Le Colonel - maseratitude
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Le Colonel - maseratitude
Le Colonel Comment résumer en aussi peu de mots que possible la trajectoire d'un homme, a fortiori d'un tel homme ? Américain, héros de la deuxième guerre mondiale, le colonel John Horace Simone fut pilote automobile après la guerre. Il renonça à la compétition par amour pour sa compagne, l'actrice Junie Astor, devint importateur Maserati pour la France puis n'eut de cesse, de 1962 à 1965, de tenter d'imposer sa propre Maserati semi privée (la 151 et ses dérivées sur le même châssis) aux 24 heures du Mans, pilotes professionnels au volant. Il ne parvint pas, faute de moyens (une seule voiture engagée à chaque fois) et peut-être de préparation suffisante, à battre l'armada des Ferrari usines et privées qui, à cette époque, monopolisaient les podiums. Mais son courage et sa ténacité émurent le public autant que ses voitures l'impressionnèrent et il inscrivit, par sa lutte inégale mais pourtant très vaillante, quelques belles pages de l'histoire du sport automobile. John Simone et Junie Astor trouvèrent ensemble la mort en 1967 dans un accident de la route, à bord de leur Maserati Mistral. Voici brossé, en quelques coups de pinceaux, le portrait d'un personnage qui intéressera un jour ou l'autre l'industrie cinématographique par le romanesque de sa vie et a déjà inspiré un très beau livre à l'excellent Michel Bollée : "la Maserati du colonel", dont j'ai essayé, dans les lignes qui suivent, de tirer la quintessence mais que je recommande pour sa grande précision historique et pour la beauté de ses photographies. John Horace Simone naquit à Paris en 1913 d'un père diplomate américain et d'une mère française. Il passa son enfance à Londres puis à Genève où son père fut en poste à la Société Des Nations. Quand les États Unis entrèrent en guerre fin 1941, John devint officier de renseignement dans l'US Air Force. Par la suite, sa mission fut de recueillir le plus d'information possible, notamment auprès de la Résistance, sur les pays occupés par l'armée allemande, en particulier la France, afin de cibler précisément les objectifs des bombardements américains lors de la période du débarquement en Normandie. Ceci permit de limiter sur la population française ce que l'on appelle désormais pudiquement les dommages collatéraux. Pour cela, en 1947, John Simone fut promu par le président Vincent Auriol au rang de Chevalier de la Légion d'Honneur. Dès l'après guerre, notre homme rencontra à Paris l'actrice française Junie Astor qui fut très célèbre dans les années 30 (citons notamment "les bas-fonds" de Jean Renoir en 1936 avec Jean Gabin). Ils ne se quitteront plus jusque dans leur mort commune en 1967, mais revenons au début des années 50, quand John devint pilote automobile, courant sur ses propres voitures toujours blanches : une Jaguar XK 120 (8ième au tour de France auto 1951, 1er à la coupe du salon à Montlhéry en 1952) puis une barquette Jaguar type C (3ième à Agadir, 2ième à Marrakech, 2ième aux 12 heures d'Hyères en 1953) et enfin une Maserati A6 GCS 6 cylindres en ligne 2 litres en 1954. Cette superbe barquette eut beaucoup de succès auprès des gentlemen drivers des années 50 qui l'achetaient pour courir, convaincus par les 170 à 180 cv du moteur emmenant les 730 kg de la machine à plus de 235 km/h. Celle de John arborait les couleurs américaines : toute blanche avec une ligne bleue parcourant le milieu de l'auto.  John Simone dans sa Maserati A6GCS Il obtint avec elle quelques bons classements (3ième à Agadir, 3ième à Dakar, 2ième de la coupe de vitesse à Montlhéry, 6ième à Nîmes) mais sortit violemment de la route à Marrakech. Victime d'une sévère brûlure par le tuyau d'échappement et d'une fracture, il ne put participer aux 24 h du Mans 1954. Junie Astor, très angoissée depuis des années par les risques de la course automobile, lui demanda d'arrêter la compétition et, par amour, John Simone renonça au pilotage fin 1954 mais continua à faire courir sa jolie Maserati réparée avec Jean-Claude Vidilles au volant, sans grand succès cependant.  Le colonel acheta un garage à Paris, transféré par la suite à Saint-Cloud, et devint l'importateur officiel et exclusif (avec son associé Jean Thépenier) de Maserati pour la France. Cette affaire se révéla très lucrative car, juste à cette époque, Maserati changea de stratégie et presque de métier, cessant de produire quasi-uniquement des voitures de course pour se consacrer à un modèle routier de grand tourisme qui connut un beau succès : la 3500 GT, conçue par l'ingénieur Giulio Alfieri, dessinée par la carrosserie Touring à Milan, animée par un excellent 6 cylindres en ligne double allumage dérivant de la 300 S de course conduite par Stirling Moss lors des Mille Miglia 1956. pas moins de 2220 exemplaires de cette très belle auto furent produits de 1958 à 1964. Aux 24 heures du Mans 1958, John Simone et Jean Thépenier engagèrent en leur nom propre une barquette Maserati 200 S qui abandonna malheureusement à la troisième heure sur bris de transmission. Faute de moyens financiers suffisants, nos deux complices ne purent réitérer un engagement de voiture de course Maserati avant 1962 mais d'autres écuries privées le firent à leur place. Ainsi la célèbre écurie Camoradi de Lucky Casner (Casner Motor Racing Division) et celle de Briggs Cunningham, compatriotes américains et importateurs Maserati pour les USA, ainsi que la Scuderia Serenissima de Venise, firent courir des Maserati Birdcage (châssis tubulaire léger) tipo 60 (2 litres) et tipo 61 (3 litres) sans succès au Mans face à Ferrari, mais remportant de belles victoires aux 1000 kms du Nurburgring notamment avec Casner ou à Rouen en 1959 avec Stirling Moss. En 1962, John Simone parvint à trouver des sponsors ( le pétrolier BP, le marquis Philippe de Montaigu, fidèle client du garage Maserati de Saint-Cloud) et, avec Briggs Cunningham, il réussit à convaincre le président de Maserati, Omer Orsi, de développer une voiture spécialement pour les 24 heures du Mans, une voiture privée que l'usine leur vendrait, mais construite sur commande spéciale : ce fut la tipo 151.  Cette Maserati tipo 151, conçue par l'ingénieur Giulio Alfieri, dite "la Maserati du colonel", fut en fait réalisée en trois exemplaires. L'un de couleur rouge fut livrée à John Simone et Jean Thépenier ( Maserati France) et deux de couleur blanche avec deux lignes bleues longitudinales, caractéristiques des équipes américaines, rejoignirent le Team Cunningham.  La Maserati 151 rouge du colonel et les deux blanches du team Cunningham Cette voiture était très impressionnante à l'époque avec son long museau qui abritait un V8 issu de la 450 S ramené à 4 litres et développant 360 cv. Le capot moteur se situait si bas qu'il avait fallu réaliser un volumineux bosselage au centre pour loger les 4 carburateurs Weber.  La vitesse de pointe frôlait les 290 km/h dans la ligne droite des Hunaudières. Le point faible de la voiture se trouvait au niveau du pont arrière De Dion articulé, technique audacieuse et expérimentale, trop expérimentale pour cette édition 1962 des 24 heures du Mans.  La géométrie du pont supporta mal une petite touchette sur les fascines du pilote Maserati France, Maurice Trintignant, se dérégla et se mit à user les pneus arrières de façon très rapide ( moins de 10 tours) et fort dangereuse contraignant John Simone à déclarer forfait dans la nuit pour la sécurité de ses pilotes (un déchappage des pneus à 290 km/h eut été fatal). Les conséquences de la touchette de Trintignant étaient désastreuses car l'auto marchait magnifiquement par ailleurs et autorisait de grandes et justifiées prétentions dans cette course. Ainsi le colonel gardait confiance, malgré l'abandon des deux 151 du Team Cunningham, l'une sur sortie de route, l'autre sur bris de transmission au petit matin (elles connaîtront de nouvelles aventures aux USA). Il en fallait bien plus pour décourager John Simone qui renvoya son auto à Modène, à l'usine Maserati, pour une remise en condition durant l'hiver 1962-1963.  Le moteur fut remplacé par un V8 toujours dérivé de celui de la 450 S mais porté à 5 litres et 390 cv. Les carburateurs furent remplacés par une injection Lucas moins encombrante et la bosse sur le capot devint moins proéminente. Le pont De Dion articulé, responsable de l'abandon, céda la place à un pont rigide. Le châssis fut légèrement allongé et la carrosserie presque inchangée si ce ne furent des passages de roues élargis. Elle conserva sa teinte rouge de l'année précédente mais avec des bandes blanches et bleues dans l'axe longitudinal. Au Mans 1963, la suprématie en course de cette Maserati 151 remaniée sur les Ferrari et les Aston Martin fut manifeste et la Maserati du colonel connût ses heures de gloire, menant la course dès le premier tour avec André Simon et Lucky Casner se relayant au volant.  La 151 en tête au Mans devant la Ferrari Malheureusement, dans la soirée, ce fut de nouveau la déception. Au freinage de Mulsanne, au bout de la ligne droite des Hunaudières, la boîte de vitesse se bloqua en seconde, peut-être à la suite d'une erreur dans l'ordre de rétrogradage des vitesses. Cet endroit ne portait pas chance à "Lucky" Casner qui conduisait la 151 lors du blocage : il perdra la vie ici même deux ans plus tard. Mais revenons en 1962, la réparation aurait duré 2 heures : l'équipe Maserati France abandonna. Cette année là, plus encore qu'en 1962, sans cet incident, tous les espoirs de victoire étaient justifiés et permis. Plus tard dans la saison, l'auto se classa honorablement aux 3 heures d'Auvergne sur le circuit de Charade puis fut renvoyée à Modène comme tous les hivers.  La voiture fut déshabillée, le châssis mis à nu encore allongé et les voies élargies. Le moteur de 5 litres fut porté de 390 à 410 cv mais les plus grandes modifications concernèrent la carrosserie, totalement nouvelle et directement inspirée des consignes de John Simone. Cette nouvelle voiture, bien que reposant toujours sur le châssis d'origine de 1962 retouché, fut dénommée Maserati 152 et constitua la forme la plus aboutie des prototypes de voiture de course à moteur avant, plus évoluée et fine qu'une Ferrari 250 GTO par exemple. La 152 est très impressionnante et d'une finesse inouïe pour une voiture à moteur à l'avant. Le capot moteur est très bas, très plat et très long, le pilote assis juste devant les roues arrières, la poupe de l'auto ramassée et tronquée pour des raisons aérodynamiques. La vitesse dépasse les 320 km/h !  Pour les 24 heures du Mans 1964, le colonel avait retenu deux pilotes expérimentés connaissant déjà très bien la 151 et à l'aise dans la 152 : Maurice Trintignant et André Simon.  Le début de course fut comme d'habitude prometteur avec une 152 bien installée en troisième position derrière deux Ferrari mais dans la soirée, des ennuis de frein et une panne d'alternateur immobilisèrent la voiture. Une conduite de frein s'était rompue, peut-être lors d'une incartade d'André Simon dans le sable au virage d'Indianapolis. Un court circuit se produisit et la voiture dut abandonner. Nouvel échec pour John Simone malgré un potentiel bien réel face à des prototypes désormais à moteur central arrière comme les Ferrari 330 P et 275 P ou la Ford GT 40. Pour le troisième hiver consécutif, la Maserati du colonel repartit à Modène où elle bénéficia de modifications somme toute mineures tant elle représentait un aboutissement du concept de berlinette à moteur antérieur : puissance portée à 430 cv, freins avant avec des disques déportés en hors roues interne et peinture blanche avec deux bandes rouges encadrant une bleue en remplacement de la précédente teinte rouge de la carrosserie. John Simone baptisa 154 cette auto magnifique dont le châssis de base remontait à 1962.   Aux essais préliminaires du Mans, en avril 1965, ce fut le drame : la 154 décolla légèrement sur la bosse à la fin des Hunaudières avant Mulsanne et Lucky Casner à son volant ne parvint à la contrôler à la réception, ayant peut-être trop soulagé l'accélérateur durant le bref saut, engendrant un effet de freinage des roues arrières en sous régime lors de l'atterrissage. Pour peu que l'auto n'aie pas été parfaitement dans l'axe à ce moment, il s'ensuivit un dérapage incontrôlable et la voiture alla s'écraser à plus de 300 km/h sur des arbres proches, tuant le malheureux pilote. Quiconque d'autre que John Simone aurait jeté l'éponge à ce moment mais celui-ci sollicita une dernière fois Giulio Alfieri qui élabora en seulement 35 jours une barquette avec le V8 de 5 litres en position centrale arrière : la tipo 65.   La structure "Birdcage" de la Tipo 65 Cette auto fut livrée juste à temps pour les 24 heures du Mans 1965 mais sans aucune mise au point. Elle s'avéra extrêmement rapide aux essais mais aussi très instable et, après seulement 6 minutes de course, le pilote Suisse Jo Siffert ne parvint plus à la maîtriser, elle heurta des bottes de paille qui rompirent le radiateur d'eau. Cette fois-ci, c'en fut trop pour John Simone qui ne fit plus courir ses Maserati semi-privées. Il n'en reste pas moins que les quatre évolutions de sa Maserati 151 ont durablement impressionné le public de l'époque et les connaisseurs d'hier et d'aujourd'hui. Ces modèles uniques qui disparaissaient mais dont on conservait le châssis qui allait donner naissance dans l'hiver au bolide suivant ont vraiment enthousiasmé les foules. Le colonel Simone n'avait pu engager qu'une seule voiture chaque année au Mans alors que Ferrari faisait courir au moins six ou sept autos en comptant les privées, Aston Martin souvent deux ou trois, Ford jusqu'à quatre, diminuant les risques d'abandon total de toute l'écurie. Malgré ses quatre échecs successifs et le décès de son ami Lucky Casner, John Simone n'avait donc pas perdu le moral. Il avait fait de son mieux, était passé près de la victoire en 1962 et surtout en 1963, avait inspiré la réalisation de la dernière voiture à moteur avant compétitive en la 152 et n'avait rien à se reprocher si ce n'est d'avoir fait passer l'amitié avant la raison en confiant la 154 à Lucky Casner, pas au mieux de sa forme en 1965 alors qu'il avait été si brillant sur la Birdcage Camoradi au début de la décennie. Le prix à payer pour cette erreur avait été fort lourd mais John s'était repris, il avait refait surface, aidé par Junie Astor et par les affaires du garage de Saint-Cloud, florissantes. Après le beau succès commercial de la 3500 GT (dessinée par Touring), puis de la Sebring (MichelottiVignale) qui lui succéda, apparut en 1963 la Quattroporte I puis en 1964 la Mistral, toutes deux dues au dessinateur Pietro Frua. C'est John Simone qui suggéra à la famille Orsi, propriétaire de Maserati, le nom de Mistral pour le nouveau coupé, un nom évoquant la vitesse, le vent soufflant dans la vallée du Rhône et le luxueux train rapide reliant à l'époque Paris à la Côte d'Azur. La Mistral inaugura ainsi la longue série des Maserati portant des noms de vents : Ghibli, Bora, Merak, Khamsin, Karif suivirent la petite perle de Frua. Auréolé d'estime, tout allait pour le mieux pour le colonel en cet été1967 quand il quitta Paris à bord de sa Maserati Mistral personnelle, Junie Astor à ses côtés, à destination de leur appartement niçois où il devait déposer sa compagne avant de poursuivre sa route jusqu'à Modène pour y prendre livraison d'une nouvelle GT, probablement une Ghibli I. En 1967, fort peu d'autoroutes en France et point de limitations de vitesse. Si votre auto le permettait, et c'était largement le cas pour celle de John Simone, vous pouviez rouler à 240 km/h sur une route nationale entre des rangées de platane en toute légalité mais pas en toute sécurité. En Bourgogne près de Sainte Magnance, la RN 6 présentait un tronçon à trois voies. Le colonel roulait à très vive allure sur la voie du milieu quand, au sommet d'une petite côte, une voiture devant lui déboîta pour doubler sans avoir vu arriver la Mistral qui, ne pouvant freiner à temps, braqua à gauche sur la 3ième voie juste au sommet de la pente. Un camion arrivait en sens inverse. Le choc fut effroyable, la Mistral broyée, John Simone et Junie Astor tués sur le coup. Seul le petit chien de Junie, un Yorkshire, survécut par miracle et sans blessure. Ainsi, malgré une tenue de route et un freinage qui furent toujours très sains, tous modèles confondus, on peut trouver la mort en Maserati, trouver et donner la mort, peut-être plus facilement que dans une autre voiture tant les capacités dynamiques d'accélération et de vitesse pure sont importantes, la griserie du moteur prenante. A nous, Maseratistes connaisseurs, de ne pas confondre la route avec une piste de course. En 2011, restent tout de même les accélérations après les péages autoroutiers (il est parfaitement légal d'atteindre les 130 kms/h en moins de 6 ou 7 secondes) les routes de montagne (où les limitations de vitesse sont souvent et absurdement placées trop haut), les autoroutes allemandes (particulièrement celles, neuves, de l'ancienne RDA) en été à 6h30 du matin (quand elles sont sèches et peu fréquentées) et les circuits fermés. Mais, de toute façon, pour un vrai amoureux de la marque, conduire son ou ses autos à vitesse autorisée est déjà un plaisir immense, de même que de ne pas conduire du tout et simplement la ou les caresser du regard.  Où que vous soyez, nous vous adressons nos vifs remerciements, mon colonel, pour avoir fait vibrer nos pères et pour nous faire encore vibrer, nous maseratistes de coeur, presque 50 ans après votre belle et courageuse épopée.