Objet d`étude : La question de l`Homme dans les

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Objet d`étude : La question de l`Homme dans les
Objet d’étude : La question de l’Homme dans les genres de l’argumentation, du XVlème
siècle à nos jours.
CORPUS DE TEXTES
Texte A : Jean de La Fontaine (1621-1695), Fables, Livre VII, 1678, Avertissement de l’auteur.
Texte B : Perrault (1628-1703), Contes en vers, 1694, Préface.
Texte C : Jean-Pierre Florian (1754-1794), Fables, 1792, Livre I, Fable 1, La Fable et la Vérité.
Texte D : Bruno Bettelheim (1903-1990), Psychanalyse des contes de fées, 1976, Introduction.
TEXTE A
Voici un second recueil de fables que je présente au public. J'ai jugé à propos de donner à la
plupart de celles-ci un air et un tour un peu différent de celui que j'ai donné aux premières, tant
à cause de la différence des sujets, que pour remplir de plus de variété mon ouvrage. Les traits
familiers que j'ai semés avec assez d'abondance dans les deux autres parties, convenaient bien
5 mieux aux inventions d'Ésope qu'à ces dernières, où j'en use plus sobrement pour ne pas tomber
en des répétitions : car le nombre de ces traits n'est pas infini. Il a donc fallu que j'aie cherché
d'autres enrichissements, et étendu davantage les circonstances de ces récits, qui d'ailleurs me
semblaient le demander de la sorte. Pour peu que le lecteur y prenne garde, il le reconnaîtra luimême ; ainsi je ne tiens pas qu'il soit nécessaire d'en étaler ici les raisons, non plus que de dire
10 où j'ai puisé ces derniers sujets. Seulement je dirai, par reconnaissance, que j'en dois la plus
grande partie à Pilpay, sage indien. Son livre a été traduit en toutes les langues. Les gens du
pays le croient fort ancien, et original à l'égard d'Ésope, si ce n'est Ésope lui-même sous le nom
du sage Locman. Quelques autres m'ont fourni des sujets assez heureux. Enfin j'ai tâché de
mettre en ces deux dernières parties toute la diversité dont j'étais capable.
A MADAME DE MONTESPAN
L'apologue est un don qui vient des immortels ;
Ou si c'est un présent des hommes,
Quiconque nous l'a fait mérite des autels.
Nous devons, tous tant que nous sommes,
Ériger en divinité
5
Le sage par qui fut ce bel art inventé.
C'est proprement un charme. : il rend l'âme attentive,
Ou plutôt il la tient captive,
Nous attachant à des récits
10 Qui mènent à son gré les cœurs et les esprits.
0 vous qui l'imitez, Olympe, si ma muse
A quelquefois pris place à la table des dieux,
Sur ces dons aujourd'hui daignez porter les yeux ;
Favorisez les jeux où mon esprit s'amuse.
15 Le temps, qui détruit tout, respectant votre appui,
Me laissera franchir les ans dans cet ouvrage :
Tout auteur qui voudra vivre encore après lui,
Doit s'acquérir votre suffrage.
C'est de vous que mes vers attendent tout leur prix :
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Il n'est beauté dans nos écrits
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Dont vous ne connaissiez jusques aux moindres traces.
Eh ! qui connaît que vous les beautés et les grâces ?
Paroles et regards, tout est charme dans vous.
Ma muse, en un sujet si doux,
Voudrait s'étendre davantage;
Mais il faut réserver à d'autres cet emploi ;
Et d'un plus grand maître que moi
Votre louange est le partage.
Olympe, c'est assez qu'à mon dernier ouvrage
Votre nom serve un jour de rempart et d’abri :
Protégez désormais le livre favori.
Par qui j'ose espérer une seconde vie ;
Sous vos seuls auspices, ces vers
Seront jugés, malgré l'envie,
Dignes des yeux de l'univers.
Je ne mérite pas une faveur si grande ;
La fable en son nom la demande:
Vous savez quel crédit ce mensonge a sur nous.
S'il procure à mes vers le bonheur de vous plaire,
Je croirai lui devoir un temple pour salaire ;
Mais je ne veux bâtir des temples que pour vous.
La Fontaine, Fables, VII, Avertissement.
TEXTE B
Tout ce qu’on peut dire, c’est que cette Fable1 de même que la plupart de celles qui nous restent
des Anciens n’ont été faites que pour plaire sans égard aux bonnes mœurs qu’ils négligeaient
beaucoup. Il n’en est pas de même des contes que nos aïeux ont inventés pour leurs Enfants. Ils
ne les ont pas contés avec l’élégance et les agréments dont les Grecs et les Romains ont orné
5 leurs Fables; mais ils ont toujours eu un très grand soin que leurs contes renfermassent une
moralité louable et instructive. Partout la vertu y est récompensée, et partout le vice y est puni.
Ils tendent tous à faire voir l’avantage qu’il y a d’être honnête, patient, avisé, laborieux,
obéissant, et le mal qui arrive à ceux qui ne le sont pas. Tantôt ce sont des Fées qui donnent
pour don à une jeune fille qui leur aura répondu avec civilité, qu’à chaque parole qu’elle dira, il
10 lui sortira de la bouche un diamant ou une perle ; et à une autre fille qui leur aura répondu
brutalement, qu’à chaque parole il lui sortira de la bouche une grenouille ou un crapaud. Tantôt
ce sont des enfants qui pour avoir bien obéi à leur père ou à leur mère deviennent grands
Seigneurs, ou d’autres, qui ayant été vicieux et désobéissants, sont tombés dans des malheurs
épouvantables. Quelque frivoles et bizarres que soient toutes ces Fables dans leurs aventures, il
15 est certain qu’elles excitent dans les Enfants le désir de ressembler à ceux qu’ils voient devenir
heureux, et en même temps la crainte des malheurs où les méchants sont tombés par leur
méchanceté. N’est-il pas louable à des Pères et à des Mères, lorsque leurs Enfants ne sont pas
encore capables de goûter les vérités solides et dénuées de tous agréments, de les leur faire
aimer, et si cela se peut dire, les leur faire avaler, en les enveloppant dans des récits agréables et
20 proportionnés à la faiblesse de leur âge ? Il n’est pas croyable avec quelle avidité ces âmes
innocentes, et dont rien n’a encore corrompu la droiture naturelle, reçoivent ces instructions
cachées ; on les voit dans la tristesse et dans l’abattement, tant que le Héros ou l’Héroïne de
Conte sont dans le malheur, et s’écrier de joie quand le temps de leur bonheur arrive; de même
1
L’auteur vient d’évoquer la « fable de Psyché, écrite par Lucien et par Apulée », et d’autres fables anciennes, qu’il rapproche de Peau d’Âne.
qu’après avoir souffert impatiemment la prospérité du méchant ou de la méchante, ils sont ravis
25 de les voir enfin punis comme ils le méritent. Ce sont des semences qu’on jette qui ne
produisent d’abord que des mouvements de joie et de tristesse, mais dont il ne manque guère
d’éclore de bonnes inclinations.
J’aurais pu rendre mes Contes plus agréables en y mêlant certaines choses un peu libres dont on
a accoutumé de les égayer ; mais le désir de plaire ne m’a jamais assez tenté pour violer une loi
que je me suis imposée de ne rien écrire qui pût blesser ou la pudeur ou la bienséance.
Perrault, Contes en vers, Préface, 1694.
TEXTE C
LA FABLE ET LA VERITE
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La vérité, toute nue,
sortit un jour de son puits.
Ses attraits par le temps étaient un peu détruits ;
jeune et vieux fuyaient à sa vue.
La pauvre vérité restait là morfondue,
sans trouver un asile où pouvoir habiter.
à ses yeux vient se présenter
la fable, richement vêtue,
portant plumes et diamants,
la plupart faux, mais très brillants.
Eh ! Vous voilà ! Bonjour, dit-elle :
que faites-vous ici seule sur un chemin ?
La vérité répond : vous le voyez, je gèle ;
aux passants je demande en vain
de me donner une retraite,
je leur fais peur à tous : hélas ! Je le vois bien,
vieille femme n’obtient plus rien.
Vous êtes pourtant ma cadette,
dit la fable, et, sans vanité,
partout je suis fort bien reçue :
mais aussi, dame vérité,
pourquoi vous montrer toute nue ?
Cela n’est pas adroit : tenez, arrangeons-nous ;
qu’un même intérêt nous rassemble :
venez sous mon manteau, nous marcherons ensemble.
Chez le sage, à cause de vous,
je ne serai point rebutée ;
à cause de moi, chez les fous
vous ne serez point maltraitée :
servant, par ce moyen, chacun selon son goût,
grâce à votre raison, et grâce à ma folie,
vous verrez, ma sœur, que partout
nous passerons de compagnie.
Florian, Fables, I, 1, La Fable et la Vérité.
TEXTE D
Le conte de fées, tout en divertissant l’enfant, l’éclaire sur lui-même et favorise le
développement de sa personnalité. Il a tant de significations à des niveaux différents et enrichit
tellement la vie de l’enfant qu’aucun autre livre ne peut l’égaler.
J’ai essayé de montrer dans cette étude comment les contes de fées représentent sous une forme
5 imaginative ce que doit être l’évolution saine de l’homme et comment ils réussissent à rendre
cette évolution séduisante, pour que l’enfant n’hésite pas à s’y engager. Ce processus de
croissance commence par la résistance aux parents et la peur de grandir et finit quand le jeune
s’est vraiment trouvé, quand il a atteint l’indépendance psychologique et la maturité morale et
quand, ne voyant plus dans l’autre sexe quelque chose de menaçant ou de démoniaque, il est
10 capable d’établir avec lui des relations positives. En bref, ce livre explique pour quelles raisons
les contes de fées contribuent d’une façon importante et positive à la croissance intérieure de
l’enfant.
Le plaisir et l’enchantement que nous éprouvons quand nous nous laissons aller à réagir à un
conte de fées viennent non pas de la portée psychologique du conte (qui y est pourtant pour
quelque chose) mais de ses qualités littéraires. Les contes sont en eux-mêmes des œuvres d’art.
S’ils n’en étaient pas, ils n’auraient pas un tel impact psychologique sur l’enfant.
Bruno Bettelheim, Psychanalyse des contes de fées, Introduction, 1976.
Question sur le corpus (4 points).
Dans ces quatre textes, quelle vision de l’être humain est donnée par les écrivains, et par quels
moyens ? Comment cette vision de l’homme justifie-t-elle leur projet didactique ?
Écriture : vous traiterez ensuite un seul des trois sujets suivants (16 points).
Commentaire : Vous commenterez la fable de Florian, La Fable et la Vérité, texte C.
Dissertation : « Je chante les Héros dont Esope est le Père,
Troupe de qui l'Histoire, encor que mensongère,
Contient des vérités qui servent de leçons. »
Ainsi s’exprime La Fontaine, dans la préface de son premier recueil des Fables. Vous expliquerez
comment un apologue, et notamment la fable, peut être à la fois « mensonge » et « vérité ». Vous
vous appuierez sur les textes du corpus, sur les textes étudiés en classe, et sur vos lectures
personnelles.
Sujet III : Ecriture d’invention.
Ecrivez un récit humoristique, en prose, et contenant un dialogue, que vous situerez dans notre
actualité, afin de donner une autre illustration à la moralité de la fable de Florian.