GD Site 1918 4 4 L`armée française à son zénith

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GD Site 1918 4 4 L`armée française à son zénith
Chapitre 4/4
L’armée française à son zénith
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En 1918, « pour la première fois depuis 1914, l’Allemagne n’a plus qu’un front majeur à gérer » (Cf. revue « Guerre et Histoire, n°5 »)
De mars à juillet 1918, grâce à une armée de qualité, notamment de ses troupes d’élite, malgré ses désordres intérieurs, son épuisement
économique et la capitulation austro-hongroise, elle impose aux Alliés quatre offensives successives des plus dangereuses.
Et pourtant, l’Allemagne est vaincue.
C’est que :
« Appuyée par une industrie inventive et productive, commandée par des chefs novateurs,
motorisée en masse, l’armée française est devenue l’armée la plus moderne…
Jamais depuis Austerlitz (1805) et Iéna (1806), elle n’a atteint un tel niveau.
Jamais plus elle ne le retrouvera hélas ».
(Cf. revue « Guerre et Histoire, n°5 »)
(Rappel du JMO du 22ème RIC du 19 octobre 1918)
Analyse de l’attaque du moulin d’Herpy par le colonel Pasquier
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Le 19 octobre.
La position du moulin très solidement défendue par des réseaux très solides dans lesquels les brèches
n’ont pas été suffisamment pratiquées, garnie de mitrailleuses lourdes, s’étageant jusqu’à la cote 130,
et flanquée par une multitude de mitrailleuses occupant les lisières ouest d’Herpy représent(ait) une
position formidable.
…
A défaut de chars d’assaut,
une préparation de longue durée paraît s’impliquer.
Positions des unités
relevant du 22° RIC
le 19 octobre 1918 au soir
(Rappel)
L’efficacité des chars FT 17 dans l’appui apporté aux fantassins lors du franchissement des barbelés et
contre les tirs des mitrailleuses adverses lors des attaques alliées menées par ailleurs, depuis celle de
la forêt de Villers-Cotterêts le 18 juillet, justifie son regret quant à l’absence de ces chars.
Le char Renault FT 17, un des facteurs principaux de la victoire de nos armées
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Jusqu’à la fin de la guerre, le char Renault FT 17 participe à tous les combats. Il est une preuve de l’efficacité de nos ingénieurs et de
notre industrie. Il est l’un des facteurs de notre victoire.
La masse du char FT 17 est de 6,7 T. Ses dimensions sont : L = 4,95m, l =1,73m et H = 2,13m. Son moteur, situé à l’arrière, le propulse à 7km/h, lui permet de franchir des obstacles de 1,35m
de large et, allié à une garde au sol de 43cm, de 0,60m de haut.
Une mitrailleuse Hotchkiss de 8mm (à gauche) ou un canon de 37mm (à droite) sont installés dans la tourelle circulaire dont le blindage est en acier moulé de 22mm.Elle est maniée par le
chef de char. Le poste du pilote est à l’avant protégé par un blindage incliné de 16mm d’épaisseur à l’épreuve des balles de mitrailleuses.
Son transport jusqu’à sa zone de combat est assuré par des camions adaptés ou des engins spéciaux. (Combien y-a-t-il actuellement de porte-chars aptes à transporter le char « Leclerc » ?).
Par sa légèreté et sa maniabilité, le FT 17 fait merveille et est demandé par l’infanterie lorsqu’il y a un problème de mitrailleuses à résoudre face à elle.
Le FT 17 est l’ancêtre de tous les chars modernes (Tourelle de 360° de rotation, canon, lunette de visée, radio, etc.)
Le FT 17 est construit en série, suivant les mêmes méthodes que les automobiles, et
Dans une attaque, un régiment d’infanterie recevait
en masse à partir de septembre 1917. L’engagement d’un premier bataillon de chars
habituellement l’appui d’une compagnie de chars, soit 15 engins
(17, si les chars de commandement participaient à l’attaque), ce
légers (BCL) constitué de 45 FT 17 a lieu fin mai 1918, date à partir de laquelle un
qui représentait 10 mitrailleuses et 5 canons, mobiles, protégés et
BCL est livré tous les quatre jours à l’armée française. Au total, 2653 FT 17 seront
dotés d’une lunette de pointage. La compagnie de chars équivalait
livrés aux armées avant l’armistice. A noter que 1640 chars sont engagés en
à la puissance de plusieurs compagnies de mitrailleuses. Il ne faut
38 jours du 26 septembre au 2 novembre 1918 et qu’en octobre, dans l’Argonne,
pas par ailleurs négliger leur puissance d’écrasement.
640 chars sont engagés simultanément, ce qui constitue la plus grande
concentration de chars français jamais engagée dans une seule bataille.
Avec le FT 17, l’infanterie possède enfin un engin d’accompagnement efficace qui permet de franchir les réseaux de
barbelés insuffisamment détruits par l’artillerie ou de réduire au silence les mitrailleuses adverses. A la fin de la guerre,
les BCL combattent souvent en liaison avec un avion d’observation et un groupe de canons de 155mm à tir rapide (un obus
à 11km toutes les 20 secondes). Le FT 17 représentait enfin un appui moral considérable face aux Allemands dépourvus de
moyens équivalents.
Ce développement massif n’était qu’un début. A l’armistice, seul le tiers du nombre de chars prévus avait été construit. Des chars seront
fournis aux alliés, notamment à la brigade de chars américaine. Il participait d’un élan de modernisation jamais atteint jusque-là.
A l’armistice, des études portent sur de nombreux matériels blindés nouveaux, voire novateurs : chars canons de 75mm, chars de
commandement avec TSF, chars superlourds pour l’assaut de positions fortifiées, obus fumigènes au phosphore, traineaux de ravitaillement,
ponts de franchissement. L’idée d’un engin blindé à chenilles transporteurs de fantassins se développe également ainsi que celle d’artillerie
portée avec 850 « Caterpillar Renault » commandés pour le transport tout terrain de canons de 75mm et de 155mm court.
Tous les éléments étaient réunis en 1919 pour former des divisions blindées autonomes.
Les Allemands les posséderont en 1940 !
(Certains engins US du second conflit mondial s’en inspireront)
Char FT 17 TSF
(En 1940, seuls les chars de commandement en sont dotés)
Automoteur de 155mm sur châssis
AMX 13 raccourci
Canon automoteur de 75mm sur châssis FT 17.
Quelle ressemblance avec l’automoteur de 155mm
sur châssis AMX 13 des années 1970/1990 !
Char FCM 1 « super-lourd » (42 T, canon de 105mm,
3 mitrailleuses, équipage : 7)
Prototype d’artillerie lourde de 120mm long sur châssis Saint-Chamond
adapté pour le tir à gros calibre
Tracteur lourd Renault tractant un canon de 140mm
L’évocation des derniers véritables combats du 22ème RIC en 1918 et celle du char de la victoire nous incitent à nous intéresser à la
nouvelle arme que constitue l’aviation et au cadre constitué par l’armée victorieuse au sein de laquelle évoluait notre régiment.
(C’est peut-être « hors sujet » mais nos anciens (pères ou grands-pères, voire arrière-grands-pères), qui avaient conçu une armée si moderne, qu’ils
auraient, pour la plupart des matériels, mis en œuvre en 1919, si la guerre s’était prolongée, le méritent.
Nous leur devons bien cela et nous pouvons être fiers d’eux !)
L’aviation française, un autre facteur de la victoire de notre armée
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Lors de la bataille de Verdun, les adversaires découvrent l’importance de la bataille aérienne dans l’ensemble de la bataille.
Mettant à profit cet enseignement, deux hommes vont permettre à l’aviation française de prendre le pas non seulement sur l’aviation
allemande mais aussi sur les autres aviations alliées : le général Pétain, chef des armées françaises après la bataille du « chemin des
Dames », et le colonel, puis général, Duval, chef de son Service
Rappel :
aéronautique.
Au comité de guerre du 8 octobre 1917, où sera mis en chantier un programme de 4 000 avions,
Le général Pétain reconnaît depuis longtemps la nécessité d’être
le général Pétain précise « La question de l'aviation domine la guerre et, avec la supériorité
maître de l’air si l’on entend mener la bataille terrestre dans de
aérienne, on peut empêcher toute concentration des forces chez l'ennemi »
bonnes conditions.
Il s’accorde avec le colonel Duval pour « conférer à l’aviation une place qu’elle n’a jamais eue jusque-là au sein de
l’armée française ».
Conceptions stratégiques et tactiques de l’organisation et de l’engagement de la division aérienne.
Ne pouvant être forte partout en même temps, ils considèrent que « l’aviation doit être en mesure d’acquérir la supériorité
aérienne en un point donné du front par le regroupement de tous les moyens disponibles pendant tout le temps nécessaire »
(M
Masse et concentration sont les maîtres-mots de la doctrine mise au point et appliquée par le colonel Duval).
Il en résulte la création de la division aérienne aux ordres exclusifs du Grand quartier général (GQG). La division aérienne est formée
« d’escadres de combat permanentes » capables d’intervenir en phalanges puissantes et compactes : la chasse assure la liberté d’action des
escadrilles d’observation et permet l’intervention du bombardement dans la bataille terrestre. La bataille au sol étant l’acte essentiel, les
escadres de combat et de bombardement sont employées sur les arrières de l’ennemi pour attaquer les troupes en marche et bombarder
les rassemblements d’infanterie et d’artillerie ainsi que les voies de communications.
Il est rapidement constaté que seule l’intervention du bombardement, unique menace potentielle contre les troupes au sol, peut
contraindre l’ennemi à engager ses avions de chasse. Il est alors créé à l’intérieur de la division aérienne des formations tactiques compo-
Chasseur monoplace S XIII (2 mitrailleuses)
Bombardier Bréguet XIV (32 bombes de 8kg, 2 mitrailleuses)
Caudron R 11 d’escorte (2 postes de mitrailleuses jumelées)
sées d’escadrilles de bombardement escortées de près par des appareils de combat biplaces ou triplaces et accompagnées, à distance par
des unités de chasseurs monoplaces .C’est ainsi que dès le 11 juin 1918, une masse compact de 600 avions est engagée sur un front de
moins de 130km lors de la contre-attaque du général Mangin au sud de Montdidier.
Performances de la production industrielle.
La production industrielle française des avions de combat double chaque année.
Elle atteint en août 1918 une
Au moment de l’armistice, l’industrie est capable de livrer tous les quarts d’heure, de jour comme de nuit, un avion
production journalière de 100 avions
complétement équipé avec pièces de rechange et, toutes les 10mn, un moteur neuf complet avec tous ses accessoires.
et 140 moteurs.
Elle permet de fournir 3300 avions au Américains, 2000 aux Britanniques, 2000 aux russes (avant la Révolution), 1300 aux italiens, 400
aux Belges et 300 aux Roumains (Avant leur défaite de 1916). (Source : Revue trimestrielle TRANCHÉES, n° 10, page 79).
Année
Production annuelle
1914
541
1915
4489
1916
7549
1917
14915
1918
24652
52000 avions sont produits pendant toute la durée de la guerre, dont près de la moitié en 1918.
La production des moteurs suit une courbe à peu près semblable : de 860 en 1914, elle passe à 44563 en 1918. 92000 moteurs sont
construits pendant la durée de la guerre (les Allemands : 41000, les Britanniques : 41000, les Américains : 32000). (Source : Revue
trimestrielle TRANCHÉES, n° 10, page 79).
« Ces remarquables performances industrielles auront malheureusement des conséquences très fâcheuses dans l’après-guerre : l’écoulement des stocks va être
très long et pénaliser la recherche française pendant des années, de telle sorte que les fabricants étrangers innoveront bien davantage ».
(Source : Revue trimestrielle TRANCHÉES, n° 10, page 79)
L’armée française est à son zénith.
(Doctrine, opérations, matériels)
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Jamais, sauf sous la Révolution et l’Empire la France n’a disposé d’une telle armée.
Jamais plus, elle n’en disposera.
La France a les meilleurs généraux depuis l’Empire soutenus par un pouvoir politique déterminé.
Le président du conseil et ministre de la guerre, Michel Clemenceau, proclame : “Politique intérieure : je fais la guerre.
Politique extérieure : je fais la guerre … Je continue la guerre et je continuerai jusqu’au dernier quart-d’heure, car c’est nous qui
auront le dernier quart-d ‘heure”.
Desservie par son commandement en 1870 et en 1914, l’armée française possède enfin en 1918 des chefs à la hauteur
de l’enjeu : hauts cadres militaires mais aussi subalternes, tous ont la compétence requise.
40% des généraux de1914, … et incompétents sont « limogés » dès les premières semaines de guerre.
C’est aux colonels de 1914 qu’incombent désormais armées et corps d’armées. La moyenne d’âge diminue ainsi de 9 ans par
rapport à 1914 (Le général Gouraud prend par exemple le commandement de la IVème armée à 49 ans). Brillants généraux
issus du front où ils ont fait leurs preuves, les grands chefs de 1918 sont aussi d’excellents tacticiens.
L’encadrement des unités changent en profondeur.
Dès la fin de 1915, la moitié des officiers de carrière de 1914 ont été tués ou blessés grièvement. Les survivants montent en
grade et sont remplacés par des officiers dits de complément, les réservistes, et par d’anciens sous-officiers. Les réservistes
sont sans a priori sur la tactique, grâce à leurs connaissances civiles ils sont créatifs.
Les unités ont accumulé une expérience du combat inégalée.
L’efficacité optimale de l’industrie française liée à une innovation scientifique et technologique souvent en
avance sur le reste du monde va permettre à l’armée française d’être la meilleure dans tous les domaines.
En 1918, l’armée française est massivement la plus motorisée du monde. Elle met en œuvre 88000 camions, plus
que toutes les autres armées alliées réunies. Grâce à cet investissement colossal sur la motorisation, mais aussi à un
effort important en matière d’infrastructure : rocades (routes parallèles au front) et pénétrantes (perpendiculaires), elle
bénéficie d’un net avantage en vitesse de déplacement, elle peut faire face aux offensives allemandes de printemps.
L’arme de la victoire, c’est le moteur !
C’est en 1918 qu’est inventée l’artillerie moderne. 260 batteries d’artillerie lourde sont tractées par 14000 véhicules.
25% des batteries de 75mm (le même taux que celui de la Wehrmacht de 1939 à 1945), soit environ 580 batteries, sont
motorisées. Plus de 1600 canons sont tirés par un camion ou un tracteur à chenilles. Sa mobilité, grâce à ses nouvelles
structures, et son efficacité, grâce à de nouvelles méthodes de réglage de tir, etc., lui permettent d’agir par surprise.
La France a des années d’avance dans les technologies de communication, de la machine à écrire à la radio TSF
en passant par le téléphone. Elle a le réseau de transmission le plus performant du monde. En 1918, l’armée française
dispose de 28000 postes radios.
(Rappel) : Il se fabrique plus d’avions (14900) en 1917 qu’il s’en ait fabriqué auparavant et nettement plus encore dans les
dix mois de 1918 (23000). La cadence des usines est telle que la France peut, là encore, fournir 10000 appareils aux alliés,
américains en particulier. Avec 3800 appareils modernes, l’aviation française est en 1918 la première du monde. La
division aérienne, force autonome de 600 chasseurs et bombardiers n’a pas d’équivalent. Elle conquiert la maîtrise du ciel
au-dessus de sa zone d’action (au moins 637 avions et 125 ballons allemands sont abattus en 1918). (Réf. : Revue « GUERRES &
Histoire » n°5. Dossier 1918 [MM. Bihan, Grumberg et Goya])
Comment l’armée française, LE modèle universel en 1918, dont même l’armée rouge s’est inspirée,
a-t-elle pu tomber si bas en 1940 ? Seulement vingt-deux ans plus tard ?
Pourquoi l’art français de la guerre au meilleur de sa forme : une combinaison des armes parfaitement maitrisée par un corps
d’officiers formé au « feu industriel », pourquoi cette magnifique machine à vaincre s’est-elle écroulée en quelques semaines en
1940 ?
La raison principale ? Les savoir-faire en œuvre en 1918 nécessitent un entretien permanent. Or, dès le début des années 1920, la
démobilisation, la dissolution de grands états-majors, le faible taux de renouvellement des cadres, la jeunesse des chefs de 1918 aura la
conséquence néfaste de les maintenir trop longtemps en place, le manque de moyens, qui empêche d’expérimenter, la réduction du temps
de service militaire, qui diminue encore les compétences, entraînent la disparition de ces savoir-faire.
L’art de la guerre façon 1918 est difficile, coordonner les moyens d’armes différentes exige un travail d’état-major
complexe qui n’existe plus en 1940.
Colonel (ER) Philippe Blanchet (26/01/2015)