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MEDIATOR OU LA CHRONIQUE D’UN DESASTRE ANNONCE Quand la justice devient le dernier recours de la Santé Publique Par Emmanuelle FRANCK La justice s’est vue contrainte, depuis plusieurs années, de jouer son rôle de régulateur dans un nouveau domaine : celui de la santé publique. De l’affaire du sang contaminé en passant par celle de l’hormone de croissance, c’est désormais dans le domaine pharmaceutique que la justice sert de dernier rempart à la santé publique. Ce recours à la justice ne peut qu’être déploré puisque par essence, il signifie que le principe de précaution, qui devrait particulièrement s’appliquer en cette matière, n’a pas été respecté. En d’autres termes, l’intervention de la Justice signifie qu’il est déjà trop tard… En ligne de mire depuis plusieurs semaines : le MEDIATOR, ce médicament des laboratoires Servier accusé d’avoir causé la mort d’au moins 500 patients en France, et enfin retiré du marché en novembre 2009 après plus de 30 ans de commercialisation. Le MEDIATOR, une affaire qui intrigue, qui inquiète, car elle renvoie à des considérations politiques, commerciales et de lobbying difficilement conciliables avec les impératifs de santé publique qui par nature devraient supplanter les intérêts privés. Surtout, l’affaire du MEDIATOR met en exergue les dysfonctionnements d’un système qui, de l’absence de moralisation des pratiques pharmaceutiques, à l’inefficacité des institutions étatiques, ne permettent manifestement pas d’assurer la sécurité sanitaire. Les coupables : Le laboratoire Servier ? La vindicte populaire est aujourd’hui essentiellement dirigée vers les laboratoires pharmaceutiques, leur manque d’éthique et leur politique agressive de commercialisation. Il est vrai que la mise en cause du MEDIATOR survient alors que le laboratoire Servier a déjà, dans un passé proche, subi plusieurs condamnations en justice concernant un autre de leurs médicaments, l’ISOMERIDE de la même famille chimique que le MEDIATOR. En effet, l’ISOMERIDE et le MEDIATOR sont des dérivés amphétaminiques dont on sait, depuis plusieurs décennies, qu’ils provoquent un sur-risque de complications cardiaques et pulmonaires. D’ailleurs, tous les anorexigènes (coupe faim) de la même famille chimique feront l’objet d’une interdiction totale, au plus tard en 2000, sauf le MEDIATOR !!! Par un contournement stratégique et commercial, le MEDIATOR sera en effet commercialisé non pas en tant que « coupe faim » mais comme adjuvant du traitement des diabétiques et alors même que son efficacité thérapeutique ne sera jamais démontrée. Il n’a en effet jamais été prouvé que le MEDIATOR apportait un bénéfice réel sur la mortalité, de sorte que sa balance bénéfices/risques n’était pas de nature à en justifier la prescription. Si la tentation est donc grande de porter l’opprobre sur les laboratoires Servier, il n’en demeure pas moins que l’affaire du MEDIATOR ne peut que renvoyer à un dysfonctionnement plus général. L’AFSSAPS ? En matière de santé publique, il serait en effet illusoire de penser que la sécurité sanitaire ne puisse être que l’affaire des laboratoires pharmaceutiques, animés par nature de considérations économiques et commerciales et qui ne peuvent par essence être à la fois juge et partie. L’Agence Française de Sécurité Sanitaire des Produits de Santé (AFSSAPS), censée jouer un rôle de régulateur et de « garde fou » ne peut qu’être également mise sur la sellette. Cette agence publique est effectivement consacrée à assurer la sécurité sanitaire des médicaments. C’est elle qui délivre les Autorisations de Mise sur le Marché et décide du retrait des médicaments. Or, il est manifeste que l’AFSSAPS ne pouvait ignorer les risques auxquels la population était exposée par la prise du MEDIATOR et ce depuis plusieurs années. Il est notamment utile de rappeler que, dès septembre 1998, à la demande des autorités sanitaires italiennes, une enquête européenne sur le MEDIATOR avait été mise en place avec pour rapporteurs Paris et Rome ; enquête ayant aboutie au retrait du marché du MEDIATOR en Italie et en Espagne dès 2003 !!! L’inertie coupable et inexplicable de l’AFSSAPS renvoie également à un dysfonctionnement plus global : celui de la pharmacovigilance en France. En effet, un médicament ne reçoit aujourd’hui une autorisation de mise sur le marché qu’après avoir passé des essais cliniques jugés concluants. Mais la difficulté vient de ce que, la dernière phase d’essai clinique se fait grandeur nature, c'est-à-dire après commercialisation et sur la population générale. En d’autres termes, nous sommes tous des cobayes !!!! Les risques sanitaires de ce système, pour être réduit, supposent une pharmacovigilance efficace et une réactivité accrue de l’AFSSAPS. Telle n’est manifestement pas le cas en France. Que reste-t-il sinon la justice ? Alors, que reste-t-il aux nombreuses victimes de ce désastre sanitaire? Les laboratoires Servier ont récemment indiqué avoir créé un fond d’indemnisation au bénéfice des victimes du MEDIATOR permettant la réparation de leurs préjudices hors contentieux. Ainsi, des sommes astronomiques auraient déjà été provisionnées pour « chloroformer » les demandes financières à venir. Peut-on se contenter de cela ? Les victimes ne peuvent qu’être animées d’une double volonté : le besoin de réparation mais aussi le besoin de vérité et de recherche des responsables. Des précédents ont montré que les victimes d’effets indésirables médicamenteux, pouvaient compter sur la justice pour obtenir des dommages et intérêts devant les juridictions civiles. Cependant seule une enquête, menée au grand jour, permettra de satisfaire leur exigence légitime de recherche de la vérité. Des plaintes ont à ce titre, déjà été déposées au plan pénal par les victimes. Le législateur, dans sa sagesse, a en effet prévu des textes répressifs aptes à permettre de demander publiquement des comptes aux responsables. Les infractions pénales d’administration de substances nuisibles, de blessures ou homicides involontaires et de tromperie aggravée pourront et servent déjà de base à des poursuites pénales. A une époque où l’on demande de plus en plus à la justice de résoudre les problèmes de société, il faut espérer que dans l’affaire du MEDIATOR, elle provoque une prise de conscience collective et œuvre ainsi au renforcement de la prévalence de l’intérêt public et de la sécurité sanitaire. Face à l’inertie collective, c’est désormais au droit et à la justice de venir au secours des victimes.