B.Amann - p. 1 - PRESSE ET FINANCE AU XIXe siècle ET AU
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B.Amann - p. 1 - PRESSE ET FINANCE AU XIXe siècle ET AU
PRESSE ET FINANCE AU XIXe siècle ET AU DÉBUT DU XXe siècle EN FRANCE Introduction "Donnez moi 300 000 francs d'annonces et je me charge de placer toutes les actions de la plus mauvaise entreprise qu'il soit possible de trouver.."1 . Ces mots prononcés par un journaliste en 1837 donnent le ton des rapports entre la finance et la presse au XIXe siècle. Et c'est, on aura l'occasion de le voir un ton relativement modéré par rapport à ce qu'est la réalité. Mais avant d'en venir plus précisément à ce journalisme vénal2 ou à ces félonies financières3 pour reprendre les termes de Charles Kindleberger, il paraît nécessaire d'évoquer rapidement l'état économique de la France au XIXe siècle et l'état du secteur bancaire à cette époque. Quel est l'état économique de la France à cette période? A la chute de l'Empire, la France, affaiblie par un quart de siècle de guerres contre une Europe coalisée est largement en retard par rapport à la Grande-Bretagne. C'est un pays réduit géographiquement (ramené aux frontières initiales d'avant la Révolution) et démographiquement (les guerres révolutionnaires et impériales ont coûté plus d'un million d'hommes). Les échanges atlantiques pour l'essentiel ne sont plus que de lointains souvenirs. L'axe Grande-Bretagne-États-Unis a pris le relais. Il y a certes des propriétaires fonciers issus de la logique révolutionnaire. L'industrie est bien faible, les matières premières coûteuses et l'appareil technique en retard. Avec en 1815, la surprise de la paix, le pays va s'attacher à - pour reprendre des termes modernes - inverser la tendance. Le XIXe siècle va être une période de forte croissance. Quatre phases (cycles de Kondratieff4 ) peuvent être distinguées5 dans cette croissance - 1815-1850: tendance à la stagnation ou à la baisse des prix (phase B); - 1851-1873: mouvement inverse; tendance à la hausse, ou plus exactement à des prix "soutenus" (phase A); - 1873-1896: tendance nette à la baisse ou stagnation (phase B); - 1896-1914: hausse évidente (phase A). Reste que le XIXe siècle va subir un certain nombre de crises, qui passeront de crises dites de "subsistance"6 à des crises "intermédiaires"7 et à des crise de surproduction industrielle (à partir du dernier tiers du XIXe siècle) avec les manifestations caractéristiques qui en découlent: krach boursier, faillites bancaires et extension à l'appareil industriel et commercial. Si on a pu souligner le retard économique de la France au début du XIXe siècle, la même constatation peut être faite en ce qui concerne le secteur bancaire. On met ainsi en évidence que le montant cumulé des dépôts dans les banques françaises en 1860 était cinquante fois inférieur à celui de la Grande-Bretagne, qu'il y a une nette prédominance des espèces 1 Lévy-Boyer M. (1964), Les banques européennes et l'industrialisation internationale dans la première moitié du XIXe siècle, PUF pp.632.33 2 Kindleberger Ch. (1989, 1994), Histoire mondiale de la spéculation financière, éditions P.A.U. p. 119 3 Kindleberger Ch. op. cit. p. 121 4 ces cycles se définissent en fonction de leur amplitude. Leur détermination est fondée sur une étude de l'évolution des prix. L'amplitude d'un mouvement Kondratieff est approximativement d'un demi-siècle. Il se divise en deux grandes phases. Une phase A de montée des prix, une phase B de baisse des prix. 5 Beltran A. et Griset P. (1994), La croissance économique de la France 1815-1914, Armand Colin 6 due essentielement à une production de grains insuffisante 7 trouvant généralement leur origine dans une mauvaise récolte qui en réduisant les achats des paysans en biens industriels se propageait au secteur secondaire B.Amann - p. 1 - métalliques (ou d'anciens moyens de paiement comme les lettres de change) qui trahirait une demande en crédits médiocre et une circulation de faible amplitude1 . Assez progressivement, la situation va connaître une évolution importante. Traditionnellement, les entreprises françaises avaient l'habitude de se financer par elles-mêmes et ne désiraient pas dépendre d'autrui. Il s'agit bien souvent par ailleurs d'entreprises familiales. Les industries du début du siècle demandent des investissements peu importants qui peuvent généralement pour l'essentiel être mobilisés par une famille. La situation change avec l'industrialisation croissante au cours du XIXe siècle et avec le développement du chemin de fer et avec l'urbanisation haussmanienne. L'épargne familiale ne suffit plus. De nouvelles structures financières sont mises en place sous le Second Empire, pour répondre à ces exigences nouvelles. Le système bancaire va se développer de manière importante et va s'ouvrir à de nouveaux services. A partir du Second Empire vont être lancés de grands emprunts2 qui favoriseront une intense spéculation. Une situation donc, tant au niveau économique général, qu'à celui des banques qui est a priori celle d'un retard mais que l'on tente à grands pas de combler. Cette marche rapide est nécessairement génératrice d'excès. La presse dont on va voir le développement y est très largement associée. Ainsi pour caractériser ces liaisons, on peut dire qu'elles sont au départ des liaisons dangereuses. (1) Des liaisons simplement dangereuses. De liens de soutien, d'intérêts mutuels entrelacés, on va insensiblement glisser vers des liens de domination par la finance. Avec le temps, à l'occasion d'un certain nombre d'affaires qui seront envisagées, elles vont devenir des liaisons scandaleuses.(2) 1. Les liaisons dangereuses En réalité ces liaisons dangereuses de la presse et de la finance ne sont qu'une facette d'un mouvement beaucoup plus général. Il y a beaucoup à dire sur les liaisons dangereuses de la presse avec le monde politique. C'est en fait un triptyque presse-politique-finance (1.1.) qui est mis en place et largement dénoncé. A un second niveau et si l'on tente - autant que faire se peut - de se dégager de la donne politique, c'est un véritable réseau entre presse et finance qui est mis en place (1.2.). 1.1. Le triptyque Presse-Politique-Finance L'examen de ces relations entre Presse, Politique et Finance suppose que l'on envisage tout d'abord la situation générale de la presse et les formidables mutations qu'elle subit au XIXe (1.1.1.) et ensuite, les mécanismes de ces relations (1.1.2.). 1.1.1. La situation générale de la presse 1 Beltran A. et Griset P. (1994), La croissance économique de la France 1815-1914, Armand Colin 2 le portefeuille de valeurs mobilières françaises passe d'une dizaine de milliards au début du Second Empire à environ 50 milliards en 1878 et à une centaine de milliards en 1903. Beltran et Griset op.cit. p. 144 B.Amann - p. 2 - La période révolutionnaire1 a donné une impulsion considérable à la presse. Même si l'Empire soumet les journaux à une surveillance sévère, les titres se multiplient et se diversifient. Le tirage de la presse quotidienne de Paris passe entre 1803 et 1870 de 36 000 à 1 million d'exemplaires. Au niveau national, il s'imprimait en France en 1870 28 exemplaires pour 1 000 habitants (Albert et Terrou 1979)2 . Quelles sont les raisons de cet accroissement important? - La première c'est le prix. Avec l'industrialisation des méthodes de fabrication, le prix de vente des journaux chute considérablement. Jusque dans les années 1840 en effet le développement de la presse a sensiblement été freiné par le prix élevé des abonnements: 80 F par an soit plus que le salaire mensuel moyen d'un ouvrier parisien. C'est le 1er juillet 1836 que paraissent 2 journaux, le Siècle et la Presse dont l'abonnement est fixé à 40 F3 . Ainsi en 1880: Journaux républicains Petit Journal Petite République Lanterne Intransigeant Paix Petit National France Petit Parisien Rappel Marseillaise Nouveau Journal Temps Liberté Mot d'Ordre Siècle XIXe Siècle National Événement Réveil social Justice Vérité République française Voltaire Citoyen Petit Républicain Télégraphe Journal des Débats Journal à un sou Journaux conservateurs Tirages 583 820 196 372 150 531 71 601 52 949 46 837 43 753 39 419 33 535 28 818 27 384 22 764 17 921 16 316 15 082 14 881 14 543 14 085 13 316 12 847 12 263 11 506 10 451 10 351 9 890 8 464 6 935 5 643 Figaro (avec supplément) Petit Moniteur Soleil Petit Caporal Petite Presse Gaulois France nouvelle Moniteur universel Univers Peuple français Estafette Pays Patrie Monde Paris-Journal Gazette de France En Avant Français Union Défense Civilisation Ordre Gazette des Tribunaux Constitutionnel 24 titres: Tirages 104 924 100 476 45 190 25 051 22 629 14 854 14 554 13 872 10 367 9 463 8 846 6 715 6 434 6 130 6 051 5 864 4 948 4 718 4 592 4 288 3 735 3 153 2 918 2 135 431 707 Non Classables 1 art. XI de la Déclaration des Droits de l'Homme du 26 août 1789 "La libre communication de la pensée et des opinions est un des droits les plus précieux de l'homme: tout citoyen peut donc parler, écrire, imprimer librement, sauf à répondre de l'abus de cette liberté dans les cas déterminés par la loi" 2 contre 3 pour 1 000 en 1832, 28 pour 1 000 en 1867 p. 32 3 Soit un prix de vente théorique au numéro de 10 centimes [Albert et Terrou 1979] B.Amann - p. 3 - Prolétaire Globe Soir Droit Presse Courrier du Soir 5 600 4 625 Gil Blas 28 257 4 556 Grand Journal 10 236 31ll 2 048 TOTAL GÉNÉRAL: 1 9l9 60 titres 1 984 521 34 titres: 1 514 321 Document n° 1. La presse en 1880 (Sources: Bellanger Cl., Godechot J., Guiral P. et Terrou F. dir. (1972), Histoire générale de la presse française p. 233)1 Les autres journaux furent obligés de suivre. Les décrets des 5 et 6 mars 1848 qui suppriment le timbre et le cautionnement2 accentuèrent le mouvement à la baisse. Beaucoup de journaux se vendaient au numéro à 5 centimes (soit 57 centimes en valeur actuelle). Ce prix sera généralisé après 1870. La presse atteint ainsi des couches sociales nouvelles: la petite bourgeoisie et le peuple des villes. Le moyen d'accroître la diffusion est considérable. Dépenses Papier du journal (au rendement 10 fr. par mille tirés) Impression (100 fr. par jour) Composition (160 fr. par jour) Départ (comprenant la mise sous bande, le pliage et l'expédition en province) Affranchissement pour 10 000 exemplaires Rédaction Administration Frais généraux (loyer, éclairage..) Total Recettes Vente au numéro: Paris, 6 000 numéros à 3 fr. 50 le cent Province 2 000 exemplaires à 3 fr. le cent Correspondants (libraires) province, 1000 exemplaires à 3 fr. le cent Abonnements: Paris 1000 abonnés Province 1 200 abonnés Annonces: Industrielles Financières Bouillons (journaux invendus et livrés comme vieux papiers 6 000 3 000 4 800 700 2 100 3 000 800 2 000 22 400 6 300 1 800 900 2 000 3 000 1 500 1 500 Total 600 17 600 Document n° 2. Bilan mensuel d'un journal paraissant à Paris (sources: Destrem H., les conditions économiques de la presse p. 145) 1 Ce tableau fut publié par la Lanterne le 21 août 1880 et fut établi par les services de la Préfecture de Police grâce aux déclarations des imprimeurs. 2 qui réapparaît avec la loi du 6 juillet 1871 B.Amann - p. 4 - Reste que la situation économique de la presse à 5 centimes est très précaire. Cette diminution importante du prix des journaux rend très difficile la survie et pour le moins pousse à la recherche d'autres moyens de financement que ceux tirés de la simple exploitation du journal. Le bilan mensuel de l'un de ces journaux paraissant à Paris le montre bien. Il s'agit en l'occurence d'un quotidien qui tire à 20 000 exemplaires, ce qui est plus qu'honnête, et qui en réalité se vend à 10 000 exemplaires. Dans ces conditions un journal perd donc 4 800 F. environ par mois1 . - La deuxième raison à ce développement , c'est une raison de politique générale. Au cours du XIXe siècle, la politique va être de plus en plus libérale en faveur de la presse. Ainsi, en 1872, on supprime définitivement le brevet d'imprimeur et de libraire, ce qui efface un efficace moyen de pression des préfets. Depuis 18702 , on a autorisé le transport des journaux par chemins de fer sans acquitter la taxe postale. La loi du 18 juillet 1881 est une des grandes lois qui marque les débuts de la IIIe République. D'une manière générale, elle entraîne la suppression des mesures préventives3 , la réduction au minimum des formalités administratives et la quasi-suppression de toute incrimination des opinions. Toutes ces modifications en faveur de la liberté de la presse trouvent leur source dans l'idéologie républicaine qui y voit la consécration des grands principe républicains. Cette presse à bon marché est une "..promesse tacite de la République au suffrage universel.."4 . Alors il convient néanmoins de nuancer cet angélisme car les républicains connaissent bien le mot de Tocqueville "le seul moyen de neutraliser les journaux était de multiplier leur nombre". Dans ces conditions, jouissant d'une liberté quasi-totale, la presse va connaître une expansion considérable. Le tirage des quotidiens est multiplié par 2,5 à Paris et par 3 ou 4 en province. Qu'en est t'il en ce qui concerne la presse financière? On fait remonter au XIVe siècle à Venise, les première traces d'informations financières. C'est une époque de grands échanges commerciaux, d'innovations en matière de gestion et dans cette logique l'information commerciale est un nouveaux service. Ainsi en 1435, une chronique rapporte la joie des marchands de retour d'Alexandrie qui on pu vendre 50 ce qu'ils avaient acheté 40 en Égypte5 . La première véritable gazette qui apparaît à Venise au début du XVIIe siècle est essentiellement lue par des banquiers et des hommes d'affaires6 . Et c'est un mouvement européen. En 1665 est lancée en Angleterre The Oxford Gazette7 ou encore en 1 Destrem H. (1902), les conditions économiques de la presse, Thèse, Université de Paris p. 145 2 décret du 16 octobre 1870 3 notamment le fait que tout journal ou écrit périodique peut être publié sans autorisation préalable et dépôt de cautionnement (art. 5) 4 Eugène Pelletan, rapport déposé auSénat le 18 juin 1881 5 Frederic C. Laure, Studies in Venetian Social and Economic History, Variorum Reprints, Londres 1987, cité par Henno J. (1993), La presse économique et financière, PUF Que sais-je? p. 8 6 op.cit. loc. cit. 7 qui deviendra très rapidement The London Gazette B.Amann - p. 5 - 1675 à Amsterdam la Gazetta de Armsterdam. En France, La Gazette de Théophraste Renaudot avait été lancée en juin 1631 et contenait des informations économiques. C'est sous le règne de louis XV (1715-1774) qu'apparaissent les premiers journaux spécialisés. Pour n'en citer que quelques uns: -- A partir de 1751, le Journal œconomique donne des informations entre autres sur le commerce - En 1754, le Nouvelliste économique apparaît. - En 1759, c'est le Journal du Commerce1 qui compte au nombre de ses fondateurs Pierre Samuel Dupont de Nemours et le marquis de Mirabeau Avec la Révolution, les journaux vont véhiculer les idées du temps. C'est par exemple à partir de 1790, La Feuille villageoise qui veut éduquer les paysans et promouvoir une société de petits propriétaires. Avec la Restauration (essentiellement avec la seconde restauration et le règne de LouisPhilippe 1er), les titres économiques et financiers se multiplient. L'essor est général à partir de 1836, avec l'introduction de la publicité. A partir de 1835, les feuilles consacrées à la finance et à la Bourse se multiplient. La plupart d'entre elles sont en fait éditées par des banques ou des charges d'agent de change qui les diffusent gratuitement. La presse financière d'une manière générale va beaucoup profiter, et amplifier, le mouvement décrit précédemment au niveau de la presse générale. Ainsi, une répartition par thèmes des titres de la presse parisienne montre la prédominance et la croissances des titres consacrés au commerce et à la finance: C'est essentiellement au cours de la deuxième moitié du XIXe siècle que les relations troubles de la presse et de la finance vont s'affirmer. Assurément, la libéralisation déjà sensible dans les années 1870 mais accrue par la loi de 1881 en sera un moteur important. Le tableau qui suit met en évidence à la fois la prédominance dans les thèmes de la presse parisienne de ce que l'on considère comme "commerce et finances" et surtout l'accroissement de ces thèmes qui entre 1865 et 1879 double quasiment, ce qui n'est pas le cas de la majorité des autres thèmes. Thèmes Technologie, industrie et chemins de fer Littérature et philosophie Religion Commerce et finances Beaux-arts, musique, théatre Jurisprudence et administration Modes Médecine et pharmacie Agriculture Lectures récréatives, journaux d'enfants Sciences Histoire et Géographie Politique Enseignement 1865 1879 % variation 91 134 47,25 87 84 77 67 64 54 46 40 34 90 71 153 62 104 70 80 38 139 3,45 -15,48 98,70 -7,46 62,50 29,63 73,91 -5,00 308,82 25 25 25 20 48 23 68 31 92,00 -8,00 172,00 55,00 1 qui deviendra par la suite Le Journal d'Agriculture, du Commerce et des Finances B.Amann - p. 6 - Armée Sport Divers (dont bibliographie, archéologie, spiritisme) Total 16 14 44 29 23 38 816 1201 81,25 64,29 -13,64 Document n° 3. Les thèmes de la presse parisienne 1865-1879 (Sources: Albert P., Histoire de la presse politique nationale au début de la IIIe République p. 153) 1.1.2. Les mécanismes des relations Presse-Politique-Finance En termes de théâtre, on parlerait de mise en place de la scène. Deux éléments servent de base au décor. - Premier élément, on l'a dit, on le sait, une presse relativement libre depuis les diverses évolutions entre 1870 et 1881. - Deuxième élément, des ministères successifs qui manquent largement de stabilité et d'autorité. Et le reste du décor se construit facilement. - La principale méthode de construction de ce décor s'appelle "fonds secrets". C'est une litanie annuelle. Le vote du chapitre du Ministère de l'intérieur consacré aux "agents secrets de la Sécurité de l'État" donne lieu à de tumultueux débats sur lesquels pèse l'accusation d'utiliser une partie de ces fonds à subventionner des journaux1 . Fallières en 1888 l'avoue implicitement en déclarant "si l'on trouve un moyen de me débarrasser des subventions à la presse, je suis prêt à l'accepter..". En 1879, entre mai et novembre, la Paix 2 va recevoir 125 577F de subventions. Et que penser des 60 000F versés en 1883 par Jules Ferry et Waldeck-Rousseau au Mot d'Ordre de Valentin Simon? En fait la liberté accordée à la presse génère un tare fondamentale: la vénalité. D'aucuns s'en réjouissent presque, comme Jean Jaurès qui écrit dans la Revue bleue 3 en 1897 " La presse elle-même, et par la loi de contradiction et de dissolution du régime capitaliste, fait son œuvre... (Les journaux) aident à la désorganisation du monde mauvais qu'ils représentent. Ils le font avec cette superbe inconscience des régimes condamnés... Ils ont une belle vertu de destruction; c'est la seule à laquelle ils puissent prétendre. Nous ne leur en souhaitons pas d'autres". D'aucuns le déplorent comme Anatole Leroy-Beaulieu, également en 1897 dans la Revue bleue 4 qui regrettent que "la presse se soit abaissée et se soit laissé corrompre en se vulgarisant... Aujourd'hui, s'il reste une presse d'élite sérieuse digne de sa haute mission, elle est débordée par une presse nouvelle, moins curieuse d'instruire que d'amuser, jalouse avant tout de plaire et résignée pour plaire à flatter les préjugés, les vices, les passions, les ignorances des lecteurs. C'est bien la presse de la démocratie, mais d'une démocratie dont l'éducation morale, dont l'éducation littéraire ou politique n'est pas faite et qui n'a, au-dessus, personne pour la faire". - Une autre méthode de construction du décor, dès lors que les fonds secrets se révèlent insuffisants, est celle des marchés de l'État. Le nombre des entrepreneurs de travaux publics parmi les commanditaires des journaux français est révélateur. 1 Bellanger Cl., Godechot J., Guiral P. et Terrou F. (dir.), Histoire générale de la presse française, t. III de 1871 à 1940, PUF p. 249 2 considéré comme le journal officieux de l'Élysée 3 4 décembre 1897 4 8 décembre 1897 B.Amann - p. 7 - - Enfin, et non des moindres, la publicité financière vient prendre le relais lorsque fonds secrets et marchés publics n'arrivent plus à fournir la manne servie à la Presse. Ce qui a jusqu'alors été dit ne concerne pour ainsi dire que le Gouvernement. La même démarche pourrait être faite en ce qui concerne le Parlement, avec peut être encore plus d'amplitude. Reste que le constat est bien sombre et comme l'écrit Anatole France dans L'Ile des Pingouins " La France est soumise à des compagnies financières qui disposent des richesses du pays et, par les moyens d'une presse achetée, dirigent l'opinion"1 . C'est ce réseau Presse-Finance qui va au cours du temps prendre de plus en plus d'ampleur qu'il convient à présent d'envisager. 1.2. Le réseau Presse-Finance Moyen de pression fort sur le monde politique, moyen efficace sur l'opinion publique, la Presse va apparaître à partir de 1881 comme indissociablement liée au monde de la finance. Le réseau repose à la fois sur une stratégie (1.2.1) et sur des acteurs bien implantés (1.2.2) . 1.2.1. La stratégie L'opinion publique, les romanciers, voire les journalistes eux-mêmes en font un thème extrêmement banal. La description romancée qu'en donne Émile Zola dans l'Argent. publié en 1891 est assez révélatrice. On connaît le talent de vulgarisateur de l'homme2 et derrière Saccard le banquier de Zola, il y a en réalité un peu Jules-Isaac Mirès, financier et agioteur qui avait créé en 1850 la Caisse des Actions Réunies et qui dès 1851 acheta le Pays et le Constitutionnel, journaux politiques qu'il mis aux services de ses intérêts et de ceux du gouvernement. Les frères Péreire quant à eux avaient acheté la Liberté, et y avaient mis un homme à eux, une sorte de chef de la publicité de la Société Transatlantique. Eugène Bontoux après la création de l'Union Générale avait fait de même avec la Finance et le Clairon.3 . La stratégie comporte plusieurs étapes. Dans l'Argent., le lancement de l'Union Universelle, la banque de Saccard est assuré par l'Espérance. l'Espérance, journal catholique en détresse lorsque Saccard l'achète, a à son actif une probité sans faille et mène une guerre féroce contre l'empire. Pour Saccard l'intérêt d'acheter le journal est double. - Tout d'abord, insidieusement, les louanges de son entreprise sont chantées par l'Espérance. La campagne n'est ni violente ni spécialement approbative: elle explique, discute de façon à petit à petit s'emparer du public et à l'étrangler correctement4 . Articles rédactionnels louangeurs, défense continue, poussent la Banque pour que les affaires lui arrivent, pour que les émissions s'adressent à elle5 . - Ensuite, Saccard sait que lorsqu'une maison de crédit a un journal, officieusement ou officiellement, pro-gouvernemental ou d'opposition, la maison est certaine de faire partie de 1 Anatole France (1908), L'Ile des pingouins, Calmann Levy 2 vr. Amann B. (1996), La vulgarisation en gestion chez Émile Zola in Enseignements et recherches en gestion, évolutions et perspectives, Coll. Histoire, Gestion, Organisations, Presses de l'Université des Sciences Sociales de Toulouse pp. 109-135 3 Sur ce sujet on se reportera avec intérêt à Bouvier (1960) et à Gilles (1954) voir également infra 4 L'Argent op. cit. p. 174 5 Zola, notes Fasquelle M.S. 10.269 fos 301-305 B.Amann - p. 8 - tous les syndicats que forme le ministre des Finances pour assurer le succès des emprunts de l'État. De tels syndicats étaient chargés de mener à bien l'emprunt. On s'adressait donc pour le constituer aux établissements les plus populaires. La deuxième étape est celle de l'achat de feuilles financières d'importance moindre. Elles pullulent à Paris, Zola cite le chiffre de quatre ou cinq cents1 . Bien souvent lancées par des banquiers véreux, elles sont vendues à un prix qui n'en couvre même pas l'affranchissement2 (comme le précise Zola "donc, l'affaire est ailleurs.."). Le journal est fait pour attirer les capitaux et le fondateur joue avec les capitaux des clients que lui amène le journal. Pendant quelques mois, le journal donne des renseignements très sérieux, de façon à conquérir la confiance, puis "fait un coup". A ceci, on rajoute une agence de publicité financière qui envoie gratuitement ou pour un prix dérisoire, un bulletin financier à une centaine des meilleurs journaux de province. Très rapidement, les maisons rivales doivent compter avec3 . Une troisième étape est le recours à des journaux non directement liés à la maison de crédit. On traite à forfait avec les grands journaux politiques et littéraires. Un courant de notes aimables et d'articles louangeurs y est entretenu moyennant finances4 . A la lecture de ces lignes, on s'aperçoit assez aisément que le but a largement évolué. il ne s'agit plus de faire pression sur tel ou tel parlementaire ou sur tel ou tel ministre. Il s'agit de favoriser la spéculation, il s'agit de soutenir artificiellement les cours (ou à l'inverse de les faire baisser), et plus encore il s'agit de toucher cette masse considérable de petits épargnants disséminés dans la France entière. Il est intéressant de confronter le récit du romancier Zola avec des faits avérés. Zola évoque trois étapes dans le mécanisme: - La première consiste, par l'intermédiaire d'un journal à chanter, insidieusement les louanges de l'entreprise. Ces journaux sont souvent contrôlés par des intermédiaires spécialisés qui traitent à forfait, moyennant un pourcentage compris entre 10 et 25% et qui garantissent une "bonne presse" à l'affaire5 . Il ne s'agit pas là de publicité ou d'annonces mais d'articles publiés dans le corps du journal. D'avenel le dénonce en 1901 dans la Revue des Deux Mondes en des termes particulièrement clairs. Le but, il est "de créer ou maintenir autour des affaires une atmosphère favorable alors même qu'elle est inapparente et ne se manifeste que par le silence et l'absence de bruit. Cette branche d'industrie eut son apogée dans la période qui précéda le krach mémorable de 1881 lorsque les émissions nombreuses devaient, pour atteindre les bas de laine, employer la voie des journaux..."6 Et en dehors du paiement proprement dit, d'autres moyens sont utilisés. Ainsi a t'on recours pour s'attirer les faveurs des directeurs de journaux à l'ancêtre de ce qu'aujourd'hui on appelle les "stocks options". Le mécanisme n'a pas changé. On offre des actions à acquérir au taux d'émission, dans un délai déterminé. Bien évidemment la hausse du cours de l'action achetée au cours initial, permet un confortable bénéfice. Si le cours ne monte pas, le contrat est caduc. Ce n'est là qu'une version malsaine d'un intéressement de la Presse au succès des émissions. - La deuxième étape est celle de l'achat de feuilles financières d'importance moindre. Leur recensement est difficile et reste à faire. 1 op.cit., loc.cit 2 L'abonnement au Moniteur des Tirages Financiers était de 2 fr l'an. 3 L'Argent op. cit. p. 174 4 L'Argent op. cit. loc.cit. 5 Bellanger et alii. op.cit. p. 262 6 Revue des Deux Mondes 1er février 1901 B.Amann - p. 9 - La multiplication des feuilles financières est une des caractéristiques de la période. On en compte à Paris: - 35 en 1869 - 39 en 1872 - 74 en 1877 - 130 en 1879 - plus de 150 en 1881 Elles ont une existence éphémère, elles sont vendues très peu cher (4 F par an pour un abonnement) et sont directement ou indirectement des organes de maisons de banques dont elles soutiennent les spéculations. Titres Bulletin Financier Le Capitaliste Le Journal des Rentiers Le Conseiller, gazette des Chemins de fer Le Conseiller de l'Épargne Cote de la Bourse et de la Banque Le Crédit Le Crédit national Le Crédit public L'Écho agricole L'Écho du Commerce L'Économiste français L'Épargne française Le Fermier La Finance nouvelle Les Fonds publics L'Impartial financier L'industrie Tirage Titres 4 000 L'industrie 2 250 Journal des Actionnaires 1 400 Journal d'Agriculture et de Commerce h 13 300 Journal d'Agriculture pratique h 7 000 Journal des Chemins de fer q 1950 Journal des Économistes q h h h l0 000 Journal de la Bourse h 12 000 Le Messager de Paris h 2 000 Le Moniteur de la Bourse et de la Banque q 2 000 Le Moniteur financier h 4 300 Le Moniteur des tirages financiers h 2 600 Le Moniteur des valeurs à lot h 1 440 Le Mouvement financier h 2 880 Le Portefeuille h 3 450 Paris-Bourse h 3 000 La Réforme économique h 15 600 La Semaine Financière h 1920 Le Tirage financier h h h Tirage 1920 1 460 4 600 h 4 600 h m 2 470 1 400 h 63 000 q 4 200 h 16 000 h 99 500 h 50 800 h 80 000 h h h 840 600 1 383 23 400 h 6 500 h 27 200 Document n° 4. Tirage en octobre 1880 des principales feuilles financières (Sources: Bellanger et alli. p. 268) Ainsi, Charles Savary1 , de la Banque de Lyon et de la Loire2 contrôle ou manipule 500 journalistes qui chantent les louanges de l'entreprise tout en faisant prendre à leurs lecteurs ces communiqués largement payés pour des articles émanant de la rédaction du journal3 . Elles sont très largement diffusées, gratuitement parfois dans la clientèle des rentiers et ont un tirage de plusieurs dizaines de milliers d'exemplaires. Leur influence dans la réussite ou l'échec d'une entreprise peut être considérable. L'exemple d'Édouard Portalis et des journaux qu'il dirigea est révélateur. En décembre 1879 il lance la Vérité: le journal que doublait une feuille hebdomadaire, le Message financier, était en fait l'organe de Lepelletier, directeur du Crédit de France. Après la faillite de Lepelletier 1 Il a été sous-secrétaire d'État à la justice dans le ministère Dufaure (1878) 2 Constituée en avril 1881 et déclarée nulle par le Tribunal de commerce de Lyon le 5 mai 1882 3 Tribunal de commerce de Lyon, audience du 16 février 1883 B.Amann - p. 10 - en 1884 le journal décline. En 1886, Portalis reprend le XIXe siècle. En 1887-1888, il provoque le krach de la Compagnie des Métaux de Secrétan, en l890 il provoque la faillite de la Banque du Louvre. En 1889-1891 il mène campagne contre le Crédit Foncier, en 1891 il fait échouer pour des raisons financières un emprunt portugais lancé par le Comptoir d'Escompte. Il attaqua les cercles de jeu, la Compagnie Générale Transatlantique. Condamné en octobre 1894, par le tribunal de la Seine, à rembourser l40 000 F à la faillite de l'Assurance Financière de Boulan à qui il les avait estorqués, il prend alors la fuite. En octobre 1880, les tirages de principales feuilles financières étaient les suivants: - La troisième étape est le recours à des journaux non directement liés à la maison de crédit. D'une manière générale, tous les journaux politiques consacrent des pages à l'actualité financière: bulletins financiers, cours de la bourse et commentaires divers. A partir de la fin du Second Empire des journaux vont affermer leur rubriques à des banques ou à des organismes financiers. Le nombre de ces affermages s'élèvera considérablement après les années 1870. Des noms que l'on rencontrera plus tard comme Edouard Cahen, Gustave Batiau ou encore Henri Privat sont à l'origine d'une véritable industrialisation du procédé. Le cas du Figaro est révélateur à ce sujet. En 1874, les dirigeants du Figaro avaient affermé la partie financière du journal à la Société Anonyme de la Banque Parisienne. En 1880, les nouveaux dirigeants rompent le contrat. Le prétexte annoncé est celui de l'indépendance du journal, en réalité, il semble bien être une volonté de soutien de la Banque hypothéquaire. Reste que le procès intenté par la Banque Parisienne au Figaro (procès que la banque gagnera) permet d'avoir une idée du contrat. Il est extrêmement précis et rigoureux: "...La rédaction de la partie financière du Figaro est exclusivement confiée à la Société Anonyme de la Banque Parisienne: en conséquence aucun article ou entrefilet se rattachant directement ou indirectement à la Bourse, aux fonds publics, aux établissements de crédit, aux banques, aux valeurs cotées ou non cotées, aux émissions publiques, aux affaires industrielles ou financières francaises ou étrangères ne pourra paraître dans le journal le Figaro à moins qu'il n'émane de la Banque Parisienne... Le Figaro ne pourra publier d'autre publicité financière qu'uniquement dans les annonces proprement dites... Le bulletin financier ne devra pas dépasser 100 lignes... La direction du Figaro pourra demander des remaniements du style de sa chronique mais la Banque Parisienne gardera en tout temps pleine et entière liberté de jugement, d'appréciation et de ligne de conduite... " Document n° 5. Extraits du contrat Le Figaro - Banque Parisienne (Sources: Bellanger et alli. p. 173) Ce n'est là qu'un exemple parmi d'autres. La quasi-totalité de la presse est dès 1880 aux mains des groupes financiers. Un schéma donc, décrit de manière romanesque par Zola qui cadre assez bien avec la réalité. Reste que "l'abominable vénalité de la presse française"1 va prendre assez rapidement une forme beaucoup plus organisée, beaucoup plus structurée avec la mise en place de véritables officines, occultes mais puissantes. En quelque sorte, le marché s'organise avec la mise en place des acteurs. 1.2.2. Les acteurs 1 Selon les termes de Raffalovitch B.Amann - p. 11 - On peut laisser à Jean Jaurès le soin de le décrire: "Il s'est organisé un trust des bulletins financiers; c'est une organisation unique, centrale, qui, à la même heure, sur toutes les affaires qui se produisent, donne exactement la même note et vous voyez d'ici l'influence formidable qu'exerce nécessairement sur l'opinion une presse qui, par tous ses organes de tous les partis, donne, à la même heure, le même son de cloche, discrédite ou exalte les mêmes entreprises et pousse toute l'opinion comme un troupeau dans le même chemin."1 A partir de 1886, deux groupes tiennent le marché. - Premier groupe puissant, autour d'Edouard Cahen qui est directeur du Journal des Travaux Publics - Deuxième groupe puissant, autour de Batiau, agent de publicité du Crédit Foncier et du Crédit Lyonnais, et d'Henri Privat, bulletinier financier de l'Evénement et du Français, liés à la Société Générale des Annonces pour Paris et à l'Agence Havas pour la province. Batiau, en 1878 avait été chargé de la publicité du Crédit Foncier. L'ampleur de la publicité financière de cet établissement est considérable. En fait en quinze ans les frais d'émission des emprunts avaient atteint 115 millions dont 60 en publicité, 22 allant directement à la presse. Certains journaux et journalistes recoivent des mensualités régulières. On cite des moyennes de subventions à la presse pour ces années allant de 1,6 à 2 millions de francs2 . La méthode est bien rodée. Deux agents sont spécialisés, l'un pour la presse politique, l'autre pour la presse financière. Ils touchent une commission de 10% et bien peu de feuilles, sans nuances politiques par ailleurs, restent étrangères à cette ditribution3 . - A partir de 1900, un nouveau groupe apparaît autour de la personne d'Alphonse Lenoir (ancien secrétaire de Batiau et de Cahen), et de Léon Rénier. Comme le déclare4 le fils d'Alphonse Lenoir à propos de son père "Son métier officiel était de traiter avec la presse pour les très grandes émissions... mais, de même que Batiau, autre distributeur de publicité, il avait un rôle occulte qui lui donnait une certaine influence. Lorsque des ministres en particulier ou même un cabinet tout entier avaient besoin du concours de journaux pour telle ou telle affaire en cours, tel ou tel vote pour lequel il fallait préparer l'opinion, c'est Lenoir qui se chargeait de visiter les journaux et de leur distribuer des subsides exceptionnels. Lorsque des campagnes étaient faites, soit contre des financiers importants, soit contre des particuliers notoires, des Reinach par exemple, soit contre des membres du gouvernement, c'est à Lenoir le plus souvent que l'on demandait d'arranger cela et de faire cesser la campagne lorsque cette campagne gênait ceux qui en étaient l'objet.". Une influence donc qui ne se limite pas à seule sphère financière. Ce que des rapports de police appellent le "trust Rénier" traite avec les plus grands journaux parisiens et Rénier a amené environ 80 journaux de province. L'influence de Rénier à travers ces journaux est considérable. En 1880, le Petit Journal assurait plus d'un quart du tirage de la presse parisienne. En 1914, le Petit Parisien, le Petit Journal, le Journal et le Matin assurait les trois quarts du tirage global des journaux et plus de 40% de celui de tous les quotidiens français. Ils font tous partie du "trust Rénier". On en est à ce niveau, à des relations qui sont simplement pourrait on dire dangereuses. On a bien touché par moment aux limites du scandale. On y a touché avec Rénier, on y a touché également avec Portalis et son XIXe siècle. En réalité le plus dur reste à venir avec cette fois ci un certain nombre de scandales au cours desquels petits épargnants et grands courtiers seront 1 discours à la Chambre le 6 avril 1911 2 C'est ce qu'a révélé l'enquête de l'inspecteur général des finances Machart en 1890. Robert-Coutelle E. (1890), Le crédit foncier jugé par lui même, 1870-1890, Paris; Jeannet C. (1892), Le capital, la spécultation et la finance au XIXe siècle, Paris 3 Enquête Machart op. cit. 4 Rapport Sûreté Générale 1918 (F7 13969) cité par Bellanger et alii B.Amann - p. 12 - ruinés. Les liaisons entre la presse et la finance ne sont plus seulement dangereuses, elles deviennent scandaleuses. Quotidiens le Petit Parisien le Petit Journal le Journal l'Echo de Paris le Gaulois l'Éclair la Lanterne la Petite République la Libre Parole la Liberté la Presse la Patrie, l'Action française l'Autorité Somme versées par le "trust" 600 000 600 000 500 000 300 000 250 000 150 000 150 000 150 000 100 000 100 000 100 000 100 000 100 000 100 000 Tirage 1910 1 400 000 835 000 810 000 120 000 30 000 103 000 33 000 67 000 47 000 63 000 50 000 40 000 19 000 24 000 Document n° 6. Les versements du "trust Rénier" 2. Les liaisons scandaleuses Sans pour autant vouloir glisser vers le sensationnel, un certain nombre de scandales financiers, à la fin du XIXe siècle et au début du XXe siècle mettent en évidence l'implication très forte de la presse. Deux éléments en favorisent l'émergeance. - Le premier c'est on le sait, l'influence des journaux financiers. On estime qu'en avril 1881, 228 journaux financiers agitent le seul marché parisien. Et c'est sans compter les bulletins financiers de 95 journaux politiques1 , tous plus ou moins directement affermés. - Le deuxième c'est en 1881, l'apparition des caisses de report qui permettent de faire miroiter aux petits déposants les mirages des profits assurés du prêt boursier. Se mêlent en outre dans ces affaires "..tous les mécontents du catholicisme, de l'armée, de la magistrature et des vieux possèdants"2 . La technique est simple: il s'agit de prêts à courte échéance aux spécultateurs à terme, allant d'une liquidation boursière à l'autre et dont le taux de report repésente l'intérêt versé aux prêteurs. Cet intérêt est fonction de l'offre et de la demande de prêts (ces reports qui rapportent de 4 à 5% fin 1880 passent à 8 à 10% au printemps 1881 et 10 à 12% à l'automne). Le lien avec le soutien artificiel est ici évident. Il suffira à une coalition de reporteurs, aidés par la presse (entre autres) d'influencer à la hausse ou la baisse le marché. Dès lors, le mécanisme auto-génère sa propre destruction. Partant d'une spéculation à la hausse, elle est à la merci des capitaux reporteurs. La position est intenable dès lors que l'on ne peut trouver sur place les ressources nécessaires. Un article dans la Revue des Deux Mondes de l'économiste Cucheval-Clarigny pose bien les termes du problème en termes économiques: il s'agit de la proportion entre les ressources disponibles du marché et les placements offerts au public. L'auteur avance le chiffre de 14,5 milliards de valeurs émises en France en 2 ans et demi, tout en évaluant l'épargne annuelle à 2 milliards3 . Le soutien artificiel et forcené de la Presse, ajouté à ces mirages des 1 Cochut A. (1883), p. 525 2 Chirac A. (1885) t. 1. p. 341 3 Revue des Deux Mondes 1er août 1881 B.Amann - p. 13 - profits assurés du prêt boursier ne peut qu'aboutir à des scandales financiers et à des Krachs boursiers. Ces liens scandaleux se nouent bien sûr dans les arrières chambres des conseils d'administration, dans les salons des repas mondains, mais également à l'" Académie de chant" car c'est ainsi que l'on a nommé la partie du péristyle de la Bourse où se réunissaient des coulissiers marrons, grands éditeurs de feuilles de chantage et de manipulations. Plusieurs de ces scandales, sans prétendre à l'exhaustivité peuvent être évoqués. Il s'agit du krach de l'Union Générale (2.1.), de l'affaire de Panama (2.2.) et de l'affaire des emprunts russes (2.3.). 2.1. Le krach de l'Union Générale C'est en 1872 qu'Eugène Bontoux crée l'Union Générale, banque d'affaires au capital de vingt-cinq millions de francs. Le conseil d'administration est composé de financiers, d'entrepreneurs et d'aristocrates. Le rappel de cette affaire (2.1.1.) permettra de mettre ensuite en évidence le rôle de la presse (2.1.2.) 2.1.1. L'affaire de l'Union Générale La banque a pour vocation de financer des projets dans les Balkans et en orient. Il affirme vouloir donner à la Papauté spoliée les bases solides d'un large budget. Il obtiendra la confiance des milieux religieux et conservateurs. En 1879, le capital sera porté à cinquante millions de francs. Le krach empêchera la troisième augmentation de capital qui devait le porter à cent cinquante millions. L'annonce de la troisième augmentation de capital enfiévrera la Bourse. Les reports s'effectuant à des sommes exorbitantes (de taux - déjà importants de 10 à 12% on passera à 30, 50 et même 100%1 ), la débâcle s'amorcera. Les spéculations de l'Union Générale sur ses propres titres et de multiples irrégularités (bilans falsifiés, souscriptions fictives, truquages des augmentations de capital..) en sont la source. L'Union cesse ses paiements le 30 janvier 1882. Un investisseur porte plainte contre Bontoux qui sera arrêté le 1er février il s'agit selon le Le Nouvelliste de Lyon d'un dénommé Lejeune, négociant qui avait confié à la banque 240 000 F pour être placés en reports, ordres qui n'avaient pas été exécutés). Condamné en mars à cinq ans de prison , celui qui gêne l'Empire quittera très rapidement la France pour éviter sa peine2 . 2.1.2. Le rôle de la presse L'union Générale et Bontoux ont très largement été soutenus par la presse. Bontoux s'est assuré le le contrôle des publications Paul Dalloz,et fait entrer ses amis dans leur conseil (le vicomte d'Harcourt actionnaire de l'Union, représente la banque chez Dalloz et devient même administrateur pour l'Union en 1881), il achète des immeubles du quai Voltaire où se trouvent de nombreux journaux édités par M. Dalloz et crée la Société de Publicité Universelle3 . Il contrôle plusieurs journaux: - La Finance (il détient 400 actions) - Le Clairon (il détient 100 actions). 1 Revue des Deux Mondes 1er novembre 1881 2 Il rentrera avec sa femme en 1888 et s'installera dans leur chateau d'Allex 3 Dans le bilan de faillite de l'Union Générale (archives de la Seine), on retrouve dans le portefeuille de l'Union 103 actions de la la Société de Publicité Universelle ( à 10 000f. l'une) et 244 obligations. Bouvier, le Krach..op.cit. p. 53 B.Amann - p. 14 - - le Bulletin du Crédit Provincial - Le Messager de Paris (il détient 100 actions) - Le Nouvelliste de Lyon Le cas du Clairon est révélateur des liens presse-finance-politique. Le Clairon est lancé en 1881 par un dissident du Gaulois, Cornely qui en fait un des organes monarchistes importants. Bontoux gère la caisse noire des légitimistes. Il les avertira par ailleurs à temps avant la faillite pour qu'ils puissent retirer les fonds placés à la banque. Le lien entre Bontoux et le Clairon, organe légitimiste est autant de nature politique que financière. Mais dans le système Bontoux, les différents moyens tendent tous vers une même fin. De par son soutien à la cause légitimiste, il s'est attiré comme soutiens et clients de l'Union, une très grande partie de la noblesse et de la haute hiérarchie de l'Église. Le schéma est sensiblement le même (dans l'idée) avec Le Nouvelliste de Lyon créé en mai 1879, quotidien conservateur et clérical, relais des tendances monarchistes et principal soutien local à l'Union Générale. Il est peut être un peu plus fin que le précédant; en fait, la feuille est affermée pour sa rubrique financière au Crédit Provincial des frères Saunier. Les liens du Crédit Provincial le rattachaient incontestablement à l'Union Générale1 . Ledit Crédit Provincial dispose en outre en toute propriété du journal boursier Le Portefeuille du Capitalise et l'Estafette. Le mécanisme est largement amplifié avec la création par le Crédit Provincial de différents syndicats de la Haute Banque Lyonnaise - voire Parisienne - dont chacun dispose de relais dans la presse2 . Avec la chute de l'Union Générale, la Presse (au moins Lyonnaise), loin de reconnaître son rôle et son implication, mettra en avant des arguments tous aussi outrés et véhéments les uns que les autres: ainsi mettra t'on en avance une "..conspiration ourdie par une société de banquiers juifs d'Allemagne..une conspiration germano-judaïque.." (le Moniteur de Lyon 26 janvier 1882) ou encore une manoeuvre de "juifs allemands.." (Le Salut Public 22 janvier 1882). C'est le pseudo-syndicat Rotschild qui est visé. Antisémitisme prégnant d'une époque qui n'en est pas avare. 2.2. Le scandale de Panama C'est assurément le scandale le plus important de la IIIe République (2.2.1.). La presse (mais pas elle seule) y est très impliquée à l'origine contre le projet (2.2.2.), ensuite en sa faveur (2.2.3.) 2.2.1. L'affaire de Panama Sans vouloir trop entrer dans les détails d'une affaire connue3 , il est nécessaire de fournir quelques repères. La Compagnie Universelle du Canal Transocéanique a été fondée en 1879 par Ferdinand de Lesseps. Très rapidement, de grosses difficultés techniques apparaissent quant au percement du canal. Les investissement nécessaires s'accroissent démesurément. 1 voir Bouvier, Le Krach...p. 117 et s., celà est également affirmé par des rapports de police, Arch. Préf. Police; Ba, 90, rapport du 24 décembre 1881 2 En 1881: la Banque Générale de Lyon en mars, l'association financière Lyonnaise en août, le syndicat financier Lyonnais en octobre (à l'origine: le Crédit Provincial), le Consortium Lyonnais en novembre, le Consortium Industriel et Financier de Lyon et le Syndicat Financier Parisien en décembre (actionnaire l'Union Générale - 15 000 actions en portefeuille). 3 voir par exemple sur le sujet Bouvier (1964), Bunau-Varilla (1892), Dansette (1934), Loewel (1913), Tavernier (1908) B.Amann - p. 15 - La Haute Banque va assez rapidemment lâcher Lesseps. Il se tourne alors vers les petits épargnants: les souscriptions portent pour 1882, 1883 et 1884 sur un total de 550 millions. Celà, malgrès le relais de la presse se révèle insuffisant. Il cherche alors d'autres solutions. Il obtiendra le 9 juin 1888 une autorisation parlementaire d'émettre un emprunt à lots comparable à celui qui avait été émis en 1868 pour le canal de Suez, et qui s'était avéré très attractif pour les épargnants. En novembre 1892 éclate le scandale, qui implique très largement le monde politique1 mais qui épargne tout aussi largement la presse. 2.2.2. Le rôle de la presse contre le projet La première réaction de la presse est contre le projet de Lesseps. Dès la création de la Compagnie Universelle du Canal Transocéanique, Lesseps sollicite le public en lui demandant 400 millions. L'émission d'Août 1879 est un échec retentissant. Sur les 400 millions demandés, les souscriptions atteignent tout juste 30 millions. Le rôle de la Presse qui n'a pas été sollicitée est loin d'être neutre dans cet échec. Émile de Girardin, député et journaliste célèbre (il a lancé en 1836 la Presse et est devenu en 1856 le maître de la Liberté) attaque l'émission. Le Messager de Paris 2 met en avance l'âge de Lesseps et le caractère judicieux de l'utilisation de l'épargne française aux services d'intérêts anglo-américains. Reste que le jugement sur l'influence de la presse doit être nuancé comme le précise Jean Bouvier: "La presse, à elle seule, fut-elle responsahle de l'échec? Elle souligna tout simplement -même si ce fut par dépit de ne pas avoir été sollicitée, argent en main, par Lesseps - les inconnues de l'entreprise. Il faut par ailleurs tenir compte d'autres circonstances. Il est certain, d'une part, que l'émission fut très hativement préparée; d'autre part, que la situation économique et boursière n'était pas tout à fait sortie du marasme des années précédentes; l'atmosphére n'était pas encore à la ruée sur les valeurs. Enfin, les grandes banques elles-mêmes paraissent n'avoir montré aucun enthousiasme pour les projets grandioses de Lesseps". Lesseps n'a pas mis pour cette émission la presse avec lui, il l'a contre lui. A la suite de cet échec de, Lesseps a compris la leçon et a remis la direction financière à un groupe de personalités qui viennent du journalisme et de la finance et qui se chargent de la rendre favorable au public3 . La grande période de collaboration médiatico-politico-financière débute. 2.2.3. Le rôle de la presse en faveur du projet De retour des États-Unis, Lesseps dépose le 20 décembre 1880 les statuts de la Compagnie Universelle du Canal Interocéanique. L'examen du conseil d'administration de la Compagnie Universelle du Canal Interocéanique montre que Lesseps a bien compris la leçon puisqu'y figure Émile Girardin. Celui là même qui avait été tellement hostile au projet un an plus tôt. Et bien sûr l'émission sera une réussite. La suite des opérations sera assez similaire. Ce soutien de la presse se manifestera à chaque étape Il ne s'agit pas de suggérer qu'il y a un total lien de cause à effet. Tout simplement que la presse contribua à masquer à l'opinion publique la situation réelle. On le sait, de grosses difficultés techniques sont apparues quant au percement du canal. Les difficultés financières 1 Voir sur cette question Garrigues J. (1997) pp. 133-136. 2 numéros des 28, 29 et 30 juillet 1879, cité par Bouvier (1964) 3 Bouvier (1964) p. 45 B.Amann - p. 16 - sont considérables. En 1881, on a annoncé un coût de 500 milllions. En 1885, on est à 1 200 millions1 (dont la plus grande partie reste à trouver), les délais sont impossible à tenir. En dépit de tous ces faits (dont une grande partie est connue grâce au rapport de l'ingénieur des Ponts et Chaussées Rousseau), la presse continue ses louanges: - Ainsi, on rassure, l'argument majeur est la présence des grandes banques dans l'affaire: La revue de presse dans le Bulletin du Canal interocéanique2 du 15 septembre 1884 est révélatrice: - La République française: On doit tenir compte du concours apporté par la haute banque à l'importante opération financière qui se prépare... Il résulte des renseignements puisés aux sources les meilleures que cette opération sera couronnée d'un plein succès; cela n'a rien de bien sur prenant, si l'on considère à la fois la faveur dont jouit M. de Lesseps auprès de l'épargne, et l'importance de la clientèle des grands établissements de crédit. - Le Gaulois: Toute la haute banque à Paris et à Londres est autour de M. de Lesseps. Qu'est-ce que cela veut dire, sinon que les hommes les plus compétents ont confiance dans sa sincérité, dans sa haute probité, ce qui est hors de débat, mais aussi dans l'exactitude de ses prévisions et de ses calculs. Croit-on que des maisons de banque et des établissements donneraient à une affaire le concours de leur crédit, s'ils n'avaient pas la pleine certitude du succès de l'entreprise? Et pense-t-on que ces sociétés manquent de moyens d'étude et de vérification? La vérité simple, on le sait, c'est que les banques ne donnaient précisément aucun crédit à la Compagnie dans les affaires d 'émissions obligataires. Et ajoute Jean Bouvier (op.cit.) encore pourrait-on citer les Débats, le Temps, le Siècle, la Presse, le Journal des chemins de fer, le Journal de Paris, le Figaro, le Petit Journal, le Moniteur Universel, la Bourse parisienne, le Journal des Actionnaires, le Soleil, l'Intérêt public... - Si l'argument du soutien de la haute banque ne suffit pas, on avance l'argument de la confiance totale des actionnaires. Ainsi, au lendemain de l'assemblée des actionnaires de juillet 1886: - Le Figaro: Pas une seule voix discordante; pas une seule main levée contre la série des résolutions présentées. Une longue acclamation patriotique! - L'Evénement: Nous devons dire que notre conviction s'est encore fortifiée... Il est des moments qui consolent de bien des amertumes; l'émotion de M. de Lesseps, à la fin de la séance, nous l'a prouvé une fois de plus. - Le Gil Blas: Tous ceux qui ont assisté à cette réunion en emportent cette impression; cette armée de capitalistes est décidée à suivre jusqu'au bout le chef qu'elle s'est choisi. - Le Gaulois: La séance a été levée à quatre heures et demie, au milieu d'un véritable délire de joie exubérante. - La République Française: Le rapport de M. de Lesseps analyse exactement, sans parti pris optimiste, avec un évident effort vers la vérité, la situation de l'entreprise qui a passé par tant de vicissitudes diverses mais qui va être menée à bonne fin, comme Suez. On retrouvre les mêmes types d'appréciation à l'lntransigeant, au Temps, au Pays3 ... Le 4 février 189, le tribunal civil de la Seine prononce la dissolution de Compagnie Universelle et ordonne sa mise en liquidation. L'intervention des experts va permettre de connaître des détails plus précis sur les subventions versées à la presse. Un premier rapport est rédigé par l'expert-comptable Rossignol en 1889. Un deuxième rapport est dû à l'expertcomptable Flory en 18924 . 1 Bouvier op. cit. p. 74 2 créé par Lesseps le 1er septembre 1879 3 Bouvier op. cit. p. 77 4 L'expertise Flory (1892) a été intégrée au rapport parlementaire général Vallé sur l'affaire de Panama (1893). Rapport Rossignol (1889), manuscrit 7, AQ, 12 B.Amann - p. 17 - Le rapport parlementaire Vallé sur l'affaire de Panama dresse un bon tableau du résultats de ces investigations. "..Il est constant que l'apologie de l'entreprise de Panama, au moment de chaque émission et alors même que le doute commençait à s'emparer des plus enthousiastes, n'a pas été absolument désintéressé... Les articles publiés étaient pour la plupart rédigés avec des éléments fournis par la Compagnie elle-même. C'était M. Marius Fontane qui donnait documents et renseignements tandis que M. Ch. de Lesseps se chargeait des allocations. Le résultat le plus clair c'est que la presse a été la propagatrice de nouvelles inexactes. Certes nous savons à merveille que la presse n'est plus aujourd'hui ce qu'elle était jadis et nous n'ignorons pas qu'il lui serait impossible de vivre si elle se bornait à faire un exposé des doctrines... Nos mœurs sont ce qu'elles sont... La publicité est devenue un besoin... Mais ce qu'il importe c'est que le journal contrôle les renseignements qui lui sont fournis..". Le tableau qui suit, sur la base de l'affaire de Panama, a été établi à la suite de recoupements des divers rapports d'experts. A côté des sommes qui étaient directement attribuées aux journaux, beaucoup de chèques étaient établis au nom personnel des journalistes. Les titres des journaux cités ne sont pas parmi les moins prestigieux de l'époque et ne figurent pas non plus parmi les tirages les plus faible. Le Temps Journal Hébrard Le Petit Journal Le Figaro Journal Articles Art. financiers Magnard Ed. Millaud Périvier De Rodays Le Gaulois Journal Arthur Meyer Jacques Meyer Hector Pessard Revue des deux Mondes Léon Daudet 1819000 La France 119 000 Journal 1 700 Lalou 000 504 000 Le Radical 500 450 Journal 169 000 H. Simond 25 500 V. Simond 213 100 La lanterne 30 000 Journal 12 350 Eugène Meyer 30 000 Le Gil Blas 20 000 Journal 300 800 Arthur Meyer 189 000 Jacques Meyer 72 000 Hector Pessard 32 300 Le Télégraphe 7 500 10 000 Journal des Débats 10 000 Georges Lavaux Joussemet 270 000 255 00 15 000 252 000 77 800 75 000 100 000 246 000 206 000 40 000 213 400 163 400 17 000 18 000 15 000 194 000 47 708 33 175 14 533 Document n° 7. Les versements à la presse pendant l'affaire de Panama (Sources: d'après Bellanger et alli. p. 268 et Bouvier "les deux scandales..p. 116) 2.3. Le scandale des emprunts russes B.Amann - p. 18 - On évoquera rapidement l'affaire des emprunts russes (2.3.1.). Le scandale en réalité réside dans l'abominable vénalité de la presse française (2.3.2.). 2.3.1. L'affaire des emprunts russes Dans ce cas encore, l'affaire est trop connue pour donner lieu à de longs développements. De 1889 à 1904, la Russie à placé en France pour près de cinq milliards et demi. Les émissions vont se succéder. Au gré de ces émissions et du soutien de la presse française, elles auront plus ou moins de succès. En février 1914, les emprunts russe cumulés représentent 61,1% de l'ensemble des créances françaises sur l'étranger et s'élèvent à un total de 36,4 milliards de francs. Ces créances françaises sont alors cinq fois supérieures à celles de la Grande-Bretagne et quinze fois plus élevées que celles de l'Allemagne. 2.3.2. L'abominable vénalité de la presse française Ces termes sont d'Arthur Raffalovitch, économiste russe, installé à Paris et conseiller secret du ministère des finances. Maître d'oeuvre des relations avec la presse pour soutenir les emprunts russes, sa correspondance fut publiée partiellement dans l'Humanité entre 5 décembre 1923 et le 30 mars 1924 et en 1931 dans un ouvrage intitulé "...l'abominable vénalité de la presse française"1 . Les premières tranches d'émission avaient en fait donné lieu à assez peu de publicité. Ainsi, au deuxième semestre 1896, il avait été distribué 72 161 F dans divers journaux français2 . La donne va changer à partir de la fin 1901 début 1902. Verneuil, syndic de la Compagnie des agents de change va demander à Raffalovitch de plus gros efforts. Le budget passe à environ 110 000F. Dès 1904, les mouvements de la Bourse de Paris3 et les menaces sur les fonds russes vont entraîner la centralisation de leur défense autour du fameux Lenoir déjà rencontré (supra 1.2.2.) et recommandé par Rouvier, ministre des finances. Les charges sur le Trésor russe vont alors s'élever à environ 100 000F par mois. Publicité Publication des tirages Matin Bureau des tirages Correspondance russe Bulletin russe Marché financier 1904 725 000 151 210 1905 782 700 48 500 35 000 15 961 28 800 16079 28 800 11 496 3 200 3 200 935 785 2 014 161 Document n° 8. Les dépenses du Trésor russe pour la presse française (Sources: d'après Bellanger et alli. p.271) 1 Raffalovitch A. (1931), L'abominable vénalité de la presse française, Librairie du travail, Paris 2 Lettre Raffalovitch à M. de White 10/22 mai 1897 3 26 et 27 janvier 1904 et fin 1904 essentiellement à cause de menaces de guerre et des hostilités envers le Japon B.Amann - p. 19 - Tout au cours de ces années, la liste des journaux qui bénéficièrent de ces distributions est impressionnante. Les tableaux qui suivent ont été dressés sur la base des correspondances Raffalovitch. Il ne sont pas exhaustifs et ne visent qu'à donner une idée, à diverses époques des versements à la presse. Dépenses automne 19011 Auxiliaire Petit Parisien Petit Parisien Moniteur des Intérêts matériels Petit Parisien Moniteur des Intérêts matériels Vie Financière Mémorial diplomatique Figaro Montagne Dépenses 19033 Temps Journal des débats Journal officiel Économiste Européen Messager de Paris Nord Économiste Français Patrie Monde Économique Petit Parisien Journal Gaulois Figaro Revue Econ. et Financière Rentier Liberté Dépenses 19044 Temps Journal des débats Journal officiel Économiste Européen Messager de Paris Nord Économiste Français Patrie Monde Économique Petit Parisien Journal 1 2 3 4 5 Correspondance Correspondance Correspondance Correspondance Correspondance Raffalovitch Raffalovitch Raffalovitch Raffalovitch Raffalovitch 50 000 500 500 450 500 450 150 200 77 95 1 000 12 848 13 276 11 866 12 097 11 609 9 802 8 526 8 647 8 076 5 510 4 374 4 528 4 628 3 310 6 000 2 790 13 902 14 155 13 050 13 478 13 082 11 297 9 372 10 022 5 318 5 650 3 220 Payement 15 février 19062 Figaro Petit Journal Petit Parisien Temps Journal Écho de Paris Éclair Débats Autorité Petite République lntransigeant. Radical Rappel Lanterne Aurore Gaulois Marseillaise XIX Siècle Presse et Patrie 44 socialistes divers Financiers Information Économiste Européen Revue Économique Vie Financière Agence Fournier Agence Nationale Dépenses 19125 Journal Officiel Temps Économiste Européen Économiste Français Figaro Gaulois Journal Journal des Débats Liberté Messager de Paris Monde Économique 16/12/1901 23/01/1906 29/12/1904 29/12/1904 30/10/1913 B.Amann - p. 20 - 2 500 5 000 5 000 5 900 5 000 3 000 2 500 1 500 750 750 500 750 750 750 500 750 500 500 500 20 000 2 000 1 000 1 000 1 000 1 000 500 4 752 16 342 14 000 14 000 4. 126 4 000 5 656 10 480 6 231 15 148 4 282 Gaulois 5 139 Patrie 7 133 Figaro 5 222 Petit Parisien 6 450 Revue Econ. et Financière 6 660 Rentier 6 000 Rentier 6 000 Revue Économique et Financière 10 000 Liberté 3 368 République française 1 998 Matin 1 506 Écho de Paris 13 612 Écho de Paris 5 328 Matin 20 500 République Française 408 La Nouvelle Revue 192 50 Moniteur des Intérêts mat 5 068 Moniteur des Intérêts mat 9 131 Document n° 9. Les dépenses du Trésor russe pour la presse française 1901, 1903, 1904, 192 (Sources: d'après Raffalovitch op.cit) Alors que dire en conclusion sur ces liaisons d'abord dangereuses puis réellement scandaleuses de la presse et de la finance. Trois remarques peuvent être faites pour tenter de nuancer l'impression de malaise qui ressort de ces liaisons entre la presse et la finance à cette époque: - La première - pour autant que l'enrichissement de Jean soit l'appauvrissement de Paul - c'est que le mouvement n'est pas que français. Ainsi, en Grande-Bretagne, l'Economist du 21 octobre 1848 stigmatise: "L'état présent de prostration et d 'accablement (qui) n 'est qu 'une juste sanction de la folie, de l'avarice, de l'arrogance insupportable, de la spéculation irréfléchie, désespérée et dénuée de tout principe, qui dégradèrent la noblesse et l'aristocratie, polluèrent les sénateurs et le Sénat et les négociants de toutes sortes". Les exemples regorgent à la même époque partout ailleurs en Europe et aux États-Unis1 . - La seconde c'est qu'il existe quand même une presse relativement honnête en ce domaine. En dehors des quotidiens comme le Messager de Paris (1868), les Cours de la Banque et de la Bourse (Cote Desfossés) (1895), la Cote de la Bourse et de la Banque (1873), l'Information économique et financière des frères Chavenon (1899), les hebdomadaires l'Économiste français de P. Leroy-Beaulieu, l'Économiste européen d'Édmond Théry avaient une bonne réputation, sans que l'indépendance de leur jugement ait toujours été assurée. - La troisième, c'est que le phénomène est peut être une conséquence de l'époque. Il convient de garder à l'esprit que l'on est dans une période de soulagement après un quart de siècle de guerres, que l'on est pour reprendre les termes de Galbraith dans une période d'euphorie financière. On est dans une période de changements profonds et ces périodes générent toujours leurs propres vices. L'époque n'en a pas l'apanage. 1 voir Kindleberger op.cit. notamment p. 118 B.Amann - p. 21 - BIBLIOGRAPHIE Albert P. (1990), Histoire de la presse, PUF, 6e éd., Que sais-je? Albert P.(1980), Histoire de la presse politique nationale au début de la IIIe République, Atelier de reproduction des thèses, Université Lille III Alline J.-P., Banquier et bâtisseurs: un siècle de Crédit Foncier, 1852 - 1940, CNRS Avenel H. (1990), La presse de 1789 à nos jours, Paris Flammarion Bellanger Cl. (1969), Les gros tirages forgent l'opinion, Historia magazine n° 103 Bellanger Cl., Godechot J., Guiral P. et Terrou F. dir. (1972), Histoire générale de la presse française, t. III de 1871 à 1940, PUF Beltran A. et Griset P. (1994), La croissance économique de la France 1815-1914, Armand Colin Bigo R. (1947), Les banques françaises au cours du XIXe siècle, Sirey Bontoux E. 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