Comment réduire vos coûts informatiques

Transcription

Comment réduire vos coûts informatiques
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N T R O D U C T I O N
n Aborder l’informatique autrement
Cet ouvrage est le fruit d’un double constat : selon le premier, l’informatique
est un cas à part dans le monde de l’entreprise ; le second est que nous ne
comprenons pas pourquoi. Pire encore, nous ne sommes pas d’accord ! À rebours
de la « pensée courante », nous allons expliquer pourquoi l’informatique peut
et doit devenir un centre de développement et de production comme les autres
dans l’entreprise, une usine comme les autres. Chaque fois que cela est pertinent,
nous évoquerons la transposition des pratiques industrielles dans l’univers
informatique. À travers l’analyse de chaque nature de coût, de chaque métier,
de chaque type d’entreprise, nous rappellerons les fondements techniques qui
structurent une informatique, les principales données de marché et les leviers
qui peuvent être actionnés pour améliorer la productivité de l’informatique et
réduire son coût. Dans la mesure du possible, cet ouvrage essaye de s’écarter
des discours généraux, et fournit au lecteur des choix qui peuvent être pertinents
sur des sujets précis et fonction du contexte de l’entreprise. Le lecteur dispose
ainsi d’un véritable « guide pratique de réduction des coûts informatiques ».
Cet ouvrage s’adressant à la fois à des professionnels de l’informatique et à des
utilisateurs, nous commencerons par faire un état des lieux de ce secteur
d’activité. Nous aborderons ensuite la problématique des métriques économiques,
qui est à la source des bonnes décisions opérationnelles. Enfin, nous traiterons,
pour chaque métier, les différents leviers que l’on peut actionner pour améliorer
sa performance.
Le point de vue de…
Philippe VAN HAECKE, DSI groupe AUCHAN
L'informatique aura atteint une véritable maturité le jour où elle ne
revendiquera plus son particularisme par rapport aux autres fonctions
de l'entreprise.
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COMMENT
RÉDUIRE VOS COÛTS INFORMATIQUES
n Un double constat
•
L’informatique : un cas à part dans le monde de
l’entreprise
Un peu d’histoire
L’informatique est jeune au regard de l’histoire économique et industrielle
moderne. Les premiers langages utilisés dans l’entreprise apparaissent dans
les années 1950. Il s’agit du COBOL pour les applications dites de gestion. On
traite alors notamment les domaines de la comptabilité et de la finance. Pour
les applications plus techniques, notamment les calculs par éléments finis et
tous les calculs d’optimisation, le FORTRAN est la référence. Les années 1960
voient le véritable développement de l’informatique en entreprise, avec des
machines centralisées et des terminaux utilisateurs simples. Jusqu’à la fin des
années 1970, c’est la période glorieuse de « Big Blue » (IBM), qui ne rencontre
face à lui que des productions locales, comme Bull en France. Pour comprendre
l’évolution du secteur, et les retournements importants qui s’y sont opérés
dernièrement, on peut rappeler qu’à cette époque, les commerciaux d’IBM
géraient les listes d’attente de leurs clients pour leur fournir le matériel, et qu’il
existait même un marché noir pour figurer en bonne place sur ces listes d’attente !
Il faudra attendre la fin des années 1970 pour que se développent les langages
dits « structurés » (Pascal, langage C) et que s’amorce l’ère de la micro-informatique
avec la révolution du PC, qui s’impose comme un standard dans les années
1980. Enfin, les années 1990 sont marquées dans un premier temps par l’approche
dite « objet » (langages C++ puis JAVA) puis, dans un deuxième temps, par ce
que l’on a appelé la « vague Internet ».
Après l’an 2000, l’informatique se réveille avec un sentiment d’amertume : sur
fond de crise économique, d’arrêts des projets structurels comme l’euro et le
passage de l’an 2000, le marché se retourne violemment. Les prix s’effondrent,
de nombreuses entreprises dites de « nouvelles technologies » déposent le bilan
et les questions du coût de l’informatique se posent.
Erreur de jeunesse ? Certainement, même si ce petit voyage dans l’histoire de
l’informatique a de quoi surprendre : en quarante ans, que de bouleversements
et changements techniques radicaux ! Si l’on compare avec l’industrie, quel
domaine technologique a subi autant de mutations, même à l’échelle de deux
siècles ? De plus, l’informatique a réellement une particularité : si la machine à
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vapeur a disparu du monde de la motorisation, les premiers langages cités, qui
ont accompagné les premiers pas de l’informatique, sont encore bien présents !
Dans les programmes détenus par une banque ou une compagnie d’assurance,
même dans ceux des opérateurs télécoms qui ont pourtant développé leurs
systèmes dans les dix dernières années, le COBOL est présent et cohabite avec
tous les autres langages qui lui ont succédé.
La jeunesse est souvent évoquée aussi pour justifier le manque de méthodes,
d’outils de mesure et, finalement, d’organisation dans les métiers de l’informatique.
On parle d’ailleurs de processus d’« industrialisation de l’informatique ». Nous
reviendrons très précisément sur cette démarche (voir p. 105).
Entre barrière technique et vulgarisation
Comme toute spécialité, l’informatique a ajouté à la complexité technique (variété
des langages, des systèmes et des matériels) un jargon qui évolue lui aussi très
vite. Si l’on vous dit que « l’AP va printer à partir de sa babasse le log de l’IHM »,
avez-vous deviné que l’analyste programmeur va imprimer à partir de son
ordinateur le fichier de compte rendu d’exécution du programme d’interface
homme/machine ? Au-delà de cet aspect anecdotique, la variété des technologies
et leur accumulation à un rythme soutenu créent naturellement une barrière à
l’entrée. Il faut non seulement être techniquement pointu à un moment donné,
mais être en mesure de se former régulièrement aux nouveautés qui apparaissent.
À l’opposé de cette vision, l’informatique est aussi le seul sujet dans l’entreprise
où pratiquement tous les employés se sentent légitimes à exprimer au minimum
un avis. En effet, la vulgarisation de la micro-informatique familiale donne le
sentiment à chaque possesseur de PC d’être « un informaticien ». À l’occasion
des « pauses-café » sont lancés de grands débats sur le matériel, les logiciels
et même les prix. Il n’est pas rare qu’en entreprise un responsable s’indigne
qu’on lui facture le coût du poste de travail 1 600 euros par an quand il peut
acheter au supermarché un PC à moins de 1 000 euros. Il oublie juste que le
coût qui lui est donné par son service informatique couvre, au-delà de la mise
à disposition du matériel proprement dit, les logiciels, l’accès réseau local et
distant, la maintenance de son poste et l’assistance téléphonique (dite « hotline »).
Le même salarié ne s’aventurerait pas à commenter le choix de la dernière
presse d’injection plastique installée dans l’atelier de son usine !
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COMMENT
RÉDUIRE VOS COÛTS INFORMATIQUES
Information et pouvoir
Le dernier point spécifique à l’informatique en entreprise réside dans la relation
non avouée entre « pouvoir » et « information ». L’entreprise est une aventure
humaine, et outre l’objectif principal de croissance sur les marchés, c’est aussi
un terrain de rivalités, d’ambitions et d’enjeux personnels qui s’expriment
diversement. L’outil informatique est, dans ce cadre, non seulement un outil de
productivité, mais aussi un outil de pouvoir. Le premier point explique que les
« utilisateurs » se battent à chaque exercice budgétaire annuel pour disposer
d’une enveloppe d’investissement informatique confortable, gage a priori
d’augmentation de productivité des opérations qui seront automatisées. Mais
le développement du marché des « info-centres », bases d’informations qui
permettent assez librement aux utilisateurs de disposer d’un large panorama
d’informations internes à l’entreprise, traduit l’intérêt d’accéder à l’information,
au-delà des processus opérationnels. Le rôle de la maîtrise d’ouvrage est alors
capital pour réguler ces demandes, et éviter de dupliquer des systèmes équivalents,
dans chaque « zone de pouvoir » ou « baronnie » de l’entreprise, comme on le
constate couramment.
• L’informatique, une usine comme une autre
Les grands processus informatiques
Avant de faire le parallèle entre l’informatique et les métiers industriels
traditionnels, il convient de rappeler les principaux processus couverts par les
métiers informatiques. Cela permettra aussi de corriger une idée reçue sur ces
métiers. Spontanément, quand on parle d’un informaticien, on pense à un
« développeur ». Pourtant, ce métier ne représente qu’une part modeste des
coûts informatiques, même s’il a fortement évolué ces dernières années avec
l’utilisation de plus en plus courante de progiciels ou de composants logiciels.
Le graphique ci-après décrit les fonctions majeures que l’on rencontre dans une
organisation informatique. Le mode de représentation permet d’avoir un panorama
de ces fonctions, indépendamment de l’organisation adoptée par l’entreprise.
On distingue deux critères majeurs : le premier consiste à séparer les tâches
dites « projets » des tâches récurrentes « opérationnelles ». Le second consiste
à classer les métiers proches des aspects « techniques », par opposition aux
métiers orientés vers le « fonctionnel », c’est-à-dire la connaissance des métiers
couverts par les systèmes d’information.
INTRODUCTION
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Illustration 1. Les fonctions majeures dans une direction informatique
Études
Conception &
développement
Études
techniques
Études
fonctionnelles
Qualité, normes
& méthodes
Recettes
fonctionnelles
Technique
Fonctionnel
Achats
Stratégie
Logistique
Exploitation
technique
Exploitation
fonctionnelle
Opérationnel
Les organisations généralement adoptées par les entreprises séparent les
métiers ainsi :
1. l’exploitation (partie basse du graphique), sachant que les tâches d’exploitation
fonctionnelle peuvent parfois être assurées par les équipes d’études et
développements, voire par les maîtrises d’ouvrage dans certains cas ;
2. les études et développements (partie haute du graphique), y compris la
« maintenance » qui est une activité qui se rapproche des « études et
développements » en raison des profils de compétences mobilisés, mais qui
peut s’intégrer dans l’exploitation, au sens où les coûts de maintenance sont
des coûts récurrents induits par le patrimoine applicatif (1) de l’entreprise.
Les fonctions centrales (achats, mais aussi ressources humaines, gestion) sont
classiquement rattachées à la direction.
La structure de coût globale de l’informatique d’une entreprise dépend
sensiblement de la nature de son activité. Si l’entreprise appartient au secteur
industriel ou à un secteur de services, et si le système d’information ne porte
pas l’offre de l’entreprise (par exemple, industrie mécanique, plasturgie,
distribution commerciale de produits « B to B » [2]), le coût est principalement
constitué par l’exploitation et la maintenance (qui reste faible du fait des rares
évolutions des systèmes mis en place). Si l’entreprise exerce une activité tertiaire,
(1) On désigne par « patrimoine applicatif » l’ensemble des programmes informatiques détenus par une entreprise.
(2) « B to B » : Business to Business, c’est-à-dire une activité de vente exclusive à des entreprises.
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fortement dépendante de l’informatique, où l’offre est « produite » par le système
d’information (finance, assurances, télécoms), alors les coûts de développement
deviennent équivalents à ceux de l’exploitation. Il faut cependant bien séparer
la nature des deux dépenses. D’un côté, il s’agit de charges récurrentes liées à
l’utilisation quotidienne des systèmes. De l’autre, il s’agit d’investissements
dans de nouveaux systèmes, qui doivent porter de nouvelles offres (donc
augmenter le chiffre d’affaires de l’entreprise) ou apporter de la productivité
(diminution des coûts et augmentation de la marge).
Illustration 2. Répartition des coûts en fonction de l’activité de l’entreprise
Activité portée par les SI
Activité standard
Maintenance
Maintenance
Études et
développements
Études et
développements
Exploitation
Exploitation
Études et développements
On peut faire le parallèle entre les services d’études et développements
informatiques et les bureaux d’études industriels. La nature des travaux est la
même. Le tableau qui suit présente en « miroir » les étapes et les outils d’un
processus de conception industriel et informatique.
Industrie
Informatique