Barbarie n°17 – Hiver 2013/2014

Transcription

Barbarie n°17 – Hiver 2013/2014
B
hiver
2013 - 2014
arbarie
made in europe
#017
Entretien avec Michel Barnier commissaire européen au marché
intérieur et services // LE PETIT PLUS // What is European Culture? //
regard d’ailleurs // Le rêve singapourien
MIGRATIONS, IMMIGRATION, ÉMIGRATION :
où va l’Europe ?
DOSSIER // Les murs d’Europe / Les "Bananes" à Paris / Réfugiés ? Un
instant s’il vous plaît... // ACtualités // l’UE et les Balkans, entretien
avec Jacques Rupnik
1
É
ditorial
La rédaction est heureuse de vous retrouver pour ce nouveau numéro de Barbarie, la revue des étudiants en Master
Affaires Européennes de Paris-Sorbonne !
Pour cette occasion, nous avons choisi d’aborder le thème
Rédactrices en chef : Fanny Cohen, Aurélie Richard
Responsables images : Laureen Bouljroufi, Fanny
Cohen
Conception graphique : Laureen Bouljroufi
Rédacteurs : Majda Achab, Quentin Bisson, Steffy
Bonfils, Sophie Boissier, Fanny Cohen, Kenzo Crespin,
Solveig Fenet, Florence Galtier d’Auriac, Michal
Grabovski, Margot Herda, Alessandra Marano,
Isabelle Podetti, Aurélie Richard, Anne Saline, Nina
Tsiklaouri, Joséphine Vinet, Jixi Zhuang.
Traductions : Valérie Rehwinkel, Eric Huerga, Aurélie
Richard
Relectures : Sophie Boissier, Fanny Cohen, Aurélie
Richard
La rédaction du Master Affaires Européennes, au nom
de tous ses étudiants, adresse ses remerciements les
plus sincères à Michel Barnier, commissaire européen
au marché intérieur et services et parrain du Master,
ainsi qu’à Jacques Rupnik, politologue et directeur de
recherche à Sciences Po.
Merci également à Gerardo Perfors-Barradas, ancien
étudiant du Master.
Avec nos remerciements au FSDIE de l’Université
Paris-Sorbonne pour son soutien financier ayant
permis cette publication.
des migrations en Europe, vers l’Europe et au-delà dans
notre dossier spécial. Cette problématique, qui crée régulièrement la polémique, ne pouvait qu’interpeller des Européens tels que nos rédacteurs. Ainsi, nous nous sommes
creusé les méninges pour vous livrer des articles de fond et
d’actualité traitant de sujets certes difficiles, mais qui méritent et nécessitent d’être réfléchis, discutés, avec maturité,
précaution et intelligence.
Au programme : les murs de l’Europe, la diaspora espagnole,
la situation des demandeurs d’asile à Berlin, les migrations
polonaises, la vie des « Bananes » en France... Mais aussi
des regards d’ailleurs en provenance du Canada et de Singapour.
Et Barbarie ne s’arrête pas en si bon chemin. Vous retrouverez dans la rubrique actualité un entretien avec le politologue Jacques Rupnik ou encore un article présentant le parti « Alternative für Deutschland ». Vous rencontrerez aussi
dans nos pages le fondateur de Barbarie et aurez l’occasion
de visiter une expo punk très européenne !
Mais en ouverture de ce numéro, nous avons l’honneur de
vous présenter une interview exclusive du parrain de la promotion 2014, le Commissaire européen Michel Barnier, qui
nous a parlé des élections européennes de mai prochain et
de sa manière de voir l’avenir de l’Union Européenne.
Nous vous souhaitons une agréable en enrichissante lecture
européenne !
La rédaction
Master Affaires Européennes, Paris-Sorbonne
Contact [email protected]
http://affaireseuropeennes.eu/
2
3
Dossier
Actualités
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Alternative für Deutschland sème la zizanie
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Entretien avec Jacques Rupnik, les Balkans et l’UE
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Égalité professionnelle, ou la lutte contre les stéréotypes
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12
S
Les murs d’Europe
17
Les « Bananes » à Paris
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Karamba Diaby – I have a German dream
20
L’Europe : un continent de migrations perpétuelles
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Grève de la faim dans la capitale allemande
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Peut-on parler de « diaspora espagnole » ?
25
La politique commune d’immigration et d’asile
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Mais que faire de nos Roms ?
28
Aube Dorée : accroc sur l’échiquier européen
29
Réfugiés ? Un instant s’il-vous-plaît...
30
Regard d’ailleurs
Le petit plus
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L e Canada : vers la fin d’un modèle d’immigration exemplaire ?
34
Après le rêve américain, le rêve singapourien ?
Entretien avec Gerardo : De la genèse de Barbarie...
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Vers une remise en cause de l’exploitation animale
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What is European Culture?
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« Europunk », ou le punk à l’Européenne à la Cité de la Musique
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om
maire
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i
nterview
Barbarie
Barbarie
hiver 2013 - 2014
M.
Barnier
pour
la
revue
Propos recueillis par majda Achab, Fanny Cohen et aurélie richard
Avec nos remerciements à Erwan de Rancourt
Que pensez-vous de la décision de politiser les
élections par une désignation des candidats pour
chaque parti ? Ce changement va-t-il dans le sens
d’un renforcement des liens entre le Parlement et la
Commission ?
Le traité de Lisbonne de 2009 a amélioré la procédure
de désignation du président de la Commission
européenne en précisant que le Conseil européen,
c’est-à-dire les chefs d’État et de gouvernement,
propose au Parlement européen un candidat « en
tenant compte des élections au Parlement européen ».
Les partis politiques européens vont faire de cette
nouvelle formulation une interprétation volontariste,
mais qui me paraît juste, en décidant de désigner
à l’avance leur candidat au poste de président de la
Commission européenne.
Cette nouveauté devrait contribuer à renforcer la
légitimité démocratique du président de la Commission
européenne, qui procédera indirectement du choix
qu’auront fait les citoyens aux élections européennes.
Par ailleurs, ce nouveau système devrait enfin permettre
un débat d’idées incarné par des personnalités
européennes, qui confronteront notamment leur
point de vue lors de quatre débats télévisés diffusés
dans toute l’Europe. Tout cela va dans le sens d’un
renforcement de la démocratie en Europe.
Martin Schulz, candidat officiel du PSE, a récemment
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déclaré que son projet pour l’Europe se concentrerait
sur la lutte contre le chômage. Quel est, selon vous, la
grande priorité pour l’Europe ?
Le chômage, en particulier des jeunes, est à coup
sûr l’un des tout premiers problèmes de l’Europe.
Comment accepter que plus de 60% des jeunes actifs
grecs, ou même que 25% des jeunes actifs français,
soient sans emplois ? Nous ne devons pas courir le
risque d’une nouvelle « génération perdue », à l’image
de celle des années 20.
Face à cette situation, à laquelle je ne me résigne pas,
comment ne pas faire de la lutte contre le chômage la
première priorité ? Pour autant, suffit-il d’afficher cette
priorité, comme le font beaucoup de gouvernements
nationaux depuis des années, pour véritablement faire
changer les choses ?
Les dispositifs ciblés, comme la « garantie pour la
jeunesse » que nous avons proposée, peuvent bien
sûr aider les jeunes sur le terrain, mais je crois que
nous ne réglerons pas durablement le problème sans
nous pencher sur les causes profondes du chômage.
En restaurant la compétitivité de nos économies.
En développant les liens quasi inexistants dans
certains pays entre l’université et les entreprises. En
sensibilisant les jeunes européens à l’entrepreneuriat.
En ayant l’audace, surtout, d’une nouvelle politique
industrielle, en mutualisant les efforts de recherche
et, avec de nouveaux investissements communs dans
les secteurs qui créeront demain de l’emploi, comme
le cloud, le « big data », la défense et, les énergies
renouvelables, les technologies clefs. Voilà ce qui doit
être selon moi la grande priorité pour l’Europe !
Comment le PPE prépare-t-il la campagne électorale ?
Que prévoit votre parti pour encourager le débat
public et impliquer davantage les citoyens ?
Comme tous les grands partis européens, le PPE, dont
je suis l’un des Vice-présidents au côté de Joseph
Daul, sera bien entendu présent au grand rendez-vous
démocratique de mai 2014. Nous nous y présenterons
avec un projet de fond.
Je saisis cette occasion pour rappeler que, comme
l’Union européenne dans son ensemble, le PPE est
« uni dans la diversité », ce qui signifie que les partis
nationaux qui constituent notre mouvement sont unis
mais pas uniformes…
Sur la base de nos valeurs communes, mais aussi
des sensibilités propres à chaque parti national et
de l’expérience de nos députés et commissaires
européens, nous sommes entrés dans la phase d’un
débat autour de notre projet.
Pour ma part, je plaide pour que ce débat d’idées
dépasse largement le cercle des experts en politiques
européennes et donne toute leur place aux citoyens,
qui doivent comprendre que les décisions prises au
niveau européen ont un impact concret sur leur vie
quotidienne et que le changement en Europe n’aura
pas lieu sans l’implication de chacun.
Pour susciter ce grand débat citoyen, nous devons
utiliser les moyens de communication modernes, et
notamment les médias sociaux.
L’Union européenne s’est récemment retrouvée
sur le devant de la scène médiatique avec l’affaire
d’espionnage Snowden et le drame de Lampedusa,
sans compter l’allégorie du plombier polonais qui
revient souvent dans le débat public. Ne craignezvous pas que ces thèmes soient repris par les partis
extrémistes et les eurosceptiques à l’approche
des élections ? Que faire pour que la conscience
européenne ne se construise pas négativement ?
Les thèmes que vous citez font appel à des événements
distincts qui n’ont ni les mêmes causes, ni les mêmes
effets. Cela dit, ils illustrent tous selon moi le besoin de
plus d’action commune à l’échelon européen.
Nous avons besoin d’une véritable politique
d’immigration européenne, humaine avec les
demandeurs d’asile, inflexible avec les passeurs qui
mettent des vies en danger, juste avec les pays où
arrivent ces embarcations, et qui ne peuvent pas faire
face seuls.
Et nous avons besoin de travailler ensemble pour mieux
lutter contre les cas de dumping social en Europe.
Vous évoquez l’allégorie du « plombier polonais »
et plus précisément la révision de la directive
«détachement des travailleurs». La France, la Belgique
et d’autres pays demandent plus de contrôle. Je pense
qu’ils ont raison.
A titre personnel, je souhaite même que nous allions audelà de la révision en cours de la directive de 1996 qui
est mal appliquée et dont les failles sont nombreuses.
Par exemple en imaginant une liste noire publique des
entreprises qui ne respectent pas les règles. Il faudra
aussi, un jour ou l’autre, créer une agence de contrôle
européenne pour coordonner et renforcer la mission
des inspecteurs du travail au niveau de l’Union. Nous
devrions avoir un corps minimal d’investigation. Cette
agence permettrait notamment de suppléer au défaut
de contrôle dans les pays qui ne disposent pas d’une
administration structurée en matière d’inspection du
travail. Même en France, on voit bien qu’il y a des
faiblesses liées aux restrictions budgétaires. S’agissant
de la liberté et de la mobilité des salariés, il faut que les
droits sociaux soient respectés. Sinon vous aurez des
réactions de repli, de fermeture et de protectionnisme
contraires au marché intérieur, sous l’effet des
mouvements populistes.
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Barbarie
hiver 2013 - 2014
A
lternative für deutschland sème la
zizanie
Sophie boissier
Pour la première fois dans son histoire, le parti libéral allemand n’a pas atteint
les 5% requis pour entrer au Bundestag. En cause : le parti « Alternative für
Deutschland » qui a attiré beaucoup de ses électeurs. Présentation de ce
nouveau venu qui sème le doute.
Actualités
C’est un petit nouveau qui affole la classe politique
allemande. Créé le 6 février 2013, Alternative für
Deutschland (AfD) est, en quelques mois, parvenu
à mobiliser 4,7% des électeurs lors des dernières
élections législative allemandes. Si ce chiffre ne leur
a pas suffi à entrer au Bundestag (la limite étant fixée
à 5%), il a surpris les Allemands ainsi que les autres
partis. Ses électeurs viennent en majorité de l’Union
chrétienne-démocrate de la Chancelière Angela
Merkel (Christlich Demokratische Union, CDU), ainsi
que du parti libéral FDP (Freie Demokratische Partei).
Ce dernier, déjà très à la baisse dans les sondages
depuis un moment, a directement souffert de l’arrivée
de l’AfD sur la scène politique : beaucoup de citoyens
déçus par l’ancien parti de la coalition, se sont
tournés vers le nouveau parti. En outre, les opinions
eurosceptiques ont de plus en plus de succès au sein
de l’Union et un tel parti permet de les cristalliser.
En effet, celui-ci affiche clairement ses idées antieuropéennes et demande le retour aux monnaies
nationales ou d’une monnaie régionale commune
aux pays économiquement semblables. Il souhaite
également une modification des traités afin que les
pays membres de l’Union disposent d’une plus grande
marge de manœuvre et de plus de souveraineté. Par
ailleurs, selon l’AfD, l’Allemagne aurait trop payé pour
les autres durant la crise et cela ne doit plus durer.
Le nouveau parti fait donc peur aux autres forces
politiques en présence. Si celui-ci n’a pas encore
beaucoup d’influence, il peut cependant leur faire de
l’ombre car il rassemble des opinions partagées par un
nombre toujours plus important de citoyens…
L’AfD refuse de se voir attribuer une étiquette de gauche
ou de droite mais montre pourtant des tendances
d’un parti de droite conservatrice et populiste, voire,
selon certains, d’extrême droite. Bien entendu, le
nouveau parti ne veut pas renvoyer cette image et
pour remédier à cela, il refuse maintenant d’intégrer
les anciens sympathisants du parti d’extrême droite
allemand « Die Freiheit » (« la Liberté »). Mais cela
n’arrête pas ses détracteurs comme Claudia Roth,
l’ancienne co-présidente des Verts allemands (« Die
Grünen »), qui qualifie le parti de « répugnant » et le
compare au parti néo-nazi NPD.
Bien qu’il n’ait pas réussi à faire son entrée
au Bundestag, tout n’est pas fini pour le parti
eurosceptique. Son prochain défi est de réussir à se
faire une place, comble de l’ironie, au Parlement
européen... Mais l’Alternative est-elle si dangereuse ?
Il semblerait que non. Selon de récents sondages,
sa côte de popularité serait de nouveau en baisse et
l’effet de mode pourrait donc bien être passé. Il faut
néanmoins continuer à se méfier de ce petit parti et de
ses semblables qui redoublent d’efforts à l’approche
des élections de 2014.
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actualités
L’
rapports privilégiés dans le cadre de l’accord de libreéchange centre européen, quelles vont être pour la
Croatie les retombées économiques positives ?
Union européenne et les Balkans
occidentaux
Propos recueillis par Fanny Cohen et Jelena Isailovic
Quelques mois après l’entrée de la Croatie dans l’Union européenne, Barbarie
s’est penché sur les conséquences de cette intégration sur la région des Balkans
occidentaux et sur les réactions européennes quant à l’avenir européen d’une
région encore fragile. Jacques Rupnik1, politologue spécialiste de l’Europe
centrale et orientale et directeur de recherche à Sciences Po Paris a accepté de
répondre à nos questions.
Cinq mois après l’adhésion de leur pays à l’Union
européenne, quel est l’état d’esprit des Croates ? Les
pays de la région aspirent-ils toujours à une adhésion
malgré la crise qui frappe l’Union européenne ?
Y-a-t-il cette impression chez les Croates qu’ils ont du
faire davantage d’efforts que d’autres États pour leur
entrée dans l’Union européenne ?
Mais va-t-on reprocher aux Espagnols d’être entrés
avec des conditions plus souples qu’aujourd’hui ?
Assumer l’ensemble de l’acquis communautaire et
les obligations que cela comporte peut paraître plus
difficile, mais je crois que tout dépend de la manière
dont on aborde les choses. Il se trouve en effet que 90
% de ce que vous avez à faire pour entrer dans l’Union
européenne correspondent à ce que vous devriez faire
si vous voulez être un État moderne, démocratique,
centralisé et qui fonctionne bien. Mais au bout du
compte, le véritable argument c’est qu’on ne fait pas
ces réformes pour l’Union européenne, mais pour
soi-même. Ici, je pense donc qu’il y a une part de
responsabilité des élites politiques en place et de leur
capacité à expliquer ce qu’est l’adhésion.
Pour bon nombre de personnes, surtout dans les pays
nouvellement constitués comme la Croatie, on cherche
d’abord dans l’adhésion à l’Union européenne une
reconnaissance. Mais reconnaissance et intégration
sont deux choses différentes. La Croatie doit être
reconnue comme partenaire européen à part entière,
mais il y a cet autre volet qui doit être expliqué et qui
dépend de la capacité des élites en Croatie.
Le processus d’intégration européenne évolue. Si
vous avez adhéré il y a trente ans, vous n’adhérez
pas à la même Union européenne qu’aujourd’hui.
Malgré la nécessité de privatiser des pans entiers
de son économie, et alors que la Croatie a dû, pour
pouvoir adhérer à l’Union européenne, renoncer à ses
Pour ce qui est des Croates eux-mêmes, ils se sont
exprimés par référendum, et une claire majorité (60
% par référendum) s’est prononcée en faveur de
l’adhésion. Celle-ci fait le consensus dans les élites
politiques, elle a le soutien de la majorité de la
population mais elle ne créé pas l’enthousiasme et
même soulève un certain nombre de craintes ou de
réticences. Cela est lié concrètement à des situations
locales ou régionale. Par exemple, l’Union européenne
demandant le démantèlement des chantiers navals
de Rijeka, il va de soi que pour les personnes qui y
travaillent, l’adhésion à l’Union européenne n’est pas
très populaire, même si un plan de reconversion est
prévu.
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Barbarie
hiver 2013 - 2014
En premier lieu, elle accède au marché européen.
Sur le plan économique, ce n’est pas rien. Pour
un investisseur, investir dans un pays de l’Union
européenne est rassurant car il sait que les mêmes
règles s’y appliquent, les mêmes garanties, le respect
du droit.
Deuxièmement, le pays accède aux fonds européens.
Il faut savoir que les sommes disponibles pour les
États qui ont le statut de candidat n’ont rien à voir
avec celles réservées aux membres à part entière. A
titre d’exemple, la Pologne, au cours de la dernière
période budgétaire, a obtenu 100 milliards d’euros de
transferts. La Grèce par exemple a pendant trente ans
tiré près de 3% de son PIB des transferts européens.
Évidemment, la Croatie est un État plus petit et les
fonds disponibles sont proportionnels à la taille et aux
besoins du pays.
On voit donc là deux énormes avantages du point de vue
économique. D’ailleurs s’il n’y avait pas d’avantages,
les candidats ne se bousculeraient pas pour entrer
dans l’Union. Au sein de l’Union européenne, tout le
monde la critique, c’est « la faute de l’Europe ». Mais
à l’extérieur, tout le monde voudrait y entrer. Il faut
parfois s’interroger sur les raisons pour lesquelles tous
ceux qui n’y sont pas souhaitent tellement y entrer.
Pourquoi c’est si mal si c’est si bien ?
Tandis que la Croatie refusait de faire appliquer les
règles du mandat d’arrêt européen en s’appuyant
sur une loi nationale introduite à quelques jours
de son adhésion, le Parlement croate a finalement
supprimé ces limitations afin d’éviter d’éventuelles
sanctions européennes. Dans ce contexte, que peuton dire de la marge de manœuvre de ce nouvel
arrivant au sein de l’Union européenne ? Que signifie,
politiquement, l’introduction de ces limitations,
quelques jours avant son adhésion ? 2
Dès de début des négociations de la Croatie avec
l’Union européenne, la première condition était la
coopération avec le Tribunal Pénal International.
L’affaire Gotovina3 était l’affaire emblématique et Ivo
Sanader, le Premier ministre de l’époque, une heure
avant le Sommet européen appelait pour annoncer
que le gouvernement croate avait « localisé Monsieur
Gotovina ». C’est ce qui a permis à Carla Del Ponte
de dire, en octobre 2005, qu’elle « se satisfaisait de
cet engagement ». Le feu vert pour le début des
négociations avec l’Union européenne était donné.
L’idée que l’on veuille trouver une dérogation qui
s’applique à un individu, à savoir les dérogations sur
mesure comme celle-ci, est inacceptable en droit.
Je crois que c’est étrange de voir cette manœuvre
de dernière minute s’esquisser. Mais je pense que le
message a été bien reçu. Pour l’Union européenne,
cela n’était pas acceptable : soit on coopère soit on
ne coopère pas. Cela fait partie de l’apprentissage
européen. Et je crois qu’il était très important qu’un
message clair ait été donné par la Commission. Car
partir sur l’idée qu’une fois les négociations closes,
on n’a plus besoin de coopérer, est une mauvaise
interprétation de ce qu’est l’Union européenne.
Pensez-vous que cela a été un test de la part de la
Croatie pour voir si l’Union européenne allait réagir ?
Je pense que du côté croate, il s’agissait clairement
d’un test. La contrainte ne semble en effet s’appliquer
que jusqu’à l’adhésion. Si l’on prend l’exemple de
la Roumanie et de la Bulgarie, ces deux pays ont
tellement mal intériorisé les contraintes que le bilan
de leur entrée dans l’Union européenne est jugé
globalement négatif sur le plan de l’État de droit. On
peut aussi parler des dérapages de la démocratie et
de l’État de droit en Hongrie. Effectivement, l’idée que
lorsque l’on est entré dans l’Union européenne on
peut faire à peu près n’importe quoi, est, je pense, un
très mauvais signal à envoyer aux Balkans. Ainsi, il était
très important, dès le premier jour, que la Croatie soit,
disons, au courant, de ce qui est attendu.
11
actualités
Comment les pays de la région ont-il réagi à l’adhésion
de la Croatie ? Tentent-ils tous un rapprochement
européen ?
Ils le tentent certainement tous verbalement et on
observe différentes traductions en pratique de cet
engagement verbal. Je dirais qu’en Serbie, nous avons
assisté à un retournement spectaculaire au nom de
l’Europe4. C’est un très grand succès européen, car
sans la perspective européenne, ce changement
n’aurait pas eu lieu. Celui-ci a eu lieu dans le contexte
particulier que constituaient, d’un côté, l’entrée de
la Croatie dans l’Union européenne et, de l’autre, la
perspective européenne de la Serbie, à condition
de trouver un modus vivendi, une sorte de relation,
même pragmatique avec le Kosovo. Cela n’était pas
évident, personne n’aurait parié là-dessus il y a un an
et cela a été fait. C’est l’exemple le plus spectaculaire
de la façon dont la perspective européenne peut
infléchir la politique d’un pays ou la relation d’un
pays avec ses voisins. Ceci va être très important pour
l’environnement régional.
A l’inverse, je dirais que, dans le cas de la Macédoine,
qui, verbalement, souhaite intégrer l’Union
européenne5, il ne s’est pas passé grand chose depuis
2005. Ce n’est pas seulement du gouvernement
macédonien, la Grèce ayant systématiquement bloqué
en 2009 l’entrée de la Macédoine dans l’OTAN. Le
blocage grec a sans doute pesé dans la façon dont le
gouvernement macédonien a interprété la plausibilité
d’entrer dans l’Europe.
En 2010, le Monténégro a accédé au statut de
candidat. Où en sont à présent les négociations ?
Les négociations ont été ouvertes, et ce qui est très
positif, c’est que l’on entre dans le vif du sujet. En effet,
comme dans le cas de la Serbie, on commence, dans
le cadre des négociations, par le chapitre 23, c’est-àdire par la question de l’État de droit. Au lieu de faire
les choses les plus faciles et puis d’arriver tout à la fin
vers les choses difficiles. « Vous voulez commencer
12
les négociations, alors montrez-nous que vous le
pouvez », tel est le message de l’Union européenne.
En 2012, la Serbie a accédé au statut de candidat à
l’Union européenne. Pour autant, un long chemin
reste encore à parcourir. Quelles seront les étapes des
négociations à venir ? Quelles grosses problématiques
doivent être résolues avant une adhésion ?
Un long chemin reste en effet à parcourir avant
l’adhésion. Dans le meilleur des cas, la Serbie pourrait
adhérer d’ici 2020. C’est l’objectif, mais de nombreuses
réformes devront être mises en œuvre. Il faudra
commencer par le chapitre de l’État de droit et par la
réforme de la justice. Les problèmes de corruption et
du crime organisé doivent également être résolus. Ce
sont là les chantiers qui, je pense, s’avéreront être les
plus difficiles.
A la fin du parcours, une fois que ces questions
concrètes auront été traitées, l’autre question très
difficile, sera celle du Kosovo. Il s’agira de savoir
comment négocier avec le gouvernement du Kosovo
la question des frontières, des douanes, du commerce,
de l’énergie, de la situation de la minorité serbe - y
compris celle de la décision pour les minorités serbes
de participer aux élections au Kosovo6. Un processus
est donc enclenché mais cela ne garantit évidemment
pas d’arriver à bon port. Au bout du compte, c’est au
jour de l’adhésion que sera posée la question la plus
délicate, celle de la reconnaissance ou non par la Serbie
de l’État du Kosovo. Dès l’ouverture des négociations
avec la Serbie, il a été dit qu’en devenant membre, elle
ne pourrait en aucun cas bloquer l’adhésion d’un autre
candidat. Elle ne pourra donc pas exercer ce type de
veto à l’encontre du Kosovo.
A la conclusion du processus, aura donc lieu ce double
mouvement : entrer dans l’Union européenne et
accepter de clore le chapitre Kosovo.
Bien entendu, cela ne signifie pas que la question de
la relation avec le Kosovo sera close mais que celle du
statut du Kosovo le sera. La relation de la Serbie avec
le Kosovo serait dès lors une relation au sein de l’Union
Barbarie
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européenne. D’une certaine façon, celle-ci offrirait
plus de garanties à la minorité serbe du Kosovo, étant
donné que les éventuelles violations à l’encontre de
ses minorités deviendraient alors une problématique
européenne. Dans ce cadre, le Kosovo lui-même, s’il
ne respectait pas le droit des minorités, mettrait sa
propre perspective européenne en difficulté. A ce
moment-là, je dirais que, du point de vue serbe, on
pourra présenter cette « perte » du Kosovo comme
un gain, qui est non seulement l’adhésion à l’Union
européenne mais aussi des garanties meilleures pour
la minorité serbe du Kosovo.
La Yougoslavie construite sur l’idéologie unitéfraternité s’est disloquée, les conséquences ont été
nombreuses (populations réfugiées, déplacées,
nettoyage ethnique). Comment expliquer l’intérêt
de la réunification, cette fois au sein de l’Union
européenne ?
Il s’agit ici aussi d’un double mouvement : celui de
l’affirmation de son identité et de l’intégration. On
vous dira toujours que, pour s’intégrer à un ensemble
supranational, il faut pouvoir affirmer son identité
nationale et savoir qui l’on est. C’est une formule et
cela n’est jamais aussi simple car affirmer son identité,
c’est l’affirmer généralement contre quelqu’un ou visà-vis de quelqu’un, ce qui n’est pas toujours propice
à l’intégration régionale préalable à l’intégration
européenne. Mais je pense que l’on peut comprendre
cette évolution ainsi : il y a eu la phase de dislocation
et l’on est à présent dans une phase d’intégration. Le
journaliste Tim Judah, (The Economist) utilise ainsi la
formule de « Yugosphere ». Selon lui, on ne cherche
pas à reconstituer la Yougoslavie, mais un espace postyougoslave, qui est un espace d’échanges économiques,
de circulation, d’échanges culturels, existe bel et bien.
Pour les jeunes générations, la guerre c’est déjà le passé.
Ils vivent dans une perspective davantage tournée vers
l’avenir. Cela ne reconstitue pas la Yougoslavie mais
créé un espace commun qui préfigure une intégration
de l’ensemble de cet espace dans l’Union européenne.
On aurait ainsi, au sein de l’Union européenne, cette
composante, cette « Yougosphère ». De ce point
de vue, il est effectivement infiniment préférable
d’intégrer une zone réconciliée avec elle-même, plutôt
qu’une série de micro-États non viables qui vivent une
relation hostile entre eux.
A quelques mois des élections européennes, la
Commission recommande d’octroyer le statut de
pays candidat à l’Albanie et d’ouvrir les négociations
d’adhésion avec la Macédoine. Alors que l’on a du
mal à coordonner nos politiques à 28, et que l’UE doit
faire face à de nombreuses critiques, l’enthousiasme
pour l’élargissement ne s’est-il pas essoufflé ?
L’enthousiasme pour l’élargissement de l’Union
européenne est très limité. Autrefois on observait
une différence entre les Allemands, plus favorables
à l’élargissement et les Français, plus réticents. Puis,
la différence s’est esquissée entre les nouveaux
membres de l’Union, les Européens de l’Est, et les
« anciens ». Cette différenciation est cependant
relative aujourd’hui. Les derniers sondages en
République tchèque par exemple, montrent que
l’enthousiasme pour la poursuite de l’élargissement
s’essouffle également. Peut-être se dirige-t-on là vers
une convergence des opinions.
A la différence de la question de l’intégration de
l’Ukraine ou d’autres pays de l’ex-URSS, il n’y a pas
d’objection de principe, venant des pays de l’Union
européenne sur l’intégration des États des Balkans
occidentaux. En témoigne l’accord de Thessalonique
de juin 2003. Cependant, ni les élites politiques,
embourbées dans la crise de l’euro, ni les opinions
publiques, qui tendent actuellement à se replier sur
elles-mêmes, ne sont favorables à l’élargissement.
De ce point de vue, l’adhésion de la Croatie sera
intéressante car elle sera une façon de dire « regardez,
la Croatie est entrée dans l’Union européenne, est-ce
que cela a changé quelque chose pour vous ? ».
Le total de l’ex-Yougoslavie, c’est un peu plus de 20
millions d’individus. L’ensemble d’un demi milliard
13
actualités
d’habitants que représente l’Union européenne
peut digérer les Balkans. Si elle n’en est pas capable,
de quoi est-elle capable ? Mais beaucoup de choses
vont dépendre de la capacité de nos élites politiques
d’adopter un discours à la fois de vérité mais aussi
d’honnêteté intellectuelle. Il y a certes des problèmes
avec certains pays nouveaux membres, la Roumanie
et la Bulgarie en particulier, sur la question de la
libre‑circulation des Roms. Mais, dans l’ensemble,
on peut dire que l’élargissement a été le plus grand
succès de l’Union européenne depuis 1989. C’est
une réalisation extraordinaire à laquelle l’Union
européenne a contribué de façon majeure, et elle n’en
tire aucun crédit. Si vous vous rendez ailleurs, en Chine
ou aux États-Unis, par exemple, il est évident que le
grand succès de l’Union européenne, c’est, après
l’effondrement du bloc soviétique, d’avoir offert un
cadre pour la transition démocratique, pour le passage
à l’économie de marché, pour l’intégration, pour la
stabilisation et la paix du continent.
Merci.
é
galité professionnelle, ou la lutte
contre les stéréotypes
fanny cohen
D’aucuns affirment que les stéréotypes mettraient en moyenne 200 ans à
disparaître. Ceux liés aux genres, bien qu’ancrés profondément, sont décelés
bien rapidement par ceux qui y sont attentifs. Alors que, bien souvent, ils
correspondent à des croyances ou distorsions de la réalité, ils sont à l’origine
d’inégalités professionnelles réelles et bien observables entre hommes et
femmes. En plein cœur d’une société européenne, que l’on considère pourtant
comme « moderne », ils engendrent des pratiques inégalitaires. Pour autant,
quelques solutions s’esquissent afin de les enrayer.
En octobre dernier, lors de la conférence Europa,
organisée par EuropaNova en Sorbonne, la poétesse
et danseuse indienne Tishani Doshi s’est exprimée
avec justesse sur la situation des femmes en Inde, puis
sur celle des femmes en Europe. Les femmes en Inde,
sont victimes de graves discriminations, nous a‑t‑elle
rappelé. Elle sont fréquemment vendues en mariage,
victimes de trafic sexuel. Sans même parler des viols
collectifs, monnaie courante dans le pays. Et d’ajouter
« and these are the women who are lucky to be
born », en référence aux avortements discriminatoires
14
au détriment des filles, qui en Inde sont légions. Au
moment de passer à la question de la situation féminine
en Europe, l’artiste a, me semble-t-il légèrement
surpris l’assistance – probablement volontairement
– en prononçant ces mots « En Europe, les femmes ont
certes davantage de droits, mais moins de pouvoir. »
Ce constat peut être à vrai dire établi tant en Europe
qu’au niveau français.
Nous sommes le 6 novembre 2013, il est 9h au
Conseil Régional d’Île-de-France. Une matinée de
Barbarie
hiver 2013 - 2014
tables rondes est organisée, avec comme thème
l’égalité professionnelle en France. Dominique Poggi,
chercheure et sociologue, ouvre le débat en qualifiant
cette thématique de « défi d’actualité ». Un « défi »
car « les résistances sont tenaces ». Les femmes sont
toujours touchées, dans le milieu professionnel par la
ségrégation horizontale, puisqu’une majorité d’entre
elles se cantonne à des carrières dans quatre secteurs
principalement (la santé, les soins à la personne,
l’administration, les métiers organisationnels). Mais
aussi par la ségrégation verticale, celles-ci étant encore
minoritaires aux postes de direction, dans les conseils
d’administration des entreprises ou encore dans la
sphère politique. Tenaces également car les inégalités
salariales persistent. En 2010, le salaire moyen d’une
Française s’élevait à 80% de celui d’un Français, et sa
retraite à 45% de la retraite moyenne d’un homme.
La sociologue qualifie ce défi « d’actuel », la question
de l’égalité au travail commençant à être réellement
posée au niveau politique. L’arrivée d’un gouvernement
paritaire en France en 2012, et l’instauration d’un
Ministère des Droits des Femmes a en effet changé la
donne. Un tel ministère n’avait pas existé depuis Yvette
Roudy, ministre des Droits de la femme de 1981 à
1986. Et celui-ci se montre volontaire : depuis fin 2012,
un décret relatif à la mise en œuvre des obligations
des entreprises pour l’égalité professionnelle prévoit
par exemple des pénalités financières contre les
entreprises qui ne respectent pas l’égalité salariale
entre hommes et femmes.
Au niveau européen, l’égalité au travail a été également
abordée avec l’initiative « Women on Board », lancée
par la Commissaire européenne Viviane Reding en
novembre 2012. Cette dernière vise à atteindre,
d’ici 2020, 40% du sexe sous‑représenté parmi les
membres non exécutifs de conseils d’administrations
de sociétés cotées. Des États comme l’Italie, la France
et le Danemark ont d’ailleurs déjà intégré dans le droit
national des législations dans ce domaine. Quant à
l’Allemagne, tandis qu’en avril dernier, le Bundestag
décidait de ne pas se doter dans l’immédiat d’une loi
imposant un quota de femmes au sein des conseils
de surveillance des entreprises, il se pourrait bien
que le sujet soit remis à l’ordre du jour dans le cadre
d’une nouvelle coalition avec le SPD. Berlin, mais aussi
Londres, qui, il y a peu, comptaient parmi les grands
détracteurs d’une politique de quotas pourraient bien
s’adoucir...
Si ces évolutions et ces initiatives semblent positives,
un long chemin reste cependant à parcourir. Et celuici nous apparaîtra probablement moins interminable
si chacun d’entre nous prend conscience qu’il peut,
par son comportement et sa réflexion, agir contre
les stéréotypes genrés. C’est ce que l’on appelle
« l’intelligence égalitaire », ou comment s’y prendre
pour promouvoir l’égalité professionnelle. Il s’agit
de débusquer le « sexisme intégré », mais aussi par
exemple de soutenir et d’encourager les personnes
autour de nous qui souhaitent exercer un métier,
suivre une formation ou entreprendre des études
qui ne sont pas traditionnellement exercées par leur
sexe. Il s’agit aussi de dire l’inégalité quand elle nous
apparaît, d’en témoigner et de la dénoncer. Qu’elle se
fasse au détriment des femmes comme des hommes.
L’inacceptable ne se normalise en effet que lorsque
l’on veut bien s’en accommoder.
15
Barbarie
hiver 2013 - 2014
L
es murs de l’Europe, matérialisation de
la peur de l’Autre ?
Margot Herda
Si vous pensez que le dernier mur d’Europe s’est effondré en 1989, vous vous
méprenez. Et pourtant, de nos jours, on associe souvent la mondialisation et
l’intégration européenne à l’« obsolescence des murs et des frontières ». Ces
deux expressions étant, dans l’imaginaire collectif synonymes ou du moins très
proches du terme « ouverture ».
le dossier
Migrations : où va l’Europe ?
Le rideau de fer est tombé, le grand marché commun
crée et l’espace Schengen achevé. Tout porte à
croire que l’européanisation (en tant que processus
communautaire) est synonyme d’une normalisation
des rapports entre États. Pourtant, les murs, partout
nous entourent, nous protègent et nous séparent.
Celui de notre chambre sépare notre intimité du reste
de la vie des autres que l’on qualifie néanmoins de
« proches ». Celui de notre maison nous protège de
l’extérieur, de la rue et de ses inconnus. Celui de notre
pays, cette barrière que l’on dresse entre soi et l’autre
marque le seuil entre deux territoires que l’ont veut
distinguer.
Malgré l’apparente ouverture de l’espace, l’Union
européenne se crispe. La frontière ne disparaît pas,
elle se transforme et fait toujours sens. Au cœur de
l’Europe, l’espace Schengen devient un territoire
que Philippe Rekacewicz, cartographe du Monde
Diplomatique qualifie de « sanctuarisé »7, des murs
visibles et invisibles, franchissables pour certains et
mortels pour d’autres s’érigent de part et d’autre.
Matérialisation de la peur de l’autre, quels dispositifs
nous entourent ? Afin de limiter l’immigration
clandestine, l’Union européenne a construit les murs
de Ceuta et Melilla, enclaves espagnoles en Afrique,
ils matérialisent ainsi une frontière hermétique. Ces
murs de plus de trois mètres de hauteur et dotés de
nombreux dispositifs coercitifs : gaz lacrymogènes,
tour de guet, barbelés etc. séparent des populations
aux niveaux de vie très différents. La Grèce a de son
côté, construit un mur d’une douzaine de kilomètres le
long de sa frontière avec la Turquie, en prolongement
du fleuve Evros. L’île de Lampedusa fait figure de
forteresse, difficilement atteignable, elle devient
la destination finale des migrants qui y accèdent.
L’association Migreurop dénombre plus de 16 250
morts en Méditerranée pour l’ensemble de la période
allant de janvier 1993 à mars 2012. Beaucoup de
barrières nous entourent, souvent présentes dans
des lieux que l’on pense au contraire ouvert. A Roissy,
les demandeurs d’asiles placés en zone d’attente ne
sont séparés que par quelques murs fins des très
nombreux touristes qui parcourent le monde en toute
liberté. Sous cet engrenage de durcissement des
politiques migratoires et des dispositifs de contrôles,
les frontières deviennent des paradoxes spatiaux.
Face aux nombreuses tragédies, on peut se demander
quels sont la pertinence et le rôle des murs que l’on
dresse en Europe ? Sont ils protecteurs ou meurtrier ?
Quelle solution apportent-ils à la problématique et
sensible question de l’immigration ? Ne devraientt-on pas plutôt travailler sur la réduction des écarts
de développement entre les pays d’Europe et les
pays qui l’entourent afin d’améliorer la régulation
des flux migratoires dans le but d’offrir de meilleures
conditions d’accueil ?
17
Le DOSSIER
N’oublions pas que la frontière est finalement
la pacification d’un front guerrier. Alors pour
tenter de dépasser la peur et ne pas tomber dans
l’instrumentalisation d’une problématique qui
devient amplement politique à la veille d’une période
électorale, souvenons-nous que la mobilité est un
droit universel reconnu par la Déclaration Universelle
des Droits de l’Homme de 1948. L’Europe au cœur du monde sanctuarisé, est une carte
réalisée par Philippe Rekacewicz en 2011.
L
es "Bananes" à Paris
Jixi Zhuang
Vous Européens, voyez auprès de vous, de plus en plus d’immigrants chinois ?
Vous avez un ou plusieurs amis d’origine chinoise et vous partagez une vie
européenne avec ces jeunes ? Ces jeunes, que l’on surnomme « Bananes »,
ont-ils le sentiment de posséder une identité européenne ?
L’histoire des migrations chinoises a commencé
il y a bien longtemps. Aujourd’hui, elle concerne
plus de 30 millions de personnes installées dans les
grandes capitales européennes telles que Paris. Au
début des années 1990, on a pu observer une vague
d’immigration venant du Sud-Est de la Chine. Celle-ci
s’explique notamment par la recherche de meilleures
conditions de vie et financières. Ces migrants sont
souvent arrivés en Europe accompagnés d’enfants
mineurs. Cette génération n’étant pas née en
Europe, on peut se demander s’il n’existerait pas une
ambivalence dans leur adaptation à la société locale ?
Que pensent ces jeunes des sociétés européennes et
de la société chinoise ? J’ai étudié plusieurs situations
dans lesquelles de jeunes Chinois étaient confrontés
à des conflits entre leur propre culture et la culture
européenne, conflits nés de l’adoption de nouvelles
valeurs totalement différente des leurs.
18
J’ai ainsi mené une enquête auprès de 60 jeunes
migrants venus en France dans les années 1990. La
ville de Paris a été choisie comme exemple afin de
représenter les grandes villes européennes.
Selon les résultats de l’enquête, les jeunes étudiés sont
âgés en moyenne de 22 à 26 ans et se sont installés en
France entre 1995 et 2000. A leur arrivée en France, ils
avaient donc de 5 à 10 ans. « J’ai obtenu la nationalité
française à l’âge de 18 ans. On peut procéder à la
naturalisation pour l’obtention de la nationalité
française. » Un jeune de 22 ans m’a présenté quels
étaient pour lui les avantages d’avoir la nationalité
française : « c’est bien pratique pour aller à l’étranger
et pour trouver un travail. » « Mon père est venu en
France pour gagner un meilleur salaire et pour pouvoir
m’inviter à le rejoindre plus tard. » Il était d’accord avec
son père, « Oui, c’était juste, parce que cela m’a permis
d’apprendre une, voire plusieurs langues, et d’avoir un
Barbarie
hiver 2013
diplôme européen, ce qui est beaucoup plus valorisant
qu’un simple diplôme chinois. En même temps, on peut
découvrir une autre culture et un autre monde. »
L’éducation donne l’occasion aux jeunes « Bananes »
de s’intégrer à la société française. « Je suivais les
cours avec les étudiants français, et un enseignant
s’occupait de moi pour que je pratique le français et
rédige ce que j’avais écrit. C’était intéressant et on
pouvait manger des bonbons tout en bavardant. »
Cependant la nostalgie est une chose commune à tous
les jeunes interrogés, « je me suis retrouvée isolée
par certaines filles, un jour, j’ai dessiné un chat, elles
l’ont pris pour un tigre. » A travers les dialogues, la vie
multiculturelle leur a fait du bien et élargi leur vision
des choses : « L’Europe est plus stable que la Chine du
point de vue social, politique et économique. Il y a plus
d’égalité et de liberté qu’en Chine. Personnellement,
je trouve que la Chine est mieux pour les jeunes qui
sont plus courageux car la société européenne et
son économie n’évoluent que très peu. » Malgré
la nationalité française, beaucoup d’entre eux se
présentent plus souvent comme Chinois. Quant à leur
identité culturelle, ils se sentent un peu entre les deux.
Bref, à travers cette enquête, on comprend que
l’identité des jeunes Sino‑Parisiens ou encore SinoEuropéens se partage entre l’Europe et la Chine.
Ces immigrés particuliers jouent également un rôle
important dans les échanges culturels internationaux.
—“欧洲社会和经济发展都比中国稳定,人与人
之间更加自由和平等。但是中国发展的更快,为
了更好的未来,我想回中国。”
—“我既是法国人,也是中国人。相比之下,欧
洲大学的文聘比中国大学的文聘更好一些,我在
欧洲也学会了好几门外语,生活在另一种文化里
让我觉得自己不同。”
Et en chinois?
如今,在欧洲的中国移民越来越多,每个欧洲人
身边都或多或少有几个华人朋友。有着华裔血统
的年轻人是如何融入欧洲社会,又是怎样看待文
化归属这个问题的呢?
—“我18岁的时候拿到了法国国籍,出国旅游和
找工作变得更方便了。”
—“小时候我和法国学生一起上课。有一个法国
老师专门教我法语,上他的课可以吃糖。”
—“班上有些女生不喜欢我,我感觉自己被孤立
了,很想回家。”
19
LE DOSSIER
K
aramba Diaby – I have a German dream
K
aramba Diaby – I have a German dream
Anne Saline
Anne Saline, traduit par Valérie Rehwinkel
C’est une grande première outre-Rhin : lors des élections pour la chancellerie le
22 septembre dernier, Karamba Diaby, membre du parti social-démocrate, est
devenu le premier Allemand d’origine africaine à entrer au Bundestag.
Es handelt sich um eine große Premiere jenseits des Rheins: Die Bundestagswahlen
am 22. September ermöglichten dem ersten Deutschen afrikanischer Herkunft,
Karamba Diaby (SPD), in den Bundestag einzuziehen.
Karamba Diaby est à coup sûr un nom qui restera
gravé dans l’histoire politique allemande. À 51 ans, ce
docteur en géo-écologie vient d’être élu député SPD
de la ville de Halle, Land de Saxe-Anhalt. Son parcours
et ses origines font de lui un politique allemand
exceptionnel au sens littéral du terme : Allemand
né au Sénégal, c’est en 1985, après avoir passé son
baccalauréat à Dakar, qu’il s’installe en RDA grâce
à une bourse, sans parler un seul mot d’allemand.
L’engagement de Karamba Diaby, marqué par son rôle
de porte-parole et sa lutte pour les étudiants étrangers
de son université menacés d’expulsion après la chute
du mur de Berlin et de la RDA – et pour lesquels il
obtiendra la régularisation –, est probablement la clé
du succès de son intégration.
Si elle s’avère porteuse d’espoir pour la question
de l’intégration des populations immigrées en
Allemagne (et au sein de l’Union européenne à plus
large échelle), cette élection n’en était pas moins
incertaine sur le papier. En effet, la ville de Halle est
connue en Allemagne pour être l’un des principaux
fiefs de l’extrême droite, et c’est cette caractéristique
même qui rend l’élection du député SPD encore
plus inattendue. Néanmoins, si le nouvel élu n’a pas
échappé à une agression due à sa couleur de peau
au début des années 1990, il se veut le symbole de
l’intégration réussie de la communauté africaine et du
recul de la xénophobie, chassant la perspective d’une
montée des extrêmes qui plane actuellement sur
20
Barbarie
hiver 2013 - 2014
l’ensemble de l’Europe. Cet événement pour le moins
inédit semble être un message envoyé à l’Europe, en
écho à celui envoyé de l’autre côté de l’Atlantique il y
a quelques années déjà : « Yes Europe, we can too ! ».
Finalement, ce que Karamba Diaby cherche désormais
à démontrer à travers son élection est que l’on ne
peut réduire un Homme à ses racines. Aujourd’hui, il
se sent « Européen d’origine africaine », et c’est avant
tout pour le pays qui l’a accueilli et dont il a adopté
la nationalité depuis une douzaine d’années qu’il
souhaite œuvrer. Si son élection a été médiatisée
aussi bien en Allemagne qu’au Sénégal, c’est pour son
action politique que Monsieur Diaby souhaite entrer
dans l’histoire. Son mandat sera pour lui l’occasion de
travailler sur des sujets qui lui tiennent à cœur tels que
l’éducation, l’intégration ou encore l’instauration d’un
salaire minimal à l’échelle fédérale.
Der Name Karamba Diaby wird mit großer Sicherheit
in die deutsche Geschichte eingehen, denn der
51-Jährige mit einem Doktor in Geoökologie wurde
kürzlich zum SPD-Bundestagsabgeordneten des
Wahlkreises Halle (Sachsen-Anhalt) gewählt. Seine
Herkunft und sein beruflicher Werdegang machen
aus ihm buchstäblich einen außergewöhnlichen
deutschen Politiker: Geboren im Senegal, zieht es ihn
1985, nach Abschluss seines Abiturs in Dakar, nach
Ostdeutschland, wo er sich mit Hilfe eines Stipendiums
und ohne ein Wort Deutsch zu sprechen, niederlässt.
Der Schlüssel zu seiner Integration liegt vermutlich
in seinem starken Engagement, das geprägt ist durch
seine Rolle als (Studenten-)Sprecher (des étudiants?!)
und seinen Einsatz für ausländische Studierende
seiner Universität, denen nach dem Mauerfall die
Abschiebung drohte – und deren Aufenthaltserlaubnis
er bewirkte.
Auch wenn sein Wahlsieg Hoffnungen weckt, was die
Integration von Immigranten sowohl in Deutschland
als auch Europa betrifft, so war dieser zu Anfang nicht
mal sicher. Tatsächlich ist die Stadt Halle bekannt
als Hochburg des Rechtsextremismus, was die Wahl
von Karamba Diaby natürlich noch überraschender
macht. Trotz eines tätlichen Angriffs, ausgelöst durch
seine Hautfarbe, zu Beginn der 90-iger Jahre, sieht
der neu Gewählte sich als Symbol einer erfolgreichen
Integration der afrikanischen Gemeinschaft und
einer zurückgehenden Xenophobie, womit er die
bedrohlichen Gedanken an den derzeitigen Zulauf zu
rechtsextremen Parteien in der europäischen Politik
verscheucht.
Seine Wahl – ein noch nie dagewesenes Ereignis –
erscheint wie eine Botschaft, die bereits vor einigen
Jahren von der anderen Seite des Atlantiks erschallte,
und sich frei nach dem Motto: „Yes Europe, we can
too!“ an Europa richtet.
Was Karamba Diaby letztendlich durch seine Wahl
zu zeigen versucht, ist die Tatsache, dass man einen
Menschen nicht auf seine Wurzeln reduzieren kann.
Heute fühlt er sich als Europäer afrikanischer Herkunft
und möchte sich vor allem für das Land, das ihn
aufgenommen und dessen Nationalität er seit mehr
als 12 Jahren hat, einsetzen. Auch wenn sein Wahlsieg
sowohl in Deutschland als auch im Senegal stark
mediatisiert worden ist, so möchte Karamba Diaby viel
mehr für sein politisches Handeln in die Geschichte
eingehen. Sein Mandat wird ihm ermöglichen an
Themen zu arbeiten, die ihm persönlich am Herzen
liegen, wie beispielsweise Bildung, Integration oder
auch die Einführung eines bundesweiten Mindestlohns.
21
le dossier
L’
Europe : un continent de migrations
perpétuelles
MICHAl GRABOWSKI
Sur ce continent, nous sommes tous des immigrés, sauf peut-être les Basques
qui, selon la plupart des chercheurs, constituent le dernier peuple indigène
d’Europe. Qu’elles descendent des Celtes, des Slaves ou des Germains, toutes
les Nations européennes ont eu pour ancêtres des migrants qui cherchaient
leur place sur un territoire encore froid et obscure.
On sait que les Barbares, qui assaillirent la Rome
Antique à son crépuscule, étaient de nouveaux
arrivants sur ce territoire. Mais ils n’étaient pas les
seuls à venir d’ailleurs : c’était également le cas des
Romains. Selon la légende, le grand-père de Romulus
et Remus, Énée, était lui-même un immigré grec qui
avait fui la ville de Troie en péril. La ville éternelle a
ensuite été la destination privilégiée des immigrés,
qu’il s’agisse des Étrusques, des Grecs ou, plus tard, des
nouveaux peuples barbares qui l’ont enfin dominée.
A chacun son voyage
L’histoire de l’Europe, c’est donc, par excellence,
l’Histoire des migrations. Présent à toutes les
époques, ce phénomène s’explique par des motifs et
des contextes historiques différents. Dans l’Antiquité,
il s’agissait de la conquête de terres nouvelles et
relativement vides d’hommes (ce qui résolvait le
problème de surpopulation). La raison des migrations
a souvent été politique : émigration des Anglais vers
les États-Unis au XVIIIe siècle et des Français suite
à la révocation de l’Édit de Nantes, mais aussi des
dissidents politiques du camp soviétique au XXe siècle.
Elle provenait aussi de la volonté des peuples de fuir
des conditions de vie difficiles. On pense notamment
à la famine norvégienne du XIXe siècle, ou au travail
dans les mines flamandes dans les années 20. Du
22
XXe siècle jusqu’à aujourd’hui, on observe pour cette
même raison une émigration massive venant des pays
de l’Est. Certaines nations ont voyagé au cours d’une
période précise (par exemple, les Norvégiens au XVIIIe
siècle) ou par phases, à des périodes éloignées les unes
des autres (ce fut le cas des Hongrois, qui ont émigré
au Xe siècle puis au XXe siècle). D’autres peuples
migraient souvent ou de manière ininterrompue (les
Polonais, les Juifs...), sans même parler de peuples qui
inscrivent le voyage et la migration dans leur mode de
vie (le peuple Rom, le peuple lapon). L’appartenance à
une famille de langues n’est pas un critère primordial ;
il semble en effet que tous les peuples connaissent et
subissent les avantages et les inconvénients du voyage
migratoire.
Cas particulier : les Polonais
S’il y a une population en Europe qui a connu toutes
les formes de migration et peut servir d’exemple, ce
sont les Polonais. Descendants des peuples slaves qui
se sont installés aux Ve et VIe siècles sur ce qui est
aujourd’hui la Pologne, les premiers migrants Polonais
étaient des prêtres ou des moines qui traversaient
l’Europe en s’arrêtant dans les cloîtres et les lieux
saints. Déjà les premiers étudiants polonais, et puis
leurs successeurs, allaient étudier dans des universités
européennes et françaises (Sorbonne, Montpellier,
Padoue, Prague...) pour y apporter leur savoir (ce
Barbarie
hiver 2013 - 2014
qu’ils font avec succès encore aujourd’hui !). Mais les
intellectuels polonais ont également dû émigrer pour
des raisons politiques : une fois leur pays rayé de la
carte en 1795, des vagues consécutives d’aristocrates
et de jeunes militants pour l’indépendance ont trouvé
refuge en Europe occidentale, notamment à Paris. Ils
ont été suivis un siècle plus tard par leurs compatriotes,
pour qui l’existence et la liberté d’expression étaient
menacées dans le pays devenu communiste. Enfin, les
Polonais ont émigré du fait de l’attractivité salariale
d’autres États, dès le début du XXe siècle. Ils se sont
alors installés aux alentours de Lille et de Liège afin
de pouvoir soutenir leurs familles dans le jeune pays
indépendant et pauvre, puis au XXIe siècle pour gagner
leur vie et construire leur avenir.
La dernière vague de la migration, à laquelle on
assiste actuellement, est unique, d’abord par son
ampleur, mais aussi par sa diversité. Selon différentes
statistiques, entre 1 et 2 millions d’émigrés, dont la
plupart ont moins de 30 ans, y compris avec un ou
plusieurs diplômes universitaires, sont concernés8. Il
est difficile de lister toutes les raisons de l’émigration
mais les principales sont le chômage, la différence
des niveaux des salaires, les besoins financiers pour la
réalisation de soi sur le plan personnel et professionnel
ou bien encore les études. Ces immigrés sont, pour
la première fois, présents à toutes les échelles
professionnelles des pays d’accueil, qu’il s’agisse de
la main-d’œuvre ou de la direction d’une entreprise.
La politique d’accueil diffère selon les pays : la France
et l’Allemagne, craignant une arrivée en masse de
main‑d’œuvre, ont pendant longtemps bloqué l’accès
à leur marché du travail suite à l’adhésion de nouveaux
candidats à l’Union européenne en 2004 ; la GrandeBretagne, en revanche, a vu son PIB croître de manière
importante suite à l’arrivée massive d’immigrés9.
Reste à savoir quelles seront les conséquences de
ces migrations pour le pays. Certes, à court terme, le
chômage en Pologne est passé de 17% à 13% en à peine
quelques années. En revanche, la société polonaise
a vu ses taux de fécondité chuter rapidement et est
aujourd’hui devenue l’un des pays les plus vieillissants
d’Europe. Rares sont ceux qui s’aperçoivent qu’une
partie importante de capital dynamique du pays s’en
est allée pour toujours, ce qui aura de très graves
répercussions d’ici une dizaine d’années. Le problème
touche tous les pays de la nouvelle Europe. La Lituanie,
où la situation est encore plus terrifiante, a «perdu»
presque 500 000 jeunes, qui ont quitté leur pays et
ne pensent pas y revenir. Pour un pays qui compte 3,5
millions d’habitants au total, la situation est alarmante.
Il semble donc qu’un débat au niveau communautaire
s’impose, la libre circulation à l’intérieur de l’Europe
ayant produit des effets auxquels les dirigeants des
différents États membres ne songeaient pas il y a
encore dix ans.
Et en polonais ?
Analizując problem migracji w kontekście historycznym,
trudno nie dostrzec, iż większość narodów europejskich
wywodzi się z ludów koczowniczych. Migracja w obrębie
kontynentu nie zakończyła się jednak w starożytności
wraz z powstaniem pierwszych osad. Każdy naród,
kierując się różnymi powodami, zmuszony był bowiem
wpisać okres migracji w część swojej historii. Przykładem
doskonale obrazującym to zjawisko są dzieje Polaków,
którzy nie raz byli zmuszeni opuścić ojczyznę z powodów
politycznych lub ekonomicznych. Jednak również i dziś
jesteśmy świadkami prawdopodobnie największej
w historii fali emigracji tego narodu w różne rejony
Europy. Konsekwencje wyjazdu za granicę są i będą
odczuwalne zarówno na polu międzynarodowym –
w polityce i gospodarce krajów przyjmujących – jak
i krajowym. Problem emigracji, który, poza Polską,
dotyka większość państw Unii Europejskiej, powinien
zostać zatem wpisany w strategię wspólnej polityki
demograficzno-migracyjnej na najbliższe lata.
23
le dossier
G
rève de la faim dans la capitale allemande
Barbarie
hiver 2013 - 2014
«pour toile de fond le drame de Lampedusa», rappelle
Halina Wawzyniak, députée du parti d’extrême gauche
(die Linke). Pourtant, le gouvernement allemand
n’a toujours pas clarifié la situation des réfugiés qui
entendent bien reprendre les manifestations dès le
mois de janvier.
Quentin Bisson
Le 9 octobre dernier, une trentaine de demandeurs d’asile a organisé un sitting
devant la porte de Brandebourg, un événement finalement peu évoqué par
les médias européens. Leur objectif : protester contre des conditions d’accueil
qu’ils jugent scandaleuses. Pour toute réponse, le gouvernement allemand
leurs a fait lever le siège.
10 jours, c’est le temps qu’il aura fallu aux autorités
allemandes pour faire quitter les lieux à 29 réfugiés
venus lutter pour de meilleures conditions de vie.
Originaires du Congo, du Pakistan ou d’Afghanistan,
ils ont partagé le même quotidien dans un camp
de réfugiés d’une petite commune de Bavière.
Aujourd’hui, ils réclament la reconnaissance de leur
statut de demandeur d’asile, l’abolition de l’assignation
à résidence et un permis de travail. Face au mutisme
des politiciens, les manifestants avaient commencé
une grève de la faim, renonçant d’abord à se nourrir
puis à s’hydrater.
place berlinoise. Plusieurs d’entre eux ne buvaient plus
depuis quatre jours quand les services de police sont
intervenus.
En vérité, les demandeurs d’asiles présents à Berlin
manifestaient en toute illégalité. D’abord accueillis
sur le sol bavarois, ils se devaient de demeurer dans
un périmètre de 20 kilomètres pour rester dans le
cadre légal allemand, selon les journalistes de WSWS.
Après avoir attendu des mois entiers dans un centre
de réfugiés du sud du pays, ils ont finalement gagné
Berlin, et violé la loi, pour donner à leur réclamation
une plus grande visibilité.
«Je suis prêt à donner ma vie pour nos exigences»
Le drame de Lampedusa en toile de fond
La radicalisation du mouvement a conduit les autorités
sanitaires à agir. Dix nouveaux demandeurs d’asile
auraient été conduits de force à l’hôpital dans la nuit
du 16 au 17 octobre selon le Berliner Zeitung. Leurs
forces physiques déclinaient, pas leur détermination.
Ils appelaient à continuer le sitting, malgré la précarité.
«Je suis prêt à sacrifier ma vie pour que nos exigences
soient satisfaites», explique l’un des manifestants au
World Socialist Website (WSWS).
Pour se protéger de la pluie, rien d’autre que des tapis
de sol et des parapluies de fortune. Ils n’avaient pas
reçu l’autorisation de dresser de tente sur la célèbre
24
Dans cette lutte pour la reconnaissance, les demandeurs
d’asile ne sont pas seuls. Des personnalités politiques
comme le co-président du parti die Linke ont affiché
leur soutien. «Il est temps que les politiciens et les
politiciennes prennent enfin contact avec les réfugiés et
répondent à leurs réclamations», livrait-il au quotidien
Die Zeit. Pour l’homme politique, «le gouvernement
fédéral porte la responsabilité de la grève de la faim
ainsi que ses conséquences».
Bien entendu, cette grève de la faim médiatisée
aurait dû avoir davantage de portée puisqu’elle avait
L’affaire est donc d’autant plus scandaleuse que Berlin,
à l’instar des autres gouvernements européens a
déploré pendant des jours le sort des réfugiés morts
sur les côtes de Lampedusa. Pour autant, rien n’est fait
pour améliorer le sort de ceux qui ont eu la chance
de rejoindre l’Allemagne et pour le moment, c’est
l’indifférence qui les guette. Si le gouvernement a
finalement prévu de se pencher sur le dossier d’ici
trois mois, les demandeurs d’asile veulent eux un
dénouement rapide. Une nouvelle manifestation est
déjà prévue pour janvier, selon die Zeit.
P
eut-on parler de "diaspora espagnole"?
Joséphine Vinet
Les agences d’emploi espagnoles affichent aujourd’hui des taux de chômage
vertigineux : 25% de la population active, et 55% chez les jeunes et les étrangers.
Le pays se trouve en récession économique et la solution amère de l’austérité
du gouvernement centre-droit de Mariano Rajoy ne semble guère y remédier.
Les jeunes Espagnols n’ont d’autre choix que l’exil.
L’État prétend offrir plusieurs options d’avenir à
la jeunesse espagnole, mais ce n’est, en réalité,
qu’une illusion. La vérité, tous les jeunes diplômés la
connaissent : ces choix-là n’existent pas. Début 2013,
de nombreux étudiants espagnols se sont rassemblés
à Madrid, mais aussi dans les rues de grandes capitales
européennes. Leur slogan était clair : «On ne part pas,
ils nous virent!». Pour la majorité d’entre eux, la seule
façon de trouver un emploi et de progresser sur le plan
professionnel, c’est de partir à l’étranger. En effet, selon
le journal Le Monde, s’ils restent en Espagne, ils seront
victimes de l’extrême flexibilité du marché du travail,
mise en place par le gouvernement Rajoy. Et, comme
on pouvait s’en douter, la précarité qui en découle
atteint fortement les jeunes et les étrangers : ils sont
donc les premiers à partir. Les chiffres de l’Institut
National de Statistiques (INE) à Madrid sont effarants
: 365 238 résidents étrangers, majoritairement
d’origine sud-américaine ou africaine, ont ainsi
quitté la péninsule ibérique en 2012 (contre 282 522
immigrants enregistrés). Il faut ajouter à ce solde
migratoire les 54 912 Espagnols qui ont également fait
leurs valises avec l’espoir de trouver une vie meilleure
hors de leurs frontières. De ce fait, la population totale
diminue en Espagne (-79 499 habitants entre janvier
et septembre 2012) et, selon les projections de l’INE,
cette baisse pourrait se poursuivre jusqu’en 2021, sous
l’effet conjugué de l’émigration et de la diminution du
nombre de naissances. Cela signifie que l’Espagne
fait un bond de 40 ans en arrière, pour redevenir une
terre d’émigration, désertée par sa jeunesse en quête
d’avenir.
25
le dossier
Malgré cette situation déplorable, les optimistes,
eux, préfèrent voir les points positifs. D’abord, selon
Iberglobal, un site Internet espagnol qui s’intéresse
à l’internationalisation des entreprises, travailler
à l’étranger est synonyme d’enrichissement de la
formation professionnelle pour les jeunes, car ils
doivent s’adapter à un autre environnement de travail,
acquérir une mentalité différente qu’ils pourront
conserver si, un jour, ils reviennent en Espagne. Parmi
ces compétences, on pense surtout à l’apprentissage
de nouvelles langues étrangères, principal point faible
de la population active espagnole. D’autre part, les
employés installés à l’étranger pourraient contribuer
au développement des relations et des échanges
entre les entreprises espagnoles et celles de leur pays
d’accueil et aideraient ainsi leur pays à sortir de cette
crise dévastatrice. Une enquête du Figaro constate
d’ailleurs que les exportations espagnoles ont fait
un bond de 9,5% depuis 2008, une croissance bien
meilleure que celle de ses partenaires européens.
Pour appuyer cet argument, certains rappellent les
diasporas indienne et chinoise et le rôle qu’elles ont
joué dans l’ascension de ces deux puissances pour
atteindre la position dominante qu’elles occupent
aujourd’hui sur le marché international.
Mais ces idéaux ne sont réalisables que sur le (très) long
terme. En attendant, les plus pragmatiques estiment
que le gouvernement espagnol, au lieu de s’inspirer de
la solution précaire des mini jobs à l’allemande, devrait
arrêter de se voiler la face, de prétendre que les
Espagnols vivent bien malgré la crise, et s’assurer que
ceux qui décident de partir, notamment les jeunes, le
font dans les meilleures conditions possibles.
S
e puede hablar de " diáspora
española " ?
Escrito por Joséphine Vinet
Las agencias españolas para el empleo anuncian tasas de desempleo
vertiginosas: no menos del 25% de la población activa, y el 55% de los jóvenes
y extranjeros. Estas cifras impresionantes vienen de la crisis inmobiliaria del
2008 que el gobierno socialista de Zapatero no supo superar. El país está en
una situación de recesión económica desde hace 4 años y la amarga solución
de la austeridad aplicada por el gobierno de centro derecho de Mariano Rajoy
a partir de 2011 no parece solucionarlo. Los jóvenes españoles no tienen otra
elección que el exilio.
El Estado pretende ofrecer a la juventud española
varias opciones para su porvenir, pero de verdad, solo
es una ilusión. La realidad, todos los recién titulados
la conocen: esas opciones no existen. Al principio del
2013, numerosos estudiantes se reunieron en Madrid,
26
Barbarie
hiver 2013 - 2014
serán victimas de la extrema flexibilidad del mercado
del trabajo, puesta en marcha por el gobierno de
Rajoy. Y, como lo podíamos suponer, la precariedad
que se deriva de esa flexibilidad toca fuertemente a los
jóvenes y a los extranjeros: entonces son los primeros
en irse. Las cifras del Instituto Nacional de Estadística
(INE) de Madrid son espantosas: 365 238 residentes
extranjeros, por mayor parte originarios de América
del Sur o de África, dejaron la península ibérica en el
2012 (contra 282 522 inmigrantes registrados). Hay
que sumar al saldo migratorio los 54 912 españoles que
hicieron sus valijas confiando en una vida mejora fuera
de las fronteras nacionales. De hecho, la población
total disminuye en España (- 79 499 residentes entre
enero y septiembre del 2012) y, según las estimaciones
del INE esta caída podría proseguir hasta el 2021 sobre
los efectos cumulados de la emigración y de la baja de
la tasa de natalidad. Esto significa que España regresa
al pasado, 40 años atrás, y se convierte de nuevo en
una tierra de emigración abandonada por su juventud
en queja de un porvenir.
A pesar de esta situación deplorable, los optimistas
prefieren ver los puntos positivos. Primero, según
Iberglobal, un sitio Internet español que se interesa
a la internacionalización de las empresas, trabajar en
el extranjero es sinónimo de enriquecimiento de la
formación profesional para los jóvenes porque tienen
que adaptarse a otro entorno laboral, adquirir una
manera de pensar diferente que podrán conservar si
vuelven de nuevo en España. Entre esas competencias
pensamos sobre todo en el aprendizaje de lenguas
extranjeras, debilidad principal de la población activa
española. Segundo, los empleados instalados fuera
podrían contribuir en el desarrollo de las relaciones
y intercambios entre las empresas españolas y las
de sus países de acogida y así ayudarían su propio
país a salir de la devastadora crisis que conoce. Une
encuesta del Figaro muestra que las exportaciones
españolas dieron un brinco del 9,5% desde el 2008,
un crecimiento mucho mejor que el de sus vecinos
europeos. Para apoyar este argumento, algunos
recuerdan a las diasporas india y china y el papel que
tuvieron en el ascenso de esas dos potencias hasta
alcanzar la posición dominante que ocupan hoy en día
en el mercado internacional.
Pero estos ideales sólo se pueden realizar a (muy)
largo plazo. Mientras tanto, los mas pragmáticos
piensan que el gobierno español, en lugar de copiar
la precaria solución alemana de los mini Jobs, debería
parar esconder la cabeza debajo del ala afirmando que
los españoles viven bien a pesar de la crisis y debería
asegurarse de que los que deciden irse, en particular
los jóvenes, lo hacen en las mejores condiciones.
en las calles de las capitales europeas. Su lema era
claro: “No nos vamos, nos echan”. Para la mayoría la
única manera de encontrar un trabajo y de avanzar en
el plano profesional es de salir al extranjero. En efecto,
según el periódico Le Monde, si se quedan en España,
27
le dossier
L
a politique européenne de l’immigration
et de l’asile
Solveig Fenet
« La politique commune de l’immigration et de l’asile »… Est-ce un volontarisme
normatif ou une commodité de langage ? Mais avant de la considérer comme
acquise, il faudrait d’abord s’assurer que cette politique est belle et bien
commune.
Si l’on admet que la politique étrangère et de sécurité
européenne est une politique « commune », on peut
tout autant se demander à quel point la politique
d’immigration et d’asile l’est. Mais, derrière un
jargon rappelant les premiers rêves de l’intégration,
la notion de « politique commune » ne servirait-elle
pas à diluer la volonté des États de masquer leur
refus de progresser ensemble ? D’ailleurs, existet-il une « politique commune » européenne de
l’immigration et de l’asile ? A la définition même, la
Cour de Justice de l’Union européenne ne donne que
peu de rigueur terminologique et scientifique.
Au lendemain des accords Schengen de 1985, il a
été question de la portée de la circulation reconnue
aux citoyens de l’Union, et, à ce sujet, la CJUE a
déclaré qu’en l’absence de « règles communes ou
harmonisées » en la matière, les États demeuraient
compétents pour opérer des contrôles. En 1997,
le Traité d’Amsterdam a permis d’intégrer une
coopération intergouvernementale au sein même du
traité de Rome, c’est-à-dire de « communautariser »
les dispositions qui permettraient aux ressortissants
des pays tiers d’entrer, de circuler, voire de séjourner
sur le territoire de la Communauté. L’introduction
d’un nouveau titre IV en découle, intitulé « Visas,
asile, immigration, et autres politiques liées à la libre
circulation des personnes », inséré au cœur « des
politiques de la Communauté ». Il semble néanmoins
conditionner et restreindre les libertés de circulation à
28
la mise en place de mesures « compensatoires », qui
par ailleurs ne s’appliquent pas à l’ensemble des pays
membres.
Le traité d’Amsterdam n’apporte aucune précision
quant à la définition d’une politique commune. Les
questions concernées étant d’intérêts communs, les
blocages étaient inévitables dans la négociation lorsque
chacun dévoilait ses intentions. Une configuration
politique de l’Espace de liberté, de sécurité et de
justice apparaît depuis le Traité d’Amsterdam, mais
elle est marquée par un déséquilibre majeur où sans
cesse la question sécuritaire prend le pas au détriment
des questions posées par l’immigration légale.
Il y a une distinction à faire. L‘existence d’une politique
commune ne dépend pas d’une intégration complète
au profit de l’Union et n’implique pas nécessairement
que les États membres délèguent leurs compétences.
C’est ainsi que le titre IV révèle les contradictions
du Traité d’Amsterdam. Le discours volontariste de
l’Union pour instaurer une politique commune de
l’immigration et de l’asile se trouve être limité par
les mesures prises pour que cette politique ne porte
atteinte aux responsabilités des États membres pour
maintenir l’ordre public ou introduire des dispositions
nationales. Jusqu’ici aucun texte juridique contraignant
n’a été adopté.
La problématique d’une « politique européenne
Barbarie
hiver 2013 - 2014
commune en matière d’asile et d’immigration » est
née lors du Conseil européen de Tampere en octobre
1999. Fixer une « politique commune » en matière
d’immigration et d’asile s’impose alors. Les objectifs
et les intentions sont clairs : développement des
partenariats avec les pays d’origine ; traitement
équitable des ressortissants de pays tiers ; gestion plus
efficace des flux migratoires comprenant un contrôle
efficace aux frontières extérieures par l’harmonisation
des procédures d’asile, simplification du système, et
définition du statut des demandeurs d’asile. L’impulsion
donnée par le Traité d’Amsterdam et le Conseil de
Tampere amène ainsi la législation européenne à se
développer. Aux Conseils européens de Séville et de
Thessalonique, respectivement en 2002 et 2003, les
chefs d’États et de gouvernements sont appelés à la
mise en place d’une gestion coordonnée et intégrée
des frontières extérieures, ceci au moyen de l’Agence
européenne pour la gestion de la coopération
opérationnelle aux frontières extérieures (Frontex).
A cette occasion, un « Manuel sur l’intégration à
l’intention des décideurs politiques et des praticiens » a
été publié par la Commission européenne, dans lequel
un service téléphonique est même mis à disposition.
L’UE parvient finalement à contraindre ses États
membres à la transposition en droit interne des règles
adoptées. Le livre VII du Code français de l’entrée et
du séjour des étrangers et du droit d’asile, entré en
vigueur le 1er mars 2005, en porte la trace.
Mais même à ce stade d’avancement, on ne peut
pas parler d’une véritable politique d’immigration
européenne. Le traité de Lisbonne est une autre
progression dans ce domaine, consacrant le chapitre
2 du titre IV aux « politiques relatives aux contrôles
aux frontières, à l’asile et à l’immigration ». En octobre
2008, l’adoption du « Pacte européen sur l’immigration
et l’asile » harmonise les régimes d’asile, organise
l’immigration légale, renforce les contrôles aux
frontières et organise l’éloignement des clandestins.
Mais encore une fois, la difficulté des négociations
a eu pour effet de donner aux textes juridiques une
faible valeur, faite d’ambiguïtés et de contradictions
volontaires.
M
ais que faire de nos Roms ?
Aurélie Richard
On voit communément deux conceptions dans la réponse des autorités
françaises à la question Rom : l’intégration ou la réinsertion. Au lieu de
s’opposer, ces deux solutions pourraient se compléter.
La question des personnes appartenant à la minorité
rom est régulièrement ramenée sur le devant de la
scène politique française et européenne. Certains
prêchant pour leur intégration dans leur pays d’accueil,
d’autres arguant qu’ils devraient être relogés, tous
s’indignant (aux vues) des évictions de campements
illicites, d’autres encore en faisant de parfaits bouc
émissaires.
29
le dossier
La position du gouvernement français est elle aussi
ambiguë et difficile à cerner. Le récent geste de
générosité du Président Hollande envers la jeune
Léonarda illustre bien cette schizophrénie. D’un côté,
la loi prévoit que les étrangers en situation irrégulière
doivent quitter le territoire français, de l’autre on
essaie de ne pas trop bousculer l’Union européenne
sur la question des Roms, la France ayant déjà été
rappelée à l’ordre sous le précédent quinquennat.
Le problème des évictions de campements illicites est
lui aussi délicat. On ne peut pas laisser des personnes
vivre dans un espace dangereux (pas d’accès à l’eau
courante, proximité de lignes à haute tension, blocage
des accès aux bornes à incendie, etc.) mais on ne peut
pas non plus les déloger pour les laisser errer sans but.
Cependant, les places dans les logements sociaux ou
dans les villages d’insertion sont rares et y accueillir
plusieurs centaines de personnes d’un coup relève de
l’impossible.
En septembre dernier, un accord cadre a été signé
entre les autorités roumaines et l’Office français
de l’Immigration et de l’Intégration (OFII) pour la
réinsertion en Roumanie de 80 familles appartenant
à la minorité roumaine. Cet accord a été cosigné
par Manuel Valls, Ministre de l’Intérieur et Bernard
Cazeneuve, alors Ministre délégué aux affaires
européennes.
Cet accord vise à aider des familles roumaines roms à
retourner en Roumanie et à s’y installer durablement
grâce à la mise en place d’un projet de vie. Ainsi, une
famille vivant en France depuis plus de trois mois peut
se voir soutenue pour créer une petite exploitation
agricole, une petite entreprise ou autre. L’État français
prend en charge via l’OFII l’acheminement des
personnes jusqu’à leur ville d’origine et leur alloue
une petite somme, 3660 € maximum, qui peut être
complétée par les collectivités territoriales françaises,
pour la mise en place d’un projet professionnel. La
représentation en Roumanie de l’OFII prend également
en charge le suivi du projet pendant une année.
Par ailleurs, les collectivités territoriales françaises
d’où partent les familles intéressées doivent mettre
30
en œuvre un partenariat avec les régions roumaines
de destination afin de favoriser le développement
des localités roumaines. L’objectif est que cette
coopération décentralisée survive à l’accord cadre afin
de développer les échanges entre les régions des deux
pays.
On voit bien dans cet accord la volonté de favoriser le
retour des Roms dans leurs pays d’origine. Et doit-on
pour autant s’en formaliser ? Après tout, les raisons qui
poussent la majorité des Roms à émigrer sont souvent
les mêmes que celles qui poussent beaucoup d’autres
personnes de tous pays à laisser leurs racines derrière
eux. Et ces raisons sont principalement économiques.
Les Roms choisiraient-ils de vivre dans un campement
en France ou en Espagne s’ils avaient la possibilité de
construire un avenir dans leur propre pays ?
Cet accord tente d’impliquer les autorités roumaines
dans la prise en charge des citoyens en situation de
détresse dans leur pays car si les Roms sont stigmatisés
en France, ils le sont aussi largement en Roumanie ou
en Bulgarie. Ainsi il est prévu par cet accord que les
autorités roumaines doivent entre autres aider au
logement des familles, réaliser une enquête sociale
et soutenir leurs besoins par l’octroi des services
nécessaires.
L’accord reflète une tentative politique visant à
montrer qu’une prise en charge de ces populations
existe. Mais la mise en œuvre de cette initiative semble
très complexe : il est difficile de trouver des familles
qui remplissent les critères d’éligibilité, les collectivités
territoriales françaises sont parfois frileuses, le budget
pour la mise en place d’un projet professionnel
est restreint et seuls les Roms de Roumanie sont
concernés.
Depuis que l’accord a pris effet en janvier 2013, très
peu de projets de réinsertion ont été réalisés et arrivé
à la moitié de sa durée de vie, le bilan semble plus que
mitigé.
Barbarie
hiver 2013 - 2014
A
ube Dorée : un accroc sur l’échiquier
politique européen
Nina Tsiklaouri
Le 28 septembre dernier, plusieurs membres du parti grec d’extrême droit Aube
Dorée, dont son dirigeant Nikos Michaloliakos, ont été arrêtés. Récemment,
“Aube Dorée” a été privée des fonds du gouvernement grec, mais est-ce pour
autant la fin de l’extrême droite dans le pays ?
“Il n’y a pas eu de fours crématoires. C’est un
mensonge”, un tel discours et dix-huit sièges au
Parlement, comment une telle chose a-t-elle pu se
produire au pays de la démocratie ?
Le parti “Aube Dorée” est fondé par Nikos
Michaloliakos en 1980 mais c’est véritablement lors
des élections de mai 2012 qu’il fait son apparition sur
l’échiquierpolitique grec. Dans un contexte de crise
aggravée et un climat de pessimisme généralisé, “Aube
Dorée” émerge comme parti de l’espoir. En menant
une campagne pour le rejet des plans de sauvetage et
contre l’immigration, il a réussi à convaincre les Grecs
et a ainsi obtenu 7% des votes.
Bien plus qu’un parti nationaliste, “Aube Dorée” est
de tendance néo-nazie et n’en a jamais vraiment
fait un mystère. Ses membres ont l’habitude du salut
hitlérien et revendiquent une “Grèce aux Grecs”. Leur
programme politique reposait/repose? entre autres
sur l’expulsion des immigrants sans-papiers ainsi
que légaux et suggérait/suggère la mise en place de
mines antipersonnels10 afin d’empêcher les immigrés
d’entrer. Seulement il se trouve que les membres du
parti ne se sont pas limités à ces seuls propos. Les
attaques contre des étrangers ont commencé dès
1987 et au cours de ces dernières années, ce sont plus
particulièrement les migrants pakistanais qui ont été
particulièrement visés. Se soumettant à une structure
hiérarchisée, le parti est divisé en groupuscules de cinq
personnes, chacun sous le commandement d’un chef.
Les membres reçoivent également un entraînement
militaire et des milices d’assaut mènent des attaques
contre les immigrés. Les membres du parti auraient
commis plusieurs meurtres dont celui d’un Bangladais
tué cette année11.
Il aura fallu attendre l’assasinat du rappeur grec Pavlos
Fissas pour que le pays ouvre les yeux. Militant antifasciste, le chanteur a été poignardé le 17 septembre
2013 par un membre d’”Aube Dorée”. Le crime a
provoqué l’indignation de nombreux Grecs, qui ont
organisé une manifestation anti-fasciste le lendemain
du meurtre. Bien que le parti ait nié toute implication
dans cet assassinat, le gouvernement grec a fini par
réagir, et le 27 septembre Nikos Michaloliakos ainsi que
quatre de ses députés ont été arrêtés. Ils encourent de
lourdes peines de prison allant de dix à vingt ans de
détention. Blanchiment d’argent, implication dans des
réseaux de prostitution et chantage comptent parmi
les nombreux chefs d’accusation retenus contre eux.
Le 23 octobre, le Parlement grec a voté une disposition
qui suspend le versement de fonds publics à l’Aube
Dorée. Dans le cas d’inculpation de ses députés, cette
disposition deviendra permanente.
Depuis ces événements, la popularité du parti aurait
chuté d’environ un tiers dans les sondages. Mais
31
le dossier
ceci signifie-t-il pour autant la fin de l’extême-droite
? Les membres d’”Aube Dorée” sont déterminés à
poursuivre la lutte et dénoncent un complot politique.
Il faut bien garder à l’esprit qu’avant tout, le parti
doit son succès à la situation difficile que traverse
la Grèce. C’est une population en colère contre les
mesures d’austérité européennes et un gouvernement
inefficace qui s’est “vengée” en se tournant vers ”Aube
Dorée”, devenue troisième parti derrière “Nouvelle
Démocratie” et “Syriza”.
Barbarie
hiver 2013 - 2014
Bien qu’affaibli actuellement, le contexte social et
politique qui a permis son ascension est toujours
dominant:palpable/perceptible en Grèce. Le parti est
donc susceptible de jouir d’un certain poids politique
tant que le Grèce sera en situation de pauvreté et
insécurité.
R
éfugiés ? Un instant s’il-vous-plaît...
isabelle Podetti
Suite à la catastrophe de Lampedusa, on aurait pu s’attendre à une remise en
cause de la politique migratoire européenne lors du dernier sommet européen.
Le naufrage de Lampedusa, qui avait ému l’opinion publique européenne et
réussi à propulser les questions migratoires en haut de l’agenda européen, s’est
pourtant vu éclipser par le scandale des écoutes américaines…
Mi-octobre, Enrico Letta, chef du gouvernement
italien, avait invoqué une « urgence réelle » et appelé
ses homologues européens à faire preuve de solidarité
envers les migrants du sud. Selon le système de Dublin,
qui régit la politique migratoire européenne, le pays
d’arrivée d’un réfugié est responsable de la demande
d’asile de ce dernier. Les pays frontaliers de l’UE se
retrouvent donc seuls face aux flux migratoires venus
de la Méditerranée. Un point sur lequel les chefs
d’États et de gouvernements de l’UE devaient revenir
les 24 et 25 octobre dernier à Bruxelles.
Pourtant, malgré le soutien de certains gouvernements
au président italien, les dirigeants européens ont à
peine réagi lors du sommet. Loin de relancer l’idée
d’une politique migratoire véritablement européenne,
32
dotée de moyens et d’instruments forts et communs,
ces derniers se sont contentés de charger la petite
task force pour la Méditerranée, récemment mise
en place sous l’égide de la Commission européenne,
de les informer d’ici décembre 2013 des « actions
prioritaires » à envisager pour éviter d’autres drames.
Il faut dire que les histoires d’espionnage américain,
venues à point nommé, avait entre temps capté toute
l’attention des dirigeants de l’UE. Les Européens
seraient-ils des poissons rouges ? Ou bien des
autruches ? Quoi qu’il en soit, il faudra patienter
jusqu’à juin 2014 pour voir émerger de nouvelles
mesures européennes dans ce domaine… réfugiés, en
attendant, merci de bien vouloir garder la tête hors de
l’eau !
33
Barbarie
hiver 2013 - 2014
L
e Canada : vers la fin d’un modèle
d’immigration exemplaire ?
Florence Galtier d’Auriac
Canada, terre d’accueil aux grands espaces verts et forêts de pins aux couleurs
de l’été indien ? Vous en rêvez ? Pourvu que vous soyez bilingue anglais-français,
jeune, diplômé et sans trop d’expériences professionnelles...
Regard
d’ailleurs
Penser le Canada comme exemple de système
d’immigration semble légitime, le vaste pays
outre‑Atlantique a pendant longtemps fait ses
preuves en terme de politique migratoire et de
multiculturalisme. En effet, le Canada est l’un des
pays développés à accueillir le plus d’immigrants, le
nombre d’immigrants sur la population totale en 2010
s’élevant à environ 7,2 millions. En 1986, on décerne
même au Canada la médaille Nansen (United Nation
Nansen Refugee Award) pour son accueil et son effort
envers les réfugiés.
Pourtant, depuis août 2013, le Canada a pris une
nouvelle direction : la politique d’immigration semble
restreindre le nombre d’arrivants et des coupures
budgétaires du ministère de l’Immigration ont été
planifiées. Le Premier Ministre Stephen Harper et
le ministre de l’Immigration Jason Kenney mènent
une politique controversée reposant sur un système
à points sélectionnant les immigrants les plus
intéressants économiquement parlant. Les jeunes
diplômés sont ainsi plus appréciés que les plus âgés
ayant de l’expérience.
Cette politique suscite la critique du Parti libéral, qui
juge ces nouvelles directives discriminatoires. Selon
le parti, le régime actuel tente de réduire le nombre
d’immigrants venant d’Inde, du Pakistan ou des
Philippines, représentant actuellement la part la plus
élevée d’immigrés. Le nouveau système à points donne
en effet préférence aux plus talentueux qui parlent
anglais et français : le bilinguisme est de rigueur. À la
douane, les Canadiens se montrent aussi de plus en
plus fermes et vigilants ; le Canada voulant assurer la
sécurité de son propre pays, contrôler le marché du
travail et éviter le développement de certains travaux
dit au noir : même les jeunes européennes aupair sont
renvoyées chez elle dès leurs premiers pas sur le sol
canadien ! Voici la décevante réalité d’un pays qu’on
imagine « welcoming » !
Le changement s’opère également pour les réfugiés qui
ne pourront plus aussi facilement bénéficier des soins
médicaux. Par ailleurs, une liste des pays dits « sains »
a vu le jour et la loi permet désormais d’expulser les
résidents permanents. Pour le Premier Ministre, ces
nouveautés servent à renforcer la sécurité du pays : cela
permettrait d’éviter les nouvelles tensions entre locaux
et immigrants et d’accueillir des immigrants prospères
pour l’économie du pays, tout en limitant les abus
(entre 50 000 et 200 000 immigrés illégaux). D’après
un récent sondage12, environ 60 % des Canadiens sont
favorables à la limitation du nombre d’immigrants
qualifiés. Quant aux Québécois, bénéficiant de leur
propre système d’immigration, ils revoient également
à la baisse le nombre d’immigrés d’ici les deux
prochaines années (environ 50 000 immigrants prévus
pour 2015). Les immigrés au Canada ne seraient-ils pas
si bien intégrés ?
Avec ses trente-cinq millions d’habitants, un
pourcentage de 0,74% d’immigrants en 2013 et une
35
REGARD D’ailleurs
superficie de neuf millions de km2, on aurait facilement
envie de faire passer un message à Stephen Harper et
ses compatriotes : laissez vos portes ouvertes, gardez
votre cœur sur la main… Car il faut l’avouer, parfois les
clichés ont du bon. Le « friendly » Canadien existe, les
différents accents dans les rues canadiennes sont une
réalité et font sans aucun doute le charme du pays.
Pourvu que les politiques ne transforment alors pas
le multiculturalisme en un simple monoculturalisme
et pourvu que la diversité des origines continue
d’accompagner celle du décor canadien…
A
près le
singapourien ?
rêve
américain,
le
rêve
Steffy Bonfils
Alors que la génération de nos parents présentait les États-Unis comme lieu de
toutes les opportunités et de tous les possibles, depuis quelques années c’est
bien en Asie que les choses se passent. Singapour fait partie des villes les plus
développées du continent avec Hong Kong, Tokyo et Osaka. De plus en plus
d’Européens décident de s’installer dans cette cité-État densément urbanisée.
Mais qui sont-ils ? Et que recherchent-ils ? Le rêve asiatique existe t-il vraiment ?
En direct de Singapour, voici mon témoignage.
La ville-État compte 5,4 millions d’habitants et est
l’une des plus denses du monde. De nombreuses
nationalités sont présentes sur l’île (75% de Chinois,
15% d’Indiens et 7% de Malais) et l’on y dénombre
près de 35% d’étrangers.
Depuis 10 ans le nombre d’Européens installés dans le
pays a fortement augmenté.
Aujourd’hui, on recense plus de 31 000 Anglais, 10 000
Français, 7000 Allemands et 1200 Suisses. Les Japonais
sont présents au nombre de 26 000, se plaçant
cependant loin derrière la communauté américaine.
36
De nombreuses entreprises européennes s’y sont
installées du fait des taux d’imposition sur les sociétés
qui s’élèvent à 17% (contre 33,3% en France) et des
avantages fiscaux qu’elles peuvent bénéficier : 1200
sociétés allemandes, 600 sociétés anglaises et 450
sociétés françaises sont ainsi présentes (Bouygues
Construction, l’Oréal, Danone).
Les secteurs d’activité les plus représentés sont les
secteurs tertiaires et secondaires. Les expatriés
travaillent environ à 70% dans le business, la finance,
le commerce et la distribution, l’informatique, les
transports, le tourisme et l’hôtellerie… et à 27%
Barbarie
hiver 2013 - 2014
en industrie pharmaceutique ou chimique, en
construction, en BTP…
Les expatriés peuvent être amenés à travailler à
Singapour via des mutations, les entreprises emportant
avec elles quelques employés qualifiés.
La création de start-up à Singapour est aussi très prisée
des Européens car elle est plus simple et plus rapide
qu’en Europe. On compte 160 entrepreneurs français
à Singapour. Enfin, il y a ceux qui arrivent à Singapour
et qui se donnent quelques mois pour y trouver un
emploi. Sans un bon réseau, une motivation extrême
et des diplômes de grandes écoles, la tâche s’avérera
cependant difficile.
Un autre frein s’ajoute pour ceux qui souhaitent tenter
leur chance : le Ministère du Travail singapourien a
récemment durci les conditions d’obtention de visa
de travail. Désormais, les offres d’emploi doivent être
publiées officiellement afin que les Singapouriens
puissent aussi en prendre connaissance et postuler,
ce qui n’était pas obligatoire auparavant. Une autre
mesure a en outre été mise en place pour limiter
l’arrivée d’étrangers dans les sociétés à Singapour :
l’instauration d’un salaire minimum pour les étrangers.
Celle-ci fait naître cependant une compétition plus
rude avec les Singapouriens, qui eux ne sont soumis à
aucun salaire minimum.
1965, et est promue comme langue de travail. Les
Singapouriens sont très accueillant et sympathiques,
tout du moins ceux que j’ai eu l’occasion de rencontrer
jusqu’à présent !
En ce qui concerne l’administration, elle est réputée
efficace et c’est vrai qu’ici tout est fait pour être clair,
simple et rapide tout en étant pertinent. Un point négatif - et pas des moindre - la vie est très
chère et, outre le logement, faire la fête à Singapour
a un coût pour nous, jeunes étudiants ! A ce propos,
sachez que Singapour est la ville où la densité de
millionnaires est la plus élevée au monde ! Il n’est pas
tabou ici de montrer qu’on a de l’argent. On observe
ainsi une certaine démesure et un fort rapport à
l’argent.
Un dernier point qui caractérise la vie à Singapour
est l’existence de nombreuses interdictions (celle de
jeter son mégot par terre, mâcher un chewing-gum,
manger et boire dans le métro…) qui sont sujettes à
de coûteuses amendes… Point de cristallisation de ces
interdictions : l’existence de la peine de mort.
Les Européens sont autant sujets à tous les types de
peines que les locaux.
Des panneaux d’interdiction sont affichés dans les rues
et des amendes, et des peines d’emprisonnement sont
prévues si l’on contrevient à ces lois.
Outre les opportunités de travail, Singapour est
aussi connue pour ses conditions de vie. Ce que l’on
remarque dès son arrivée, c’est la propreté des lieux
publics et les nombreux espaces verts superbement
entretenus. En outre, le taux de criminalité compte
parmi les plus faibles au monde et, par conséquent, on
a véritablement un sentiment de sécurité quelle que
soit l’heure. Le climat, qui est quasiment identique
tout au long de l’année, est agréable. Il fait chaud et
humide.
Quant aux relations humaines, à Singapour, il est simple
de s’intégrer et de faire des rencontres, contrairement
à un pays comme la Chine par exemple, car l’anglais
est pratiqué par tous. La langue a été instaurée après
l’indépendance du pays vis-à-vis de la Malaisie en
In a nutshell, cette ville a un fort potentiel qui ne
cesse de croître et d’attirer des Européens, qu’il
s’agisse de jeunes diplômés ou de seniors. Et croyezmoi, vivre ici reste une expérience qui ne peut être
qu’enrichissante...
37
Barbarie
hiver 2013 - 2014
E
ntretien : La genèse de Barbarie
Propos recueillis par Fanny Cohen
La revue Barbarie n’est pas née de la dernière pluie ! En effet, cela fait déjà
quatre ans qu’elle est alimentée et enrichie, promotion après promotion,
par les étudiants qui croisent son chemin. Mais pour aller plus loin encore, il
est parfois nécessaire de retourner aux origines. C’est ainsi que la rédaction
est allée à la rencontre de l’un des fondateurs de Barbarie, Gerardo PerforsBarradas. Morceaux choisis.
le
petit
Quand étais-tu étudiant dans le master Affaires
Européennes de Paris-Sorbonne ?
plus
J’ai étudié au sein du Master Affaires Européennes
de la Sorbonne entre 2009 et 2011. Cette formation
était encore jeune, bien qu’à ce moment-là, environ 4
promotions d’étudiants avaient déjà essuyé les plâtres
avant nous.
Vers quoi t’es-tu dirigé après le master ? Dans quel
domaine travailles-tu actuellement ?
Après le master, j’ai réalisé mon stage de fin d’études à
Bruxelles, dans le Département d’Affaires publiques et
environnementales du Groupe Volvo. Mon travail s’est
concentré sur la réputation numérique de l’entreprise
au niveau mondial ainsi que sur le développement
du réseau affaires publiques de l’entreprise à
l’international.
Actuellement, mon rôle consiste à établir des
dossiers relatifs à la réputation de l’entreprise en
lien avec des thèmes qui sont importants pour elle :
l’environnement ou la sécurité routière par exemple.
Je suis aussi community manager. Dans les prochains
mois, je vais cependant me rapprocher davantage du
Comité d’Affaires publiques de l’entreprise ainsi que de
la coordination de ses activités de lobbying.
Pour en venir au cœur du sujet, tu es l’un des
fondateurs de la revue Barbarie, tenue par les
étudiants du Master Affaires Européennes. Comment
t’es venue l’idée de créer celle-ci ?
L’idée m’est venue, à moi et à d’autres étudiants
du master, parce que nous avions déjà tous écrit
auparavant, que ce soit dans le cadre de nos études
– nous avions rédigé des mémoires – ou dans
d’autres contextes. J’ai moi-même notamment écrit
des critiques de livres. Nous avions écrit des choses,
souhaitions donc les partager mais aussi en écrire de
nouvelles.
Combien d’étudiants étiez-vous ? Qui gérait
l’ensemble ? Comment choisissiez-vous les
thématiques ?
Au total, nous étions quatre permanents, Jannis, Lise,
Katharina et moi-même (avec beaucoup d’autres
contributeurs spéciaux). Je coordonnais la réalisation
des articles et l’ensemble des rédacteurs, je m’occupais
de la mise en page et je savais que je pouvais compter
sur au moins trois autres étudiants qui fourniraient
des articles à chaque numéro.
Pour le choix des sujets, tout se faisait de manière
très libre. Chacun écrivait sur ce qu’il voulait et
39
le PETIT PLUS
nous trouvions un fil conducteur une fois que nous
disposions de l’ensemble. Le plus important pour
moi était de créer un forum où nous pouvions nous
exprimer librement sur les sujets qui nous tenaient le
plus à cœur.
A présent, une question qui brûle les lèvres de bon
nombre d’étudiants du Master : peux-tu nous raconter
l’origine exacte du nom de la revue ?
Je souhaitais faire réfléchir les gens sur la question
de l’altérité, de l’« autre ». Au cours de ma licence en
études européennes, que j’ai effectuée aux Pays-Bas, je
me suis intéressé au concept de « barbarie ». Le terme
de « barbare », qui désignait les peuples migrateurs
germains et celtes notamment, est souvent entendu
et compris comme péjoratif. Mais c’est une réduction
de sa signification, car, chez les Germains et les Anglosaxons par exemple, il renvoie également à une
certaine fierté. On est fier d’être Batave, Goth, Saxon,
etc. Les Celtes aussi par exemple ont été considéré
comme barbares, et puis revendiqués culturellement
(pensez à Vercingétorix…).
La manière d’appréhender le terme de « barbare »
est ainsi liée à des préjugés, à une méconnaissance
de l’autre et à des jugements relatifs. L’extrême droite
européenne considère le voile intégrale islamique
comme barbare, tandis qu’une critique islamique
fréquente de la société occidentale se concentre
sur l’objectivisation des corps des femmes dans la
publicité, la pornographie.
Le but était ainsi de provoquer et d’amener à la
réflexion. Car, au fond, nous vivons aujourd’hui dans
un monde brutal, même si l’on ne s’en rend pas
toujours bien compte. Je pense à une citation de Susan
Sontag en 1967 : « Mozart, Pascal, l’algèbre booléenne,
Shakespeare, le parlementarisme, les églises baroques,
Newton, l’émancipation des femmes, Kant, les ballets
de Balanchine, et al. n’absolvent pas ce que cette
civilisation particulière a infligé au monde. » Je ne
sais pas si je suis d’accord avec ces propos. La réponse
n’est pas évidente mais elle me parait nécessaire pour
40
comprendre le rôle que l’Europe peut jouer dans
le monde. Il existe tellement de revues en ligne qui
parlent de l’Europe d’une façon acritique. Je voulais
que l’on se démarque.
Dans quelle langue écriviez-vous ? Traduisiez-vous les
articles ?
Les étudiants écrivaient dans leur langue, et nous
publiions les articles dans la langue originale, pour peu
que celle-ci soit compréhensible par un grand nombre
de lecteurs : en italien, espagnol, anglais, allemand,
etc. A l’époque, nous ne traduisions pas les articles car
nous voulions confronter le lecteur avec la diversité des
cultures en Europe. Nous voulions faire comprendre
qu’elle existe. Il fallait que le lecteur comprenne les
choses telles qu’elles sont.
Barbarie
hiver 2013 - 2014
Ce serait bien de promouvoir davantage le magazine
sur les réseaux sociaux. Et de cibler les gens, pourquoi
pas. Avec 50 euros, on peut déjà faire du ciblage sur
Facebook et atteindre des publiques beaucoup plus
vastes.
Ce que je suis en tout cas heureux de retrouver
dans Barbarie, et que nous avions déjà en tête il y a
quelques années, c’est de ne pas en faire une revue
« purement institutionnelle », de garder à l’esprit que
l’Europe, c’est une civilisation, qui abrite des cultures,
des régions. De ce point de vue, les concepts sont
restés les mêmes, et c’est une bonne chose.
Et tu continues d’ailleurs à écrire puisque tu as
récemment écrit un article13 pour l’organisation
« Young Professionals in Foreign Policy » qui fait le
buzz en ce moment à Bruxelles. Peux-tu nous en dire
davantage sur le sujet que tu as traité ?
En tant qu’ancien éditeur et rédacteur de la revue,
que penses-tu des derniers numéros de Barbarie ?
Je suis extrêmement content et cela fait plaisir de voir
que le travail continue. Je vois aussi que vous vous
êtes approprié la revue et que vous faites à présent
certaines choses de manière différente. Par exemple,
nos articles étaient beaucoup plus longs, ils pouvaient
aller jusqu’à 7, 8 ou 9 pages. Nous publiions parfois
des recherches réalisées par les étudiants. En effet,
les étudiants écrivent des choses très intéressantes
qui ne sont finalement lues que par leurs professeurs.
L’idée était donc notamment de partager ces travaux,
que ceux-ci ne se perdent pas. Alors que nous avions
davantage le format d’une revue académique, vous
vous êtes dirigés vers un format « média » européen.
Par ailleurs, vous imprimez les numéros à présent, ce
qui est vraiment super. Nous, à l’époque, nous avions
pris le parti de ne même pas essayer d’imprimer. A ce
moment-là, nous pensions que « l’époque du papier »
était révolue.
Qu’est-ce qui pourrait être encore à développer selon
toi ?
Tout cela vient du fait que j’ai réalisé une liste publique
des députés européens qui utilisent Twitter. Avant
cette liste, rien de similaire n’existait, en tout cas pas
sous la forme que je lui ai donnée.
Le secrétariat du Parlement européen établissait
certes ses propres listes d’utilisateurs de ce réseau
social, mais jusqu’à présent, il n’en recensait que 250 ;
j’en ai répertorié 466.
Comment as-tu procédé pour établir cette liste ?
J’ai analysé et combiné plusieurs listes que j’ai
rassemblées. J’ai également pu extraire certaines
informations des différentes listes que j’ai utilisées. On
peut donc savoir par exemple quand le compte d’un
député a été créé mais aussi combien de tweets il
publie chaque jour.
Merci beaucoup !
v
ers une remise en cause du modèle
productiviste exploitant l’animal
Kenzo Crespin
«Pourquoi tuer lorsqu’on peut faire autrement ?» L’émergence des protestations
en faveur de l’arrêt de l’exploitation non-humaine posent les bases d’un
éventuel bouleversement du système de production fondé sur l’omnipuissance
de l’homme sur l’animal. L’Union européenne se montre juridiquement peu
favorable à des mesures radicales, bien qu’elle s’engage pour une certaine
éthicité du système, et que des changements graduels aient pu être constatés.
Au cours des dernières années, les mouvements de
défense de la cause animale ont pris de l’ampleur
jusqu’à atteindre un stade ou le grand public, s’il
témoigne d’un intérêt minime à leurs engagements,
peut en arriver à imaginer la remise en cause
potentielle de plusieurs décennies de traditions
anthropocentrées : viande, foie gras, fourrure, corrida,
etc.... Pour ne citer que quelques récents événements,
le 28 septembre 2013, un grand rassemblement s’est
organisé contre l’ouverture d’une «ferme-usine» de
41
le PETIT PLUS
1000 vaches dans la Somme ; le 12 mai 2013 à Alès
(Languedoc‑Roussillon), une manifestation contre
le spectacle de corrida a tourné à l’affrontement ; le
2 novembre dernier en Belgique a eu lieu un grand
défilé contre un élevage de 106 000 visons pour leur
fourrure.
A la lumière de ces signes de protestation, il est
possible de percevoir un changement dans les
mentalités, qui paraissent de plus en plus réfractaires
aux actes de production dénués d’empathie que l’on
observe actuellement. Des alternatives apparaissent
alors, comme le mode de vie dit «végan» qui rejette
toute exploitation des non-humains.
L’abolition totale des méthodes de production basées
sur l’exploitation et la mort animale risque, à moyen
terme, de rester un doux rêve pour ses partisans.
Aucun agenda politique, de près ou de loin, n’envisage
de telles mesures. Néanmoins, il reste possible de
s’interroger sur les réglementations adoptées au
niveau européen pour réguler ces pratiques qui sont
en grande partie (à hauteur de 80% en France, contre
98% en Allemagne) d’origine industrielle.
Dans quel sens les législations européennes évoluentelles donc quant à la question de la prise en compte
des intérêts animaux ? Quelles sont les avancées, et où
demeurent les faiblesses ?
Des avancements récentes, mais significatifs
L’association militante L214 juge que « globalement,
les avancées réglementaires sur la protection des
animaux dans les élevages sont avant tout le fait de
l’Union européenne. La France a plutôt tendance à
freiner les évolutions positives proposées dans le
secteur de l’élevage. »
Ainsi, les conditions de transport sont réglementées,
notamment par le règlement CE 1/2005 qui impose des
système d’abreuvement et de ventilation à l’intérieur
des véhicules de transport ainsi qu’un certificat de
42
conformité de ceux-ci, délivré par la Direction des
Services Vétérinaires du département concerné. Un
«étourdissement» préalable à l’abattage est requis
(directive 93/119/CEE de 1993). Il existe également
des directives récentes sur les conditions d’élevages
des veaux, des cochons, des poules pondeuses et des
poules à viande (la première à entrer en vigueur fut
celle de janvier 2007 qui accorde aux veaux un espace
et une nourriture plus convenables).
Des avancées à l’initiative directe des pays ont
également été constatées. Ainsi, la méthode de
production du foie gras, le gavage, qui contrevient au
principe de «bien-être» des animaux d’élevage énoncé
dans les réglementations européennes, est interdit
dans de nombreux pays de l’Union européenne tels le
Royaume-Uni, l’Allemagne (depuis 1993), la Pologne
(depuis 1999), ou encore l’Italie (depuis le 1er janvier
2004). L’interdiction pure et simple de la production
et de la vente du foie gras dans l’Union européenne
est en débat depuis 2012, à l’initiative de plusieurs
députés.
Barbarie
hiver 2013 - 2014
de mise aux normes constituant des contraintes de
temps et de dépenses, donc des freins au profit. En
France, les lobbies seraient soutenus par le Ministère
de l’Agriculture lui-même.14
« D’autres voies » que le modèle actuel existent, clame
l’association L214. Celles-ci passeraient néanmoins
davantage par une responsabilisation globale des
consommateurs que par de nouveaux projets de loi.
L’Union européenne ne s’est cependant pas engagée
dans la voie de la lutte contre la corrida, puisque
le traité d’Amsterdam (2 octobre 1997) a écarté
l’application des règles concernant le « respect du
bien-être des animaux en tant que créatures douées
de sensibilité » en cas de « tradition culturelle ».
W
hat
is
European
Challenges are still ahead of us.
culture?
Fanny Cohen
Des limites manifestes à la réglementation
Néanmoins, les avancées sont insuffisantes aux yeux
des défenseurs de la cause animale. Ces derniers
mettent en avant des conditions prévues par la loi non
respectées (comme celle sur le gavage) ou simplement
une législation lacunaire. Même dans le cas où elles
sont respectées, L214 pointe le fait qu’elles ne font
« qu’apporter des aménagements marginaux aux
pratiques de l’élevage intensif ». La castration à vif des
porcelets est par exemple toujours autorisée.
La lutte contre les lobbies des filières agro-alimentaires,
pour qui la rentabilité économique prime sur toute
autre considération, parait difficilement gagnable
pour leurs opposants. Ces lobbies feraient ainsi
pression sur la Commission européenne pour qu’elle
dénature les textes qui prévoient pour les bêtes des
conditions d’existence améliorées - les exigences
According to the concept of Europeanism, the people of
Europe share a distinctive set of political, economic and
social norms and values. One of the authors supporting
this idea, the political scientist John Mac Cormick
reckons that the European people share, among
others, values such as secularism, multiculturalism,
opposition to capital punishment. A similar idea was
developed by Bassam Tibi, a German political scientist
and Professor of International Relations with the
concept of Leitkultur. He himself sees the Leitkultur
as a form of multiculturalism composed of western
values such as modernity, democracy, secularism,
Enlightenments values, human rights and civil society.
On no account can we doubt that European states
have certain values in common. However, can we say
today that European culture has led to a geopolitical
unit? According to Ernest Gellner in his work Nations
and Nationalism, this is not yet the case.
For him, a political or state entity will have to prefigure
the creation of a broad, collective identity. At present,
European integration co-exists with national loyalties
and national patriotism.
But if the creation of a state entity is the condition
for a collective identity, could the currently ongoing
European political construction lead, in the long run,
to a set of values designing a broader identity, to a
new European culture? In that case, what would this
identity look like? And would it necessarily replace or
diminish already existing state-based values?
Currently, European organizations, to a large extent
the Council of Europe and the European Union are
attempting to shape a frame for European culture.
For example, Robert Palmer, director for Democratic
43
le PETIT PLUS
Governance, Culture and Diversity of the Council of
Europe has mentioned some issues that have to be
raised by his directory.
He particularly warns us of nationalistic tendencies
and of the risk not to take into account contemporary
creation and European minorities. He also brings
up the change in the kind of cultural objects due to
technological advances.
Within the institutions of the European Union,
some initiatives can be mentioned. For example the
nomination each year of the European Capital of
culture or the so-called European border breakers
awards competition between European singers and
bands.
Surely aimed at bringing European citizens closer
together, but without any doubt also at giving the
institutions greater credibility among European
citizens, these measures may play a role in the process
of “Europeanization of culture”, of the creation
of a European cultural unit. But other important
phenomena shouldn’t be forgotten when talking about
the present-day and future evolutions of European
culture.
In his work “The Empathic Civilization’s: Rethinking
Human Nature in the Biosphere Era”, Jeremy Rifkin,
an American economist puts an end to what he calls
“long-held shibboleths” introduced by Enlightments
philosophers, i.e. to the fact that humans are
autonomous, self-centered and materialistic human
beings.
In it, he explains that according to recent discoveries
in brain science, all humans have “empathy neurons”.
This would have enabled humans to bring out their
empathic sociability to always bigger groups of people.
From blood identification to national identification,
we could observe a progressive detribalization of
human societies. This evolution could occur thanks
to different steps of communication revolution. The
result of today’s digital communication revolution is a
continentalization and the flourishing of empathy on a
global scale. According to Rifkin, the European Union
is an example of this developing empathic society.
44
But while Rifkin, on the other side of the Atlantic, has
been developing this concept, European countries
have been questioning their own identities, cultures
and values. Sometimes they put them or new ones on
a pedestal or do not accept them, not really knowing
which one they had to consider as part of themselves
and which not. European identity doesn’t seem to be as
fixed and as self-evident as one could think and debates
on Europeans’ angst of too much EU-federalism, on
difficulties in solving immigration problematic or on
globalized mass-culture are animated.
In 2010 for instance, Germany’s cultural model and
its integration of different cultures was questioned.
Thilo Sarrazin’s book “Deutschland schafft sich
ab”, denounces the failure of Germany’s post-war
immigration policy, sparking a nation-wide controversy
about the costs and benefits of the ideology of
multiculturalism. After that, German chancellor Angela
Merkel speaking to a meeting of young members of
her Christian Democratic Union party declared that the
idea of “people from different cultural backgrounds
living happily side by side utterly failed”.
At this moment started there a debate on the
Leitkultur and what it is supposed to be composed
of. As said before, the concept of Leitkultur was first
developed by Bassam Tibi as a form of multiculturalism
describing western countries’ culture. It was then reused by politicians, notably by Thilo Sarrazin as the
“core culture of a nation that has to be considered and
respected as the main one”.
In 2011, in France, the French politician Christine
Boutin presented a petition proposing that the
Christian roots of Europe be officially recognized in
the EU texts. More recently, the French weekly “Le
Point” ran as a headline “The polemic Finkielkraut: can
we still be French?”. In his last lapoonist book, released
in October 2013, the essayist questions French
identity and deplores the progressive loss of one of
its main principles, secularism. The Old Continent
invokes cosmopolitism but renounced all universalist
perspective, as if there were no values anymore to put
forward to the world, he argues.
Barbarie
hiver 2013 - 2014
At the national level, the question of what national
and European identity and culture consist in and of
what they have potentially lost is raised. But are we
sure this is the real question to be asked?
In an article published in the Guardian, the Slovenian
philosopher Slavoj Žižek makes the following analysis
about European culture:
“Instead of bemoaning the newly emerging racist
Europe, we should be self-critical, asking to what
extent our own abstract multiculturalism contributed
to this sad state of things. If all sides do not share or
respect the same civility, then multiculturalism turns
into legally regulated mutual ignorance or hatred. The
conflict about multiculturalism already is one about
Leitkultur: it is not a conflict between cultures, but
between different visions of how different cultures
can and should co-exist, about the rules and practices
these cultures have to share if they are to co-exist.”
Žižek calls for a decision that has to be taken. We,
Europeans have not to choose which cultures have to
or may be part of the European culture. We have to
choose how different cultures can and should co-exist,
to decide on the rules and practices these cultures
have to share if they are to co-exist. Only a few months
away from the European elections, and while Europe
is still stuck in the crisis, these tough reflections tend
to be avoided or simplified. There is no easy answer to
that problematic but this doesn’t mean that it cannot
be posed.
E
" uropunk ", ou le punk à l’Européenne à
la Cité de la Musique
Alessandra Marano
Paris. Parc de la Villette. Cité de la Musique. A l’affiche depuis le milieu du
mois d’octobre 2013, l’exposition « Europunk », dont on retrouve le poster
publicitaire représentant une Elizabeth II postmoderne un peu partout dans
les couloirs du métro parisien. On y voit une image qui avait été utilisée pour
la pochette du single God Save the Queen des Sex Pistols. Jusqu’au 19 janvier
2014, la possibilité nous est donnée de faire une plongée dans l’Europe punk
des années 70 pour seulement 9 euros (et 5 euros lorsqu’on a la chance d’avoir
moins de 26 ans). Et pour les amateurs de grasses matinées, des nocturnes sont
prévues jusqu’à 22 heures les vendredis et samedis.
A leur arrivée, les visiteurs sont accueillis par la
musique des Sex Pistols et découvrent une série des
panneaux présentant une timeline de 1975 à 1980,
conçue par David Sanson, commissaire associé de
l’exposition. D’un côté, on retrouve la chronologie des
événements principaux de l’actualité du monde entier,
de l’autre la chrono-discographie du mouvement punk
en Europe. Ces deux frises lient ainsi les différents
espaces de l’exposition. Les deux premières salles sont
des véritables collections de toutes formes artistiques
du mouvement punk anglais (dans la première salle)
et français (dans la deuxième) : pochettes de disques,
45
Le petit plus
affiches, tracts, dessins, BD, roman-photos, t-shirts et
pulls dessinés par Vivienne Westwood - précurseur
incontesté de la mode punk elle-même ! Petit coup
de cœur personnel pour la dernière salle dédiée à
une forme de punk plus romantique, la New Wave.
Dans cette salle, c’est le groupe Joy Division qui passe
en boucle, conduisant doucement le visiteur vers la
fin du parcours. Mais ce n’est pas fini ! Des activités
interactives vous attendent au sous-sol : le Jukebox Punk, des juke-box tactile postmoderne (des
iPads pour faire simple) qui proposent une sélection
musicale punk « européenne », une exposition des
photos des années 70 signée par le collectif « Belle
journée en perspective » et un atelier où l’on peut
fabriquer son badge « punk » personnalisé. Et pour les
plus fanatiques, l’atelier « Play It » propose de sessions
gratuites d’enregistrement avec des musiciensmédiateurs.
Dès le début de la visite, l’ambition de cette exposition
est claire : redonner de la valeur à et une dimension
visuelle à un mouvement connu surtout pour son
influence musicale. Eric de Chassey, directeur de la
Villa Medicis à Rome, historien de l’art et commissaire
de l’exposition, a conçu ce projet afin de « redonner
un crédit artistique à toute une culture visuelle
spécifique qui s’est pourtant bâtie en totale opposition
à l’art » 15. Sex Pistols et Bazooka sont au centre de
la présentation « audio-visuelle » des deux premières
salles. En particulier dans la deuxième, celle consacré
au Bazooka le groupe-collectif artistique du punk à
la française, il est frappant d’observer le nombre des
dessins et de BD montrant la forte réaction artistique à
la société des années 70. Dans une affiche du 1976 de
Kiki Picasso, membre de Bazooka, on peut notamment
lire le slogan « Toute l’Europe entre nos mains ». Une
affiche emblématique d’un mal-être ressenti par
tous les jeunes Européens de ces années : l’exclusion
sociale, les guerres, la crise pétrolière se traduit chez
les jeunes en crise d’identité, pétris d’incertitudes
quant à l’avenir et rejetant l’ordre établi. Les célèbres
slogans «No future», «Anarchy» ou encore «Punk is not
46
Barbarie
hiver 2013 - 2014
dead» cristallisent alors les frustrations d’une frange
de la jeunesse qui, malgré tout, parvient à transformer
son désespoir et sa vitalité en un mouvement culturel
inédit. Parmi toutes les formes d’héritage artistique
punk rassemblées dans cet espace d’exposition nous
est dévoilée une volonté de changer le monde à travers
une nouvelle esthétique. Ou plutôt de donner forme
à une nouvelle idée de monde et - dans ce cas plus
détaillé – de l’Europe. Mais voici le point faible. Le titre
Europunk montre un choix précis de se concentrer sur
une aire géographique définie. Cependant, malgré
cela, les références ne sont pas explicites. Le visiteur est
invité à écouter et à regarder a travers des écouteurs
reliés à des vieux téléviseurs à tubes cathodiques les
vidéos des groupes punks anglais, italiens, français,
allemands, etc. Ainsi il se retrouve face à un mélange
chaotique d’images et de sons en différentes langues
dont il ne comprend pas totalement le sens et qui, ainsi,
ne perçoit pas le fil rouge qui aurait probablement dû
être davantage développé. Pourquoi le punk en Europe
s’est-il caractérisé par un développement artisticovisuel aussi marqué ? L’exposition nous en apporte
certes les preuves, mais pas les causes.
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Barbarie
hiver 2013 - 2014
http://spire.sciences-po.fr/hdl:/2441/9labe9r4se65i
789685q56gb2/export/cv/cv-Rupnik-Jacques.pdf
1
Texte législatif adopté par la Croatie le 28 juin 2013,
juste avant son entrée dans l’UE qui prévoyait que les
mandats d’arrêt européens ne pouvaient s’appliquer
pour des crimes commis avant 2002. Sont ainsi exclus
ceux commis à l’époque yougoslave et pendant la
guerre serbo-croate (1991-1995). Cette législation est
surnommée la loi Perkovic, du nom d’un ex-responsable
de la branche croate des services de renseignement
yougoslaves (UDBA), recherché en Allemagne dans
le cadre d’une enquête sur l’assassinat d’un dissident
croate, Stjepan Djurekovic, en 1983. Le 4 octobre
2013, la Croatie se pliait finalement aux pressions
de l’Union européenne en annulant les dispositions
limitant la portée du mandat d’arrêt européen. Voir
http://www.lemonde.fr/europe/article/2013/08/28/
colere-et-menaces-de-bruxelles-contre-la-croatie-ausujet-du-mandat-d-arret-europeen_3467546_3214.
html et http://ec.europa.eu/commission_2010-2014/
reding/multimedia/news/2013/09/20130918_fr.htm
2
Arrestation d’Ante Gotovina et ouverture des
négociations avec l’Union européenne http://www.
cronet.org/actualites/gotovina-arrestation-2005.htm
3
NOTES
Voir l’article paru dans Le Monde le 27 avril 2012 http://
www.lemonde.fr/economie/article/2012/04/27/
pologne-la-bombe-a-retardement-d-une-populationvieillissante_1692381_3234.html
8
S. Stodolak, Imigranci rzadko wpływają na gospodarkę
kraju, który wybiorą [rarement les immigrés
influencent l’économie du pays choisi]. http://www.
obserwatorfinansowy.pl/tematyka/biznes/imigrancirzadko-wplywaja-na-gospodarke-kraju-ktory-wybiora/
9
Le Monde, 5 mai 2012 http://www.
lemonde.fr/europe/article/2012/05/05/grecepourquoi-un-parti-neonazi-pourrait-entrer-auparlement_1695987_3214.html
10
Euractiv, 30 septembre 2013 http://www.euractiv.
com/eu-elections-2014/greek-justice-hits-neo-nazigold-news-530773
11
Source : The Forum Poll http://www.forumresearch.
com/the-forum-poll.asp
12
Pour lire l’article : https://ypfp.org/blog/2013/10/
democracy-twiplomacy-and-accountability-europe-0
13
D’après L214, http://www.l214.com/legislation-surla-protection-animale.
14
Le 19 avril 2013, un accord visant à normaliser les
relations entre la Serbie et le Kosovo a été conclu dans
le cadre du dialogue facilité par l’Union européenne.
http://eeas.europa.eu/top_stories/2013/190413__
eu-facilitated_dialogue_fr.htm
4
5
Extrait de l’entretien publié dans « La revue de la Cité
de la musique » N.72.
15
Le pays a obtenu le statut de candidat en 2005.
Les élections municipales ont eu lieu le 3 novembre
dernier. Bien qu’encouragées par Belgrade à participer
au scrutin pour la première fois depuis l’indépendance
proclamée en 2008, les minorités serbes ont peu voté.
6
L’Europe au coeur du monde sanctuarisé, est une
carte réalisée par Philippe Rekacewicz en 2011.
7
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Impression rendue possible par le soutien du FSDIE (Fonds de Solidarité et de Développement
des Initiatives Etudiantes) de l’université Paris-Sorbonne et par le CROUS de Paris.
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hiver
2013 - 2014
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