Allô, la boucherie Rambo?
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Allô, la boucherie Rambo?
Dimanche 10 février 2008 / Page Pelot en cuisine [ Sélection Il est des ouvrages qu’il convient de ne pas lire au coucher, au risque de comportements incontrôlables. La dernière fricassée de Pierre Pelot, La croque buissonnière (collection Exquis d’écrivain, Nil Editions) en fait partie. Quatre-vingts onze pages d’irrésistible délice, de totale extase salivaire. Ouvrez ce mirifique opuscule à n’importe quelle page avant l’endormissement, dans l’instant l’appétit vous vient. Et vous vous retrouvez tout soudain au secret de votre cuisine, le cheveu broussailleux et le pyjama en débraille, à terminer une bande de lard froide avec des grognements de satisfaction quasi préhistoriques. Un bouquin aussi évocateur de chère saine et franche, c’est un truc rare, quasi magique. Et vertuchou ! Hétaïres ou putains, confinées en maison ou arpentant le trottoir, elles jouent de la hanche à tous les coins sombres de la littérature. La figure de la prostituée hante l’imaginaire romanesque, au XIXe siècle surtout, et la collection Bouquins s’en est saisie pour proposer un volume riche en surprises et en sensations. Sous-titré Romans de la prostitution, Un Joli Monde plonge dans les bouges et les bas quartiers à la suite d’écrivains retenus par la postérité – Maupassant (Boule de suif, La Maison Tellier…), Huysmans, Edmond de Goncourt ou Léon Bloy- – et de signatures oubliées. Car on ne lit plus guère Chair Molle de Paul Adam, ou Virus d’amour, signé Adolphe Tabarant. L’occasion est donc belle d’une découverte. L’ensemble est soutenu par un appareil critique éloquent, fait d’une préface et de présentations des œuvres concoctées par deux universitaires, Daniel Grojnowski et Mireille Dottin-Orsini, et d’une somme de documents recouvrant la période observée, entre 1875 et 1906. Autant dire que c’est la vision naturaliste – un extrait de Nana trouve évidemment place dans l’ouvrage – de la prostituée qui prévaut ici, évoluant avec le temps. M. G. [ Musique M. G. [ Cinéma Après avoir clos la saga Rocky, Sylvester Stallone met un terme aux exploits du vétéran du Vietnam avec John Rambo en proposant un quatrième opus ruisselant d’hémoglobine. L’air des bijoux par Michel BITZER [ Science-fiction Allô, la boucherie Rambo ? S on nom est Rambo, John Rambo. Dans une vie antérieure, ce vétéran du Vietnam rentré d’Asie du Sud-Est avec son lot de traumatismes se heurtait à l’indifférence des autorités de son pays (Rambo, de Ted Kotcheff en 1982). De retour dans les rizières pour y repérer la trace d’éventuels prisonniers de guerre américains, il cassait joyeusement du Viet après avoir été livré à lui-même en territoire ennemi (Rambo II : la mission, de George Pan Cosmatos en 1985). Puis libérait à lui seul les terres du commandant Massoud en mettant l’armée soviétique en déroute (Rambo III, de Peter McDonald, en 1988). C’était il y a vingt ans. Comme son vieux pote Rocky Balboa devenu propriétaire d’un restaurant italien à Philadelphie, John Rambo aurait pu se ranger des voitures. Se retrouver par exemple derrière le zinc d’un bar pour bikers posé au bord d’une route déserte de son Arizona natal. Y décapsuler des Budweiser, des Miller ou des Coors avec les dents, tout en ressassant ses souvenirs du bon vieux temps. Ou plutôt les moments douloureux traversés par ce soldat au cœur aussi gros que les biscoteaux. Et à l’âme définitivement meurtrie par ces sales guerres imposées à de trop jeunes recrues. Seulement, on ne se refait pas. John Rambo est donc resté en Thaïlande. Pas à Pattaya ou à Phuket pour faire le kakou au milieu d’accortes jouvencelles. Mais dans ce Nord hostile où la chasse aux cobras lui permet de subvenir à ses modestes besoins. Malgré les pluies de la mousson qui vous trempent les os en moins de temps qu’il n’en faut pour l’écrire, le vieux soldat a toujours fière allure avec le bandana rouge qui retient sa crinière de jais, un arc en bandoulière qu’il ne demande qu’à bander encore. Et aussi un fusil mitrailleur à portée de main, au cas où la menace serait trop pressante. Elle va justement l’être, dans cette Birmanie voisine où la junte militaire au pouvoir mène la vie dure à la guérilla karen et à tous ceux – humanitaires compris – qui tentent de soulager ses maux. De doux rêveurs yankees envoyés sur place par une organisation religieuse l’apprennent à leurs dépens, arrêtés puis torturés par la soldatesque locale. Nos piètres héros seront-ils tirés de ce mauvais pas par le commando de mercenaires envoyé à la rescousse ? Vraiment désolé de gâcher le suspense, mais la réponse est… affirmative. Grâce, bien sûr, à notre ami John Rambo aussi laconique qu’héroïque. [ Polar La folie Millenium Le secret d’Einstein grand format avec une belle couverture signée Manchu. Entrer dans la collection Lunes d’Encre, digne descendante de la défunte Présence du Futur, c’est un peu entrer dans l’histoire de la science-fiction. C’est le moins que méritait cet auteur incontournable de la SF américaine. Lisbeth Salander est une jeune femme un peu autiste, maigre comme Fifi Brindacier, elle a une intelligence exceptionnelle et un destin des plus pourris. Elle accumule les coups du sort et les rencontres avec les hommes violents, et ressemble à un concentré de ce qui peut arriver de pire à une femme dans la Suède contemporaine. Mickaël Blomkvist est journaliste et cofondateur de Millenium, un mensuel d’investigation. Il est brillant et fouineur, honnête, loyal, et ressemble à un concentré de ce qu’il peut y avoir de meilleur chez l’homme suédois d’aujourd’hui. La trilogie Millenium de Stieg Larsson, chez Actes Noirs, raconte l’explosion de leur rencontre, la saga d’une réaction en chaîne qui expose au grand jour les atrocités cachées derrière une certaine bonhomie scandinave. Meurtre, viol, enlèvement, trafic de femme, espionnage et violence institutionnelle parsèment le combat de Salander, Blomkvist et leurs amis contre la machine sauvage que peut devenir une partie de la société. Millenium a créé l’évènement en propulsant trois gros romans de 600 pages aux titres impossibles* au top des ventes en Suède, en France et dans de nombreux autres pays. Crée en 2006 pour accueillir cette trilogie, la collection polar d’Actes Sud compte déjà une dizaine de romans noirs étrangers, poursuivant le but affiché d’enrichir le genre policier avec des textes de très haute tenue. Pour ajouter à sa légende naissante, Stieg Larsson n’aura pas pu profiter du succès inattendu de son œuvre : il est mort à 54 ans d’une crise cardiaque, peu après avoir remis son manuscrit à l’éditeur… J.-B. D. Tim Powers. Photo d.r. J.-B. D. * Tome 1 : Les hommes qui n’aiment pas les femmes ; tome 2 : La fille qui rêvait d’un bidon d’essence et d’une allumette ; tome 3 : La reine dans le palais des courants d’air. © Karen BALLARD nous arrivent tous gorgés de mots juteux, d’images luxuriantes, d’émotion maîtrisée, de drôlerie débordante. C’est Piaf, Brel et Groucho Marx qui se seraient donné rendezvous à la même table, pour une vraie bonne bouffe dignement arrosée. Retenons-en quelques plats particulièrement savoureux. D’abord cet A voix basse vertigineux, d’où s’échappent en jacassant des personnages de romans – de la fée Carabosse aux Trois Suisses, Juliette dévore tout et le reste. Plus loin Casseroles et faussets célèbre et déculpabilise enfin ceux qui désespérément chantent faux (« Ouvrez la chasse aux canards, Et rassassinez Mozart, Dans l’environ et le bizarre, Dans la joie et l’àpeu-près »). On rangera au même registre goûteux une Petite messe solennelle chantant la treille sous toutes ses appellations, « vin du Cantique et sang divin », ou la Chanson, con, hymne au parler toulousain de ses premières années. Tout à côté, Juliette chante l’exil (Aller sans retour), racontre l’amour à sa manière (Tu ronfles !), retrouve son compagnon de jeu François Morel et ses Lapins en chapeau, ressuscite même un refrain de Pierre Dac. Elle n’a eu qu’à se pencher pour dénicher ces petites merveilles, tout était dans cette Boîte en fer blanc qui lui vient de son enfance, « Lapis lazuli, De bric et de broc, Opales et rubis, En plastique en toc ». Ce titre-là tient du bijou, écriture pudique et douce, qui évoque le principal trésor légué par son père saxophoniste : « L’envie singulière de faire l’artiste. » Parler de l’intelligence des arrangements, de la connivence avec une belle brochette de musiciens, de l’aisance vocale de Juliette (pour parler vulgaire, la charmante en "garde sous la semelle") tiendrait du truisme. On se contentera donc d’écouter avec délectation une succulente livraison. Et d’imaginer surtout ce que donneront sur scène ces nouvelles chansons. Que du bonheur, assurément. Michel GENSON Californie, 1987. Daphné Marrity a 12 ans, elle est l’arrière-arrière-arrière-petitefille d’Albert Einstein mais elle ne le sait pas. Elle sent bien qu’elle n’est pas ordinaire, comme lorsque parfois elle lit dans les pensées de son père, mais elle est loin d’imaginer l’héritage que lui impose sa lignée secrète. Lorsque son arrière-arrièregrand-mère, fille du génial savant, se suicide lors d’une cérémonie revival de vieux hippies sur le retour, tout le monde semble s’intéresser à elle. Voilà Daphné et son père devenus la cible du Mossad, d’une société secrète et d’espions psychiques, tous à la recherche d’une mystérieuse machine à voyager dans le temps. Fidèle à sa marque de fabrique, Tim Powers concocte avec A deux pas du néant une fiction efficace à base de révision mythologique de l’histoire officielle. La légende du graal, la kabbale juive, le voyage dans le temps et l’histoire d’Hollywood sont au cœur de cette uchronie cultivée qui marie avec bonheur les thèmes chers à la théorie du complot ("On ne nous dit pas tout !") et les figures classiques de la littérature fantastique. Tim Powers est connu comme l’un des fondateurs du sous-genre de science-fiction appelé steampunk, magistralement inventé avec Les Voies d’Anubis en 1983. La plupart de ses romans ont été traduits et édités directement en poche chez J’ai Lu, avant que Denoël ne reprenne le flambeau en 2003 pour publier son précédent roman Les puissances de l’invisible, enfin en Pelot est magicien quand il s’agit de raconter les secrets de fabrication d’une simple soupe, de farine ou d’orties, d’évoquer le rituel séculaire accompagnant la mise en tonneau de la choucroute. Quant au chapitre sobrement intitulé Patates (« Un monde sans patates serait tout simplement un monde d’après la catastrophe. »), il figure à coup sûr parmi les choses les plus essentielles que l’Homme ait écrites depuis les origines, au bas mot. On savait Pelot marathonien du roman, voici qu’en quelques pages juteuses et fraternelles il nous dit les plaisirs d’une cuisine rustique et savante, ingénieuse et patiente. La sienne. C’est à tomber de joie. Photo Anthony PICORE Histoires de "filles" Baroque, pétaradante et gaillarde, l’instant d’après d’une fragilité cristalline, déconcertante… Juliette est décidément épuisante. La gueuse vous ferait user tous les qualificatifs de la Création pour tenter de la rattraper, pour inventorier ses univers mélangés, du comique troupier au drame susurré. Alors, assumons nos choix. Mademoiselle Noureddine parvenue à maturité est peut-être l’artiste la plus accomplie que la chanson française nous ait donnée au cours de ces derniers lustres. Bijoux et babioles (soustitre de son dernier album sorti chez Polydor) en administre une nouvelle preuve. Là où la plupart de ses confrères (et sœurs) n’arrachent à leur douleur existentielle que de vagues vents fluets, après des mois de contorsions abdominales, Juliette fait dans le copieux, le charnu. Les onze titres qui comp o s e n t l’opus nouveau 7 236 morts selon le Los Angeles Time qui a procédé à un relevé minutieux : John Rambo ne fait pas dans le détail ! Une petite heure et demie durant, il massacre, il zigouille, il trucide, il étripe, il éventre, il égorge, il décapite, il mutile, il étrangle, il ampute, il martyrise, il démolit, il éviscère, il extermine, il occit, il poignarde, il bute, il achève, il pulvérise, il flingue, il liquide, il surine, il anéantit, il saigne, il écrabouille, il supplicie, il désintègre, il amoche, il lamine, il ratatine, il dessoude, il étrille, il annihile, il pourfend, il mitraille, il meurtrit, il écorche… 236 morts en quatre-vingt-dix minutes selon le Los Angeles Time, dont 83 attribués au seul Rambo. Bref, John Rambo c’est du lourd, du très lourd. A ne pas mettre devant tous les yeux en raison de la violence hyper-réaliste de nombreuses scènes. « Mais je veux que ça choque et que tous les gens comprennent qu’une guerre civile, c’est l’horreur ! », se défend Sylvester Stallone, à la fois acteur, réalisateur et scénariste de ce quatrième Rambo qui clôt la série dans un torrent d’hémoglobine. A moins que… « Car Rambo reste un personnage intéressant maintenant qu’il est rentré au pays ! » Le guerrier n’aurait pas encore besoin de repos ? [ DVD Brooklyn, années cinquante Premier roman de Hubert Selby Jr, Last exit to Brooklyn provoqua une belle polémique lors de sa publication en 1964. La faute à un style abrupt. La faute, surtout, à la noirceur de ce Brooklyn des années cinquante dans lequel évoluent des personnages marqués par le destin. Deux décennies plus tard, Uli Edel portait enfin à l’écran cette plongée abyssale dans les bas-fonds new-yorkais désormais éditée en DVD (Opening). A partir de la demi-douzaine de nouvelles composant le livre de Selby, le réalisateur allemand de Moi, Christiane F., 13 ans, droguée et prostituée… signe un film âpre qui réussit à lier entre eux une poignée d’itinéraires ténébreux sur fond de rues sinistres, de bars mal famés et de terrains vagues où il ne fait pas bon s’aventurer. Jennifer Jason Leigh mène le bal en jeune prostituée qui arnaque les soldats osant se risquer dans les parages. La musique de Mark Knopfler, elle, épouse parfaitement cette œuvre aussi crue que poignante. M. B. L’Italie, toujours et encore Le 7e art transalpin a décidément la cote. Alors que les Editions Montparnasse lui dédient une nouvelle collection, Opening ajoute six titres inédits à ses Grands classiques du cinéma italien. L’occasion de découvrir le tout premier film de Giuseppe Tornatore, avec Ben Gazzara en mafioso dirigeant des trafics de drogue et de cigarettes depuis sa prison dans Le maître de la Camorra. Et une des premières prestations devant la caméra de Sophia Loren en jeune meunière courtisée par un gouverneur napolitain dans Par-dessus les moulins de Mario Camerini. L’affrontement de Toto et Walter Pidgeon dans Les deux colonels de Steno, le coup de foudre de Jean-Louis Trintignant pour Eleonora Rossi Drago dans Eté violent de Valerio Zurlini, la sensualité de Laura Antonelli dans La Vénitienne de Mauro Bolognini, enfin la même Laura Antonelli séduite par Terence Stamp dans Divine créature de Giuseppe Patroni Griffi complètent cette livraison d’un réel intérêt. M. B.