L`incrimination du faux et du mensonge en droit pénal

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L`incrimination du faux et du mensonge en droit pénal
LRC [Law Reform Commission of Mauritius]
Professeur Robert Louis Garron (20 Juin 2011, Salle du Conseil, Municipalité de Port Louis)
L’incrimination du faux et du mensonge en droit pénal
Je vais vous parler aujourd'hui du faux et du mensonge, le faux étant une infraction qualifiée,
le mensonge ne l'étant pas, mais les deux sujets se recoupent.
En droit pénal, la jurisprudence donne une définition du mensonge. Je l'ai donc copiée pour
vous en citer les termes précis: «Le mensonge pénal est une assertion sciemment contraire à la
vérité faite dans l'intention de tromper». Cette même jurisprudence définit aussi le faux comme
étant une altération frauduleuse de la vérité, que cette altération soit accomplie sur une chose ou
dans un écrit ; parce qu'il faut bien regarder qu'il n'y a pas que le faux en écriture, il y a aussi des
choses qui sont falsifiées, des tableaux, etc. Ces deux moyens, le mensonge et le faux, sont
fréquemment utilisés par les délinquants pour accomplir des malversations, aux dépens d'autrui
bien entendu. Ces deux moyens sont presque similaires, ils présentent comme étant véridiques ou
réelles des situations ou des choses qui ne le sont pas. Ils sont utilisés dans l'intention de tromper.
Voilà les points communs entre le faux et le mensonge.
Cependant, ces deux procédés, mensonge et faux, se distinguent sur un point fondamental:
dans le faux, le mensonge est toujours matérialisé par le support qui a pour objet de le contenir
ou de le véhiculer ; le mensonge se confond avec le support. Il concerne donc avant tout le
support, un document notamment, le document qui le contient. C'est cette matérialisation du
mensonge dans le faux qui le particularise et qui lui confère un régime juridique spécifique. Le
législateur considère en effet que le faux constitue une menace, par lui-même, pour la sécurité
des transactions et pour la crédibilité des documents probatoires. Il risque d'affaiblir la force
probatoire des actes et de porter atteinte à la confiance que l'on doit porter à certains documents.
Puisque le faux constitue donc une menace réelle, le législateur a pensé qu'il convenait de le
sanctionner, sanctionner ceux qui commettent ce faux indépendamment de toute malversation ;
c'est le faux qui est visé pour prévenir l'éventualité de ces malversations. Prévenir, cela signifie
que les poursuites peuvent se déclencher avant toute malversation, donc, sans considération
d'une victime ; la poursuite du faux se situe donc en amont du crime ou du délit dont il a pour
objet parfois lointain de faciliter la commission.
Le faux va être utilisé tôt ou tard, par conséquent, que peut-on faire pour éviter qu’il soit
utilisé ? Le droit pénal sans constitution d'une infraction spéciale ne peut pas le sanctionner, le
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faux n'est pas en effet une tentative de malversation, bien que l'on sait très bien qu'il sera utilisé
pour une malversation. La tentative se caractérise, en effet, par des commencements d'exécution,
or le faux n'est pas un commencement d'exécution, le faux est seulement un acte préparatoire ;
dès lors il fallait que le législateur lui-même vise le faux puisque c'est la sanction d'un acte
préparatoire. Et le législateur a pensé qu'il fallait viser le faux parce que c'est un danger. C'est un
peu comme de la fausse monnaie qui circule, il y a une menace qui circule avec le faux et il est
très dangereux de le laisser circuler.
Au contraire, dans le cas du mensonge ordinaire, qui n'est pas matérialisé dans un support, il
faut attendre que le délit soit consommé ou au moins tenté pour être puni. Il faut attendre que les
malversations soient commises, et que l'on puisse par conséquent, ces malversations étant
commises au moyen du mensonge, sanctionner ce mensonge. Il faut attendre que le mensonge
soit devenu frauduleux pour que le droit pénal puisse être mis en action, car le mensonge se
révèlera frauduleux dès lors qu'il aura permis une malversation. Il y a donc lieu de distinguer
deux sortes de mensonge : le mensonge ordinaire, nous l'appellerons le mensonge frauduleux,
puisque le droit n'envisage le mensonge que lorsqu'il est frauduleux, et le mensonge matérialisé
dans un faux. Le régime juridique de ces deux aspects du délit est tout-à-fait différent ; dans le
premier cas, c'est la sanction d'une malversation, dans le deuxième, c'est la prévention d'un
danger que constitue le faux.
Donc, première partie : le mensonge frauduleux.
Dans les délits de tromperie, le mensonge joue un rôle fondamental, le mensonge est le
ciment-même de l'infraction, c'est le ciment de l'opération frauduleuse. D'où la question que l'on
peut se poser de manière liminaire avant d'aborder telle ou telle infraction précise, est-ce que le
mensonge peut être sanctionné en tant que mensonge ? Est-il possible de punir l'auteur d'un
mensonge lorsque celui-ci n'a commis qu'un mensonge ? Cela peut arriver, mais le droit le
permet rarement. Par exemple, le faux témoignage qui consiste à dire des choses fausses sous
serment, n'est qu'un simple mensonge, mais ça suffit quand même pour conduire celui qui l'a
commis en prison.
On connait de même une autre forme du mensonge sanctionné en tant que mensonge : il s'agit
de la fausse déclaration douanière. Le douanier vous demande si vous avez quelque chose à
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déclarer, vous répondez par la négative. Il fouille la valise et découvre des objets dont
l'importation ou l'exportation doit être soumise à des taxes. Cette marchandise pouvait passer la
frontière en payant la taxe. Mais vous avez commis un mensonge, un simple mensonge, pour
éviter de payer cette taxe. Vous êtes alors passible de certaines pénalités. Car le droit pénal
sanctionne ce mensonge. Vous allez être poursuivi pour importation ou exportation sans
déclaration.
Ces exemples de mensonge, principalement puni en tant que mensonge, sont assez
exceptionnels. En réalité, dans la plupart des cas, le mensonge est un élément qui participe à la
réalisation d'une malversation. Le mensonge est frauduleux et, par conséquent, ce mensonge ne
doit pas être seul. Pour être pris en compte par le droit, il faut qu'il ait été déterminant d'une
malversation, d'une escroquerie, d'un détournement, il faut qu'il ait joué un rôle déterminant dans
la commission d'une infraction. En droit pénal, le mensonge en tant que tel n'est presque jamais
sanctionné. Pour qu'il soit déterminant, il faut que le mensonge porte sur un faux nom ou sur une
fausse qualité, ou qu'il soit avéré, conforté par certains éléments qui lui donne « force et crédit »,
tels que les propos d'un tiers, par exemple, ou la production d'un écrit. Dans ce dernier cas, la
personne qui est victime de la malversation, est trompée parce que le mensonge est véhiculé par
un titre ou par les paroles d'un tiers. Par un titre ou des paroles qui donnent à ce mensonge force
et crédit. Donc il ne s'agit plus d'un simple mensonge, mais d'un mensonge frauduleux, conforté
par des éléments extrinsèques.
Prenons comme exemple l'escroquerie. En ce qui concerne ce délit, on trouve, dans la
jurisprudence, des cas où le mensonge est pris en considération en tant que tel, en tant que
mensonge uniquement sans le concours d'un autre élément. Mais, tout de même, il faut que ce
mensonge ait déterminé l'escroquerie, autrement l'auteur ne peut pas être poursuivi. C'est le cas,
par exemple, pour le faux nom dont l'usage est visé dans la section 330 de votre Code pénal.
Cette section, qui définit et sanctionne l'escroquerie utilise, à peu près, dans l'énumération des
éléments constitutifs de cette infraction, les mêmes termes que le Code pénal français. Certes,
nous avons rajeuni notre Code et, à cette occasion, légèrement modifié la définition de
l'escroquerie, telle qu'elle résultait de notre ancien article 405. Mais l'article 313-1 de notre
nouveau Code pénal vise toujours, comme le fait votre Code, "l'usage d'un faux nom ou d'une
fausse qualité".
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Ceci étant, il est donc prévu, en droit mauricien comme en droit français, que l'on peut
commettre une escroquerie, soit par l'usage d'un faux nom ou d'une fausse qualité, soit par
l'accomplissement de manœuvres frauduleuses. Alors quel est le sort du mensonge dans ces
deux hypothèses ?
A cet égard, l'examen de la jurisprudence révèle que le faux nom suffit pour être pris en
considération par le droit. Il suffit d'utiliser un faux nom pour entrer dans le champ du droit
pénal, à condition que son usage soit déterminant de la malversation, de l'escroquerie. La
nécessité de ce lien étroit de cause à effet entre l'usage du faux nom et la malversation se
comprend aisément. Car l'escroquerie suppose, pour être sanctionnée, la remise, par la victime,
d'un bien ou d'une valeur indue. Mais lorsqu'une telle remise est constatée, il suffit que son
destinataire ait fait usage d'un faux nom pour que ce faux nom soit considéré comme
déterminant.
Je voudrais vous citer, à ce propos, la jurisprudence de la Chambre criminelle de la Cour
de cassation française. J'ai choisi de vieux arrêts car, à l'époque où ils ont été rendus, le droit
mauricien et le droit français de l'escroquerie étaient absolument similaires. Le texte mauricien
n'était que la copie de notre ancien article 405. Il s'agit de deux arrêts, sur l'usage du faux nom,
l'un du 26 novembre 1891, l'autre du 18 mai 1931, dont les motifs sont identiques. Selon ces
arrêts, "le délit d'escroquerie est suffisamment établi par l'usage d'un faux nom ayant déterminé
la remise de fonds, sans qu'il soit nécessaire que le faux nom ait été en outre accrédité par l'usage
d'une fausse qualité ou l'emploi de manœuvres frauduleuses". Donc, vous le voyez, la
jurisprudence considère bien que l'usage d'un faux nom suffit à la commission d'une escroquerie
dès lors qu'il est déterminant de la remise de fonds.
On peut dire alors que le mensonge en lui-même est pris en compte. L'auteur du délit
prend un faux nom, il se présente, par exemple, comme étant Monsieur Tartanpion, qui est le
créancier de sa victime. Celle-ci, trompée par ce simple mensonge, verse le montant de sa dette à
l'auteur du délit. L'escroquerie, selon la jurisprudence, est réalisée. Pourtant l'escroc n'a pas fait
autre chose que de mentir sur son nom.
Pour la fausse qualité, c'est la même chose. Vous avez beaucoup de jurisprudence sur ce
mensonge, car la fausse qualité porte sur de nombreux domaines, faux mandataires, faux
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policiers, etc.. L'utilisation de la fausse qualité est très fréquente, on a même vu des faux
chômeurs, car vous savez qu'en France quand on est faux chômeur, on devient créancier des
caisses publiques qui financent le chômage. La démarche de la Cour de cassation est la même
que celle qui porte sur le faux nom. C'est pareil : lorsque vous utilisez une fausse qualité, le
simple mensonge suffit, dans la mesure où la victime a été déterminée par cette qualité, que vous
avez acquise de manière fictive. Les arrêts sur la fausse qualité comportent d'ailleurs les mêmes
motifs que les arrêts relatifs au faux nom. Par exemple, deux arrêts, que j'ai volontairement
choisis anciens, l'un du 2 mars 1933 et l'autre du 12 juin 1936, affirment que la commission
d'une escroquerie consiste "dans le seul fait d'avoir usé frauduleusement d'une fausse qualité,
sans qu'il soit nécessaire qu'elle ait été, en outre, accréditée par quelque manœuvre".
En ce qui concerne le troisième moyen de réaliser une escroquerie, la manœuvre
frauduleuse, c'est plus compliqué. Car dans celle-ci, le mensonge frauduleux doit avoir des
qualités qui ne sont pas celles d'un simple mensonge. La jurisprudence considère que le
mensonge doit être conforté par des éléments qui lui donnent « force et crédit » pour que la
victime soit déterminée par ce mensonge. Si l'on remonte dans le passé, les manœuvres
frauduleuses, pour être prises en compte, devaient être très élaborées. Il fallait que le délinquant
ait organisé toute une mise en scène, associé des tiers, créé des évènements imaginaires, pour que
la jurisprudence qualifie ces faits de manœuvres frauduleuses. Puis la jurisprudence est devenue
plus sévère. Elle a décidé qu'on pouvait prendre en considération des événements beaucoup
moins caractérisés. C'est le cas notamment du mensonge écrit.
Lorsqu’il y a un mensonge écrit, normalement la jurisprudence ne le prend pas en
compte, car l'écrit est un moyen d'expression. Par conséquent, le mensonge n'est pas conforté par
un élément extérieur ou par autre chose. Si je mens dans une lettre, ça n'aura pas d'importance
pour la bonne raison que la lettre, l'écrit, est un moyen d'expression. Mais la jurisprudence
considère qu'il y a certains documents qui confèrent au mensonge écrit « force et crédit ». Par
conséquent, dans ces documents il suffit de mentir, à condition, bien entendu, que la victime ait
été déterminée par le mensonge. Il suffit que l'on mette un mensonge dans un acte authentique,
dans un document ayant force et crédit, un bilan par exemple, une publicité officielle, avec
répétition de la publicité, à ce moment-là le mensonge écrit se trouve conforté par la qualité du
document et les gens ont tendance évidemment à croire que ce qu'il y a dans ce document qui est
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important, car ces gens lui reconnaissent un caractère officiel, une force de vérité. C'est pourquoi
l'écrit mensonger peut entraîner, dans ce cas-là, la détermination de la victime. Pour illustrer mes
propos, je ne citerai comme exemple, que la jurisprudence relative au faux bilan, qui n'est pas
autre chose qu'un mensonge écrit. A ce propos, la Cour de cassation déclare, dans de nombreux
arrêts, que "constitue une manœuvre frauduleuse caractérisant le délit d'escroquerie,
l'établissement et la production de faux bilans". Les deux plus vieux arrêts, d'une longue et
constante série, datent, l'un du 21 janvier 1871, l'autre du 4 août 1933.
Ce qu'il y a d'intéressant lorsqu'on aborde le mensonge écrit, c'est qu'on est au bord du faux,
et que les deux infractions se recoupent. Il peut y avoir les deux à ce moment-là. Si on utilise un
mensonge écrit qui a été formulé dans un document officiel qu'on avait préparé longtemps en
avance, c'est à la fois un usage de faux et la manœuvre frauduleuse de l'escroquerie.
En France, cela ne pose aucun problème, parce que le procureur a le droit de poursuivre tout à
la fois pour escroquerie, pour faux, pour abus de confiance, le tout en même temps. Il n'y a pas
de ventilation à faire, par conséquent, c'est un avantage pour le procureur, lorsqu'il y a faux,
usage de faux, escroquerie, cela fait beaucoup d'infractions, ça permet au procureur de
poursuivre plus facilement l'auteur du délit. Ici, je ne sais pas, parce qu'il y a certains pays où il
faut qualifier précisément les faits et c'est là que le problème se pose. Car s'il faut qualifier
précisément, il faut faire la « ventilation » des faits avant même de poursuivre. Et, à ce momentlà, il faut bien savoir si l'on poursuit sur le fondement des manœuvres frauduleuses de
l'escroquerie ou sur le délit d'usage de faux.
Parlant du faux, j'en viens directement au mensonge qui est matérialisé dans un
faux. C'est notamment la section 108 de votre Criminal Code Act qui prévoit le faux en écriture
commis par des individus qui n'exercent pas une fonction publique au moment de la commission
des faits, c'est-à-dire la plupart des citoyens. La section 107, au contraire, est plus restrictive car
elle vise les notaires ou les officiers publics qui commettent des faux.
Je vous ai dit tout à l'heure que le faux est un danger et qu'il convient, par conséquent, de
mettre un terme à la constitution comme à la circulation des faux. Car le faux représente un
danger pour la crédibilité des moyens de preuve. En France, nous avons fait nettement le partage,
dans le nouveau Code pénal, entre le droit du faux et le droit de l'escroquerie. Nous avons classé
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désormais le faux dans un chapitre du Code qui n'a pas du tout les mêmes intitulés que le
chapitre qui vise le mensonge frauduleux. L'escroquerie est, en effet, visée dans un titre qui
concerne les extorsions, alors que le faux se trouve visé dans le titre quatrième qui concerne les
atteintes à la confiance publique. Car, en punissant le faux, on veut faire en sorte de protéger les
documents qui constituent des preuves. On veut qu'ils ne soient pas falsifiés, pour que l'on ait
confiance en ces documents probatoires. C'est la raison pour laquelle la France a carrément
séparé l'escroquerie qui est une malversation contre les biens, du faux qui est l'assainissement
d'une situation civile ou commerciale. Il ne faut pas qu'il ait de faux car ils risquent de
compromettre la sécurité juridique.
Ce partage-là est à peu près le même chez vous, malgré la différence dans la présentation des
titres du Code. Il y a cependant une petite divergence entre le droit mauricien et le droit français
depuis notre réforme du Code pénal. Le faux qui est désormais sanctionné par l'article 441-1 du
nouveau Code pénal français, ne porte plus seulement sur un écrit. Son domaine traditionnel,
celui du Code de Napoléon, s'est élargi depuis la réforme française. Aujourd'hui le faux ne
concerne pas que les actes juridiques, il peut porter sur tout support. Cela paraît conforme à
l'évolution des moyens de communication. On peut traiter une affaire par un mail, une
photocopie, scanner un document, etc.. C'est pour ça que le droit français, tenant compte de
l'évolution des techniques, a prévu que tout support, quel qu'il soit, qui a un effet probatoire,
entre dans le domaine de l'incrimination et de la répression du faux. Mais à part cet
élargissement, les droits français et mauriciens sont absolument similaires.
Je vous ai dit que le faux suppose un mensonge mais que ce mensonge contenu, matérialisé
dans le faux, entache l'acte et doit être, par conséquent, sanctionné. En ce qui concerne le
mensonge, il revêt différentes formes dans le faux. Nous nous en tiendrons au faux en écriture. Il
y a le mensonge qui résulte d'une manipulation dans l'écrit, c'est le faux matériel, et puis vous
avez le faux intellectuel qui consiste à mentir dans un acte tout en respectant sa forme, son
intégrité, sa finalité, sans le dénaturer. Par exemple, si le notaire vous interroge quand vous faites
un acte et si vous lui dites des mensonges vous commettez un faux en écriture publique. C'est un
délit très important, car le notaire authentifie vos paroles et va les consigner dans un acte.
Comme c'est un acte public vous aurez commis un faux intellectuel dans un acte public. Voilà la
façon dont se manifeste votre mensonge.
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Le délit de faux révèle sa nature spécifique, dans l'examen de son régime juridique. Je vous ai
dit qu'on veut prévenir, on ne veut pas que circule une sorte de fausse monnaie, c'est-à-dire des
actes viciés qui vont porter préjudice à autrui. Alors le droit prévoit que dès que le faux en
écriture est commis, la personne doit être sanctionnée dans la mesure où ce faux est de nature à
causer préjudice. Le faux doit être poursuivi en lui-même. Il faut arrêter la personne qui a
commis le faux car il a constitué un acte dangereux qui risque de porter atteinte à la crédibilité
des documents. Par conséquent, le préjudice n'est pas consommé comme dans l'escroquerie,
comme dans le mensonge frauduleux, le préjudice est pris en compte dans la mesure où il est
susceptible de se réaliser.
Je vais à cet égard vous citer la jurisprudence, car c'est important. C'est un changement de
nature, par rapport au délit d'escroquerie. Le faux n'est pas un délit qui punit une malversation
mais qui punit le fait d'avoir incorporé un mensonge dans un document probatoire, qui peut
servir de preuve.
Alors, « il n'y a faux punissable, dit la Cour de cassation dans un arrêt du 15 juin 1962,
qu'autant que la pièce contrefaite ou altérée est susceptible d'occasionner à autrui un préjudice
actuel ou éventuel ». Le préjudice n'a pas à être certain, il peut l'être parfois mais ce n'est pas
nécessaire : pour être punissable, ce préjudice peut être seulement potentiel ou même éventuel.
Je vous lis encore, à ce propos, un arrêt de la Cour de cassation du 15 avril 1935 : « La loi,
dit la Cour, n'exige pas pour qu'il y ait crime de faux que le préjudice soit consommé ou
inévitable, il suffit d'une simple éventualité ou possibilité de préjudice ». J'ai pris toujours des
arrêts assez vieux pour que cette jurisprudence entre dans le cadre de l'interprétation de votre
Code. C'est donc la simple éventualité qui est prise en compte. Cela montre bien la nature
juridique de cette poursuite : c'est le faux qui intéresse le législateur, c'est le mensonge
matérialisé dans un acte, ce n'est pas la malversation. Qu'importe le destin de cet acte, on sait très
bien que les délinquants vont l'utiliser tôt ou tard, mais on veut tuer dans l'œuf l'opération
frauduleuse en attaquant tout de suite le faux, en attaquant l'acte préparatoire, en n'attendant pas
la consommation du délit, même sa tentative, par la commission d'un commencement
d'exécution. Voilà donc la vraie nature juridique de ce délit : un délit dont la sanction est
davantage préventive que répressive.
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L'analyse de l'intention criminelle révèle aussi la distinction entre le délit d'escroquerie et le
délit de faux. Vous savez que dans le droit de l'escroquerie il faut un « dolus specialis », c'est-àdire qu'il faut avoir non seulement l'intention de tromper mais encore l'intention de se faire
remettre de l'argent ou d'autres valeurs. La volonté criminelle est ainsi particulièrement
caractérisée. L'intention, dans le faux est tout à fait différente. Ce mensonge matérialisé doit être
immédiatement sanctionné dès lors que le délinquant a seulement conscience qu'il ment, qu'il est
en train de mentir dans un acte, que ce qu'il dit dans cet acte est une altération de la vérité. S'il a
cette conscience, l'auteur du mensonge sera automatiquement poursuivi. Donc, vous voyez la
différence d'intention criminelle : dans un cas c'est une malversation fondée sur mensonge
frauduleux et la conscience criminelle doit être particulièrement chargée, dans l'autre cas, c'est
tout simplement la constitution d'un l'écrit falsifié et la conscience est beaucoup moins chargée :
il suffit qu'on soit conscient que l'on ment, c'est tout, puisque nous sommes en plein mensonge.
Voilà, je termine là mon exposé. Mon but était, avant tout, de clarifier la question très
complexe du mensonge et du faux. Pour éviter les confusions. Car il y a toujours une confusion
dans les esprits entre le mensonge frauduleux de l'escroquerie et le mensonge matérialisé dans le
faux. Je voulais donc souligner clairement la différence de nature et la différence d'approche
entre certains délits qui procèdent du mensonge.
Questions de l’auditoire
Q - Pourriez-vous brièvement nous donner une idée de la manière dont le droit a évolué en
France par rapport au mensonge ?
Professeur Garron - Il n'y a pas eu de transformations très importantes, c’est-à-dire que le texte
entérine un peu les décisions de la jurisprudence et donc entérine le droit positif. Et vous voyez
apparaitre dans notre texte ce qui a déterminé le consentement : l'usage d'un faux nom ou d'une
fausse qualité, c'est-à-dire un mensonge, qui a "déterminé » la remise de fonds. Le mot
"déterminé" se trouve aujourd'hui dans le texte du nouvel article concernant l'escroquerie. Il en
va de même dans le faux : alors que la jurisprudence disait que le faux est réalisé lorsqu'on a
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manipulé un titre qui pouvait avoir des effets probatoires, le mot "probatoire" figure à présent
dans notre texte. C’est actuellement dans le Code pénal. La différence avec vous est nulle. Il
arrive qu'il y ait des divergences, par exemple sur 1384, à un moment donné, nos jurisprudences
ont divergé. Mais, dans l'ensemble, vous adoptez les solutions de notre Cour de cassation. Sa
jurisprudence, sauf, peut-être quelques détails relatifs à l'extension par le droit pénal français du
domaine d'application du faux en écriture. Aujourd’hui la plupart des malversations et des faux
se réalisent à partir de procédés informatiques, numériques, etc., par conséquent, notre législateur
a dû en tenir compte. Il y a actuellement plus de la moitié des individus qui sont escroqués par
internet, ça n'ira qu'en empirant. Les mauvais coups pleuvent et arrivent d’Asie. Dernièrement il
y a eu toute une filière d'Afrique concernant les agences matrimoniales. Les africains ont joint
aux photos des femmes à marier, des portraits de stars d'Hollywood et les personnes qui se
portaient postulant pour un mariage par l'intermédiaire d'une agence matrimoniale, voyant de
telles stars qui leur étaient proposées, donnaient tout l'argent qu'il fallait pour que la transaction
imaginaire aboutisse. Voilà pourquoi le législateur a tenu compte dans le droit du faux de ces
malversations qui se produisent par l'informatique et a considéré que l'altération de tout support
qui peut porter preuve, est considéré comme un faux et passible des pénalités du faux.
Q - Un des problèmes auxquels nous sommes fréquemment confrontés, ce sont les fausses
déclarations dans les affidavits, qui sont des supports a priori à force probante. Quelles sont les
sanctions qui devraient être prises contre ce genre de déclaration, et est-ce que la cour a un
devoir, lorsqu'elle est convaincue qu'il y a eu un faux dans un document sous serment de référer
le document au Directeur des poursuites publiques ?
Professeur Garron - Vous êtes en plein dans le faux en écriture. L’affidavit sert énormément
chez vous, nous, en France, nous n'avons pas l'équivalent. Vous pourriez peut-être aussi punir
carrément celui qui fait une fausse déclaration dans l'affidavit. C’est une offense. Nous sommes
en plein dans le mensonge formulé face à un juge.
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Q - Comme vous devez le savoir, la section 330 de notre Code pénal prévoit différents modes du
délit d'escroquerie, et il y a un mode prévu, l'émission de chèques sans provision. Quels sont vos
commentaires sur le fait que ce mode d'escroquerie se trouve assimilé aux autres modes
d'escroquerie comme on les connait traditionnellement ?
Professeur Garron - Le chèque en bois n'est pas forcement constitutif d'une escroquerie. Il y a
des personnes qui tirent des chèques, qui sont parfois tête en l'air, ça peut arriver, et qui tirent des
chèques sur des comptes qui ne sont pas crédités. Il y a un dégarnissement de ces comptes qui
n'est pas toujours connu par leurs titulaires. Souvent, en France, ça arrive par des prélèvements
automatiques, le gaz, l'électricité, les impôts, etc... Vous avez des organismes qui de temps en
temps vous font un trou magistral dans le compte que vous croyez garni. Alors donc, le faux
chèque, à mon avis, n'est pas forcément une escroquerie pour la bonne raison qu'il n'y a pas une
manœuvre consistant à se faire donner une somme indue. Ceci étant, vous avez, comme en
France, des textes relatifs au chèque sans provision. Il y a une législation spécifique, qui
s'apparente davantage de la discipline financière, qu'à la poursuite d'une intention criminelle.
Certes, il peut y avoir des criminels qui font des faux chèques, celui qui gratouille et fait un
chèque complètement faux, alors là c'est une escroquerie ou c'est un faux, mais le chèque sans
provision ne l'est pas. Vous avez un texte spécial comme nous. En France on a forcé sur les
sanctions civiles : celui qui fait un ou deux chèques sans provision est interdit de chéquier.
Q - Ne pensez-vous donc pas qu'en conséquence, il faudrait dépêtrer l'émission de chèque en
bois de cette conception traditionaliste, dissocier, non pas les assimiler avec les classiques ?
Professeur Garron - On peut commettre une escroquerie avec tout, y compris un chèque, mais
ce n'est à ce moment-là, qu'un élément du mensonge frauduleux, un élément qui vient conforter
le mensonge. Mais, en lui-même, le chèque sans provision ne sera jamais considéré comme une
manœuvre d'escroquerie. Il y a une législation spéciale. C'est moi qui vous remet le chèque sans
provision, donc c'est moi qui met l'argent sur la table, même fictif, alors que l'escroquerie avec la
manœuvre frauduleuse fait appel à l'imagination qui est démoniaque des délinquants et par
conséquent on peut probablement rencontrer des cas où un acrobate a utilisé des chèques pour
escroquer quelqu'un et se faire remettre de l'argent.
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