui l’entoure en font une personnalité touchante. Un livre qui se dévore et n’épargne pas son lecteur, en montrant de façon crue les difficultés que rencontrent les SDF. ■ Juliette Buzelin 26 I Lian Hearn Trad. de l'anglais par Philippe Giraudon Gallimard, 2007 622 p. 23 € 978-2-07-057903-7 Genre Epopée Mots clés Japon Vu le succès de la trilogie originale (voir LJ n°107,108,113), on pouvait craindre une suite purement commerciale. Il n'en est rien. Nous retrouvons ici avec un grand plaisir Takéo, devenu seigneur des Trois Pays, aux côtés de son épouse Kaedo. Il a eu la chance d'avoir trois filles : Shigeko l'aînée, puis des jumelles Maya et Miki. Mais ce bonheur est assombri par l'arrivée d'un émissaire de l'empereur des Huit Îles et de son général, qui lui demande de se démettre. Par ailleurs, le rebelle Akio élève Hisao, le fils caché de Takéo, dans la haine de celui-ci. La prophétie, qui annonce que Takéo sera tué par son fils, est en marche... Tous les éléments qui ont fait le succès des trois premiers tomes sont à nouveau réunis : les amours impossibles, les trahisons, les complots, les batailles épiques, les secrets dissimulés, les morts héroïques... L'intrigue est toujours aussi complexe, le nombre de personnages secondaires impressionnant et tous jouent un rôle qui s'avère déterminant au final. Ce quatrième tome conclut avec brio la série du Clan des Otori. ■ Sébastien Féranec Le Vol du héron a obtenu en mai le prix Imaginales 2007 dans la catégorie « œuvre pour la jeunesse ». ndlr 27 I Suzanne Lebeau Théâtrales jeunesse, 2006 80 p. 7€ 978-2-84260-233-1 Genre Théâtre Mots clés Handicap Rébellion Le clan des Otori : Le vol du héron, T.4 Petit Pierre La pièce est inspirée de l’histoire véridique de Pierre Avezard (19091992), handicapé de naissance. A partir de matériaux recyclés, Pierre crée un manège actionné par un mécanisme improbable, et attire dans son village une foule de visiteurs. Suzanne Lebeau s’empare de cette vie exemplaire, « Rien qu’une légende, dis-tu ? Tu ne veux que des faits ? Les faits sont périssables, crois-moi, seule la légende reste… ». Parce qu’il ne peut travailler, penser comme les autres, « Petit Pierre » pose des questions qui dérangent et y répond à sa manière : d’où naît le plaisir ? Qu’est-ce que l’intelligence ? Pendant ce temps le monde tourne, l’exploitation de l’homme par l’homme fait rage, d’une guerre à l’autre, de krach boursier en crise politique. Le manège de Petit Pierre rend visible Lecture Jeune - juin 2007 LJ122_P42-55.qxd 31/05/07 20:20 Page 47 Littératures celui du monde et en démontre la futilité. La pièce est aussi improbable que le manège. Trois personnages racontent une vie, et à l’arrière-plan les soubresauts d’un siècle. La narration est prise en charge par deux conteuses. Petit Pierre est à peine entrevu tandis que les objets qu’il construit envahissent l’espace de la scène. Le texte est néanmoins très théâtral. Les conteuses renouent avec la tradition du théâtre grec et telles un chœur antique, chantent les souffrances humaines. Elles dialoguent entre elles, interpellent les personnages, font surgir des ombres qui disparaissent aussitôt. Le langage, d’une simplicité épique, célèbre la grandeur et la misère de l’homme. Poétique, incantatoire, il accompagne le rythme d’une respiration emportée par les larmes ou l’indignation. « Ils arrêtent sans se poser de questions, emprisonnent, déportent, hommes, femmes et enfants, par rues, par quartiers, par villes… Parce que le nez ne leur plaît pas, parce que les cheveux sont noirs, que le sourire est ironique ou le regard étonné. » Ce texte va à l’essentiel. Dans la lignée du Petit Prince, il s’adresse à tous publics et offre en spectacle un héros qui trouve en lui la force de résister à l’ordre collectif, machine à broyer tous ceux qui sont différents. Il faudrait le mettre en réseau avec le reste de l’œuvre de Suzanne Lebeau pour découvrir la richesse et la dignité d’un théâtre destiné à la jeunesse. ■ Nicole Wells 28 I Les larmes noires Dans une forme qui emprunte au théâtre - liste des protagonistes, didascalies… - Les larmes noires donne la parole à douze personnages. Chacun d’eux raconte la façon dont il a vécu, en 1859 en Géorgie, la plus grande vente aux esclaves organisée jusqu’alors, celle de la plantation Butler. Maîtres, esclaves, acheteurs, cet événement marquera leur vie à tout jamais. Le récit se construit autour de la figure d’Emma, jeune esclave vendue ce jour-là malgré l’attachement que lui portent les enfants de la famille Butler. Il alterne les dialogues des protagonistes de l’époque et des interludes, paroles de ceux qui ont vieilli et se souviennent. La galerie de personnages donne un rythme singulier à l’ouvrage. Elle permet surtout une lecture très riche des faits, même si dans sa diversité elle n’évite pas quelques portraits attendus. Peu importe, c’est bien l’émotion qui émane de ce récit tragique et cruel. Le destin d’hommes et de femmes dignes, courageux, en colère, nous touche infiniment et nous rappelle la violence de l’histoire américaine. L’auteur, qui s’est s’inspiré de faits réels, a travaillé à partir de documents historiques. Il reproduit ici la liste originale de la vente : « Numéro 347 - Tom, vingt-deux ans ; champ de coton. Vendu 1260 dollars »… ■ Hélène Sagnet Lecture Jeune - juin 2007 Julius Lester Trad. de l’anglais (Etats-Unis) par Raphaële Eschenbrenner Hachette jeunesse, 2007 (Black Moon) 140 p. 12 € 978-2-0120-1337-7 Genre Roman historique Mots clés Esclavage Racisme Etats-Unis 47 LJ122_P42-55.qxd 48 31/05/07 20:20 Page 48 Et après 29 I Carrie Mac Trad. de l'anglais (Canada) par Dominique Piat Actes Sud junior, 2007 351 p. 13,80 € 978-2-7427-6360-3 Genre Roman psychologique Mots clés Adolescence Violence Amitié Zoé, lycéenne de seize ans, vient d'arriver avec sa mère, lunatique et irresponsable, et sa petite sœur dans une petite ville de l'ouest du Canada. Très vite elle est happée par une bande dirigée par Beck, véritable tyran, cruelle et perverse. Leur souffre-douleur est April, surnommée « Dog » à cause de son amour pour son chien et parce qu'on la traite comme tel. Il faudra du temps et du courage à Zoé pour se révolter, alors qu'elle s'est crue forte en supportant d'être marquée au fer rouge pour faire partie de cette bande infernale. Quand April est laissée mourante sous les coups et les brûlures et que son chien est tué, Zoé se décide enfin à appeler la police. Ce récit angoissant jusqu'au bout fait très bien apparaître les ressorts d'une bande : soumission à un chef, bêtise, cruauté et lâcheté (celle des membres du groupe comme celle de ceux qu'elle menace). Les adultes ne sont pas ménagés non plus : religiosité bébête, morale hypocrite, refus d'affronter la vérité, égoïsme. Ni Zoé ni ses amis, ni les parents ni les professeurs ne sont tout à fait coupables ou innocents. Un roman parfois insupportable, mais allégé par l'amitié, l'intelligence, l'humour de Zoé et des trois garçons qui lui viennent en aide, l'affection des petits frère et sœur, la volonté de s'en sortir. Voilà une œuvre complexe et forte qui fait réfléchir et prend les adolescents au sérieux. ■ Gilberte Mantoux Réseau de lecture : sur le même thème, on pourra recommander Sa Majesté des mouches, de William Golding (Gallimard jeunesse, coll. Folio Junior, voir LJ n°95), Petit comique deviendra grand, de Jonas Gardell (Gaïa, voir LJ n°105) et Faire le mort de Stefan Casta (Thierry Magnier, voir LJ n°112). ndlr 30 I Joyce Carol Oates Trad. de l’anglais (Etats-Unis) par Diane Ménard Gallimard, 2007 (Scripto) 222 p. 9€ 978-2-07-057468-1 Genre Roman psychologique Mots clés Homosexualité Injustice Rumeur La bande de Beck Sexy Pour : Au lycée, il arrive souvent à Darren de sentir des regards appuyés se poser sur lui et d’en être gêné, surtout depuis qu’il s’est aperçu que son corps ne laissait pas les hommes indifférents. Séduisant, l’adolescent n’est pourtant pas très épanoui. Loin de vivre en héros les compétitions de natation où il excelle, il se sent seul, y compris dans sa famille. Le jour où Mr Tracy, son professeur de littérature, le ramène chez lui en voiture, Darren éprouve un malaise face aux encouragements et à l’intérêt manifestés par l’enseignant. Lorsqu’une rumeur commence à sourdre, Darren ne fera aucun geste pour s’y opposer. Dès lors, la mécanique du soupçon se déroule comme une tragédie grecque, transformant un professeur compétent et exigeant en bouc émissaire. Dans les esprits échauffés, l’amalgame se fait entre pédophilie et homosexualité. Victime de la haine générale pour s’être montré différent Lecture Jeune - juin 2007 LJ122_P42-55.qxd 31/05/07 20:20 Page 49 Littératures et sincère, l’enseignant se suicide. A la suite logique de Zarbie les yeux verts et Nulle et grande gueule (voir LJ n°105 et 112), Joyce Carol Oates décrit l’ambiance machiste et bienpensante du milieu sportif et des lycées aux Etats-Unis. Après le drame commencent les interrogatoires tendancieux de la police…Véritable machine à créer des coupables, comme le dénonçait Robert Cormier dans ses romans, l’arsenal judiciaire est en route, implacable. Le récit alterne le « je » des réflexions de Darren et la voix d’un narrateur externe, distancié. Une fin bien menée permet au jeune héros de racheter sa conduite passive et de rendre un dernier hommage à la victime de la haine collective. Ce roman fort, qui dénonce la vindicte populaire, se lit d’un trait. ■ Cécile Robin-Lapeyre Contre : Ce roman fait écho au précédent Zarbie les yeux verts. Amérique contemporaine à peine stéréotypée, personnages crédibles, situation tout à fait envisageable… On éprouve pourtant, comme pour ce dernier une sensation de déjà vu : tous les ingrédients y sont, mais peut être y en a-t-il trop, justement ! Joyce Carol Oates nous mène là où elle le désire certes, mais sans grande inventivité. ■ Michelle Charbonnier 31 I Point de côté Depuis que son frère jumeau est mort, Pierre survit. L’unique solution qu’il envisage pour s’en sortir, c’est le suicide. Il l’a même programmé. En attendant, chaque instant est douloureux, amer de solitude, entre deux parents noyés dans le chagrin et des « copains » de terminale ambigus, cruels ou insignifiants. Alors, Pierre écrit dans son journal ou se masturbe, lorsqu’il ne parvient plus à résister à son corps trop gras, qu’il déteste. Pour lui régler son compte, il commence à courir, des heures entières, dans le vague espoir de mourir d’inanition et d’épuisement. Il s’affame, maigrit, sans imaginer qu’il pourrait commencer à plaire et se découvrir un embryon de goût pour la vie. Il aimera alors un peu Geneviève, beaucoup le violon et passionnément Raphaël. Ce dernier lui fera prendre conscience que l’anorexie peut le tuer, et lui ôte son envie de mourir. Pour ce premier roman, écrit sous forme de journal intime, Anne Percin écrit un texte abouti, d’une rare justesse. Les thèmes récurrents, violents – le désir de mort, les pulsions de vie, la difficulté à se construire une identité –, sont abordés de manière frontale, sans fausse pudeur et sans lyrisme. Les motifs textuels enchevêtrés du corps et du cœur qui étouffent sont autant d’échos à la confusion du narrateur adolescent. Le ton, aigre et drôle à la fois, le style, oral et percutant, consolident avec finesse la chair d’un personnage éminemment attachant, qui ignore encore que sa rage de mourir cache une rage d’aimer et de vivre. La scène pivot du roman, dans laquelle le narrateur perçoit pour la première fois de manière négative son corps décharné, est certes un peu Lecture Jeune - juin 2007 Anne Percin Thierry Magnier, 2006 148 p. 8€ 978-2-84420-486-4 Genre Journal Mots clés Adolescence Homosexualité Résilience 49 LJ122_P42-55.qxd 50 31/05/07 20:20 Page 50 Et après maladroite, trop scénarisée : le parallèle entre la culpabilité de Pierre, survivant, et celle d’un rescapé de la Shoah, est alors trop appuyé. Mais ce défaut reste mineur en regard d’un texte sans compromis et finalement plein d’espoir. ■ Cécile Burgard 32 I Hélène Vignal Le Rouergue, 2007 (doAdo) 122 p. 7,50 € 978-2-8415-6797-3 Mots clés Amitié Deuil Adolescence Yvan meurt à dix-huit ans dans un accident de moto. Claire et lui ont grandi autrefois comme frère et sœur. Aujourd’hui elle est seule pour surmonter ce deuil, d’autant plus seule qu’elle ne le voyait plus depuis la séparation de leurs parents. « Il ne me parlait plus depuis six ans. Il me manquait depuis six ans. Il était déjà absent ». Face à la douleur de cette double perte, leur enfance définitivement perdue, une adolescence qu’ils ne construiront pas ensemble, Claire cherche à retrouver l’empreinte d’Yvan, quelque chose qui atteste « qu’il a existé ». L’adolescente ne peut rien espérer du côté de ses parents ni de ceux d’Yvan, responsables selon elle de leur éloignement. Elle convoque alors les souvenirs et les sensations de leur enfance commune puis rencontre Christophe, un ami d’Yvan, quelqu’un « qui le reconnaît enfin ». Une nouvelle fois, Hélène Vignal trouve le ton juste et dresse un portrait émouvant d’adolescent. La voix de Claire, sa souffrance à être et sa difficulté à sortir de l’enfance, son rejet du monde des adultes ont une tonalité sincère. L’auteur propose un texte tout en sensibilité, même si la langue semble parfois un peu trop ornée. ■ Hélène Sagnet 33 I Scott Westerfeld Trad. de l’anglais (Etats-Unis) par Guillaume Fournier Milan, 2007 (Macadam) 332 p. 9,50 € 978-2-7459-2610-4 Genre Horreur Mots clés Vampire New York Bière grenadine V-Virus Cal doit retrouver et neutraliser Sarah, l’une de ses ex-petites amies, qui souffre d’une étrange maladie. Sarah est en effet devenue à son contact un peep, une sorte de vampire qui contamine les autres par le biais de relations sexuelles. Lui est porteur sain de la maladie et n’en développe que des aspects positifs : force physique et hypersensibilité. Il a rejoint une puissante organisation secrète, qui depuis des millénaires « gère » la question des peeps. Mais Sarah semble être un vampire d’un genre nouveau et l’enquête menée par le jeune homme révèle des enjeux terribles. Dans un New York contemporain, Scott Westerfeld revisite de façon incroyable le mythe du vampire. Il en propose une version scientifique loin de toute magie : celle du parasite indispensable au bon équilibre alimentaire de la planète. Il nous livre d’ailleurs dans chaque chapitre pair des exemples réels – vraiment dégoûtants – de parasites et conclut par une postface « Comment éviter les parasites ». Evidemment nous y croyons et le récit fonctionne formidablement : impossible de stopper sa lecture ! Cela tient également à d’autres ingrédients : un personnage Lecture Jeune - juin 2007 LJ122_P42-55.qxd 31/05/07 20:20 Page 51 Littératures d’adolescent très attachant – banalement obsédé sexuel et contraint à l’abstinence – un humour noir décapant même dans les pires moments, un style efficace – phrases courtes, dialogues vifs, connivence avec le lecteur… – ainsi qu’une atmosphère singulière. Un ouvrage génialement effrayant et un auteur à suivre ! ■ Hélène Sagnet Autre avis : V-Virus est le quatrième roman de Scott Westerfeld traduit en français. Il est certain que cet auteur va devenir incontournable. Son style attrape le lecteur dès la première ligne pour ne plus le lâcher. Son héros Cal, baratineur, obsédé sexuel mais contraint au célibat, met sa logorrhée au service de la parasitologie : un chapitre sur deux est consacré à la description hilarante des trématodes, toxoplasmes, wolbachia et autres hôtes indésirables du corps humain ou animal. Nous sommes cernés par les parasites, c’est épouvantable, drôle et écœurant. Westerfeld dépoussière et modernise nos idées reçues sur les vampires pour en faire des cannibales et des bêtes traquées. Il leur ajoute quelques caractéristiques intéressantes, comme d’abominer ce qu’ils ont jadis adoré, ce qui humanise ces vampires new-yorkais terriblement crédibles. Ce roman vivifiant (un comble pour un livre sur les morts vivants !) donne envie de lire et de rire jaune en même temps. A recommander à tous ceux qui s’ennuient en lisant. ■ Sandrine Brugot-Maillard 34 I Kaïna-Marseille « Aujourd’hui est un jour premier. Aujourd’hui est un jour où je prends la parole. Aujourd’hui j’ai entre mes mains ta paix, grand-mère. Kaïna. Ou ton exil ». Kaïna, la grand-mère, a voulu « faire destin » pour sa petitefille Mamata. Elle a parlé de départ, de devenir une femme libre et lui a demandé de prendre la parole. Alors, dans un monologue qui se lit d’un souffle, la jeune fille raconte : l’autocar qui la conduit à la capitale, les « bordelleries » qu’il faut faire pour obtenir de faux-papiers, le départ pour la France. A Marseille, malgré la violence et la trahison de son cousin, Mamata devenue Isabelle Ternier « continue », pour l’enfant dans son ventre « qui vit déjà une vie de femme libre sans amertume ». Kaïna-Marseille est un ouvrage d’une grande force. Ces thèmes – la fin de l’enfance, l’identité de femme, la liberté et surtout la puissance de la parole – donnent une densité étonnante au récit. La langue et le rythme, superbes, nous transportent. La voix, juste, sereine et encore dans une forme d’urgence, est bouleversante. Une lecture intense et un destin qui, sans nul doute, toucheront les lecteurs adolescents. ■ Hélène Sagnet Ce texte a été mis en scène par Anne Morel Van Hyfte de la compagnie Sans Titre, à Poitiers, en mars 2004. ndlr Lecture Jeune - juin 2007 Catherine Zambon Actes Sud junior, 2007 (D’une seule voix) 64 p. 7,80 € 978-2-7427-6688-8 Genre Monologue Mots clés Afrique Liberté 51 LJ122_P42-55.qxd 31/05/07 20:20 Page 52 52 Parcours de lecture Et après BD 35 I Miriam Katin Trad. de l’anglais (Etats-Unis) par Vincent Bernière Seuil, 2006 136 p. 21 € 978-2-02-085064-8 Genre Autobiographie Roman graphique Mots clés Hongrie Antisémitisme Seconde Guerre mondiale Budapest, 1944 - 1945. Miriam, une fillette juive de trois ans, et sa mère fuient les persécutions nazies, tandis que le père a été enrôlé dans l’armée hongroise. Dans leur exode, elles sont accueillies par des paysans compréhensifs. La mère se prête à tous les sacrifices pour sauver leurs vies. Elle subit ainsi une relation avec un officier allemand venu se ravitailler à la ferme. Scène difficilement supportable, car l’enfant attribue la tristesse de sa mère au départ du soldat, alors que le lecteur omniscient interprète l’ellipse du récit. Ce roman graphique est illustré au crayon noir, mais la couleur souligne parfois des moments clés, ainsi le rouge du drapeau nazi déferlant sur la page. Le découpage est simple mais signifiant : l’étendard rouge communiste remplace le précédent… Le récit fonctionne souvent sur des contrastes : une page aux couleurs pastels représente Miriam adulte, mère d’un petit garçon jouant à cache-cache. En face, un crayonné sombre, hachuré, évoque Miriam enfant qui se cache avec sa mère… La narration alterne moments de tendresse et tragiques. Le dessin rappelle davantage la douceur des illustrations enfantines d’Ethel et Ernest de Raymond Briggs, que la noirceur du Maus de Spiegelman, proche pourtant par le traitement du sujet, qui juxtapose passé et présent. C’est une grande réussite dans le genre de la bande dessinée autobiographique, l’œuvre majeure d’une artiste qui a travaillé pour les studios Disney. Saluons aussi un remarquable travail éditorial pour cet ouvrage au format carré, couverture en tissu noir usé, comme un album de souvenirs : il se clôt sur une photo de 1946, ainsi que sur les lettres envoyées du front par le père. Le texte ne présente aucune diffficulté de lecture et peut être proposé dans le cadre du programme de 3e sur l’autobiographie. ■ Cécile Robin-Lapeyre 36 I R. Kikuo Johnson Trad. de l’anglais (Etats-Unis) par Vincent Bernière Seuil, 2007 144 p. 15 € 978-2-02-089139-5 Seules contre tous Lignes de fuite Loren vit seul avec son père sur une île de l’archipel d’Hawaï. Ce dernier, chirurgien-dentiste, travaille sans relâche afin d’assurer leur train de vie depuis qu’ils ont quitté Boston pour cette maison idéale, au cœur d’un environnement protégé. Livré à lui-même, désœuvré, l’adolescent jusqu’alors studieux se laisse influencer par son meilleur ami et se met à fréquenter des junkies. Comment concilier la poursuite de ses études, qui deviennent de plus en plus difficiles, les premiers émois amoureux et la consommation de drogues ? Loren découvre le sexe, l’alcool et se trouve Lecture Jeune - juin 2007 LJ122_P42-55.qxd 31/05/07 20:20 Page 53 53 malgré lui mêlé à un trafic d’amphétamines. Cette évocation d’un passage difficile vers l’âge adulte se traduit par des images contrastées à l’encre noire. Si Hawaï offre une nature paradisiaque, les réalités sociales sont les mêmes que sur le continent américain. Les illustrations froides, voire dramatiques de Kikuo Johnson prouvent des qualités étonnantes de graphiste. Ses cadrages sont également très photogéniques pour un premier album. Quant à son site personnel (wwww.seabread.com), il vaut le détour ! ■ Cécile Robin-Lapeyre 37 I Roman graphique Mots clés Adolescence NonNonBâ NonNonBâ est une grand-mère particulière : superstitieuse et mystique, elle initie son petit-fils Shigeru au monde des petits esprits (« yokaï ») qui peuplent le quotidien sans que l’on s’en aperçoive. Ce garçon à l’imagination débordante doit gérer toutes ses rencontres spirituelles mais aussi les joutes guerrières qu’il vit au quotidien en tant que chef de bande. Les histoires de fantômes envahissent parfois son univers, au point de prendre le pas sur la réalité. Récit autobiographique, NonNonBâ nous touche par sa tendresse. Cette grand-mère superstitieuse, qui souhaite entretenir les meilleures relations avec les « yokaï », mais aussi avec son petit-fils, est dessinée de manière originale : ses yeux démesurés - pour mieux voir les esprits peut-être - nous frappent, et le trait n’est pas toujours esthétique. Mais la force de ce manga consiste à restituer tout l’univers de croyance de la vieille dame (Japon animiste des années 30) et toute la naïveté et l’incrédulité du garçon, en les faisant vivre ensemble. C’est touchant, drôle et cela nécessite un bon souffle de lecteur (l’album fait 424 pages). Mais les amateurs du genre n’en manquent pas ! ■ Michelle Charbonnier NonNonBâ a obtenu en janvier 2007 le prix du meilleur album de bande dessinée au Festival d’Angoulême. ndlr 38 I Genre Shigeru Mizuki Trad. du japonais par Patrick Honnoré et Yukari Maeda Cornélius, 2006 (Pierre) 424 p. 29 € 978-2-91549-225-5 Genre Manga Mots clés Japon Enfance Animisme Le peuple des endormis : T.1 et T.2 XVIIe siècle. Jean, jeune homme soumis à sa mère et à son précepteur, tous deux obsédés par l’enfer (ce qui ne les empêche pas d’avoir une liaison !), réussit à leur échapper grâce à ses talents de dessinateur et à son père. Taxidermiste passionné, ce dernier poursuit une étrange quête personnelle : trouver le mystère du parfait empaillage qui résiste au temps. A la mort de son père, Jean décide d'accompagner en Afrique l’un de ses clients, le marquis de Dunan, pour y chercher des animaux exotiques. Arrivé au Sénégal, le Marquis, inconscient, hâbleur et Lecture Jeune - juin 2007 Frédéric Richaud Ill. de Didier Tronchet Dupuis, 2006 (Aire Libre) 55 p. 13,50 € 978-2-8001-3824-6 LJ122_P42-55.qxd 54 31/05/07 20:20 Page 54 Et après Mots clés Afrique Taxidermie XVIIe siècle cavaleur se heurte à la cruauté du gouverneur. Il est vrai qu’il s’est fort occupé de sa femme et de sa fille ! Poursuite, combats sanglants, découverte du secret recherché par son père, retour à la cour de Versailles : voilà un récit mouvementé et aux odeurs fortes, pétri d’ironie et de dérision. Une œuvre truculente et cocasse, servi par un trait proche de la caricature. Les couleurs violentes, contrastées et angoissantes soutiennent avec force et efficacité ce récit épique. Du bel ouvrage. ■ Agnès Donon 39 I Beck, T.1 à T.16 Harold Sakuishi Trad. et adapt. du japonais par Yuko K. et Olivier Vachey Delcourt, 2004-2007 (Akata) 200 p. 7,25 €, 7,50 € et 8,50 € 978-2-8478-9451-9 Genre Shonen manga Mots clés Musique Si vous n’avez pas encore lu ou acheté la série Beck, dépêchez-vous ! C’est LA série du moment. Yukio, Koyuki pour les intimes, est un introverti et un maladroit de 14 ans. Son quotidien est assez banal jusqu’au jour où il sauve la vie d’un chien à l’allure étrange. Le propriétaire de Beck (le chien sauvé), un guitariste charismatique, l’invite à un concert de rock pour le remercier. De fil en aiguille, une amitié se tisse et Koyuki découvre la musique et la guitare. Cette série épatante qui parle de musique gagne en intensité au fur et à mesure des tomes sans que la lassitude s’installe. Au contraire, l’attachement aux personnages s’accroît et leur passion s’avère communicative. Loin des clichés, Harold Sakuishi décrit avec justesse l’univers musical : répétitions, concerts, sacrifices et surtout business, avec un réalisme qui n’a rien d’idyllique. Le scénario manque peut-être un peu d’originalité, le trait reste classique, mais la force de cette série réside dans l’art de mener une histoire et de créer des personnages consistants et très attachants. ■ Sonia Seddiki 40 I Demain les oiseaux Osamu Tezuka Trad. et adapt. du japonais par Patrick Honnoré Delcourt, 2006 (Akata) 326 p. 8,50 € 978-2-7560-0672-6 Genre Seinen manga Science-fiction L’espèce humaine est menacée. L’intelligence de tous les oiseaux de la planète se développe grâce à une substance venue de l’espace. Nos chers petits « titis » prennent conscience de leur condition et décident de se révolter. Demain les oiseaux s’inscrit parfaitement dans la tradition des œuvres fatalistes d’Osamu Tezuka. Il réussit avec finesse, mais non sans ironie, une critique de notre société et surtout de notre soif de pouvoir. Ecrit dans les années 70, ce recueil de nouvelles dépeint une société pas si éloignée de la nôtre. De nombreuses références littéraires et cinématographiques viennent en dynamiser la lecture. Parmi elles, Les oiseaux de Hitchcock bien sûr, ainsi que le roman de Stephan Wul, OMS en série. D’autres références à Shakespeare (Le roi Lear, Roméo et Juliette) viennent renforcer le caractère universel de ce manga. Comme toujours, Tezuka ne ménage pas son propos : là résident sa force et son talent. Encore une œuvre à savourer, qui incite à en découvrir d’autres. Une belle réussite ! ■ Sonia Seddiki Lecture Jeune - juin 2007 LJ122_P42-55.qxd 31/05/07 20:20 Page 55 55 Parcours de lecture Et après Documentaires 41 I Pourquoi les Japonais ont les yeux bridés L’auteur, une mangaka japonaise qui réside en Italie, nous dévoile sa vision du Japon, des coutumes japonaises et surtout de l’univers du manga. Sous une forme plutôt ludique, parsemée çà et là de dessins comiques, Keiko Ichiguchi séduit par un sujet dans l’air du temps. L’ouvrage se décline en plusieurs chapitres clairement identifiables permettant une lecture « zapping ». Le lecteur glane les informations au gré des chapitres, se divertit avec des anecdotes, et se construit sa propre idée du Japon, du manga, des otaku, etc. Keiko reste franche sur le métier de mangaka, même s’il semble qu’elle règle parfois des comptes avec son ancien éditeur japonais. Ce livre propose, avec une approche ludique, un début de réflexion critique à des lecteurs fans de mangas ou tout simplement curieux de comprendre ce phénomène qui dure. Petit bémol : l’éditeur a souhaité – à tort, me semble-t-il – conserver l’aspect « jetable » du manga en imprimant cet essai sur le même papier, au détriment d’une mise en page esthétique et moins austère. ■ Sonia Seddiki 42 I Keiko Ichiguchi Trad. de l’italien par Claudia Migliaccio Kana, 2007 (Kiko) 176 p. 8,50 € 978-2-505-00038-9 Genre Essai Mots clés Japon Manga L’obésité, le mal du siècle « Les essentiels » avaient déjà publié un livre consacré aux troubles du comportement alimentaire, Anorexie, boulimie et autres troubles du comportement alimentaire écrit par Daniel Rigaud. Ce dernier complète ici sa réflexion sur l’obésité, sujet souvent évoqué dans les médias mais délicat à traiter. Il en affine la définition, cerne les mécanismes de la dépense énergétique du corps humain, évoque les complications médicales possibles et le rôle de la génétique dans cette maladie. Il ne se contente pas de citer des données scientifiques, mais les complète par celles que peuvent fournir les sciences humaines. Il se demande alors si la société ne fabrique pas l’obésité par l’incitation publicitaire à consommer des produits peu équilibrés, par le développement incontrôlé d’un marché du surpoids et par la discrimination dont ces malades sont l’objet, qui les enferme dans leur solitude et leur sédentarité. Il aborde enfin la question de la prévention chez les plus jeunes et celle, plus délicate encore, des limites de la perte de poids. Une synthèse honnête sur un sujet douloureux. ■ Marie-Françoise Brihaye Lecture Jeune - juin 2007 Daniel Rigaud Milan, 2007 (Les essentiels) 63 p. 5,50 € 978-2-7459-2266-3 Mots clés Obésité Régime alimentaire LJ122_P56-71.qxd 31/05/07 20:10 Page 56 56 Parcours de lecture Lecteurs confirmés Littératures 43 I Ayerdahl Au diable Vauvert, 2006 (1ère édition Fleuve noir, 1992) 245 p. 17,50 € 978-2-84626-117-3 Genre Science-fiction Mots clés Afrique Terrorisme Demain, une oasis Ce livre paru en 1992, réédité récemment Au diable Vauvert avec une très belle couverture, a reçu en 1993 le Grand prix de l’imaginaire, un prix parmi les nombreux décernés à cet auteur. Ce dernier a toujours revendiqué son engagement politique en refusant de sacrifier son travail de romancier. Dans cette optique, la science-fiction lui offre un magnifique terrain d’expérimentation. A la fin du XXIe siècle ou un peu plus tard, dans un monde occidental lancé dans la colonisation spatiale de planètes comme Mars, un médecin employé dans un office international de statistiques se fait kidnapper et maltraiter par les membres d’un groupe terroriste humanitaire qui le transporte quelque part dans le désert de la zone subsaharienne. Il est mis brutalement au travail dans des camps de réfugiés accueillant des êtres agonisants, ravagés par les maladies, la faim, la soif. Après bien des conflits, il réussit à s’enfuir et au gré de nombreuses péripéties se heurte à la violence d’Etat déléguée à des barbouzes et à celle de ses « ex-compagnons » terroristes. Ce personnage anonyme, surnommé l’Interne par ses kidnappeurs, raconte lui-même ses aventures complexes en trois temps, rapporte le vif débat qu’il mène constamment sur le thème « la fin justifie-t-elle les moyens ? », tout en étayant soigneusement sa thèse : les situations extrêmes de misère et de détresse (celle, emblématique, de ces pays africains désertiques de la zone subsaharienne) ne peuvent justifier le terrorisme humanitaire. Son monde si proche du nôtre dans le temps, l’est aussi par ses problématiques : désertification, dérèglement climatique, pillage des ressources naturelles des pays africains, abandon par les ONG, libéralisme sauvage... Ayerdahl a écrit un livre de révolte, provocateur, coup de poing, dans une langue simple mais travaillée, une contre-utopie qui bouscule le lecteur et conserve, quinze ans après sa première parution, toute sa force. Il met à l’œuvre dans un petit coin d’Afrique une communauté autarcique qui tente d’échapper à la loi du marché et du plus fort, expérimente une solution au service des plus démunis. C’est le côté combatif de cet écrivain qui de toute façon ne laisse pas indifférent, y compris des novices en SF. Gageons que ce livre deviendra un classique du genre ! ■ Marie-Françoise Brihaye Lecture Jeune - juin 2007 LJ122_P56-71.qxd 31/05/07 20:10 Page 57 57 44 I Les virus de l’ombre Neo Dommartin, jeune lycéen, vit des jours tranquilles entre ses amis fidèles Fred et Soraya (dont il est amoureux) et ses parents. A la suite d’une angine et de symptômes persistants, Neo apprend par son médecin de famille qu’il est porteur d’un virus inconnu et mortel. Il doit promettre de garder secret cette découverte et surtout ne pas s’approcher de ses congénères. De nombreux courriels mystérieux et inquiétants, qui s’inspirent tous du registre poétique de la mort, envahissent son ordinateur. Néo réalise alors qu’un autre virus, informatique celui-là, s’en prend à lui. Le décor planté, nous voilà embarqués dans une aventure qui ne nous laisse respirer que lorsque la fin arrive ! Par le biais d’un scénario très maîtrisé et d’un enchaînement de situations très subtil, d’une écriture riche et agréable, avec des dialogues bien menés, l’auteur donne à lire un vrai récit de suspense, avec une fin ouverte. Les personnages, au caractère finement analysé, nous semblent très proches, très justes. Un excellent roman, à saluer et à faire découvrir à des lecteurs amateurs du genre mais aussi aux autres. Un grand plaisir de lecture ! ■ Michelle Charbonnier Nouvel éditeur : Les virus de l’ombre paraît chez un nouvel éditeur, Le Navire en pleine ville, qui s’est donné pour objectif de « tirer les jeunes lecteurs vers le haut », sans « sous-estimer leur intelligence et leur capacité à s’attacher à la complexité et à la subtilité ». Il édite à ce jour trois collections : « Sous le vent », qui publie des romans d’aventure inédits (voir aussi notice n° 57) « Sous le vent-classiques » qui propose des rééditions (Pelot, Frémion, Andrevon…) et « Avis de tempête » des essais en sciences sociales et humaines. Pour en savoir plus, lire notre rencontre avec l’éditrice Hélène Ramdani, p.4. ndlr 45 I Hicham Charif Le Navire en pleine ville, 2006 (Sous le vent) 301 p. 13,50 € 978-2-916517-07-3 Genre Roman policier Science-fiction Mots clés Amour Amitié Informatique Winkie À peine trente centimètres, l’allure pitoyable d’un jouet ayant fait son temps, la tenue bariolée des condamnés, tel apparaît l’ours en peluche Winkie épinglé en première de couverture. Ballotté de mains en mains d’enfants plus ou moins bienveillants, puis abandonné sur une étagère, Winkie décide un jour de prendre la clé des champs et de goûter à la liberté. C’est compter sans l’efficacité du FBI, qui rapidement retrouve sa trace et le propulse ennemi public numéro 1 ! Arrêtée puis jugée pour terrorisme, la peluche, lamentablement défendue par l’avocat Unwin (dont le patronyme annonce la défaite), est la nouvelle victime de l’intolérance et du fanatisme. L’américain Clifford Chase signe ici une fable burlesque contre l’administration Bush et sa politique dans la guerre contre le terrorisme. L’écriture est dense, l’intrigue construite en flash-backs : cette fiction exige une aisance de lecture et une certaine connaissance du sujet pour en saisir l’aspect totalement déjanté. ■ Elise Hoël Lecture Jeune - juin 2007 Clifford Chase Trad. de l'anglais (Etats-Unis) par Jean-Baptiste Dupin 10/18, 2007 317 p. 13 € 978-2-264-04421-1 Genre Parodie Humour Mots clés Etats-Unis Injustice Politique LJ122_P56-71.qxd 58 31/05/07 20:10 Page 58 Lecteurs confirmés 46 I Sylvain Estibal Photos de Yannick Vigouroux Thierry Magnier, 2007 (Photo roman) 86 p. 13 € 978-2-84420-524-7 Genre Photo roman Mots clés Immigration Exil Afrique Un naufrage aux abords des côtes espagnoles. Six clandestins ont survécu. Parmi eux une femme, blanche, européenne. Que fait-elle là ? Quelques mois plus tôt, Evancia a recueilli Ousmane. Ensemble, ils ont vécu sur l’île de Hierro. Mais il n’y avait aucun avenir sur cette île pour lui, il a voulu repartir, plus au nord. Son embarcation de fortune a sombré. Evancia entreprend le voyage d’Ousmane en sens inverse, elle se rend dans ce village qu’il a voulu fuir, Chinguetti. Tous ceux qu’elle rencontre lui demandent pourquoi elle est venue. Le voyage est une façon pour elle de mieux connaître Ousmane. De mieux connaître tous ceux qui, clandestins et désespérés, doivent quitter leur pays. Naufragée est un ouvrage bouleversant dont la lecture touche infiniment. Sa construction crée un parallèle en alternant les chapitres entre l’Europe et l’Afrique, pour les faire se rejoindre : « Elle songe à ces jeunes qui disent : « Là-bas au pays il n’y a pas d’avenir ». Et pour elle ? Peut-être n’y a-t-il pas d’avenir non plus pour elle, dans son propre pays, sur cette île de rocaille, égarée au milieu des brumes et des courants ? » C’est ce que semblent dire les photographies en noir et blanc, floues, de lieux abandonnés et figés. Mais les images prises par Ousmane sur l’île sont le lien : « Dans ces photos au moins, elle pouvait poser son regard dans le sien. Elle pouvait voir le monde à travers lui. Il lui semblait qu’elle pouvait ainsi mieux le connaître, grâce à ces instants fugaces, moins d’une petite seconde volée à son histoire ». Une histoire, celle de l’exil, et une écriture, dense et pudique, qui la raconte de bien belle façon. Un cheminement et des questionnements qui devraient émouvoir les jeunes lecteurs. ■ Hélène Sagnet Réseau de lecture : On pourra lire sur cette même thématique Eldorado de Laurent Gaudé (Actes Sud, 2006) ou Le ventre de l’Atlantique de Fatou Diome (Le livre de poche, 2005). ndlr Nouvelle collection : Thierry Magnier lance en janvier 2007 la collection « Photo roman » dirigée par Jeanne Benameur, écrivain, et Francis Jolly, photographe. Le concept : « Une série de photographies dont il ignore tout est confiée à un écrivain. Il s’aventure alors dans l’écriture d’un roman où ces photographies croiseront la vie du héros pour la transformer ». Autres titres parus dans cette collection : Derrière le rideau de pluie, de Guillaume Le Touze et Michel Séméniako (Voir notice n°49), et Les Giètes, de Fabrice Vigne et Anne Rehbinder. ndlr 47 I Daniel Kehlmann Trad. de l’allemand par Juliette Aubert Naufragée Les arpenteurs du monde Qui sont les arpenteurs du monde ? Alexandre von Humboldt et CarlFriedrich Gauss, celui-ci mathématicien, celui-là naturaliste, tous deux passionnés de recherche scientifique : observer, compter, décrire, Lecture Jeune - juin 2007 LJ122_P56-71.qxd 31/05/07 20:10 Page 59 Littératures déterminer les causes, mesurer le monde, découvrir les grandes structures, telles sont les activités qui les font vivre. Daniel Kehlmann s’intéresse alternativement à l’un ou à l’autre, et nous conte leur vie avec humour, de leur jeunesse à leur grand âge. Le lecteur s’amuse au récit des aventures de l’infatigable Alexandre entre Orénoque et Andes, durant lesquelles il cartographie à tour de bras et mesure tout ce qu’il rencontre, des insectes aux volcans, aussi attentif à la vie des indigènes qu’indifférent à la sienne et à celle de ses compagnons. Gauss, à l’inverse, ne quittera jamais l’Allemagne et difficilement sa petite ville. Ce mathématicien génial (de nombreuses lois portent son nom) et inventeur d’instruments est un misanthrope doublé d’un grognon. L’auteur nous les montre indifférents aux honneurs autant qu’à l’argent, toujours en avance sur leur temps, il les imagine amers de ne pas connaître les progrès futurs (aviation, électricité) qu’ils pressentent, conscients que leurs rêves ne sont pas des chimères mais des points de départ. Comme eux l’auteur marche à grands pas, sautant les années, esquivant les raisonnements ardus, privilégiant les anecdotes qui confrontent nos deux « cosinus » à un monde figé et rétrograde. L’image qu’il donne d’eux est parfois ubuesque, mais toujours chaleureuse. On aimerait que le lecteur subisse la contagion de cette curiosité aventureuse… ■ Michelle Brillatz Actes Sud, 2006 299 p. 21 € 978-2-7427-6545-4 Genre Roman historique Mots clés Exploration XVIIIe siècle Lecture croisée Q 48 I Le rêve du village des Ding Dans le village des Ding, comme dans les autres villages de la plaine du Henan, en Chine centrale, les habitants s'enrichissent en vendant leur sang collecté par l'Etat. Certains à un rythme effréné. Les malades se multiplient, le village se dépeuple, la mort devient si banale que les habitants ne pensent plus qu'à leur cercueil. Le remords ronge le vieux Ding dont le fils s'est enrichi en collectant le sang et dont le petit-fils, qui est le narrateur de cette histoire, meurt empoisonné à l'âge de douze ans. Ce récit atroce prend ainsi la dimension d'une tragédie grecque intemporelle. Cela ne l'empêche pas d'être rempli d'humanité grâce à la bonté, la sagesse et la compréhension du grand-père pour ces êtres ignorants et résignés, qui ne comprennent que tardivement la nature de cette épidémie. Tout au long de cette lecture, on souffre avec l'auteur qui exprime en postface son désespoir et son « amour de la vie ». Les thèmes du sida et de la Chine encourageront les adolescents à lire ce roman déroutant. ■ Gilberte Mantoux Autre avis : Outre le sujet très fort de l’ouvrage, le style de son auteur nous interpelle. D’une grande poésie, avec un registre lexical très riche lorsqu’il Lecture Jeune - juin 2007 Yan Lianke Trad. du chinois par Claude Payen Philippe Picquier, 2007 329 p. 20 € 978-2-87730-916-5 Genre Roman social Mots clés Chine Relation père/fils Sida 59 LJ122_P56-71.qxd 60 31/05/07 20:10 Page 60 Lecteurs confirmés écrit sur la mort, la désolation des paysages, les couleurs (le rouge en particulier), le jeune narrateur nous parle du ciel et apporte au récit une note tendre et plus légère. Quel livre choc et quel pari d’écrire sur ce scandale qui fit les gros titres de la presse il n’y a pas si longtemps mais que nos consciences ont évacué depuis. Ce livre est bien évidemment interdit en Chine, même si l’auteur a pondéré ses propos. La thématique et la manière de l’écrire le rendent accessible à des adolescents. D’autres titres récents peuvent les éclairer sur les réalités contemporaines de la Chine, tels que Chinoises ou Funérailles célestes, deux romans de Xinran chez le même éditeur (2005). ■ Michelle Charbonnier Autre avis : Yan Lianke brosse ici un tableau réaliste et bouleversant des ravages du sang contaminé dans sa province du Henan, et de la dualité d’une Chine déchirée entre aspiration matérialiste et poids des traditions. Il donne la parole à un enfant, victime innocente de la cupidité des hommes. L’enfant témoigne depuis l’au-delà des vilenies commises notamment par son père, le « patron du sang », dont l’avidité va crescendo au fil du roman. L’exacerbation des mauvais côtés de l’homme en situation d’épidémie fait penser à L’aveuglement, du Prix Nobel José Saramago (Seuil, 1997). Au milieu de ces hommes, chez qui les mauvais penchants prennent le dessus, se dresse la figure du grand-père, âme noble et droite, qui lutte entre son amour paternel et l’intérêt général. Ce personnage extraordinaire, la voix du narrateur, les rêves qui ponctuent le récit et la très belle écriture atténuent la noirceur de ce drame et laissent le lecteur ému mais serein. ■ Florence Renouard 49 I Derrière le rideau de pluie Guillaume Le Touze Photos de Michel Séméniako Thierry Magnier, 2007 (Photo roman) 96 p. 13 € 978-2-84420-523-0 Genre Photo roman Mots clés Adolescence Art Photographie Achille mène une « existence sans histoire, voire heureuse » en compagnie de sa mère, discrète, plongée dans ses traductions, occupée à choisir le bon mot. Son quotidien frise l’ennui et la solitude jusqu’au jour où, surpris par la pluie, il pénètre dans une galerie d’art. Aux murs sont exposées des photographies de paysages nocturnes que traversent des personnages aux allures de fantômes. Avec cette découverte s’annonce la promesse de nouvelles rencontres, d’une nouvelle vie. Ce roman est écrit à deux mains, l’une accrochée au stylo, l’autre à l’appareil-photo. Deux styles d’écriture artistique qui se combinent habilement. Les photographies de Michel Séméniako ne sont pas de simples illustrations, mais s’intègrent au récit en tant que sujet. Quant à Guillaume Le Touze, il nous offre une belle réflexion sur l’art, et la manière dont il influence nos vies. La nouvelle collection des éditions Thierry Magnier, servie par des textes sensibles, offre une voie d’accès originale à l’art photographique. ■ Elise Hoël Lecture Jeune - juin 2007 LJ122_P56-71.qxd 31/05/07 20:10 Page 61 Littératures 50 I Aqua TM Résumer un livre comme Aqua TM tient de la gageure, mais évoquer sa thématique principale reste possible. Un satellite appartenant à une multinationale implantée aux Etats-Unis détecte une immense nappe phréatique sous un lac desséché du Burkina-Faso, pays à la population décimée par la sécheresse. Alertée par un hacker, la présidente du pays se bat avec acharnement pour obtenir la propriété de cette eau, aidée par une ONG qui lui envoie un camion avec du matériel de forage. Le véhicule traverse une Europe ravagée par les catastrophes climatiques et la violence, et une Afrique qui se meurt, pendant que les capitalistes américains fourbissent leurs armes pour réduire à néant les prétentions de ces misérables Africains. On ne s’ennuie jamais à la lecture de cet épais roman de plus de 700 pages, avec ses trois axes narratifs répartis sur trois continents (Afrique, Europe, Amérique du Nord) et ses nombreux personnages finement caractérisés. Ce livre épais, mais divisé en courts chapitres nerveux, à l’intrigue bien construite et aux fréquents rebondissements, brasse des thèmes familiers aux lecteurs de science-fiction : le réchauffement climatique, le pillage des pays pauvres par les multinationales, l’explosion des inégalités, la montée des violences, l’influence croissante des sectes et du fanatisme religieux... Très bien documenté mais aucunement pédant, ce thriller politique se déroule en 2030. La Chine s’impose face aux Etats-Unis affaiblis par les guerres et face à une Europe luttant pour sa survie, dans un contexte écologique de raréfaction de l’eau sur la planète. Il se teinte de fantastique et de touches plus sentimentales avec une idylle en fin de livre. Cette somme à l’écriture fluide, poétique par moments, mérite largement le prix Bob Morane 2007 qu’elle vient de recevoir. Même si elle semble pessimiste sur l’avenir de l’homme, elle ne peut laisser indifférent celui qui accepte de s’y plonger ! ■ Marie-Françoise Brihaye Réseau de lecture : A rapprocher de Demain une oasis de Ayerdahl (notice n°43) et Les derniers hommes de Pierre Bordage (J’ai lu, 2005). ndlr Jean-Marc Ligny L’Atalante, 2006 (La dentelle du cygne) 730 p. 24 € 978-2-84172-350-8 Genre Science-fiction Mots clés Environnement 51 I Sinbad Le Marin Voilà un livre illustré de calligraphies d’Hassan Massoudy qui a toutes les chances d’être feuilleté comme un livre d’art, le texte relégué dans l’ombre. Les figures qui accompagnent le récit de trois voyages de Sinbad tirés des Mille et Une Nuits ne sont pas inspirées par le conte, mais nées de la contemplation d’un jardin zen à Kyoto. La confrontation de la calligraphie traditionnelle avec l'art figuratif tire l’œuvre du calligraphe vers une abstraction pleine d’émotions. Le lecteur qui ignore la langue arabe se laisse porter de page en page par la danse des lettres-images. Trois voiles verticales, grises et noires, pointent vers le ciel Lecture Jeune - juin 2007 Hassan Massoudy Alternatives, 2006 95 p. 22 € 978-2-86227-488-7 61 LJ122_P56-71.qxd 62 31/05/07 20:10 Page 62 Lecteurs confirmés Genre Album Conte Mots clés Calligraphie Orient et flottent sur des eaux calmes et vertes. Un coup de vent et tout change, les minarets d’une ville orientale aux toits d’or barrent la page. Les figures semblent surgies du texte arabe que double la traduction française. Les trois récits entrent en résonance avec ces calligraphies. Sinbad, « comme le calligraphe, a quitté Bagdad pour des contrées inconnues » et fait preuve d’un besoin irrépressible d’aller toujours plus loin. Le désir de vivre chevillé au corps, il possède la curiosité et la ruse d’un voyageur infatigable. Confiant dans les hommes en dépit de leurs trahisons, ouvert à toutes les cultures dans les pires situations, il partage et accumule des richesses sans s’y attacher. Derrière l’anecdote du conte se dévoile la puissance du mythe de l’intelligence humaine ouverte au monde et aux autres, la certitude que la sagesse se conquiert et qu’elle est la plus belle victoire de l’homme. La richesse et la difficulté de ce livre résident peut-être dans ce croisement entre des calligraphies nées de la rencontre d’un ailleurs lointain, le Japon, et d’un texte qui ne parle que d’ailleurs et de rencontres. Le texte des Mille et Une Nuits en arabe, venu des profondeurs du temps, pratique un subtil mélange de sagesse et d’esprit d’aventure. La traduction française de Galland datant du XVIIIe siècle est soucieuse de faire se rencontrer deux civilisations. L’œuvre du peintre, née du désir de trouver un équivalent pictural à la perfection d’un jardin, évoque l’harmonie surgissant de la différence. On a envie de lire, et d’aider à lire ce livre pour l’épaisseur et la complexité de sa texture. ■ Nicole Wells 52 I Le cycle de Chalion : La chasse sacrée, T.3 Loïs McMaster Bujold Trad. de l’anglais (Etats-Unis) par Mélanie Fazi Bragelonne, 2006 367 p. 22 € 978-2-915549-91-1 Genre Fantasy Mots clés Chamanisme Possession Le cycle de Chalion s’enrichit d’un troisième volume attendu avec beaucoup de curiosité après les prestigieux prix Nebula et Hugo décernés au second, Le paladin des âmes (Bragelonne, 2004). L’auteur a renouvelé le cadre, la Sylve, isolée à l’extrême sud du royaume de Chalion, et les personnages. Les dieux quant à eux ont les mêmes comportements à l’égard des hommes, toujours aussi difficiles à comprendre et interpréter. Un lourd climat d’intrigues et de complots pèse sur une cour tétanisée par la longue agonie du roi, le problème de la succession au trône et l’assassinat de son fils cadet. La meurtrière de ce dernier est rapatriée à la cour sous l’escorte d’un jeune prince torturé tout comme elle par la présence en eux d’un esprit animal, vécu comme une souillure. Machinations à la cour et périlleux voyages initiatiques se succèdent dans une atmosphère d’angoisse. La belle stature d’un personnage féminin au caractère bien trempé mais tourmentée, le poids de malédictions transmises mais mal comprises, sorte de fatalité pouvant Lecture Jeune - juin 2007 LJ122_P56-71.qxd 31/05/07 20:10 Page 63 Littératures conduire à la folie, l’ombre obsédante de fantômes errants font aussi le lien avec Le paladin des âmes. Le roman tire son originalité d’un arrièreplan de chamanisme très maîtrisé, qui suppose des échanges entre esprits animaux et humains. Il peut être lu indépendamment des deux premiers volumes du cycle. Agréablement écrit, d’une grande finesse psychologique, efficace dans le rythme des péripéties, il séduira un public adolescent et adulte amateur de fantasy tragique. ■ Marie-Françoise Brihaye 53 I La ballade de l'impossible Toru Watanabe replonge dix-huit ans en arrière lorsqu’il entend à l’aéroport de Hamburg la chanson des Beatles Norwegian wood. Emergent alors des souvenirs de jeunesse, parmi lesquels son premier véritable amour. La lecture de ce roman est un véritable choc, une rencontre. Dès les premières lignes, le temps semble suspendu. Ce livre se lit comme une expérience hypnotique aux côtés de Toru Watanabe, adolescent en pleine construction. L’écriture fluide, sensuelle et poétique déroule un beau portrait qui sonne d’autant plus juste que les références musicales abondent. Loin des clichés, ce roman d’apprentissage dépeint l’univers de la jeunesse japonaise des années 60 : liberté sexuelle, pudeur, amour de la vie, difficulté à composer avec l’autre… autant de thèmes universels. Une lecture magique dont le chant perdure longtemps après la fermeture du livre. ■ Sonia Seddiki Haruki Murakami Trad. du japonais par Rose-Marie Makino-Fayolle Belfond, 2007 (1ère édition Seuil, 1994) 396 p. 20,50 € 978-2-7144-4352-4 Genre Roman initiatique Mots clés Adolescence Relation fille/garçon Sexualité 54 I Toutes ces vies qu’on abandonne Annecy, 1918. La guerre est officiellement terminée, pourtant les blessés continuent d’arriver à l’hôpital Saint-Joseph dans le service du docteur Tournier. Meurtris physiquement et surtout psychologiquement, ces « gueules cassées » sont entre les mains de l’aliéniste et de Claire, novice et infirmière bénévole. Arrive alors un homme jeune sans identité, prostré, muet, qui semble entièrement absorbé par son monde intérieur. L’infirmière et le médecin vont mettre tout en œuvre pour démêler l’inconscient du patient et ramener ce dernier à la vie. Ce premier roman de Virginie Ollagnier, saisissant, nous permet de découvrir les prémices de la psychanalyse clinique par le biais du docteur Tournier. Figure masculine et peut-être paternelle, il constitue pour Claire un modèle qu’elle respecte mais n’hésite pas à malmener ou à faire rire, pour le sortir du chagrin consécutif au suicide de sa fille. Ils forment un étrange et efficace duo : elle, toute dans l’empathie et la sensibilité, la légèreté, l’écoute (de ce qui ne se dit pas, surtout), hésite de Lecture Jeune - juin 2007 Virginie Ollagnier Liana Levi, 2007 (Littérature Française) 280 p. 18 € 978-2-86746-432-4 Genre Roman initiatique Mots clés Première Guerre mondiale Psychanalyse Vocation 63 LJ122_P56-71.qxd 64 31/05/07 20:10 Page 64 Lecteurs confirmés plus en plus sur son choix de vie, réalisant qu’elle suit la voie tracée par sa mère. Et lui, bel humaniste tout en rudesse, générosité et souffrance, lutte pour faire avancer ses théories et ses expériences, à la manière de ses pairs Freud et Jung. L’opiniâtreté de Claire à sortir le malade de son mutisme et à le révéler à lui-même, son inventivité pour les soins à lui prodiguer sont extrêmement bien traitées, et servies par une belle plume. L’écriture est touchante, forte, elle va au plus près des tensions des personnages et de leur vérité profonde. L’auteur nous fait partager les hésitations et les choix d’adulte de son héroïne. Personnalité juvénile riche - parce que l’époque et le contexte ont forgé des caractères hors du commun -, Claire illumine ce récit. Son accomplissement nous ravit tout comme le retour à la vie du patient. Un magnifique texte à conseiller ! ■ Michelle Charbonnier Réseau de lecture : sur le même thème on recommandera le très beau roman de Ian McEwan, Expiation (Folio, 2005) ainsi que La chambre des officiers de Marc Dugain (Pocket, 2000), adapté au cinéma par François Dupeyron. ndlr 55 I Comme tous les après-midi Zoyâ Pirzâd Trad. du persan par Christophe Balaÿ Zulma, 2007 112 p. 16,50 € 978-2-84304-391-8 Genre Nouvelles Mots clés Condition féminine Iran Zoyâ Pirzâd nous invite à entrer dans le quotidien familial de femmes iraniennes. Que nous dit ce quotidien ? Qu’il existe des analogies dans les univers féminins du monde entier, des pratiques, des réflexions, des touches sensibles qui régulent la vie familiale, la douce et hypnotique routine. En Iran comme ici ou ailleurs, que fait-on dans sa cuisine, comment et de quoi y rêve-t-on ? Que cuisine-t-on à ses proches ? Ces dix-huit nouvelles brèves nous font vivre au rythme lent de ces femmes recluses. L’écriture épurée, juste et pourtant sensible nous émeut, l’empathie que nous développons à l’égard de ces sœurs proches mais lointaines nous interroge sur notre féminité. Qui sont ces femmes dans leur parcours de vie, qui sommes-nous dans le nôtre ? Le temps est primordial dans ce recueil, il scande de manière étouffée les étapes de la vie : de l’adolescente à la jeune femme, de l’épouse à la grand-mère, qu’est-ce qui fait la qualité d’une existence ? L’air de rien, ces jolis textes sobres révèlent des identités : celles d’un pays, de femmes, de vies. Comme tous les après-midi, premier livre de l’auteur traduit en français, est un véritable plaisir de lecture. Adolescents et jeunes adultes y trouveront un art de vivre et une certaine leçon de bonheur. On pourrait même imaginer une lecture à voix haute pour donner à entendre la sensualité de la langue. ■ Michelle Charbonnier Lecture Jeune - juin 2007 LJ122_P56-71.qxd 31/05/07 20:10 Page 65 Littératures 56 I France, récit d'une enfance Issue d’une famille de harkis en Algérie, Zahia Rahmani nous livre ici son enfance et son adolescence dans le monde rural des années 60 en France. Bannie de son pays d’origine en raison des convictions politiques de son père, c’est une enfant solitaire, rejetée par le racisme ordinaire de la campagne, différente de sa fratrie, en violent conflit avec son père à l’adolescence. Sa mère, illettrée mais riche de la culture orale kabyle, éveille très tôt son appétit de culture. Elle lui donne la fierté de son histoire, lui transmet son enfance riche de contes et de fables et lui ôte la « honte » de son identité berbère. Aujourd’hui passionnée d’art et de littérature, Zahia Rahmani revendique une image de « l’autre », qui n’est pas celle que lui renvoyait alors la société française. Hymne d’amour à la mère, son récit vibre aussi de l’amour des livres, particulièrement de la découverte des romans américains qui influencèrent sa vocation. Son écriture minimaliste – peu d’adjectifs et de descriptions – se met au service d’un texte dense d’émotions et de souvenirs, qui se prête parfaitement à une lecture à haute voix. Récit centré sur la construction de soi, le livre devrait toucher le public lycéen. ■ Cécile Robin-Lapeyre Autre avis : Zahia Rahmani n’offre pas à son lecteur un banal recueil de souvenirs – son refus des conventions l’en empêcherait – mais l’évocation d’une construction de soi très douloureuse, un bel éloge d’une mère atypique et un hommage à la littérature et à l’art, chemin vers une forme de liberté et de vérité. La jeune Zahia, âgée de 12 ans, clame : « Moi je refuse de me plier ». Très isolée, elle se construit d’abord dans une violente révolte contre la rigidité de son père (un harki en grande souffrance), contre les croyances qu’il impose, les traditions familiales, voire même contre sa fratrie, contre le milieu rural de l’Oise des années 60 où les gens vivent dans un « coma » insupportable, loin de la culture et de la vraie vie, contre le racisme d’une société française qui la tient pour une Algérienne « barbare ». Zahia Rahmani nous livre ici un texte inclassable, rageur, poignant, construit non pas sur une linéarité rationnelle et chronologique mais au gré d’images, de flashs, d’émotions qui s’entrelacent savamment. Sa curiosité insatiable, sa révolte contre les mascarades de la vie, son désir de liberté sans compromis, sa profonde humanité et sa qualité d’écriture ne peuvent que bouleverser des lecteurs lycéens exigeants eux aussi dans leurs choix. ■ Marie-Françoise Brihaye Lecture Jeune - juin 2007 Zahia Rahmani Sabine Weispieser, 2006 162 p. 16 € 978-2-84805-045-4 Genre Autobiographie Mots clés Guerre d’Algérie Harkis Relation mère/fille 65 LJ122_P56-71.qxd 66 31/05/07 20:10 Page 66 Lecteurs confirmés 57 I L'Escalier du Diable Elisabeth E. Richardson Trad. de l’anglais par Hélène Kédros Le Navire en pleine ville, 2007 (Sous le vent) 262 p. 13,50 € 978-2-916517-09-X Genre Thriller Fantastique Mots clés Peur Deuil Quête initiatique Bryan habite une petite ville américaine confite dans le conformisme. Sous ses airs d’adolescent ordinaire, il porte le poids de la douleur familiale, de la peur et du secret. Il est le seul à savoir pourquoi son frère Adam a disparu, cinq ans auparavant. Dans une clairière, Adam a découvert l’Escalier du Diable et, par bravade, a entonné la comptine effrayante qui s’y rapporte. L’Homme Noir l’a englouti. Bryan a tout vu, n’a rien pu faire et personne ne l’a cru. Depuis, il est dévoré par le remords et la peur. Il sait que l’Homme Noir le guette, tapi dans l’ombre des jardins, et découvre que d’autres enfants ont disparu dans l’indifférence générale. Par chance, sa route croise celle de Jake et de Smokey. Ensemble, ils organisent la résistance et s’attaquent à leurs peurs les plus profondes. L’Escalier du Diable est le premier roman traduit en français d’E. E. Richardson, jeune auteure spécialisée dans la littérature fantastique. L’atmosphère étouffante de la petite ville provinciale, très bien rendue, renforce celle du huis clos familial et la dérive silencieuse de deux parents anéantis par la mort de leur fils, qui font semblant de vivre, de parler, d’oublier. L’étrange et l’angoisse s’immiscent insidieusement dans cet environnement léthargique et faussement chaleureux. Le rythme du récit, découpé en courts chapitres, est soutenu et s’accélère tant et plus. L’intrigue s’achève sur l’affrontement nécessaire du héros avec ses peurs d’enfant, la mort de son frère qu’il doit enfin accepter, la vie qu’il faut prendre à bras le corps. Ce roman à suspense s’enrichit donc d’une quête initiatique : celle d’un enfant qui, pour devenir un homme, doit apprivoiser ses peurs, accepter la mort et conquérir sa liberté. Une belle réussite. ■ Cécile Burgard Autre avis : Ce roman haletant se dévore en frissonnant. Dans leur quête pour résoudre le mystère de l’Homme Noir, les enfants se trouvent confrontés à leurs pires cauchemars : créatures monstrueuses, squelettes, sang, trou noir... Ils sont les héros de cette histoire où les adultes semblent complètement apathiques. Bryan, narrateur omniscient, nous fait partager sa peur dans les scènes d’action et nous émeut par la tristesse de son quotidien. La conclusion à la fois morbide et pleine d’humanité est parfaitement agencée. Elle laisse un lecteur chancelant, mais ravi d’avoir découvert un auteur de qualité. ■ Anabel Jouineau Lecture Jeune - juin 2007 LJ122_P56-71.qxd 31/05/07 20:10 Page 67 67 Parcours de lecture Lecteurs confirmés BD 58 I Abdallahi : Dans l’intimité des terres, T.1 Traversée d’un désert, T.2 Abdallahi est l’histoire de René Caillié, explorateur français et premier occidental à pénétrer vivant dans la cité mythique de Tombouctou en 1828. Pour parvenir à ses fins, il se fait passer pour un musulman, Abdallahi l’Égyptien, le « serviteur de Dieu », et parcourt non sans mal (maladie, folie) 4500 kilomètres à pied ! Christophe Dabitch et Jean-Denis Pendanx s’inspirent librement du journal de René Caillié. Ils cherchent à rendre compte de la complexité du personnage et de la relation ambiguë qu’il entretient avec l’Afrique. Ils donnent aussi une importance particulière à son guide, un jeune Noir du nom d’Arafanba, dont la fin tragique permet de comprendre les motifs qui l’animent. Car ce récit, empreint de lyrisme, est aussi celui d’une belle amitié. L’album est réalisé en couleurs directes, dans une veine impressionniste. Il évoque la peinture orientaliste avec ses tonalités chaudes et ses couleurs flamboyantes. Saluons plus encore les textes et les dialogues, d’une maturité rare. Une réflexion subtile, profonde, sur des thèmes d’actualité : le désir, la religion, le mensonge, le rapport à soi et à l’autre, le choc des cultures. ■ Éric Peltier Christophe Dabitch Ill. de Jean-Denis Pendanx Futuropolis, 2006 86 p. et 96 p. 15 € et 16,50 € 978-2-75480-013-1 978-2-75480-070-0 Mots clés Afrique Exploration Islam 59 I Les vents de la colère Ce manga, publié au Japon en 1970, doit être resitué dans son contexte historique. Nous sommes en pleine guerre froide et le Japon représente un avant-poste américain de la plus grande importance contre la Chine communiste. Gen, un jeune étudiant, enquête sur une mystérieuse maladie qui a décimé tout un village et dont l’affaire a été trop rapidement classée. S’inspirant de faits réels, cet album dénonce l’autoritarisme du pouvoir en place. Il a causé de nombreux ennuis à son auteur, qui s’est ensuite reconverti dans le manga comique. La mise en page, très dynamique, et le dessin, dans la veine de Tezuka, rendent bien compte de la dureté du scénario. Ce manga ne peut laisser insensible. Il montre que ce genre n’est pas uniquement commercial, mais peut être aussi utilisé comme un outil de contestation d’une rare violence. ■ Juliette Buzelin Lecture Jeune - juin 2007 Tatsuhiko Yamagami Trad. et adapt. du japonais par Jacques Lalloz et Patrick Honnoré Delcourt, 2006 (Fumetsu) 283 p. et 264 p. 8,50 € 978-2-7560-0367-0 978-2-7560-0368-9 Genre Manga Mots clés Japon Dictature LJ122_P56-71.qxd 31/05/07 20:10 Page 68 68 Parcours de lecture Lecteurs confirmés Documentaires 60 I Jacques Bouzerand Michalon, 2006 (A propos) 64 p. 10 € 978-2-84186-334-4 Mots clés Art contemporain Art conceptuel Couleur Nouvelle collection de livres d’art pour tous publics, « A propos » offre une maquette très agréable, d’un format supérieur au format de poche. A l’occasion de la rétrospective récente du Centre Pompidou sur Yves Klein, Jacques Bouzerand, journaliste et critique d’art, a rédigé un ouvrage concis qui permet d’entrer dans l’univers de l’artiste et de découvrir l’art conceptuel. Le parcours, clairement énoncé, suit les étapes marquantes de la vie de l’artiste. En regard de celle-ci, une chronologie confronte les événements culturels, politiques, économiques et sociaux. Né d’un couple d’artistes, Yves Klein a grandi dans le sud de la France. Deux axes orientent son œuvre : le judo où il vise l’excellence, et l’ésotérisme qu’il a découvert avec les Rose-Croix. La recherche sur les couleurs - les monochromes - devient dès les années 50 le leitmotiv de sa peinture. Une mort prématurée interrompt son œuvre d’ « alchimiste » de l’art. Dans le domaine difficile de l’art contemporain, ce livre d’une grande clarté, certainement ciblé vers les lycéens et les étudiants en arts plastiques, sera accessible aux néophytes. Une bibliographie complète l’ouvrage, enrichi également de textes du peintre. ■ Cécile Robin-Lapeyre 61 I Bertrand Imbert Claude Lorius Gallimard, 2006 (Découvertes) 1ère édition 1987 159 p. 14 € 978-2-07-076332-0 Mots clés Expédition scientifique Pôles Changement climatique Yves Klein, au-delà du bleu Le grand défi des pôles Vingt ans après sa première édition, Gallimard publie à l’occasion de l’année polaire internationale une version remaniée de l’ouvrage Le grand défi des pôles. Au premier auteur, Bertrand Imbert, s’est joint Claude Lorius, glaciologue souvent primé, grand spécialiste des archives glaciaires, qui lui aussi a hiverné à plusieurs reprises en Antarctique. L’histoire héroïque et fréquemment tragique des expéditions de découverte et d’exploration est toujours longuement relatée. La nouveauté réside dans l’examen, un peu succinct, de l’apport considérable des expéditions scientifiques récentes au point de vue climatologique. L’analyse de la glace des pôles permet de lire l’histoire du climat terrestre et des gaz de l’atmosphère, et d’apporter des éclairages sur le réchauffement climatique actuel. Une remarquable sélection de sites Internet permet au lecteur d’approfondir à son gré sa curiosité en ce domaine. Voilà donc un ouvrage de qualité pour aborder l’histoire de l’exploration d’un territoire apparemment périphérique, et pourtant au cœur des décisions d’avenir de l’être humain. ■ Marie-Françoise Brihaye Lecture Jeune - juin 2007 LJ122_P56-71.qxd 31/05/07 20:10 Page 69 69 Parcours de lecture Ouvrages de référence 62 I A la découverte de cent et une pièces Répertoire critique du théâtre contemporain pour la jeunesse Ce précieux répertoire vient combler un manque flagrant au moment où le théâtre contemporain pour la jeunesse, sorti de la confidence ou du militantisme des pionniers, désormais servi par de grands auteurs, est reconnu et présent à la fois dans les pratiques scolaires et les programmations des scènes nationales. Marie Bernanoce, formatrice en IUFM et universitaire, a toujours lié sa passion du théâtre contemporain à son goût pour la pédagogie. Elle s’adresse ici surtout aux enseignants et aux partenaires de l’école, dans un ouvrage qui se révèle une mine d’informations et le premier du genre. L’avant-propos justifie la démarche adoptée par souci de clarté : l’ouvrage contient une centaine de fiches critiques précises, approfondies et classées par ordre alphabétique d’auteur. Toutes suivent la même structure : présentation de l’auteur et de son œuvre, analyse de la pièce illustrée par quelques extraits et, dans une dernière partie plus contestable, proposition d’activités pédagogiques. Un court entretien avec l’auteur complète parfois la fiche. Un glossaire, divers index très pratiques et une bibliographie facilitent et enrichissent l’utilisation de ce répertoire. Voici donc un panorama intéressant de l’écriture théâtrale contemporaine, qui rend hommage aux aînés (Grumberg, Jouanneau) comme à la génération montante (Melquiot, Py), aux pièces françaises, francophones (celle du Québecois Bouchard) comme aux traductions du théâtre étranger (Fosse, Liscano). Dans ce large corpus, revendiqué comme subjectif, on peut certes regretter quelques absences, notamment celle de Joël Pommerat. Par ailleurs, la perspective de Marie Bernanoce, qui appréhende le texte théâtral comme objet de lecture, d’étude, de rêverie autour des mots et de la scène, sans jamais se référer à d’éventuelles représentations, surprend. Elle étonne d’autant plus que nombre d’auteurs cités sont aussi metteurs en scène ou comédiens, et que certaines mises en scène ont fait date dans l’histoire du théâtre contemporain. Il n’en reste pas moins que cet ouvrage demeure un outil précieux pour tous ceux qui veulent explorer ce répertoire nouveau et parfois méconnu ■ Charlotte Plat Lecture Jeune - juin 2007 Marie Bernanoce CRDP académie de Grenoble éditions Théâtrales, 2006 540 p. 23 € 978-2-84260-224-2 Genre Répertoire Mots clés Théâtre Littérature de jeunesse LJ122_P56-71.qxd 70 31/05/07 20:10 Page 70 Ouvrages de référence 63 I Thierry Groensteen Éditions de l’An 2, 2006 (Essais) 206 p. 19,50 € 978-2-84856-078-9 Genre Essai Mots clés Bande dessinée Un objet culturel non identifié Quelle est la place de la bande dessinée dans le paysage culturel français d’aujourd’hui ? A-t-elle enfin acquis ses lettres de noblesse, comme le laissent supposer son succès commercial et médiatique ? Rien n’est moins sûr. C’est du moins l’avis de Thierry Groensteen, l’une des grandes figures du milieu, tour à tour animateur des revues Les Cahiers de la bande dessinée et Neuvième art, directeur du musée de la bande dessinée d’Angoulême, éditeur et auteur d’ouvrages remarquables sur le domaine. La bande dessinée, « objet culturel non identifié », souffrirait de cinq handicaps symboliques : alliance contre nature du texte et de l’image, infantilisme, lien avec la caricature, indifférence à l’art contemporain, défauts physiques constitutifs. Premiers coupables : les éditeurs et les auteurs complices. En quête, pour la plupart, d’une rentabilité immédiate, ils réduisent l’album à une marchandise dénuée d’ambitions esthétiques. D’où la priorité donnée aux séries et aux genres thématiques, généralement à destination du seul lectorat mâle, et une incapacité à envisager des formats autres que standards. Les éditeurs ne témoignent aucun intérêt pour l’histoire de ce médium, pourtant riche de tout un patrimoine. Quelques pages bien senties égratignent au passage les bédéphobes amateurs de produits dérivés. Groensteen s’attaque particulièrement à deux phénomènes dont on connaît le triomphe commercial : la fantasy et le manga, ici assimilés à une « culture du divertissement », et donc incapables de « nous éclairer sur la condition humaine ou sur le monde réel qu’il nous échoit d’affronter ». C’est la partie la plus contestable du livre, du fait sans doute d’une vision quelque peu dogmatique (bande dessinée = art). L’auteur, il est vrai, fait partie de ces bédéphiles militants et critiques savants, dont il retrace ici l’histoire avec force détails, tout en regrettant le déficit médiatique dont pâtirait aujourd’hui la critique BD. Deux chapitres sont aussi consacrés aux actions menées par l’État en vue de réhabiliter la bande dessinée, et aux expositions la présentant comme un art à part entière. Voilà donc un ouvrage passionnant quoique partial et donc polémique, inévitablement, dont il faut louer la qualité de la documentation, l’intelligence et la clarté du propos. ■ Eric Peltier Lecture Jeune - juin 2007 LJ122_P56-71.qxd 31/05/07 20:10 Page 71 En savoir plus Formations page 72 Informations page 74 LJ122_P72-78.qxd 31/05/07 20:10 Page 72 72 En savoir plus Formations Lecture Jeunesse Programme Deuxième semestre 2007 Nos stages et journées d’études se déroulent à Paris avec des dates prédéterminées. Ils sont également proposés sur site à la demande des bibliothèques municipales, bibliothèques départementales de prêt, IUFM, associations… Programmes détaillés : www.lecturejeunesse.com Stages : Savoirs de base Conduite de projets ● Les mangas niveau « repères » ● Travailler en partenariat avec l'Education nationale Problématique Q ● P La France est le second pays lecteur de mangas après le Japon. Les jeunes se sont emparés de ces livres dont les héros et valeurs, étonnamment, leur ressemblent. Comment mieux appréhender la qualité littéraire et graphique de ces ouvrages ? Comment se repérer dans les courants et les genres pour prendre une place de conseil auprès des jeunes ? Problématique Dates : 19-20-21 septembre 2007 Dates : 3-4-5 octobre 2007 ● Les romans à l'adolescence niveau « approfondissements » ● L'accueil des adolescents en bibliothèque ● Problématique Problématique P L’adolescence est un moment de passage à prendre en compte et à accompagner. La fréquentation des bibliothèques par ce public constitue une problématique singulière. Comment considérer ses besoins pour en améliorer l’accueil et répondre à ses attentes ? L L d é d s Dates : 10-11-12 octobre 2007 D Peut-on envisager de créer des passerelles pour accompagner les adolescents dans la construction de leurs parcours de lecture ? Comment susciter les passages d’une littérature de « jeunesse » à une littérature adulte ? Les univers de création des auteurs dits « mixtes » constituent-ils un trait d’union ? Dates : 26-27-28 septembre 2007 La richesse d’un partenariat entre l’Ecole et la bibliothèque est-elle encore à démontrer ? Si les projets se multiplient, les embûches restent nombreuses. La clé du succès ne se situe-t-elle pas dans une meilleure connaissance des enjeux et réalités de chacun ? L le e e Q c D ● Les mangas niveau « approfondissements » ● Problématique P On s’est interrogé sur l’incroyable succès du manga auprès des jeunes lecteurs en France. La bonne compréhension de cette littérature et sa médiation passent par une meilleure connaissance de la culture japonaise. Il s’agira également d’observer les pratiques et sociabilités nouvelles qui se sont créées autour de ce phénomène. Dates : 19-20-21 décembre 2007 Lecture Jeune - juin 2007 N r e q Q D LJ122_P72-78.qxd 31/05/07 20:10 Page 73 73 Inscriptions Chantal Viotte Tél. : 01-44-72-81-50 - [email protected] Renseignements pédagogiques Hélène Sagnet - Michelle Charbonnier Tél. : 01-44-72-81-52 Tarifs des stages Tarifs de la journée d’étude 405 € TTC (Prise en charge de l’employeur) 305 € TTC (Prise en charge personnelle) 60 € TTC (Prise en charge de l’employeur) 30 € TTC (Prise en charge personnelle) Journée d’étude Questions de société ● Cultures adolescentes En partenariat avec La Joie par les livres ● Les pratiques culturelles des adolescents : la musique Problématique La musique est la pratique culturelle la plus partagée par les adolescents. L'écoute musicale est quotidienne. Elle est un fort vecteur de construction de l'identité des jeunes et des sociabilités singulières s'organisent autour d'elle. Quelles sont les formes de cet engouement ? En quoi constitue-t-il une entrée dans la culture ? Cette journée propose d’interroger les pratiques culturelles des 15-20 ans : en quoi sont-elles si différentes des pratiques des adultes ? Sont-elles uniquement le fait d’une classe d’âge ou annoncent-elles des mutations plus profondes et plus durables ? Dates : 21-22-23 novembre 2007 Coordination pédagogique : Nic Diament (directrice, La Joie par les livres) et Hélène Sagnet (directrice, Lecture Jeunesse) ● La chaîne du livre : littérature et enjeux marchands Date : 13 novembre 2007 Problématique Le marché du livre connaît de profonds bouleversements. Les bibliothécaires, acteurs de la chaîne du livre dans leurs pratiques quotidiennes, participent à son économie. Comment mieux appréhender cette dimension économique et juridique ? Comment sensibiliser les jeunes lecteurs à ces enjeux ? Dates : 5-6-7 décembre 2007 ● Jeunes en situation d'exclusion et lecture Problématique Nombre de jeunes, du fait de leur histoire personnelle, restent éloignés du livre et du plaisir de lire. Quels enjeux particuliers peut revêtir la lecture pour eux ? Avec quels partenaires travailler en direction de ces publics ? Quels ouvrages leur proposer ? Dates : 12-13-14 décembre 2007 Lecture Jeune - juin 2007 LJ122_P72-78.qxd 31/05/07 20:10 Page 74 74 En savoir plus Informations Festivals et salons Prix • Le 10e Festival du livre et de la BD de La Fouillade (12) aura lieu le week-end du 21-22 juillet. Une vingtaine d’auteurs seront présents, parmi lesquels Jean-Paul Tiberi et Sandrine Revel. Au programme : dédicaces, rencontres, conférences et forums de discussion. Entrée gratuite. Contact : [email protected] • Le Prix Sorcières 2007 a couronné en mars 2007 Tobie Lolness de Timothée de Fombelle (Gallimard jeunesse) dans la catégorie « romans 9-12 ans » et Je mourrai pas gibier de Guillaume Guéraud (Rouergue) dans la catégorie «romans adolescents ». • Le 12e Prix des collégiens de la ville de Vannes a été attribué en mars 2007 au roman de Marie Bertherat La fille au pinceau d’or (Bayard jeunesse). Convention Revues • La Convention de la BD et des arts graphiques de Roubaix (59) rend hommage à Hugo Pratt les 1er, 2 et 3 juin à la Condition publique. Au programme : expositions, conférences-débats en présence d’une soixantaine d’auteurs, parmi lesquels Youssef Daoudi et Rodolphe. Un espace formation est consacré aux écoles d’arts graphiques. Contact: [email protected] Colloques • Le livre et la lecture à l'ère du numérique : tel est le thème du colloque organisé par le CRILJ avec la Maison des sciences de l'homme de Paris-Nord, l'université de Paris VIII et Paris XIII les 23 et 24 juin. 4 rue de la Croix-Faron, Plaine St Denis. Contact : [email protected] • L’université d'été de l'image pour la jeunesse a choisi pour thème cette année « Hors cadre(s) ». Au programme : conférences, tables rondes, ateliers pour réfléchir et échanger autour d'images singulières. Les 28 et 29 juin, à l’Institut international Charles Perrault, 14, avenue de l'Europe, 95604 Eaubonne cedex 04 Contact : [email protected] Expositions • « Les voyages imaginaires de François Place ». Jusqu’au 30 juin 2007, la bibliothèque multimédia de Valenciennes (59) propose une exposition ludique et bigarrée évoquant l’Atlas des géographes d’Orbae. Entrée libre. Site : www.valenciennes.fr • « La Palette Terre ». Jusqu’au 7 novembre 2007, le Centre de l’illustration de Moulins-sur-Allier (03) expose des illustrations de Martin Jarrie. Entrée : 5 €. Site : www.centre-illustration.fr • Le numéro de juin (n° 49) de la revue Citrouille propose un dossier sur « Le sport et la littérature de jeunesse ». Site : www.citrouille.net • La revue Inter CDI n°208 (juillet-août) publie un numéro spécial sur « Les nouvelles pratiques de lecture ». Site : www.intercdi-cedis.org • En juin-juillet, la revue Lire au Collège n° 77 s’intéresse au « Retour de l'Antiquité et du péplum dans la littérature jeunesse ». Sélection • La Médiathèque José Gabanis de Toulouse a publié sa sélection jeunesse 2006. Gratuit. Contact : [email protected] Actes • Le CPLJ-93 publiera en septembre 2007 les actes du colloque « La littérature jeunesse, une littérature de son temps ? », qui s’est tenu les 6 février, 15, 29 et 30 mars 2007. Prix : 17 € jusqu'au 1er août 2007 (frais d'expédition inclus), 23 € ensuite (hors frais d’expédition). Site : www.salon-livre-presse-jeunesse.net Divers • La BNF organise une soirée exceptionnelle le 8 juin de 19h à 23h pour faire découvrir la littérature urbaine, dans le cadre de la manifestation « La rue est à nous… tous! ». Bibliothèque François-Mitterrand, quai FrançoisMauriac, 75013 Paris. Entrée libre. Site : www.bnf.fr Lecture Jeune - juin 2007 LJ122_P72-78.qxd 31/05/07 20:10 Page 75 Index Auteurs p. 76 Titres p. 77 Genres et mots clés p. 78 LJ122_P72-78.qxd 31/05/07 20:10 Page 76 76 Index Auteurs A notice B notice Anne, Catherine Ayerdahl Bernanoce, Marie Bouzerand, Jacques C Cassim, Shaïne Charif, Hicham Chase, Clifford Colin, Fabrice 1 43 62 60 notice 19 44 45 20 Moka Montardre, Hélène Mornet, Pierre Murakami, Haruki 11 12 22 53 O notice P notice Oates, Joyce Carol Obata, Takeshi Ohba, Tsugumi Ollagnier, Virginie Oppel, Kenneth 30 15 15 54 13 D notice Pendanx, Jean-Denis Percin, Anne Pirzâd, Zoyâ E notice R notice F notice G notice S notice T notice V notice W notice Y notice Z notice Dabitch, Christophe Estibal, Sylvain Friot, Bernard Gandolfi, Silvana Gibert, Bruno Grimbert, Pierre Groensteen, Thierry Guréghian, Jean V. H Harcourt, Claire (d’) Hardinge, Frances Hart, James V. Haworth-Attard, Barbara Hearn, Lian Hoffman, Mary Honaker, Michel I Ichiguchi, Keiko Imbert, Bertrand 58 46 21 2 22 23 63 5 notice 17 24 3 25 26 4 6 notice 41 61 J notice K notice L notice Johnson, Maureen Katin, Miriam Kehlmann, Daniel Kikuo Johnson, R. 7 35 47 36 Lebeau, Suzanne Lemierre-Dauphin, Eliane Léourier, Christian Lester, Julius Le Touze, Guillaume Lianke, Yan Ligny, Jean-Marc Lorius, Claude 27 18 8, 9 28 49 48 50 61 M notice Mac, Carrie McMaster Bujold, Loïs Massoudy, Hassan Mathis Mizuki, Shigeru Rahmani, Zahia Reeves, Hubert Richardson, Elizabeth E. Richaud, Frédéric Rigaud, Daniel Sakuishi, Harold Séméniako, Michel Taketomi, Tomo Tezuka, Osamu Tronchet, Didier Véry, Jacques Vignal, Hélène Vigouroux, Yannick Vincent, Gabrielle Westerfeld, Scott Yamagami, Tatsuhiko Zambon, Catherine 58 31 55 56 18 57 38 42 39 49 16 40 38 18 32 46 14 33 59 34 29 52 51 10 37 Lecture Jeune - juin 2007 LJ122_P72-78.qxd 31/05/07 20:10 Page 77 77 Index Titres A Abdallahi, T.1 et T.2 A la découverte de cent et une pièces Aqua TM Arpenteurs du monde (Les) B Ballade de l’impossible (La) Bande de Beck (La) Baume du dragon (Le) Beck, T.1 à T.16 Bière grenadine Brise-ciel notice 58 62 50 47 notice 53 29 2 39 32 13 C notice D notice Choses qui font peur Clan des Otori (Le), T.4 Comme tous les après-midi Cycle de Chalion (Le), T.3 Death note, T.1, T.2 et T.3 Demain les oiseaux Demain, une oasis Derrière le rideau de pluie Deux sœurs en décembre 22 26 55 52 15 40 43 49 19 P notice R notice S notice Petit Pierre 27 Petite sirène (Une) 1 Peuple des endormis (Le), T.1 et T.2 38 Point de côté 31 Pourquoi les japonais ont les yeux bridés 41 Prophétie des oiseaux (La), T.1 12 Prophétionnel (Le), T.1 23 Rêve du village des Ding (Le) Réveil des Dieux (Le) Rien dire Seules contre tous Sexy Sinbad le Marin Soleil, histoire à deux voix Sorcier !, T.1, T.2 et T.3 Sous le vent de la liberté, T1, T.2 et T.3 Stravaganza, T.2 T 48 20 21 35 30 51 18 11 9 4 notice E notice Terribles aventures du futur capitaine Crochet (Les) Théorie de la relativité (La) Toutes ces vies qu’on abandonne Treize petites enveloppes bleues F notice V notice G notice W notice K notice Y notice L notice Escalier du diable (L’) Evil Heart, T.1 et T.2 57 16 Faire et défaire 10 Familles à la loupe : une histoire de parents et d’enfants 17 France, récit d’une enfance 56 Fils du ciel 13 Grand défi des pôles (Le) Kaïna-Marseille Larmes noires (Les) Légende arménienne de David de Sassoun (La) Lignes de fuite 61 34 N notice O notice Obésité, le mal du siècle (L’) Objet culturel non identifié (Un) Odyssée, T.3 Yves Klein, au-delà du bleu 45 60 5 36 notice Naufragée NonNonBâ Winkie 59 14 44 24 33 28 M Mauvais rêve Vents de la colère (Les) Violoniste (Le) Virus de l’ombre (Les) Voyage de Mosca (Le) V-Virus 3 25 54 7 8 46 37 42 63 6 Lecture Jeune - juin 2007 LJ122_P72-78.qxd 31/05/07 20:10 Page 78 78 Index Genres et mots clés Genres A Adaptation Album Autobiographie C Epopée Essai F Fantastique Fantasy H Horreur Humour J 26 41, 63 notice 20, 57 11, 23, 52 notice 33 2, 11, 23, 45 31 M Manga Monologue Mythes et légendes N Nouvelles P Parodie Photo roman R Répertoire Roman d’aventure graphique historique initiatique intimiste policier psychologique social S Science-fiction Seinen manga Shonen manga Sôshi Théâtre Thriller notice notice Journal T 1 14, 22, 51 35, 56 2, 24, 51 E Roman Roman Roman Roman Roman Roman Roman notice notice Conte M Mots clés notice 37, 59 21, 34 5, 6 notice 10, 55 notice 45 46, 49 notice 62 3, 9, 12, 13, 20, 23, 24 35, 36 9, 28, 47 7, 53, 54 19 44 29, 30 25, 48 notice 4, 8, 12, 13, 40, 43, 44, 50 40 15, 16, 39 22 notice 1, 27 15, 57 A notice Adolescence 3, 10, 21, 29, 31, 32, 36, 49, 53 Afrique 34, 38, 43, 46, 58 Aïkido 16 Amitié 29, 32, 44 Amour 1, 3, 19, 44 Animisme 37 Antisémitisme 35 Arménie 5 Art 49 Art conceptuel 60 Art contemporain 60 Astronomie 18 Aviation 13 B notice C notice D notice Bande dessinée Bien/Mal 63 15 Calligraphie Chamanisme Changement climatique Chine Condition féminine Couleur 51 52 61 48 55 60 Désespoir Deuil Dictature Drogue 25 32, 57 59 25 Enfance Environnement Esclavage Etats-Unis Exclusion Exil Expédition scientifique Exploration 22, 12, 9, 28, E F notice 37 50 28 45 25 46 61 47, 58 notice Famille 16, 17, 19 G notice Guerre d’Algérie 56 H notice Handicap Harkis Histoire Homosexualité Hongrie 27 56 17 30, 31 35 Immigration Informatique Initiation Injustice Iran Islam Italie 21, 46 44 11 30, 45 55 58 4 I J Japon Jeunesse L notice notice 20, 26, 37, 41, 59 2 Liberté Liberté d’expression Littérature de jeunesse notice 34 24 62 Lecture Jeune - juin 2007 Magie Manga Manipulation Marine Monde ouvrier Mondes parallèles Mort Musique N Népal New York notice 11 41 8 9 10 4 15 14, 39 notice 2 33 O notice P notice Obésité Orient Père Peur Phobie Photographie Planète Pôles Politique Possession Pouvoir Première Guerre mondiale Psychanalyse Q Quête initiatique R Racisme Rébellion Réchauffement climatique Régime alimentaire Relation enfant/parent Relation fille/garçon Relation mère/fille Relation père/fils Religion Résilience Rêve Révolution Rumeurs S Seconde Guerre mondiale Sexualité Sida 42 51 21 57 22 49 18 61 45 52 3, 8 54 54 notice 57 notice 28 27 12 42 17 53 56 10, 14, 48 24 31 8 9 30 notice 35 53 48 T notice U notice V notice Taxidermie Télémaque Terrorisme Théâtre Ulysse Vampire Violence Vocation Voyage X XVIe siècle XVIIe siècle XVIIIe siècle XIXe siècle 38 6 43 62 6 33 16, 29 54 7 notice 4 38 47 20 LJ122_P79-80.qxd 31/05/07 20:24 Page 79 79 Ours Lecture Jeune 190, rue du Faubourg Saint-Denis - 75010 Paris Tél. : 01 44 72 81 50 - Fax : 01 44 72 05 47 Courriel : [email protected] Directrice de publication Hélène Sagnet (81-52) Rédactrice en chef Anne Lanchon (81-53) Chargée de formation Michelle Charbonnier (81-51) Administration Chantal Viotte (81-50) Comité de rédaction Françoise Ballanger, Patrick Borione, Madeleine Couet-Butlen, Annick LorantJolly, Bernadette Seibel, Véronique Soulé, Jean-Claude Utard, Anne Zali Conception et réalisation [email protected] Ont collaboré à ce numéro Brigitte de Bergh, Marie-Françoise Brihaye, Michelle Brillatz, Sandrine Brugot-Maillard, Cécile Burgard, Juliette Buzelin, Michelle Charbonnier, Christelle Crumière, Daniel Delbrassine, Agnès Donon, Sébastien Féranec, Laurence Guillaume, Elise Hoël, Emmanuelle Jair, Anabel Jouineau, Anne Lanchon, Gilberte Mantoux, Amélie Mondésir, Eric Peltier, Charlotte Plat, Jean Ratier, Cécile Robin-Lapeyre, Jean-Claude Rouchy, Hélène Sagnet, Sonia Seddiki, Jean-Marc Talpin, Nicole Wells, Maryon Wable-Ramos Impression L’ARTESIENNE - Dépôt légal : juin 2007 Tél. : 03 21 72 78 90 I.S.S.N. 1163-4987 C.P.P.P. n° 1107G79329 Revue éditée par l’association Lecture Jeunesse Association de loi 1901 déclarée le 4 janvier 1974 Agréée par le Secrétariat d’Etat Jeunesse et Sport le 27/01/1977 – N° 94.155 Cette revue est publiée avec le concours de la Mairie de Paris, du Centre national du livre et de la Direction du livre et de la lecture (Ministère de la culture) Lecture Jeune - juin 2007 LJ122_P79-80.qxd 31/05/07 80 Abonnement 20:24 Page 80 Bulletin de commande 2007 Nom, Prénom : . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Organisme : . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Adresse : ...................................................................... Code Postal : Ville : ................................................................ ........................................................................... Email : ......................................................................... 2007 - Abonnement pour 4 numéros (Numéros 121 à 124) France : 40 € ■ Autres pays et DOM TOM : 44 € ■ Vente au numéro : 13 € Paiement par chèque joint Pour les organismes, facture en ….. exemplaires ■ ■ ■ Pour adhérer à l’association Lecture Jeunesse Je désire adhérer à l’association Lecture Jeunesse et soutenir son action en qualité de : Membre adhérent : 25 € ■ Membre bienfaiteur : 45 € et + ■ Date et signature Chers lecteurs, Lecture Jeunesse vous invite à découvrir son catalogue de formations du 2nd semestre 2007 : Les mangas, niveau « repères » Les mangas, niveau « approfondissements » Les romans à l’adolescence, niveau « approfondissements » Travailler en partenariat avec l’Education nationale L’accueil des adolescents en bibliothèque Les pratiques culturelles des adolescents : la musique La chaîne du livre : littérature et enjeux marchands Jeunes en situation d’exclusion et lecture Ainsi que la journée d’étude Cultures adolescentes (en partenariat avec La Joie par les livres) Retrouvez notre programme détaillé en page 72 Lecture Jeune Les derniers numéros N°116 Parcours de lecteurs N°118 Culture manga N°120 La lecture est-elle une activité réservée aux adolescentes ? 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