Vent porteur pour le métier du « coverage

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Vent porteur pour le métier du « coverage
carrières & talents
Vent porteur pour le métier
du « coverage »
Valorisé depuis la
crise, ce métier qui
désigne la couverture
des grands clients
est aussi devenu plus
attractif dans les
grands établissements
financiers.
www.agefi.fr/carrieres-emplois
par
Thierry Zakhia et Gaël Vautrin
N
ous sommes tout sauf des banquiers
de salon ! » Cette précision d’Alain V.,
banquier conseil de 42 ans, illustre
bien le changement intervenu depuis
quelques années dans la manière de concevoir
le coverage - la couverture des grands clients -,
notamment en raison de la crise. « A l’origine,
la terminologie 'coverage' vient plutôt de la
partie 'corporate finance' des banques anglosaxonnes, note Adrien Bouvier, cofondateur du
site WallFinance, spécialisé dans les formations
et les carrières en finance. Conséquence de la
crise de 2007, les banques de financement et
d’investissement (BFI) françaises ont mis la
'relation client' au cœur de leur stratégie commerciale, ce qui a eu tendance à renforcer cette
notion en France. »
Trois missions
Le client « entreprise grand compte » a ainsi
pour interlocuteur unique le banquier coverage, encore souvent appelé senior banker, qui
44 L’agefi hebdo / du 1er au 7 novembre 2012
L’avis
de...
Jean-François Monteil, managing partner
du cabinet de chasse de têtes Transearch International
« Difficile de tracer l’origine réelle
du revenu, entre technicité et relationnel »
Quel est le profil type d’un banquier conseil ?
L’idéal est d’avoir exercé deux ou plusieurs
métiers différents, avec une forte légitimité
dans l’un d’entre eux. La personne a alors une
vision plus large de la banque, doublée d’une
compétence majeure forte et, en général, d’une
visibilité métiers ou secteurs très utile dans les
rapports de haut niveau qu’elle entretient avec
les clients corporate de sa responsabilité.
S’y retrouvent-ils en termes de salaire ?
Si la partie fixe est généralement la même
ou très comparable, des écarts importants
existent sur le variable, particulièrement
si on compare le coverage (couverture des
grands clients, NDLR) avec les fusions-
DR
le suit, le connaît très bien et lui permet
d'accéder à toute la palette de services
de la BFI : fusions-acquisitions, financements, émissions actions, émissions
obligataires… « Le 'coverage' se résume
en trois missions principales, précise
Anne Penet-Grobon, coresponsable du
coverage médias télécoms chez Société
Générale Corporate & Investment
Banking (SGCIB). Avant tout, il s’agit
de gérer les relations commerciales en
apportant aux clients non seulement des
solutions en 'corporate banking' répondant à leurs besoins en financement au
jour le jour, mais aussi des solutions en
'investment banking', portant davantage sur des opérations stratégiques. Il
faut ensuite améliorer la profitabilité par
client, à savoir maximiser la rentabilité
du capital alloué par la banque à chaque
client. » Il y a enfin la mission de risk
management qui consiste à étudier tous
les risques de contrepartie qui pèsent sur
les financements mis en place. « Là, on
est plutôt dans la gestion du bilan de la
banque et cela demande une connaissance approfondie du client et du secteur d’activité : c’est vous qui vous engagez et qui défendez en interne la mise
en place d’une ligne de crédit », ajoute
Anne Penet-Grobon. Elle paraît loin
l’image d’Epinal du banquier conseil
dont le principal atout serait un carnet
d’adresses bien fourni. Preuve en est le
profil de ceux qui optent pour cette carrière. Il ne s’agit nullement de banquiers
en fin de parcours qui se cherchent une
« voie de garage », mais plutôt de professionnels qui souhaitent élargir leur
horizon tout en valorisant leurs compétences. « Il m’a toujours paru important de ne pas s’enfermer dans une
seule activité et de savoir se remettre en
cause, explique Didier Gaffinel, 48 ans,
banquier conseil chez Crédit Agricole
Corporate & Investment Bank (CACIB)
depuis 2011. C’est pour cette raison que
j’ai construit mon parcours professionnel autour d’une succession de métiers
(dette 'corporate' et LBO - 'leveraged
buy-out' -, fusions-acquisitions, 'equity
capital market') s’adressant à différents
clients ('midcaps', 'large caps', secteur
de l’énergie, international…). Le 'coverage' m’est apparu comme une nouvelle
étape naturelle dans laquelle je pouvais
valoriser au mieux mon profil de multispécialiste. On dit d’ailleurs souvent qu’il
acquisitions notamment. Il est parfois
difficile de tracer l’origine réelle du revenu,
entre la technicité du spécialiste qui fait
mouche et le relationnel du banquier
conseil. C’est en général toujours le
spécialiste qui s’en sort le mieux.
N’est-ce pas sous-estimer le rôle de conseil
et de veille ?
Certainement. Mais les banques sont
heureusement en train de se rendre compte de
l’atout que représentent des équipes coverage
de qualité, créatives, réactives, motivées,
familières du secteur d’intervention dans
toutes ses problématiques (haut de bilan, flux,
gestion, trésorerie, financement…).
faut avoir exercé au moins deux métiers
avant d’y venir. » Certains n’attendent
pas autant que lui pour franchir le pas.
une partie du montage. C’est donc une
évolution naturelle que de vouloir élargir
cette relation avec le client à l’ensemble
des produits de la banque. »
Un métier généraliste
Même son de cloche pour Thierry
Nombreux sont ceux qui, se sentant à
Remont qui occupe aujourd’hui le poste
l’étroit dans une activité centrée sur un
de senior relationship manager FIG
produit, optent pour ce métier à la fin de
(financial institutions group) chez RBS à
la trentaine et souvent après dix à quinze
Paris : « Après avoir travaillé une dizaine
ans d’expérience. C’est le cas notamment
d’années dans le primaire actions, chez
de Laurent Capes qui a rejoint le coveCrédit Agricole CIB puis chez ABN
rage de Natixis en juin 2011. Diplômé
Amro Rothschild sur des opérations
de Polytechnique, de l’Ecole nationale
aussi diverses que la privatisation de
des Ponts et Chaussées et de la London
France Télécom, l’introduction en
School of Economics, il entame sa carBourse de GDF ou le sauvetage d’Alsrière en 1997 à la Banque Mondiale,
tom, j’ai eu envie de m’ouvrir davantage
puis travaille à la Direction du Trésor
aux métiers de la banque, d’approfondir
avant de rejoindre, en
la relation avec les clients
2003, le département
dans une perspective de
Equity Capital Market de
long terme. » Evoluer
Deutsche Bank. « Avant
vers un métier généraCes professionnels souhaitent liste ne veut pas dire pour
de rejoindre le 'coverage',
élargir leur horizon, tout en
j’étais intégré à ce que l’on
autant tirer un trait sur le
exploitant leurs compétences
appelle dans notre jargon
passé. Certains banquiers
une 'ligne produit', relève
conseils ne cachent pas
ce banquier conseil de
que la composition du
37 ans. Cette situation a
portefeuille qui allait leur
ses limites car, en dehors de la sphère
être attribué a pesé dans la balance,
produit sur laquelle nous travaillons, les
pas seulement en termes de possibilités
contacts avec les clients sont restreints.
de business, mais également en termes
J’ai déjà ressenti cette sorte de 'frustrad’adéquation des clients avec leur propre
tion' sur de grosses opérations dans lesparcours professionnel. « Tous les clients
quelles je suis intervenu uniquement sur
n’ont pas les mêmes besoins, souligne
du 1er au 7 novembre 2012 / L’agefi hebdo
45
u
carrières & talents
témoignages
Faire travailler
les différentes
équipes et arbitrer
En revanche, les nouveaux banquiers
conseils ne veulent pas non plus se limiter à leurs acquis. « Le banquier conseil
ne doit pas forcément être le spécialiste
de tel ou tel métier, mais avoir une solide
culture générale sur les produits de la
banque pour aider son client à choisir
celui d’entre eux ou l’opération qui sera
le plus adapté, estime Didier Gaffinel.
Il doit également savoir faire travailler ensemble les équipes des différents
métiers et être capable d’arbitrer. »
Deux compétences qu’il aura l’occasion
de mettre en valeur et de développer,
comme celle liée à l’expertise sectorielle,
qui fait souvent défaut dans les lignes
produit. Pour bien accompagner un
client, il faut non seulement apprendre
à le connaître, mais aussi mieux intégrer les problématiques de son secteur
d’activité. « Cette transition me donne
l’occasion de développer une expertise
sectorielle plus importante sur les FIG,
relève ainsi Thierry Remont. Ce terme de
FIG regroupe quatre univers différents
(banque, assurance, 'asset management',
souverains), dans un contexte actuel très
mouvant de crise et de réglementation
46 « Après des études de droit
et un master en ingénierie
financière à l’EM Lyon, j’ai
rejoint RBS en 2000 pour
travailler sur les financements
LBO ('leveraged buy-out', NDLR).
Mais au bout de cinq ans, je
sentais que je n’avais pas envie
de fonder ma carrière sur un
métier ou un produit unique,
avec des contacts épisodiques
avec les clients 'corporate'.
J’ai donc saisi une occasion
de rejoindre le 'coverage'
(couverture des grands clients),
en 2005 chez RBS et depuis
2009 chez BBVA. Aujourd’hui,
j’ai en charge huit clients actifs
dont quelques grosses pointures
du CAC 40. Le 'coverage' m’a
naturellement attirée par son
côté pluridisciplinaire et la
diversité des interlocuteurs
avec lesquels on doit traiter.
C’est également très motivant
de nouer des relations de long
terme (un concept clé chez
BBVA) et de se sentir partie
prenante de la stratégie des
clients, et pas seulement d’une
opération ponctuelle. Pour
autant, étant venue un peu tôt à
cette activité, je suis consciente
qu’il faudra peut-être un jour
que je repasse par une autre
ligne métier pour acquérir
de nouvelles compétences.
Avant peut-être de revenir au
'coverage'… »
Pierre Massera, 47 ans, senior banker et co-head
du groupe corporate coverage chez RBS en France
« L’expérience acquise dans les lignes
produit donne plus de légitimité en interne »
« Mon passage dans le
'coverage' chez RBS en 2006
n’est pas un virage à 180°, mais
seulement à 30°. Un diplôme
des Mines et un master de
HEC en poche, j’ai commencé
ma carrière chez JPMorgan
en 1990 comme analyste, puis
j’ai rejoint Morgan Stanley en
1994 où j'ai franchi les échelons
jusqu’à être en charge du 'desk'
origination sur les marchés de
dette obligataire, de gestion
L’agefi hebdo / du 1er au 7 novembre 2012
des risques et d’'equity' pour les
'corporates' français, belges et
luxembourgeois. Cette transition
vers le 'coverage' (couverture
des grands clients, NDLR) s’est
faite relativement aisément car
je n’ai pas vraiment changé de
clients. J’avais déjà travaillé
avec près de la moitié des clients
dont je m’occupe actuellement.
Même si ces relations n’étaient
que ponctuelles lorsque j’étais
un 'homme produit', elles ont
'évolutive'. Les problématiques sont
variées : elles peuvent être stratégiques
(acquisitions, financement, cessions) ou
concerner la couverture des risques de
marché. C’est un secteur passionnant et
il faut plusieurs années avant d’en faire
le tour ! » La nouvelle génération de
banquiers conseils n’en est pas à envisager l’étape d’après. « Je n’échafaude
pas encore de plan de carrière pour la
suite, assure Anne Penet-Grobon. Je ne
suis dans cette fonction de 'coverage'
que depuis deux ans. Et comme le bon
permis d’instaurer un climat
de confiance, et ce n’est pas
négligeable. Le client a besoin
de 'pratiquer' le banquier conseil
sur quelques opérations avant de
lui accorder sa totale confiance.
Cette expérience acquise dans les
lignes produit nous donne aussi
plus de légitimité en interne pour
coordonner les différents métiers
de la banque lorsqu’il s’agit de
mettre en place une solution pour
répondre à un besoin du client. »
vin, je pense que c’est un métier où l’on
se bonifie avec le temps. Il faut avoir
franchi de nombreuses étapes avec ses
clients pour en apprécier pleinement
tous les aspects. Aujourd’hui, je ne me
pose pas trop de questions sur la suite et
je ne me verrais pas actuellement ailleurs
que dans le 'coverage'. Je sais que cette
activité est une occasion unique d’élargir
sa connaissance de la banque, d’acquérir
une vision transversale de ses métiers.
Dès lors, pour la suite, le champ des possibles est vaste. » n
DR
Expertise sectorielle
« J’ai été attirée par le côté pluridisciplinaire
et la diversité des interlocuteurs »
DR
à juste titre Didier Gaffinel. Certains,
comme dans le secteur de l’énergie et
des infrastructures, ont plus souvent
recours à des financements structurés,
alors que d’autres sont plus utilisateurs
d’autres métiers. On voit donc bien
que le parcours professionnel antérieur
du banquier-conseil peut être plus ou
moins adapté à tel ou tel portefeuille de
clients. Pour autant, le 'coverage' n’a
pas vocation à être trop sectorisé, afin
d’éviter les risques de conflits d’intérêts ». Laurent Capes est pour sa part en
charge d’une quinzaine de clients dont
quelques sociétés du CAC 40, mais aussi
des entités publiques assurant un rôle
d’actionnaire. Bien évidemment, son
expérience à la Direction du Trésor est
un atout important pour comprendre
les problématiques et les besoins de ces
dernières.
Florence Blazy, 35 ans, senior banker chez BBVA