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MINISTÈRE DE LA DÉFENSE
Jean-Yves Le Drian,
ministre de la Défense
Discours dialogue du Shangri Là
Vision française de la prévention et la gestion des conflits
Conséquences en Asie-Pacifique
Á Singapour, dimanche 1er juin 2014
– Seul le prononcé fait foi –
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Cher John Chipman,
Cher Dr Ng,
Mes chers collègues,
Mesdames et Messieurs,
Permettez-moi tout d’abord de remercier nos hôtes, vous John et
l’Institut International d’Etudes Stratégiques, pour l’organisation
parfaite de cette 13ème édition du Shangri La Dialogue, ainsi que le
Gouvernement de Singapour pour sa magnifique hospitalité. C’est un
honneur et un plaisir pour la France d’être présente à ce rendez-vous
régulier et majeur pour la sécurité en Asie.
On a beaucoup écrit, depuis des décennies, sur la prévention et la
gestion des crises et des organisations entières sont dédiées à ces
objectifs. En tant que ministre de la Défense d’un pays dont les
armées sont engagées sur un grand nombre de théâtres extérieurs, je
vous propose de tirer quelques enseignements des crises à la
résolution ou à la prévention desquelles la France a participé ces
dernières années, en Afrique, au Proche-Orient ou ailleurs, - avant de
revenir sur leur application à l’Asie-Pacifique.
Le premier enseignement est qu’il n’y a pas de gestion efficace des
crises sans une forme de détermination politique, à l’égard de ceux
qui mettent en cause la paix et la sécurité d’une région.
Cette détermination est en effet le seul moyen capable de faire
entendre à des acteurs qui ne s’inscrivent pas de manière responsable
dans le jeu international que leurs actions ne seront pas tolérées. Elle
se décline, à mon sens, de quatre façons :
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- Premièrement par la fermeté des acteurs internationaux :
prenons le cas de la crise nucléaire iranienne ; c’est la fermeté
de la communauté internationale et du groupe E3+3, sa
détermination à faire adopter des sanctions à l’échelle
internationale, et chacun à son niveau, qui a conduit Téhéran, à
l’issue d’un long processus, à entendre que les coûts d’une crise
ouverte avec le reste du monde n’étaient plus supportables et
donc l’on conduit à la table des négociations. En Asie, c’est
également de détermination politique dont qu’il convient de faire
preuve à l’égard de la Corée du Nord, afin que soient respectées
les résolutions du Conseil de sécurité des Nations unies en
matière de non-prolifération; l’application stricte des sanctions et
d’autres mesures restrictives sont un moyen et non une fin pour
faire entendre raison à ce pays dont les actions constituent une
menace à la paix et à la sécurité internationale.
- Deuxièmement, élément de la détermination : l’esprit de
décision : permettez-moi de le rappeler à propos d’un
engagement qui nous intéresse tous, en Europe comme en Asie,
la lutte contre les groupes combattants terroristes se
réclamant du djihad ; c’est l’un des enseignements de
l’intervention française au Mali en 2013. A la demande du
Gouvernement de Bamako, menacé dans son existence même, le
Président de la République a décidé de l’emploi de la force
contre les groupes armés terroristes qui fondaient sur les grandes
villes maliennes puis la capitale, en quelques heures seulement.
C’est parce que nous avons agi rapidement et sans hésiter qu’une
crise majeure de plusieurs années a pu être évitée ; elle aurait
plongé le Mali dans le chaos et la barbarie, placé toute une
région dans la terreur et menacé le territoire européen lui-même.
Bien sûr, à ce jour, tout n’est pas parfait au Mali. Mais qui aurait
pu prédire, en janvier 2013 que des élections présidentielles et
législatives pourraient être organisées en quelques mois
seulement, qu’un effort de redressement majeur serait engagé et
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que la communauté internationale aurait pu déployer aussi vite
sa présence sur l’ensemble du pays ?
- Troisièmement, cette détermination ne peut être que
collective. Chaque crise internationale majeure, chaque
effondrement intérieur d’un Etat entier le démontrent. Au Mali
et en RCA, l’implication de la communauté internationale, avec
ses organisations issues de la région ou des Nations Unies, est et
sera déterminante pour éviter que de nouveaux conflits
n’éclatent. D’autres architectures de sécurité collective peuvent
et doivent être mobilisées, chaque fois qu’un conflit menace. A
cet égard, chaque région du monde a sa spécificité, vous
l’expérimentez directement ici, avec l’ASEAN. En Europe, je
pourrais prendre le cas de l’Ukraine aujourd’hui. La
mobilisation de l’OSCE au service des élections qui ont eu lieu
la semaine dernière dans ce pays a joué un rôle important. De
même, l’OTAN doit continuer à agir pour l’affirmation concrète
des principes de solidarité, y compris militaire, qui lient les
Alliés entre eux. La France, en prenant toute sa part aux mesures
de réassurance qui ont été mises en place au bénéfice des Alliés
d’Europe orientale, rappelle aussi à cette occasion son
attachement au principe d’une sécurité collective robuste, fondée
sur un appareil de défense efficace et crédible.
- Quatrièmement, la volonté repose, pour être efficace, sur la
crédibilité : seuls des acteurs crédibles peuvent prétendre
participer à la gestion des conflits ou à leur prévention, cela est
vrai aussi bien en Europe, qu’en Asie ou au Moyen-Orient ; et
cela vaut tant pour les acteurs étatiques pris individuellement,
que pour les organisations internationales, ou même les
organisations non gouvernementales qui jouent un rôle croissant
dans la gestion des crises. La crédibilité résulte elle-même de la
légitimité, légitimité des processus de décision, légitimité au
regard du droit, légitimité par l’efficacité de l’action. Et donc
aussi de la capacité à agir concrètement : c’est bien notre
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incapacité collective à agir face au conflit syrien, dramatique
pour les centaines de milliers de victimes et potentiellement
dangereux pour la sécurité de l’Europe et d’ailleurs, qui conduit
à la situation que nous connaissons.
Le deuxième enseignement que je peux tirer sur la base de
l’expérience française, c’est que la gestion des crises aujourd’hui
impose un sens permanent des responsabilités.
- La première responsabilité dans l’ordre international, c’est
d’agir selon le droit. Entre les Etats comme dans toute
organisation humaine, le droit, les normes, contribuent à la
stabilité. C’est le refus de la loi du plus fort, du pur rapport des
forces, du jeu à somme nulle où ce que l’un gagne, l’autre le
perd. Ce sont ces principes que à notre avis la Russie a enfreints
en annexant la Crimée et en ignorant le Mémorandum de
Budapest (1994) où la Russie s’engageait, conjointement avec
les Etats-Unis et le Royaume-Uni, tous trois dépositaires du
Traité sur la non-prolifération des armes nucléaires, à respecter
l’indépendance et la souveraineté ukrainiennes dans ses
frontières actuelles et à s’abstenir de toute menace ou usage de la
force contre l’Ukraine, y compris de formes de coercition
économique. Nous savons que la crise ukrainienne est analysée
avec une grande attention en Asie, où la crainte monte que,
désormais, la force prime sur le droit. Il ne peut en être ainsi et le
vote de l’Assemblée générale des Nations unies le 27 mars
dernier a clairement rappelé l’attachement de la communauté
internationale au respect des règles de droit. Je note d’ailleurs
qu’un seul pays d’Asie-Pacifique a voté contre la résolution, la
Corée du Nord, tandis que 21 Etats de la région votaient en sa
faveur.
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- La deuxième responsabilité, c’est celle de l’ouverture
permanente, et du principe de dialogue. Notre monde et nos
sociétés ont impérativement besoin de plus d’espaces de
dialogue, multiformes, dans toutes les zones en crise, ou sous
menace de crise, pour prévenir les conflits, et le dialogue du
Shangri-La y contribue, car tous les acteurs sont présents, et
je salue en particulier nos amis chinois. J’ai eu l’occasion de
le dire il y a quelques semaines seulement en évoquant le Mali :
le dialogue entre les parties maliennes est la condition de la
stabilité du pays et de la prévention de nouveaux conflits. Les
incidents récents qui ont eu lieu dans le nord du pays ne font que
le confirmer et nous rappellent l’urgence qu’il y a à avancer dans
ce domaine. L’enjeu dépasse d’ailleurs le Mali, car c’est toute la
zone sahélienne qui est en cause. De la même manière, en
République centrafricaine, nous sommes conscients que la
mise en place d’un dialogue national est la condition du retour à
la stabilité du pays. Là encore, la clef d’un dialogue réussi est
bien souvent son caractère inclusif. Les organisations régionales
offrent bien souvent le meilleur cadre pour de telles démarches.
On le voit en Afrique, avec, en RCA comme au Mali,
l’implication considérable tant de l’Union Africaine que des
organisations régionales. La réconciliation procède ainsi du
dialogue interne entre les parties au conflit, initié sous
l’impulsion ou avec la médiation d’un voisinage responsable. En
Asie-Pacifique, la nécessité du dialogue entre pays qu’opposent
des revendications territoriales concurrentes est également
avérée. Et, pour que ce dialogue soit productif, il convient que
toutes les parties explicitent clairement les fondements
juridiques de leurs prétentions et acceptent non seulement de
dialoguer mais aussi de négocier, comme les y invite la Charte
de Nations unies, négocier sans recourir à la menace ou à
l’emploi de la force.
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- Enfin, la troisième responsabilité, c’est celle de la bonne foi
et de la transparence. Il est naturel que des pays se trouvent
parfois en désaccord. Nous avons tous une histoire, nous avons
tous des intérêts, et même des modes de pensée différents. Mais
il doit y avoir entre nous tous un point d’accord minimal, c’est
que les relations internationales doivent se mener de bonne foi. Il
ne peut y avoir d’ordre international stable lorsque certains
agissent en contradiction permanente avec les principes qu’ils
affirment ou la réalité telle que nous l’observons. On ne peut
exploiter sans vergogne à des fins expansionnistes les principes
généreux telle que la responsabilité de protéger, comme on le
voit aujourd’hui aux confins de l’Europe. On ne saurait mener
une action militaire sous couvert d’acteurs civils, en réalité
manipulés, sans mettre gravement en cause la stabilité des
rapports internationaux et la confiance de tous dans la parole des
Etats. Cette dimension est d’autant plus importante pour la
conduite du maintien de la paix que des champs nouveaux se
sont ouverts ces dernières années à la sécurité internationale,
comme la cyber-guerre, où ces principes trouveront de
nouveaux champs d’application.
Pour conclure, je voudrais dire quelques mots de la manière dont
ces enseignements peuvent se décliner dans la région AsiePacifique.
Il y a d’abord la question du respect du droit. Je souligne ici
l’importance toute particulière des principes de liberté de navigation et
de circulation aérienne, auxquels la France est, comme beaucoup
d’entre vous, profondément attachée. Le phénomène que nous
dénommons en France la « maritimisation du monde » pour illustrer
l’importance croissante des enjeux liés à la mer, à son usage, à son
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exploitation. Ce phénomène marquera fortement le XXIème siècle,
tant il est porteur d’opportunités et de richesses, mais aussi de risques.
Pour que ces risques restent contenus, il nous faut défendre le droit.
Ce n’est pas au ministre de la défense que je suis de lancer une
initiative internationale en matière de droit de la mer. Mais je suis
convaincu que, plus de trente ans après la conclusion de la Convention
de Montego Bay (1982), et alors que les tensions entre Etats se
multiplient à propos d’enjeux liés à la délimitation des espaces
souverains, à leur usage civil et militaire – je pense en particulier au
droit de passage inoffensif régi par la Convention et je pense aussi à
l’exploitation de ces espaces souverains - nous pourrions utilement
réfléchir à la possibilité d’un effort collectif ambitieux pour préserver
et consolider ce bien collectif qu’est le droit international de la mer et
son corollaire dans le domaine aérien.
Il y a également le principe de la coopération, y compris dans le
domaine militaire. Membre permanent du Conseil de sécurité et
puissance riveraine, la France y prend toute sa part dans la zone AsiePacifique, avec l’ensemble des acteurs qui recherchent la stabilité
d’une région qui est au cœur de nos intérêts. Ces acteurs sont ici. Je
voudrais saisir cette occasion pour saluer le discours du premier
ministre ABE vendredi soir en faveur d’un nouvel engagement de son
pays en matière de sécurité internationale. La coopération est un
instrument privilégié des politiques de prévention et gestion des crises.
Elle porte tant sur la préparation des forces avec l’expertise, le conseil
ou la formation, que sur le renseignement, ou sur l’opérationnel, au
travers des nombreux exercices organisés dans la région. Il s’agit de
contribuer à crédibiliser notre capacité à agir conjointement et
efficacement avec nos partenaires de la zone, au travers d’une
interopérabilité accrue.
Il y a ensuite, l’importance du dialogue. C’est ici tout le rôle et le
sens de la diplomatie, pour prévenir, pour résoudre les conflits. Le
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dialogue bilatéral peut parfois favoriser le dénouement des crises et la
prévention des conflits ; mais il faut compter aujourd’hui sur la
diplomatie préventive, élaborée et mise en œuvre par les organisations
régionales. En Asie-Pacifique, je tiens à saluer le rôle majeur de
l’ASEAN qui a multiplié les initiatives en matière de dialogue
multilatéral et de prévention des conflits. Elle apporte une contribution
essentielle à une architecture de sécurité régionale qui doit encore être
consolidée. Le rôle de l’ASEAN et des pays qui en sont membres a été
fondamental en matière de prévention, de transparence, de coopération
sur la sécurité régionale. Elle a été l’initiatrice du Traité d’amitié et de
coopération – dit traité de Bali – auquel la France a adhéré en 2007 –,
et elle est à l’origine de l’ARF (Asean Regional Forum), de l’ADMM
(Asean Defence Ministers Meeting) et de l’ADMM+, élargi à des
partenaires hors ASEAN.
Il y a enfin les principes de bonne foi et de transparence. La France
appelle ici de ses vœux la conclusion rapide du Code de Conduite
(COC) en mer de Chine méridionale, seul à même de prévenir les
incidents dans cette région convoitée, par l’établissement de règles
partagées de « bon voisinage ». Je sais que les différents acteurs
concernés sont engagés résolument dans cette entreprise, et seuls la
volonté et la bonne foi sont à même de pérenniser ce Code de
Conduite attendu par tous pour bâtir cet environnement
« plus pacifique, plus stable et plus prospère ».
Je forme ainsi le vœu que ce rôle moteur de l’ASEAN en matière de
prévention des crises et des conflits se développe au cours des années
à venir. Sa contribution à la sécurité n’intéresse pas seulement l’Asie,
mais elle concerne aussi le monde.
*
Mesdames et Messieurs,
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La France juge indispensable de préserver un ordre international fondé
sur la paix. Elle entend y contribuer activement dans cette partie du
monde, par sa capacité à agir conjointement et efficacement avec
l’ensemble de ses partenaires.
Je vous remercie de votre attention.
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