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LA TISANE DU PETIT LUTIN ROUGE Joannie Brunel La tisane du petit lutin rouge Roman Éditions Persée Ce livre est une œuvre de fiction. Les noms, les personnages et les événements sont le fruit de l’imagination de l’auteur et toute ressemblance avec des personnes vivantes ou ayant existé serait pure coïncidence. Consultez notre site internet © Éditions Persée, 2015 Pour tout contact : Éditions Persée – 38 Parc du Golf – 13 856 Aix-en-Provence www.editions-persee.fr INTRODUCTION TOUCHER LE FOND Depuis de nombreuses années, la vie la chahute méchamment. Les enfants, de bon cœur, veulent venir au secours de leur mère, Hélène, qu’ils voient avec inquiétude ramer depuis trop longtemps. Ils sont arrivés, ils ont palabré, elle a expliqué, s’est expliquée, les a écoutés, a compris leur démarche mais aussi perçu leurs limites et dit oui… Et ça brasse et ça brasse ses affaires, sa vie dans des sacs et des cartons et on charge. Dans le camion de location, on parle et on débat de choses et d’autres. Hélène répond à l’à peu près. À l’arrivée, on vide le camion. Et ça brasse et ça brasse ses affaires, sa vie. Tout se déverse rapidement dans ce nouvel appartement, nouveau lieu pour un nouveau départ. Un moment de flottement, une embrassade un peu tristouille et ils sont repartis. Et Hélène est là, plantée dans ce silence qui ponctue finalement cette journée de chahut impromptu. Quelle incroyable lourdeur ! Quel blues grave de chez grave ! Le temps dehors trouve en plus le moyen pervers d’être au diapason. C’est dans l’obscurité gênante d’un ciel trop gris, trop bas et l’humidité pernicieuse d’un printemps qui ne sait plus quitter ses 5 giboulées pénibles qu’Hélène doit poser les yeux sur ce nouveau décor. Cela lui semble étroit mais quand même, tout bien pesé assez sympathique. Elle regarde longuement tout autour d’elle. Son regard glisse sur le marbre vrai ou faux de la cheminée, se promène sur les volutes surannées des imprimés du papier peint. Elle soupire et bataille en même temps contre un mal de ventre gargouilleur qui l’empêche de vraiment s’acclimater en toute sérénité à cet espace curieux d’appartement dans une vieille maison de village. Oh, non ! Elle ne va pas encore tomber dans ses sempiternelles crises d’angoisse ! On entend au loin, le bruit de la circulation routière, qui parvient par vagues, cliquetis, claquements, vrombissements, un peu de tout selon le véhicule qui passe. Il y a les oiseaux aussi. C’est bien ça, les oiseaux, leurs chants font du bien aux oreilles. Oui, en fait, ça va ici. Il y règne malgré tout un certain calme. En passant outre la colique, Hélène, au fil de la soirée finit par goûter un petit peu de cette précieuse sérénité… Ça faisait longtemps qu’elle aspirait à ça ! Tout en ne sachant pas trop par quoi commencer, Hélène s’attelle au rangement et gère dans un premier temps ses douleurs intestinales embarrassantes à grandes rasades d’eau au goulot de la bouteille. Bien sûr, comme conseillé, surtout pas de l’eau fraîche mais de l’eau à température ambiante ; Hélène suit volontiers les conseils bienveillants des amis et des mamies. La poussière… Comme il y en a dans tous ces cartons ! Cette poussière omniprésente la fait tousser, et puis elle doit se laver les mains souvent. TOC ou vraiment nécessaire, ce lavage intempestif et répétitif ? Parfois, ces propres actes lui posent question. Que ce déballage lui pèse ! Trop de cartons, vraiment trop de choses à sortir et ranger… Certains objets la distraient, d’autres l’attristent ; Hélène revisite des moments de sa vie dans le désordre avec plus ou moins de complaisance. Autant d’histoires passées oubliées 6 que de soucis présents obsessionnels se retrouvent là, à chacun son objet. Machinalement, elle range, arrange, hésite. « Faire et défaire, c’est toujours faire quelque chose », disait sa grand-mère. Ce n’est pas très drôle d’emménager toute seule. Au fur et à mesure que les heures passent, c’est un peu de sa force qui s’étiole et puis, basta, elle lâche tout et va manger. Après ce repas salvateur, Hélène se fait violence pour la corvée de vaisselle et laisser la cuisine propre et bien rangée. Voilà qui lui apporte satisfaction, une cuisine au clair qu’elle aura plaisir à retrouver ainsi demain matin. Dans la dynamique de ce sentiment de satisfaction, elle vire de suite direction salle d’eau et toilette minimale faite, elle va directement s’écrouler sur son lit. Et bam ! Grr ! c’est juste à ce moment que son téléphone sonne ! Sans grande envie, elle décroche, et oui, toujours pas capable de dire non… Ah, mais, chouette ! C’est Yanne !! Elle n’avait pas lu le nom affiché sur l’écran. Tout de suite, ça va mieux. Sa meilleure amie l’appelle pour prendre des nouvelles d’elle en cette fin de naufrage. Tout de suite, rires et sourires sont à nouveau de la partie. Cette Yanne, quelle choute ! 7 CHAPITRE 1 COMMENT ÇA A COMMENCÉ — Allô, ma belle. Comment ça va ma louloutte ? — Humm, pas si mal. — Super ! Et quand est-ce qu’on se voit ? J’ai hâte de voir ton nouveau petit nid d’amour. — D’amour… — Si ! Si ! Tu vas voir ! — Humm… — Alors, tu es libre demain ? — Euh, oui. Demain… Et puis un peu tous les jours en fait. — O.K., ça marche ! On déjeune ensemble ? Je t’invite ! — Oooh… — Pas de oh ! ni de ah ! Tu me revaudras ça ! Tu sais bien que rien n’est gratuit ! Disons que je fais un investissement sur ta future réussite ! Alors, raconte, ça s’est bien passé ? — Oui, pas simple d’être sur la même longueur d’onde que les enfants, mais bon… — Oui, ben, ce qu’il faut voir : c’est que tu as eu une aide pas chère et efficace pour ton déménagement. Ça tombait bien, pile lorsque Thierry et moi étions d’astreinte et qu’on ne pouvait rien pour toi. Alors, ne te prends pas le chou, ma petite Hélène ! 9 — Oui, c’est sûr. C’est ce que je me dis : voir, le côté pratique, positif et c’est tout. — Voilà ! Voilà ! Tout à fait ça ! Et tu as déjà tout déballé ? — Presque, restent encore deux trois trucs. — Je passe demain matin vers dix heures alors, histoire de refiler le coup de main et puis après on mange au Troquet de la Pomme ? Ça te va ? — Oui, merci, Yanne. — T’es crevée, non ? Ça s’entend… — Oui, complètement nase. — Je te laisse dormir. Mais je tenais à te faire un petit coucou avant que tu ne t’endormes, ma louloutte. — C’est gentil. — Normal ! Allez, bisou. Dors bien. — Merci, bisou à toi aussi et bonne nuit. — Ciao-ciao ! — Ciao. Et Hélène éteint son téléphone et plaf, le pose sur la table de chevet et s’enfonce avec mollesse dans son lit. Au petit matin, elle se réveille beaucoup trop tôt pour vraiment émerger. Alors, elle rempile pour un petit somme et se réveille… aille ! Un peu trop tard ! Juste un peu… Bon, Hélène se redresse et assise sur le bord du lit, se dit qu’après tout il est neuf heures du matin et que ça lui laisse une heure pour être présentable devant Yanne… qui d’ailleurs l’a plus d’une fois vue non présentable, alors… Et hop ! Debout. Comme d’habitude, quand Yanne donne un rendez-vous à une heure, à quelques cinq minutes près, Yanne arrive. Elle ne se pointe pas les mains vides, elle est venue avec des chocolats aux noisettes dans le sac qu’elle sort à peine passée au seuil de la porte. De cette façon et parce que Yanne est ce qu’elle est, son arrivée met du stimulus hyper-positif et bruyant dans cet appartement qui s’en 10 étonne car jusqu’à présent le ton était plutôt silencieux et calme voire même morne. Après les embrassades et le grignotage des chocolats, Hélène lui fait visiter comme il se doit cet appartement inespéré, lieu du retour à l’autonomie tant redouté. En grande curieuse et bonne copine, Yanne regarde tout, commente tout, farfouille parfois et trouve tout cela très bon. Elle ne serait pas plus enthousiaste pour visiter un monument classé aux monuments historiques, même si elle lance un : — C’est pas Versailles, mais comme on dit « mieux vaut un petit chez-soi qu’un grand chez-les autres ! » Présentation faite des lieux, force leur est de constater que quelques cartons restent à déballer, quelques sacs-poubelles contiennent aussi des affaires à ranger. Avec entrain et efficacité, les objets trouvent leur place et midi sonne tout juste au clocher de l’église que tout semble bien en place. Hélène est heureuse de cette aide amicale qui rend tout plus léger et joyeux. Il n’y a pas à dire, elle n’est pas faite pour cette vie de solitude qui s’amorce à nouveau. Bon, certes Yanne a ses travers, elle a une espèce de manie bizarre à propos des toilettes et des salles de bains : il lui faut toujours tout passer à l’eau de Javel. La traque aux microbes des anciens locataires comme Hélène s’y attendait se fait avec vigueur et application. Et comme Yanne sent bien que sa chère amie Hélène, qu’elle est en train de sauver bien évidemment de la peste et du choléra, n’est pas si convaincue qu’elle-même de l’importance de cette action sanitaire, elle se fend d’un adage comme elle seule sait les concocter : — Lavâge et rangeâge sont les mamelles du ménâge !! Répète ! — Hein ? — Répète : Lavâge et rangeâge sont les mamelles du ménâge !! — Rhoo, mais… O.K., les microbes faut s’en méfier ! — Attention ! Tu as 3 secondes !!! Et sinon, je te passe toi aussi à l’eau de Javel !! 11 — Aah ! Misère ! — 1, 2… — Lavâge et rangeâge sont les mamelles du ménâge !! Nananère ! — Bien ! Maintenant que tu sais ta leçon. Nous pouvons déclarer la mission accomplie ! Parce que tout est nickel ici ! Très contentes et fières de leur performance, les deux copines se prennent un temps de pause et un petit apéro par la même occasion. Les chips de légumes bio disparaissent en un clin d’œil et après deux verres bien mérités, (et de toute façon bien trop petits pour être offensifs, n’est-ce pas ?) Hélène et Yanne se mettent en route pour le Troquet de la Pomme. Bras dessus bras dessous, elles descendent la rue, joyeuses de ce temps de complicité et de petite liberté chipée au train-train quotidien. Leur entrée au Troquet se fait avec panache et toutes deux ont des allures de conquérantes invincibles : — Salut, Marcel ! — Salut, mes starlettes ! Et Yanne bascule par-dessus le comptoir et dans un geste familier, jette un bras autour du cou de Marcel, ce vieux propriétaire du Troquet qui les accueille depuis le temps du lycée. Il avait d’ailleurs de même accueilli leurs pères. Hélène l’embrasse à son tour. Si la façon de Yanne était plutôt du style lancer de lasso, celle d’Hélène était empreinte de plus de douceur. Embrassades échangées, elles filent vers leur table habituelle. Le Troquet de la Pomme donne un goût d’éternité à leurs rencontres qui passées et présentes se sentent chez elles dans ce cadre immuable. Certes, elles ont vécu des ailleurs différents mais ici, tout se retrouve comme au temps d’une jeunesse si proche encore. — Alors, on prend quoi ? lance Yanne qui ne perd jamais l’essentiel de vue. — Le menu « poisson » comme d’hab’…, rétorque timidement Hélène. 12 — Oui, tu as raison : soyons diététiques !! Marcel ! Deux menus « poisson » s’il te plaît. Mais du poisson chic ! C’est la fête aujourd’hui !! — Ça marche ! Super ! Quelle fête ? — Hélène a un nouvel appart’ !! — Ah, bon ? Tiens donc ! Et tu pars où ? — Je ne pars pas, je me rapproche même, je suis rue des remparts. — Ah, mais oui. C’est tout à côté. Bien ! Bien ! Et le dessert ? Ça sera quoi ? — Ta délicieuse crème renversée caramel, bien sûr ! tonne Yanne. Hein, Hélène ? Ça te va ? — Oui-oui ! répond Hélène, et vers Marcel : Deux crèmes pour les deux crèmes du pays ! — Et bien sûr ! Mes jolies ! Je vous offre l’apéro ? — Non-non, nous l’avons déjà bu ! répond effarouchée et sage à la fois Hélène. — Comment ça ? Allez, ne vous faites pas prier. J’ai dégoté un petit Bagnouls dont vous me direz des nouvelles… — Tu as raison, Marcel, rétorque Yanne. Hélène vient d’emménager pas loin de chez toi, ça s’arrose ! — Et bien sûr ! Je trinquerai moi aussi à ma nouvelle voisine, alors. Pas même assises, elles se lancent des blagues sur le fait qu’elles vont finir plutôt guillerettes la journée avec ces trois apéritifs ingérés. Les clowneries de Yanne font rire Hélène et sourire les quelques clients qui les regardent de temps en temps, particulièrement lorsque la voix de Yanne lance quelques éclats. Elle s’en donne à cœur joie et pantomime et raconte son retour au foyer comme si elle serait saoule et joue les rôles respectifs de Thierry et d’elle-même. Avec Marcel, le troisième apéritif de cette journée d’installation se partage dans la joie. Avec une belle application tout d’abord, 13 elles goûtent le nouveau Bagnouls et en font force de compliments qui font friser de plaisir la moustache de leur vieux compagnon de table qui en maintient la gratuité, trop fier de sa trouvaille. Et puis, Marcel une fois parti en cuisine, elles font le tour des nouvelles de toute la famille et puis se rapprochent et commencent ce qui fait le noyau dur des conversations entre amies : les confidences et… Confidences pour confidences, petit à petit l’intime se dit en chuchotis dans l’oreille, messes basses courantes entre amies, et forcément, elles en arrivent à dire un peu de tout, voire un peu trop sur leurs hommes. Mais cela concerne en fait plus particulièrement Yanne sur son homme parce qu’Hélène, elle n’en a plus. Thierry, donc, ne serait plus si vaillant qu’avant, accuserait même une certaine fatigue… au lit bien sous-entendu, et bien compris. Et voilà, comme c’est ballot… à leur âge… Hélène essaie de trouver des raisons à tout cela, elles discutent en chuchotis animés qui cessent dès que Marcel arrive avec un plat. Les questions classiques du stress au travail sont évoquées, la fameuse problématique de la routine qui peut diminuer la libido aussi. Et puis, Yanne évoque la possibilité de recourir au viagra… Et là, une idée soudaine et absolument lumineuse jaillit à l’esprit d’Hélène, une étincelle de génie qui naît au croisement de certains souvenirs amoureux, et oui, Hélène a eu des amoureux : — Eh ! Mais avant, faut que tu essaies la Tisane du Petit Lutin Rouge ! — Quoi ??, répond Yann avec un air interloqué, ébahi, surjoué comme toujours quand Hélène la surprend. Bon, et puis trois petits apéros derrière la cravate ne sont pas non plus tout à fait innocents à l’affaire. « C’est quoi ça ? Une blague ?? — Mais, non… C’est un vieux truc de grand-mère… — Pff ! Tu déconnes ! Les tisanes, c’est pas un truc vérifié ! Ce n’est pas scientifique ! — Mais, si ! Ça marche ! J’ai essayé ! 14 — Hein ? ! ? Quoi ? ! ? Toi ? !! , et au hochement positif de la tête d’Hélène, …Avec qui ??? — Curieuse ! objecte ainsi Hélène. — Ben écoute ! Vu ce que je t’ai dit et je suis encore avec ! Tu pourrais me le dire puisque tu n’es plus avec personne et donc c’est moins compromettant ! Et puis… tout de même !! — Jean-Louis… — Jean-Louis !!!!!! Ah bon !!? Il a eu des pannes ??? Pourtant… vous étiez super-amants, tu m’avais dit ? — Oui, mais au début, pas tout à fait. Il avait du mal à changer de personne. — Hein ? Quel changement ? Vous avez été échangistes ? ! Mon Dieu ! Quelle horreur !! — Mais ! Arrête ! Ce n’est pas ça du tout !!! — Ouf ! Tu me rassures ! Je commençais à me dire que l’on croit connaître son monde et qu’il y a toujours des surprises au coin de la rue ! — Bon, tu m’écoutes ? Yanne hoche un oui de la tête. — Il venait de divorcer et donc… les débuts avec moi, ça n’était pas ça… tant d’années avec sa femme, toujours la même femme, et bien, moi, la nouveauté, ça le perturbait. — Ah. Bon… Bon..., Yanne réfléchit... Et tu as alors utilisé cette Tisane ? — Oui — Et ça a marché ? — Oui — Marché comment ? — Ben, marché ! marché ! Très bien marché ! répond Hélène un petit pétillement dans les yeux et l’air mutin. — Et tu lui as présenté comment ? 15