Un site de création contemporaine et son public : le Palais de Tokyo
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Un site de création contemporaine et son public : le Palais de Tokyo
Un site de création contemporaine et son public : le Palais de Tokyo, ou l’utopie de proximité Mathilde Monier * Université de Paris I (« Panthéon-Sorbonne ») Partant de quelques directives du Ministère de la culture et de la communication, Nicolas Bourriaud et Jérôme Sans, deux directeurs nommés pour trois ans, se sont vus désignés pour commander l’aile Ouest du Palais de Tokyo 1 et ainsi créer le premier centre d’art contemporain parisien sous tutelle de l’État. Une totale liberté de conception de lieu et de nombreux moyens financiers leur ont été accordés : il s’agissait de construire entièrement une nouvelle institution. Les jeunes directeurs ont eu la possibilité d’inventer une situation, de constituer une équipe et de définir un programme. Ils ont pu modeler complètement le lieu, avec pour principale motivation le désir de montrer quelque chose de différent, de proposer au public de l’art contemporain ce qu’il ne trouvait pas ailleurs : des médiateurs en salle, aptes à transmettre leurs connaissances, de nouveaux modes de fonctionnement qui sont plus proches de l’actualité artistique 2, et enfin, un lieu qui permette d’allier de manière complémentaire et concomitante culture et loisirs afin de « dédramatiser l’art contemporain qui souffre d’une * 1 2 [email protected] . Mémoire de DÉA en « Esthétique et Sciences de l’art » (Bernard Darras, dir.). Paris : Université de Paris I (« PanthéonSorbonne ») Le Palais de Tokyo est localisé au 13, avenue du Président-Wilson dans le XVIe arrondissement de Paris, en face du musée de la Mode Galliera et du Musée d’art moderne de la Ville de Paris, à une quinzaine de minutes du Centre national de la photographie pour les institutions culturelle de l’art moderne et contemporain, et plus généralement dans un quartier très bien équipé en institutions muséales (Guimet, Musée de l’Homme, bientôt le Musée Branly…) Les horaires d’ouvertures sont adaptés à la vie des Parisiens (midi à minuit), la programmation est flexible, le lieu accueille toutes les formes d’expressions artistiques actuelles (danse, arts visuels, musique, cinéma, etc.)… 199 MEI « Médiation et information », nº 19, 2003 image froide, hermétique et minimaliste » 1. Ainsi, en combinant toutes les innovations de la muséologie contemporaine, le Palais de Tokyo souhaite donner un nouveau visage à la jeune création. Ses efforts considérables lui permettront-ils de séduire le grand public ? Cette étude, menée au terme d’une année d’activité, propose d’évaluer le degré de réussite des propositions mises en œuvre par le Palais de Tokyo pour atteindre ses objectifs en matière de médiation de la culture contemporaine auprès du grand public. Plutôt que d’essayer de répondre tout de suite à la question : « les médiations mises en place au Palais de Tokyo sont-elles efficaces pour envisager une réconciliation entre l’art contemporain et le public ? », il a semblé plus judicieux dans un premier temps de connaître précisément les visiteurs du Site de création contemporaine. La sociologie des pratiques culturelles concernant la fréquentation des musées a eu tendance à privilégier l’approche quantitative. C’est au moyen d’une enquête par questionnaire qu’il m’a alors été possible d’établir les premières statistiques concernant le public du Palais de Tokyo. L’essai de Pierre Bourdieu, L’amour de l’art 2 a été un ouvrage de référence dans l’élaboration de cette investigation. L’étude, menée durant presque deux mois, a permis de dessiner le profil type du visiteur du Site de création contemporaine : il est majoritairement jeune, parisien, proche du milieu de la culture… Ne ressemble-t-il pas exactement au visiteur type de l’art contemporain identifié par Raymonde Moulin dans les années 1970 ? L’art contemporain pour un public averti est-il une vérité éternelle ? De plus, les données du questionnaire, une fois compilées, ont fait apparaître un chiffre tout à fait significatif : 41 % des visiteurs ne sont pas satisfaits de leur visite au Palais de Tokyo. Ce chiffre emblématique est en décalage complet avec la politique attractive menée par le service des publics du Site de création contemporaine. Comment expliquer un tel phénomène ? « L’art s’est toujours développé au sein de groupes et de communautés : (…) depuis le cercle étroit des collectionneurs ou commanditaires princiers jusqu’au grand public qui faisait autrefois la queue pour défiler dans les rétrospectives impressionnistes ou s’arrachait des T-shirts pop. L’art contemporain n’échappe pas à ce phénomène de la communauté mais d’une manière ici encore bien particulière. Il fonctionne comme un groupe d’initiés » 3. 1 2 3 Propos tenus par David Cascaro, responsable du service des publics du Palais de Tokyo lors de la conférence « Médiation et art contemporain », tenue dans le cadre des Jeudis de la Sorbonne. Paris, le 2/05/2002. Bourdieu, P., 1969. L’amour de l’art, les musées d’art européens et leurs publics. Paris : Minuit. Michaud, Y., 2003, p. 44. L’art a l’état gazeux. Paris : Stock. 200 Un site de création contemporaine… M. Monier Si dans ces principes fondateurs, le Palais de Tokyo souhaitait toucher le public amateur, l’étude menée durant sa première année d’ouverture a montré qu’il touchait d’avantage le “cercle étroit des collectionneurs ou commanditaires princiers”, transformé en “hype” 1 parisienne. L’ensemble des initiatives atypiques pour multiplier les outils de médiation entrepris par le Site de Création Contemporain (architecture modulable, programmation d’évènements, horaires adaptés aux loisirs, intégration de lieux sociaux et conviviaux, médiateurs en salle, multiplication des sources d’informations…) n’a fait qu’amplifier le fossé qui existe entre les différentes catégorie de visiteurs. Le concentré de création contemporaine du Palais de Tokyo ne séduit pas le public de novices, les efforts de médiation mis en place sont même jugés sévèrement. Dans les commentaires recueillis lors de mon enquête, l’impression que le Palais de Tokyo était fourbe 2, mal intentionné et faux s’est avérée récurrente, critiques qui rejoignent directement le discours des artistes squatters 3. Le Palais de Tokyo, en voulant mettre l’art contemporain à la portée de tous, s’est attiré les griefs des amateurs pour n’attirer une nouvelle fois que les branchés. En tant que médiateur culturel, je rejoins les propos tenus par Yves Michaud pour me résigner enfin : la médiation de l’art contemporain est un échec, « il n’y a rien là de scandaleux. On ne voit pas en quoi une stratégie de création hermétique serait a priori condamnable. Il y a toujours eu des poètes pour happy few et selon une expression consacrée, des peintres pour peintres. Un art n’a pas forcément vocation à se diffuser démocratiquement comme un service public » 4. L’ambition initiale du Palais de Tokyo, de devenir le lieu où l’art contemporain serait accessible au grand public, s’est avérée être un enchantement de courte durée. Les médiateurs, les professionnels du monde de la culture, les journalistes et le public, qui étaient très enthousiastes au moment de l’ouverture quant au fonctionnement atypique du centre d’art, ont progressivement déchanté. Tous se perdent dans le flou organisationnel et structurel du Palais de Tokyo. « L’effet gazeux de l’art contemporain » tourne les têtes, pour reprendre l’expression d’Yves Michaud. 1 2 3 4 Ce terme est utilisé pour désigner le milieu “branché”, les leaders d’opinions qui font les tendances dans la mode, la culture… « Quelle indigence, quelle prétention et quel mépris du public ! (…) Des commentaires abscons et suffisants pour des installations qui se voudraient être des œuvres mais qui ne révèlent que des supercheries d’où sont absentes toute créativité mais aussi toute provocation. » Jean-Louis H., p. 41. Extrait du Journal du Palais de Tokyo #3. Lors de son ouverture en janvier 2002, le Palais de Tokyo a été perçu comme une copie de friche industrielle, comme un squat institutionnalisé. Ibid., pp. 42-43. 201