Le Revenu Contractualisé d`Autonomie, une allocation sans véritable

Transcription

Le Revenu Contractualisé d`Autonomie, une allocation sans véritable
N°10 Juillet 2014
Nelly Guisse, Léopold Gilles
Le Revenu Contractualisé d’Autonomie, une allocation
sans véritable « effet de levier » sur l’insertion des jeunes
Les
jeunes
des
part d’inscrire la construction de leur projet
difficultés croissantes d’insertion sur le marché
professionnel dans la durée. Il repose sur une
du travail, en dépit des nombreux dispositifs qui
allocation mensuelle garantie pendant 2 ans, d’un
leur
(contrat
montant maximum de 250 euros la première
d’insertion dans la vie sociale), mis en place par
année, puis dégressif au cours des 12 mois
les
pour
suivants, couplée à un accompagnement mensuel
accompagner les jeunes en difficulté, n’a permis
et assorti d’une obligation pour les jeunes de
qu’à un jeune sur quatre d’accéder à un emploi
remplir une déclaration mensuelle de ressources.
durable (CDI ou CDD de plus de 6 mois) en
L’évaluation qualitative du dispositif menée par le
sont
peu
qualifiés
destinés.
missions
Ainsi
locales
connaissent
le
CIVIS
depuis
2005
1
2012 .
Le
CREDOC a permis d’expliquer l’absence de plus-
constat
peu
value du RCA par rapport au CIVIS sur l’insertion
mobilisateur et d’aides financières trop limitées et
professionnelle des jeunes, mise en lumière par
irrégulières dans le cadre du CIVIS a conduit le
l’évaluation quantitative conduite par le CREST
Ministère de la Jeunesse à expérimenter sur la
(voir graphique ci-dessous) : en effet, malgré
période 2011-2013 un nouveau dispositif auprès
une forte adhésion au dispositif par les jeunes et
de
les
2
500
d’un
jeunes,
accompagnement
dénommé
«
Revenu
acteurs,
le
caractère
automatique
de
Contractualisé d’Autonomie » (ou RCA). Le RCA
l’allocation n’a pas permis aux conseillers des
est destiné d’une part à lever les freins financiers
missions
à l’insertion professionnelle des jeunes (liés à la
construction et la mise en œuvre de projets
nécessité de se déplacer, de se vêtir, d’effectuer
d’insertion dans le cadre de l’accompagnement.
locales
de
faire
« levier»
sur
la
des démarches…), et à leur permettre d’autre
Le RCA n’augmente pas le taux d’emploi des jeunes par rapport au CIVIS
Taux d’emploi des jeunes,
entre 1 et 25 mois après leur entrée dans le programme
Lecture : en avril 2011 (mois 1), 29% des
jeunes du groupe RCA et 32% des jeunes
du groupe CIVIS ont travaillé au cours du
mois, quel que soit le type d’emploi. La
zone ombrée correspond à l’intervalle de
confiance (IC à 95%) si la courbe du
groupe CIVIS entre dans cette zone, la
différence entre les deux courbes peut
être considérée comme non significative,
au sens où l’on ne peut pas déterminer si
le faible écart entre groupes RCA et CIVIS
est dû au programme RCA ou au hasard.
Source : enquête quantitative de miparcours
auprès
des
jeunes
de
l’expérimentation
RCA.
CREST/JPAL/Ecole d’économie de Paris
1
Bonnevialle L., 2014, « Le CIVIS en 2011 et 2012. Moins de jeunes accompagnés, pendant moins longtemps, et moins de sortants dans
l’emploi durable », Dares Analyses n°027, avril.
En revanche, le RCA ne semble pas avoir d’effet
> Une forte adhésion de
principe au dispositif
significatif pour un certain nombre de jeunes, et
notamment :
Sur le principe, au lancement de l’expérimentation,
-
le RCA a été très bien accueilli au sein des Missions
locales,
par
bénéficiaires.
les
acteurs
Dans
un
comme
contexte
de
par
les
financiers
supplémentaires
-
pas à s’inscrire dans un projet d’insertion ;
-
à desserrer les contraintes financières, considérées
les
conseillers
comme
l’un
des
les jeunes « instables », qui connaissent un
parcours en dents de scie et ne parviennent
accompagner leur public. L’allocation est envisagée
par
parcours
déconnectés du dispositif ;
pour
comme un levier d’insertion, en ce qu’elle contribue
un
de la formation, mais dont les progrès sont
budgétaire, les équipes des Missions locales ont vu
moyens
connaissent
ascendant du point de vue de l’emploi et / ou
restriction
dans le dispositif une opportunité de disposer de
les jeunes « autonomes », qui, comme les
précédents,
les jeunes « désaffiliés », en rupture avec
les
premiers
institutions,
s’inscrire
obstacles à l’insertion des jeunes suivis en CIVIS.
dans
qui
ne
un
parcours
souhaitent
pas
d’insertion
professionnelle.
La mise en œuvre du dispositif, jugée globalement
simple compte tenu de l’inscription du RCA dans le
> Des effets sur le niveau de
vie de certains jeunes
cadre réglementaire du CIVIS et du nombre limité
de jeunes suivis par conseiller, n’a pas réellement
Les effets de l’allocation sur le niveau de vie des
affecté l’organisation des Missions locales.
bénéficiaires du RCA varient en fonction du degré
> Des effets hétérogènes du
RCA sur les trajectoires des
bénéficiaires
de contrainte financière qui pèse sur les jeunes. Le
RCA n’a en particulier pratiquement aucun effet
pour les jeunes les plus précaires:
-
L’approche qualitative a permis d’appréhender la
diversité
du
profil
du
public
bénéficiaire2,
en logement autonome et ayant parfois à
et
assumer des responsabilités familiales, ne
d’identifier 5 types de parcours, qui se distinguent
connaissent pas d’amélioration significative de
d’une part par les avancées en termes d’insertion
leur
professionnelle réalisées par les jeunes au cours
par
le
rôle
joué
par
le
RCA
sur
-
des jeunes « dynamisés » par le dispositif,
dispositif.
emploi
ailleurs,
les
jeunes
logés
et
aidés
de
vie
faiblement
l’allocation :
un
transfert
impacté
des
par
ressources
charge des dépenses auparavant assurées par
la mise en place d’un projet d’insertion ;
un projet défini en amont de l’entrée dans le
en
s’opère, le jeune prenant davantage à sa
pour lesquels le RCA favorise la définition puis
pour qui le dispositif a contribué à concrétiser
par
niveau
parcours.. Il s’agit en particulier:
des jeunes « sécurisés » dans leur insertion,
Souvent
financièrement par leurs parents voient leur
dispositif RCA semble avoir un effet positif sur leur
-
vie.
ressources ;
Pour les jeunes ayant un projet professionnel, le
-
de
faible pour accroitre significativement leurs
ces
trajectoires.
niveau
précaire, le montant de l’allocation est trop
des deux années d’expérimentation et, d’autre
part,
les jeunes les plus contraints financièrement,
un parent ;
-
au
final,
seuls
les
jeunes
ayant
des
contraintes financières relativement modérées
voient une amélioration significative de leur
niveau de vie : il s’agit souvent de jeunes
hébergés chez leurs parents, mais qui ne
disposent
propres.
2
Pour une description détaillée du profil du public bénéficiaire,
se reporter au rapport d’évaluation quantitative.
pas
de
ressources
financières
se limiter à l’accomplissement d’une formalité
> Peu d’effet sur l’insertion,
sauf en cas de projet
administrative
alors
Cependant, pour certains jeunes, on constate
qu’au-delà du petit « coup de pouce » financier
constitué par l’allocation pour la vie quotidienne ou
les démarches d’insertion, cette aide a pu avoir un
véritable effet sur les parcours. Cet effet protecteur
et sécurisant, qui permet aux jeunes de se dégager
de la contrainte d’un travail précaire sans rapport
avec
le
projet
d’insertion,
ou
d’ouvrir
les
possibilités d’orientations professionnelles (mobilité
vers
un
bassin
d’emploi
plus
dynamique,
financement de concours, création d’activité), est
d’autant plus fort que l’allocation se met réellement
au
service
de
la
construction
d’un
projet
préalablement défini ou en gestation.
qu’à
(la
déclaration
l’inverse,
certains
des
ressources),
bénéficiaires
ont
exprimé le regret de ne pas avoir été suffisamment
incités, voire contraints, à effectuer davantage de
démarches d’insertion.
Ces résultats doivent inviter à l’avenir à concevoir
et à évaluer des futurs dispositifs permettant de
renforcer le caractère incitatif d’une allocation
financière garantie sur les parcours d’insertion : la
« Garantie Jeunes », en cours d’expérimentation,
pourrait constituer une opportunité de soumettre
davantage le versement de l’aide financière (dont
le montant sera doublé par rapport au RCA) aux
efforts fournis par les jeunes pour atteindre les
objectifs
définis
dans
le
cadre
de
l’accompagnement. Cette conditionnalité pourrait
donner lieu à un changement de paradigme,
> Utiliser davantage
l’allocation comme un
« levier pédagogique »
consistant à ne pas uniquement sanctionner les
manquements au contrat, mais à récompenser
également les efforts fournis dans une logique de «
Le versement de l’allocation et l’obligation de
bonus / malus ».
déclaration mensuelle des revenus (DMR) qui y est
associée ont eu un réel impact sur le rythme de
l’accompagnement,
significative,
qui
comme
s’intensifie
l’a
de
montrée
façon
l’évaluation
quantitative. Ce suivi renforcé serait a priori plus à
même de sécuriser le parcours de jeunes, qui se
sont
globalement
sentis
rassurés
et
soutenus
Pour en savoir plus :
moralement.
Le CRÉDOC a mené une double enquête qualitative
Cependant, de nombreux conseillers ont regretté
auprès
que l’automaticité du versement du RCA les ai
(sélectionnés sur la base d’une typologie) ayant pris
privés du levier pédagogique dont ils peuvent user
part à l’expérimentation, et de jeunes bénéficiaires aux
dans le cadre du CIVIS, pour lequel l’octroi de
profils variés. Au total, environ 150 entretiens (70
l’allocation
auprès de jeunes et 80 acteurs) ont été menés en deux
successif
est
des
conditionné
étapes
qui
au
franchissement
balisent
le
projet
d’insertion. Ce constat soulève la question du
positionnement
de
la
notion
des
« droits
et
devoirs » (jugée pleinement légitime par les jeunes
comme par les acteurs des missions locales) et de
la nature des contreparties demandées aux jeunes
dans le cadre du contrat qui leur est proposé : pour
certains jeunes, la notion de « devoirs » a ainsi pu
des
acteurs
de
8
missions
locales
vagues, la première au démarrage du dispositif et la
seconde à l’issue de l’expérimentation.
Les résultats présentés ici sont extraits d’un rapport
du CRÉDOC intitulé Evaluation qualitative du Revenu
Contractualisé d’Autonomie (RCA), Collection des
Rapports du CRÉDOC n°309, juillet 2014 à paraître s ur
le site www.credoc.fr

Documents pareils