Au sujet de l`adipocyte
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Au sujet de l`adipocyte
Histoire ul © Sebastian Ka itzk i- iSt oc kp hoto Au sujet de l’adipocyte Les différents concepts qui ont jalonné son histoire… Dr Max Lafontan* Introduction L’intérêt pour la biologie du tissu adipeux n’a débuté que vers le début du siècle dernier. De nos jours, le rôle de la masse grasse et les mécanismes impliqués dans la régulation de son expansion sont au centre des préoccupations de tous les acteurs appelés à intervenir chez l’obèse. L’adipocyte isolé a permis de comprendre les processus impliqués dans le stockage des triglycérides (lipogenèse) et la libération des acides gras (lipolyse). L’adipocyte est une cellule qui a aussi notablement contribué à la compréhension de mécanismes cellulaires fondamentaux. Ses capacités à percevoir de nombreux messages nerveux et hormonaux et sa forte activité de captage du glucose et des acides gras ont été à la base de la découverte de mécanismes fondamentaux essentiels. Révolution des vingt dernières années, l’adipocyte s’est avéré capable de synthétiser et sécréter des hormones et divers autres facteurs qui ont révélé ses capacités de dialogue avec divers organes et tissus. La nature des précurseurs adipocytaires et la régulation de leur devenir représentent un centre d’intérêt actuel important. Concepts aver the years about adipocytes Adipocytes play an important dynamic role in metabolic regulation. They possess the ability to perceive a large number of nervous and hormonal signals. They are also able to secrete hormones (i.e., adipokines) that affect nutrient intake, metabolism, insulin sensitivity and energy expenditure. Intact adipocytes isolation revolutionized studies on the hormonal regulation and metabolism of the fat cell. This review will be focused on the very early approaches that used the fat cell as a tool to discover and understand various cellular mechanisms. Attention will essentially focus on the early investigations revealing the major contribution of mature fat cells and also fat cells originating from adipose cell lines to the discovery of major events related to hormone action (hormone receptors and transduction pathways involved in hormonal signaling) and mechanisms involved in metabolite processing (hexose uptake, uptake, storage and efflux of fatty acids, lipogenesis and lipolysis). Dormant preadipocytes exist in the stroma vascular fraction of the adipose tissue of rodents and humans; cell culture systems represent valuable models for the study of the processes involved in the formation of new fat cells. Finally, early events revealing adipocyte secretion, a completely new role having huge metabolic impacts, will also be briefly summarized. Keywords: Adipocyte, Concept, Obesity. *UMR 1048, Institut des Maladies Métaboliques et Cardiovasculaires, Hôpital Rangueil, Toulouse ; Université Paul Sabatier, Toulouse Diabète & Obésité • Septembre 2011 • vol. 6 • numéro 51 L’ obésité se caractérise par une expansion notable de la masse grasse susceptible d’avoir des conséquences néfastes pour la santé. Les facteurs déterminant l’expansion de la masse grasse sont restés longtemps assez mal compris. Il est maintenant bien établi que les adipocytes jouent un rôle essentiel dans l’expansion de la masse grasse et dans la régulation de divers processus métaboliques. Ils perçoivent de nombreux messages nerveux et hormonaux et sont capables de synthétiser et sécréter des facteurs aux multiples effets tant hormonaux que paracrines. Enfin, les adipocytes peuvent aussi séquestrer de nombreuses molécules xénobiotiques lipophiles qui envahissent notre environnement. Nous évoquerons dans ce mémoire les étapes qui ont permis d’élaborer les concepts essentiels sur les fonctions de l’adipocyte. Nous soulignerons l’utilisation originale de l’adipocyte pour l’exploration des grandes fonctions cellulaires et considèrerons les apports de l’étude du renouvellement des adipocytes dans la découverte des déterminants de l’expansion de la masse grasse. Premières définitions L’adipocyte a été reconnu comme étant un type cellulaire original dans les traités d’anatomie publiés dès le milieu du 19e siècle. Les premières études sur le développement des “vésicules lipidiques” 275 Histoire (l’adipocyte) ont suggéré que l’obésité pourrait être due à une augmentation du nombre de ces vésicules. Ensuite, la plupart des études sur le développement précoce du tissu adipeux ont d’abord été basées sur l’utilisation de méthodes morphologiques (microscopie optique et électronique). On retiendra que les premières traces de tissu adipeux apparaissent de la 14e à la 16e semaine de la vie prénatale de l’embryon humain. L’association étroite de cellules mésenchymateuses qui deviendront des adipocytes avec des vaisseaux néoformés a été considérée comme représentant la première indication qu’adipogenèse et angiogenèse sont étroitement intriquées. Cet aspect de la biologie du tissu adipeux a connu un regain d’intérêt ces dernières années. émergence de l’intérêt pour le tissu adipeux Premières données Au début du 20e siècle, le tissu adipeux était considéré comme étant un tissu de soutien susceptible d’accumuler des gouttelettes lipidiques. Ses fonctions essentielles se limitaient à un rôle d’isolement thermique pour le tissu adipeux sous-cutané ainsi que de soutien de divers organes. A cette époque, le rôle prépondérant dans le métabolisme des lipides était attribué au foie alors que le tissu adipeux se voyait confiné à un rôle négligeable. L’intérêt pour ce tissu est largement dû aux physiologistes allemands des années 1920 à 1940 (parmi lesquels D. Goering, L.R. Müller, H.E. Wertheimer et F.X. Hausberger) qui ont démontré que ce tissu était sous le contrôle du système nerveux sympathique. De plus, ils ont montré que le glucose pouvait être converti en glycogène 276 L’adipocyte isolé, un outil de choix pour l’expérimentateur La première préparation d’adipocytes isolés a été effectuée par M. Rodbell (3) ; elle est basée sur un traitement de fragments finement découpés de tissu adipeux par de la collagénase. C’est la technique encore utilisée de nos jours. Rapidement adoptée par de nombreux chercheurs, elle a été améliorée, standardisée, optimisée et étendue à diverses espèces dont l’homme. Cette technique a révolutionné l’approche expérimentale de la biologie de l’adipocyte et permis une analyse des processus lipogéniques et lipolytiques. Les réponses lipolytiques ou lipogéniques observées sur des explants de tissu adipeux ont été confirmées sur l’adipocyte isolé et l’efficacité comparée des divers agents lipolytiques a été précisée. Les adipocytes isolés sont beaucoup plus sensibles aux agents hormonaux que les explants de tissu adipeux. Cependant, la préparation cellulaire est assez fragile ; les capacités fonctionnelles des adipocytes ont tendance à décroître après quelques heures d’incubation. En l’état des données actuelles, on ne peut envisager aucune culture sérieuse dépassant 24 à 48 heures sans modification notable des capacités fonctionnelles des adipocytes. En revanche, la préparation est idéale pour explorer des réponses rapides des cellules (i.e. quelques heures). Une analyse critique suivie de propositions pour une optimisation de la technique a été récemment publiée (4) ; elle devrait être appliquée par les utilisateurs d’adipocytes isolés. et partiellement en lipides dans le tissu adipeux. L’administration d’insuline affectait la transformation du glucose en acides gras dans ce tissu. Ce n’est qu’en 1948 que les premières études de lipogenèse in vitro ont été effectuées sur du tissu adipeux mésentérique de rat. La première synthèse bibliographique récapitulant les divers travaux sur le tissu adipeux du début du siècle qui pose diverses hypothèses qui allaient déboucher sur la physiologie du tissu adipeux a été publiée en 1948 dans Physiological Reviews (1). L’apport des recherches biochimiques et physiologiques Ce premier bilan a été suivi par un rapide développement des recherches biochimiques et physiologiques dans le domaine du tissu adipeux qui ont conduit l’American Physiological Society à publier un ouvrage de plus de 800 pages (avec plus de 4 000 références) consacré exclusivement au tissu adipeux en 1965 (2). De nombreux travaux ont été réalisés chez les rongeurs et plus rarement chez l’homme. L’exploration de la régulation physiologique des tissus adipeux blancs et bruns a connu un essor notable en étudiant l’impact de manipulations nutritionnelles sur le devenir de traceurs métaboliques et en les complétant par des mesures d’activités enzymatiques sur des homogénats de tissu adipeux. Ces recherches ont permis de préciser divers aspects métaboliques (synthèse des acides gras, métabolisme des triglycérides, enzymes impliqués dans le métabolisme du glucose et du glycogène, lipolyse et libération des acides gras libres et du glycérol et diversité des activités lipase). Très rapidement, la mise au point d’une mesure de l’activité d’une clearing factor lipase libérée par l’héparine Diabète & Obésité • Septembre 2011 • vol. 6 • numéro 51 Au sujet de l’adipocyte a permis de percevoir le rôle de la lipoprotéine lipase. Des activités lipase hormono-sensible et monoglycéride lipase ont été identifiées sur des homogénats de tissu adipeux traités par l’adrénaline et la corticotropine (ACTH). Parallèlement, des études biochimiques effectuées sur des explants de tissu adipeux in vitro on permis de révéler les bases des effets d’agents lipolytiques et lipogéniques. Après avoir entrevu la diversité des agents affectant la lipolyse ou la lipogenèse sur ces préparations des effets des catécholamines et de l’insuline a été rapidement établie dans l’adipocyte et a permis l’élaboration du schéma fonctionnel encore valable de nos jours. Vu la sensibilité de l’adipocyte à l’insuline, cette cellule a aussi représenté un outil de choix pour l’étude des mécanismes d’action de l’insuline sur le captage du glucose par l’adipocyte. Elle a débouché sur l’élaboration du concept de récepteur insuline par P. Cuatrecasas (5). L’adipocyte isolé a été également très utilisé pour la mise L’accès à l’adipocyte isolé a débouché sur un nombre conséquent de découvertes majeures, allant au-delà de la seule biologie de l’adipocyte. brutes de tissu adipeux, un pas important a été franchi par la mise au point de méthodes permettant l’étude d’aspects plus mécanistiques du fonctionnement de l’adipocyte isolé. Le tableau 1 récapitule les faits et concepts essentiels qui ont jalonné les recherches sur le tissu adipeux et l’adipocyte. Des découvertes fondamentales majeures obtenues grâce à l’adipocyte L’accès à l’adipocyte isolé a débouché sur un nombre conséquent de découvertes majeures, allant bien au-delà de la seule biologie de l’adipocyte. Signalisation cellulaire, métabolisme du glucose et des acides gras L’adipocyte a été un modèle cellulaire privilégié qui a permis de révéler les grandes voies de la signalisation cellulaire et du métabolisme du glucose et des acides gras. L’importance primordiale de l’AMP cyclique comme médiateur au point des procédures d’identification et de quantification des récepteurs insuline sur l’adipocyte intact à l’aide d’insuline marquée à l’[125I] ; cette technique a été étendue à tous les types cellulaires. Le complexe adénylyl cyclasique de la membrane plasmique La mise au point des techniques de fractionnement des divers éléments cellulaires de l’adipocyte et l’isolement des membranes plasmiques ont débouché sur l’élaboration de plusieurs concepts importants. Le complexe adénylyl cyclasique de la membrane plasmique, les protéines liant le guanosine tri-phosphate (GTP) et les récepteurs couplés négativement ou positivement à l’adénylyl cyclase de l’adipocyte ont été très étudiés par Rodbell et ses collaborateurs et leur a permis de déboucher sur un modèle universel du complexe adénylyl cyclasique publié dès les années 1980 (6). Ce modèle fonctionnel, étendu aux autres types cellulaires, a conduit à la solubilisation/purification des diverses Diabète & Obésité • Septembre 2011 • vol. 6 • numéro 51 protéines et au clonage des gènes codant pour les divers éléments du complexe adénylyl cyclasique par les équipes de biochimistes des laboratoires de Lutz Birnbaumer et Alfred Gilman. Translocation des transporteurs de glucose L’adipocyte a été également utilisé pour comprendre le captage du glucose et élaborer l’hypothèse de la translocation des transporteurs glucose d’un compartiment cytoplasmique vers la membrane plasmique lors d’une stimulation de la cellule par l’insuline (7). Cette hypothèse élaborée bien avant le clonage du transporteur glucose GLUT4 a été confirmée par des méthodes plus élaborées basées sur l’utilisation d’anticorps antiGLUT4. Ces diverses techniques peuvent être utilisées pour explorer les dysfonctions des diverses étapes du transport du glucose à rapprocher des variations d’expression de GLUT4. Régulation du captage des acides gras L’adipocyte étant une cellule très impliquée dans la gestion des acides gras libres, il a été utilisé pour décrypter les mécanismes impliqués dans la régulation du captage des acides gras et identifier les diverses structures moléculaires cytosoliques ou de la membrane plasmique impliquées dans leur transport (8). Catécholamines et récepteurs adrénergiques L’adipocyte mature de l’homme a été également utilisé pour explorer les mécanismes d’action des catécholamines et le rôle des récepteurs adrénergiques. L’adipocyte humain, bien différent de l’adipocyte des rongeurs, exprime des récepteurs bêta1-, bêta2- et al277 Histoire Tableau 1 - Sommaire des faits essentiels, découvertes et concepts dans le domaine du tissu adipeux et de l’adipocyte. 1940 1950 1960 1970 1980 1990 2000 AnnéeFaits essentiels, découvertes et concepts. 1940 Le tissu adipeux est un sujet négligé. 1948 • Le tissu adipeux est vascularisé et possède une innervation sympathique. • Mise en évidence d’une synthèse d’acides gras dans le tissu adipeux de rat in vitro. 1954 Le glucose est converti en lipides dans des explants de tissu adipeux. 1955 Etudes sur la lipoprotéine lipase du tissu adipeux. 1956Les lipides du tissu adipeux sont mobilisés sous la forme d’acides gras et de glycérol produits par l’hydrolyse des triglycérides. 1958 La corticotropine (ACTH) et les catécholamines stimulent la libération d’acides gras et de glycérol dans des explants de tissu adipeux in vitro. 1963 Mise au point de techniques de perfusion in vivo des panicules adipeux paramétriaux et épididymaires de rat. 1964 • Description de la lipase hormono-sensible et de la lipase des monoglycérides de l’adipocyte. • Isolement des adipocytes et premières études sur le métabolisme de l’adipocyte isolé. 1965 Les catécholamines stimulent la production d’AMP cyclique dans l’adipocyte isolé. 1966 L’insuline réduit les taux d’AMP cyclique dans des adipocytes pré-stimulés par un agent lipolytique in vitro. 1967 • Préparation de fractions cellulaires pour l’étude de la membrane plasmique de l’adipocyte. • Premières études de la régulation de la lipolyse dans l’adipocyte humain in vitro. 1968 Première méthode de quantification des adipocytes isolés (humain et rongeurs). 1969 • Premières études sur l’activité de l’adénylyl cyclase de la membrane plasmique de l’adipocyte. • Interaction de l’insuline avec la membrane plasmique de l’adipocyte : naissance du concept de récepteur insuline. 1970 Purification des membranes plasmiques de l’adipocyte. 1973 • Découverte du rôle de l’adénosine dans le contrôle des fonctions de l’adipocyte. • Description de la lignée cellulaire murine de cellules souches pluripotentes C3H10T1/C. 1974 • Mesure du transport du 3-O-méthylglucose dans l’adipocyte isolé : début d’exploration des mécanismes de captage du glucose. • Description et isolement de clones murins ayant une haute susceptibilité de conversion en adipocytes (lignées cellulaires 3T3-L1 et 3T3-F442A). 1978 • Isolement des lignées cellulaires ob-17 à partir de tissu adipeux de souris génétiquement obèses (souris ob/ob). • Translocation des sites de liaison de la [3H]cytochalasine dans l’adipocyte et découverte des mécanismes de captage du glucose. 1980Description du fonctionnement du système de transport du glucose impliquant la translocation de transporteurs glucose (translocation hypothesis). 1981 • Translocation des acides gras dans les membranes de l’adipocyte. • Identification des récepteurs adrénergiques de l’adipocyte humain. 1987 Découverte de l’adipsine, le premier facteur sécrété par l’adipocyte. 1989 • Clonage de l’ADNc codant pour le transporteur glucose GLUT4. • Premières études de microdialyse in situ sur le tissu adipeux sous-cutané humain. 1993 • Clonage de l’ADNc codant pour une protéine impliquée dans le transport des acides gras (FAT/CD36). • Etude du métabolisme du tissu adipeux sous-cutané humain par cathétérisation locale. 1994 • Clonage positionnel du gène ob de la souris (leptine). • Clonage de l’ADNc et caractérisation fonctionnelle d’une nouvelle protéine de transport des acides gras (FATP 4). 1995 Découverte de la complement related protein of 30kD (Acrp 30) (adiponectine). 1996Confirmation de l’existence de l’adiponectine par plusieurs groupes (plusieurs appellations : Acrp-30, Adipo Q ou GBP-28). 2001 Isolement de la première lignée préadipocytaire humaine (lignée SGBS). 2004 Isolement de lignées de cellules souches humaines pluripotentes (cellules hMADS). 2005 Isolement des préadipocytes humains de la fraction stroma vasculaire par sélection immuno-magnétique. pha2A-adrénergiques dans des proportions variables selon la localisation anatomique des dépôts adipeux. L’étude de leur rôle a per278 mis de comprendre l’hétérogénéité de réponse aux catécholamines des adipocytes issus de divers dépôts adipeux et les mobilisations différentielles des différents dépôts adipeux pendant des protocoles de restriction calorique ou lors de l’exercice physique (9). Diabète & Obésité • Septembre 2011 • vol. 6 • numéro 51 Au sujet de l’adipocyte Les voies de l’adipogenèse et les précurseurs adipocytaires Lignées de cellules souches et lignée humaine Les recherches sur les mécanismes impliqués dans le contrôle de la prolifération et de la différenciation des précurseurs d’adipocytes ont été grandement facilitées, dans un premier temps, par la découverte et la pérennisation de lignées de cellules souches mésenchymateuses multipotentes (i.e. cellules C3H10T1/C murines ou cellules hMADS humaines (10)) ou de lignées préadipocytaires murines (i.e. lignées murines 3T3L1, 3T3-F442A et ob-17 en ce qui concerne les plus utilisées). La découverte des divers facteurs de transcription impliqués dans le contrôle de l’expression des gènes de l’adipocyte et de leur rôle physiologique a largement reposé sur l’étude de ces lignées ; les modèles élaborés sont couramment acceptés pour rendre compte des processus mis en jeu dans les préadipocytes humains. Ce n’est que très récemment que des lignées humaines ont été isolées. Les adipocytes issus de la différenciation in vitro des préadipocytes de lignées cellulaires sont souvent utilisés pour l’étude de mécanismes d’action inabordables sur l’adipocyte mature qui ne peut pas être conservé en conditions de culture prolongée. Ces cellules sont également utilisées pour explorer l’impact de diverses molécules pharmacologiques sur les processus de différenciation adipocytaire. Les précurseurs adipocytaires Les adipocytes sont issus de précurseurs adipocytaires présents dans la fraction stroma-vasculaire du tissu adipeux. Le précurseur adipocytaire humain (préadipocyte) fait l’objet de nombreuses recherches auprès de chercheurs qui aimeraient bien contrôler leur prolifération/différentiation. La collecte de la fraction stroma-vasculaire du tissu adipeux humain permet d’accéder à cette cellule qui va se différencier en adipocyte dans des conditions de culture adaptées ; une revue détaille les procédures bien normalisées (11). Des similarités existent entre l’immunophénotype des précurseurs du tissu adipeux et des cellules stromales de la moelle osseuse. Une étude de la fraction stroma-vasculaire du tissu adipeux humain a permis d’identifier une population de cellules CD34+/CD31- qui correspond à des cellules progénitrices adipocytaires humaines (i.e. préadipocytes) et diffère des cellules souches mésenchymateuses ou hématopoïétiques (12). Les déterminants physiologiques et pathologiques du recrutement des précurseurs et les processus impliqués dans le contrôle de leur quiescence ou de leur activation au sein du tissu adipeux restent encore très mal connus. Hyperplasie et hypertrophie adipocytaire Bien qu’il ait été accepté depuis les années 1980 que l’hyperplasie (augmentation du nombre) et l’hypertrophie (augmentation de taille) des adipocytes sont à la base de l’expansion de la masse grasse, les données dynamiques et quantitatives in vivo les plus convaincantes sont très récentes. Une étude a clarifié l’importance relative de ces deux processus complémentaires. ❚❚Hyperplasie Le taux de renouvellement des adipocytes (turn-over) a été déterminé selon une démarche originale basée sur l’analyse de la décroissance Diabète & Obésité • Septembre 2011 • vol. 6 • numéro 51 de la radioactivité du 14C, incorporé spontanément dans l’ADN génomique des adipocytes, lors des tests atmosphériques de bombes atomiques (13). Le taux de renouvellement des adipocytes se situe aux alentours de 8 à 10 % par an quels que soient l’âge ou l’index de masse corporelle des sujets. Cette étude confirme que le nombre d’adipocytes est un déterminant majeur de la masse grasse de l’adulte ; il reste stable chez les adultes maigres ou obèses en stabilité pondérale. Ce nombre, installé précocement pendant l’enfance et l’adolescence, est finement régulé chez l’adulte via une régulation coordonnée des processus d’apoptose et d’apparition de nouveaux adipocytes. Chez l’adulte, le tissu adipeux peut être constitué par une population limitée d’adipocytes hypertrophiques ou par une population plus importante d’adipocytes de petite taille. ❚❚Hypertrophie L’adipocyte hypertrophié présente diverses anomalies fonctionnelles de ses systèmes lipogéniques et lipolytiques et un stress de son réticulum endoplasmique ; il possède des capacités de stockage réduites et un certain niveau d’insulinorésistance. L’étude des facteurs affectant la morphologie du tissu adipeux a révélé qu’un taux bas de renouvellement des adipocytes est associé à une hypertrophie alors qu’un taux plus élevé est associé à une hyperplasie du tissu adipeux. Un déficit de précurseurs adipocytaires représente un risque d’hypertrophie des adipocytes et des possibilités de troubles liés à l’accumulation de lipides dans des tissus tels que le foie, le muscle ou le pancréas (i.e. la lipotoxicité). Ces caractéristiques des processus affectant le renouvellement important de la masse adipeuse 279 Histoire laissent présager des possibilités d’intervention susceptibles d’interférer avec la dynamique de la masse grasse. L’adipocyte possède des activités sécrétoires multiples Organe d’information et de contrôle Pendant ces vingt dernières années, le statut du tissu adipeux a notablement évolué, il est passé de celui d’organe de stockage de réserves énergétiques à celui d’or- En dehors de la sécrétion bien connue de la lipoprotéine lipase, les premières protéines sécrétées identifiées ont été l’adipsine et des facteurs mitogènes (mitogen factors). La découverte de la leptine (14) a assis le statut sécrétoire de l’adipocyte et l’importance physiologique de ses sécrétions. Très rapidement, la liste des facteurs sécrétés s’est notablement étendue. L’adiponectine découverte simultanément par plusieurs équipes et l’apeline (15) se sont avérées capables d’améliorer la sensibilité à l’insuline de divers tissus et font encore l’objet de travaux impor- La liste des facteurs sécrétés par l’adipocyte s’est notablement enrichie. gane d’information de l’état nutritionnel de l’organisme et de contrôle de l’activité des organes et tissus insulinosensibles. Ces connaissances ont évolué parallèlement à l’idée que l’obésité se caractérise par un état inflammatoire de bas niveau. Le tissu adipeux est donc à la croisée des chemins de nombreux échanges inter-organes. De plus, les interactions entre les divers types cellulaires existant au sein même du tissu adipeux (cellules endothéliales microvasculaires, macrophages, lymphocytes, préadipocytes…) contribuent aussi à l’homéostasie de l’organe. Tissu endocrine Le tissu adipeux synthétise et sécrète des hormones circulantes et des adipokines qui agissent comme des molécules de signalisation et/ou des médiateurs des processus inflammatoires ; l’activité sécrétoire n’est pas limitée aux seuls adipocytes. Depuis le début des années 1990, il est devenu évident que l’adipocyte est une cellule douée de capacités sécrétoires. 280 tants. La liste des sécrétions s’est considérablement enrichie (Tab. 2). Il faut noter que certaines sécrétions du tissu adipeux ne sont pas strictement adipocytaires (16) et que les mécanismes d’action et le rôle physiologique de plusieurs d’entre elles restent à préciser. Diverses synthèses permettent d’appréhender la diversité des sécrétions et la multiplicité de leurs effets (17, 18). La découverte des capacités sécrétoires de l’adipocyte et de la variabilité des capacités de production de ces facteurs dans l’obésité a révolutionné l’appréhension du rôle de cette cellule. Si l’on se base sur les résultats des études récentes de génomique ou protéomique, le rôle de très nombreux facteurs encore mal identifiés reste à découvrir. L’adipocyte, un lieu de stockage de nombreux polluants organiques L’adipocyte, avec ses réserves de triglycérides, constitue un réser- voir privilégié pour de nombreux polluants liposolubles potentiellement toxiques regroupés sous le terme de polluants organiques persistants (Persistent Organic Pollutants-POPs) tels que les composés organochlorés et divers composés aromatiques polycycliques. Ces diverses familles chimiques ont des mécanismes d’action diversifiés dont certains sont identifiés. Les dibenzo-para-dioxines polychlorées (PCDDs), les dibenzofuranes polychlorés (PCDFs) et les dioxin-like biphényls polychlorés (dl-PCBs) agissent en activant le récepteur intracellulaire arylhydrocarbone (AhR) alors que les pesticides hydrochlorés ont un mode d’action différent. Le comportement cinétique dans l’organisme, la distribution et la biodisponibilité de tels produits restent mal connus. Des études récentes ont fourni des preuves indirectes d’une implication des POPs dans certains désordres métaboliques. Une corrélation positive semble exister entre la teneur plasmatique en POPs et des marqueurs biologiques de dysfonctions métaboliques associées à l’obésité (19). Une perte de poids est associée à une augmentation des taux plasmatiques de POPs. Ce domaine en émergence reste très largement ouvert et va probablement susciter de nombreux travaux. Conclusions et perspectives L’adipocyte a été une cellule particulièrement utile pour l’exploration de nombreux mécanismes d’action d’hormones et de métabolites. L’étude de l’adipocyte a permis de bien comprendre les processus de lipogenèse et de lipolyse. L’hétérogénéité fonctionnelle des adipocytes selon la distribution anatomique des dépôts adipeux a attiré l’attention des chercheurs et Diabète & Obésité • Septembre 2011 • vol. 6 • numéro 51 Au sujet de l’adipocyte Tableau 2 - Productions du tissu adipeux (adipocytes et cellules de la fraction stroma-vasculaire). Les facteurs sont regroupés selon leur principaux rôles dans le contrôle des grandes fonctions. Certains facteurs aux actions pléiotropes figurent dans plusieurs groupes. Métabolisme des lipides et des lipoprotéines • Lipoprotéine lipase (LPL) • Protéine stimulant l’acylation (acylation stimulating protein /ASP) • Prostaglandine E2, prostacycline • Autotaxine (lysophospholipase D) + phosphatidylcholine induit la production d’acide lysophosphatidique (LPA) • Protéine de liaison du rétinol-4 (RBP4) • Protéine de transfert des esters de cholestérol (CETP) Prise alimentaire et activation du système nerveux sympathique • Leptine Métabolisme et homéostasie énergétique • Leptine • Adiponectine • Résistine • Interleukine-6 et 8 (IL-6 et IL-8) • Protéine de liaison du rétinol-4 (RBP4) • Visfatine Vaisseaux et angiogenèse • Facteur de croissance de l’endothélium vasculaire (vascular endothelial growth factor/VEGF) • Monobutyrine • Leptine • Apeline • Protéine angiopoiétine-like-4/FIAF (fasting-induced adipose factor) / PGAR (peroxisome proliferator-activated receptorg angiopoietin-related gene) • Angiopoiétine-2 • Angiotensinogène/angiotensine-2 Métabolisme de la matrice extracellulaire • Collagène de type 6 • Inhibiteur-1 de l’activateur du plasminogène (plasminogen activator inhibitor-1/PAI-1) • Métalloprotéases (gélatinases MMP-2 et MMP-9) • Inhibiteurs tissulaires des métalloprotéases (TIMP-1 à 3) fait l’objet de nombreux travaux. Quel est le déterminisme d’une telle hétérogénéité ? L’étude récente des signatures des gènes du développement dans les différents dépôts adipeux suggère un rôle des gènes du développement dans la distribution et le développement de territoires spécifiques du tissu adipeux (20). La nature des précurseurs adipocytaires reste encore mal connue ainsi que les mécanismes contrôlant leur dynamique et leur biologie. La caractérisation Système immunitaire et protéines de la phase aiguë • Facteur de nécrose des tumeurs-a (tumor necrosis factora, TNFa) • Interleukines 1b, -6, -8, -10 (IL-1b, IL-6, IL-8, IL-10) • Antagoniste récepteur interleukine-1 (interleukin-1 receptor antagonist / IL-1Ra) • Protéine inflammatoire-1b des macrophages (macrophage inflammatory protein-1b) (MIP-1b) • Adipsine, facteurs C3, B et D du système alterne du complément • Protéine de chémo-attraction des monocytes (monocyte chemotactic protein-1/MCP-1) • Regulated on Activation, Normal T cell Expressed and Secreted (RANTES) • a1-glycoprotéine acide • Sérum amyloïde A 3 (SAA3) • Haptoglobine, pentraxine-3, lipocaline 24p3 • Métallothionéine • Cathepsine S et L Sensibilité à l’insuline du muscle de l’hépatocyte et de l’adipocyte • Leptine • Adiponectine • Résistine • Visfatine • Interleukine-6 (IL-6) • Adipsine/ASP • Apeline Facteurs de croissance influençant le développement du tissu adipeux • Insulin Growth Factor-1 (IGF-1) • Facteur de croissance de l’endothélium vasculaire (VEGF) • Thrombopoiétine • Facteur de croissance nerveux (Nerve Growth Factor, NGF) des processus contrôlant la gestion de leur recrutement et de leur prolifération reste à faire. La découverte des capacités sécrétoires multiples de l’adipocyte a ouvert un large champ d’investigation et accru l’intérêt pour l’organe adipeux. En plus de ses capacités de stockage des surplus d’énergie, le tissu adipeux a acquis le statut de glande endocrine. Il génère de nombreux signaux impliqués dans l’homéostasie énergétique, la sensibilité à l’insuline, la fertilité ou le turn-over Diabète & Obésité • Septembre 2011 • vol. 6 • numéro 51 osseux pour ne citer que les plus connus. Ce domaine reste un domaine en pleine expansion qui fera certainement l’objet de travaux originaux qui déboucheront sur des concepts émergents permettant de mieux comprendre l’importance n de l’organe adipeux. d Pour lire la bibliographie : www.diabeteetobesite.org Mots-clés : Adipocyte, Concept, Tissu adipeux, Obésité 281