les complications rétiniennes par amino-4
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LES COMPLICATIONS RÉTINIENNES PAR AMINO-4-QUINOLEINES : A PROPOS DE 18 CAS K.P. BALO, H. MIHLUEDO, A. MENSAH, K. DJAGNIKPO, K. ADJIVON RÉSUMÉ INTRODUCTION But : Les maculopathies par amino-4-quinoléïnes sont mal connues chez nous. Nous avons entrepris cette étude afin de mieux cerner la question. L’étude est hospitalière et rétrospective, les malades présentaient un antécédent de chimioprophylaxie ou de traitement curatif de paludisme. L’angiofluorographie a permis de confirmer les lésions «en œil de bœuf» chez 18 malades (11 hommes, 7 femmes), d’âge moyen de 41,72 ans. Les doses cumulatives ont été estimes à 185 g, 557 g, 1300 g selon la prophylaxie (faible, modérée ou massive). Les maculopathies ont un mauvais pronostic ; néanmoins elles sont peu fréquentes : seulement 18 cas récents dans notre pays d’endémie. Le caractère péjoratif de la lésion doit inciter à instituer une détection précoce. Les amino-4-quinoléines sont largement utilisés dans le monde entier pour les traitements curatif et préventif du paludisme. C’est en 1941 que ces produits dérivés de la quinine ont été introduits dans le traitement du paludisme. La découverte de leur propriété anti-inflammatoire a entraîné leur utilisation dans les maladies rhumatismales. Les effets secondaires de ces produits sont connus depuis 1957 avec les descriptions par S O R S B Y, H O B B S e t FREEDMAN (1) de leur toxicité rétinienne. Bien que largement utilisés dans notre pays, leur toxicité rétinienne est mal connue. En 1975, TROJAN (2) rapportait un cas de toxicité rétinienne chez un togolais «correctement» traité par chloroquine. A ce jour, aucune autre publication n’est venue s’ajouter au premier cas décrit par TROJAN (2). L’objectif de ce travail est de rapporter les recentres observations de toxicité rétinienne par amino-4-quinoléïne que nous avons colligées au service d’ophtalmologie du CHU Tokoin Lomé. ABSTRACT Retinal complications of amino-4-quinoleine : a study of 18 cases Background : Chloroquine maculopathy studies are less common in our country. We present here a survey of new diagnosed patients in our teaching hospital. This survey was based on hospital and r e t ro s p e c t i v e approches. all patients recorded had used chloroquine for prophylaxy or treatment of malaria for long time. By angiofluorescein examination, we confirmed ophthalmoscopic «bull’s eye» in 18 patients (11 men, 7 women, mean age was 41,72 years). Cumulative doses estimation were 185 g, 557 g and 1300 g for low, mild or massive prophylaxies. Toxic maculopathies have poor prognosis, however in our experience, their occurence rate is low : 18 new cases diagnosed during 24 months. Pr o p h y l a c t i c treatment is based on early diagnosis. Travail du service d’ophtalmologie du CHU Tokoin - LOME - TOGO Médecine d'Afrique Noire : 1997, 44 (2) MATÉRIEL ET MÉTHODES Les malades ont été tous recrutés dans le service d’ophtalmologie du CHU Tokoin. L’étude est rétrospective et porte sur l’analyse des dossiers. Tous les malades ont consulté pour baisse de l’acuité visuelle de loin et de près. Ils ont eu un examen ophtalmologique complet avec mesure de l’acuité visuelle de loin et de près. Le diagnostic de toxicité rétinienne par amino-4quinoléïnes était posé devant l’histoire clinique des malades, les aspects ophtalmoloscopiques et angiofluorographiques de la lésion. Certains examens ont complété le bilan et comprenaient la périmétrie au Goldman à la recherche d’un scotome central. Il n’a pas été fait d’électrorétinogramme ni d’électrooculogramme. L’histoire clinique des malades a noté le type de la prophylaxie et du traitement curatif employé. LES COMPLICATIONS RÉTINIENNES… Trois tendances se dégagent dans la prophylaxie : - prophylaxie discontinue faible : le malade avoue prendre par moment de la chloroquine, en général un jour par semaine. Les doses hebdomadaires et annuelles peuvent être estimées à 100 mg/semaine et à 5,2 g par an. - prophylaxie discontinue modérée, : le malade se traite 3 jours par semaine soit une dose de 300mg/semaine et 15,60g/an) - prophylaxie continue : le malade fait la prophylaxie tous les jours, soit une dose de 700mg/semaine et 36,4g/an. 85 Figure 1 L’interrogatoire détaillé est difficile à obtenir, il ne tient pas compte des variations à l’intérieur de chaque type de prophylaxie tels que l’oubli de prendre le produit quelques jours ou le traitement curatif intercurrent. RÉSULTATS L’analyse des dossiers permet de retenir 18 malades comme présentant une toxicité rétinienne par animo 4 quinoleïnes. Figure 2 Les malades sont répartis en 11 hommes, et 7 femmes, l’âge moyen est de 41,72 ans, avec des extrêmes à 25 et 56 ans). L’âge moyen du début de prophylaxie est difficile à préciser. On peut l’estimer à la période de début de scolarité soit à l’âge de 6 ans. Sur cette base, les doses cumulatives seraient respectivement de 1300g, 557g et 185g en prophylaxie massive continue, en prophylaxie discontinue modérée et en prophylaxie discontinue faible. Les doses totales trouvées sont des estimations puisque les doses exactes par prise, la périodicité de prise, les modifications thérapeutiques intercurrentes sont inconnues. L’examen ophtalmoscopique et l’angiofluorographie : Tous les malades avaient un remaniement maculaire avec un aspect pommelé, parfois une hyperpigmentation associée. L’angiofluorographie a montré des hyperfluorescences maculaires classiques en cocarde, dessinant un oeil de boeuf ou «bull’s eye» des anglo-saxons (fig. n° 1 et 2). DISCUSSION L’examen du segment antérieur, le tonus oculaire étaient normaux. Nous avons colligé 18 observations de malades togolais, résidant en permanence au Togo, et de ce fait soumis à Médecine d'Afrique Noire : 1997, 44 (2) 86 l’endémie palustre depuis leur bas âge. Tous ces malades ont fait un type donné de prophylaxie et ont utilisé la chloroquine pour cette prévention. Comme le rapportent la plupart des auteurs, l’anamnèse devant une maculopathie par antipaludéens de synthèse n’est jamais aisée. La dose exacte à chaque prise et la durée de la prise ont une influence sur la dose cumulative finale. Quelle dose toxique pour la rétine ? Les auteurs ne sont pas unanimes là dessus. Pour NYLANDERS (3), elle serait de 250g, DUCOUSSO et BALLION (4) ont décrit un cas avec dose cumulative de 140g ; J O H N S O N et V I N E (5) trouvent 730g, pour SHEAVER et DUBOIS (6) cette dose serait de 770g. Comme on le voit, les doses totales sont variables, et tiennent compte des susceptibilités individuelles et du type de prophylaxie. L’âge ne serait pas le facteur principal. Le premier cas de toxicité par amino 4 quinoleïne chez un togolais décrit par TROJAN (2) concernait un malade de 35 ans, DUCOUSSO et BALLION (4) ont rapporté la toxicité chez une patiente de 17 ans ayant fait une prophylaxie lourde entre l’âge de 10 ans et 14 ans soit une durée de 4 ans. VEDY et METGE (7) ont rapporté chez leurs malades des toxicités avec des doses variables ; ils trouvent chez certains une dose totale de 700g correspondant à une prophylaxie quotidienne de 100mg/jour pendant 20 ans. VÉRIN (8) a décrit des lésions chez 3 Gabonais avec prophylaxie normale. La chloroquine est le principal produit incriminé. Cependant, l’hydroxychloroquine pourrait aussi être responsable de ces maculopathies. Selon W E I N E R (9) les deux produits, présentent une affinité pour la mélanine de l’oeil. La chloroquine s’accumulerait dans la choroïde humaine, le corps ciliaire, l’épithélium pigmentaire et ceci en fonction de la dose et de la durée du traitement. Une fois liée au tissu, la chloroquine est lentement sécrétée, elle interfère avec les fontions de l’épithélium pigmentaire, notamment au niveau des processus cellulaires (recyclage du récepteur de surface, digestion phapolysosomiale, synthèse protéique, métabolisme et réparation de l’ADN (acide desoxyribonucleïque). Médecine d'Afrique Noire : 1997, 44 (2) K.P. BALO, H. MIHLUEDO, A. MENSAH, K. DJAGNIKPO, K. ADJIVON La toxicité évolue selon plusieurs stades : - stade d’imprégnation, ou stade préclinique - stade d’intoxication avec signes ophtalmoscopiques et angioflorographiques nets. Néanmoins, certaines maculopathies sont à éliminer, les plus courantes sont la maladie de STARGARDT, la dystrophie maculaire concentrique bénigne de DEUTMAN, la dystrophie des cônes etc. Le bilan idéal devrait comprendre une surveillance ophtalmoscopique, un examen angiofluorographique, une recherche de la dyschromatopsie bleu-jaune, les signes éléctrophysiologiques à l’ERG et à l’EOG. Malgré la gravité des lésions acquises, on peut estimer que ces toxicités sont relativement rares. En effet, la majorité des habitants de Lomé font un type donné de prophylaxie. Le nombre d’observations que nous avons colligées est relativement faible. Les maculopathies acquises sont malheureusement au dessus de toute ressource thérapeutique. C’est pour cela que les malades et les praticiens devraient être sensibilisés pour signaler les premiers signes d’imprégnation et les soustraire dès ce moment à la prise des antipaludéens de synthèse. On peut s’étonner du nombre relativement élevée de nouveaux cas détectés au cours de notre période d’étude. L’examen angiofluorographique est probablement un des facteurs expliquant cet accroissement des malades diagnostiqués. CONCLUSION Durant 24 mois (Août 1993 à Août 1995), 18 nouveaux cas de maculopathies par antipaludéens de synthèse ont été diagnostiqués chez des malades Togolais soumis à une prophylaxie antipalustre variable. Ces estimations de dose cumulative sont de 185g, 557g et 1300g en prophylaxie faible, modérée ou massive. Notre pays étant situé en zone d’endémie palustre, les malades qui utilisent la chimioprophylaxie antipalustre devraient régulièrement bénéficier d’un bilan ophtalmologique pour détecter les signes précoces d’imprégnation toxique. C’est le seul moyen de soustraire à temps les malades aux conséquences des maculopathies. LES COMPLICATIONS RÉTINIENNES… 87 BIBLIOGRAPHIE A. SORSBY, HE. HOBBS, A. FREEDMAN. Retinopathy follo wing chloroquine therapy. 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