Du DM à l`Euro - L`observatoire des politiques économiques en

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Du DM à l`Euro - L`observatoire des politiques économiques en
---------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------L E P A S S A G E A L’ E U R O
Du Deutsche Mark à l’Euro : les changements de
monnaie en Europe de 1948 à 1998
Gérard Lang
Le remplacement de douze monnaies nationales par l’Euro en janvier
2002 est un événement considérable, sans précédent dans l’Histoire.
Pourtant trois Etats de l’Union Européenne avaient déjà expérimenté,
au cours des cinquante dernières années, des changements d’unités
monétaires : l’Allemagne en 1948 avec la création du Deutsche Mark, la
France en 1958 avec la création du Nouveau Franc , et le Royaume-Uni
en 1971 avec la Livre décimale. Malgré les différences de circonstances,
chacune de ces expériences peut nous fournir des enseignements utiles
notamment sur la période transition et le taux de conversion..
Le changement de monnaie est toujours
un événement important et exceptionnel
dans la vie d’une nation et ne peut
s’expliquer que pour des raisons politiques et économiques graves, étroitement
liées.
Les changements d’unité monétaire en
Allemagne et en France s’expliquent
essentiellement par des considérations
économiques. Ils ont été une des
composantes d’une réforme du système
économique et monétaire des deux Etats,
d’un plan d’assainissement visant à rétablir
la stabilité monétaire et la confiance des
citoyens.
Tel est aussi le cas de l’Euro. Sa création
est le résultat de deux décennies de longs
et patients efforts d’assainissement et de
stabilisation monétaire, imposés par le
S.M.E d’abord, le Traité de Maastricht
ensuite. La «culture de stabilité» - cette
contrainte de la stabilité - (Zwang nach
Stabilität) - trouve son origine dans la réforme allemande de 1948. Sa réussite a
donné à l’Europe un point d’ancrage
solide, celui d’une économie prouvant
que croissance et niveau élevé d’emploi
sont compatibles avec la stabilité des prix.
La décimalisation de la Livre sterling obéit,
quant à elle, essentiellement à des
considérations techniques : simplifier
l’arithmétique monétaire et faciliter l’usage
de l’unité de compte. L’Euro a lui aussi
des effets de ce type : réduire les coûts de
transaction intra-européens, faciliter les
comparaisons de prix, éliminer les risques
de change. Une autre analogie existe :
dans les deux cas, le taux de conversion
entre ancienne et nouvelle monnaie est
moins simple que dans les cas du Mark et du
Franc (où il était un multiple de 10).
On peut rappeler deux autres catégories de
changement d’unités monétaires.
Dans une troisième série de cas, le changement de monnaie s’explique essentiellement,
voire exclusivement, par des raisons
politiques. C’est le cas de l’unification
monétaire allemande de 1990 et des
changements de monnaie dans les régions
frontalières à la suite des deux Guerres
mondiales. (l’Alsace-Lorraine notamment).
Enfin, une quatrième catégorie de changements monétaires s’explique par une
combinaison de motivations politiques et
économiques : c’est le cas de l’apparition de
nouvelles monnaies nationales à la suite de la
dislocation des fédérations d’Etats communistes (1’U.R.S.S. et la Yougoslavie). Pour
certains de ces nouveaux Etats indépendants
(Etats baltes, Slovénie), la monnaie nationale
est un des symboles de leur identité nationale, une protection contre des chocs
inflationnistes en provenance de leurs
anciens partenaires et un pas vers les pays de
l’Union européenne, dont ils se sentent
culturellement et historiquement plus
proches. Pour d’autres de ces Etats (les Etats
non baltes de l’ex-URSS, en particulier
l’Ukraine), la création d’une monnaie propre
est un moyen de retrouver le seigneuriage.
La réforme monétaire allemande de 1948 :
la naissance du Deutsche Mark.
En 1945, l’économie allemande, victime des
destructions matérielles, de la division
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politique et économique, des déplacements de millions de personnes, avait
connu une chute dramatique de sa
production. En revanche, la masse
monétaire alimentée par des années de
création monétaire et de restrictions à la
consommation, était considérable : elle se
montait en 1945 à 300 milliards de
Reichsmark ,soit six fois le volume du
PNB. Seul un contrôle des prix draconien,
mis en place par les forces d’occupation
alliées et prolongeant celui mis en place
par les nazis, (dont le blocage des salaires
depuis1936) empêchait ce déséquilibre de
se traduire par une inflation ouverte.
L’absence d’un système de prix de marché
capable de révéler les raretés relatives
amena tout naturellement la population à
recourir au marché noir et au troc. Les
hausses de salaires prenaient la forme
d’octroi d’avantages en nature (loyers
faibles, repas gratuits, etc.). De nombreux
travailleurs préféraient offrir leurs services
à la campagne en échange de produits
alimentaires. L’usage de transports ferroviaires (dans des trains bondés) était favorisé
par le bas niveau des tarifs - un des rares
services à continuer à être payés en
monnaie. La plupart des entreprises
préféraient stocker leurs marchandises
plutôt que de les écouler sur le marchés à
des prix irréalistes. Bref, la monnaie avait
perdu ses principaux attributs (notamment
celui d’intermédiaire dans les échanges).
Elle était souvent remplacée par des biens
facilement transportables, stockables et
divisibles (cigarettes, petits instruments,
etc. ).
Pour sortir de ce chaos, trois solutions
étaient concevables. La première éponger l’excédent de liquidités par les
impôts - aurait donné trop d’importance à
l’Etat et aurait risqué de décourager les
initiatives. La seconde était de laisser
l’inflation sous-jacente apparaître au grand
jour, la hausse des prix réalisant l’équilibre entre offre et demande. Cette solution
aurait abouti à une inflation analogue à
l’hyper-inflation allemande de 1922-23,
dont le traumatisme a durablement
marqué la psychologie collective de ce
pays. En raison de l’aversion profonde à
l’inflation, cette solution n’était pas
envisageable en Allemagne. Elle sera par
contre adoptée par la France et l’Italie : ce
choix sera à l’origine d’une longue
habitude inflationniste et de leur difficulté
à s’aligner sur le modèle allemand.
Pour l’Allemagne ne restait plus que la troisième solution : équilibrer offre et demande
sans hausse des prix par la réduction brutale
des encaisses monétaires nominales et le
remplacement de l’ancien mark par une
nouvelle unité monétaire ne valant plus
qu’une fraction de l’ancienne.
La réforme fut imposée par les Alliés occidentaux aux zones d’occupation occidentales.
Conçue aux Etats-Unis et élaborée dans le
plus grand secret, la réforme fut
communiquée à la population le samedi 19
juin 1948, la veille de son entrée en vigueur.
La première loi pour la réorganisation du
système monétaire allemand stipule qu’à
partir du 21 juin, la monnaie légale sera un
nouveau mark : le Deutsche Mark, divisé en
100 Pfennigs et valant 1/10e de l’ancien.
Exceptionnellement, chaque citoyen pourra,
le 20 juin, échanger 40 anciens mark contre
les nouveaux au taux de 1 à 1, puis encore
20 au même taux un mois plus tard. En
attendant leur remplacement par les nouveaux billets et pièces émis par la Bank
Deutscher Länder (créée en mars 1948) les
anciens signes monétaires continuent à être
utilisés, mais à 1/10e de leur valeur nominale.
Ainsi l’acheteur d’un journal valant, avant
comme après le «jour X» , 20 pfennigs, devra
donner deux anciens marks.
Les premiers billets (imprimés aux Etats-Unis)
furent donc distribués le 20 juin. La première
pièce nouvelle fut celle de 1 pfennig, la seule
qui survécut jusqu'à aujourd’hui. La pièce de
1 DM - symbole de la nouvelle monnaie n’apparaîtra qu’en 1950. Ultérieurement, les
comptes bancaires et d’épargne qui avaient
été bloqués seront convertis au taux de 100
contre 6,5.
La réforme sera accompagnée par l’abrogation presque totale du contrôle des prix,
mesure décidée unilatéralement par le
Ministre allemand de l’économie, Ludwig
Erhard, contre l’avis des autorités d’occupation, fortement irritées par cette décision.
Les encaisses monétaires ayant été divisées
par 10, (les dettes évidemment aussi), les
dépenses de consommation chutèrent durant
les semaines suivantes (en particulier les
dépenses de loisir). Mais du jour au
lendemain, le circuit normal des échanges se
réamorce et la production repart. Les vitrines
sont de nouveau remplies de marchandises,
apparemment stockées auparavant. Les
salariés (dont les salaires, pensions et loyers
sont maintenus au même taux qu’en marks
anciens) sont de nouveau incités à rester dans
leurs entreprises. Celles-ci sont de nouveau
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encouragées à produire les biens et
services les plus demandés plutôt que des
marchandises dont les prix échappaient
partiellement au contrôle des prix. Les
prix - désormais libres - n’augmentent pas.
La monnaie a retrouvé ses attributs. La
confiance est revenue. Exemple réussi
d’une thérapie de choc, la réforme de
1948 - confortée par l’établissement d’un
régime politique stable en 1949 et le
remplacement, en 1957, de la Bank
Deutscher Länder par la Bundesbank,
indépendante des pouvoirs politiques et
chargée de veiller à la stabilité des prix, est la première étape d’un long chemin
qui mènera à l’Euro.
1958 : Le Nouveau Franc.
Dix ans après la création du Mark, la
France crée, elle aussi, une nouvelle unité
monétaire : le nouveau Franc (NF) valant
100 Francs anciens (ordonnance du 27
décembre 1958). Cette décision n’est
qu’un élément relativement mineur d’une
vaste réforme du système économique et
financier de la France (le Plan Pinay Rueff) visant à assainir les finances
publiques, à assurer durablement la
stabilité monétaire et à ouvrir la France au
monde (libération des échanges, dans le
cadre du Marché Commun, rétablissement
de la convertibilité externe du Franc le 31
décembre 1958, après une dévaluation de
14,95%).
C’est le 1er janvier 1960 que tous les prix
et contrats sont libellés en nouveaux
francs. Les anciens billets continuent de
circuler, les nouveaux portant simplement
en surcharge l’indication de la nouvelle
valeur en NF. Ainsi les billets de 500 F
(anciens) (à l’effigie de Victor Hugo) sont
imprimés dès le 30 octobre 1958 avec une
surimpression rouge mentionnant «5
nouveaux francs» : ils auront un rôle
éducatif pour les usagers car ils resteront
longtemps en circulation (avec les billets
de 10 NF , à l’effigie de Richelieu).
La période de transition avec double affichage des prix prend fin le 1er janvier
1963, date à laquelle l’unité monétaire
reprend son nom de Franc.
La
nouvelle
monnaie
devait
essentiellement avoir valeur de symbole et
des effets psychologiques. Comme le
disait Antoine Pinay en décembre 1958,
avec la division par 100 des prix
nominaux, elle devait «donner à l’opinion
le sentiment que l’équilibre monétaire est
durablement stable sur une nouvelle base».
En même temps, on rétablissait quasiment la
parité avec les autres grandes monnaies
européennes : 1,17 F pour 1DM, 1,10 F pour
1 F suisse (le cours officiel du dollar étant fin
décembre 1958 de 4,937 F soit 1,8 mg d’or
fin ). Autre «effet d’optique» (Paul Fabra) de
la division par 100 : les niveaux des prix
retrouvent à peu près leur niveau du début
du siècle et le Franc nouveau celle de la
définition-or du Franc Poincaré de 1922.
La réforme n’a réussi à assurer la stabilité
monétaire que pendant une dizaine
d’années. Les dérives inflationnistes reviendront, se traduisant par plusieurs dévaluations
du Franc qui n’arrivera à se stabiliser par
rapport au Mark (au taux officiel de 3,35 F)
qu’au début des années 90, avec la maîtrise
de l’inflation et l’apprentissage de la
discipline monétaire et financière imposée
par le SME, passage obligé vers l’Union
monétaire.
La décimalisation de la Livre sterling.
C’est le 1er mars 1966 que le Chancelier de
l’Echiquier annonce à la Chambre des Communes la décision du gouvernement
d’introduire un système monétaire décimal
en février 1971 et la création, à cet effet, d’un
Comité d’experts (le Decimal Currency
Board) chargé de préparer la réforme et de
familiariser progressivement la population
avec la nouvelle monnaie. En fait, la véritable
campagne d’information du public ne battit
son plein que durant les deux mois précédant
le jour «J» (appelé «D» Day comme «décimal»,
mais aussi en référence au jour du Débarquement du 6 juin 1944, pour souligner
l’importance historique de l’événement) - le 7
février 1971 - considérée comme l’une des
campagnes de publicité les plus concentrées
jamais menée à l’intention du grand public
britannique
Il fallait persuader le public des avantages
apportés par la décimalisation par rapport à
l’ancien système où on comptait en douzaines et en vingtaines, puisque 1 £ était
subdivisée en 20 shilling(s) , le shilling valant
lui-même 12 pence (d) ( donc 1£ = 240 d).
La décimalisation harmonise les calculs non
monétaires et monétaires, ces derniers étant
facilités, plus rapides et moins sujets aux
erreurs. Les économies les plus notables
auront lieu dans le commerce et les banques,
où les machines adaptées au système «£sd»,
spécialement produites pour le RoyaumeUni, pourront être remplacées par des
machines ordinaires moins coûteuses. En
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outre, la réforme permettra de supprimer
les nombreuses heures d’apprentissage
scolaire consacrées au calcul monétaire.
Une fois la décision prise, il fallait choisir
l’unité de base la plus appropriée. Pour
certains, c’était 10 shilling (soit la moitié
d’une livre) à cause de la facilité avec
laquelle la transition entre les deux systèmes pourrait s’effectuer : les nouvelles
pièces de 5, 10 et 20 cents remplaçant
tout naturellement celles de 6 pence, 1
shilling et 2 shilling.
Le gouvernement préféra et imposa la
solution de la Livre sterling, divisée en
centièmes (ou cents ou nouveaux pennies)
en raison du symbole et du prestige
international du nom même de la Livre :
en y renonçant, on risquait de compromettre la bonne réputation de la monnaie
britannique.
La principale difficulté pour les usagers
provenait du taux de conversion qui
n’était pas simple : le nouveau penny
valait 2,4 fois l’ancien (difficulté qu’on
retrouvera avec l’Euro). Elle fut une source
fréquente d’erreurs dans les facturations
dans les premiers mois. En outre, ce taux
facilitait les hausses déguisées de prix.
impression différente. Les spécialistes de la
psychologie économique l’expliquent par les
différences de perception des avantages et
des pertes de la part des individus : tout
arrondi vers le haut, lors de la conversion, est
ressenti comme une perte plus vivement
qu’un gain équivalent résultant d’un arrondi
vers le bas.
Ce phénomène pourra se reproduire avec le
passage à l’Euro. Dans le cas où celui-ci
provoquerait une faible hausse des prix, elle
ne sera que transitoire, d’autant que les
citoyens européens ont appris que la Banque
Centrale Européenne y veillera.
L’expérience britannique nous apprend aussi
que la période de double affichage et de
double circulation des billets devrait être
brève. Prévue comme devant être de 18
mois, elle fut ramenée à 6 mois, se terminant
le 30 août 1971. C’est aussi la solution adoptée avec raison par les Etats de l’Union
européenne, la fin du cours légal des
monnaies nationales étant fixée au 17 février
2002, peut-être même ramenée au 15 janvier
2002
en
France.
La décimalisation partagea en définitive le
public en deux grands groupes. Les
premiers se laissaient simplement guider
par les commerçants et les banquiers ; ils
pensent «décimal» comme le leur recommandent les autorités, tout comme ils
raisonneraient en Francs en France ou en
Mark en Allemagne, c’est-à-dire qu’ils
adoptent la mentalité du touriste à l’étranger, ne prêtant qu’une attention relative au
taux de change et aux variations de prix
d’un pays à l’autre.
Les autres - une minorité d’après les
enquêtes - comparaient les prix en nouvelles unités avec les prix en anciennes,
de peur des hausses de prix effectuées à
l’occasion de la transition. Il faut
remarquer que la crainte d’une inflation
était largement partagée par l’ensemble de
la population. C’était l’un des principaux
arguments des adversaires de la
décimalisation et dont la presse populaire
se fit volontiers l’écho.
Dans les faits, une enquête montra qu’il y
eut autant de montants arrondis à la baisse
que de montants arrondis à la hausse et
que l’impact de la décimalisation sur les
prix fut négligeable. Pourtant la plupart
des individus sondés avaient une
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