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TRAVAIL AU NOIR
Source : Télérama
C’est un Londres encore plus inquiétant qu’on retrouve dans Travail au noir (1982) : des ouvriers polonais y débarquent, engagés par un riche
compatriote, et s’enferment dans un appartement, le temps d’un chantier au noir. Parmi eux, un contremaître (Jeremy Irons, formidable de
tension) qui leur cache la nouvelle de l’état d’urgence proclamé en Pologne et qui s’isole de plus en plus dans le mensonge, jusqu’aux portes de
la folie. Ballet grotesque et angoissant, le film fait écho à l’exil forcé de Skolimowski (chassé de son pays après un film particulièrement féroce).
Et plus largement à la condition de l’homme, bien nulle part, pris au piège partout.
Par Jacques Morice
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Source : Le Nouvel Obs
« Travail au noir » (1982) décrit la vie de quatre ouvriers polonais venus rénover clandestinement la maison london riche compatriote et dont le
chef (Jeremy Irons) se trouve devoir leur cacher que l'état de siège a été décrété dans leur pays. C'est drôle et noir, incisif et intelligent,
superbement écrit, filmé et mise en scène, ce sont deux [Travail aux noir et Deep end] absolues petites merveilles.
Par Pascal Merigeau
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Source : Libération
Jerzy Skolimowski est un cinéaste inégal mais ce film-là, son chef-d'oeuvre, est exceptionnel à tous points de vue. L'histoire est on ne peut plus
banale: un polonais gentiment installé à Londres entreprend de faire venir illégalement des ouvriers pour retaper de fond en comble sa maison.
Les ouvriers, qui ne parlent bien sûr pas un mot d'anglais, amènent dans leurs bagages tous les outils nécessaires à ce «travail au noir». Dans une
frénésie quart mondiste, isolés de toute vie extérieure, ils usent leurs pauvres vies à ce travail abrutissant et dépersonnalisant. Economisant
jusqu'au moin-dre penny pour leurs rations de nourriture, avec, en luxe i-nouï, une télé pourrie pour les matches de foot qui bien sûr rend vite
l'âme, les laissant à leur désespoir. Filmé dans un style haletant, entre documentaire BBC et fiction école de Lodz, Travail au noir porte à la
perfection les promesses parfois inabouties des premiers films saisissants de Skolimovski, du trivial et comiquement viril Walkover au godardien
Départ. Ici, dans cet exercice de style pour une fois messagériement lunaire (Moonlighting est le titre original), Skolimoski documente d'un ton
hagard à la fois la condition extrêmement abrutissante de l'immigré exploité, sa soif ahurie du pays natal, cette Pologne si catholique et buveuse,
sans oublier la nature profonde de l'univers londonien, jamais aussi brutalement décrit auparavant.
Au fond, c'est sans doute l'histoire elle-même, son actualité rutilante, sa part d'autobiographie à peine décalée, qui provoquent en nous une telle
émotion immédiate et con-temporaine à la fois. Il y a ici du mimodrame social, du message, ce qu'on appelait hardiment hier du contenu. Il
surnage à tous les maniérismes documentaires du cinéaste, même les plus conséquents, même les plus bruts, même les plus brutaux. Ce fond de
vérité était là hier, il est là aujourd'hui, il sera encore là demain. C'est une leçon de morale on ne peut plus vive, vivante. Et une leçon, toutes
politiques confondues, ça ne s'enterre pas, ça s'écoute.
Par SKORECKI Louis
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Source : LES CAHIERS
On retrouve cette résistance matérielle du monde dans Travail au noir (1982), où sa portée devient plus politique que psychologique. Dans ce
film, un groupe d’ouvriers polonais, emmené par Nowak, se rend à Londres pour rénover une maison. Ils n’ont que la durée de leur visa
touristique pour mener à bien le chantier. Quand l'état de guerre est déclaré en Pologne, seul Nowak, l'anglophone du groupe, l'apprend, et décide
de ne rien dire aux autres jusqu'à ce que la maison soit terminée. Le film est rythmé par un emploi du comptée, par l'avancement des travaux, le
décompte des dépenses, puis les combines de Nowak pour cacher la vérité et voler leur subsistance. Une surcharge d'ordures refusées par le
service de nettoyage de la ville ou un plafond crevé prennent l'ampleur de véritables catastrophes. Pendant que «ses » hommes ont la tête et le
cœur (leurs femmes) en Pologne, Nowak s'emploie exclusivement à composer avec l'hostilité de leur environnement immédiat, dans une autre
forme de délire, plus froid, faussement rationnel. Ce grand écart fait l'humour, la noirceur et, à nouveau, l'extrême tension du film, dans un tout
autre registre, plus poisseux, plus inquiétant. La mauvaise conscience de Nowak – relais d'un système d'exploitation qui semble observer son
propre détachement - nimbe le film d'une belle et terrible amertume. •
Par Florence Maillard
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Source : Les inrocks
Douze ans après Deep End, Skolimowski réalise un deuxième chef-d’œuvre à Londres, Travail au noir. Un film ouvertement politique, mais
avant tout une aventure humaine absurde et obsessionnelle, comme toujours chez le cinéaste.
Décidé et filmé dans l’urgence, Travail au noir répond au traumatisme du coup d’Etat polonais de décembre 1981, vécu de loin par l’exilé
perpétuel Skolimowski.
Le contremaître Nowak et trois maçons polonais viennent travailler au noir à Londres pour effectuer des travaux dans la maison d’un riche
compatriote. Lorsque Nowak, le seul à parler anglais, apprend la nouvelle du coup d’Etat militaire, il décide de ne pas en informer les ouvriers,
de les maintenir dans un état d’ignorance et de retarder le plus possible l’échéance de leur retour impossible au pays.
Encore un film de claustration, Travail au noir est l’histoire d’un projet insensé voué à l’échec, et la métaphore astucieuse de la douleur d’un
pays et de ses exilés. Jeremy Irons, plus que crédible en travailleur polonais, y livre une performance extraordinaire.
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Source : l’express
Travail au noir de Jerzy Skolimowski
Quatre Polonais viennent faire un chantier à Londres. Pendant ce temps, Jaruzelski prend le pouvoir en Pologne. Une comédie au vitriol réalisée
dans l'urgence par un Skolimowski en exil, qui signe son film le plus populaire - et le plus réussi. Note: 10/10
Par Eric Libiot et Christophe Carriere
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Source : Critikat
De Jerzy Skolimowski, on connaît – et on redécouvre dans les salles ces derniers mois, avec les reprises longtemps attendues de ses films – le
goût pour les errances intériorisées guettées par le néant. Mais rarement, dans son œuvre, cette figure aura trouvé une résonance politique et
sociale aussi puissante que dans Travail au noir. En 1982, la lutte d’une partie de la classe ouvrière polonaise contre le totalitarisme de la
« République populaire » inspirait au cinéaste alors émigré en Grande-Bretagne cette parabole implacable, qui mettait dos à dos les idéologies en
faisant de la valeur travail une entité monstrueuse devant laquelle les hommes s’agenouillent, quitte à se dévorer entre eux. L’idée, il faut bien le
dire, surplombe aujourd’hui de la même hauteur les prises de position partisanes, tandis que sa présence incarnation cinématographique brille
d’un éclat charbonneux.
1981 : tandis que la reconnaissance du syndicat indépendant Solidarność laisse espérer à la Pologne un printemps politique, quatre ouvriers, bien
loin semble-t-il de préoccupations aussi idéalistes que la protection des travailleurs, sont envoyés à Londres par un fonctionnaire local pour
effectuer clandestinement la réfection d’une maison dont ce dernier compte faire sa résidence secondaire. L’un d’eux, Nowak (Jeremy Irons),
seul des quatre à parler l’anglais, s’impose de facto comme le leader bienveillant, mais autoritaire du groupe. Il est aussi le seul intermédiaire
entre le groupe et le reste du monde, à commencer par le spectateur, avec sa morne voix off livrant son for intérieur, sa vision, la vérité derrière
ses mensonges – en anglais, tandis que les échanges en polonais se limitent à des phrases brèves et souvent impératives, sans sous-titres, dont on
ne perçoit que la brutalité. La position avantageuse de Nowak le conduit immanquablement à l’abus de pouvoir : l’hiver suivant, lorsque la
Pologne est coupée du monde par la loi martiale, il occulte par tous les moyens la nouvelle à ses camarades pour ne pas risquer l’interruption des
travaux.
Mais cette voix off supposée omnisciente est elle-même trop morne pour convaincre tout à fait de l’assurance du narrateur, semble se parler à
elle-même, ou peut-être dans le vide – une fois, il se surprend à se répéter comme s’il était en état second. Nowak s’égare lui-même, écartelé
entre des images projetées par un écran de télévision éteint et la photo d’un être aimé laissé derrière lui, images dont on ne sait laquelle relève du
réel ou de l’illusion. Cependant, il manipule, reproduit le système d’exploitation et de mensonge par lequel les dictatures règnent et les
démocraties se contournent, mais aux yeux de Skolimowski, ses manœuvres peinent à apparaître autrement que dérisoires face à la précarité de sa
situation : l’homme n’est que le plus haut placé des jouets d’un système plus grand que lui, et qui dépasse de très loin l’affrontement idéologique
qui coupe alors le monde en deux. Il y a évidemment le statut particulier des travailleurs clandestins : réfugiés dans un pli de la société, comme
hors monde, à la merci du moindre exploiteur de l’Est comme de l’Ouest, car de leur labeur profitent non seulement le fonctionnaire de l’État
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communiste, mais aussi le voisinage à la correction de façade so British qui, tout en feignant d’ignorer leur illégalité, n’hésite pas à décharger
chez eux ses ordures ménagères et son fond de poubelle xénophobe. Cette lutte de classes quotidienne donne de délicieux moments d’humour
absurde, légers au regard du film et néanmoins grinçants, où système D des illégaux et violence sociale larvée se renvoient la balle comme dans
un concours de vols.
Mais pour ajouter à l’absurde, la maison sur laquelle ils s’acharnent chaque jour – et bientôt chaque nuit – métaphorise une autre servitude, plus
abstraite, plus profondément enracinée, plus vicieuse : celle au travail. À travers eux – y compris Nowak qui, quoi qu’il fasse, partage la misère
de ses camarades –, Skolimowski montre le travailleur sous le jour le plus pessimiste qui soit : un pantin de son propre labeur auquel sa vie reste
accrochée, formé à ne plus pouvoir s’en détacher, au point que dès que l’espoir d’un peu de répit – comme un écran de télévision – s’éteint, il
reprend sa tâche avec plus d’acharnement que jamais. L’objet de leur travail ne leur est guère reconnaissant de leurs efforts : baignée dans une
photographie grisâtre, la maison craque de partout, débris, nuages de poussière et flots d’eaux usées viennent obstruer les plans et engloutir les
personnages. Mais la bâtisse aux accents de demeure maudite n’en reste pas moins l’unique raison d’existence de ces hommes, au point que le
pire châtiment que l’un d’eux puisse subir est d’en être expulsé. Les ouvriers peuvent à la rigueur se passer de chef – lorsque l’autorité de Nowak
se trouve ébranlée – mais sans travail, leur vie se résume à un vide, ou moins à des espoirs inaccessibles. La fin du film en arrive là : leur tâche
achevée et l’heure venue de rendre des comptes, le seul horizon qui s’offre à eux n’est que ténèbres. Avec la force d’une poésie brute,
Skolimowski ne se contente pas de mettre les régimes capitaliste et communiste sur le même plan d’excuses aux bassesses sociales : il récuse
même les certitudes des théories et utopies sur ce fondement économique et social qu’est le travail, en offrant sur la question une vision abstraite
aux prolongements pour le moins dérangeants sur la primalité de la psyché humaine.
Par Benoît Smith
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Source : avoir-alire
Métaphore politique de la situation critique de la Pologne au début des années 80, Travail au noir est une critique acerbe des systèmes
communiste et capitaliste. Trente ans après, son amer constat est encore d’actualité.
Notre avis : Alors qu’il vient tout juste de refaire parler de lui avec la sortie très médiatisée de son étrange Essential killing (2011), le cinéaste
polonais Jerzy Skolimowski est à nouveau sous les feux de l’actualité cet été avec la reprise d’un de ses films phare du début des années 80, le
prophétique Travail au noir (1982). Tandis que la Pologne connaît une tentative de libéralisation de son système par le syndicat Solidarnosc
violemment réprimée par le général Jaruzelski, Jerzy Skolimowski traite de ce brûlant sujet d’actualité de manière détournée. Au lieu de parler
frontalement du durcissement du régime communiste, il préfère suivre les pas d’immigrés polonais chargés par leur patron de réfectionner une
vieille maison londonienne. Cette histoire n’est finalement qu’un prétexte permettant à son auteur d’analyser à la fois les dérives du système
communiste,
tout
en
égratignant
fortement
les
défauts
du
capitalisme.
A l’aide d’une musique électronique pesante, le cinéaste présente l’Angleterre comme une terre étrangère aux us et coutumes mystérieuses. Les
habitants ne sont guère accueillants et font même preuve d’un chauvinisme exacerbé contre ces étrangers qui viennent prendre leur travail. Vu
entièrement à travers les yeux de Novak (Jeremy Irons, of course), ce périple londonien tient davantage du parcours du combattant que de la
balade touristique. Ainsi, le cinéaste se fait déjà le témoin de certaines dérives du système capitaliste comme l’outrance de la société de
consommation, l’obsession de la sécurité face à une jeunesse ne respectant plus rien. Toutefois, ce regard critique n’épargne pas non plus un
système communiste où règnent la suspicion (on évoque notamment la mise sur écoute des citoyens), les inégalités sociales (on apprend que le
personnage de Novak est un sous-fifre face à son patron tout-puissant) et une absence totale de biens de consommation courante.
Outre cette dimension purement politique, Travail au noir se veut également une habile métaphore sur les rapports de pouvoir. Novak, interprété
avec beaucoup d’intériorité par l’excellent Jeremy Irons, s’érige en dirigeant du groupe d’immigrés car il possède une science faisant défaut aux
autres : il parle anglais. Avec beaucoup de finesse, Skolimowski montre à quel point un être humain est capable de se comporter en tyran à partir
du moment où il détient un pouvoir, même infime. A ce niveau, le personnage de Novak peut même être considéré comme une incarnation du
régime polonais qui contraint ses citoyens à l’isolement. Grâce à une fine observation des rapports entre les individus, Travail au noir est donc
une œuvre enthousiasmante et parfaitement maîtrisée qui pose un regard froid, mais lucide, sur l’espèce humaine. De quoi amplement justifier le
Prix du scénario remporté par le cinéaste lors du festival de Cannes en 1982.
Par Virgile Dumez
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Source : Culturopoing
"Au lieu de vous écraser, ce libre génie vous libère. C’est sa vertu capitale",
Maurice Nadeau, à propos de Witold Gombrowicz
Les rééditions présentent l’intérêt d’offrir un éclairage nouveau à la fois sur l’œuvre qui fait l’objet de cette réédition mais également sur les
réalisations plus récentes de leurs auteurs. C’est du moins le cas pour la ressortie en salle, grâce à Splendor Films auquel s’associe
Culturopoing, de Moonlighting (Travail au noir), datant de 1982, de Jerzy Skolimowski alors que son dernier film, Essential Killing, est toujours
visible
sur
les
écrans.
En effet, un certain nombre de critiques, y compris sur Culturopoing, ont pu reprocher à Essential Killing sa "neutralité" vis-à-vis des sujets qu’il
évoque : le fondamentalisme musulman et les méthodes américaines "guantanamo-aboughraibiennes" notamment. D’autres, au contraire, saluent
un cinéma de la fuite et de la résistance, cinéma qui s’inscrit dans le prolongement des préoccupations, pour une part autobiographiques, de
Skolimowski, celui du Départ (1967) et de The Lightship (Le Bateau-Phare, 1986). Si nous jouons à l’historien, nous découvrons qu’un débat
similaire
animait
déjà
le
monde
de
la
critique
française
lors
de
la
sortie
de
Moonlighting.
A propos de ce film qui raconte comment quatre ouvriers polonais retapent, au noir, une maison à Londres entre le 5 décembre 1981 et le 5
janvier 1982, on peut trouver, dans la presse de l’époque, des positions également contrastées. D’une part, certains estiment que les événements
polonais (le coup d’état militaire de Jaruzelski a lieu pendant le séjour des ouvriers) sont traités de manière superficielle et désinvolte (Mireille
Amiel in Cinéma 83, n°289, janvier 1983, p. 52). Pour eux, les trois ouvriers sont présentés comme des imbéciles tout au long du film et leur
contremaître, lui seul parlant l’anglais, ne manifeste qu’une curiosité relative aux nouvelles qu’il reçoit de la situation en Pologne, situation qu’il
décide de cacher à ses compagnons afin de permettre au chantier de se poursuivre. D’autre part, les tenants d’un avis contraire défendaient le film
pour ces défauts justement, rappelant la vieille opposition godardienne distinguant les films à "sujets" ostentatoirement politiques qu’ils
opposaient aux cinéastes qui font politiquement des films. Selon ces critiques, Jerzy Skolimowski appartient à cette dernière catégorie alors que
Costa-Gavras, qui sortait Missing au même moment que Moonlighting, serait l’exemple type de la première façon de faire. Les auteurs de ces
articles voient dans l’attitude de Skolimowski, son refus de prendre position pour Solidarnosc contre Jaruzelski et ses sbires, une forme
d’honnêteté intellectuelle et esthétique. En exil politique depuis plus de dix ans en Angleterre, Skolimowski parle à travers son film, "non de la
Pologne, mais de son manque à la parler" (Alain Carbonnier in Cinéma 83, n°290, février 1983, p.36).
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Pourtant, la vision de Moonlighting en 2011 donne le sentiment qu’il serait tout à fait possible de donner raison aussi bien aux contempteurs du
film qu’à ses supporters. Il y a bien de la légèreté dans le traitement du sujet et, certainement, une grande authenticité dans les intentions de
Skolimowski d’aborder humblement le conflit polonais. Ce qu’apporte la distance que nous avons sur les regards politisés qui, à l’époque,
englobaient systématiquement la vision extra-cinématographique d’une Pologne alors déchirée pour lire Moonlighting, c’est une possibilité de
mieux
saisir
aujourd’hui
l’aspect
fuyant
de
cette
œuvre.
On peut avancer que l’enjeu, chez Skolimowski, est ailleurs que dans le politique. Il est plutôt motivé par la volonté de décrire ce qu’André Bazin
appelait "une vision essentielle du monde", vision construite sur la distance maximale qui peut exister entre deux actions : des chars entrent dans
Varsovie, un homme cache sa casquette pour voler une dinde dans un Monoprix anglais. Jerzy Skolimowski est un des rares cinéastes vivants
capable de mettre en scène un gag comme le faisaient les grands cinéastes du burlesque pour lesquels il a une très grande admiration. Il y en a
d’ailleurs plusieurs de ces gags dans Moonlighting où "le héros est comme un point minuscule englobé dans un milieu immense et
catastrophique, dans un espace à transformation" (Gilles Deleuze à propos de Chaplin et Keaton, L’Image-Mouvement, Paris, Editions de
Minuit, 1983, p. 237). Incontestablement, à l’image de la Pologne envahie, la maison en cours de rénovation est un bon exemple d’"espace à
transformation", vraie "maison démontable", avec ses murs qui s’écroulent, ses canalisations qui fuient et ses fils électriques dénudés. L’humour
absurde des situations découle de cet écart entre des gestes minuscules et l’univers qui les englobe, de là aussi le pessimisme foncier du film de
Skolimowski. Malgré sa volonté de bien-faire, le contremaître, interprété par Jeremy Irons avec beaucoup de subtilité et une économie de moyens
très "keatonienne", accumule les bourdes (l’achat d’un téléviseur de seconde main qui ne marche pas, le vol de son vélo, etc.) et se laisse
dépasser par le comportement agressif des Anglais qu’il rencontre. Jerzy Skolimowski avoue dans un entretien datant de 1984 (in Cinéma 84,
juillet-août 1984, pp. 26-27) avoir voulu porter un regard féroce sur l’Angleterre et ses habitants, utilisant ses clandestins pour mettre en évidence
les travers de la mentalité anglaise.
Cependant, à nouveau, l’essentiel du film ne tient pas, non plus, dans la critique acide de l’Angleterre. La réponse serait plutôt à chercher dans
l’"immaturité" du contremaître de Moonlighting. Celle-ci, complètement assumée par Skolimowski et elle aussi héritée du cinéma burlesque, le
fascine depuis longtemps. Il partage d’ailleurs cet intérêt avec son compatriote, l’écrivain Witold Gombrowicz dont il a adapté Ferdydurke
(1991). Cette immaturité apparaissait déjà chez les adolescents inexpérimentés du Départ et de Deep End (1971) et se manifeste à nouveau chez
les ouvriers de Moonlighting ou, dernièrement, chez le taliban d’Essential Killing. Dans Moonlighting, elle gagne également la forme du récit
raconté par la voix off peu assurée du contremaître, ce qui permet à Jerzy Skolimowski d’alterner une mise en scène tantôt réaliste, tantôt
humoristique, sans souci d’homogénéité et sur un ton enlevé. Ce ton est dû pour une part aux conditions de réalisation : "écrit en onze jours, la
pré-production a duré deux semaines, le tournage vingt-trois jours sans arrêter ni les samedis ni les dimanches" comme le précise Jerzy
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Skolimowski dans un entretien accordé aux Cahiers du Cinéma en juillet 1982. Les conditions de tournage du film rejoignent ici son propre
sujet. Grâce à ce procédé, Skolimowski conteste de l’intérieur le genre qu’il adopte, ici le film politique, et force l’époque à abandonner un peu
de son sérieux par une dérision toujours présente vis-à-vis de son héros et de son propos. On touche là peut-être à ce qui a échappé à la critique
française contemporaine de Moonlighting, une critique habituée aux classifications binaires (faire un film politique ou politiquement un film)
dans lesquelles n’entre pas le film de Skolimowski. Ce dernier, héritier d’une tradition littéraire propre à l’Europe de l’Est (celle de Gombrowicz,
Déry, Hlakso), développe au contraire un univers paradoxal qui ne repose ni sur le silence, ni sur l’engagement, mais sur la critique distanciée de
toute forme établie.
Peut-être pour cette raison, le cinéma de Jerzy Skolimowski demeure méconnu, malgré les ressorties, malgré les hommages (comme celui que lui
consacre le Festival Paris Cinéma pour l’instant), ou malgré son retour au cinéma avec Quatre nuits avec Anna, en 2008, après une éclipse de
dix-sept ans. Comme l’écrit Cyril Cossardeaux dans son article sur Essential Killing, article évoqué ci-dessus, les films de Skolimowski "révèlent
souvent une hétérogénéité de thématiques et de styles assez rare chez un cinéaste que l’on peut pourtant incontestablement ranger dans la
catégorie des "auteurs". Gageons d’ailleurs que cette image un peu brouillée a contribué à en faire un réalisateur encore largement sous-estimé
et plutôt méconnu d’un public plus large que celui des cinéphiles avertis". En cela, Jerzy Skolimowski rejoint Monte Hellman dont le dernier
film, Road to Nowhere, a rencontré les mêmes problèmes de compréhension et de réception publique. A l’opposé d’autres cinéastes de leur
génération, Terrence Malick et Roman Polanski avec lesquels ils ont souvent été rapprochés, Monte Hellman et Jerzy Skolimowski ont réussi à
éviter de se "faire la gueule" de l’Auteur dont on attend la prochaine œuvre en espérant y retrouver les signes de reconnaissance de la précédente.
Dans leurs films, ils se préservent un pouvoir de renouvellement, une certaine jeunesse, par une attitude qui, comme nous avons essayé de le
démontrer à travers cette critique de Moonlighting, échappe aux attentes et catégorisations faciles. Moins tournés vers l’affirmation d’eux-mêmes
comme artistes produisant des œuvres qui se veulent « parfaites », inspirées par Kubrick ou Hitchcock (The Tree of Life ou The Ghost Writer),
Monte Hellman et Jerzy Skolimowski préfèrent reposer éternellement la question "qu’est-ce que le cinéma ?", - par les jeux avec les genres chez
l’un, l’humour distancié chez l’autre, l’intelligence sûre d’elle-même et de ses effets chez les deux -, plutôt que de chercher à y répondre.
Par Alain Hertay
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Source : l’officiel des Spectacles
Travail au noir aborde avec un constant humour les situations les plus sombres. Le film obtint le Prix du Meilleur scénario au Festival de Cannes
1982.
Par André Marinier
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