Quelques réflexions sur la décentralisation et le développement

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Quelques réflexions sur la décentralisation et le développement
QUELQUES RÉFLEXIONS SUR LA DÉCENTRALISATION
ET LE DÉVELOPPEMENT DÉMOCRATIQUE EN GUINÉE:
LE CAS D'UN PROJET PILOTE D'APPUI
AUX COLLECTIVITÉS DÉCENTRALISÉES
Suzanne ROBERT
CECI
Centre canadien d’Études et
de Coopération Internationale
Montréal
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L'exposé qui suit repose sur une expérience de plus de deux années réalisée par une
équipe de coopérants canadiens, dont certains d'origine guinéenne, en République de Guinée.
Cette expérience a été menée par le Centre canadien d'Étude et de Coopération Internationale
(CECI)1, dans le cadre d'un projet d'appui au renforcement de collectivités décentralisées. Treize
communautés rurales de développement (CRD) ont reçu, de septembre 1993 jusqu'en août 1995,
l'appui de ce projet. J'ai eu moi-même à finaliser le document initial de projet avant d'agir comme
coordonnatrice de terrain.
Dans l'invitation qui m'a été faite par le GEMDEV d'écrire un article sur le thème de l'État
en Afrique: indigénisations et modernités, axé principalement sur la bonne gouvernance et le
processus de décentralisation, j'ai vu l'occasion de jeter un second regard sur ce projet pilote.
Mon propos ici n'est pas de présenter une analyse rigoureuse d'une expérience « encore
toute chaude ». Je me limiterai à présenter la genèse, le contexte et l'évolution du projet, à cerner
les principaux axes d'intervention et enjeux sous-jacents et à avancer quelques réflexions sur les
effets et impacts recensés.
INTRODUCTION
La décentralisation n'est pas un thème nouveau puisqu'elle découle de l'art de gouverner
et concerne en tout premier lieu l'organisation des États. Depuis des temps immémoriaux, les
détenteurs du pouvoir ont tenté de stabiliser leurs assises par divers moyens. Parfois, ils ont
imposé aux citoyens un fonctionnement de type totalitaire ou, à l'opposé, ils ont invité ces
derniers ou ces dernières à participer aux décisions et actions de développement. Les enjeux de
l'art de gouverner touchent aux multiples interactions qui se jouent entre les structures
administratives, la population et les élus au pouvoir.
La décentralisation véritable ne doit pas être vue comme une simple formule de gestion
par laquelle des administrations locales et régionales prennent le relais de l'État central. Elle doit
être davantage considérée comme un processus qui attribue à des collectivités de base le caractère
d'entités politiques avec pouvoir de décision dans la gestion administrative locale. Ces nouvelles
entités acquièrent ainsi dans leurs champs de responsabilités une relative autonomie par rapport
au gouvernement central.
La manière dont les sociétés se structurent, se gouvernent, prennent des décisions et
répartissent ou partagent le pouvoir, façonne le contexte dans lequel le développement peut se
faire. Le développement peut être défini ici comme « un ensemble d'actions qui fait passer une
1
Le CECI est une ONG canadienne dont le siège social se situe à Montréal.
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collectivité d'un type de société à un autre, caractérisé par un degré plus élevé d'intervention de la
société et de ses membres sur elle-même », (Touraine, 1978)2. La décentralisation, comme façon
de se gouverner et de gérer le développement, se réfère donc à la prise en charge des collectivités
par et pour elles-mêmes.
La finalité de la mise en oeuvre d'un processus de décentralisation est de réussir le
développement socio-économique dans des domaines qui souffrent trop souvent de l'inefficacité
des administrations publiques et d'un pouvoir décisionnel trop centralisé. Il faut noter que ce ne
sont pas toujours les motifs les plus nobles qui enclenchent un processus dit de décentralisation.
De nos jours en Afrique, le processus est devenu presque impératif, provoqué par
l'incontournable resserrement des possibilités fiscales des gouvernements centraux et par les
pressions internationales en matière de bonne gouvernance.
De nombreuses rencontres au sein des organismes des Nations Unies depuis les années
1980, dont la conférence de Vienne de juin 1993, ont réaffirmé la volonté de retrouver plus de
démocratie, de transparence et de responsabilité au sein des gouvernements en matière de
développement. Le discours est posé en terme de développement démocratique et durable lié à
l'exercice honnête, équitable et responsable du pouvoir et cela non seulement au niveau des divers
échelons du gouvernement mais aussi au sein de la société civile. La remise en question actuelle
du rôle de l'État tient tout autant à l'évolution de la politique et de l'économie mondiale qu'à des
facteurs internes reliés à l'évolution des rapports entre l'État et la société civile de chaque pays.
I) CADRE GÉNÉRAL
A) République de Guinée
Au milieu des années 1950, la Guinée se caractérisait par une société civile dynamique.
Les partis politiques et les organisations syndicales, en lutte incessante contre la présence
coloniale, conduisaient le pays à l'indépendance. Une fois cette dernière acquise, le pays glissa
peu à peu vers le monopartisme et le totalitarisme. Cette politique du tout-État eut pour effet de
décourager les initiatives locales et d'engendrer la méfiance et même l'hostilité des communautés
locales envers l'État.
A l'avènement de la Deuxième République en 1984, l'étau se desserre. Le nouveau chef
d'État promet l'instauration d'une démocratie et d'un État de droit en Guinée. Le gouvernement
militaire de transition adopte, en lien avec la Banque Mondiale et le Fonds Monétaire
International, un ambitieux programme de réformes administratives et économiques. Il s'engage
dans un processus de libéralisation et de décentralisation axé sur la participation des populations
au redressement socio-économique du pays. Les priorités suivantes sont fixées :
• bâtir un État au service du développement;
• redresser l'économie par l'assainissement monétaire;
• prioriser l'amélioration des conditions de vie dans les campagnes;
• faire de la Guinée un État de droit en permettant à de nouvelles collectivités décentralisées de
s'administrer librement en se fondant sur les solidarités naturelles3.
2
TOURAINE Alain, La voix et le regard, Paris, Éditions du Seuil, 1978, p. 36.
3
Discours Programme du Président de la deuxième République de Guinée, 22 décembre 1985.
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D'importants changements se concrétisent : adoption de la Loi fondamentale,
promulgation des lois organiques et décrets portant sur la décentralisation, création d'une Cour
Suprême, tenue des premières élections présidentielles et législatives.
En matière de décentralisation, le premier geste gouvernemental consiste en la
constitution des conseils de quartiers urbains et des districts ruraux, pour parvenir ensuite à la
création des Communautés rurales et des Communes urbaines de développement (CRD/CUD)
entre 1989 et 1993. Ces dernières sont des organes délibérants responsables de la gestion des
questions économiques, sociales, foncières et financières de la collectivité.
Un conseil communautaire, élu et représentatif des districts et quartiers, réalise les
mandats de développement socio-économique qui lui sont confiés. Ces nouvelles entités
décentralisées sont dotées d'une personnalité juridique et morale et d'une autonomie financière
limitée à leur capacité d'imposition et de taxation.
La République de Guinée devenait ainsi le premier pays de la sous-région à implanter, sur
l'ensemble de son territoire, les formes de la décentralisation, soit 38 CUD et 303 CRD. Mais
c'est dans la méconnaissance des principes mêmes de la décentralisation, dans l'incompréhension
des mandats des élus et dans un climat de tension autour du nouveau partage de pouvoir que les
collectivités dites décentralisées furent instituées. Les cadres administratifs responsables de la
formation et de l'encadrement des élus des collectivités ne disposaient ni des moyens techniques,
ni des ressources humaines pour remplir cette mission qui leur était dévolue.
Certes, on reconnaissait dans les textes gouvernementaux cette volonté d'améliorer les
conditions de responsabilisation des acteurs à la base pour atteindre à un développement
démocratique et durable. Dans les faits, l'administration publique n'avait pas forcément la
capacité de procéder adéquatement au transfert graduel des compétences. La méfiance des
populations à tout processus imposé par le "haut", ainsi que les tergiversations des entités
administratives préfectorales et régionales, acceptant difficilement de perdre certains pouvoirs,
ont nui à la décentralisation effective.
B) Gouvernement canadien
Dans l'octroi de fonds pour sa politique de coopération, le gouvernement canadien
considère la question des droits humains, de la démocratie et de la bonne gouvernance comme
des éléments porteurs de développement équitable et durable. Il affirme:
« Une saine gestion de la conduite des affaires de l'État, qui assure
le partage équilibré des droits et responsabilités du Gouvernement
et de la société civile, est indispensable à la poursuite d'un objectif
de développement durable »4.
Cette priorité de l'Agence canadienne de développement international (ACDI) est fondée
sur la croyance de plus en plus répandue dans la communauté internationale qu'il y a des liens
organiques et une synergie entre les droits humains, la démocratie, la bonne gouvernance et le
développement durable.
4
ACDI, Direction générale de l'Afrique et du Moyen-Orient, « Proposition d'un cadre stratégique régional pour
l'Afrique de l'Ouest », 1994, p. 18.
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Les principaux éléments puisés dans le cadre de cette politique gouvernementale5 tiennent
compte des aspects suivants : le respect des droits civils, politiques, économiques et socioculturels pour tous, la participation de la société civile aux processus décisionnels et électoraux,
la mise en oeuvre de valeurs et pratiques démocratiques, l'efficacité du pouvoir législatif,
l'indépendance du pouvoir judiciaire et la reconnaissance des limites de l'intervention
gouvernementale. Cette politique préconise l'honnêteté, la transparence, la compétence et
l'obligation de rendre compte dans la volonté de gouverner et gérer les affaires publiques. Bref, il
s'agit dans les programmes d'appui de donner priorité aux mesures positives favorisant le
développement harmonieux et durable.
En 1992, le gouvernement canadien donne son accord au programme de Promotion de la
démocratie et des droits de la personne en Afrique francophone (PDDP)6. Le but de ce
programme est d'apporter un appui technique et financier à des partenaires voués à promouvoir
les droits de la personne, à bâtir l'État de droit, la société civile et la démocratie participative dans
divers pays francophones et lusophones de l'Afrique.
Deux principes constituent la trame maîtresse des changements souhaités dans les valeurs
et comportements des sociétés touchées par le programme PDDP :
• un meilleur niveau d'information et de connaissance permet aux populations de s'orienter dans
une société en mutation et de développer un sens critique par rapport à ce qui vient tant de
l'intérieur que de l'extérieur;
• une population capable de s'exprimer et de participer à la définition du processus de
changement social et économique est le meilleur gage de développement durable.
II) GENÈSE DU PROJET PARC
La collectivité rurale décentralisée est gérée par un conseil communautaire composé de
deux délégués par district choisis par la population circonscrite. Ce conseil élit en son sein un
comité exécutif composé d'un président, d'un vice-président et d'un trésorier, secondés dans leurs
fonctions par un agent administratif de l'État, le secrétaire communautaire. On constate cependant
que ces nouveaux élus ont pas ou peu d'expérience dans la gestion communautaire et connaissent
très mal les rouages et mécanismes de la décentralisation.
Début 1991, quelques élus des communautés rurales de développement de la région de la
Moyenne-Guinée approchèrent la Direction régionale du CECI à Conakry. Ils demandaient une
assistance technique dans le cadre de leur fonction de gestionnaire du développement
communautaire. Ils démontraient une volonté ferme de bien s'acquitter de leur responsabilité,
mais ils se disaient démunis et dépendants des informations que l'on voulait bien leur transmettre.
Ils reconnaissaient leur méconnaissance des lois et décrets en vigueur et leur peu d'expérience en
gestion financière et en consultation populaire.
Ces élus adressaient parallèlement la même requête au Secrétariat d'État à la
décentralisation (devenu plus tard la Direction nationale de la Décentralisation). Ainsi débutèrent
les premières rencontres entre le CECI et le Secrétariat d'État afin de réfléchir sur une éventuelle
collaboration concernant les appuis à offrir aux CRD.
5
Agence canadienne de développement international, Direction des politiques, « Politique de l'ACDI sur les droits
de la personne, la démocratisation et le bon gouvernement », 1994.
6
Le CECI a été l'instigateur de ce programme innovateur au sein de la programmation de l'ACDI. Il est l'organisme
responsable du mécanisme de financement des projets admissibles à ce programme. Un comité aviseur interinstitutionnel valide la sélection des projets.
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A) Les débats suscités
1) Au sein du CECI
Cette demande présentait un caractère innovateur pour l'ONG canadienne. Ce champ de
préoccupation, soit l'appui à des structures étatiques, avait été presque absent des activités et des
orientations d'intervention du CECI en Guinée7. Les quelques expériences de collaboration
directe menées avec des instances publiques n'avaient été guère prometteuses.
Ce type d'assistance pouvait-il être perçu comme une « action politique », un
endossement de la conception générale du développement et de la société proposée par la
Deuxième République?
Il se posait de plus un problème presque éthique, compte tenu des blocages des structures
administratives: ingérence et luttes de pouvoir entre élites décisionnelles (présidents de CRD,
sous-préfets, préfets), rétention des informations par les sous-préfets et secrétaires
communautaires, « ponction » financière par les fonctionnaires des préfectures.
La demande touchait cependant à des points sensibles de la politique de coopération du
CECI : la responsabilisation de personnes démocratiquement élues, le renforcement de la société
civile, l'appropriation de moyens et de ressources favorisant le développement local.
Le dilemme persistait: fallait-il maintenir une position de non-interventionnisme dans la
sphère étatique ou tenter d'y opérer une brèche? Tous comptes faits, un mémoire d'identification
de projet a été élaboré donnant les grandes lignes directrices d'un futur Projet d'Appui au
Renforcement des Collectivités décentralisées en République de Guinée (PARC).
2) Au sein de l’ACDI
À l'Agence canadienne de développement international (ACDI), les préoccupations
étaient similaires. Malgré la faveur accordée aux gouvernements qui semblaient offrir un
environnement socio-politique propice à la mise en place d'un développement démocratique et
durable, des résistances se faisaient sentir. Compte tenu des facteurs de blocage identifiés, rien ne
laissait présager véritablement de la réussite d'un tel projet et le risque était grand pour une équipe
de coopération de se faire coincer, en cours de processus d'accompagnement, entre l'écorce et
l'arbre.
De plus, il n'existait pas encore dans le portefeuille des projets de l'ACDI d'espace pour ce
type d'appui en matière de décentralisation en dehors du programme de Promotion de la
démocratie et des droits de la personne (PDDP), déjà confié au CECI. Le projet fut accepté en
décembre 1992 par les deux entités en cause, l'ACDI et le CECI, en tant qu'expérience pilote.
3) À la direction nationale de la décentralisation
Quant au troisième interlocuteur, la Direction nationale de la décentralisation, il
s'engageait à appuyer le projet PARC en rendant disponibles ses ressources humaines pour toute
7
Le CECI est présent en République de Guinée depuis 1986. Ses premières interventions ont porté sur le
renforcement du secteur éducatif par l'entremise de petits projets d'appui au corps professoral (formation des
maîtres, pédagogie active, élaboration de programmes). A partir de l'année 1988, il a concentré ses appuis en
développement rural par l'entremise de projets touchant à l'organisation paysanne, aux soins de santé primaire et au
renforcement de composantes de la société civile (ONG, associations, coopératives).
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information ou programme de formation à dispenser. Il s'engageait aussi à intervenir auprès des
cadres administratifs de la décentralisation et des agents des services déconcentrés, qui sont des
agents détachés des ministères oeuvrant dans les préfectures, dans le respect de la bonne
gouvernance. Si des problèmes devaient se poser ultérieurement avec les cadres
gouvernementaux, il s'engageait à résoudre les conflits dans l'esprit et le respect des différentes
lois et décrets promulgués.
III) LE PROJET PARC
A) Approche stratégique
L'approche retenue par le CECI dans le cadre du projet PARC a été déterminée par les
objectifs qui le lient au programme PDDP. Le souci de valoriser les structures démocratiques et
décentralisées, de favoriser la libre circulation des informations et la liberté d'organisation, de
mettre en place des mécanismes de consultation et de concertation à la base, d'accompagner les
personnes démocratiquement élues dans la réalisation de leurs mandats, sont les grands vecteurs
du projet PARC.
La volonté d'établir une étroite collaboration entre les CRD appuyées et de favoriser des
relations plus confiantes et solidaires avec les associations locales de développement sont au
coeur des préoccupations de valorisation des CRD. Basées sur une mise en commun des
initiatives et des actions porteuses de transformation sociale, ces nouvelles inter-relations sont un
moyen de stimulation et d'émulation entre leaders démocratiques à la base. Le transfert de
pouvoir ne devait pas être perçu par les responsables administratifs comme un simple
désengagement de l'État mais comme une approche démocratique de développement.
La finalité du projet PARC est de renforcer la société civile, de favoriser l'appropriation
par les élus et les groupes de citoyens ou de citoyennes des moyens à mettre en oeuvre pour
assurer et maîtriser pleinement leur propre développement, en lien avec les différents autres
acteurs concernés.
C'est ainsi que treize communautés rurales de développement (CRD)8 ont été appuyées
par une équipe composée de cinq coopérants canadiens provenant du milieu municipal ou des
associations communautaires. Cette équipe collaborait étroitement avec des formateurs nationaux
issus principalement d'une ONG guinéenne spécialisée dans les programmes de formation, et
avec des agents d'encadrement de la Direction nationale de la décentralisation.
B) Axes d’intervention
L'appui institutionnel et opérationnel aux communautés rurales s'organise autour de trois
grands volets :
1) Appui organisationnel et technique
8
Deux CRD en moyenne ont été retenues dans chacune des sept préfectures touchées. Leur sélection s'est effectuée
selon les critères suivants: potentialités des ressources humaines présentes, bon fonctionnement et bonne gestion
interne, projets de développement réalisés. Ces CRD étaient appelées à avoir un effet d'entraînement sur les autres
CRD de la préfecture ciblée.
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A partir de l'analyse des bases organisationnelles et opérationnelles des CRD cibles et des
constats établis, l'équipe de projet élabore avec les élus locaux et les responsables d'associations
un programme d'accompagnement et de renforcement des compétences en gestion du
développement local.
2) Formation et perfectionnement
Ce volet favorise une meilleure connaissance et application par les collectivités des lois
en vigueur, telle la loi fondamentale, des codes civils et fonciers et des décrets les concernant. La
mise sur pied de programmes de sensibilisation et de formation, de programmes de vulgarisation
et d'appropriation des informations9 est rendue possible par l'élaboration de guides pratiques
traduits dans les langues vernaculaires. Des échanges sont prévus entre CRD (tables rondes,
émissions de radio rurale) sur les nouvelles connaissances afin de s'en approprier le contenu et
d'apporter des commentaires ou critiques au besoin.
3) Appui aux projets associés de développement
Les communautés rurales sont accompagnées dans l'identification, la planification,
l'exécution et l'évaluation des projets de développement communautaire ainsi que dans la
recherche de financement. Elles sont renforcées dans la connaissance et l'appropriation des
méthodes de gestion des ressources humaines, matérielles et financières. Des rencontres
conjointes sont prévues avec les services décentralisés et déconcentrés de l'État afin de réaliser
cette synergie d'apport et de pérenniser les actions.
IV) LA CULTURE LOCALE
Il y a généralement en Afrique rurale une résistance à « penser politique ». L'obéissance
incontestée au pouvoir central est bien souvent la règle. Pour la plupart des Guinéens, le droit se
confond avec la volonté du chef de l'État ou celle de ses représentants. La personne, comme
membre d'un groupe, ne se définit pas par rapport à l'État comme sujet autonome (compétence et
savoir), mais en tant que fonction et position dans un système. La volonté de l'État ne peut exister
en dehors de la volonté du chef et le développement ne peut être que du ressort de l'État et non de
la responsabilité des collectivités.
Les inconduites des « gouvernements » n'autorisent pas la remise en cause de la nature ou
de la fonction de ces derniers, puisqu'ils ne sont pas distincts des individus qui le dirigent. Le chef
et l'État ne font qu'un.
Cet état de fait allait connaître quelques remous en Guinée avec l'arrivée du projet PARC.
Le type d'activités menées et les informations dispensées via le projet remettent en question le
mode de fonctionnement de la communauté. C'étaient les vieillards et les patriarches, dépositaires
de la sagesse ancestrale, qui représentaient le « véhicule » privilégié pour l'information et le
comportement civique. La vie s'organisait autour de l'unité, la persuasion, la réconciliation et le
respect de l'autorité. Les situations en litige ne se résolvaient pas par le biais de « nouveaux
9
Une place de choix est réservée aux représentants d'associations locales. Près du tiers des participants aux
programmes de formation provient de ce secteur et, de ce nombre, entre 15 et 20% sont des femmes.
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codes », ni de « lois exogènes », tous deux inconnus, mais par le consensus des sages ou le
jugement des élites politiques. On regardait donc avec scepticisme les actions de l'équipe de
coopérants et des formateurs.
V) RÉSULTATS OBTENUS
Après moins d'un an d'opération du projet, des résultats ont commencé à apparaître. Les
élus et les responsables communautaires participant aux sessions de formation démontraient un
grand intérêt à comprendre les textes de lois et décrets. Ils les confrontaient avec la « pratique » et
en quelque sorte les validaient ou les contestaient. Des débats animés ont souvent marqué les
séances d'information.
Les élus ont vite compris l'importance de faire circuler les nouvelles connaissances
acquises suite à la vulgarisation des lois existantes et des décrets sur la décentralisation. En plus
d'affirmer la légitimité de la collectivité rurale en tant qu'entité juridique et politique reconnue,
ayant des droits et des responsabilités, la formation apportait de nouvelles dimensions à leur
quotidien : relations mari-femme, parents-enfants, droits des minorités ethniques, etc..
Dans plusieurs communautés, les séances de prière du vendredi après-midi à la mosquée
ont servi de lieux de propagation des informations. Les élus et responsables de district ont
réclamé sans cesse la possession de copies de ces textes en langue vernaculaire, les documents
officiels n'étant rédigés qu'en français.
Les participants ou participantes aux sessions de formation découvrent par la même
occasion que l'État s'est engagé à faire respecter les lois, les codes et les ententes intervenues au
niveau national. Il est soumis à des pressions et à des contraintes qui lui sont spécifiques :
exigences des bailleurs de fonds, impératifs du programme d'ajustement structurel, revendications
des milieux d'affaires...). Les participants apprennent de plus que les élites politiques ont adhéré à
différents pactes internationaux reconnaissant ainsi des principes de liberté et de respect des
droits. Le fait d'apprendre que l'État a des comptes à rendre a été une révélation. Cela a permis de
mieux comprendre le rôle, le pouvoir des gouvernements mais aussi leurs limites.
L'information civique sur les droits et les responsabilités des citoyens ou citoyennes
amène ces derniers ou dernières à participer en plus grand nombre aux scrutins électoraux, qui se
déroulent davantage dans le calme et le respect du geste démocratique. La population est
consultée par les élus quant à la priorisation des projets de développement amenant un nouveau
mode d'organisation dans les communautés. Ce n'est plus chacun des districts de la CRD luttant
pour avoir « son » projet de développement, mais une hiérarchisation des principaux besoins à
satisfaire en accordant la priorité aux attentes des plus démunis.
Les citoyens ou citoyennes, comprenant davantage leurs droits et leurs devoirs, acceptent
de payer régulièrement les impôts et les taxes diverses. Une augmentation de la contribution
volontaire est constatée lors de la mise en oeuvre de projets de développement. Des communautés
rurales de développement, comme Donghel Sigon et Kankalabé en Moyenne Guinée, ont vu leur
budget presque doubler uniquement par la contribution volontaire.
Un désir de solidarité et d'entraide émerge et certains regroupements sont même devenus
effectifs comme l'association des secrétaires communautaires de la préfecture de Mali. Celle des
présidents de CRD de cette même préfecture est en voie de constitution. L'amélioration des
capacités de gestion et de préparation des budgets a permis l'acceptation plus rapide des budgets
par les responsables ministériels et l'exécution des plans de développement. Certaines pratiques
des autorités préfectorales ont été dénoncées et ont pu être abandonnées, telle l'exigence de
111
remettre l'ensemble des perceptions des collectivités à la préfecture dans l'attente de se voir
retourner les sommes confiées au fonctionnement et au développement de la CRD. Ces sommes
ne revenaient pas ou que partiellement après des délais inexpliqués.
Les aspirations aux changements commencent à s'exprimer avec d'autant plus de force
qu'elles constituent une réaction contre l'arbitraire, la désinformation, l'ingérence et la menace. Le
retour à la situation d'antan n'est plus souhaité, il serait vécu comme un malheureux recul.
Les communautés rurales de développement démontrent que fortes d'une volonté interne,
d'une formation adéquate et d'un encadrement efficace, elles constituent des entités capables de
prendre en charge les intérêts et les besoins des citoyens-nes à la base. L'expérience du projet
PARC démontre qu'elles peuvent relever avec efficacité le défi de mener des actions de
développement et cela de concert avec les priorités de l'État.
Le projet a fait « boule de neige ». Les préfectures déjà touchées expriment le désir de
voir l'ensemble de leurs collectivités décentralisées appuyées, car le cheminement rapide des
CRD formées dans le cadre du projet pose problème pour l'harmonisation des interventions avec
les autres entités. D'autres préfectures, et par le fait même d'autres régions, souhaitent de la
Direction nationale de la décentralisation un engagement quant à des appuis techniques dans le
cadre de la décentralisation.
VI) UNE SUITE À DONNER
Cet engouement interpelle le Ministère de l'Intérieur et sa Direction de la décentralisation
dans sa tâche de coordonner les initiatives entreprises et à venir et d'harmoniser les diverses
interventions dans le respect des principes établis lors de l'élaboration des lois et décrets. L'appui
au processus de décentralisation est devenu presque un leitmotiv en Guinée. Bon nombre
d'intervenants bilatéraux et d'organismes onusiens s'attaquent à ce dossier avec empressement.
Si une majorité de chercheurs et d'intervenants s'entendent sur la nécessité de
requestionner et de réviser la façon dont l'État assume ou délègue certaines fonctions politiques et
administratives, il n'y a pas unanimité quant aux étapes du processus ou aux acteurs à privilégier
et quant aux effets de la décentralisation sur l'état de santé des gouvernements.
Le CECI n'a pas de vision, ni de message à transmettre, concernant le rôle de l'État. Son
intérêt est celui de voir les personnes concernées par les politiques socio-économiques se
prononcer sur le rôle de l'État et sur leur place dans le processus décisionnel. La diversité des
pouvoirs ne doit pas être synonyme de désordre politique mais un moyen d'atteindre le
développement démocratique.
L'expérience du projet PARC est certes à portée restreinte, mais il s'en dégage des
enseignements. Le projet soulève l'importance et l'influence de la formation pour une meilleure
appropriation des leviers du développement. Il témoigne aussi de l'expression d'une volonté
locale de s'approprier une démarche et des orientations davantage conformes aux intérêts des
collectivités en cause.
Évitant tout excès d'optimisme, on doit s'interroger sur la pérennité de ce projet pilote et
sur sa capacité réelle d'infléchir des pratiques dûment soutenues par la classe dirigeante. De plus,
on ne peut négliger l'aspect que bon nombre d'élus des collectivités demeurent encore mal
préparés à aborder et à gérer des enjeux qui vont bien au-delà de leurs possibilités actuelles.
De graves lacunes en effet sont constatées rendant difficilement pérennes les actions :
• bon nombre d'élus et de conseillers communautaires sont illettrés en français; cet état de fait
les pénalise dans la compréhension des textes de loi rédigés en français;
• querelle de pouvoir entre les cadres des administrations publiques décentralisées et les élus;
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• absence de modèle et de plan stratégique de développement de l'État et des préfectures qui se
répercutent sur les initiatives locales;
• insuffisance ou absence de leviers économiques laissant aux CRD une faible capacité
financière;
• lacunes dans l'application de certaines nouvelles lois diffusées qui sont confrontées avec la
pratique ancestrale, comme les questions de gestion du foncier;
• manque de rigueur organisationnelle lors des assemblées de conseils communautaires, absence
de représentants de districts, monopolisation de l'information au sein d'une élite.
Le processus amorcé de sensibilisation et de formation des élus et des citoyens à leur rôle
ne peut souffrir de relâche bien longtemps. Les pressions sont fortes pour que le projet PARC
puisse maintenir ses interventions ou que de nouveaux projets de même type prennent la relève.
La crainte pour ces personnes appuyées est de perdre les acquis devant les pressions déjà fortes
des entités administratives qui, perdant au change dans le processus de décentralisation,
cherchent à occuper de nouveau le devant de la scène locale.
Évitant tout excès de pessimisme, il semble bien cependant que l'on assiste dans certaines
régions de la Guinée à une renaissance politique. Des revendications et des solidarités
s'expriment, le jeu politique devient plus ouvert et il est frappant de voir comment certains leaders
qui réclamaient leur allégeance au pouvoir étatique, cherchant ainsi à bénéficier des largesses
gouvernementales, ne peuvent plus occuper le devant de la scène locale comme auparavant. Des
préfets ont dû quitter leur fonction suite à la mobilisation des populations et des sous-préfets ont
été mutés suite aux plaintes adressées.
CONCLUSION
Même s'il est encore tôt pour conclure sur la portée générale du projet PARC dans le
cadre de la bonne gouvernance10, certains constats nous amènent à soulever la question des
grands besoins relevés par le GEMDEV/CODESRIA/ACEA :
Le besoin d’efficacité et de performance :
Ce projet pilote a permis de relever la capacité de mettre en oeuvre le développement
communautaire par les appuis offerts en matière de gestion et d'élaboration de plans de
développement local. L'acquittement par les contribuables de leurs redevances permet aux CRD,
et de façon indirecte au gouvernement, de planifier des actions en vue de l'amélioration des
conditions de vie. La concrétisation de projets de développement dûment planifiés et contrôlés
par les autorités locales a donné confiance aux jeunes CRD. Elles savent désormais qu'elles
peuvent se passer des intermédiaires « voraces ». La collectivité décentralisée conserve des
marges de manoeuvre relativement importantes pour occuper un espace politique déterminant
pour son avenir.
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Le projet PARC n'a appuyé que 5% des CRD et a été présent dans seulement sept des 33 préfectures de la
Guinée.
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Le besoin de légitimité :
Misant sur le principe de la consultation des populations et sur la tenue d'élections libres et
démocratiques au sein des collectivités, le projet a soulevé l'intérêt des populations quant à leur
participation au processus de démocratisation et de décentralisation. Tout se passe comme si le
fait d'être ensemble, de décider, de communiquer pleinement et même d'obéir ensemble, donnait
force et emprise sur le changement social, sitôt contournée cette aliénation qui rive le dominé au
dominant. Les citoyens ou citoyennes comprennent qu'ils-elles sont partie prenante des
institutions et des choix de société.
Le besoin de sécurité :
Grâce à la reconnaissance des enjeux en présence et la nécessaire responsabilité de chacun dans
les choix à établir, certaines tensions sociales ont pu être aplanies. Cela est important dans la
"production ou la non production" de la violence, accordant aux groupes la possibilité de
s'exprimer sur le bien-fondé des choix que l'État entend prendre dans le cadre du développement
du pays.
En conclusion, un regard s'impose sur les conditions critiques conduisant au processus
efficace de décentralisation. Le maintien d'une politique de décentralisation authentique et
respectueuse des intérêts et besoins des collectivités locales doit être lié au transfert significatif
des pouvoirs, des moyens administratifs et financiers aux élus locaux. La motivation du personnel
des services étatiques à appuyer les CRD et à travailler à la concrétisation des actions de
développement est un pré-requis indissociable à la création d'un véritable espace de concertation
et de collaboration. Une information et une consultation davantage transparentes auprès des
groupes de base sont aussi des conditions critiques de réussite de tout processus de
décentralisation.
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