lecture analytique
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Plan pour la lecture analytique n°4 : Le Grand Prix (p379) – Chapitre XI Présentation de l'extrait : – – – Le chapitre X constitue l'apogée de la « carrière » de la courtisane Nana. Très populaire, installée dans un hôtel particulier par Muffat, elle règne sur le tout Paris et se fait entretenir par toute une cohorte d'hommes qui ont succombé à ses charmes de Vénus blonde. La liste des amants, pour ce simple chapitre, donne le vertige : le comte Muffat, le comte Xavier de Vandeuvres, Philippe Hugon et son frère Georges, sans oublier Satin, roulure des trottoirs pour laquelle Nana semble éprouver une réelle affection, voire de l'amour. Le chapitre XI est entièrement consacré à la description du Grand Prix hippique de Paris qui se déroule au bois de Boulogne, début juin. Pour rendre hommage à sa maîtresse, le comte de Vandeuvres a donné le nom de « Nana » à une de ses pouliches1, outsider2 mal côté, montée par le jockey Price et qui finit cependant par remporter la course, sous les acclamations d'une foule en délire. Le tout Paris (l'impératrice Eugénie, le prince d'Écosse, l'aristocratie, la bourgeoisie, le demi-monde des courtisanes, …) est une nouvelle fois réuni devant ce spectacle qui voit le triomphe de la pouliche Nana, qui est aussi celui de la courtisane Nana : c'est ce moment de triomphe absolu que nous décrit le passage proposé. Problématique : En quoi la description du spectacle hippique est-elle révélatrice du déclin du second Empire ? I) Un spectacle hippique frénétique a) Composition et progression de la scène – Le passage s'articule en deux mouvements clairement délimités. Le premier paragraphe décrit les derniers moments de la course. Les chevaux, Nana et Spirit, sont au coude à coude jusqu'au bout, mais dans un dernier « effort suprême » (l.6), Nana finit par l'emporter. Le second paragraphe décrit les réactions de la foule, prise d'un véritable délire devant la victoire de la pouliche Nana (« un enthousiasme fou s'était déclaré » l.10). – Le point de vue utilisé pour la description varie sensiblement. – Dans le premier paragraphe, la scène est perçue par un « on », pronom indéfini qui englobe à la fois le narrateur, la foule des spectateurs et le lecteur (« on vit alors une chose superbe » l.1). L'inclusion du lecteur lui permet de vivre plus intensément la scène et de partager les émotions fortes des spectateurs : admiration devant les efforts du jockey, attente tendue devant l'issue incertaine (les respiration sont coupées à la ligne 4), tension dramatique (suspense), ... Dans ce premier paragraphe, le regard se polarise, à la manière d'un gros plan, sur le couple formé par le jockey et la pouliche Nana. – En revanche, dans le second paragraphe, le même pronom revient (« sans qu'on vît distinctement ... » l.13), mais il ne désigne plus les même référents. En effet, la foule des spectateurs est maintenant l'objet du regard : le pronom « on » inclut uniquement le narrateur et le lecteur. Il y a là un effet de distanciation vis à vis de la foule, ce qui permettra la mise en place de la critique de la société du second Empire, représentée ici par la foule des spectateurs. Dans ce second paragraphe, le regard s'articule donc autour d'une vision d'ensemble qui semble surplomber le champ de course et prendre peu à peu de plus en plus de hauteur : si le regard est encore capable au début du paragraphe de distinguer certains détails (« les ombrelles », les « rires nerveux », les « chapeaux » l.11/12), par la suite, il ne perçoit plus qu'un « tas vivant » (l.15) et les « points noirs des yeux et de la bouche ouverte » (l.15). – L'évolution est donc notable : le regard, qui adopte au début le point de vue de la foule, prend peu à peu une hauteur (critique) et échappe à la frénésie qui gagne tous les spectateurs. – Enfin, l'extrait fonctionne selon un mouvement de crescendo (des mouvements et des sensations visuelles et auditives). Pour ne citer que quelques exemples, notons, dans le premier paragraphe, la gradation dans les efforts du jockey avec la succession des verbes « il donnait de son coeur (…), il la soutenait, il la portait » (l.3), le passage des « flammes »(l.2) que jette le jockey à la « foudre » (l.4), le passage du silence (« coupant les respirations » (l.4) aux cris (« immense acclamation » l.5). Notons dans le second paragraphe, la « clameur » (l.4) qui devient « cri » (l.4) avant de grandir encore pour emplir « peu à peu l'horizon » (l.5). b) La victoire de la pouliche – La description de la victoire de la pouliche Nana occupe le premier paragraphe. Le point de vue adopté est celui de la foule (cf. Ia). On note un procédé de dramatisation : l'issue de la course est incertaine, d'autant plus que la pouliche Nana est un outsider et qu'elle n'a jamais gagné aucune course jusqu'ici. Le spectateur et le lecteur sont tenus en haleine (les efforts du jockey suffiront-ils ?) par divers procédés. La première phrase (« on vit alors une chose superbe ») est volontairement énigmatique avec l'indétermination du substantif « chose » : le lecteur est placé dans une position d'attente et devra poursuivre sa lecture pour découvrir ce que que recouvre cette « chose » qui suscite l'admiration. La suite de la description se focalise sur le jockey Price à la manière d'un gros plan : un nouvelle fois, le spectateur est placé dans une position d'attente puisque le narrateur ne donne délibérément aucune information sur les autres chevaux : où se situe Spirit par rapport à Price ? Qui est en tête ? A la fin, le 1 Jeune jument qui n'a pas procréé et qui est généralement âgée de moins de trois ans. 2 Cheval ne figurant pas parmi les favoris mais dont on reconnaît qu'il peut déjouer les pronostics. – – lecteur est placé dans la même position d'attente que le juge (verbe « attendait » à la ligne 5). Enfin, l' « immense acclamation » qui se produit à la ligne 6 intervient avant que l'on ne sache l'issue de la course : Nana a-t-elle vaincu ? A-t-elle été vaincue ? Le lecteur doit, une fois de plus, attendre la ligne suivante pour découvrir que Nana est sortie victorieuse. En somme, l'intensité dramatique de la course est marquée dans le premier paragraphe par un ensemble de procédés qui placent le lecteur dans une position d'attente. Au-delà de l'aspect purement dramatique, il est important de noter que la description dépasse le simple réalisme pour atteindre une dimension épique. La réalité est totalement transfigurée, amplifiée, démesurée. Plusieurs procédés contribuent à cet effet. On relève la présence de nombreuses hyperboles comme des adjectifs hyperboliques (« chose superbe », « furieuse audace », « volonté triomphante », « trempée d'écume », « effort suprême ») et l'expression « jetait des flammes » qui soulignent l'ardeur du jockey. Certains termes montrent la violence, l'intensité ou la répétition des mouvements : le verbe « fouaillait », le substantif « élan », les verbes de mouvements « passa » et « jeter », la gradation « il donnait de son coeur (…), il la soutenait, il la portait ». L'usage de l'imparfait participe à l'amplification épique en donnant l'impression d'un mouvement continu dont les limites temporelles s'estompent. Les sensations auditives sont portées à un très haut degré : on remarque la comparaison du bruit de la course à la « foudre »(l.4) et l'adjectif hyperbolique « immense » dans l'expression « immense acclamation » (l.5). Le personnage du jockey subit le même traitement épique qui le transfigure en un être quasiment surnaturel, pour en proposer une vision presque infernale. Le personnage du jockey, dont le métier implique une petite taille, est comme grandi : adverbe « debout », expressions « cravache haute » et « longue figure ». Certaines précisions dessinent le portrait d'une créature contre-nature qui n'est plus tout à fait humaine : citons l'expression « bras de fer », l'oxymore « vieil enfant » et l'expression « jetait des flammes ». Enfin, l'association de la mort (« cette longue figure, dure et morte » l.2) et des « flammes » évoque immanquablement l'enfer : le cavalier et sa monture rappellent les cavaliers de l'Apocalypse3, annonciateur de la fin du monde. c) Les réactions de la foule des spectateurs – Les réactions de la foule des spectateurs sont décrites dans le second paragraphe. Le point de vue adopté est celui d'un regard surplombant qui prend progressivement de plus en plus de hauteur (cf. Ia). La description relève elle aussi du registre épique. On note des hyperboles soulignant les réactions paroxystiques de la foule (« enthousiasme fou » l.10, « vertige de la foule » l.19), les répétitions des cris au discours direct (« Nana ! Nana ! Nana ! » l.8/18, « Vive Nana ! Vive la France ! A bas l'Angleterre ! » l.11), l'usage de pluriels ou de noms collectifs (et parfois de métonymies) qui suggèrent une idée de multitude (« les femmes », « des hommes », « l'enceinte du pesage », « les tribunes », « ce tas vivant », « le peuple », « la tribune impériale ») ou bien qui indiquent que la frénésie se propage sur des étendues très vastes, quasiment illimitées (« l'horizon », « des profondeurs du Bois », « des prairies », « au fond des allées lointaines », « sous les arbres », …). On relève aussi des verbes (notamment d'action) qui montrent l'intensité des mouvements et des réactions de la foule : « brandissaient », « sautaient », «tournaient », « vociférant », « lançaient », « remuait », « s'enflait », « recommençait », « s'épandre et s'élargir », ...Notons aussi l'usage de l'imparfait qui participe comme dans le premier paragraphe à l'amplification épique. – Deux métaphores filées contribuent par ailleurs au grandissement épique de la scène. La métaphore maritime (« la clameur montant d'une marée » / « le cri roulait, grandissait, avec une violence de tempête, emplissant peu à peu l'horizon » / « pour s'épandre et s'élargir ») compare les cris de la foule à un véritable raz de marée qui immerge peu à peu tout l'espace dans une expansion illimitée qui rappelle le Déluge 4. La métaphore du brasier (« un tremblement de l'air, comme la flamme invisible d'un brasier, au-dessus de ce tas vivant (…), les bras tordus, avec les points noirs des yeux (...) ») suggère la frénésie de la foule en proie au délire. II) Révélateur du déclin du Second Empire a) Un passage symbolique – La dimension réaliste du passage5 est rapidement dépassée par l'épique (cf. analyses précédentes). Si le grandissement épique de la scène est suffisamment suggestif pour dire toute la folie qui s'est emparée de la société du Second Empire, il est à noter cependant que le texte possède aussi une valeur symbolique. Ainsi plusieurs éléments analysés dans la première partie peuvent-ils faire l'objet d'une seconde lecture : – La métaphore du brasier : si cette métaphore souligne l'intensité du délire qui s'empare de la foule (voir les analyses du Ic), elle n'est non plus sans rappeler l'obscure fascination qu'exerçait Nana sur le tout Paris au théâtre des Variétés dans le 1er chapitre. A ce titre, le brasier est ici le symbole de la passion brûlante et 3 Cavaliers qui apparaîtront, selon la Bible, à la fin du monde (i.e. l'Apocalypse) 4 Épisode biblique. Mécontent des hommes, Dieu a décidé de les punir en inondant totalement la Terre. Seuls Noé et son arche survivront à ce cataclysme. 5 Sans entrer dans le détail, citons quelques procédés d'écriture réalistes : une description précise d'une tranche de vie propre à la société du Second Empire ; un vocabulaire spécialisé des courses hippiques : « étriers », « cravache », « jeter Nana au poteau », « battant Spirit d'une longueur de tête », « piste », « enceinte de pesage », « tribunes » ; un ancrage référentiel avec des noms de lieux réels : « Bois » de Boulogne, « mont Valérien », « Longchamp », « Boulogne », « France », « Angleterre », etc. irrépressible des spectateurs pour Nana (à la fois pour la pouliche et pour la courtisane, ce qui revient au même). Par ailleurs, le brasier est aussi le symbole du désir qui consume tous les hommes qui approchent l'héroïne : Nana embrase tous les personnages masculins qui finissent « consumés » au sens figuré (tous finissent totalement ruinés : de leur richesse, de leur statut social, il ne reste que cendres), mais aussi au sens propre, puisque le comte Xavier de Vandeuvres, totalement ruiné après la course, se fera flamber dans son écurie avec ses chevaux à la fin du chapitre XI. En somme, le brasier est le symbole du pouvoir destructeur de Nana. – Les connotations infernales et les allusions à la fin du monde (allusion implicite aux cavaliers de l'Apocalypse, au châtiment du Déluge, et métaphore du brasier qui évoque l'enfer) ne sont pas gratuites. Symboliquement, elles indiquent la déchéance du Second Empire qui s'achemine inexorablement vers sa fin. La corruption morale de la société est telle qu'elle aboutira infailliblement à un châtiment divin exemplaire (symbolisée par l'image du Déluge et de la consomption dans le brasier) qui provoquera sa chute (ici, la guerre contre la Prusse à la fin du roman), c'est-à-dire l'Apocalypse du régime. Il est significatif que la métaphore maritime du début du second paragraphe associe implicitement les cris répétés de « Nana ! Nana ! Nana ! » à une vague déferlante qui submerge tout, à l'image du Déluge biblique : c'est signifier d'une manière très claire que le personnage de Nana est un châtiment qui s'abat sur le second Empire 6. La métaphore du raz de marée est donc aussi une symbole évident de l'implacable pouvoir destructeur et vengeur de Nana. b) Nana et son double animal : un autre portrait de l'héroïne – Le texte fonctionne sur une assimilation entre le personnage de Nana et la pouliche Nana. Le double animal du personnage révèle son animalité profonde. Cette analogie avec la bête traverse l'ensemble du roman comme on a pu le voir dans la lecture analytique n°1 où l'animalité lascive de Nana éclatait sur la scène du théâtre (« cette grosse fille […] qui gloussait comme une poule, dégageait autour d'elle […] une toute-puissance de femme » p.41), dans la lecture analytique n°2 où elle dévoilait la force de ses instincts de bête érotomane vorace « qui a envie de manger » (p.155) le comédien Fontan, et dans la lecture analytique n°3, sous la forme d'une « mouche d'or » dans laquelle Muffat reconnaîtra ensuite le « monstre de l'Écriture, lubrique, sentant le fauve », la « bête d'or » (p.226). – Nana, à travers la pouliche que la foule célèbre, incarne la toute puissance du désir et les instincts bestiaux de l'homme : elle est une allégorie de la Chair. Le texte offre d'ailleurs des allusions plus ou moins explicites à un orgasme généralisé : les « bouches ouvertes » (l.16) des spectateurs sont aussi l'expression d' une jouissance intense, les expressions « cela […] enflait », « bras de fer » et « longue figure, dure » suggèrent des images de turgescence, la verbe dans la formule « Price […] fouaillait Nana » par sa proximité phonétique avec le verbe « fouiller » évoque un accouplement bestial. c) Une satire indirecte du Second Empire – Paradoxalement, c'est ce moment de triomphe absolu de Nana 7 qui signe l'irrémédiable déchéance du Second Empire. Que dire, en effet, d'une société qui porte au firmament une prostituée, une bête lascive, grasse et inconsciente ? Que dire quand même le représentant suprême du pouvoir, l'Impératrice, applaudit (l.18) ? Que dire quand la foule toute entière8 semble abdiquer toute conscience9 pour se laisser entraîner dans la folie généralisée d'un orgasme qui ne dit pas son nom ? C'est indiquer très clairement la perte de toutes valeurs morales, la corruption profonde de la société du Second Empire. C'est montrer que l'empereur, l'aristocrate et le bourgeois ne valent pas mieux que la fille de joie débauchée. C'est indiquer clairement que la « bête humaine », les instincts sexuels primaires gouvernent le monde 10 sous des dehors hypocrites qui ne trompent plus. Nana se fait ainsi l'instrument de la dénonciation zolienne en révélant la pourriture de la société, en même temps qu'elle est l'instrument du châtiment à venir : raz de marée apocalyptique ou brasier où se consumera le régime perverti, deux images saisissantes qui annoncent la chute fracassante du Second Empire à Sedan dès le début de la guerre franco-prussienne de 1870. – Concluons par l'analyse des noms de « Price » et de « Spirit » qui ont une valeur éminemment symbolique : « Price » est le jockey qui « monte »11 Nana indiquant par son nom que seul l'argent permet d'accéder à la courtisane. « Spirit » est le perdant de la course : l'extrait analysé marque clairement la défaite de l'esprit, de l'intelligence, et de la finesse qui n'ont aucune valeur dans la société du Second Empire. 6 La lecture analytique n°3 développait une idée similaire en transformant Nana en une sorte de divinité vengeresse (cf. p224 « elle vengeait les gueux et les abandonnés dont elle était le produit »). 7 Lorsque la foule scande le nom de « Nana », celle-ci célèbre à la fois la victoire du cheval et le triomphe de l'héroïne qui a le tout Paris à ses pieds. 8 On pourrait analyser les procédés qui indiquent l' « étrange mélange » des différentes classes sociales, ce qui suggère que l'avilissement se produit dans toutes les couches de la société : image de la mer où tout se fond, pronom indéfini « on », termes désignant une collectivité, ... 9 Les expressions « petites figures détraquées » et « bras tordus » semblent transformer les spectateurs en pantins, en marionnettes totalement soumises. 10 Zola dira de ces instincts sexuels que c'est « le grand levier qui remue le monde ». 11 La plaisanterie graveleuse traverse tout le chapitre XI.