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LE TEMPS DE LA RÉCIDIVE
ET LE JUGE DE LA LOI
Cour européenne des droits de l’homme,
10 novembre 2004 (1re section)
et 29 mars 2006 (Gde Ch.),
arrêts Achour c. France
par
Emmanuel DREYER
Professeur à l’Université de Franche-Comté
1. Soit un individu qui est définitivement condamné à raison
d’une première infraction. Quelques années plus tard, il en commet
une seconde. Mais, entretemps, une loi nouvelle est entrée en
vigueur qui a modifié le régime de la récidive. Pour déterminer si
cette circonstance aggravante est applicable, faut-il prendre en
compte le droit en vigueur au moment de la première condamnation
ou au moment de la seconde infraction? Une affaire Achour
c. France a semé le doute au milieu de certitudes acquises par la
Cour de cassation depuis la fin du XIXe siècle. Encore une fois, la
Cour européenne des droits de l’homme a joué son rôle de troublefête en condamnant, tout d’abord, ce système ancestral avant de se
reprendre et d’y apporter son soutien (1).
2. En l’occurrence, M. Achour avait la fibre du petit commerce.
Découvert en possession de dix kilogrammes de haschich, il fut condamné, le 16 octobre 1984, par le tribunal correctionnel de Lyon à
une peine de trois années d’emprisonnement ferme après avoir été
déclaré coupable de trafic de drogue. Il termina de purger sa peine
le 12 juillet 1986. A ce moment, les articles 57 et 58 de l’ancien Code
pénal permettaient de relever l’état de récidive de «condamnés à un
emprisonnement de plus d’une année pour délit qui, [dans un délai
de cinq années après l’expiration de cette peine ou sa prescription],
seraient reconnus coupables du même délit ou d’un crime devant être
puni de l’emprisonnement». En application de ce texte, il aurait
donc fallu qu’une nouvelle infraction soit commise avant le
(1) Voy. également O. Bachelet, «Face à l’alternative ‘rétroactivité ou immédiateté’, la Cour européenne ne récidive pas», Rev. trim. dr. h., 2007, p. 233.
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12 juillet 1991 pour que l’état de récidive puisse être retenu contre
M. Achour. Or, il s’est tenu tranquille pendant ce délai.
Mais l’on sait que, le 1er mars 1994, soit près de trois ans après
l’expiration de ce délai, un nouveau Code pénal est entré en vigueur
qui a notamment élargi les règles applicables à cette circonstance
aggravante. Son article 132-9 permet désormais de relever l’état de
récidive d’une «personne physique, déjà condamnée définitivement
pour un crime ou pour un délit puni de dix ans d’emprisonnement
par la loi, [qui] commet, dans le délai de dix ans à compter de l’expiration ou de la prescription de la précédente peine, un délit puni de
la même peine». A l’égard des délits les plus graves, le nouveau Code
a donc doublé le délai au cours duquel l’état de récidive peut être
relevé.
M. Achour ne semble pas en avoir été averti! En effet, une perquisition effectuée à son domicile, le 7 décembre 1995, dans le cadre
d’une information judiciaire ouverte à nouveau pour trafic de drogue, permit de découvrir deux paquets de résine de cannabis pesant
chacun 28,8 kilogrammes, outre diverses sommes d’argent en numéraire pour un montant total de plus de 1,2 million de francs.
3. Par un second jugement du 14 avril 1997, le même tribunal
correctionnel de Lyon le déclara à nouveau coupable d’infraction à
la législation sur les stupéfiants et le condamna, cette fois, à huit
années d’emprisonnement, ainsi qu’à l’interdiction du territoire
français pour une durée de dix ans. En statuant de la sorte, les
magistrats, qui avaient relevé l’état de récidive, n’en tiraient pas
toutes les conséquences puisque l’infraction simple prévue à
l’article 222-37 du Code pénal est punie de 10 ans. Ils n’ont donc
pas profité de la circonstance aggravante pour élever la peine audessus de ce maximum. C’est la cour de Lyon qui, sur l’appel du
prévenu, va lui rappeler la rigueur du droit français en portant son
emprisonnement à 12 ans par un arrêt du 25 novembre 1997.
Il forma un pourvoi contre cette décision qui fut l’occasion pour
la Cour de cassation française de rappeler, par un arrêt du 29 février
2000, sa jurisprudence selon laquelle, «lorsqu’une loi institue un
nouveau régime de la récidive, il suffit, pour entraîner son application immédiate, que l’infraction constitutive du second terme, qu’il
dépend de l’agent de ne pas commettre, soit postérieure à son entrée
en vigueur» (2). Le seul moyen d’échapper à cette aggravation de
(2) Cass. crim., 29 février 2000, Bull. crim., n° 95; R.S.C., 2001/1, p. 167, obs.
J.-P. Delmas Saint-Hilaire.
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peine est de s’abstenir de toute nouvelle infraction… Au-delà du
sophisme, la formule rappelle que la loi modifiant le régime de la
récidive était antérieure à la nouvelle infraction reprochée au prévenu qui a donc bien pris le risque de se la voir appliquer. La solution s’imposait au regard des règles classiques de conflit de lois dans
le temps.
Du fond de la cellule où il purgeait sa peine d’emprisonnement,
M. Achour a néanmoins fait rédiger une requête devant la Cour
européenne des droits de l’homme où il dénonça une violation de
l’article 7 de la Convention, qui exprime le principe de légalité et en
déduit la non-rétroactivité de la loi pénale plus sévère.
4. La première Section de la Cour européenne a fait droit à la
demande de M. Achour (3). Elle a manifestement été impressionnée
par le fait que, au moment où il a commis la seconde infraction, il
ne semblait plus en état de récidive légale au regard du droit en
vigueur au moment de la première. Cette première Section estima
que l’allongement du délai au cours duquel l’état de récidive a pu
être relevé a fait revivre une situation éteinte. Jugeant que cela
constituait l’application rétroactive d’une loi pénale plus sévère, elle
a conclu à la violation de l’article 7 de la Convention : selon elle, le
requérant aurait dû, lors des secondes poursuites, être traité en
délinquant primaire et non en récidiviste. Cette solution aurait été
commandée par les principes généraux du droit (dont l’interprétation stricte du droit pénal) et par le principe de sécurité juridique.
La solution ne fut acquise qu’à une courte majorité de quatre
voix contre trois et le Gouvernement français a demandé le réexamen de l’affaire par la Grande Chambre de la Cour qui, elle, a statué en sens contraire par seize voix contre une (4). Pour aboutir à
cette conclusion différente, le nouvel arrêt fait une tout autre analyse de la récidive. Il refuse d’y voir une seule et même situation
juridique ouverte par le premier terme et qui aurait persisté
jusqu’au second. Sensible à l’argument selon lequel la récidive n’est
qu’une circonstance aggravante de la seconde infraction, la Grande
Chambre a estimé en effet que chacun de ses deux termes peut être
régi par une loi différente : en l’espèce, cette succession de lois n’a
entraîné aucune application rétroactive dès lors que le second terme
(3) Cour eur. dr. h., 1re section, 10 novembre 2004, Dall., 2005, p. 1203, note
D. Roets; Dall., 2006, p. 53, note D. Zerouki-Cottin; R.S.C., 2005/3, p. 659, obs.
F. Massias.
(4) Cour eur. dr. h., gde ch., 29 mars 2006, Dall., 2006, p. 2513, note D. ZeroukiCottin; R.S.C., 2006/3, p. 677, obs. F. Massias.
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de la récidive a bien été commis après l’entrée en vigueur de la
seconde loi. Au mieux, la Cour a-t-elle concédé qu’il avait pu y
avoir une application rétrospective de la seconde loi tirant les conséquences d’un premier terme accompli avant son entrée en
vigueur.
5. Une telle solution, qui conforte les règles françaises de conflit
de lois dans le temps en matière de récidive, a été critiquée.
Elle mérite pourtant l’approbation. En effet, aucun des moyens
développés par le requérant ne suffit à convaincre : d’abord, il ne
peut prétendre avoir été surpris par l’application d’une loi en
vigueur depuis plus d’un an au moment où il a commis la seconde
infraction; ensuite, il ne peut prétendre avoir eu un droit acquis à
ne plus être traité en récidiviste.
La position ainsi adoptée par la Grande Chambre est apparue
réconfortante à un moment où les règles internes de conflit de lois
dans le temps étaient, en France, particulièrement menacées : cet
arrêt est en effet contemporain de l’invitation lancée par le Garde
des sceaux aux parlementaires de ne pas saisir le Conseil constitutionnel afin de permettre l’application rétroactive du nouveau dispositif de «surveillance judiciaire» qui rendait pourtant le nouveau
texte plus sévère (5). Mais, à cet égard, l’on peut se demander ce
qu’il y a de plus surprenant dans une démocratie : que le ministre
ayant tenu un tel propos n’ait pas démissionné ou que le Conseil
constitutionnel, finalement saisi quelques jours plus tard, n’ait pas
censuré la loi au prétexte que cette nouvelle sanction rendue applicable à des faits commis avant son entrée en vigueur avait été qualifiée «mesures de sûreté» plutôt que «peine» (6)? Le Conseil constitutionnel semble avoir oublié qu’il avait lui-même admis l’existence
d’une «matière pénale» où s’applique notamment le principe de nonrétroactivité des lois édictant une sanction nouvelle, quelle que soit
sa nature et la qualification qui lui est formellement donnée (7).
(5) Voy. sur cet épisode : F. Massias, «Observations sur l’arrêt Achour rendu par
la Grande Chambre», R.S.C., 2006/3, p. 677; B. Mathieu, «Le respect de la
Constitution : risque ou exigence?», Dall., 2005, p. 2401.
(6) Décision n° 2005-527 DC, 8 décembre 2005, Loi relative au traitement de la récidive des infractions pénales, Dall., 2006, p. 966, note F. Rouvillois.
(7) Sur cette décision, Voy. notre Droit pénal général, Flammarion-Champs Université, 2006, p. 323.
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Ceux qui ne voient là qu’un organe politique ont maintenant la
preuve de ce qu’ils avancent (8)…
Mais entrer dans le détail de cette analyse nous amènerait trop
loin de notre sujet. Constatons que la loi du 12 décembre 2005
modifie en plusieurs points le régime de la récidive sans contenir de
disposition transitoire (9) : si, après l’entrée en vigueur de cette loi,
une nouvelle infraction est commise, le juge pourra-t-il constater
l’état de récidive en relevant l’existence d’une condamnation définitive déjà prononcée contre le prévenu pour une infraction qui
n’était pas assimilée à la nouvelle au moment où elle a été commise
(articles 132-16-3 et 132-16-4)? Si, après l’entré en vigueur de cette
loi, une nouvelle infraction est commise, le juge pourra-t-il constater l’état de récidive en relevant l’existence d’une condamnation
définitive déjà prononcée contre le prévenu par les juridictions d’un
autre Etat de l’Union (article 132-16-6)? Si, après l’entrée en
vigueur de cette loi, une nouvelle infraction est commise, le juge
pourra-t-il constater d’office l’état de récidive à raison d’une
décision de condamnation définitive antérieurement prononcée
(article 132-16-5)?
Voici de belles questions auxquelles il n’a pas encore été répondu.
Ce qui ne peut qu’accroître l’actualité de nos développements. C’est
à l’aune du second arrêt Achour qu’il faudra tenter de résoudre ces
difficultés. Cet arrêt approuve l’application de la loi nouvelle dès
lors que le second terme de la récidive a été commis après son
entrée en vigueur. Il ne voit là aucune rétroactivité. Il refuse, par
ailleurs, d’admettre que la rigueur de ce principe puisse être atténuée à raison de la douceur de la loi antérieure sur la récidive. Il
n’accorde au prévenu aucun droit acquis en application de ce
régime. On envisagera donc, en premier lieu, l’application immé-
(8) Voy. parmi d’autres : J. Héron, Principes du droit transitoire, Dalloz, Paris,
1996, p. 118, au sujet de la décision n° 84-181 DC, des 10 et 11 octobre 1984 : «à une
loi détestable, il a opposé une décision purement politique. A vrai dire, comment seraiton surpris qu’une décision de cette nature ait pu être rendue par une institution dont
les habits juridictionnels dissimulent si mal la composition et les ressorts fondamentalement politiques?».
(9) Les dispositions transitoires contenues dans son titre V sont étrangères à la
récidive. Elles concernent essentiellement les nouvelles modalités d’exécution de certaines peines qu’elles déclarent d’application immédiate de façon assez contestable
(est ignorée la limite mise à ce principe par l’article 112-2, 3° du code pénal :
«toutefois, ces lois, lorsqu’elles auraient pour résultat de rendre plus sévères les peines
prononcées par la décision de condamnation, ne sont applicables qu’aux condamnations
prononcées pour des faits commis postérieurement à leur entrée en vigueur»).
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diate de la loi nouvelle et, en second lieu, l’absence d’échappatoire
possible en application du régime ancien plus favorable.
I. – Le principe d’application immédiate
de la loi nouvelle
6. En l’espèce, il y aurait eu application rétroactive du nouveau
Code pénal si son article 132-9 avait été appliqué à M. Achour à raison d’une seconde infraction commise avant le 1er mars 1994 et non
encore jugée à cette date (10). Dans une telle hypothèse, en effet,
relever l’état de récidive aurait porté atteinte au principe de nonrétroactivité de la loi pénale plus sévère. Mais le problème ne se
posait pas comme cela ici. La seconde infraction reprochée à
M. Achour était postérieure à l’entrée en vigueur du nouveau Code :
elle fut constatée le 7 décembre 1995. C’est donc le droit en vigueur
à cet instant qui lui a été appliqué. La Cour européenne a eu raison
d’estimer que le nouveau Code, entré en vigueur le 1er mars 1994,
n’a pas été appliqué de façon rétroactive. Toutefois, cette application immédiate de la loi nouvelle ne signifiait pas que le passé
devait être ignoré. Par définition, en matière de récidive, le juge
tire, à l’égard de la seconde infraction, les conséquences tenant à
l’existence d’une première condamnation. Avec bonheur, la Cour
européenne a évoqué là une application «rétrospective» de la loi nouvelle.
Vérifions, d’une part, cette absence de rétroactivité de la loi nouvelle et, d’autre part, la dimension rétrospective de son application
immédiate.
A. – L’absence de rétroactivité
7. «Lorsqu’une loi institue un nouveau régime de la récidive, il
suffit, pour entraîner son application immédiate, que l’infraction
constitutive du second terme, qu’il dépend de l’agent de ne pas
commettre, soit postérieure à son entrée en vigueur». Ce motif, rappelé par la Chambre criminelle en rejetant le pourvoi de M. Achour,
repose sur le constat que, en commettant une seconde infraction,
l’agent a pris le risque d’une répression aggravée. Notre Haute juridiction a donc estimé que le principe de légalité, et les exigences qui
en découlent, n’étaient pas en cause car, lorsqu’il a failli une
(10) Comp. Cass. crim., 2 juin 1981, Bull. crim., n° 184.
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deuxième fois, l’agent était informé des nouvelles conséquences de
son acte. Un tel raisonnement est néanmoins contesté et l’arrêt de
la première Section s’est fait l’écho de ces critiques. Evoquons la
remise en cause de ce principe puis sa confirmation par la Grande
Chambre.
1. La remise en cause du principe
8. La jurisprudence querellée est ancienne. Elle a néanmoins fait
l’objet de critiques. Avant toute requête déposée devant la Cour
européenne, Delmas-Saint Hilaire avait contesté la position prise
par la Cour de cassation en remettant en cause la complexité des
règles françaises de conflit de lois dans le temps. Il avait plaidé pour
une simplification de ces règles en distinguant uniquement entre les
lois plus sévères et les lois plus douces quel que soit leur objet. Dans
notre affaire, cela aurait conduit à une solution toute différente :
«admettre, en l’espèce, l’état de récidive ne pouvait se faire qu’en
appliquant à la situation pendante les dispositions nouvelles du
Code pénal, des dispositions plus sévères que les anciennes
puisqu’elles doublaient le délai de récidive» (11). Mais il s’agissait là
d’une remarque prospective, peu utile en raison de l’état du droit.
Aussi, l’éminent auteur ajoutait-il que, en toute hypothèse, «est
grande l’ambiguïté de la formule utilisée par la Chambre criminelle
pour justifier, en l’espèce, l’admission de l’état de récidive : il y est
question ‘d’application immédiate’ des nouvelles règles de récidive.
Or l’article 112-2 du Code pénal limite à quatre types de lois la possibilité d’une application immédiate de la loi nouvelle et il apparaît
que la loi modifiant la définition de la récidive n’entre dans aucune
de ces quatre catégories» (12). Cet argument apparaissait plus
sérieux tant il est vrai que l’application immédiate d’une loi nouvelle à une situation en cours est le propre des lois pénales de forme.
Mais l’on ne peut suspecter la Cour de cassation d’avoir voulu faire
référence ici aux règles régissant l’application dans le temps de ces
lois qui aboutissent d’ailleurs à des solutions variées. Elle ne raisonne nullement en termes de situation juridique en cours; elle ne
prend en compte que la loi applicable au second terme de la récidive
et souligne que ce texte doit être appliqué aux infractions qui lui
sont postérieures.
(11) J.-P. Delmas Saint-Hilaire, obs. sous Cass. crim., 29 février 2000, R.S.C.,
2001/1, p. 167.
(12) Ibidem.
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D’une façon plus générale, l’hostilité envers cette jurisprudence de la
Cour de cassation tient aux fonctions incertaines jouées par la circonstance aggravante de récidive. Ce point a toujours été confus (13). S’agitil de sanctionner plus sévèrement un état dangereux, auquel cas il faudrait admettre une application immédiate de la loi nouvelle, ou s’agit-il
de dissuader la commission d’une nouvelle infraction auquel cas l’effet
dissuasif de la condamnation devrait plutôt s’apprécier par rapport à la
loi ancienne en vigueur au moment où elle a été prononcée (14)?
9. La justification utilitariste de l’avertissement officiel donné au
délinquant une première fois condamné conduit à envisager la récidive à compter de son premier terme (15). Dans cette perspective, le
second terme ne présente qu’une importance secondaire : la seconde
infraction est sanctionnée plus sévèrement parce qu’elle est justement
«seconde»; on se contente de tirer là une conséquence d’un état antérieur (16). Le délai au cours duquel l’état de récidive peut être relevé
constituerait ainsi un véritable «délai d’épreuve» (17), ce qu’admet-
(13) «La récidive est le cheval de bataille des partisans d’une sanction encore plus
rigoureuse alors que d’autres en tirent argument prouvant l’échec du traitement
pénitentiaire. Incorrigible pour les premiers – et donc particulièrement dangereux
pour la société-, le récidiviste n’est pour les seconds que la victime d’un système carcéral incapable d’assurer une véritable resocialisation» (D. Thomas, «Quelques
réflexions de politique criminelle à propos de certains aspects de la loi du 12 décembre 2005 relative au traitement de la récidive des infractions pénales», in Mél. Bouloc, Dalloz, Paris, 2006, p. 1119).
(14) Comp. M. Herzog-Evans, «Récidive : surveiller et punir plus plutôt que prévenir et guérir», AJ Pénal, 2005/9, pp. 305 et s.; P. Clément, «Mieux prévenir la
récidive», AJ Pénal, 2005/10, pp. 345 et s.
(15) Tout en soulignant la «pauvreté» de cette explication, MM. Merle et Vitu
observent : «elle fait partie d’une certaine conception ‘contractuelle’ du droit pénal
français, qui est un vestige de la théorie du contrat social. Le législateur français respectueux de la liberté de tous, même des délinquants, ne punit qu’après avoir donné
au futur coupable des avertissements minutieux et solennels : nécessité d’une loi
préalable pour incriminer les faits, et nécessité d’une condamnation définitive pour
sanctionner la récidive» (Traité de droit criminel, Droit pénal général, t. 1, Ed. Cujas,
7e éd. 1997, p. 987, n° 825).
(16) Ce que semble confirmer le fait qu’une première infraction peu grave entraîne
rarement un état de récidive : la récidive des articles 132-10 (en matière correctionnelle) et 132-11 (en matière de police) étant spéciale, elle n’est pas déclenchée par la
consommation ultérieure d’un crime ou d’un délit plus grave : contre toute attente,
le délinquant dont la dangerosité s’accroît est donc considéré comme un délinquant
primaire! Dans ces deux hypothèses, la nature de la première infraction influe directement sur le régime de la récidive.
(17) L’expression apparaît dans les travaux préparatoires du nouveau Code encore
cités, au titre du droit interne pertinent, par la Cour européenne (§25) dans son arrêt
Achour II et qui avait été formellement relevée à l’appui de la solution dégagée dans
le premier arrêt (§44).
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tent certains auteurs (18). A l’appui de ce raisonnement, on peut
d’ailleurs relever que la dangerosité du récidiviste est analysée de
manière objective : cette circonstance aggravante «occupe une place à
part, en ce que la matérialité d’une des hypothèses de récidive légale
suffit à l’aggravation, sans qu’on s’inquiète de trouver, chez l’agent,
intention ou seulement conscience de récidiver» (19). Elle est déduite
de la seule méconnaissance de l’avertissement officiel résultant de son
premier terme. On peut également ajouter que, si la seconde infraction fait courir le délai, elle n’en constitue pas le point de départ :
paradoxalement, c’est le premier terme que l’on retient, c’est-à-dire le
moment où la sanction prononcée pour la première infraction a été
exécutée ou prescrite lorsque la récidive est temporaire (20).
La première Section de la Cour européenne est même allée encore
plus loin, non sans contradiction. Elle a fini par conclure à l’inutilité de
discuter du point de savoir qui du premier ou du second terme doit
l’emporter dans le régime de la récidive. Elle a prétendu qu’il y aurait
là une situation juridique qui doit être envisagée de façon unitaire,
comme semble d’ailleurs l’évoquer une terminologie ambiguë s’agissant
d’un prétendu «état» de récidive (21). Cette situation juridique naîtrait
avec la première condamnation et s’étendrait jusqu’à la seconde (22)…
10. Mais, ce raisonnement pêche par excès. Si le premier terme
avait été à l’origine d’une «situation juridique», il aurait fallu tirer
une conclusion inverse quant à la loi qui lui est applicable dans le
temps : que l’on envisage les infractions continues (23), le concours
(18) Voy. F. Desportes et F. Le Gunehec, Droit pénal général, Economica,
11e éd., 2004, p. 849, n° 923.
(19) Cl. Lombois, Droit pénal général, Hachette, 1994, p. 128.
(20) Point de départ retardé qui présente l’avantage de retarder également le
moment où l’état de récidive prend fin mais qui présente aussi l’inconvénient
d’empêcher l’application immédiate de cette circonstance aggravante : si une seconde
infraction est commise alors que le jugement définitif condamnant son auteur au
paiement d’une amende n’a pas encore été exécuté (et que cette peine n’est pas prescrite), l’état de récidive ne peut être relevé.
(21) Expression en usage dans la doctrine française : Voy. p. ex. J.-H. Robert,
Droit pénal général, Puf-Thémis, 2005, 6ème éd., p. 169; Ph. Conte et P. Maistre du
Chambon, Droit pénal général, A. Colin, 7e éd. 2004, p. 292, n° 508.
(22) Voy. §36, affirmant que les deux termes «forment un ensemble indivisible»,
et §39 : «il serait vain d’opposer les deux termes de la récidive, notamment dans le
cadre d’un débat sur les finalités du système de la récidive, en vue de n’en retenir
qu’un ou de minimiser la portée de l’un au profit de l’autre. Les dispositions pénales
pertinentes du droit français sont exemptes d’ambiguïté : la récidive est constituée
de deux termes indissociables, qui doivent être examinés cumulativement».
(23) Voy. par exemple : Cass. crim., 17 janvier 2006, Bull. crim., n° 21; Dall., 2006,
p. 1437, note Ch. Courtin; Dr. pén., mars 2006, p. 20, n° 41, obs. J.-H. Robert.
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réel d’infractions (24) ou les simples états dangereux (25), c’est en
effet toujours à l’issue de l’activité délictueuse qu’il faut se placer
pour déterminer la loi applicable : «concevrait-on que, pour décider
du traitement applicable à un malade, le médecin fasse abstraction de
l’état actuel de son client et des moyens que la thérapeutique lui offre
maintenant, pour ne retenir que les aspects anciens de la maladie et
les médicaments en usage à ce moment là?» (26). Présentée parfois
comme une création des positivistes, la récidive devrait être soumise
à la même solution quand se pose un conflit de lois dans le temps (27).
Réversible, l’argument tiré de la «situation juridique» suffirait
donc à justifier la solution contraire. Mais le «flou», qui entoure précisément cet «état» de récidive, a conduit à réaffirmer la solution
ancienne d’une autre façon (28).
2. La consolidation du principe
11. Plusieurs arguments empêchent de raisonner à partir du premier terme de la récidive et d’affirmer qu’il soumet toute la
«situation juridique» qui en découle à la loi en vigueur à ce moment.
12. En premier lieu, la récidive n’a, en principe, pour effet
que d’aggraver les peines principales. Les peines complémentaires ne sont pas concernées (29), ni les peines de substitu(24) Cass. crim., 22 mars 2000, Bull. crim., n° 134; R.S.C. 2000/4, p. 814, obs.
B. Bouloc. La loi du 16 décembre 1992 n’a expressément prévu le maintien de la loi
ancienne que pour les infractions en concours réel qui ont toutes été commises avant
l’entrée en vigueur du nouveau Code pénal (Voy. sur son article 371 : Cass. crim., 17
mai 2000, Bull. crim., n° 198; R.S.C. 2000/4, p. 814, obs. B. Bouloc).
(25) Cass. crim., 11 juin 1954, J.C.P., 1954, II, 7708, note Brouchot.
(26) R. Merle et A. Vitu, Traité préc., p. 340, n° 251. Ces auteurs semblent
d’ailleurs bien faire l’analogie avec la récidive : ils soulignent qu’en la matière la loi
nouvelle «vise un état dangereux, concrétisé par la dernière infraction, qui précisément prend place sous l’empire de la loi actuellement en vigueur» (p. 358, n° 267).
(27) Voy. l’analogie faite, à cet égard, par : H. Donnedieu de Vabres, Traité élémentaire de droit criminel et de législation pénale comparée, Libr. Sirey, Paris, 1938,
p. 913, n° 1572.
(28) En l’occurrence, l’objection avait été perçue par la première Section qui a
tenté d’opposer «application immédiate de la loi nouvelle» à un délai non encore échu
et «application rétroactive» à un délai expiré que l’on veut faire revivre (Achour I,
§42). Mais, c’est là qu’apparaît la faiblesse de son raisonnement : la «situation» du
récidiviste ne peut être divisée en plusieurs temps : elle commence avec le premier
terme et s’achève avec le second. A défaut, l’on fait ce que la première Section voulait précisément éviter, c’est-à-dire une application distributive des deux lois, au
mépris de l’unité préalablement affirmée. Il y a là une contradiction.
(29) Sauf dispositions spéciales en sens contraire, voy. par exemple : C. route, articles L. 234-12 et L. 234-13.
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Emmanuel Dreyer
743
tion (30), ce qui serait difficile à expliquer si la sanction de la
seconde infraction devait constituer le traitement d’un état
dangereux apparu avec la première condamnation. Au contraire, la confirmation de cet état justifierait, de plus bel, que
l’on recourt à des mesures de prévention, pour l’avenir, préservant à la fois l’individu et la société. Or, cette circonstance
aggravante ne concerne que la répression au sens le plus classique du terme (31).
En second lieu, s’il fallait déduire d’une condamnation définitive
l’obligation pour le condamné de ne pas commettre de nouvelle
infraction dans un certain délai, on ne comprendrait plus très bien
quelle peut être la fonction du sursis (32). A fortiori, lorsque la récidive est perpétuelle, cette obligation n’aurait plus grand sens. Elle
constituerait sans doute une contrainte excessive. De même, lorsque
la récidive est générale, elle conduirait à imposer au condamné une
conduite irréprochable en le mettant en garde même à l’encontre
d’agissements sans aucun rapport sur le plan criminologique avec
celui qui vient d’être sanctionné, ce qui n’est guère défendable (33).
De tels effets, en l’absence d’avertissement spécifique, n’ont jamais
été attachés à aucun jugement (34).
L’on accorde sans doute trop d’importance au premier terme de
la récidive en raisonnant ainsi : ce n’est pas lui qui fait l’état de
récidive mais le second (35). On a écrit également que «c’est la
(30) Voy., s’agissant d’une interdiction du territoire : Cass. crim., 18 janvier 2006,
Dr. pén., avril 2006, p. 22, n° 56, obs. J.-H. Robert.
(31) Voy. cependant : P. Bouzat et J. Pinatel, Traité de droit pénal et de criminologie, t. 2, Dalloz, Paris, 1970, p. 1602, n° 1674.
(32) La Grande Chambre a bien marqué la différence existant entre les deux institutions en relevant que la situation de M. Achour : «aurait, certes, été différente s’il
avait été condamné à une peine assortie du sursis car dans ce cas, selon le système
juridique de l’Etat défendeur, son absence de condamnation dans le délai légal en
vigueur au moment de sa condamnation aurait privé celle-ci d’effet pour l’avenir.
Mais rien de tel n’existe pour une condamnation sans sursis sujette au régime de
récidive» (Achour II, §51).
(33) Voy. cependant : F. Desportes et F. Le Gunehec, Droit pénal général, préc.,
p. 849, n° 923.
(34) C’est pourtant ainsi qu’avait raisonné la première Section de la Cour en
jugeant qu’«il ne saurait donc être valablement soutenu que la première condamnation du requérant n’avait pas cessé de produire des effets après le 12 juillet 1991»
(§44). Elle a prêté un rôle au premier terme de la récidive qui ne lui est pas attribué :
ce n’est pas lui qui est révélateur de cet «état».
(35) Un auteur a vu dans ce raisonnement une référence aux thèses défendues par
les positivistes italiens de la première école de Défense sociale (D. Zerouki-Cottin,
→
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744
Rev. trim. dr. h. (71/2007)
seconde infraction qui crée la récidive» (36). Et la Grande Chambre
rappellera, fort opportunément, que la récidive est une circonstance
aggravante de la seconde infraction (§46). On ne peut donc traiter
les délinquants primaires comme des récidivistes «potentiels» au seul
motif qu’ils sont susceptibles de commettre une nouvelle infraction
«rattachable» à la première condamnation par l’effet d’un délai nonencore expiré (37). Précisément, cette fonction de délai d’épreuve
est remplie par le sursis.
13. De surcroît, même si le premier terme de la récidive est un
signe de la dangerosité du délinquant, il ne permet pas à lui seul de
la mesurer correctement. Le régime de la récidive varie essentiellement d’après son second terme. Il ne faut donc pas exagérer
l’importance du premier terme, surtout depuis l’entrée en vigueur
du nouveau Code.
Sous l’empire de l’ancien, on prenait en compte la peine prononcée alors que désormais on prend en compte la peine encourue pour
la première infraction sanctionnée, ce qui distend le lien avec la
situation actuelle de l’agent : il n’y a plus là qu’un élément de référence abstrait à une dangerosité théorique. De surcroît, l’enseignement que le juge en tire est aussitôt modéré par la prise en compte
de la gravité réelle de la seconde infraction. Ainsi, lorsque l’infraction ayant donné lieu à la première condamnation était punie d’une
peine au moins égale ou supérieure à dix ans d’emprisonnement, le
régime de la récidive – générale – varie en fonction de la nature de
la peine encourue pour la seconde infraction : elle est perpétuelle
lorsque cette peine est de nature criminelle (article 132-8); elle peut
être relevée pendant dix ans lorsque cette seconde peine est un
emprisonnement de dix ans (article 132-9, al. 1); elle peut être relevée pendant cinq ans lorsque cette seconde peine était un emprisonnement supérieur à un an et inférieur à dix ans (article 132-9, al. 2).
←
note sous le second arrêt : Dall., 2006, p. 2514). Ce qui méconnaît la pensée de ces
auteurs : eux ne se seraient pas inquiétés de savoir si le second terme a été commis
avant ou après l’entré en vigueur de la loi nouvelle pour l’appliquer : ils auraient
estimé qu’il y a, en toute hypothèse, urgence à le faire pour protéger la société. Le
raisonnement de la Cour européenne est étranger à cette préoccupation.
(36) Ph. Conte et P. Maistre du Chambon, Droit pénal général, préc., p. 292,
n° 511.
(37) Faux raisonnement tenu par exemple par D. Zerouki-Cottin lorsqu’elle conteste l’analyse du second arrêt de la Cour (Dall., 2006, p. 2514) en relevant «que,
techniquement, M. Achour avait perdu la qualité de récidiviste entre le 13 juillet
1991 et le 28 février 1994» : en l’absence de nouvelle infraction au cours de cette
période, M. Achour ne pouvait être considéré comme «récidiviste»!
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745
La modulation du délai de récidive dépend donc moins de la gravité
du premier terme que du second. L’importance de celui-ci est encore
plus nette lorsque le premier terme correspond à une peine correctionnelle inférieure à dix ans d’emprisonnement (article 132-10) : la
récidive devient alors spéciale et temporaire (délai de cinq ans). La
dangerosité attestée par le premier terme étant moins évidente, il
faut en effet que le second terme exprime, par son identité et sa
proximité temporelle, l’encrage dans une délinquance particulière.
C’est donc bien la seconde infraction qui permet de mesurer la dangerosité du délinquant récidiviste et non la première.
Un arrêt confirme, s’il en était encore besoin, la faible signification de ce premier terme En l’occurrence, un individu avait été condamné une première fois, sous l’empire de l’ancien code, pour conduite sous l’empire d’un état alcoolique. Aucune peine
d’emprisonnement n’étant prévue pour cette infraction, à cette époque, elle n’aurait pu constituer le premier terme d’une récidive. Or,
le même individu commit à nouveau une infraction identique quelques mois après l’entrée en vigueur du nouveau Code et fut poursuivi à raison de cette infraction aggravée par son état de récidive.
Mais la cour d’appel refusa de retenir cette circonstance aggravante
au motif «que cette dernière condamnation, ne comportant pas de
peine d’emprisonnement, ne peut, selon l’article 58, al. 2, du Code
pénal en vigueur au moment de son prononcé, constituer le premier
terme de la récidive, les dispositions de l’article 132-10 du Code
pénal prévoyant que le premier terme de la récidive peut être constitué par toute condamnation définitive pour un délit étant plus
sévères et donc inapplicables en l’espèce». Pour casser cette décision, la Chambre criminelle commença par rappeler «que, lorsqu’une
loi institue un nouveau régime de la récidive, il suffit pour entraîner
son application immédiate que l’infraction constitutive du second
terme soit postérieure à son entrée en vigueur». Puis, ayant reproduit les motifs de l’arrêt attaqué, elle conclut : «qu’en se déterminant ainsi alors qu’il n’importe que la condamnation retenue par les
poursuites comme premier terme de la récidive n’ait pu le constituer
avant l’entrée en vigueur de la loi nouvelle, l’aggravation de peine
résultant de la récidive étant la conséquence de la seconde infraction qu’il dépend de l’agent de ne pas commettre, la cour d’appel a
méconnu le principe susénoncé» (38). Autrement dit, les conditions
de la récidive sont appréciées exclusivement au moment de la
(38) Cass. crim., 27 mars 1996, Bull. crim., n° 140; R.S.C., 1997/2, p. 375, obs.
B. Bouloc.
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746
Rev. trim. dr. h. (71/2007)
seconde infraction. Il est donc logique que ce soit la loi en vigueur
à ce moment là qui la régisse (39). Pour autant, cette application de
la loi nouvelle à un fait postérieur à son entrée en vigueur n’exclut
pas toute prise en compte des faits passés dès lors qu’elle n’en modifie pas le régime : c’est là toute la différence entre rétroactivité et
rétrospectivité.
B. – La dimension rétrospective
14. En l’espèce, la seconde infraction poursuivie a bien été commise après l’entrée en vigueur du nouveau Code et relevait logiquement de son application. Néanmoins, elle ne pouvait encourir une
sanction aggravée sans que le juge prenne en compte un élément
antérieur, à savoir : la condamnation précédemment prononcée. La
loi nouvelle n’a pas produit d’effet dans le passé car elle n’a pas
modifié cette condamnation coulée en force de chose jugée irrévocable. Mais son application a tout de même conduit le juge à prendre en compte cet élément antérieur pour estimer que l’infraction
nouvelle s’avérait plus grave à l’égard de M. Achour qu’à l’égard
d’un délinquant primaire. Parler d’application «rétrospective»,
comme l’a fait la Grande Chambre de la Cour européenne, apparaît
ainsi judicieux.
La Grande Chambre est partie du constat qu’il «ne saurait y
avoir aucun problème de rétroactivité s’agissant d’une simple succession de lois qui n’ont vocation à s’appliquer qu’à compter de leur
entrée en vigueur» (§58). Certes, l’application de la seconde loi était
déterminée par une condamnation prononcée en application d’une
loi antérieure mais «la prise en compte rétrospective de la situation
pénale antérieure du requérant par les juges du fond […] n’est pas
contraire aux dispositions de l’article 7, les faits poursuivis et sanctionnés étant quant à eux effectivement apparus après l’entrée en
vigueur de l’article 132-9 du nouveau code pénal. En tout état de
cause, une telle démarche rétrospective se distingue de la notion de
rétroactivité stricto sensu» (§59). En effet, l’application rétrospective ne consiste pas à modifier l’analyse juridique de faits
antérieurs; elle consiste à modifier, pour l’avenir, les conséquences
qu’il était possible de tirer de ces faits.
On observera, en passant, que la Cour européenne semble réutiliser là un concept apparu, il y a peu, dans la doctrine française afin
(39) Voy. encore : C. de Jacobet de Nombel, Théorie générale des circonstances
aggravantes, Dalloz-NBT, Paris, 2006, p. 284, n° 403.
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Emmanuel Dreyer
747
d’affiner la notion de «loi d’application immédiate» mise en valeur
par Roubier. C’est au doyen Héron que l’on doit cette précision.
Mais la référence à ce dernier auteur n’est pas nécessairement pertinente dès lors qu’il utilise, lui, l’adjectif «rétrospectif» uniquement
pour désigner l’application de la loi nouvelle aux effets futurs d’un
acte ou d’un fait passé (40). Pour lui, lorsqu’une succession de faits
est intervenue «à cheval» sur une loi ancienne et une loi nouvelle,
la loi nouvelle ne s’applique pas «rétrospectivement» mais de façon
immédiate dès lors qu’elle s’applique naturellement au dernier fait,
qui lui est postérieur, et qui cristallise cette situation juridique. Plus
sûrement, il faut rechercher l’origine de ce concept d’application
«rétrospective» dans la doctrine et la jurisprudence constitutionnelle
allemandes (41). Mais peu importe dès lors que la notion a surtout
une valeur d’image en l’espèce : l’effet rétrospectif est lié à l’application immédiate de la loi nouvelle et c’est essentiellement elle qui
fonde la solution.
15. L’explication ne convaincra sans doute pas tout le monde,
particulièrement ceux qui lui reprocheront son excessive sévérité (42). Laquelle est certaine. Le nouveau Code a considérablement
renforcé la répression en matière de récidive : la gravité du premier
terme est désormais envisagée par rapport aux peines encourues et
non plus par rapport aux peines prononcées; les délais ont été allongés et le nombre d’infractions susceptibles d’être assimilées les unes
aux autres au regard de la récidive augmenté; enfin, on aggrave
désormais aussi bien les peines d’amende que les peines privatives
de liberté.
Mais, à ceux qui s’inquiéteraient d’une telle évolution – non sans
paradoxe sur le plan politique – il est tout même facile de répondre
que la volonté de favoriser une application immédiate de ce nouveau dispositif – sans attendre que les deux termes de la récidive
aient été commis postérieurement à l’entrée en vigueur de cette
réforme – n’a guère d’impact pratique car «cette augmentation n’est
(40) J. Héron, Principes du droit transitoire, préc., p. 96 : «C’est la durée présente
dans l’effet juridique qui permet au législateur de retenir une solution ne reposant
pas sur la prise en compte d’un élément du présupposé. Pour désigner cette solution,
on peut parler de rétrospectivité».
(41) Voy. évoquant les travaux de G. Grasmann : J. Héron, Principes de droit
transitoire, préc., p. 97.
(42) Voy. D. Zerouki-Cottin, note au Dall., 2006, p. 2515 : «Le vocabulaire flottant de la Cour – qu’est-ce qu’une ‘démarche rétrospective’? – masque mal la réalité :
c’est bien de rétroactivité dont il s’agit».
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748
Rev. trim. dr. h. (71/2007)
pas obligatoire pour le juge et elle est peu appliquée dans la pratique judiciaire» (43).
16. De surcroît, et en toute hypothèse, est-ce vraiment cela qui
posait problème en l’espèce? En effet, personne n’a remis en cause
le fait que le nouveau Code était applicable. La première Section de
la Cour européenne a reconnu que «l’application de la loi nouvelle
à l’infraction qui constitue le ‘second terme’ n’est pas contestée en
soi» (§38). Ce qui était contesté, par M. Achour, c’était la résurrection d’un état de récidive qu’il estimait disparu. En prétendant
avoir un droit à l’oubli, il réclamait une exception à la règle qui
vient d’être exposée. En écartant cette prétention, la Grande Chambre de cette Cour a mis en valeur ce qui est l’essence de la récidive.
II. – L’absence de survie
de la loi ancienne plus favorable
17. M. Achour avait réussi à convaincre la première Section que
l’écoulement du temps lui conférait le droit de commettre une nouvelle infraction avec le statut de délinquant primaire. Du fait de
l’exécution de la condamnation, il avait payé sa dette à la société
et ne devait plus être inquiété à ce titre : «la Cour estime que
lorsqu’une personne est, comme en l’espèce, condamnée en état de
récidive par application d’une loi nouvelle, le principe de sécurité
juridique commande que le délai de récidive légal, apprécié conformément aux principes du droit, notamment d’interprétation stricte
du droit pénal, ne soit pas déjà échu en vertu de la précédente loi.
La garantie que consacre l’article 7, élément essentiel de la prééminence du droit, occupe d’ailleurs une place primordiale dans le système de protection de la Convention, comme l’atteste le fait que
l’article 15 n’y autorise aucune dérogation en temps de guerre ou
autre danger public» (Achour I, §50). Fort de son premier succès,
M. Achour renchérit devant la Grande Chambre en prétendant disposer d’un véritable «droit à l’oubli» du fait de la disparition de son
état de récidive tel qu’aurait permis de l’apprécier la loi en vigueur
au moment de la première infraction. Cette argumentation était
néanmoins vouée à l’échec pour qui admet que la récidive s’apprécie
au moment du second terme et non du premier : l’argument tiré
d’une extinction de l’état de récidive est inopérant dès lors que cet
état de récidive ne peut exister dès la constitution du premier terme
(43) J.-H. Robert, Droit pénal général, préc., p. 401.
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Emmanuel Dreyer
749
car il suppose la réalisation du second (44). En l’espèce, il ne pouvait donc y avoir de droit à l’oubli fondé sur une prétendue garantie
de sécurité juridique. Ou, plus exactement, ce droit à l’oubli ne pouvait être reconnu dans ce cadre.
Revenons, d’une part, sur cette absence de droits acquis par
M. Achour avant d’envisager, d’autre part, les mécanismes d’oubli
étrangers à la récidive.
A. – L’absence de droits acquis
18. M. Achour avait réussi à convaincre la première Section de
la Cour que «l’application de la loi nouvelle a nécessairement fait
revivre une situation juridique éteinte depuis 1991. L’antécédent
judiciaire, qui ne pouvait plus fonder une récidive à partir du
12 juillet 1991, a donc produit des effets, non plus dans le cadre du
régime légal dont il relevait, mais dans le cadre du nouveau régime
légal entré en vigueur des années plus tard. Autrement dit, dans la
mesure où l’entrée en vigueur au 1er mars 1994 du nouveau code
pénal a entraîné l’application de l’article 132-9 à l’infraction pour
laquelle le requérant avait été condamné le 16 octobre 1984, les juridictions ont nécessairement dû faire revivre un état de récidive qui
avait pourtant, aux termes de la loi française elle-même, officiellement pris fin le 12 juillet 1991» (Achour I, §41). En statuant de la
sorte, ce premier arrêt et ceux qui l’ont approuvé transposaient à
la récidive un raisonnement propre à la prescription, matière où il
est acquis qu’une loi nouvelle ne peut faire revivre un délai
expiré (45).
En matière de prescription, ce principe reste inscrit à l’article 1122, 4° du Code pénal même s’il est fragilisé par la disparition d’une
autre solution qui lui servait jusqu’alors de fondement : la nonapplication immédiate de la loi nouvelle aggravant la situation de
l’intéressé. La loi Perben II du 9 mars 2004 n’a pas osé le remettre
également en cause au risque de semer le trouble sur les fondements
de la prescription. La discrétion du délinquant, l’impuissance de
l’autorité de poursuite et l’écoulement du temps justifient que l’on
consolide les situations acquises. Dans une telle hypothèse, l’oubli
existe déjà et le droit ne fait qu’en tirer les conséquences. La sécurité juridique peut alors justifier que prévale l’apparence créée par
(44) Voy. aussi : O. Bachelet, «Face à l’alternative ‘rétroactivité ou immédiateté’, la Cour européenne ne récidive pas», préc., p. 239.
(45) Voy. aussi : D. Roets, note au : Dall., 2005, p. 1204.
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Rev. trim. dr. h. (71/2007)
cette situation de fait. La Cour européenne l’a formellement
reconnu dans une affaire Coëme c. Belgique. Elle y a défini la prescription «comme le droit accordé par la loi à l’auteur d’une infraction de ne plus être poursuivi ni jugé après l’écoulement d’un certain délai depuis la réalisation des faits» et elle a justifié ce
mécanisme notamment par la nécessité de «garantir la sécurité juridique en fixant un terme aux actions et empêcher une atteinte aux
droits de la défense qui pourraient être compromis si les tribunaux
étaient appelés à se prononcer sur le fondement d’éléments de
preuve qui seraient incomplets en raison du temps écoulé» (46). Sur
cette base, elle a toutefois estimé que l’aggravation de la situation
procédurale d’un prévenu par l’effet de l’allongement d’un délai de
prescription «n’entraîne cependant pas une atteinte aux droits
garantis par l’article 7 car on ne peut interpréter cette disposition
comme empêchant, par l’effet de l’application immédiate d’une loi
de procédure, un allongement des délais de prescription lorsque les
faits reprochés n’ont jamais été prescrits» (47). Mais elle a laissé
entendre qu’une éventuelle atteinte à l’article 7 pourrait résulter
d’une disposition qui aurait pour effet de faire renaître la possibilité
de sanctionner des faits devenus non punissables par l’effet d’une
prescription acquise.
Cependant, il ne peut en aller de même en matière de récidive. En
effet, l’on a suffisamment montré que la question ne s’y pose pas
ainsi. Toute analogie avec la prescription apparaît là déplacée. Certes, le requérant se plaignait «de ce que la loi nouvelle est venue
contredire les effets de la loi ancienne, aux termes de laquelle le
délai était non plus en cours mais déjà échu» (Achour I, §42) mais
cette plainte ne pouvait aboutir dès lors qu’en l’absence de nouvelle
infraction commise sous l’empire de l’ancien code l’état de récidive
n’a jamais été caractérisé sous l’empire de ce code (48).
19. Néanmoins, c’est toujours sur la base de ce raisonnement que
les partisans de l’arrêt de Section ont tenté d’analyser l’arrêt de la
(46) Cour eur. dr. h., 2e sect., arrêt du 22 juin 2000, Coëme et autres, §146.
(47) §149. Cette solution n’est pas nécessairement en accord avec celle de l’arrêt
du 8 juin 1995, Jamil c. France, où l’application d’un nouveau régime de contrainte
par corps (durée passant de 4 mois à 2 ans) à une procédure en cours a été jugée
contraire à l’article 7 de la Convention européenne (§34).
(48) Il y avait au mieux «risque de récidive» au sens où l’entend la loi du
12 décembre 2005 (voy. son article 42, al. 1, non codifié ainsi que les articles 723-29
et 763-10 du Code de procédure pénale). Envisageant les suites d’une première condamnation pénale, ce texte prétend «prévenir» la récidive (Voy. encore, s’agissant du
placement sous surveillance électronique mobile, l’article 131-36-10 du Code pénal).
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Emmanuel Dreyer
751
Grande Chambre. Persistant dans leur erreur, ils ont reproché à
cette décision d’avoir exagéré les conséquences susceptibles d’être
tirées de l’inscription de la première condamnation au casier judiciaire. Ils ont ainsi fait d’un motif anodin, le motif décisoire de
l’arrêt écartant finalement toute violation de l’article 7 : «la Cour
rappelle cependant que la première condamnation du requérant, en
date du 16 octobre 1984, n’était pas effacée et demeurait inscrite à
son casier judiciaire. De fait, il était loisible au juge interne de prendre en compte ce premier terme pour retenir l’état de récidive»
(Achour II, §51). Dans l’esprit de ces commentateurs, la Cour européenne aurait déduit l’existence d’une situation juridique encore en
cours du fait que la première condamnation était restée inscrite au
casier judiciaire (49).
Il s’agit d’une interprétation inexacte de l’arrêt, la référence au
casier judiciaire étant une précision apportée au débat sur le terrain
de la forme et non du fond. Pour justifier l’aggravation de la sanction encourue au titre de la seconde infraction, il fallait en effet
pouvoir établir que la première infraction avait bien donné lieu à
une condamnation définitive et le casier judiciaire offrait à cet
égard une présomption qu’il est possible de combattre mais qui
l’emporte en l’absence d’allégation contraire. En y faisant référence,
la Cour européenne a seulement voulu indiquer que le premier
terme de la récidive était établi. La preuve en est que la même
phrase se poursuit par la formule suivante, qui en révèle le sens
véritable : «… étant par ailleurs entendu que cette première condamnation et l’autorité de la chose jugée qui y est attachée n’ont
aucunement été modifiées ou affectées d’une manière quelconque
par l’adoption de la nouvelle loi». Il ne s’agissait donc pas d’attacher à l’inscription au casier judiciaire, purement informative, des
effets qu’elle ne produit pas. Il s’agissait au contraire de souligner
que la loi nouvelle n’avait en rien modifié le régime de la première
condamnation.
(49) «Le maintien de l’inscription de la condamnation au casier judiciaire, vu
comme un effet de celle-ci, aurait été le signe, selon le gouvernement, que cette condamnation continuait à produire des effets. La loi nouvelle n’aurait donc pas fait
revivre une situation éteinte […]. Les règles du casier ne peuvent expliquer pourquoi
entre le 13 juillet 1991 et le 28 février 1994 le requérant ne pouvait se voir opposer
un état de récidive» (F. Massias, «Observations sur l’arrêt Achour rendu par la
Grande Chambre», R.S.C., 2006/3, p. 683; voy. aussi, D. Zerouki-Cottin, note au
Dall., 2006, p. 56). Mais la Cour européenne n’avait pas à s’expliquer sur cette prétendue «curiosité» dès lors qu’elle suppose de prendre en compte un état de récidive
qui n’a jamais existé sous l’empire de l’ancien Code!
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Rev. trim. dr. h. (71/2007)
20. En l’état, l’ultime objection à surmonter concerne donc le
caractère prévisible de cette solution… En l’espèce, la Cour européenne a estimé que «la jurisprudence de la Cour de cassation règle
depuis longtemps la question de savoir si une loi nouvelle allongeant
le délai entre les deux termes de la récidive peut s’appliquer à une
seconde infraction commise postérieurement à son entrée en
vigueur» et qu’«une telle jurisprudence était à l’évidence de nature
à permettre à M. Achour de régler sa conduite» (§52). Cette affirmation ne peut convaincre entièrement le juriste français. La solution est en effet très ancienne mais elle n’a pas toujours été unanime. Certes, il fut jugé, en 1893, «que l’aggravation résultant de la
récidive constitue un supplément de peine non pour la première
infraction, mais pour la seconde qu’il dépend de l’agent de ne
jamais commettre; qu’ainsi la loi nouvelle peut, sans effet rétroactif, déterminer pour l’avenir les pénalités encourues pour les infractions commises sous son empire sans que le délinquant puisse exiger
qu’on lui applique la pénalité de la loi ancienne pour un fait commis
depuis la loi nouvelle, alors qu’il est en état de récidive déterminé
par cette loi» (50). Mais, contredisant ce principe, il fut également
jugé que la loi du 31 mars 1904 donnant aux cours et tribunaux la
faculté de tenir compte, en vue de la relégation, des condamnations
prononcées par les tribunaux répressifs indigènes d’Algérie, ne les
autorisait pas à relever l’existence de condamnations prononcées
avant son entrée en vigueur : «ladite loi ne peut avoir d’effet
rétroactif, suivant le principe consacré par les articles 2 du code
civil et 4 du code pénal» (51). Cette dernière solution fut contestée
par la doctrine (52) et n’empêcha pas la Cour de cassation de revenir
à sa première position ensuite (53). Mais l’on ne peut faire comme
si cette jurisprudence n’avait jamais existé. Elle prouve que la
Haute juridiction elle-même a pu hésiter sur la pertinence de la
solution «principale» et y porter des dérogations. Cela ne suffisait-il
pas pour semer le doute dans l’esprit de M. Achour (54)? De surcroît, il peut sembler contestable de s’appuyer sur des décisions rendues à un moment où la Convention européenne n’existait pas
(50) Cass. crim., 31 août 1893, Dall., 1896.1.138.
(51) Cass. crim., 22 juillet 1904, Dall., 1909.1.362, note L. Beauchet; Cass. crim.,
21 août 1913, Dall., 1918.1.71.
(52) Voy. A. Légal, «Les conflits de lois dans le temps et le premier terme de la
récidive», R.S.C., 1963/4, pp. 793 et s.
(53) Voy. notamment : Cass. crim., 11 janvier 1962, Bull. crim., n° 33.
(54) Contra : O. Bachelet, «Face à l’alternative ‘rétroactivité ou immédiateté’, la
Cour européenne ne récidive pas», préc., p. 244, mais cet auteur se contente d’évoquer les «précédents» cités par la Cour et fournis par le Gouvernement français…
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encore pour dire que le droit français respecte nécessairement les
garanties qu’elle prévoit.
En l’espèce, c’est surtout la logique de la position adoptée par la
Chambre criminelle qui emporte la conviction. Et, s’il en était
encore besoin, on pourrait ajouter que la circulaire d’application du
nouveau Code pénal a consacré cette jurisprudence en relevant que
la «personne condamnée ne dispose évidemment pas, si elle commet
une nouvelle infraction, d’un droit acquis à bénéficier des règles
relatives à la récidive en vigueur au moment de la commission de
la première infraction» (55). C’est peu dire qu’une telle objection ne
pouvait aboutir.
21. Il était dès lors aisé pour la Grande Chambre de conclure
qu’elle ne pouvait «souscrire à l’argumentation du requérant, selon
lequel l’expiration du délai de récidive tel qu’il était prévu au
moment de la commission de sa première infraction lui aurait conféré un ‘droit à l’oubli’, un tel droit n’étant pas prévu par les textes
applicables». Ce droit à l’oubli ne peut résulter que du retrait de la
fiche du casier judiciaire, lequel n’est pas un effet de la disparition
de l’état de récidive mais d’autres mécanismes.
B. – Les mécanismes d’oubli
22. Il semble nécessaire de rappeler in fine aux sceptiques que
l’inscription d’une condamnation au casier judiciaire n’est pas effacée sous prétexte que cette condamnation n’est plus susceptible
d’entraîner un état de récidive : le retrait d’une fiche obéit à des
mécanismes spéciaux qui sont indépendants de ce constat. En
d’autres termes, l’état de récidive implique une telle inscription
alors que la disparition de cet état n’entraîne aucun retrait.
L’inscription d’une condamnation au casier judiciaire ne disparaît
que par l’effet d’autres mécanismes évoqués à l’article 769 du Code
de procédure pénale. Le second alinéa de ce texte commence par
affirmer : «sont retirées du casier judiciaire les fiches relatives à des
condamnations effacées par une amnistie». La solution est heureuse
dès lors «que les condamnations effacées par une loi d’amnistie ne
peuvent être comptées pour caractériser l’état de récidive» (56).
Mais il en va de même lorsque le délai de sursis est entièrement
(55) Circ. 14 mai 1993, annexe 2, n° 11, cité par J.-H. Robert, Droit pénal général,
préc., p. 169.
(56) Cass. crim., 20 février 1989, Bull. crim., n° 81; Cass. crim., 5 juin 1996, Bull.
crim., n° 232.
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Rev. trim. dr. h. (71/2007)
expiré sans commission d’une nouvelle infraction (la condamnation
étant déclarée «non avenue» : alinéa 3, 3°). La loi organise également
un mécanisme spécifique afin de supprimer les fiches du casier
judiciaire : c’est la réhabilitation, de plein droit ou judiciaire (57).
Enfin, dans l’hypothèse exceptionnelle où aucun effacement ne
serait intervenu plus tôt, l’article 769 du Code de procédure pénale
prévoit le retrait, sauf condamnation imprescriptible, «des fiches
relatives à des condamnations prononcées depuis plus de quarante ans
et qui n’ont pas été suivies d’une nouvelle condamnation à une peine
criminelle ou correctionnelle». On supposera donc que, dans une telle
hypothèse, l’autorité administrative en charge du casier peut procéder à son «nettoyage» directement.
Ainsi, on le voit, le droit à l’oubli est étranger à la récidive. Il a
incontestablement une place en procédure pénale mais cette place
est assurée autrement.
23. Dans ces conditions, l’on ne peut qu’approuver la rigueur
dont ont fait preuve les juridictions françaises dans cette affaire et
l’intelligence de la Cour européenne qui s’est intéressée à la spécificité du droit français en évitant les apparences trompeuses et les
solutions confuses acquises par facilité. Le danger aurait été en effet
d’assimiler tous ces mécanismes les uns aux autres, sous la bannière
générale de la «peine» au sens de l’article 7 de la Convention européenne, en résolvant le conflit de lois dans le temps de la même
façon pour la récidive, le sursis et la prescription au nom de l’autonomie du droit européen. C’est le piège dans lequel était tombée la
première Section qui s’est laissée troubler par une analogie trop évidente pour être exacte.
Les principes gouvernant la matière pénale sont connus et la
France les apprit à ses dépens notamment dans l’affaire Jamil concernant une extension du régime de la défunte contrainte par corps.
La Cour européenne rappela, à cette occasion, que «la qualification
de ‘peine’ contenue dans l’article 7, §1er possède une portée autonome. Pour rendre efficace la protection offerte par cette disposition, la Cour doit demeurer libre d’aller au-delà des apparences et
apprécier elle-même si une mesure particulière s’analyse au fond en
une ‘peine’ au sens de cette clause» (58). Cette démarche est parfaitement légitime : elle permet à la juridiction de Strasbourg de
(57) Voy. par exemple : Cass. crim., 19 octobre 2005, AJ Pénal, 2006, p. 37, obs.
G. Royer. Sans compter la révision de la condamnation qui entraîne également cette
conséquence : article 625, dernier alinéa, du Code de procédure pénale.
(58) Cour eur. dr. h., arrêt du 8 juin 1995, Jamil c. France, §30.
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dépasser l’apparence formelle qu’un Etat peut avoir entretenue
pour dissimuler l’atteinte à un droit protégé; elle lui permet de
mener une véritable analyse substantielle de la disposition en cause.
Peu importe la qualification retenue en droit interne, il y aura
«peine» au sens de ce texte «si la mesure en question est imposée à
la suite d’une condamnation pour une ‘infraction’». Ne constituent
que des éléments d’appréciation complémentaires «la qualification
de la mesure en droit interne, sa nature et son but, les procédures
associées à son adoption et à son exécution, ainsi que sa
gravité» (59). A titre d’exemple, cette analyse permit de considérer,
dans l’affaire Jamil, que la contrainte par corps constituait bien une
peine, de sorte qu’une loi plus sévère en modifiant le régime ne pouvait être appliquée de manière rétroactive (60). Sur ce fondement, il
devrait également être possible de remettre en cause l’application
rétroactive du nouveau dispositif de «surveillance judiciaire» prévu
par la loi du 12 décembre 2005. Peu importe la dissimulation de la
nature véritable de cette peine sous le qualificatif de «mesure de
sûreté», qui est étranger au droit français et dont l’aspect contraignant est évident (61).
Mais, au cas d’espèce, cette jurisprudence n’était pas applicable.
La liberté que s’est accordé l’arrêt de Section était exagérée (62).
Elle ne l’autorisait pas à confondre les deux termes de la récidive
et, en se plaçant à un moment où cet état n’était pas encore caractérisé (avant le second terme), à tirer des conséquences étrangères
à cette circonstance aggravante (63). A cet égard, l’absence de référence faite à la portée autonome de la peine au sens de l’article 7,
§1er dans l’arrêt de la Grande Chambre est caractéristique d’une
démarche infiniment plus respectueuse du droit interne. Avant de
parler de fraude, de dénoncer une qualification artificielle appliquée
par un Etat pour échapper à ses obligations conventionnelles, il faut
vérifier en effet la sincérité de sa démarche. Celle-ci ne peut être
(59) §31. Voy. aussi : D. Roets, «L’application de la loi pénale dans le temps et
la Convention européenne des droits de l’homme», Dall., 2004, p. 1994.
(60) Voy. pour un rappel du principe : Cour eur. dr. h., 8 juin 1976, Engel et autres
c. Pays-Bas, §82; Cour eur. dr. h., 21 février 1984, Öztürk c. Allemagne, §53.
(61) Voy. encore, notre Droit pénal général, préc., pp. 322 et s.
(62) Liberté maximale dès lors qu’il rappela également qu’«[e]u égard au but de
la Convention qui est de protéger des droits concrets et effectifs, [la Section] pourra
aussi prendre en considération le respect d’un équilibre entre l’intérêt général et les
droits fondamentaux de l’individu ainsi que les conceptions prévalant de nos jours
dans les Etats démocratiques» (§34).
(63) Contra : F. Massias, «Observations sur l’arrêt Achour rendu par la Grande
Chambre», préc., p. 679.
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Rev. trim. dr. h. (71/2007)
mise en doute systématiquement dès lors que l’on admet que les
Etats sont les mieux placés pour définir leur politique criminelle (64). Si, en l’espèce, l’arrêt Achour II est un grand arrêt, c’est
parce que la Cour européenne y a fait preuve d’un beau discernement (65). Ce sont les arrêts de cette sorte qui font avancer la cause
du droit européen.
✩
(64) Le second arrêt est également l’occasion pour la Cour d’indiquer «que les
questions relatives à l’existence, aux modalités ainsi qu’aux justifications d’un
régime de récidive relèvent du pouvoir qu’ont les Hautes Parties contractantes de
décider de leur politique criminelle, sur laquelle elle n’a pas en principe à se prononcer. De même, les Hautes Parties contractantes sont libres de modifier, notamment
en la renforçant, la répression des crimes et délits, sans que cela ne soulève de problème au regard des dispositions de la Convention, ce que le requérant admet» (§44).
(65) Pour répondre à une inquiétude de Ph. Malaurie : «Grands arrêts, petits
arrêts et mauvais arrêts de la Cour européenne des droits de l’homme», Petites Affiches, 21 août 2006, n° 166, p. 4.