Les productions mémorielles dans la ville, Lyon et le Grand Lyon

Transcription

Les productions mémorielles dans la ville, Lyon et le Grand Lyon
Programme de recherches territorialisées
“ Les productions mémorielles dans la ville, Lyon et le Grand
Lyon ”
3ème phase
Avril 2004
Catherine Foret
CR-DSU Rhône-Alpes
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SOMMAIRE
I.
RAPPEL SUR LA MISSION
- Objectifs
- Terrains d’enquête
3. Méthodologie
II. L’EXEMPLE DE LA DUCHERE :
MEMOIRES EN CONCURRENCE
1. Présentation du site.
2. Le projet urbain.
-
Les actions mémorielles en cours ou passées
a) Autour de la publication du livre “ La Duchère, les 40 ans ”.
b) Le Collectif des Histoires Familiales
Le point de vue de la Mission GPV.
CONCLUSION
: LE BESOIN DE RECHERCHE
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I. RAPPEL SUR LA MISSION
1. Objectifs
Dégager les enjeux des actions mémorielles conduites dans
l’agglomération lyonnaise … les croiser avec les questions issues d’un
bilan de la recherche urbaine sur les logiques de peuplement de
l’agglomération ; pour définir la problématique d’un programme de
recherches territorialisées sur le thème des mémoires des populations
dans la ville
2. Terrains d’enquête
En accord avec le Comité de pilotage du programme, le choix a été fait de
travailler plus précisément sur deux territoires soumis à de grands
projets urbains, La Duchère et le Carré de Soie. Sont ici présentées les
questions issues du contexte particulier de La Duchère, grand ensemble
de 5000 logements situé dans le 9ème arrondissement de Lyon, qui fait
l’objet d’un des 50 Grands Projets de Ville français (4 dans
l’agglomération lyonnaise) dans le cadre du Contrat de Ville 2001-2006.
3. Méthodologie
Outre le travail d’inventaire réalisé lors de la première phase, la mission
s’est appuyée sur plusieurs phases d’investigation, d’analyse et de
synthèse :
- des entretiens de longue durée avec des acteurs locaux (environ 25
chefs de projet, professionnels de la ville, artistes, élus locaux, travailleurs
sociaux, responsables d’équipement culturel…),
- la mise en relation des discours issus de ces entretiens avec les
produits des actions mémorielles analysées (livres et documents divers,
films, événements),
- la participation à plusieurs séminaires organisés sur le thème des
mémoires dans la ville à l’Université Lyon 2 et à l’Ecomusée du Creusot.
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II. L’EXEMPLE DE LA DUCHERE :
MEMOIRES EN CONCURRENCE
1. Présentation du site
La Duchère est l’un des deux grands ensembles de logements sociaux
situés au sein même de la ville de Lyon. Construit sur un plateau de
l’Ouest Lyonnais, sur un site exceptionnel qui domine toute la ville, audessus de l’ancien quartier industriel de Vaise, qui accueillait dans les
années 50-60 de multiples usines, le grand ensemble Edifiée en limite
d’anciens villages qui sont depuis devenus les banlieues riches de la ville,
il voisine aujourd’hui avec des zones résidentielles privilégiées, une
technopole et un pôle d’enseignement supérieur, il est bien desservi par
les transports en commun et dispose d’un accès facile aux principaux axes
routiers et autoroutiers.
Le secteur compte 5200 logts conçus à partir de 1952 par une équipe
d’architectes, urbanistes et sociologues emmenés par François-Régis
Cottin. Les logements ont été livrés en 1962, en 4 quartiers (Plateau,
Sauvegarde, Balmont Château), D’emblée conçue comme une ville (20
000 personnes étaient attendues), bien équipé dès l’origine, à la
différence d’autres grands ensembles, La Duchère dispose de nombreux
équipements publics : écoles, collèges, lycée, églises, centres
commerciaux, centres sociaux, MJC, bibliothèque, Poste, puis plus tard
Mairie d’arrondissement, commissariat de police…)
Le site comprend 80 % de logts HLM (soit 4000, le reste étant en
copropriété) répartis en plusieurs grandes barres de 17 étages (dont 5
alignées sur le bord du plateau, qui forment la “ barre des 1000 ”) et une
tour panoramique de 26 étages construite en 1970 (106 logts en copté).
Prévu pour reloger la population mal logée de Lyon, en particulier les
ouvriers de Vaise, il a accueilli dès sa livraison beaucoup de familles
rapatriées d’Algérie (mais pas seulement). Celles-ci ont donné une
tonalité particulière au quartier, en impulsant une convivialité et un
dynamisme socio-culturel remarquable. Une part notable de ces
familles ont vieilli sur place, si bien que le grand ensemble compte
aujourd’hui une proportion de personnes âgées plus élevées que sur
d’autres sites comparables (18 % de plus de 60 ans en 1999).
Bien d’autres groupes de population ont rejoint depuis ces familles
“ pionnières ”. On compte aujourd’hui une cinquantaine de nationalités
différentes, et 31 % de moins de 20 ans parmi les habitants.
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Il n’y a jamais eu de véritable vacance des logements — sinon délibérée
de la part des bailleurs (pour préparer les réhabilitations, et aujourd’hui la
démolition). Mais le quartier est entré dans une logique de dévalorisation
qui se traduit par une moindre attractivité : la population est ainsi passé
de a 14 000 habitants en 1990 à 12 400 habitants en 1999.
2. Le projet urbain
Classé au titre de la Politique de la Ville depuis plus de dix ans, le site a
connu plusieurs opérations de réhabilitation. Il fait aujourd’hui l’objet d’un
projet très ambitieux de renouvellement urbain, qui prévoit la
démolition de 1500 des 4000 logements sociaux existants, dans une
logique de rééquilibrage du logement social à l’échelle de d’agglomération,
conformément à la loi SRU. On passerait ainsi de 80 à 60 % de logts
sociaux sur le site, après construction de nouveaux logements en
copropriété, sous forme de petits immeubles et maisons de ville. Une
première opération de démolition a eu lieu le 29 octobre 2003, sur
une partie de la barre 200.
La Ville s’est engagée à reloger toutes les familles d’ici la fin de l’opération
(à la Duchère ou ailleurs). Selon l’équipe du contrat de ville, 50 % des
familles souhaitent rester sur place. La progressivité des opérations, ainsi
que la “ rotation ” dans des logements-tiroirs peut permettre d’atteindre
cet objectif.
Outre ces interventions sur l’habitat, le projet urbain comprend
d’importants projets de réaménagement des voiries et des espaces
publics, de reconstruction ou réinstallation des équipements publics,
qui visent notamment à mieux connecter la Duchère au 9ème
arrondissement de Lyon, à ouvrir le site sur les communes de l’Ouest et à
renforcer son attractivité résidentielle et commerciale.
“ Pour agir vraiment sur l’attractivité du site, sortir de la logique du ghetto
et attirer des investisseurs privés, il s’agit d’être ambitieux, visible,
montrer qu’on y va vraiment, jouer sur l’effet levier, basculement, avoir
un projet très fort sur le centre du quartier, sa reconfiguration urbaine ”
Le projet urbain, objet d’une ferme volonté politique, est déjà très
formalisé, sa mise en œuvre est même entamée : on n’est plus vraiment
dans une phase de réflexion, même si des actions de communication,
concertation et accompagnement se poursuivent autour, actions dont font
partie certaines opérations mémorielles en cours.
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3. Les actions mémorielles en cours ou passées
On présentera ici deux ensembles d’actions, deux dynamiques qui
illustrent bien les pratiques en cours sur le territoire depuis quelques
années.
a) Autour de la publication du livre “ La Duchère, les 40 ans ”.
L’idée est venue d’une “ commission mémoire ” qui rassemblait au début
des années 90 “ des acteurs sociaux impliqués dans le quartier ” dans le
cadre du DSU ; commission qui souhaitait célébrer les 30 ans du quartier.
L’auteur, écrivain public habitant la Duchère depuis 1965, qui avait déjà
réalisé divers ouvrages sur la mémoire des villes et villages, dans et hors
de l’agglomération, a alors présenté un projet, qui a été financé par la
Politique de la Ville et a donné lieu à la parution, en 1993, d’un premier
ouvrage intitulé “ 30 ans de vies à la Duchère. Mémoires d’un grand
ensemble ”. Celui-ci a connu un réel succès, à tel point qu’une réédition a
été décidée à l’occasion des 40 ans du quartier, en 2003, sous le titre :
“ La Duchère, les 40 ans ” (avec une seconde partie qui fait le point des
dix dernières années)
Il est publié par une association qui annonce 20 adhérents et dont
l’auteur est l’une des chevilles ouvrières, en tant qu’animatrice d’ateliers
d’écriture (Association urbaine pour le développement des arts, de la
culture de la communication et de l’écriture, Audacce)
Tiré à 1000 exemplaires, l’opus réédité compte 328 pages. Il est préfacé
par le Maire de Lyon. Son élaboration et sa diffusion ont été financés dans
le cadre de la Politique de la Ville par la Ville de Lyon, la Préfecture de
Région, le Conseil Général du Rhône et le Fasild.
Il s’agit donc, comme l’auteur le dit elle-même, d’un ouvrage
subventionné, et non pas d’un travail personnel. L’ouvrage été réalisé
essentiellement à partir de témoignages, avec peu de travail d’archives
(toujours selon l’auteur, qui fait bien la différence avec un travail
d’historien et ne revendique aucune dimension scientifique).
Il faut ici noter que la recherche urbaine a peu exploré le territoire
de la Duchère depuis 40 ans. Une thèse de sociologie datant de 1966
(Guy Delongeaux), une maîtrise de socio en 1988, intitulée, “ Les PiedsNoirs ou le mythe d’une communauté ”. Aujourd’hui, de nombreux
étudiants s’intéressent au site, mais plutôt dans le cadre de DESS, en lien
avec le GPV, sur les problématiques du développement social, du projet
urbain et de la concertation avec les habitants. Les historiens ont
jusqu’ici été absents de ce terrain.
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Pourquoi cette action ?
Pour l’auteur, il s’agissait “ de partir en quête de l’histoire du quartier, à
partir de la parole des habitants ”, de “ faire quelque chose d’accessible à
tous, pour toucher les gens, dans lequel les gens se retrouvent. Une sorte
d’album de famille ”.
Il ne s’agissait pas de faire œuvre scientifique, ni polémique, mais “ d’être
fédérateurs pour le quartier ”, de contribuer à ce que “ que les gens vivent
en harmonie ”.
A la bibliothèque, on pense que ce livre “ permet de retrouver l’histoire du
quartier, de la prendre en considération, de reconnaître une histoire à la
Duchère ”.
De fait, l’avertissement de l’édition 2003 précise que ce livre “ retrace
l’histoire de la Duchère ” ; la préface, qu’il s’agit “ d’un ouvrage de
référence sur l’histoire de ce quartier ” et la 4ème de couverture qu’il
permet “ d’avoir une vue d’ensemble de ce quartier de Lyon, depuis sa
naissance dans les années soixante ”.
A noter : le livre est régulièrement mis en valeur par les représentants
locaux de la Politique de la Ville (1 page dans le n° 1 du journal du GPV,
en octobre 2003).
Dans les faits, qu’en est-il ?
Ce livre présente une partie de l’histoire du quartier, vue d’un point de
vue particulier. Il met l’accent sur la naissance du grand ensemble (sa
conception, sa géographie), puis sur la période “ héroïque ” des années
60/70. Les personnes interviewées sont en très grande majorité les
“ pionniers ”, ceux qui sont venus dans les premières années. Parmi ces
témoins figurent notamment ceux qu’à la Duchère on appelle “ les acteurs
sociaux engagés ”, militants de quartier qui ont déployé une énergie
considérable depuis l’origine pour animer la vie collective, défendre les
commerces, prendre en charge la vie culturelle, sociale et spirituelle du
quartier, via des associations ou par leur présence dans les conseils
d’administration des équipements. Encore très présents aujourd’hui, ces
militants animent notamment le Groupe de Travail InterQuartier,
collectif informel de 60 à 80 personnes qui se réunit chaque mois depuis
1986, qui parle volontiers au nom du quartier et porte une parole plutôt
revendicatrice contre le GPV…, mais qui connaît un problème de
“ renouvellement de son noyau animateur ”.
Les jeunes, mais aussi les personnes d’origine maghrébine, africaine,
asiatique… sont très peu présents parmi les témoins sollicités. Comme me
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l’a dit l’un de mes interlocuteurs : “ La mémoire arabe est absente de
cette histoire ”.
L’ouvrage insiste beaucoup le quartier comme lieu de promotion
sociale et sur les structures socio-culturelles qui ont contribué à ce
mouvement. Il dresse le portrait de leurs animateurs, évoque les écoles,
les fêtes, le sport, les associations de prévention, les actions caritatives, le
DSQ, la réhabilitation…, tous les moyens par lesquels on lutte depuis des
années contre la paupérisation et la dégradation lente du quartier. Il
réfute le terme de ghetto, insiste sur l’attachement des habitants à la
Duchère, évoque le quartier-village.
Dans la partie actualisée, 12 pages sont consacrées aux “ mauvais
jours ”. Elles racontent la “ stupeur ” qui saisit les habitants le 20
décembre 1997, au journal TV du soir, qui relate la mort d’un jeune
Duchérois de 25 ans, père de famille, lors d’une altercation avec la police
devant le commissariat. L’événement, suivi d’un “ matraquage médiatique
” indécent, provoque “ l’indignation des Duchérois ” qui s’élèvent contre la
stigmatisation du quartier. Il est évoqué à travers plusieurs témoignages
de travailleurs sociaux qui racontent la mobilisation de groupes
d’habitants, en particulier des mères de famille, contre la violence. Sont
évoquées dans ces 12 pages l’installation de la vidéo-surveillance et les
actions de prévention pour tenter de faire face à “ la galère des jeunes,
victimes de la misère et de l’échec scolaire ”. Une série d’autres
événements violents impliquant des jeunes contre des équipements (MJC,
piscine, synagogue en 2002), autre source de “ stupeur et
d’étonnement ”, sont évoqués dans ces pages, le chapitre se clôturant par
une phrase qui illustre bien l’esprit général du livre : “ Ces actes ne sont
pas le fait de Duchérois, quelle que soit leur confession. Ici les
communautés vivent en entente cordiale ”.
Enfin, un dernier chapitre de 15 pages intitulé “ Les associations ”
présente une série d’actions menées ces dix dernières années pour faire
face à la précarisation d’une part croissante de la population, aux
“ situations de repli ” et au “ quotidien insupportable ” des habitants de
“ ces immeubles locatifs à forte concentration de population, conçus dans
les années 60 et mal insonorisés ”. L’action des médiateurs est décrite, de
même que celle de différentes associations.
- La parution du premier livre, en 1993, a été suivie du lancement
d’ateliers d’écriture, animés par l’auteur des deux livres, en partenariat
avec la bibliothèque du quartier. Ateliers qui fonctionnent toujours et qui
ont permis à environ 800 personnes chaque année (adultes et enfants
touchés parc le biais des écoles, des centres sociaux, de la Poste, de la
Bibliothèque, au marché…) d’écrire des “ messages ” autour de thèmes
(messages d’amour, souvenirs à la façon de Pérec, textes à partir d’un
abécédaire…). Mini-textes dont 1/3 environ s’adressent au quartier et qui
ont été publiés dans 3 ouvrages formant la collection “ La Duchère
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Pensées ”. (toujours dans le cadre du Contrat de Ville). Ces petits livres,
qui sont diffusés dans l’ensemble des bibliothèques municipales, visent
selon l’auteur du premier ouvrage, à “ montrer qu’à la Duchère on pense,
on réfléchit, on souffre comme ailleurs, qu’il n’y a pas que des idiots qui
brûlent des voitures… Montrer que les gens d’ici, qui se sentent très
dévalorisés, et vivent des situations difficiles, de mal-être, de chômage…
sont aussi intéressants que d’autres. Faire que le quartier s’ouvre et que la
ville s’ouvre à La Duchère, briser des a priori ”
- Enfin, en 2003, en prévision de la 1ère démolition, l’équipe du GPV a
missionné l’écrivain public et une compagnie de spectacle vivant pour
travailler avec les habitants de 2 barres à démolir. L’action a consisté en
un recueil d’une cinquantaine de témoignages sur la vie de ces personnes,
leur rapport à leur logement et au quartier. Puis un travail de montage, de
mise en espace et en voix des paroles d’habitants a été effectué. Ce qui a
donné lieu à une lecture-spectacle intitulée “ Ma Duchère ”, dite par
deux comédiens sous chapiteau le jour de la démolition. Ce travail est
présenté par les artistes comme “ un volet sensible et humain de l’histoire
du quartier, une sorte d’hommage à des moments de vie, à des gens pour
qui il n’est pas facile de quitter un lieu où ils ont été heureux, où ils ont vu
naître et grandir leurs enfants, où ils ont vieillis avec leurs voisins”. “ Ma
Duchère ” a été présentée au CinéDuchère, puis à la MJC, en même temps
qu’une exposition de vieilles photos et anciens articles de presse sur la
construction et l’évolution du quartier.
Pour les artistes, il s’agissait :
“ de restituer la mémoire, les pensées, les émotions, les moments de vie
passés dans ces lieux qui vont disparaître ”.
“ d’arriver à fondre ces paroles pour qu’il y ait une sorte de mémoire
collective dans laquelle on ne reconnaisse pas forcément les individus ”.
“ On a cette fonction de rappeler un peu ce qui a existé. On peut
l’objectiver, le mettre à distance, ça permet peut-être aux gens de mieux
se comprendre, c’est une forme de renvoi, de miroir. (…) Notre rôle n’est
pas de dire c’est bien de casser les barres ou pas. Mais par des moments
d’émotion, d’arriver à ce que les gens, soit se sentent gratifiés, soit
cheminent avec nous pour mieux se comprendre ou mieux aller vers le
futur. On va mieux vers l’avenir si l’on sait d’où l’on vient… On est un peu des
porte-voix. Lorsque ces paroles sont portées sur scène, tout le monde
peut les entendre, chacun peut partager avec d’autres, les gens peuvent
se dire : ça a existé, je ne suis pas le seul à penser ça dans ma tête (…).
Ça permet de s’arrêter dans le flot de la vie, de dépassionner un peu le
débat sur la barre. Pendant un moment on sort de la lutte, du je veux-ci
je veux ça, on peut s’extraire, s’arrêter, voir qu’il y avait des bons
moments et des mauvais. C’est une forme d’objectivation. Des partis
en opposition peuvent mieux s’entendre (on sait que le temps des
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politiques, n’est pas le même que celui des habitants). De fait, il y a une
sorte d’unanimité autour de ce spectacle (…). C’est du spectacle vivant,
une forme de spectacle de proximité : on a un rapport direct aux gens. On
laisse des traces dans l’imaginaire collectif, les mémoires, les cœurs
des gens qui sont là… Ces traces, c’est de l’émotion, du souvenir, qui
va se transformer. Cela peut permettre aussi à des gens qui ne
connaissent pas la Duchère d’apprendre de ce quartier, de comprendre
qu’au-delà du béton, il y a beaucoup de vie sociale réelle et depuis
longtemps – comme dans beaucoup de quartiers populaires ”.
b) Le Collectif des Histoires Familiales
Deuxième démarche autour de la mémoire du lieu, celle des “ Histoires
Familiales ” s’est développée en parallèle avec la précédente, leur non
convergence exprimant l’une des réalités sociales importantes du quartier,
que l’équipe du Contrat de Ville souligne volontiers : la non ou faible
communication entre deux mondes, celui des “ militants ” historiques
(“ la nomenklatura ”, comme disent les chefs de projet) et celui des
“ réseaux issus de l’immigration ”.
Cette fois, l’initiative est issue d’une semaine de formation sur la
laïcité et la citoyenneté lancée en 1998, avec le soutien du FAS, à la
demande des collèges, du service de prévention du Conseil Général, et de
différents travailleurs sociaux, suite aux événements difficiles vécus sur le
quartier.
“ Comment faire face au “ réveil identitaire ” d’une partie de la population,
aux comportements ou aux demandes de certains habitants, dans les
équipements publics, qui remettaient en cause l’idée de laïcité ? ”. Telle
est l’interrogation des acteurs à l’origine de cette démarche.
A l’issue de cette formation, deux noyaux d’acteurs se forment, dont l’un
qui va donner naissance au Groupe Histoires Familiales. Au départ,
celui-ci comprend notamment une assistante sociale, une infirmièrepuéricultrice, deux animateurs de prévention spécialisée, et la directrice
de la Maison de l’Enfance (ancienne structure municipale aujourd’hui gérée
par une association loi 1901, qui assure l’accueil d’enfants de 3 à 12 ans
hors temps scolaire, avec une fonction d’animation et de prévention).
Celle-ci, jeune femme d’origine maghrébine qui a grandi dans le quartier
mais n’y habite plus, va accepter d’assurer le portage institutionnel de
l’action. Un point très important selon elle : c’est parce qu’il y avait dans
ce groupe quelqu’un en position de direction, que l’action a pu prendre de
l’ampleur et suivre son cours jusqu’à l’an dernier.
Ces personnes passent un an à réfléchir sur un projet qui permettrait de
travailler avec les familles sur les questions de “ la construction identitaire
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et de l’accès à la citoyenneté ”. Pour cela, il faudrait d’abord “ comprendre
comment différentes familles, en situation proche, ont pu évoluer vers des
situations d’intégration complètement différentes, comprendre les
phénomènes d’exclusion, de rejet et d’intégration ”.
Les porteurs du projet sont donc dans une double perspective, d’action
et de réflexion :
- D’une part, il s’agit de “ trouver un mode d’action universel, qui touche
tout le monde, qui permette de communiquer avec les familles en se
décalant du stigmate ; partir du singulier pour aller vers le collectif ”,
“ concevoir des dispositifs qui aident les enfants et adolescents à
s’approprier leur identité, à mieux appréhender la culture scolaire et le
monde professionnel ”.
- D’autre part, le projet s’assigne clairement, des objectifs d’ordre
professionnel : “ mettre à plat nos modes d’action ”, “ en impliquant les
familles et pas chacun dans son coin ”. En filigrane, il y a l’idée que le
travail social doit se renouveler, qu’il faut “ décoincer les esprits ”, se
détacher du fonctionnement des “ dinosaures ” de l’action sociale, “ de
cette attitude colonialiste que les familles ne supportent plus ”. “ Cesser
de travailler entre nous (travailleurs sociaux, artistes, DSU…), de nous
réconforter entre nous, face à des gens qui nous font peur, avec leur
misère. Considérer les gens comme experts, grandir ensemble en sortant
de l’assistanat, de la relation dominant/dominé ”.
- Il y a aussi dans ce projet un enjeu fort de reconnaissance des
populations dans la ville. Il s’agit de “ valoriser la population, en lui
fournissant ses propres outils de compréhension ” et de promouvoir une
image différente de la Duchère et ses habitants ( “que l’on puisse voir
enfin un autre aspect de ces quartiers, le côté agréable, chatoyant du
populaire, qu’on saisisse la métamorphose qui se produit chez les gens au
contact de cultures différentes, l’apprentissage de la tolérance qui se
produit ici… et pas dans des quartiers bourgeois de la ville ”.
- Le projet poursuit également un objectif de vérité :
- que les familles expriment comme suit : “ Dire son histoire
véridique, et obtenir des autres un regard juste, un regard de
valeur, du respect, peut faire que les autres dépassent la peur et
les idées négatives qui les freinent, qu’on nous comprennent mieux.
S’ils nous connaissent mieux à travers ces histoires, à travers nos
enfants, peut-être qu’on arrivera à et dépasser ce mur qui nous
partage, qu’on avancera ensemble dans le bon sens… ”
- et que d’autres acteurs énoncent ainsi : “ Lutter contre des
amnésies extraordinaires qui s’installent dans l’histoire du quartier,
que les gens finissent part intérioriser et qui les divisent encore plus.
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Parler de ce dont on ne parle pas : par exemple le rejet des
asiatiques, les rixes entre bandes de jeunes sur des enjeux de
territoire, les affrontements entre kosovars et jeunes du quartier, le
fonctionnement en tribus… Dire que c’est un quartier en difficulté,
pouvoir poser des choses pour repartir d’une mémoire vive.
Nourrir le débat des réalités, pour ne plus répéter des oublis qui
vexent, disqualifient le travail qui a été fait auparavant par la
population. Montrer que les choses se rajoutent, que le passé nourrit
le présent, que c’est le propre du monde urbain ”.
- Enfin, le projet affiche un objectif de renforcement de la
citoyenneté, au sens actif du terme (“ se comporter en citoyen, ce n’est
pas seulement respecter les lois, c’est aussi s’exprimer et faire vivre son
quartier ”), de “ réveil des consciences ” et de modification des
rapports de force entre institutions et populations. L’action doit
contribuer à ce que l’on “ cesse de tromper les gens ”, “ qu’on arrête de se
limiter à recueillir leur parole, en pensant que c’est ça la concertation ”. A
terme, il s’agit d’être capable de faire des propositions pour le Projet
Urbain. Pour cela, il faudrait : “ Ne plus être dans une logique de
pacification, mais de débat, qui fasse surgir des avis divergents. Un
vrai débat démocratique, porté sur la place publique, précédé d’une
sensibilisation par thèmes et suivi d’ateliers de création. Un débat qui
donne la parole à tout le monde — les personnes âgées comme les
enfants ou les familles qui ont encore un fort enjeu éducatif sur le
quartier. Dans lequel on ne torde pas la parole des gens, et où l’on ne
choisit pas seulement ceux dont le discours est conforme à la norme. ”
Pour atteindre tous ces objectifs, la famille et la question des origines,
les thèmes de la transmission, des parcours de vie, de la généalogie
(savoir d’où l’on vient et qui l’on est), paraissent une bonne porte d’entrée
aux petit noyau porteur du projet qui obtient sur ces thèmes un
financement de la DDASS et de la Politique de la Ville dans le cadre du
soutien à la parentalité, et de la Région, dans le cadre du soutien aux
projets innovants.
Rapidement, le groupe fait appel à un chercheur (psychologue spécialiste
de la multiculturalité à l’Université Lyon 2), pour répondre au besoin de
soutien réflexif (sur l’éthique, la déontologie, la philosophie de leur
action) et d’accompagnement méthodologique dans l’échange avec les
familles.
L’action commence en septembre 1999 par le recueil d’histoires
familiales par les travailleurs sociaux. Histoires dites par des parents
d’origine très diverses (ethiopienne, rwandaise, kabyle, laotienne,
afghane, polonaise, comorienne…, mais aussi des familles venus du Bugey
ou d’autres quartier de Lyon…), souvent en présence des enfants. Des
histoires qui parlent peu du quartier et beaucoup de la famille, des
ancêtres, des valeurs transmises par ceux-ci, des parcours migratoires...
13
Ces histoires enregistrées, puis retranscrites, ont ensuite donné lieu à de
multiples actions, dont certaines financées par la Politique de la Ville,
avec un partenariat institutionnel élargi au fil des mois (centres sociaux
…), mais qui n’est cependant entraîné toutes les structures socioculturelles (difficultés avec les écoles, la MJC)
-animations autour de la généalogie et de la transmission (création
d’un jeu de l’arbre généalogique, atelier photo, prétexte à des
discussions avec les enfants, atelier de calligraphie — arabe, chinoise,
russe — atelier conte, atelier théâtre…) ;
- recueil d’histoires familiales dites par des enfants et par des
adolescents,
- création et exposition “ d’arpilleras ”, tableaux cousus par les femmes
à partir de leurs souvenirs,
- intervention d’une artiste plasticienne,
- œuvre participative autour du bouton envisagé comme “ plus petit
objet culturel commun ”,
- création de 5 événements-danse avec des enfants, par une
compagnie qui intervient sur le quartier depuis des années (spectacles
donné à la Duchère, puis que la compagnie a exporté dans ses
tournées mondiales).
L’un des points d’orgue de l’action a été l’organisation d’un colloque à
l’Hôtel de Ville de Lyon, en novembre 2001 sur le thème “ Histoires
familiales, identité, citoyenneté ”. Temps fort qui réunit les familles ayant
participé à l’opération, les professionnels engagés dans l’action et
d’autres, venus d’ailleurs, des élus locaux et des chercheurs de différentes
universités françaises et étrangères qui interviennent sur des thèmes
comme : “ L’écho et le silence dans le labyrinthe généalogique ”, “ De la
tribu au peuple, le rôle paradoxal de l’oubli dans les constructions
identitaires sahraouies ”, “ Le choix d’être policier chez des français
d’origine maghrébine ”…
Le colloque est couplé avec un spectacle de danse avec des enfants du
quartier à l’Opéra de Lyon. Pour les acteurs, “ la réception des familles
dans les salons de l’Hotel de Ville, où beaucoup mettaient les pieds pour la
première fois ” répond à un enjeu de reconnaissance très important.
Les actes du colloque ont été par la suite publiés dans un ouvrage édité
dans une collection dirigée par l’universitaire, préfacé par le Maire de Lyon
et tiré à 300 exemplaires. Publication suivie en 2003 d’un second ouvrage
rassemblant des histoires familiales et des témoignages d’acteurs
(artistes, travailleurs sociaux…), illustré de créations des habitants. Les
deux diffusés gratuitement aux personnes ayant participé à l’action ou au
colloque et aux autres, qui aux acteurs qui en font la demande.
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Ont également été organisées : une journée à l’université, proposée par
des parents, où les familles ont pris la parole, et (en 2003), le voyage
d’un groupe d’habitants et de professionnels à Villejuif, pour un
échange avec une expérience du même genre, suite à un contact établi
pendant le colloque. A cette occasion, une cassette vidéo a été produite,
qui retrace l’ensemble de cette dynamique et permet de la présenter à des
non initiés.
Tout cela ayant eu pour effet, selon les acteurs concernés :
- de faire redécouvrir leur histoire aux enfants,
- d’engager une dynamique qui se poursuit au-delà de l’action “ en
dehors de nous, les professionnels : “ des gens qui ne se seraient
jamais parlé avant et qui, parce qu’il se sont sentis respectés, non pas
écoutés, mais entendus, s’expriment plus volontiers et osent prendre la
parole en réunion publique ”.
- une grande “ richesse des échanges entre les professionnels et les
familles ” et le passage “ d’une participation volontaire à un
engagement institutionnel. ”
4. Le point de vue de la Mission GPV
Que pense-ton et dit-on de ces actions, du côté de l’équipe du Grand
Projet de Ville ?
D’une part, on est conscient de la division ambiante, du fait qu’à La
Duchère, différents groupes parlent chacun de leur côté (“ c’est un village
gaulois ”) ; que l’auteur du 1er livre passe mieux avec les personnes
âgées, le public des “ militants ” et celui des anciens rapatriés (“ qui n’ont
pas fait le deuil de l’Algérie, et qui doivent à nouveau partir ”), tandis que
les histoires familiales “ sont beaucoup plus dans l’interculturalité, avec en
ligne de mire l’insertion des personnes ”
D’autre part, on reconnaît qu’il y a des mémoires… , on s’interroge sur
“ qui a la parole ? ”, au-delà d’une frange de militants, qualifiés au détour
d’une phrase de nomenklatura, ou encore de “ petits blancs ”. On
s’interroge aussi sur la légitimité des paroles produites, et on se dit par
ailleurs “ assez démunis de choses sérieuses, scientifiques… ”
On se demande donc comment “ remettre du lien ”, comment rapprocher
les équipements socio-culturels, produire un projet culturel global,
dans lequel chacun trouverait sa place ? En même temps, comment faire
face aux tensions liées aux démolitions, aux relogements, “ à tous ces
problèmes auxquels on ne s’attendait pas, cet attachement des gens… ? ”
“ Avant ils disaient : c’est un quartier difficile, c’est sale, il y a de
l’insécurité et aujourd’hui, les mêmes disent : pourquoi vous voulez tout
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changer, c’était bien…, tout le monde était bien ensemble… ” “ On parle de
banlieue, de mal être, et en fait on se rend compte que les gens tiennent à
leur quartier, à leur appartement. C’est très difficile… ”
Pour répondre à toutes ces questions, on pense qu’il faut “ faire s’exprimer
tout le monde, pas seulement les militants qui prenant la parole
facilement ”. Il faut “ prendre en compte la parole des sans voix ”, “ ceux
qui sont mal informés, sous-informés, ceux qui subissent le projet. Aller
chercher ce public-là et essayer de convaincre sur ce projet ”
D’où les dernières actions engagées, qui visent en quelque sorte à
mélanger les acteurs locaux :
- En 2003, l’équipe passe commande à l’auteur du 1er livre d’un travail qui
reprendrait la méthodologie des Histoires Familiales, et on demande à la
compagnie artistique de “ traduire ces paroles par le théâtre ” : c’est la
lecture-spectacle “ Ma Duchère ”.
- Puis, l’équipe du GPV passe commande à un nouvel opérateur (extérieur
au quartier), l’association “ Moderniser sans exclure ”, qu’elle charge d’une
mission intitulée “ Mémoires au futur ”. Mission à laquelle sont invités à
participer les acteurs des deux “ mondes ”, dans le cadre d’un groupe de
réflexion. MSE, dont l’implantation a été difficile du fait qu’ils étaient
missionnés par le GPV (dans une démarche d’auto-valorisation qui
s’appuie notamment sur l’outil vidéo) “ donne la parole à toutes sortes de
gens ” (adultes, jeunes et enfants), lors de la démolition, chez eux, via
différents réseaux, les interroge sur le quartier, le projet, mais aussi sur
eux, leur passé… Le tout est filmé, et les rushes servent d’outil de travail
au GPV, aux décideurs, aux associations… Cela permet selon l’équipe GPV
de “ voir l’état d’information du public, de voir comment le projet est
appréhendé ”. En même temps, “ c’est une manière de garder des traces,
comme les livres, les spectacles, les histoires familiales ”.
- Enfin, on pense aussi passer commande d’une fresque murale à un
groupe de plasticiens spécialisés sur l’identité urbaine, qui reprendront
tous les travaux sur la mémoire et projettent de peindre, sur le pignon
d’une des barres restantes, une sorte d’histoire du quartier, avec une
décennie par étage, jusqu’à la Duchère de demain…
Tout cela pourquoi ?
- “ Parce qu’on ne peut pas appréhender le futur si on n’a pas des
éléments d’histoire… ”
- “ Parce que le travail sur la mémoire peut être une manière d’objectiver
le passé, de cesser de fantasmer… ”
- “ Et pour les futurs habitants : la configuration sociologique de la
Duchère de demain sera différente, la mixité sociale passe par la
production de logement en accession à la propriété, de différents
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standings, qui vont attirer de jeunes couples, venus d’ailleurs. Ce travail
sur la mémoire peut permettre en quelque sorte de les accueillir. Ils vont
venir sur un quartier qui a une histoire, à laquelle ils pourront tout de
suite avoir accès. Les habitants actuels vont transmettre cette histoire aux
nouveaux, qui la continueront… ça fera partie de l’accueil. (…). Le passé
est important, mais pour nourrir le futur. Le projet urbain a été mal
ressenti parce que les gens se sont un peu figés sur leur passé. Il y a une
peur du futur… alors qu’il s’agit d’améliorer le quartier. Nous sommes
garants de ce passage ”.
CONCLUSION : LE BESOIN DE RECHERCHE
Aujourd’hui, le recours à la mémoire (des lieux, des gens…) semble à la
mode. Encouragées par certaines politiques publiques, les actions visant
au recueil de témoignages, à la mise en scène de mémoires collectives,
de mémoires de quartiers ou de villes se multiplient. Dans
l’agglomération lyonnaise, plusieurs dizaines d’initiatives sont en cours
dans ce domaine. Conduites par des associations, des artistes ou plus
rarement des institutions, elles dévoilent des parcelles de l’Histoire
commune de cette grande métropole, qui s’est construite par
entrecroisement de trajets individuels et de mouvements sociaux,
agrégation — toujours en cours — de migrations d’origine rurale ou
étrangères.
Alors qu’il pourrait constituer une formidable chance pour travailler
l’image, l’identité et la cohésion de l’agglomération, le foisonnement
de ces actions mémorielles pose problème :
-
d’une part, il se réalise dans le désordre, sans véritable réflexion
méthodologique sur les conditions de recueil des témoignages ou
sur leur analyse, et sans que soit établi de lien entre les mémoires
des uns et celles des autres (alors que les différents groupes de
population ont pourtant circulé par-delà les limites communales) ;
-
d’autre part, il est mené la plupart du temps sans lien avec les
archives historiques (des collectivités, des entreprises, des
musées…) et en dehors d’un processus de capitalisation qui
permettrait de construire sur l’édifice pluriel des mémoires vivantes
le sentiment d’une appartenance commune, d’un sens partagé, d’une
profondeur historique.
Ainsi, ce qui pourrait constituer une richesse exceptionnelle — la
mémoire des populations qui ont construit l’agglomération lyonnaise, qui,
par leurs mobilités, leurs investissements, leur ancrage local ont contribué
à son identité et à sa puissance actuelle — demeure inexploité à l’échelle
de la métropole. Plus grave, le travail de la mémoire de certains groupes
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de population se fait aux dépens de celle d’autres groupes, avec le risque
d’accentuer, par la négation ou l’approximation historique, des
divisions ou des conflits profondément ancrés dans le passé local.
Dans ce contexte, il semble urgent de rétablir deux types de liaisons :
-entre mémoires et Histoire,
-entre initiatives locales et logique d’agglomération.
Cela passe par la réintroduction d’un minimum de scientificité autour
des actions mémorielles en cours.
C’est l’idée qui sous-tend le projet “ d’appel d’offres de recherches
territorialisées ” lancé par le Ministère de la Culture, en lien avec la DIV
et le Fasild.
Expérimental — dans la mesure où il est préparé avec les collectivités
locales — ce programme pourrait permettre de faire intervenir des
chercheurs (historiens, sociologues, ethnologues, psycho-sociologues…) en
accompagnement des acteurs aujourd’hui mobilisés sur la question
mémorielle, dans le cadre d’un dispositif de recherche-action ou
d’animation à inventer.
Plusieurs objets communs à différentes collectivités pourraient être
retenus. On pourrait ainsi imaginer des travaux portant sur :
-
Les mouvements de population liés aux transformations économiques
et résidentielles de l’agglomération (par exemple à travers des
histoires familiales).
L’école, lieu de construction de mémoires partagées ?
La constitution de nouvelles classes moyennes issues de
l’immigration : quelle mémoire locale ?
Les mémoires liées aux mondes du travail non ouvrier (BTP,
professions socio-médicales, commerce…).
Pratiques culturelles et de loisirs entre centre et périphérie : vers une
mémoire d’agglomération ?
Pieds-Noirs et Maghrébins dans l’agglomération : entre familiarité et
amnésie.
Anciens ruraux, nouveaux citadins : le jardin, lieu de mémoire
partagé pour différentes communautés ?
Comment l’Art se saisit-il de la mémoire ?
Mémoires dans la ville et projet urbain.
La construction de la mémoire collective, entre raison et émotion.
Mémoire collective, identité urbaine et travail de deuil.
Conflits de mémoires.
Mémoires des bidonvilles.
Des mémoires au musée : quel parcours ?
Etc.
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Des territoires exemplaires pourraient aussi être choisis pour mener de
telles investigations :
- quartiers ayant servi de “ portes d’entrée ” des migrants dans la ville
au fil des décennies ;
- zones frontières entre plusieurs communes ;
- territoires de “ centralité secondaire ”, drainant des populations de
toute l’agglomération (ex : le Parc de Miribel Jonage, les berges du
Rhône, Perrache, les Gratte-Ciel, l’Hippodrome, le campus de La Doua
ou celui de Bron…).
La Ville de Lyon est prête à participer à un tel programme, qui n’aurait
cependant de sens qu’à la condition de l’implication d’autres
collectivités de l’agglomération. Les grandes institutions qui
contribuent à l’archivage des documents historiques, à leur conservation
ou à leur valorisation (services des archives, services culturels,
bibliothèques, musées…) devraient également être mobilisées dans la
démarche, selon des modalités à inventer.
Parallèlement, l’idée d’une mise en réseau des actions, des acteurs et
des ressources liées à la mémoire de l’agglomération devrait être
concrétisée.
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