Serpent
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Conduite à tenir devant une morsure de serpent F.Chafiq, N.Rhalem, M.Fekhaoui, R. Soulaymani Bencheikh 1. Cas clinique : Une patiente âgée de 35 ans a été admise en urgence dans un centre de santé situé en zone rurale du sud marocain, 1 heure après une morsure de serpent au niveau de la main droite. La patiente a présenté des douleurs locales, un discret œdème de la main, des nausées et des vomissements. Elle portait un garrot très serré au niveau du poignet. L’identification du serpent n’a pu être faite. Le médecin a contacté le Centre Anti Poison pour avoir des informations concernant les premiers gestes d’urgences et la conduite à tenir. 2. Introduction Au Maroc, les envenimations par morsure de serpent (MS) constituent un sujet d’inquiétude pour les populations et pour les professionnels de santé, du fait d’une part de leur gravité, et d’autre part de la non disponibilité de l’immunothérapie antivenimeuse. Les envenimations par MS sont engendrées par 8 espèces appartenant à deux familles : les élapidés (une espèce) et les Vipéridés (sept espèces). La famille des colubridés est pratiquement inoffensive sauf en cas de morsure prolongée. La prise en charge de ce type d’envenimation comprend des premiers gestes qui doivent être connus par le public et par les professionnels de santé, un traitement symptomatique et un traitement spécifique. 3. Epidémiologie: Une étude rétrospective menée par le Centre Anti poison et de pharmacovigilance du Maroc (2001 à 2006) a montré que le taux de létalité est de 5,6 % et que le taux de létalité spécifique aux enfants ≤ 15 ans est de l’ordre de 9,5%. La sérothérapie antivenimeuse n’a été indiqué dans aucun cas de faite de sa non disponibilité. 4. Critères de différenciation entre serpent venimeux et non venimeux Il existe dans le monde environs 3000 espèces de serpents dont seulement 450 (15%) sont considérées comme venimeuses. Il est donc important de savoir différencier un serpent venimeux d’un serpent non venimeux (schéma 1 et tableau I). Schéma 1 : Critères morphologiques d’identification rapide des serpents venimeux (vipéridés) et non venimeux (colubridés) (2) 1 Tableau I : Critères de différenciation entre serpent venimeux et non venimeux Tête Serpent Pupille Queue Crochets Triangulaire Verticale Brève 2 ou 3 rangées entre l’œil et la lèvre supérieure Présence Arrondie Arrondie Longue, effilée Une rangée d’écaille entre l’œil et la lèvre supérieure Absence venimeux Serpent non venimeux Ecailles 5. Serpents venimeux du Maroc et aire de distribution Grâce à sa situation géographique et son climat qui définit des milieux très diversifiés, le Maroc possède une riche faune représentée dans les différents écosystèmes. Cette faune est la plus diversifiée à l'échelle du Maghreb et sa structure est marquée par un taux d'endémisme qui représente parfois plus de 50% des espèces particulières au Maroc. 2 Les serpents représentent 27% de la faune reptilienne du Maroc dont 32% sont des espèces venimeuses. L'étude de la biogéographie de ces taxons est un sujet qui revêt un intérêt médical intéressant à la fois les zoologues et les médecins (tableau II). Tableau II : Serpent venimeux du Maroc et aire de distribution Nom scientifique Nom commun Aire de distribution Elapidae Naja haje legionis Cobra ou Naja Sahara, Laayoune, région d’Agadir avec extension jusqu’à Figuig (limite sud des Atlas) Viperidae Cerates cerates Vipère à corne Zones prédésertiques du sud de l’Atlas, Goulmime, Tarfaya, Assa, sud ouest du Maroc, Sahara Bitis arientans Vipère heurtante Sud-ouest du Maroc, vallée de Souss, Anti atlas, Tan-Tan, Souss, Taroudant Cerastes vipera Vipère de l'Erg Tarfaya, Laayoune, Merzouga (Sahara) Macrovipera mauritanica Vipère de Mauritanie Anti-Atlas, Tan-Tan, moyen Atlas, environs de Rabat, environs de Marrakech, Dra, Jerada, Goulmima, environs de Ouzzane, Rif central Vipera monticola Vipère naine de l'Atlas Haut Atlas, moyen Atlas (région Qsiba) Echis carinatus Echide carénée Goulmime et Figuig, gultate Zemmour, Sahara occidental Vipera latastei Vipère de lataste Rif, moyen Atlas central et méridional et haut Atlas 6. Composition des venins: Les venins de serpents ont un double mécanisme d’action : l'immobilisation rapide de la proie et la prédigestion. Les venins sont constitués dans 95% de protéines qui sont responsables de la quasi-totalité des symptômes observés après envenimation. On distingue 2 groupes de protéines du venin: 1) Les toxines se fixent essentiellement sur les récepteurs cellulaires dont elles perturbent leur fonctionnement (neurotoxines, cardiotoxines, myotoxines, cytotoxines…). 2) Les enzymes qui transforment les substrats en nouveaux composés, douées parfois d'actions pharmacologiques (phospholipases, nucleotidases et les phosphatases, les hyaluronidases. 3 Les venins des Viperidaes sont caractérisés par de grandes concentrations d'enzymes qui sont à l'origine de troubles loco-régionaux sévères et de troubles de la coagulation mettant en jeu le pronostic vital. Les Elapidaes ont un venin riche en toxines neurotropes qui se fixent sélectivement sur les récepteurs cholinergiques de la membrane postsynaptique. Les neurotoxines de faible poids moléculaire atteignent rapidement leur cible et bloquent ainsi l'influx nerveux provoquant la paralysie des muscles squelettiques concernés. 7. Symptomatologie : 7.1. Envenimations vipérines En cas d’envenimation, la gravité de est très variable, allant de la simple trace de crochets, sans réactions locales ou avec de simples réactions locales mineures, à une atteinte systémique sévère avec œdème étendu. Ces variations sont déterminées par la quantité de venin injecté ; l’âge et le poids du patient, la localisation de la morsure, les antécédents, et le degré d’activité physique après la morsure (4). Selon les auteurs (5), 20 à 50% des morsures sont dites blanches sans inoculation de venin (grade 0). Le grade 1 est caractérisé par une douleur vive et un oedème local. Le grade 2 se caractérise par l’apparition d’une diarrhée et d’une hypotension artérielle résistant à un remplissage macromoléculaire, des symptômes généraux peuvent être observés d'emblée : angoisse, malaise, douleurs abdominales, nausées, et vomissements. Ces derniers symptômes ne sont inquiétants que s’ils persistent. Dans certains cas un œdème extensif peut se développer. Le grade 3 correspond à un œdème extensif avec constitution d’un troisième secteur est installation de défaillances multiviscérales (tableau III). Plus le passage d’un grade à un autre est court, plus le pronostic est sévère. Tableau III: Gradation clinique des morsures et des envenimations vipérines Grade 0 Envenimation Absente Symptomatologie Marques de crochets Absence d'oedème et de douleur 1 Minime Œdème local autour de la morsure Absence de signes généraux 2 Modérée Œdème extensif et/ou symptômes généraux modérés (hypotension modérée, malaise, douleur abdominale, diarrhées) 3 Sévère Œdème étendu au delà du membre et/ou symptômes généraux sévères (hypotension prolongée, choc, réaction anaphylactoide, atteintes viscérales) 4 En dehors de l'état de choc, d’autres complications peuvent survenir à type de réactions allergiques (œdème de Quincke, bronchospasme, choc anaphylactique) (6). Ces manifestations doivent être différenciées de l'envenimation systémique; elles peuvent mettre en jeu le pronostic vital. Autres complications: Insuffisance rénale fonctionnelle ; Oèdeme pulmonaire lésionnel ; Rhabdomyolyse avec augmentation des CPK ; Le décès survient en deux à trois jours dans un tableau de défaillance multiviscérale. 1.1. Bilan biologique : Le bilan initial comprend : * NFS, ionogramme sanguin avec créatinémie. * Bilan d'hémostase: TP, TCA, Fibrinogène, produits de dégradation de fibrine (PDF) Ce bilan sera orienté et complété selon les anomalies cliniques et évolutives. 1.2.-Signes biologiques de gravité (Tableau IV ) Tableau IV : signes de gravité de l’envenimation vipérine (7) leucocytose >15 000/mm3 plaquettes <150 000/mm3 Taux de prothrombine <60% fibrinogène <1,5g/l Produit de dégradation de la fibrine Présence 7.2. Envenimations provoquées par les Elapidés. La présence de neurotoxines de plusieurs familles chimiques (phospolipases A2, fasciculines) sont responsables du syndrome cobraique caractérisé par une atteinte des nerfs faciaux (ptosis, ophtalmoplégie) et par l’apparition d’une paralysie flasque ascendante pouvant aboutir à une paralysie respiratoire. 8. Prise en charge La prise en charge repose sur: 8.1. En préhospitalier : Les premiers gestes (first-aid) à faire devant une morsure de serpent doivent être connus par le public et les professionnels de santé: 8.1.1. Mettre le patient au repos et le rassurer, la mobilisation du membre mordu accélère la dissémination du venin au reste du corps. Le membre doit être gardé immobile à une position déclive par rapport au coeur. 5 8.1.2. Enlever tout les garrots potentiels (bague, bracelet, montre, chaussures). 8.1.3. Désinfecter avec de l’eau et du savon, et appliquer de la bétadine. 8.1.4. Appliquer un large bandage autour de la plaie tout en s’assurant que ce bandage ne doit pas être trop serré et vérifier la perception du pouls. 8.1.5. Procéder à l’immobilisation du membre mordu avec une attelle de fortune. 8.1.6. Mettre le patient en position latérale de sécurité et assurer la liberté des voies aériennes supérieures. 8.1.7. Ne rien administrer au patient par voie orale (aliment, médicament, ou boisson). 8.1.8. Essayer d’identifier l’espèce de serpent. 8.1.9. Ne pas enlever le bandage avant d’arriver à l’hôpital 8.1.10. Eviter l’utilisation de médecine traditionnelle. 8.1.11. Les mesures suivantes doivent être proscrites car elles peuvent être à l’origine d’infection et de dissémination du venin : Incision ou aspiration ; Pose de garrot ou de bandage serré ; Application sur la plaie de produits chimiques ou médicamenteux (permanganate de potassium par exemple) ; Dépôt de glace sur la plaie ; Transport : Toute suspicion de morsure de serpent implique une évaluation médicale et une surveillance dans un service d’urgence. Si on se trouve loin d’une formation sanitaire, l’évacuation doit se faire vers le dispensaire ou hôpital le plus proche. Le patient ne doit pas marcher mais doit être gardé immobilisé et transporté sur un brancard, bicyclette, ou tout autre moyen de fortune disponible (âne, mulet.). En milieu hospitalier : Les critères d’hospitalisation et les indications thérapeutiques sont fonction grade observé (tableau III). Grade 0 (morsure sans envenimation) : surveillance de 4 heures aux urgences, désinfection locale et contrôle de la vaccination antitétanique Grade 1 (envenimation mineure) : Hospitalisation pendant au moins 24 heures dans un service de médecine avec réévaluation de la gradation toutes les heures pendant la période d’aggravation maximum. Les examens biologiques sont à renouveler toutes les 6 heures. Traitement identique au grade 0, prescrire des antalgiques en évitant les salicylés Grade 2 (envenimation modérée) : hospitalisation en réanimation Dés ce stade l’immunothérapie antivenimeuse est indiquée. Malgré que son efficacité a montré ses preuves, cette thérapie n’est pas dispensée au Maroc du fait de sa non disponibilité. Dans les autres pays comme la France, l’immunothérapie F(ab’)2 a permis de diminuer la durée totale du séjour hospitalier ainsi que les complications viscérales et sequéllaires . A titre d’exemple le Viperfav® spécifique des espèces de vipères 6 venimeuses de France est administré en perfusion de 1 heure (4ml dilué dans 100 ml de sérum physiologique) quel que soit l’âge et le poids. Une 2eme perfusion est renouvelée à H+5 si les signes de gravité se poursuivent. La première dose de Viperfav® suffisait à faire disparaître la totalité des signes généraux et biologiques, incluant le choc au venin. Lors d’hémorragies massives, les facteurs de coagulation sont consommés par les enzymes du venin et seul l’immunothérapie pourra rétablir une hémostase correcte. Des réactions allergiques exceptionnelles ont été rapportées lors de l’utilisation du cette immunothérapie. Parmi ces réactions : o Réactions anaphylactoides nécessitant l’arrêt de perfusion et le traitement de choc. o Maladie sérique au 21j : fièvre, prurit, urticaire, adénopathies, arthralgies apparaissant six jours après le traitement et guérissant sous corticoïdes Cette approche immunologique qui devrait être appliquée au Maroc doit nécessairement être adaptée aux espèces venimeuses marocaines. Grade 3 (envenimation sévère): A ce niveau la prise en charge nécessite : Une Hospitalisation en service de réanimation. Une Immunothérapie Un Traitement symptomatique (expansion volémique, sympathomimetiques… Notons que l’antibiothérapie n’est recommandée que s’il existe des signes d’infection locale ou de nécrose (amoxicilline- acide clavulanique), la corticothérapie n’a aucune indication systématique, l’héparinothérapie n’a aucune indication en dehors de la prévention de la maladie thromboembolique. 9-Approche préventive Le contact serpent-Homme est parfois provoqué par des comportements et des gestes qui facilitent les morsures. Afin d’éviter ces situations plusieurs gestes et pratiques sur le terrain sont nécessaires à adopter et qui peuvent être résumer comme suit : Porter des botes et de pantalons longs Faire attention ou l’on marche Ne pas mettre les mains n’importe ou, en particulier dans les trous, et sous les pierres Ne partez jamais seul en excursion Se renseigner auprès des autochtones sur les zones à risque Attitude préconisée pour notre patient Le médecin répondeur a conseillé au médecin d’enlever d’abord le garrot et de commencer les premiers gestes comme indiqués plus haut et s’agissant de grade 2, le transport médicalisé dans un centre hospitalier a été vivement conseillé. Références : 7 1. Chafiq F., Rhalem N., Badri M., Semlali I., Soulaymani R. Situation épidémiologique des morsures de serpents au Maroc (2001-2006). 4ème journée nationale de la société marocaine de toxicologie clinique et analytique; Rabat ; 25 octobre 2007, (Abstract). 2. Fekhaoui M., Amphibiens et reptiles du Maroc, étude nationale sur la biodiversité. Observatoire national de l’environnement, ministère de l’environnement .114 p 3. Chippaux JP. L’envenimation ophidienne en Afrique: épidémiologie, clinique et traitement. Ann IP/actualités, 1999, 10,161-171. 4. Karson-Stiber C., Persson H. Envenimations par morsures de serpents. Intoxications aigues, 1999 Elsevier, Paris ; 416-430 5. De Haro L. Animaux toxiques : envenimations et intoxications In Intoxications aigues en réanimation. Danel V. Barriot P., 2°édition 1999, Arnette. 581-610 6. Mosiman B., Galley P., Pecoud et coll. Life threatening reactions after viper bite: detection of venom-specific IgE by dot assay. Lancet, 1992,340,174. 7. Harry P., de Haro L., Asfar P., David JM. Evaluation de l’immunothérapie anti-vipérine par fragments F (ab’) 2 purifiés (Viperfav*) par voie veineuse. Presse Med. 1999 ; 28 : 1929-34. 8. Warrel DA. WHO/ SEARO guidelines for the clinical management of snakebites in South-East Asia Region. Southeast Asian J Trop Med Pub Health, 1999; 30, supplement 1: 38. 9. De Haro L., Lang J., bedry R., Guelon D., Harry P., Marchal Mazet F., Jouglard J. Envenimations par vipères européennes, étude multicentrique de tolérance du Viperfav*, nouvel antivenin par voie intraveineuse. Ann Fr Anesth Réanim 1998 ; 17 : 681-9 8