Sauvegarde - Œuvre du Marin Breton

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Sauvegarde - Œuvre du Marin Breton
Almanach 1902 : P. 101
LES VICTIMES DE LA MER BRETONNE
en 1900-1901 sur nos côtes.
De temps à autre, on entend quelque terrien traiter nos marins pêcheurs d' «
insouciants », de « risque-tout ». Ah ! il ne réfléchit pas, le terrien, que c'est la faim
qui force les pêcheurs à sortir et à lutter contre les tempêtes. Que de fois, l'hiver, les
bateaux sortent malgré un temps menaçant et une apparence de coup de vent !... Ils
savent bien pourtant, les marins, à quoi ils s'exposent en allant ainsi dehors ! Mais ils
n'ont pas le choix : il n'y a plus de sous à la maison et le boulanger ne veut plus continuer un crédit désastreux... Il faut donc que les hommes se risquent en mer, surtout
s'il y a des filets à sauver ; ces filets dont la perte serait la ruine complète des pauvres
ménages… - Aussi, puisque les milliers de bateaux de pêche bretons continueront à
affronter ainsi les gros temps et les brisants, il est nécessaire que ces bateaux s'installent un peu mieux en prévision des accidents qui les menacent. Chaque patron doit
se dire : « Hier, c'était mon voisin qui a sombré, ce sera peut-être mon tour demain
; mon voisin a péri corps et biens, quoique près de terre, parce que le bateau et les
hommes ont coulé de suite ; il faut que, moi, je prenne quelques précautions de
sécurité ; il faut que j'aie à bord des flotteurs en liège... il faudra que je sacrifie 50
francs de plus pour faire un compartiment étanche à mon prochain bateau neuf »...
Comme l'an dernier, nous allons rapidement énumérer les navrants sinistres de
l'année écoulée. Cela est nécessaire, afin de rappeler aux patrons, aux équipages,
qu'ils ont le devoir de prendre quelques précautions de sauvetage, et afin de prouver
qu'une dépense de quelques francs de liège aurait probablement sauvegardé l'existence d'un bon nombre des malheureux qui ont péri.
Suivez cette douloureuse liste des martyrs de la côte bretonne :
Saint-Pierre, de Paimpol, perdu avec 3 hommes ;
Le 198, de Douarnenez, perdu avec 1 homme ;
Un canot de Camaret, perdu avec 2 jeunes gens ;
Lise, de Tréguier, perdu avec 2 hommes ;
Le chalutier à vapeur Paul-Larroque, perdu avec 8 hommes ;
1625, d'Audierne, perdu avec 4 hommes ;
Croisine, goélette, perdue avec 6 hommes ;
Sainte-Anne-d'Auray, perdu avec 3 hommes ;
Sainte-Marthe, trois-mâts naufragé à Plouescat, perdu avec 7 hommes ;
Marie-Joséphine, de Tréguier, perdu avec 4 hommes ;
Mousse, de l'Aber Benoît, perdu avec 4 hommes ;
Deux-Frères, de Portrieux, perdu avec 8 hommes ;
Albatros, de Langrune, perdu avec 5 hommes ;
Intrépide, de Sauzon, perdu avec 3 hommes ;
Va-et-Vient, du Guilvinec, perdu avec 2 hommes.
Soit, en tout, 56 hommes perdus, entre octobre 1900 et septembre 1901. On pourrait ajouter à cette liste, déjà trop longue, les 147 hommes embarqués sur les goélettes
paimpolaises Brune, Capelan, Saint-Michel, Pilote et Maria, qui se sont perdues...
Il faut aussi rappeler le triste accident de Tréguier, ce canot encombré de 17 promeneurs (dont un marin seulement !) qui a chaviré, causant la mort de 14 personnes...
Mais, en outre, que de marins ont vu la mort de près dans des naufrages, abordages, échouages et coups de côtes !... Nous allons énumérer les principaux ; et, si
ces lignes tombent sous les yeux de quelques-uns des marins dont nous allons parler,
nous les supplions de se rappeler les angoisses de leur naufrage et de fabriquer, pour
eux ou pour des camarades, des flotteurs de sauvetage dans le genre de ceux que
nous conseillons…Voici donc les principaux accidents de mer sur nos côtes depuis
quelques mois :
Domremy, dundee, 6 hommes sauvés ;
Joseph, dundee, l'équipage sauvé ;
Mignonne, goélette, l'équipage sauvé ;
198, de Douarnenez, 9 hommes sauvés ;
Hasard, dundee, l'équipage sauvé ;
Marie, langoustier, l'équipage sauvé ;
Malgorne-Deux, pilote, l'équipage sauvé ;
716, de Douarnenez, l'équipage sauvé ;
Eclaireur, de Molène, 3 hommes sauvés ;
Hélène, goélette, 5 hommes sauvés ;
156 Marie-Joseph, de Brest, 2 hommes sauvés ;
1625, d'Audierne, 1 homme sauvé ;
Croisine, goélette, 1 homme sauvé ;
Sainte-Anne-d'Auray, Etel, 3 hommes sauvés ;
Marie-Joseph, Augustine, Poche, Arabe, du Légué, les équipages sauvés ;
Saint-Georges, de Saint-Gilles, 5 hommes sauvés ;
Vas y de bon cœur, de Lauberlac’h, 4 hommes sauvés ;
180, de Douarnenez, 8 hommes sauvés ;
Jeune-Pierre, de Camaret, 3 hommes sauvés ;
Marie-Henriette, de Vannes, goélette, 6 hommes sauvés ;
Jeanne-Marie, sloop du Croisic, 3 hommes sauvés ;
Président-Kruger, d'Audierne, 4 hommes sauvés ;
Saint-Antoine-de-Padoue, de Douarnenez, 7 hommes sauvés ;
Intrépide, dundee de Camaret, l'équipage sauvé ;
Barbida, sombré près du Four, 3 hommes sauvés...
…et bien d'autres encore qu'il serait trop long de citer...
Oui, marins qui avez failli périr, nous vous supplions de nous aider : persuadez à
vos collègues d'avoir toujours à bord quelques flotteurs bon marché en liège (20 sous,
pour sauver la vie d'un homme !)... Et, pour mieux persuader, faites-en vous-même
un ou deux !... L'exemple est si puissante chose ! Vous verrez qu'ensuite beaucoup de
collègues feront comme vous !... Alors, vous serez fiers, à juste titre, d'avoir donné le
bon mouvement, et d'avoir ainsi contribué sans aucun doute à sauver la vie de plus
d'un de vos frères....