Planète Paix n°501 - Dossier : le plan "Grand Moyen

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Planète Paix n°501 - Dossier : le plan "Grand Moyen
Planète Paix n°501 – Dossier : le plan « Grand
Moyen-Orient », une stratégie hégémonique
Dossier
Le plan « Grand Moyen-Orient », une stratégie hégémonique
Les opérations de « charme » que furent les récentes tournées européennes de George W. Bush et de Condoleezza Rice n ‘étaient
qu’une démarche obligée en raison des revers enregistrés par leur politique unilatéraliste pour régenter le monde et de
l’impossibilité à se sortir des bourbiers irakien et afghan.
Est-ce à dire que les Etats-Unis abandonnent leurs visées hégémoniques ? Le plan de « Grand Moyen-Orient » (GMO) (1) qu’ils
veulent imposer au monde arabo-musulman et aux Européens témoigne du contraire. Réélu, Bush n’a pas manqué de le rappeler dans
son discours sur l’État de l’Union, le 2 février 2005, « Tant que le Moyen-Orient restera un lieu de tyrannie, de désespoir et
de colère, il continuera de produire des hommes et des mouvements qui menacent la sécurité des Etats-Unis et de nos amis. Aussi
l’Amérique poursuit-elle une stratégie avancée de liberté dans le Grand Moyen-Orient. »
Les arguments évoqués pour vendre le plan de GMO, cette région étant l’épicentre des conflits et contradictions auxquelles les
stratèges de la Maison Blanche sont confrontés, sont ceux-là mêmes qui ont conduit aux interventions en Afghanistan et en
Irak : faire la guerre au terrorisme, lutter contre la prolifération des armes de destruction massive et renverser les régimes
tyranniques. On connaît aujourd’hui la réalité de ces arguments, a ssociant menaces d’interventions armées et appel à la
« démocratie », le plan de GMO a pour objectif d’assurer les visées hégémoniques des Etats-Unis.
Une hégémonie planétaire formulée dans le Defense Policy Guidance 1992-1994 , de Paul Wolfowitz et Lewis Libby(2) qui consiste
à «
empêcher toute puissance hostile de dominer des régions dont les ressources lui permettraient d’accéder au statut de
grande puissance » , à « décourager les pays industrialisés avancés de toute tentative visant à défier notre leadership ou à
renverser l’ordre politique et économique établi » et à « prévenir l’émergence future de tout concurrent global. »
Cette ambition a un préalable explicité par Zbigniew Brzezinski (3), dominer l’Eurasie : «
L’Eurasie constitue l’axe du monde.
Une puissance qui dominerait l’Eurasie exercerait une influence prééminente sur deux des trois régions les plus productives du
monde, l’Europe occidentale et l’Asie orientale… L’Eurasie constituant désormais l’échiquier géopolitique décisif… L’évolution
des équilibres de puissance sur l’immense espace eurasiatique sera d’un impact déterminant sur la suprématie globale de
l’Amérique . » Pour l’application de cette stratégie, le Moyen-Orient s’avère une région charnière.
Non seulement la suprématie sur le Moyen-Orient représente le contrôle de 56,5% des réserves de pétrole et 36,2% de celles de
gaz dans le monde mais elle assure la maîtrise des routes du pétrole vers les Etats-Unis, l’Europe et l’Extrême-Orient, ce qui
représente un approvisionnement vital pour l’économie des Etats-Unis mais aussi pour celles de ses concurrents. On estime qu’en
raison des besoins croissants de la Chine et du Japon, le commerce du pétrole venant du Moyen-Orient va quadrupler dans les 25
ans à venir. Reste un maillon manquant à Washington pour une mainmise absolue sur ces réserves, l’Iran, ce qui explique les
tensions actuelles.
Ici apparaît l’enjeu militaire, lors du sommet d’Istanbul, en juin 2004, en adoptant l’« Initiative pour un Grand Moyen-Orient
», l’OTAN est devenue le fer de lance du plan de GMO. L’objectif étant d’assurer l’hégémonie états-unienne sur le monde arabomusulman et, du Caucase au Sin-Kiang, renforcer le dispositif d’endiguement de la Russie et de la Chine. Pour cela, tous unis
derrière la bannière étoilée, il est proclamé : « La division entre « Alliés » et « Partenaires » doit être surmontée
rapidement. La sécurité des Alliés ne peut être garantie que par une collaboration étroite entre eux certes, mais également
avec les Partenaires d’Europe centrale et orientale et du Grand Moyen-Orient. C’est cette évidence qui, plus que toute autre,
motive aujourd’hui l’évolution de l’OTAN. » (4) Il est même affirmé que « l’avenir de l’OTAN sera déterminé par les résultats
de l’initiative en faveur du Grand Moyen-Orient. » (5)
Les enjeux économiques
Autre objectif essentiel du GMO, intégrer la région à l’économie de marché néolibérale avec la création d’une Banque du
développement, le renforcement du secteur privé, la libéralisation des investissements, l’adhésion des pays de la région à
l’OMC. Le but déclaré du projet de GMO étant de réaliser « une transformation économique d’une ampleur similaire à celle qu’ont
entreprise les pays ex-communistes d’Europe centrale et orientale » , dans ce dessein, Bush devient multilatéraliste et fait
appel à l’Union européenne (au Japon et au Canada) afin qu’ils financent son plan !
Enfin, au-delà du maintien de l’occupation de l’Irak et de l’Afghanistan , avec ce plan, Washington dilue le conflit israélopalestinien dans un grand Moyen-Orient artificiel pour en faire, selon sa volonté de toujours, une question israélo-arabe. La
Maison-Blanche renforce ainsi son emprise sur des négociations de paix fondées sur des relations privilégiées avec Israël,
pièce essentielle sur l’échiquier du GMO.
Un regard lucide amène à deux constats, le premier, évident, les Etats-Unis n’ont nullement renoncé à leur politique
hégémonique globale (et le Moyen-Orient est le lieu où, aujourd’hui, la partie se joue). Le second, dont il reste à prendre
conscience, pour Bush and Co, les événements récents en Libye, Égypte, Arabie Saoudite, Liban ou en Palestine, sont à
considérer comme des effets positifs des guerres d’Irak et d’Afghanistan et, partant de cette logique, demain, ils peuvent s’en
prévaloir pour justifier de nouvelles guerres préventives.
Nils Andersson
(1) Une région allant de la Mauritanie aux frontières de l’Inde.
(2) Aujourd’hui, secrétaire adjoint à la défense et conseiller aux questions de sécurité.
(3) Conseiller pour la sécurité nationale de Jimmy Carter, Le Grand Échiquier , Éd. Bayard..
(4) Chuk Hagel , Revue de l’OTAN .
(5) Membre de la commission du Sénat des affaires étrangères et du comité sénatorial sur le renseignement.