Amenzu n°15 Mai 2003 : Quelle année de l`Algérie ?

Transcription

Amenzu n°15 Mai 2003 : Quelle année de l`Algérie ?
Amenzu
Numéro
15
Bulletin de l’Association Culturelle des Berbères de Bretagne
EDITORIAL : Quelle année de l’Algérie ?
Participer ou boycotter ? Participer et dire la réalité ou boycotter et laisser faire ?
Nous nous sommes posé toutes ces questions avant de trancher pour un boycott net de
l’année de l’Algérie.
Nous déplorons vigoureusement l’amnésie qui frappe toutes ces personnalités (de ce côté-ci
de la Méditerranée) du monde de la culture et des médias. Pour se propulser sur le devant de
la scène, certaines d’entre elles oublient les nombreux articles où elle dressaient des constats
implacables, faisant des conjectures sur les réalités algériennes et nous sommant d’y
souscrire sans quoi elles nous rangeaient sans ménagement du côté des ‘‘éradicateurs’’.
Nous n’oublions pas non plus les conférences qu’un éditeur (François Gèze des Editions La
Découverte) a organisées à travers toute la France pour promouvoir un livre (1) ‘’écrit’’ par
un sous-officier de l’armée l’algérienne. Que ne l’entend –on pas dénoncer cette opération
qui, à bien des égards, servira au final l’image du pouvoir une année avant l’élection
présidentielle ?
Nous ne supportons pas plus l’assourdissant silence de ceux qui se sont laissés bluffer par
les charmes supposés d’un président, qui tient un discours mielleux à Paris et qui en tient
un autre fielleux et méprisant à l’égard de tout son peuple à Alger.
Pourquoi n’a-t-on point entendu de condamnation des répressions du mouvement citoyen
de Kabylie qui ont entraîné plus d’une centaine de morts et des milliers de blessés dont
beaucoup d’entre eux seront handicapés à vie ?
Pourquoi au lieu des appréciations lapidaires sur ce mouvement et sa disqualification
d’emblée, n’a-t-on point cherché au contraire à valoriser ce qui est porteur d’une
dynamique de renouveau et à critiquer ce qui devait l’être dans le fonctionnement de
celui-ci comme l’ont fait de très rares personnalités ?
Nous ne pouvons que douter du réel impact qu’une telle opération peut avoir sur la vie des
artistes algériens et sur la culture en général tant pour le pouvoir en place la sauvegarde des
intérêts claniques et l’agitation du danger islamiste - soit pour réprimer soit pour intimider
tout mouvement risquant de mettre à nu leur système et en danger leurs prébendes - tiennent
lieu de seule politique ?
Pour toutes ces raisons nous ne pouvons cautionner par quelque célébration que ce soit cette
mascarade. Beaucoup d’artistes kabyles vivant en Europe la boycottent.
A toutes les personnes sincères qui veulent vraiment aider la culture et les artistes algériens,
nous disons que d’autres moyens existent sans que cela ne revête le label officiel. L’action
au quotidien et au plus près est la plus porteuse à nos yeux.
Pour nous l’aide la plus pertinente et la plus déterminante qui puisse être apportée au
peuple algérien passe par le soutien -qui devrait être le plus fort et le plus relayé- aux
citoyens, aux associations et mouvements qui luttent depuis des décennies pour
instaurer une réelle démocratie, pour le respect des droits de l’homme, pour une
société qui ne relègue pas les femmes dans un statut de mineures à vie dans lequel les
enferme le code de la famille, pour une société moderne qui tourne définitivement le
dos aux charlatanismes de toutes sortes et aussi dangereux les uns que les autres, pour
la reconnaissance pleine et entière de l’identité berbère.
Le bureau de l’ACBB
MAI – JUIN 2003
SOMMAIRE
Editorial
p1
Notes de lecture
p2
Poèmes (Halte à) p 3
Débat suite :
p3
Quelle autonomie ?
Activités
de l’ACBB
A.
C.
p4
B.
B.
MJC La Paillette
Rue Pré de Bris35 000 RENNES
________________
Tel : 02 99 59 88 88
Fax : 02 9959 88 89
[email protected]
Responsable du Bulletin
Khaled DRIDER
Ont collaboré à ce numéro :
H. Ait Seddik, M. Ammi,
A. Benoufella, K. Drider,
B. Kaci Chaouch, C. Kadi,
G. Lambert, N. Logeais,
N. Ould Sliman
SOLIDARITE AVEC LES VICTIMES DU SEISME
Bien entendu l’ACBB a, dès les premiers jours du tremblement de terre qui a secoué l’Algérie et qui a fait 2300 morts
et des milliers de blessés, témoigné sa solidarité et répondu présent sur ce terrain. Une soirée de soutien avec la
participation de la MJC La Paillette et de la troupe Pacibès, le samedi 31 mai dernier à la Halle Martenot (à Rennes)
animée entre autres par Arezki et son groupe ainsi que par la chorale de l’ACBB. Des textes ont été lus par la troupe
Pacibès. Un compositeur roumain accompagné par Jean Baptiste Ferrague, auteur et compositeur rennais sont venus
participer à cette soirée
La recette sera entièrement versée à une ONG. Nous tenons à remercier toutes les personnes qui ont ont participé de
près ou de loin à cet élan de solidarité.
Le Bureau de l’ACBB
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Amenzu 15 – Avr-Mai2003 – page 1
Notes de lecture :
La revue Histoire et Patrimoine a
La revue bi - mensuelle Alternatives internationales a publié en consacré son n°3 à l’Algérie. Des
mars un article sur la Kabylie intitulé les " Les racines de la reportages sur différentes régions de
l’Algérie ainsi que des témoignages sur
révolte" qui mérite toute notre attention.
la situation actuelle constituent la trame
D'abord parce qu’il rappelle cette longue lutte passée aux oubliettes de ce numéro.
de l'actualité, ensuite parce qu’il donne un éclairage positif sur A noter que pour la Kabylie, c’est
l'originalité de cette mobilisation citoyenne. En effet Alain Mahé, davantage la question de la révolte et de
auteur de travaux universitaires remarquables*
conteste les la lutte qui est traitée.
explications simplistes trop souvent diffusées dans la presse En exergue cette phrase qui indique
française au sujet de cette lutte dite "des tribus kabyles" donc l’esprit de l’article : « A l’image de
toute l’Algérie, la Kabylie traverse des
"archaïque".
Il y développe en effet l’idée que les assemblées de villages années difficiles. Mais cette région si
ancestrales (les tadjmat), dynamisées par la présence des jeunes particulière se distingue une fois de
depuis plusieurs années, ont été à l’origine d’un vaste mouvement plus par son esprit rebelle et
citoyen de résistance à la répression du pouvoir algérien en se entreprenant. Dans un climat de grande
coordonnant et en s’associant à des comités de quartiers urbains plus tension politique, économique et
sociale, un mouvement citoyen tente de
récents.
C’est ce que j’ai pu vérifier lors de mes divers séjours en Kabylie dégager un horizon pourtant bien
ces 2 dernières années. C’est ce que m’ont expliqué par exemple, obscur. »
Il faut également noter les témoignages
les jeunes du village de Tifilkout au pied du Djurdjura.
Par leur fonctionnement horizontal et leur présidence tournante ces remarquables de toutes ces femmes
coordinations ont mis en pratique ce que nous revendiquons ici par d’Alger, de Tizi-Ouzou et d’ailleurs qui
la notion de démocratie participative. Bien sûr ce fonctionnement luttent et dont les combats ne sont pas
beaucoup relayés. Il faut croire que cela
n’est pas sans risques ni blocages comme le signale Alain Mahé.
J'apporterai une nuance cependant au sujet de l'impasse actuelle qui dérange non seulement le pouvoir en
est certes réelle. Si des dysfonctionnements existent dans ce place, ce qui n’est pas surprenant, mais
mouvement (et après 2 longues années de luttes exténuantes ce n'est également ses promoteurs politiques et
pas étonnant), l'impasse est d’abord la conséquence de 2 faits : médiatiques de ce côté-ci de la
l'immobilisme du pouvoir algérien qui n'a répondu que par la Méditerranée.
répression (quotidiennement de nouveaux délégués sont arrêtés En effet, comment comprendre encore
pendant que d'autres croupissent en prison) à la volonté de justice cette gêne et ce silence assourdissant
("ulac smah ulac" = pas de pardon) mais aussi l'isolement de la des élites politiques, culturelles et
Kabylie qui n'a reçu aucune marque de solidarité d'autres régions médiatiques françaises sur la répression
d'Algérie. Aucune région ne s'est emparée de cette plate-forme en Kabylie et comment peut-on soutenir
revendicative pour la faire sienne et contribuer ainsi à ébranler le ainsi un pouvoir qui n’abroge pas le
code (infâme) de la famille, toujours en
pouvoir national.
vigueur, et qui assigne les femmes à une
C'est la grande leçon que tire la Kabylie de cette nouvelle lutte condition de mineures à vie.
pourtant porteuse de démocratie pour toute l'Algérie. Enfin je
remarquerai que les femmes, peu présentes dans ces assemblées, non Nous tenons à saluer le travail de cette
par opposition formelle mais par tradition ont fait leur percée grâce à revue qui a permis à ces voix de
la persévérance de certaines d'entre elles. Là aussi c'est un acquis de s’exprimer et de nous donner quelques
raisons d’espérer alors que le climat
cette « mobilisation citoyenne en Kabylie ».
d’extrême tension qui règne en Algérie,
Nicole Logeais confine davantage au désespoir.
(avril 2003)
Khaled Drider
(avril 2003)
*en particulier «Histoire de la Grande Kabylie, anthropologie historique du
« Kabylie : les racines de la révolte »
lien social dans les communautés villageoises » éditions Bouchène 2002
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Amenzu 15 – Avr-Mai2003 – page 2
HALTE AUX MASSACRES !
Habibi, mon ami, je crains pour toi.
Au nom de dieu à leur aloi,
Les terroristes ont tous les droits,
Tuer, mutiler, provoquer l’effroi,
Ecarter sans le moindre émoi.
HALTE À LA RÉPRESSION !
Hammou, mon frère, je souffre pour toi.
Au mépris du peuple et des lois,
Les forces de l’ordre prennent tous les droits :
Traquer, suspecter, mettre les citoyens aux abois,
Enfumer, dégager farouchement les voies …
Arbitraires sont leurs jugements,
Usurpatoires, leurs fondements,
Xénophobes, leurs agissements.
Au petit peuple, on reproche ses aspirations.
La liberté est devenue délit d’opinion.
A tout moment, tu risques l’incarcération.
Mais toi, qu’as-tu à te reprocher ?
Absolument rien ; là est le danger.
Souviens-toi : tout est péché :
S’instruire, se distraire, se raser,
Aller au marché, faire son armée,
Converser avec l’étranger,
Refuser la vie programmée,
Elire la “mauvais” député,
Survivre à leurs atrocités.
Gérard Lambert
DEBAT
Rien n’est facile dans ton pays en survie :
Ecouter chansons et airs favoris.
Participer aux débats des partis.
Remettre en cause d’injustes acquis.
Ecrire et faire connaître son avis.
Sortir, au théâtre, au cinéma, à la bibli.
Séduire, de visu, son amour pour la vie.
Instruire ses enfants dans la langue choisie.
Ouvrir un atelier, une piscine, une librairie.
Nourrir sa compagne et ses petits …
DEBAT
DEBAT
Nous avons publié dans le numéro précédent une tribune libre de Boualem K-C, plaidant pour l’autonomie de la
Kabylie. Hocine Ait Seddik y répond d’une certaine façon.
Amenzu a toujours cherché à favoriser le débat en donnant la parole à toutes les expressions et points de vue.
Les colonnes de notre bulletin sont ouvertes à tous ceux qui veulent débattre des questions liées au monde
berbère tant du point de vue de l’histoire, de la culture que de celui des perspectives politiques. Il est clair que
nous ne limitons pas cet espace de débat aux seuls berbères. Nous nous intéressons à toutes les cultures du
monde et nous essayons de comprendre l‘ensemble des dimensions qui les caractérisent ainsi que les
problématiques spécifiques auxquelles sont soumises.
KABYLIE : Quelle autonomie ?
L’autonomie de la Kabylie est certainement la
meilleure solution pour l’avenir de la Kabylie, mais
une question essentielle se pose : comment concevoir
une Kabylie autonome et démocratique dans un Etat
algérien dictatorial ?
Plusieurs personnalités du MAK (Mouvement pour
l’Autonomie de la Kabylie) citent comme exemple de
pays où l’autonomie des régions existe, l’Espagne et
d’autres pays d’Europe. Mais dans ces pays le régime
est un régime démocratique et de plus l’autonomie
n’est pas toujours facile à faire vivre même dans ces
pays.
Pour ma part, je pense que lutter pour une Kabylie
autonome dans un régime dictatorial est irréaliste et
que la seule solution est de lutter pour l’instauration
d’une république algérienne démocratique.
Et pour y parvenir le soulèvement d’une seule région
n’est pas suffisant comme le prouve ce qui se passe en
Kabylie, plus de deux années
de luttes ont
certainement un petit peu ébranlé le régime en place
mais la férocité de la répression, les manœuvres
machiavéliques du régime en place et l’absence de
réels soutiens d’autres régions d’Algérie ne permettent
pas pour l’instant un renversement de ce régime.
Il faudra l’implication de toutes les régions d’Algérie
et de toutes les forces démocratiques du pays et c’est
certainement le plus difficile à réaliser vu la diversité
des situations et des revendications.
Hocine Ait Seddik
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Amenzu 15 – Avr-Mai2003 – page 3
Activités ACBB
Yennayer : record battu !
Stage de danse
150 sympathisants ont accepté dans la bonne
humeur de se serrer afin de goûter notre
traditionnel (et excellent) couscous de Yennayer !
Pour la première fois nous avons, dans ce cadre
entendu la chorale de l’ACBB dirigée par Arezki.
Nous avons tous été sensible à la qualité de la
prestation, d’autant que la chorale n’avait que trois
mois d’existence.
Le point sur la situation en Kabylie, sur les
activités passées et futures de l’ACBB a été
présenté au public.
Et la soirée a continué dans la bonne humeur,
animée par Arezki et son groupe.
Le 16 février dernier, Nacéra Si Mohamed de l’ACB
Paris est venue avec sa fougue, sa bonne humeur et ses
compétences, nous initier aux danses berbères.
Après les difficultés de la danse kabyle (tremblements
et rythme) et le déjeuner pris en commun (sur les
marches de l’ancien lavoir de Rennes situé à la MJC la
Paillette) se sont les danses chaouis (région de l’Est
algérien) et une danse de transe (guedra) qui ont été
étudiées.
Enchantés de leur journée, les danseuses ont émis le
souhait que cette initiation ne reste pas sans
lendemain ; d’ailleurs la demande a depuis largement
dépassé ce premier cercle. A suivre !
Nadia Ould Sliman
Nadia O S
Chorale ACBB
18 Janvier 2003
“Danseuses berbères”
Février 2003
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Amenzu 15 – Avr-Mai2003 – page 4