Le Monde - entree

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Le Monde - entree
SCIENCE
& MÉDECINE
SUPPLÉMENT
Mercredi 2 mars 2016 ­ 72e année ­ No 22123 ­ 2,40 € ­ France métropolitaine ­ www.lemonde.fr ―
Fondateur : Hubert Beuve­Méry ­ Directeur : Jérôme Fenoglio
Réfugiés : la Grèce au bord du chaos
▶ Des dizaines de milliers
▶ La situation est particu­
▶ Le gouvernement grec
▶ Athènes réclame 450 mil­
▶ A Calais, la police fran­
de réfugiés se retrouvent
coincés en Grèce après
la fermeture, quasi totale,
de la route des Balkans
depuis dix jours
lièrement tendue à la fron­
tière avec la Macédoine,
où des centaines
de migrants ont tenté
de forcer les barbelés
estime qu’entre 50 000
et 70 000 migrants
devraient être bloqués
en Grèce en mars,
si la situation persiste
lions d’euros d’aide à la
Commission européenne
et a entrepris la mise en
place de quatre nouveaux
camps temporaires
çaise a commencé, sous
haute tension, le démantè­
lement de la partie
sud du bidonville
Les étonnantes découvertes de la « neurobiologie » végétale
▶ Des végétaux
qui anticipent
les séismes,
des plantes
qui échangent
des informations,
d’autres qui
les mémorisent…
→ LIR E
PAGE S 2 E T 9
INDUSTRIE
AU SALON DE GENÈVE,
L’AUTOMOBILE VEUT
OUBLIER LA CRISE
→ LIR E
LE C A HIE R É CO PAGE 3
AFFAIRE DAOUD
BRUCKNER DÉNONCE
LES FATWAS
DE L’INTELLIGENTSIA
▶ Une source
d’émerveillement
autant que d’in­
terrogations pour
les scientifiques
→ LIR E
DÉ B ATS PAGE 1 2
CINÉMA
« BELGICA »,
ÉPOPÉE DANS
UN RADE DE GAND
→ LIR E
LE C A HIE R
S C IENC E & M ÉDE C INE
PAGES 4 - 5
→ LIR E
PAGE S 1 4 À 1 7
DROIT DU TRAVAIL :
LES FAUTES
DU GOUVERNEMENT
Stefano Mancuso,
promoteur de
la « neurobiologie »
végétale
à l’université
de Florence.
→ LI R E P A G E 21
MASSIMO SESTINI.
DROIT DU TRAVAIL
ANTOINE LYON-CAEN
CRITIQUE LE PROJET
DE RÉFORME
D
ans un entretien au Monde, Antoine Lyon­
Caen juge sévèrement l’avant­projet de loi
El Khomri, dont l’examen en conseil des
ministres a été repoussé de quinze jours et est dé­
sormais prévu le 24 mars. Le professeur émérite de
droit, qui a participé avec Robert Badinter à la rédac­
tion du rapport sur « les principes essentiels du droit
du travail », critique aussi bien la méthode
« brouillonne et confuse » du gouvernement dans ce
projet de réforme que le fond du texte. Il n’est pas
« en ligne avec cette volonté de rendre les textes plus
intelligibles et de ménager un espace accru au dialogue social, regrette M. Lyon­Caen. Plusieurs mesures
sont purement opportunistes, certaines ne profitent
qu’aux grandes entreprises ».
Quant au projet de barème des indemnités
prud’homales, dont les syndicats veulent l’abandon,
le juriste le trouve « injuste et inefficace ». « Des exceptions multiples sont prévues, cela va ouvrir la porte à
d’innombrables contentieux. Et substituer l’arbitraire
d’un barème obligatoire à la sagesse des juges. »
LE REGARD DE PLANTU
→ LIR E
PAGE 7
Salah Abdeslam :
les ratés des
services belges
13 NOVEMBRE 2015
La police belge avait été informée,
dès juillet 2014, un an et demi
avant les attentats de novem­
bre 2015 à Paris, des risques que
représentaient Salah et Brahim
Abdeslam. Un informateur des
services de renseignement avait
ainsi signalé à la police la volonté
des deux frères de commettre un
attentat. Un autre rapport évo­
quait, dès 2015, leurs liens avec
l’organisation Etat islamique. Ces
informations, rendues publiques
par les médias belges, relancent
le débat sur l’efficacité de l’anti­
terrorisme en Belgique.
→ LIR E
PAGE 4
Algérie 200 DA, Allemagne 2,80 €, Andorre 2,60 €, Autriche 3,00 €, Belgique 2,40 €, Cameroun 2 000 F CFA, Canada 4,75 $, Chypre 2,70 €, Côte d'Ivoire 2 000 F CFA, Danemark 32 KRD, Espagne 2,70 €, Espagne Canaries 2,90 €, Finlande 4,00 €, Gabon 2 000 F CFA, Grande-Bretagne 2,00 £, Grèce 2,80 €, Guadeloupe-Martinique 2,60 €, Guyane 3,00 €,
Hongrie 990 HUF, Irlande 2,70 €, Italie 2,70 €, Liban 6 500 LBP, Luxembourg 2,40 €, Malte 2,70 €, Maroc 15 DH, Pays-Bas 2,80 €, Portugal cont. 2,70 €, La Réunion 2,60 €, Sénégal 2 000 F CFA, Slovénie 2,70 €, Saint-Martin 3,00 €, Suisse 3,60 CHF, TOM Avion 480 XPF, Tunisie 2,80 DT, Turquie 11,50 TL, Afrique CFA autres 2 000 F CFA
2 | international
0123
MERCREDI 2 MARS 2016
Des migrants
tentent de passer
en Macédoine
près du village
grec d’Idomeni,
le 29 février.
LOUISA GOULIAMAKI/AFP
La Grèce en état d’urgence humanitaire
Des dizaines de milliers de réfugiés se retrouvent coincés après la quasi-fermeture de la route des Balkans
athènes - correspondance
E
lle est assise sur le quai et
regarde
obstinément
vers la mer et l’horizon,
pendant qu’autour d’elle
ses trois jeunes enfants s’amu­
sent à jeter des cailloux dans l’eau.
« Je ne veux pas me retourner vers
toute cette misère, ces cris, cette
crasse. Je veux que mes enfants respirent de l’air pur, au moins autant
que durera le soleil. »
Lamna Dayoub est une Syrienne
de 32 ans. Comme 2 000 autres réfugiés, principalement des Irakiens et des Syriens, elle est bloquée depuis cinq jours au port du
Pirée où les abris passagers des
portes E1, E2, E3 et E7 se sont transformés en camps d’accueil informels. Lamna Dayoub dort à l’E1, à
même le sol sur de simples couvertures. Une seule douche pour
1 200 personnes. Et quelques toi-
lettes installées à la hâte par
l’autorité portuaire. « La nuit, l’air
est saturé, les enfants hurlent, personne ne dort et les hommes nous
demandent de faire taire les petits,
mais comment faire ? » Alors, le
matin, tout le monde est à cran,
épuisé, et les bagarres pour une
pomme, un bloc à dessiner ou une
barquette de riz sont fréquentes.
« Appel aux dons »
L’Etat est absent. Seules des équipes de volontaires se relaient
pour offrir chaque jour jusqu’à
3 000 repas et des tasses de thé
chaud. Le groupe suisse Soliba
continue de cuisiner chaque jour
des soupes à base de légumes
frais. « Ils mangent tous si mal sur
la route que nous essayons de les
aider à faire le plein de vitamines »,
explique Léandra Huber, qui a
laissé pendant trois mois sa classe
de maternelle en Suisse pour
aider les réfugiés en Grèce. Le port
et la municipalité du Pirée ont
mis trois pièces à la disposition
des volontaires. Il y a ceux qui cuisinent, ceux qui trient les vêtements et ceux qui reçoivent les
donations diverses.
« Il faut des porte-bébés à la porte
E2 et du lait en poudre, qui y va ? »,
demande l’énergique Maureen,
une Canadienne installée depuis
dix ans en Grèce et qui vient chaque jour coordonner les dizaines
de volontaires qui se présentent
spontanément. « Je veux bien, répond une jeune étudiante grecque venue prêter main-forte pour
la journée. Vous avez des couches
aussi ? » Des couches, il y en a des
milliers. « Mais cela n’ira pas plus
loin que demain soir, se désole
Maureen. On a 300 bébés juste ici
à l’E1, et il y en a encore des centaines aux autres portes. Il faut faire
un appel aux dons sur Facebook. »
« Mon fichu
devoir et mon
obligation sont
que cette Europe
trouve un chemin
en commun »
ANGELA MERKEL
Débrouillardise et solidarité.
Voilà comment la population
grecque fait face au chaos qui s’est
abattu sur le pays depuis que, le
21 février, sous impulsion autrichienne, la Macédoine et d’autres
pays des Balkans ont introduit de
nouvelles restrictions aux frontières. Désormais, seuls les Syriens et les Irakiens munis de cartes d’identité sont autorisés à traverser au compte-gouttes, à rai-
Haute tension diplomatique entre Vienne et Athènes
la tension est très vive entre la Grèce
et l’Autriche. Athènes est indignée de voir
Vienne faire cavalier seul dans la gestion
de la crise migratoire et a décidé, jeudi
25 février, de rappeler son ambassadrice
pour consultation. Afin de discuter de la
« sauvegarde des relations amicales entre
les Etats et les peuples de Grèce et d’Autriche », précise le ministère grec des affaires
étrangères. Des précautions de langage diplomatiques qui ne doivent pas masquer
une véritable crispation de la relation, jusqu’ici plutôt bonne, entre les deux pays.
« Je ne comprends plus la politique des
Grecs. Il est inacceptable que la Grèce agisse
comme une agence de voyages et laisse passer tous les migrants, a expliqué dimanche
le chancelier autrichien social-démocrate,
Werner Faymann. La Grèce a accueilli
[en 2015] 11 000 demandeurs d’asile, nous
90 000. » « Nous n’avons de leçon à recevoir
de personne », a renchéri la conservatrice Johanna Mikl-Leitner, ministre de l’intérieur,
qui avait été déclarée vendredi persona non
grata par Athènes.
Le gouvernement grec a été très choqué
et déçu de constater que, malgré un conseil
européen réaffirmant la nécessité de trouver des solutions communes, cinq pays
(Autriche, Macédoine, Croatie, Slovénie et
Serbie) ont décidé seuls, lors d’une réunion
impromptue convoquée par Vienne, de
renforcer leurs contrôles. « On nous avait
donné l’assurance que le statu quo aux frontières ne serait pas modifié, au moins jusqu’au sommet Union européenne-Turquie
du 7 mars, et là, l’Autriche décide quasiment
seule d’ignorer les règles, décrypte un haut
responsable grec, et se permet de nous faire
la leçon en nous accusant de ne pas surveiller nos frontières, situées en pleine mer ! »
Décision « inamicale et honteuse »
Le premier ministre grec, Alexis Tsipras, a
très solennellement dénoncé à la tribune
du Parlement une décision « inamicale et
honteuse, violant les principes de solidarité
européenne » et qui risque de transformer
la Grèce en « entrepôt d’âmes humaines ».
Dans la foulée, le ministre chargé des questions migratoires, Yannis Mouzalas, a menacé de prendre lui aussi « des mesures
unilatérales », sans pour autant préciser
lesquelles.
Le coup de sang d’Athènes n’impressionne guère à Vienne. Sebastian Kurz, le
ministre autrichien aux affaires étrangères, particulièrement offensif envers la
Grèce ces dernières semaines, a adopté un
ton ironique pour commenter le rappel de
l’ambassadrice, estimant qu’il s’agissait
d’une bonne occasion pour le gouvernement Tsipras de « s’informer de la situation
tendue dans les pays de destination des réfugiés ». Avant d’ajouter qu’il était « beaucoup
plus confortable pour la Grèce de laisser passer les migrants que de [les] stopper ».
A part le président de la République,
Heinz Fischer, qui s’est déclaré « étonné »
que la Grèce n’ait pas été invitée à la réunion avec les pays des Balkans, aucune
voix importante ne s’est élevée au sein des
sociaux-démocrates pour critiquer la manière dont l’Autriche aura placé l’ensemble
de ses partenaires européens devant le fait
accompli. p
blaise gauquelin (à vienne)
et adéa guillot (à athènes)
son de quelques petites centaines
par jour. Tous les autres sont refoulés en Grèce. Plus de 22 000 réfugiés et migrants sont coincés
sur pratiquement tout l’est du territoire. Lundi 29 février, ils étaient
plus de 8 500 massés à Idomeni, à
la frontière gréco-macédonienne,
dans un camp prévu pour 2 000
personnes au maximum. Excédés, des centaines d’entre eux ont
tenté de forcer les barbelés, et la
police macédonienne a répondu
par des gaz lacrymogènes.
Le ministre grec aux questions
migratoires, Yannis Mouzalas, estime qu’entre 50 000 et 70 000 réfugiés devraient se retrouver bloqués en Grèce en mars si les frontières du nord ne rouvrent pas.
Pour éviter l’engorgement total à
Idomeni, l’armée a entrepris ce
week-end d’installer quatre nouveaux camps temporaires le long
de la frontière. « En fait, des milliers
de tentes pouvant à terme accueillir
jusqu’à 20 000 personnes », souligne-t-on au Haut Commissariat
aux réfugiés (HCR) qui participe à
l’élaboration de ces espaces.
En attendant que ces camps
soient prêts, l’Etat a décidé de répartir le flux en gardant plus longtemps les nouveaux arrivants
– encore plus de 2 000 chaque
jour – sur les îles. Comme à Lesbos,
en mer Egée, où plus de 3 000 personnes attendaient lundi de pouvoir prendre le ferry. A Athènes,
faute de lits dans les camps organisés, beaucoup dorment sur les places publiques ou dans les parcs. Et,
depuis lundi, les bâtiments de l’ancien aéroport de l’Elliniko, à
l’abandon depuis 2004, sont occupés. Sans douche ni sanitaire.
Des dizaines d’autocars qui se
dirigeaient vers la frontière macédonienne ont aussi été arrêtés par
la police dans plusieurs petites
villes qui n’avaient jusqu’ici jamais vu l’ombre d’un réfugié.
Comme à Trikala, dans le centre
du pays, où le maire a ouvert la semaine dernière un gymnase pour
héberger 480 personnes.
« Les habitants se sont mobilisés
pour cuisiner, collecter des vêtements, occuper les enfants, soigner
les malades, explique Christos
Prékates, un médecin volontaire
qui a en partie coordonné l’action. Finalement, lundi, une dizaine de cars sont venus les chercher pour les emmener vers les
nouveaux camps du nord. J’ai
trouvé les gens de ma ville exemplaires. Simplement, je crains que
si la situation s’enlise et que trop de
gens restent coincés, les choses dégénèrent rapidement », souligne
le docteur, qui ajoute : « Déjà à Trikala les néonazis d’Aube dorée ont
essayé de récupérer l’affaire. »
Aube Dorée, en effet, attend son
heure. « Encore quelques semaines
comme ça et on n’aura même plus
rien à dire pour que les gens se
tournent vers nous », se réjouit un
membre du parti.
« Inacceptable »
« La Grèce ne peut pas faire face
seule, affirme Boris Cheshirkov,
du HCR. La notion même de l’asile
est en train d’être détruite par une
poignée d’Etats et c’est inacceptable. » Athènes demande 450 millions d’euros à la Commission
européenne dans le cadre d’un
plan humanitaire d’urgence. Mercredi, la Commission devrait présenter des mesures d’aide d’urgence à la Grèce.
La chancelière allemande Angela
Merkel espère toujours un sursaut
collectif européen lors du Sommet européen du 7 mars consacré
aux relations avec la Turquie, dans
l’espoir de convaincre Ankara de
réduire le flux de migrants. « Mon
fichu devoir et mon obligation sont
que cette Europe trouve un chemin
en commun », a-t-elle lancé dimanche, inquiète du risque de voir « la
Grèce plonger dans le chaos ». La
Grèce, toujours en crise économique, est devenue ce qu’Alexis Tsipras redoutait tant : un « entrepôt
d’âmes » à ciel ouvert dans l’Union
européenne. p
adéa guillot
international | 3
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MERCREDI 2 MARS 2016
Bernie Sanders attaque Hillary
Clinton sur le gaz de schiste
L’énergie est au cœur des primaires dans l’Etat pétrolier du Colorado
denver (états-unis) - envoyée spéciale
L
e long de l’autoroute 1-25
qui monte de Denver à
Fort Collins, les plates-formes de forage sont en
berne. Comme l’Alaska, le Dakota
du Nord et les autres Etats producteurs d’hydrocarbures, le Colorado
souffre des répercussions de la
baisse des cours du pétrole. « Tout
le monde a été surpris par la rapidité de la chute », explique Tim
Wigley, le président de Western
Energy Alliance, un groupe de
pression qui représente 450 compagnies énergétiques. Quelque
6 000 emplois ont disparu en 2015
dans le secteur pétrolier dans le
Colorado, soit près d’un sur cinq.
La réduction des budgets d’équipements et d’investissements par les
compagnies a atteint 40 % à 50 %.
Mais les écologistes n’ont pas désarmé. Pour eux, la mise en sommeil des plates-formes est temporaire. « Les gens ont cette fausse impression de sécurité parce qu’ils ne
voient plus les puits dans leur voisinage », indique Merrily Mazza,
dont l’association, Coloradans for
Community Rights, milite pour le
droit des collectivités locales à se
prononcer sur la fracturation hydraulique (« fracking ») pour l’extraction de gaz et de pétrole de
schiste. Mais la question de la sécurité des forages n’est pas réglée.
L’énergie est au cœur de la campagne des primaires démocrates
dans le Colorado, l’un des Etats que
Bernie Sanders pourrait remporter à l’occasion du Super Tuesday
(« super-mardi ») du 1er mars, en
même temps que l’Oklahoma,
autre territoire où le fracking inquiète les habitants. Avant le scrutin, le sénateur du Vermont a diffusé une publicité, Les Gens avant
les pollueurs, qui montre des habitants enflammant leur eau du robinet avec une allumette.
Seul candidat opposé au fracking, il reproche à l’autre candidate
à l’investiture démocrate, Hillary
Clinton, d’avoir participé à une
collecte de fonds le 27 janvier à Philadelphie, au quartier général d’un
fonds spéculatif qui a des « participations majeures » dans l’industrie
pétrolière. « Tout comme je ne crois
pas qu’on puisse s’attaquer à Wall
Street tout en acceptant leur argent, explique-t-il, je ne pense pas
qu’on puisse s’attaquer au changement climatique tout en prenant
l’argent de ceux qui profiteraient de
la destruction de la planète. »
La confiance ne règne pas
Bousculée par les écologistes de
l’organisation 350.org (dont le
fondateur, Bill McKibben, s’est
rangé dans le camp de Bernie
Sanders), Mme Clinton a lâché le
4 février qu’elle était favorable à
l’interdiction du fracking sur les
terres appartenant au gouvernement fédéral. Mais la mesure ne
figure pas dans les propositions
de campagne publiées le 12 février, où elle plaide pour une
« production responsable et sans
danger du gaz naturel ». Dans le
camp Sanders, la confiance ne règne pas. « Je le croirai quand je le
verrai », réagit Merrily Mazza.
« Quand elle était secrétaire d’Etat,
elle a fait la promotion du fracking
dans le monde entier », accuse
Kaye Fissinger, qui dirige la campagne anti-fracking de Longmont,
une commune qui a approuvé
l’interdiction de la fracturation
par 60 % des voix en 2012.
La position de Mme Clinton est
proche de celle de Barack Obama :
avant de pouvoir se passer des
combustibles fossiles, les EtatsUnis doivent continuer d’exploiter leurs gisements de pétrole et
de gaz, mais en les encadrant
strictement. Les élus démocrates
du Colorado, à commencer par le
gouverneur John Hickenlooper,
qui a bu en 2013 de l’eau utilisée
pour le fracking pour faire la démonstration de son innocuité,
sont encore plus accommodants
avec l’industrie. « Les gens qui veulent faire carrière dans la politique
dans le Colorado ne peuvent se
confronter au secteur pétrolier »,
assure Merrily Mazza, conseillère
municipale de Lafayette, une
commune dont 12 des 24 puits
sont en sommeil.
« Hillary Clinton a
fait la promotion
du “fracking” dans
le monde entier »
KAYE FISSINGER
militante anti-« fracking »
En Irlande, le Sinn Fein se rêve
en premier parti d’opposition
L’ancienne aile politique de l’IRA est arrivée troisième aux législatives
londres - correspondance
Q
uatre jours après les élections législatives irlandaises du 26 février, le
blocage politique semble
complet. Alors que le dépouillement n’était pas fini dans trois circonscriptions mardi 1er mars au
matin, les deux principaux partis
qui se sont succédé au pouvoir depuis un siècle se retrouvent au
coude-à-coude. Le Fine Gael, qui
dirigeait la coalition sortante,
s’est effondré de 10 points mais
reste le premier parti, avec 49 sièges au Parlement. Le Fianna Fail,
au pouvoir jusqu’en 2011, en a 43.
Dans les deux cas, c’est très loin de
la majorité absolue, à 80 sièges.
Dans ces circonstances, mettre
sur pied une coalition sera très difficile. « Il n’y a pas la moindre
chance que ce soit résolu avant Pâques [le 27 mars] », a prédit Bertie
Ahern, un ex-premier ministre
(Fianna Fail). Une grande coalition
entre les deux partis, ou un gouvernement minoritaire du Fine
Gael avec le soutien ponctuel du
Fianna Fail, sont deux options. Les
anciens frères ennemis partagent
la même philosophie politique de
centre droit, et leurs divisions historiques commencent à être dépassées – le premier soutenait le
traité anglo-irlandais de 1921 qui a
séparé l’île entre le Nord et le Sud,
le second s’y opposait. Ils pourraient composer avec une myriade
de petits partis et de candidats indépendants, qui ont regroupé
presque 30 % des voix.
Une alliance formelle ou informelle entre les deux grands partis
ferait un heureux : le Sinn Fein.
Avec 14 % des voix et 22 sièges,
l’ancienne aile politique du
groupe paramilitaire IRA (Armée
républicaine irlandaise) sort de
cette élection comme l’incontournable troisième force du paysage politique. Si le Fianna Fail et
le Fine Gael s’allient, elle prendrait la tête de l’opposition.
Opposants à la rigueur
Il y a seulement dix ans, un tel scénario aurait été inimaginable. En
République d’Irlande, le Sinn Fein
demeurait toxique à cause de ses
liens historiques avec le terrorisme. Entre 1969 et 1998, les
« troubles » ont fait 3 500 morts, et
pas grand monde dans le Sud ne
soutenait cette violence. La paix signée avec l’accord du Vendredi
saint en 1998 a été un premier
tournant. L’IRA a accepté de déposer les armes, en échange d’un partage du pouvoir entre républicains
et unionistes en Irlande du Nord.
Depuis 2007, le Sinn Fein tient le
poste de vice-premier ministre, occupé par Martin McGuinness.
En République d’Irlande, ces gages de paix n’ont pas suffi. Aux lé-
Il y a dix ans, les
liens historiques
du Sinn Fein
avec le
terrorisme
interdisaient
ce scénario
Bernie Sanders profite de ce climat de cynisme par rapport au
Parti démocrate et à ses compromis sur les questions énergétiques
au nom du développement économique. Depuis 2012, la révolte
gronde contre la fracturation hydraulique dans le Colorado, un
Etat dont la prospérité reste en
partie liée à celle de l’industrie pétrolière (31 milliards de dollars de
rentrées en 2014, soit 28 milliards
d’euros). Quatre localités ont interdit ou imposé un moratoire sur le
fracking, en attendant d’en savoir
plus sur les produits chimiques
qui sont mélangés à l’eau et au sable pour fracturer la roche.
La Colorado Oil and Gas Association s’est pourvue en justice, et le
dossier est maintenant devant la
Cour suprême de l’Etat. Vu les frais
d’avocats, la municipalité de Lafayette a renoncé. L’industrie impute cette opposition aux nouveaux arrivants dans l’Etat et à
leurs lotissements, qui « s’étalent
de plus en plus dans le territoire historique d’extraction de pétrole »,
selon l’expression de Tim Wigley.
Elle a contre-attaqué par une campagne intensive de communication. « Un travail de quatre ans, explique le lobbyiste. Nous essayons
de cibler les cols-bleus, les “Reagan
democrats”, en leur montrant ce
qu’il y a pour eux : de meilleures
écoles, payées par les taxes de l’industrie pétrolière. » Les écologistes, eux, prévoient de ramener devant les électeurs en novembre, à
travers des référendums, la question du fracking et du droit des
communes à l’interdire. p
gislatives de 2007, le Sinn Fein ne
recueillait que 6,9 % des voix. Mais
la crise économique a changé la
donne. Le Fianna Fail, alors au pouvoir, a imposé une dure politique
d’austérité. En 2011, le Fine Gael a
pris la suite sur la même ligne.
Gerry Adams, le leader du Sinn
Fein, a su saisir l’opportunité. Il a
fait de son parti le porte-drapeau
des opposants à la rigueur, s’érigeant contre le sauvetage des banques et luttant contre la politique
économique imposée par la
« troïka » (Fonds monétaire international, Commission européenne et Banque centrale européenne). En 2011, il obtenait 14 sièges au Parlement de Dublin. Il en
décroche cette fois-ci au moins 22.
« Le Sinn Fein s’est un peu normalisé, relativise Gail McElroy, politologue à l’université Trinity College London. Mais les personnes
âgées et les classes moyennes continuent à l’éviter. » A tel point que
le Fine Gael et le Fianna Fail ont
tous les deux exclu une coalition
avec le parti de M. Adams.
Ce dernier en profite, renvoyant
dos à dos les partis des élites. « Ce
sont des partenaires naturels, ce
sont des frères siamois, ils devraient se mettre au lit ensemble »,
a-t-il déclaré. « Se retrouver comme
principal parti d’opposition serait
pour le Sinn Fein la meilleure façon
de préparer l’élection législative de
2021 », estime Mme McElroy. Il se
rapprocherait de cette manière de
son rêve politique : à défaut
d’avoir réunifié l’île irlandaise, se
retrouver au pouvoir dans le Nord
comme dans le Sud. p
eric albert
corine lesnes
ISRAËL
Un Palestinien tué par
des tirs israéliens dans
un camp de réfugiés
Un Palestinien a été tué et
dix autres blessés par des tirs
de soldats et de policiers israéliens dans le camp de réfugiés de Qalandiya, situé
près de Jérusalem, en Cisjordanie occupée, dans la nuit
de lundi 29 février à mardi
1er mars. De violents affrontements se sont produits après
qu’une Jeep de l’armée avec
deux soldats à bord est entrée par erreur dans le camp
de réfugiés durant la nuit, selon la police. Les territoires
palestiniens, Jérusalem et Israël sont en proie à des violences qui ont fait 178 morts
palestiniens et 28 israéliens
depuis le 1er octobre 2015.
– (AFP.)
R USSIE
Une femme se disant
terroriste brandit une
tête de bébé à Moscou
Une nounou qui se promenait près d’une station de
métro en brandissant la tête
coupée d’un enfant et se disant « terroriste » a été arrêtée
lundi 29 février, dans le nordouest de Moscou. Toute vêtue
de noir, cette femme extrêmement agitée « a sorti la
tête de l’enfant d’un paquet et
a marché un moment dans la
rue en criant », a raconté un
témoin. « Je déteste la démocratie. Je suis terroriste. Je veux
votre mort », a lancé
Goultchekhra Bobokoulova,
qui gardait une fillette de
4 ans et lui a coupé la tête
après avoir appris que son
mari la trompait. Cette
femme de 38 ans, originaire
d’Ouzbékistan, ex-république
soviétique d’Asie centrale à
majorité musulmane, a crié
« Allah Akbar ! » au moment
de son arrestation. – (AFP.)
4 | international
0123
MERCREDI 2 MARS 2016
Ce que savait la police belge sur les frères Abdeslam
Les enquêteurs belges auraient négligé plusieurs renseignements avant les attentats du 13 novembre à Paris
« Ces gens
ont circulé, loué
des maisons,
acheté des
détonateurs »
bruxelles - correspondant
L
es services belges ont
sans doute commis une
erreur de taille en ne donnant pas le traitement
qu’il méritait au renseignement
d’un informateur évoquant, dès
l’été 2014, un an et demi avant la
vague d’attentats du 13 novembre 2015 à Paris, la menace représentée par les frères Salah et Brahim Abdeslam. Un autre rapport
émanant de la police locale a, lui,
été classé sans suite en juin 2015,
même s’il évoquait les liens des
deux frères avec l’organisation
Etat islamique (EI) et leur intention de rejoindre la Syrie.
Ces informations devraient relancer les polémiques sur la manière dont ont été conduites les
enquêtes antiterroristes belges,
alors que Salah Abdeslam est
resté caché à Bruxelles après les
attentats. Après la RTBF, dimanche 28 février, le quotidien L’Echo
a apporté, mardi 1er mars, des éléments plus que troublants, et
peut-être décisifs. Il affirme
que la police « savait tout » au sujet des menaces d’actions violentes de la part des deux frères de
Molenbeek.
Un appel est parvenu, au mois
de juillet 2014, à la section antiterroriste de la police judiciaire fédérale. Un informateur, jugé « crédible » par les enquêteurs, a livré un
avis détaillé. Cette source, qui
semble à l’époque en lien direct
avec Salah et Brahim Abdeslam,
affirme que les deux frères « préparent un attentat » et invite les
policiers à « faire quelque chose ».
Elle ajoute que la menace est « imminente ».
Selon le témoin, les deux hommes ne cachent plus, à ce moment déjà, leur intention de s’engager dans l’action terroriste. Cela
sera démenti plus tard par le reste
de la famille Abdeslam, dont les
membres disent n’avoir jamais
rien remarqué quant à la radicalisation des frères Salah et Brahim.
La fiancée de Salah, interrogée récemment par un magazine flamand, affirme, elle aussi, n’avoir
rien noté d’alarmant.
Selon le témoin-clé, les frères
sont aussi en contact avec Abdelhamid Abaaoud. Ce dernier, est
issu du même quartier de Molenbeek. Il a rejoint la Syrie et sera,
BI R MAN I E
La désignation du futur
président avancée
d’une semaine
Les noms des candidats retenus pour briguer la présidence de la Birmanie seront
annoncés le 10 mars, avec une
semaine d’avance sur le ca-
PHILIPPE MOUREAUX
ancien maire de Molenbeek
complices impliqués dans les attentats parisiens. « Ces gens ont
circulé, loué des maisons, acheté
des détonateurs », s’étonne Philippe Moureaux, l’ancien maire
de Molenbeek, évoquant les
« failles » des enquêtes.
La maison où Salah Abdeslam s’est réfugié après les attentats du 13 novembre, à Bruxelles, le 8 janvier. DURSUN AYDEMIR/ANADOLU AGENCY
en 2015, l’un des coordinateurs
des multiples attentats de Paris,
avant d’être tué dans l’assaut contre la cache de Saint-Denis.
La diffusion de l’information
aux diverses sous-sections de la
police antiterroriste est limitée.
Le « tuyau » est toutefois ensuite
partagé par une dizaine d’enquêteurs au moins, sans, visiblement,
inquiéter outre mesure leur hiérarchie.
Aucune écoute
La police locale de la zone ouest de
Bruxelles lance, elle, une enquête
en février 2015. Sur la base, peutêtre, du renseignement qui a été
transmis six mois plus tôt, et
compte tenu de ce qu’avait révélé
le démantèlement, en janvier,
d’une cellule terroriste à Verviers.
Un groupe basé dans cette ville de
l’est du pays était en lien avec Abdelhamid Abaaoud et préparait
lendrier initialement retenu,
a annoncé, mardi 1er mars,
le président de la Chambre
haute du Parlement. Les élections législatives du 8 novembre ont vu le triomphe de la
Ligue nationale pour la démocratie (LND) d’Aung San
Suu Kyi. – (Reuters.)
des attentats qui visaient notamment la police.
Les policiers locaux rédigent un
procès-verbal le 30 janvier. Le
28 février, Salah Abdeslam est
auditionné. Son processus de radicalisation est sans doute achevé
mais il nie toute implication dans
des activités terroristes. S’il avoue
connaître Abdelhamid Abaaoud,
l’un des coordinateurs présumés
des attentats de Paris, c’est, dit-il,
parce qu’il est l’un de ses anciens
copains de son quartier.
Le parquet et la police fédérale
de Bruxelles reprennent alors le
dossier. Selon la RTBF, aucune enquête de terrain et aucune perquisition ne sont toutefois menées,
les Abdeslam n’étant pas jugés
« menaçants ». Aucune écoute
n’est pratiquée.
Le 20 mars, l’Office central d’analyse de la menace, qui fixe le niveau d’alerte et reçoit les informa-
LOI DU 2 JANVIER 1970 - DECRET
D’APPLICATION N° 72-678 DU 20
JUILLET 1972 - ARTICLES 44
QBE FRANCE, sis Cœur Défense – Tour
A – 110 esplanade du Général de Gaulle
– 92931 LA DEFENSE CEDEX (RCS
NANTERRE 414 108 708), succursale
de QBE Insurance (Europe) Limited,
Plantation Place dont le siège social est à
30 Fenchurch Street, London EC3M 3BD,
fait savoir que, la garantie financière dont
bénéficiait la :
SARL IMMOLOGIS
276 Chemin de la Valentine
13300 SALON DE PROVENCE
RCS: 484 163 498
depuis le 8 novembre 2005 pour ses activités de : GESTION IMMOBILIERE cessera de porter effet trois jours francs après
publication du présent avis. Les créances
éventuelles se rapportant à ces opérations
devront être produites dans les trois mois
de cette insertion à l’adresse de l’Établissement garant sis Cœur Défense – Tour
A – 110 esplanade du Général de Gaulle
– 92931 LA DEFENSE CEDEX Il est précisé qu’il s’agit de créances éventuelles et
que le présent avis ne préjuge en rien du
paiement ou du non-paiement des sommes
dues et ne peut en aucune façon mettre en
cause la solvabilité ou l’honorabilité de la
SARL IMMOLOGIS
LOI DU 2 JANVIER 1970 - DECRET
D’APPLICATION N° 72-678 DU 20
JUILLET 1972 - ARTICLES 44
QBE FRANCE, sis Cœur Défense – Tour A –
110 esplanade du Général de Gaulle – 92931
LA DEFENSE CEDEX (RCS NANTERRE
414 108 708), succursale de QBE Insurance
(Europe) Limited, Plantation Place dont le
siège social est à 30 Fenchurch Street, London
EC3M 3BD, fait savoir que, la garantie financière dont bénéficiait la :
SAS MOONRISE
105 rue des Couronnes
75020 PARIS - RCS: 803 110 097
depuis le 4 mars 2015 pour ses activités de :
GESTION IMMOBILIERE cessera de porter
effet trois jours francs après publication du
présent avis. Les créances éventuelles se rapportant à ces opérations devront être produites
dans les trois mois de cette insertion à l’adresse
de l’Établissement garant sis Cœur Défense –
Tour A – 110 esplanade du Général de Gaulle
– 92931 LA DEFENSE CEDEX Il est précisé
qu’il s’agit de créances éventuelles et que le
présent avis ne préjuge en rien du paiement ou
du non-paiement des sommes dues et ne peut
en aucune façon mettre en cause la solvabilité
ou l’honorabilité de la SAS MOONRISE.
Additif à l’annonce parue le 14 janvier 2016, concernant la SAS OPTIM
IMMOBILIER, La CEGC – Compagnie
Européenne de Garanties et Cautions - 16,
rue Hoche – Tour Kupla B – TSA 39999
– 92919 La Défense Cedex, accepte de
reprendre, avec tous ses effets les garanties
de QBE France et notamment de la dégager
de toute obligation résultant de ses engagements au titre de ses garanties.
prouver les renseignements de la
police locale. Le 29 juin, le parquet
fédéral classe l’affaire, soit quatre
semaines avant un voyage de l’intéressé en Grèce, où il rencontre
Ahmed Dahmani, qui aurait effectué des repérages à Paris et a été
arrêté en Turquie peu après les attentats. Au début du mois de septembre, Salah Abdeslam est en
Hongrie pour y récupérer deux
Charles Michel au Maroc pour évoquer
la lutte contre le terrorisme
Le premier ministre belge, Charles Michel, a évoqué avec ses interlocuteurs marocains, lundi 29 février, à Rabat, les moyens de
lutter contre le terrorisme et la coopération sécuritaire, les deux
pays ayant collaboré pour traquer des suspects des attentats de
Paris. En janvier, Rabat a annoncé l’arrestation d’un Belge d’origine marocaine « lié directement » aux auteurs des attentats de
Paris qui ont fait 130 morts le 13 novembre 2015 et ont été revendiqués par l’organisation Etat islamique (EI), alors que l’enquête
sur ces attaques se concentre plus que jamais en Belgique.
Un meurtrier islamiste pendu au Pakistan
L’exécution, lundi 29 février, de Mumtaz Qadri, condamné à mort pour avoir assassiné
en 2011 le gouverneur du Pendjab, a provoqué de nombreuses manifestations dans le pays
new delhi - correspondance
- CESSATIONS DE GARANTIE
tions de divers services officiels, a
cependant intégré Salah Abdeslam dans sa liste des djihadistes
potentiels. Cette liste est notamment envoyée – en juin apparemment – à la maire de Molenbeek et
au commissaire de la police locale.
Interpol en disposera également.
Etrange : le 8 mai, la police fédérale estime, quant à elle, qu’il est
apparemment impossible de
Policiers ulcérés
Pourquoi tous ces éléments n’ontils pas été pris au sérieux ? C’est la
question qui agite le monde judiciaire et le parlement. Le Comité P,
un organe de contrôle externe des
polices, au service du Parlement
fédéral, a rédigé un texte intermédiaire retraçant le fil des investigations, qui doit être débattu prochainement, à huis clos, par les députés. Le Comité P disposerait du
témoignage de policiers ulcérés
par la manière dont leur hiérarchie a traité le dossier Abdeslam.
La Sûreté de l’Etat (le renseignement intérieur) vient, elle, de détailler son travail et le juge très positif. Quant au gouvernement fédéral, il entend défendre bec et
ongles l’image et la réputation du
pays. « Montrer, à la France notamment, que l’on a peut-être
commis des bévues, ce n’est pas facile », commente, dépitée, une
source judiciaire.
Divers responsables de la police
et de la justice ont l’habitude
d’évoquer la lourdeur de leur tâche, leur manque de moyens ou la
difficulté à traiter tous les renseignements qui leur parviennent.
Interrogés lundi et mardi, certains
ne cachaient pas leur colère face
aux critiques qui ont commencé à
pleuvoir. Il reste que certains enquêteurs n’hésitent pas à affirmer
que, si les informations en possession de leur service avaient été
traitées correctement, les attentats de Paris auraient « peut-être
pu être évités ». « On a vraiment été
dans l’amateurisme le plus total »,
a rapporté l’un d’eux à L’Echo. p
jean-pierre stroobants
L
a pendaison, lundi 29 février au matin, d’un des prisonniers les plus admirés
des islamistes radicaux du Pakistan a provoqué de nombreuses
manifestations dans le pays. Mumtaz Qadri avait été salué comme
un « héros » après avoir assassiné,
en 2011, le gouverneur du Pendjab, Salman Taseer, une personnalité politique connue pour sa défense des minorités religieuses.
La volonté de M. Taseer de réformer la loi sur le blasphème, une
disposition du code pénal stipulant que toute offense au prophète Mahomet est passible de la
peine de mort, avait provoqué
l’ire des radicaux. Il avait même
rendu visite, dans sa cellule de prison, à Asia Bibi, une villageoise
chrétienne condamnée à la pendaison pour avoir enfreint cette
loi. Policier affecté à la protection
de Salman Taseer, Mumtaz Qadri
l’avait criblé de 28 balles à la sortie
d’un restaurant dans le centre
d’Islamabad, sans jamais avoir regretté son geste. Bien au contraire.
Quelques heures après sa pendaison, des centaines de personnes ont convergé vers le domicile
de sa famille à Rawalpindi, près
d’Islamabad, où a été transférée
sa dépouille. La police antiémeute, des ambulances et des dizaines de véhicules de police ont
été déployées à proximité, dans
une ambiance tendue. Certaines
écoles et routes d’Islamabad et de
Rawalpindi ont été fermées. La sécurité a aussi été renforcée à Lahore, deuxième ville du pays, et
dans la mégapole portuaire de
Karachi où des manifestants ont
bloqué des carrefours. Mardi matin, des mosquées appelaient
leurs fidèles, avec des messages
diffusés par haut-parleurs, à se
rendre aux funérailles, prévues
en fin de journée.
Mumtaz Qadri jouissait d’une
grande popularité auprès des islamistes radicaux. Lors de sa
comparution devant la Cour suprême en octobre 2015, son convoi avait été arrosé de pétales de
fleurs. Tel un saint, Mumtaz Qadri offrait ses bénédictions aux
nombreux fidèles venus lui ren-
dre visite en prison. Une mosquée d’Islamabad a même été rebaptisée à son nom.
La nouvelle de sa pendaison a
surpris de nombreux observateurs, tant Mumtaz Qadri était populaire. Faut-il y voir le signe que
les autorités pakistanaises sont
décidées à combattre l’islamisme
radical dans le pays ? Plusieurs décisions prises au cours des derniers mois laissent penser que les
groupes radicaux ne bénéficient
plus de la même bienveillance de
la part des autorités.
Loi coloniale
La Cour suprême a rappelé, tout
en confirmant la condamnation à
mort de Mumtaz Qadri, que la loi
sur le blasphème n’est pas à
« l’abri de toute critique ». Cette loi
coloniale héritée des Britanniques avait surtout été mise en
place pour prévenir les heurts entre hindous et musulmans, jusqu’à ce qu’elle soit réformée par le
dictateur islamiste Zia-ul-Haq au
début des années 1980 et devienne un outil de répression des
minorités religieuses.
Au cours des dernières semaines, le gouvernement de la province du Punjab, dirigé par le parti
de la Ligue musulmane, au pouvoir au Pakistan, a interdit les prêches dans les écoles du groupe islamiste radical Tablighi Jamaat. Le
parlement de la province a également voté une loi de protection
des droits des femmes.
La bataille que mène l’Etat contre l’islam radical sur le terrain
idéologique est encore timide. Il
suffit de constater le silence dans
lequel se sont murés les principaux responsables politiques du
pays, au lendemain de la pendaison de Mumtaz Qadri, contrairement à certaines organisations
radicales islamistes, à l’instar du
Jamaat-ud-Dawa, qui condamne
ouvertement son exécution.
« La réaction nationale à la mort
de Qadri – un cas unique en l’espèce – montre à quel point la société a dérivé des idéaux sur lesquels le Pakistan a été fondé », s’inquiète le quotidien pakistanais
Dawn dans son éditorial de
mardi. p
julien bouissou
international | 5
0123
MERCREDI 2 MARS 2016
Prêtres pédophiles: l’Eglise australienne
reconnaît avoir commis d’«énormes erreurs»
L’HISTOIRE DU JOUR
Le viol de deux Françaises
scandalise toute la Thaïlande
L’ex-archevêque de Sydney est entendu pendant trois jours par une commission d’enquête
sydney - correspondance
E
n Australie, la ville de Ballarat, dans l’Etat du Victoria,
est devenue le symbole des
ravages qu’ont pu causer des prêtres pédophiles. C’est aussi le lieu
de naissance de l’un des hommes
les plus puissants du Vatican, le
cardinal George Pell. Son ascension dans la hiérarchie catholique
a en partie démarré dans cette
ville, dans les années 1970, alors
LE CONTEXTE
LA COMMISSION
ROYALE
La Commission royale sur les
réponses institutionnelles aux
violences sexuelles contre les enfants a démarré ses travaux
en 2013, après des années de dénonciations de cas de pédophilie. Elle enquête sur des accusations de pédophilie dans les
écoles, orphelinats, clubs de
sport, établissements religieux,
etc. La commission vise à détecter des failles dans le système de
protection des enfants, afin de
faire des recommandations pour
améliorer la loi et les pratiques.
Elle ne peut pas elle-même engager de poursuites judiciaires,
mais peut alerter la police et la
justice sur des cas individuels.
que des hommes d’Eglise agressaient en toute impunité des dizaines d’enfants. Que savait-il ?
Cet homme, aujourd’hui préfet
du secrétariat pour l’économie du
Vatican, a-t-il protégé des pédophiles ? Le cardinal s’en est toujours défendu, et maintient cette
position devant la Commission
royale d’enquête australienne qui
l’interroge depuis lundi 29 février
et pendant trois jours.
« J’ai tout le soutien du pape »
François, a-t-il lâché aux journalistes, avant de démarrer la
deuxième journée d’audition,
mardi 1er mars. Cet ancien archevêque de Melbourne puis de Sydney
a reconnu que l’Eglise avait « fait
d’énormes erreurs » : « A certains
endroits et certainement en Australie, [elle] a failli et a laissé les gens
tomber. » Le cardinal Pell témoigne
en visioconférence depuis un hôtel situé près du Vatican. L’homme
de 74 ans n’a pas pu se rendre en
Australie pour des raisons de
santé, ce qui a provoqué la colère
des victimes. Mais une quinzaine
d’entre elles sont allées à Rome.
Face au cardinal Pell, se trouve
ainsi l’un des porte-parole des victimes de Ballarat, Andrew Collins.
Il a été violé par un enseignant, un
prêtre, deux moines, à 7, 11, 12 et
14 ans. Rejeté par sa famille quand
il a dénoncé ces violences, il a
tenté de se suicider quatre fois. Il y
a également Anthony Foster, dont
les deux filles ont été violées à
plusieurs reprises par un prêtre.
L’une s’est suicidée, l’autre est
« Vous avez
échoué dans votre
responsabilité
de conseiller »
GAIL FURNESS
avocate de la commission
tombée dans l’alcool et a été renversée par une voiture alors
qu’elle était ivre. Elle est depuis
gravement handicapée. Paul
Levey a aussi fait le voyage à
Rome. A 14 ans, il a été agressé
sexuellement quasiment tous les
jours : le prêtre pédophile, Gerald
Ridsdale, le faisait dormir au presbytère, au vu et au su de nombreuses personnes du diocèse, selon le témoignage de Paul Levey.
Exaspération de victimes
Ce prêtre, aujourd’hui en prison, a
agressé une cinquantaine d’enfants, dont certains étaient âgés de
4 ans, pendant plus de vingt ans.
George Pell et Gerald Ridsdale, également originaire de la ville de Ballarat, se connaissaient bien et ont
même vécu ensemble au début
des années 1970. Mais le cardinal
dément depuis des années avoir
su que Risdale était pédophile.
« Les rumeurs ne sont donc jamais
arrivées jusqu’à vous ? », a interrogé
la commission. Et le cardinal de répondre : « Non, il n’y a jamais eu de
discussion en ma présence sur
l’atroce histoire de Ridsdale. »
bangkok - correspondant en Asie du Sud-Est
L
« C’est une histoire triste qui n’avait
pas grand intérêt pour moi », a déclaré le cardinal, déclenchant
l’exaspération de victimes.
Malgré les dénonciations auprès
du diocèse, de la part de parents ou
d’autres religieux, la police n’a pas
été alertée. Gerald Ridsdale était
muté de paroisse en paroisse dès
qu’un scandale menaçait d’éclater,
ce qui lui a permis de faire davantage de victimes jusqu’aux années
1980. George Pell était alors conseiller de l’évêque qui était chargé
des affectations des prêtres, mais il
se défend d’avoir connu le motif
de ces mutations à répétition.
L’évêque savait, ainsi que plusieurs de ses conseillers. Mais pas
lui. « Et avez-vous demandé à l’évêque pourquoi ces mutations [de
Gerald Ridsdale] se poursuivaient ?
J’estime que vous avez échoué dans
votre responsabilité de conseiller si,
comme vous le dites, vous ne saviez
rien à propos de Ridsdale et que
vous n’avez pas demandé », a déclaré Gail Furness, l’avocate de la
commission, perdant patience.
Le cas d’une autre victime sera
peut-être abordé avant la fin des
auditions : celui de David Ridsdale,
le neveu de Gerald Ridsdale,
agressé dès ses 11 ans par le prêtre.
Il a affirmé en 2015 à la commission s’être confié en 1993 à George
Pell, car c’était un ami de sa famille, mais celui-ci aurait alors
tenté d’acheter son silence. Le cardinal dément vigoureusement
l’existence de cet échange. p
e soir venait de tomber, samedi 27 février, à Koh Kut, dans
le golfe de Thaïlande, une île plutôt chic située au large de
la côte cambodgienne. Un groupe de quatre Français,
deux hommes et deux femmes, marchent le long de la plage. Ils
s’apprêtent à aller dîner. Le coin est sombre et isolé.
Deux hommes les abordent, tentant tout d’abord d’engager la
conversation, ainsi que l’a rapporté, lundi 29 février, le quotidien Bangkok Post, en se fondant sur les premières informations données à la presse par la police. Puis trois autres sortent
des buissons. Les cinq se jettent sur les Françaises, respectivement âgées de 57 et 28 ans, et tentent de les kidnapper. Les deux
femmes vont être violées en réunion.
Les deux Français, des hommes de 30 et 29 ans, tentent de défendre leurs compagnes, mais sont à leur tour brutalement attaqués. L’un des deux est blessé à la tête par un coup de machette. Ses jours ne sont pas en danger et les victimes devaient être rapatriées à Bangkok mardi.
LES ATTAQUES
Les coupables n’ont pas tardé à être
DE VOYAGEURS
appréhendés : ce sont des pêcheurs
dont le bateau
SONT TRÈS MAL VUES, cambodgiens,
mouillait au large pour la nuit. Tous
âgés d’une vingtaine d’années, ils ont
TANT LE TOURISME
avoué et raconté aux enquêteurs
EST LE SEUL SUCCÈS qu’ils avaient nagé ce soir-là jusqu’au
rivage pour aller acheter de l’alcool.
DU ROYAUME
Ils ont prétendu être ivres au moment de l’assaut.
La presse thaïe a montré mardi des photos de la reconstitution du crime. On voit notamment deux hommes, l’un prenant
à la gorge un figurant pour mimer l’attaque. Plusieurs villageois
se sont alors jetés sur les coupables. La tentative de lynchage a
obligé les policiers à interrompre la reconstitution.
Les attaques contre les touristes sont particulièrement mal
vues, tant des locaux que des autorités, dans un pays sous régime militaire et à l’économie vacillante : le tourisme, qui représente 10 % du produit national brut, est désormais le seul
succès dont peut se flatter le royaume avec un record de
28 millions d’arrivées en 2015. Et cela en dépit d’un attentat à
la bombe à Bangkok qui avait fait 20 morts le 17 août 2015.
Compte tenu du nombre d’étrangers qui y voyagent, la
Thaïlande reste un pays très sûr. p
caroline taïx
bruno philip
3 OSCARS
®
D O N T
MEILLEUR RÉALISATEUR
ALEJANDRO G. IÑÁRRITU
MEILLEUR ACTEUR
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“UN CHEF-D’ŒUVRE”
LE PARISIEN
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LE FIGARO
“SUBLIME”
L’EXPRESS
“DiCAPRIO HALLUCINANT”
RTL
ACTUELLEMENT AU CINÉMA
6 | planète
0123
MERCREDI 2 MARS 2016
Drogues : l’ONU prône la fin du tout-répressif
Les Nations unies devront arrêter leur politique en avril, au cours d’une session extraordinaire
A
dieu au tout-répressif.
A sept semaines de la
tenue de la session extraordinaire de l’Assemblée générale des Nations
unies sur le problème mondial de
la drogue, le rapport de l’Organe
international de contrôle des stu­
péfiants (OICS) – une agence de
l’ONU –, publié mardi 1er mars, in­
vite les Etats à « réexaminer les politiques et pratiques ». Pour le président de l’OICS, Werner Sipp, « il
s’agit non pas d’obliger le monde à
choisir entre une action antidrogue “militarisée” et la légalisation
de l’usage de drogues à des fins
non thérapeutiques, mais plutôt
de mettre la santé physique et morale au cœur d’une politique équilibrée en matière de drogues ».
Le rapport va moins loin que celui de la Commission globale sur
la politique des drogues, rassemblant d’anciens chefs d’Etat, remis
le 9 septembre 2014 au secrétaire
général des Nations unies et qui
concluait à l’échec de quarante
ans de répression. Il procède plus
subtilement en prônant un rééquilibrage, avec des sanctions proportionnées, afin d’aller vers des
politiques accordant plus de place
au sanitaire. Dès le premier chapitre du rapport, l’OICS rappelle que
« la santé physique et morale de
l’humanité [est l’] objectif essentiel
des traités internationaux relatifs
au contrôle des drogues ».
Les trois conventions de 1961,
1971 et 1988 prévoient de conférer
le caractère d’infraction pénale au
trafic de drogue et aux infractions
connexes (blanchiment d’argent,
trafic de produits précurseurs des
drogues…). Mais des dispositions
permettent d’appliquer des mesures de traitement ou de réadaptation, en remplacement ou en complément de sanctions pénales,
dans les cas de possession, d’achat
et de culture de drogues pour une
consommation personnelle.
Prévention
« Au total, 189 Etats ont ratifié la
convention de 1988, et 170 ont
adopté une approche répressive,
mais il existe une distinction entre
ce qu’ils disent et ce qu’ils font en
pratique. Les sanctions pénales
tombent en désuétude pour les simples usagers, souligne Bernard Leroy, ancien magistrat et membre
du conseil d’administration de
l’OICS. En France, il y a 150 000 interpellations de simples usagers
LES CHIFFRES
602
nouvelles substances
Les Etats membres de l’ONU
ont signalé en 2015 l’apparition de 602 nouvelles substances psychoactives. Soit
une augmentation de 55 %
par rapport à l’année précédente, où 388 substances
avaient été déclarées.
En 2015, dix nouvelles substances psychoactives ont été
placées sous contrôle international par la commission
des stupéfiants de l’ONU
(Onucs).
600
sites Web en Europe
Selon l’Observatoire européen des drogues et des
toxicomanies, plus de 600 sites ont vendu de nouvelles
substances psychoactives
dans l’UE en 2013 et 2014.
Destruction d’un champ de pavots, en Birmanie, le 3 février. HKUN LAT/AP
La légalisation
des stupéfiants
à des fins non
médicales « n’est
pas une solution
adéquate »,
selon le rapport
par an, mais parmi ces derniers,
seulement 1 500 vont en prison. »
Plusieurs pays, comme la Chine,
le Vietnam ou l’Iran, qui pratiquaient des politiques essentiellement répressives à l’égard des usagers de drogues, ont développé la
prévention et mis en place des programmes de réduction des risques, notamment d’infection par
le VIH ou les virus des hépatites.
En Iran, le nombre de détenus usagers de drogue injectable ayant accès à un programme de méthadone est passé d’une centaine
en 2002-2003, à 25 000 en 2009. A
l’inverse, des pays comme la Russie, qui s’y refusent, continuent
d’alimenter ces épidémies.
Le rapport de l’OICS rejette la légalisation de l’utilisation des stupéfiants à des fins non médicales,
qui « n’est pas une solution adéquate pour régler les problèmes
existants ». Il préconise de proposer aux agriculteurs cultivateurs
de drogue d’autres moyens de
subsistance.
De même, l’OICS rappelle aux
Etats leur « obligation d’appliquer
des programmes efficaces de prévention de l’abus de drogues ainsi
que de traitement et de réadaptation des toxicomanes » et leur enjoint de respecter les droits de
l’homme. Il les invite à veiller à ce
que « les traitements soient fondés
sur des preuves scientifiques. Fournir des services appropriés de traitement de la toxicomanie constitue pour eux une obligation au
même titre que la lutte contre le
trafic de drogues. Le fait de ne pas
offrir de tels services peut aggraver
les conséquences sanitaires et sociales de l’abus de drogues tout en
contribuant à la demande illicite de
substances faisant l’objet d’abus ».
« Ce rapport présente un changement de tonalité, commente le
professeur Didier Jayle, titulaire de
la chaire d’addictologie au Conservatoire national des arts et métiers. Pour la première fois, il insiste
sur les droits de l’homme, l’inutilité
d’incarcérer les toxicomanes et le
devoir de les traiter dans les
meilleures conditions. C’est très important. De même que la reconnaissance de l’utilité de la réduction des effets néfastes de l’usage
de drogue – ce que nous appelons
la réduction des risques – et de la
preuve de son efficacité. La limite
est que l’OICS, qui est le gardien des
conventions sur les drogues, reste
dans le même modèle de contrôle
sur le cannabis, qui est devenu
d’usage courant. »
Le rapport met l’accent sur des
phénomènes inquiétants : les
grandes inégalités d’accès aux antalgiques majeurs (morphine et
autres opiacés) et l’explosion du
nombre de nouvelles substances,
facilitées par le développement
de la vente sur Internet.
Substances psychoactives
Près des trois quarts de la population mondiale n’ont pas accès à
des traitements antidouleur appropriés et environ 90 % de la
morphine utilisée dans le monde
est consommée dans les pays représentant moins de 20 % de la
population mondiale. En cause, le
manque de formation et l’extrême complexité administrative
pour la prescription d’antalgiques
majeurs, et les freins mis à leur
importation.
Quant aux nouvelles substances psychoactives, elles connaissent une très forte croissance :
en 2015, leur nombre s’est accru
de 55 % par rapport à l’année précédente. L’OICS estime possible
« qu’un nombre potentiellement il-
limité de produits chimiques viennent s’ajouter à ceux qui sont déjà
sous surveillance parce que liés à la
fabrication illicite de drogues soumises au contrôle international ».
Il est en effet facile, en laboratoire,
de modifier des molécules psychoactives. L’organisme onusien
précise même que « l’un des problèmes les plus importants parmi
ceux qui se posent depuis peu est
l’arrivée de produits chimiques de
remplacement non soumis à contrôle, dont les “précurseurs sur mesure”, qui permettent de contourner les contrôles », car leur « fabrication est légale au regard du cadre
juridique
international
existant ».
La session extraordinaire de l’Assemblée générale des Nations
unies sur les drogues, qui se tiendra du 19 au 21 avril, se prononcera sur le rééquilibrage défendu
dans ce rapport. Le consensus gagne du terrain, mais n’est pas encore acquis. p
paul benkimoun
Les riverains des champs sont exposés à un cocktail de pesticides
L’association Générations futures publie les résultats de tests menés dans vingt-deux logements à proximité de vignes, champs et vergers
Q
uand on voit notre voisin
agriculteur sur son tracteur traiter ses pommiers
sans protection particulière, on se dit que ça va. Mais
quand il arrive en tenue de cosmonaute, on se dépêche de faire rentrer les enfants ! » C’est ainsi que
Marie Pasquier résume la cohabitation quotidienne de sa famille
avec les arboriculteurs du Rhône,
au sud de Lyon, dont les vergers
les plus proches sont à cinq mètres de ses fenêtres. Elle dénombre « 20 épandages par saison, entre mars à septembre », qui la dissuadent d’avoir son propre jardin,
car « ce n’est pas la peine d’essayer
de cultiver des légumes bio par
ici. » Après chaque pulvérisation,
la terrasse est recouverte d’un dépôt jaune. Sa famille a toujours
vécu là, et elle a commencé à se
documenter sur la question des
pesticides après le décès de son
père, mort d’un lymphome.
La maison des Pasquier fait partie d’un panel d’habitations examinées par Générations futures.
L’association spécialisée dans le
domaine des pesticides livre,
mardi 1er mars, les résultats de
tests menés dans 22 logements situés à proximité de vignes, de cultures de céréales ou de vergers.
Les résultats sont édifiants.
En juillet 2015, les participants à
l’enquête de Générations futures
ont traqué les résidus de produits
phytosanitaires chez eux, armés
d’un aspirateur équipé d’un kit de
prélèvement fourni par le laboratoire Kudzu Science. Les analyses
qui ont suivi ont révélé qu’ils vivent dans un « bain de poussière
aux pesticides » préoccupant, selon François Veillerette et Nadine
Lauverjat, de Générations futures.
Perturbateurs endocriniens
En moyenne, 20 produits différents ont été détectés par habitation : 14 dans celles installées près
de parcelles de grandes cultures
céréalières, 23 près de vergers, 26
près de vignes. Douze sont de probables perturbateurs endocriniens. En quantité, ces molécules,
qui sont suspectées d’influencer
notre système hormonal, repré-
sentent même 98 % des échantillons : 17,3 milligrammes sur les
17,6 mg de résidus recensés par
kilo de poussière.
L’enquête confirme que les inquiétudes des riverains d’exploitations agricoles intensives sont
fondées. Ils sont bel et bien exposés à un ensemble de produits chimiques dont on connaît mal l’effet cocktail.
En plus des molécules de perméthrine qui pourraient provenir
de bombes insecticides domestiques, le laboratoire a trouvé dans
la totalité des échantillons du tebuconazole, un fongicide, et du dimethomorphe, utilisé contre le
mildiou, un champignon qui affecte les cultures. Les experts ont
aussi quantifié à plus de 90 % des
fongicides – azoxystrobine et spiroxamine –, ainsi qu’un herbicide,
le diflufenican. Ils ont décelé une
proportion importante de chlorpyrifos, un insecticide, et même
du diuron, un herbicide relevé
chez la plupart des participants
alors qu’il est interdit en France
depuis 2008. Enfin, une deuxième
Les inquiétudes
étaient fondées :
en moyenne,
20 produits
différents
ont été détectés
par habitation
série de prélèvements effectuée
en janvier 2016 montre que la concentration de ces molécules chute
fortement en hiver, après les pics
des épandages estivaux.
Sur les 61 substances actives
analysées, 39 sont des perturbateurs endocriniens potentiels.
Pour établir ce résultat, Générations futures s’est fiée au recensement établi à l’initiative de la
scientifique Theo Colborn, une référence à la matière. Il n’existe en
effet aucune liste officielle à ce
jour. Les perturbateurs endocriniens sont pourtant suspectés
d’être liés à certains cancers (pros-
tate, testicule, sein), à des perturbations du système hormonal
(obésité, diabète), de la reproduction et de la fertilité précoce chez
les filles, ainsi que des troubles de
développement du fœtus. Censée
adopter une définition précise de
ces contaminants le 14 décembre 2013 au plus tard, la Commission européenne tarde à s’exécuter. L’association espère que son
étude viendra raviver la volonté
du gouvernement français d’exiger que Bruxelles tergiverse un
peu moins sur cette question et
aboutisse enfin.
Le faible nombre d’échantillons
recueillis pourrait être opposé à
cette enquête. Elle s’explique par le
manque de moyens de l’association, répond Nadine Lauverjat.
« Voilà dix ans que nous travaillons
sur les victimes des pesticides, rapporte-t-elle. L’une d’entre elles
s’était lancée dans l’analyse des
poussières de son logement à Léognan, en Gironde. L’idée était
bonne. Nous nous sommes donc
adressés aux 400 personnes avec
lesquelles nous sommes en contact
à ce sujet, 80 ont répondu, mais
nous avons dû exercer une sélection. Question de coûts. »
Vessela Renaud, l’une des participantes de l’enquête de Générations futures, témoigne de ses difficultés à cohabiter avec des cultures céréalières en Seine-Maritime.
« Une fois, la rampe de notre voisin
agriculteur pulvérisait à 2 ou 3 mètres des enfants qui jouaient, j’ai
crié… Mais il ne voit pas où est le
problème, il répond que lui et son
père, l’ancien maire, utilisent des
pesticides depuis soixante-dix ans,
rapporte-t-elle. Alors j’écris des lettres, je prends des photos… »
En Gironde, l’inquiétude des riverains grandit. Le 1er mars, MarieLyse Bibeyran, l’une des figures
du combat sur les pesticides dans
ce département, doit remettre au
préfet une pétition, forte de plus
de 84 000 signatures, appelant à
convertir à la culture bio « toutes
les zones agricoles proches des établissements et infrastructures
sportives et culturelles accueillant
des enfants. » p
martine valo
france | 7
0123
MERCREDI 2 MARS 2016
Travail : les pistes du gouvernement
Face à la contestation qui s’étend, Matignon se donne quinze jours pour réajuster sa réforme du droit du travail
R
eculer pour ne pas sauter. Devant la contestation qui se généralise à
gauche, aussi bien sur le
front politique que syndical, l’exécutif a décidé, lundi 29 février, de
reporter la présentation en conseil
des ministres du projet de loi sur la
réforme du droit du travail. Prévue
le 9 mars, celle-ci n’aura lieu que le
24 mars. Le gouvernement se
donne ainsi deux semaines supplémentaires pour « refaire clairement le tour de tous les points d’accord et de désaccord » avec les syndicats, comme avec la majorité socialiste à l’Assemblée nationale,
explique-t-on à Matignon. Tout en
maintenant une adoption définitive du texte par le Parlement
« avant l’été », après une première
lecture par les députés en mai.
Il y avait urgence pour l’exécutif
à gagner du temps, tant le futur
projet de loi porté par la ministre
du travail, Myriam El Khomri hospitalisée mardi matin à la suite
d’un « petit malaise », a indiqué
son cabinet - prenait chaque jour
un peu plus l’allure d’un « accident
industriel », selon l’expression
d’un membre du gouvernement.
Sur les réseaux sociaux, une mobilisation exceptionnelle contre le
texte a vu le jour en très de peu de
temps. « Le phénomène est impressionnant, cela envoie un message
politique », s’inquiétait, ces derniers jours, un élu socialiste.
La menace agitée durant le weekend par la CFDT de rejoindre l’appel de l’intersyndicale à la mobilisation des salariés, ajoutée à une
contestation croissante dans le
monde étudiant et au malaise évident d’une grande partie de la majorité, ont convaincu l’exécutif
d’envoyer un signal d’apaisement.
« Dans ce genre de circonstances, il
n’y a pas beaucoup de scénarios envisageables, confie un conseiller.
Soit vous ne bougez pas, considérant que la contestation n’est pas
majeure, ce qui n’est pas tout à fait
le cas. Soit vous continuez, mais en
lâchant du lest. Soit vous redonnez
du temps à la concertation. »
Nouvelles discussions
C’est la troisième option qui a été
choisie – dès dimanche 28 février,
selon nos informations – par François Hollande et Manuel Valls. Sachant qu’elle commençait à être
très sérieusement envisagée à
partir de vendredi : la réception, la
veille, de Laurent Berger, le patron
de la CFDT, par Mme El Khomri
avait permis aux deux têtes de
l’exécutif de prendre la mesure de
la colère cédétiste. Pas question
pour les deux hommes de laisser
pourrir ce dossier, au risque de se
retrouver avec un cocktail explo-
Antoine
Lyon-Caen,
Manuel Valls,
Robert
Badinter
et Myriam
El Khomri,
lors de la
remise
du rapport
sur le droit
du travail,
le 25 janvier,
à Matignon.
JEAN-CLAUDE
COUTAUSSE/
FRENCH-POLITICS
POUR « LE MONDE »
sif, comparable à ceux qui ont
mené à l’enterrement de la réforme sur les retraites, en 1995, et à
l’abandon, en 2006, du CPE.
« Même dans les périodes où la
conflictualité est faible, quand les
secteurs de la société se mettent en
résonance, tout ça peut vite dégénérer », reconnaît une source au
sein de l’exécutif. La CGT vient
d’annoncer qu’elle se joignait à la
journée d’action du 9 mars appelée par plusieurs organisations de
jeunesse, dont certaines (MJS,
UNEF, UNL, FIDL) historiquement
proches du PS. La journée avait été
choisie par les syndicats de la SNCF
pour un appel national à la grève
sur les conditions de travail et les
salaires, tout comme par certains
d’entre eux à la RATP.
De nouvelles discussions vont
se tenir entre M. Valls, Mme El
Khomri et les partenaires sociaux, les 7 et 8 mars, de manière
bilatérale. Une réunion plénière,
avec l’ensemble des organisations
syndicales et patronales, aura lieu
durant la semaine du 14 mars. Ces
échanges doivent permettre de
« retravailler » plusieurs points,
même si le gouvernement ne s’at-
tend pas à régler tous les problèmes. « Il restera des désaccords à
l’issue des nouvelles rencontres »,
anticipe-t-on à Matignon.
Sur les droits accordés aux actifs,
« le compte personnel d’activité doit
être remusclé pour que le volet sécurisation des travailleurs apparaisse mieux dans la loi », préciset-on à Matignon. Le gouvernement se dit « prêt à bouger » sur le
forfait-jour : l’avant-projet de loi
permet aux patrons d’entreprises
de moins de 50 personnes de proposer à leurs salariés ce dispositif,
dérogatoire aux 35 heures, sans
passer par un accord collectif – ce
qui déplaît aux syndicats. Mais
l’exécutif ne compte pas transiger
sur la prédominance de la négociation d’entreprise par rapport à la
négociation de branche, un des casus belli avec la CGT et FO.
S’agissant du plafonnement des
indemnités prud’homales et des
nouvelles conditions du licenciement économique – deux chiffons rouges pour l’ensemble des
syndicats –, ces dispositions peuvent être redébattues dans leurs
modalités, mais pas sur le principe, prévient-on dans l’entourage
Côté patronal,
on commence
à froncer
les sourcils face
à de possibles
reculades
de M. Valls : « Ce sont des murs porteurs de la réforme, on ne veut pas
les remettre en cause, mais on peut
revoir certains curseurs. »
Sur les dédommagements accordés par les juges en cas licenciement abusif, les règles et les montants prévus dans l’avant-projet de
loi pourraient être reconsidérés.
Quant au licenciement économique, les discussions pourraient
porter sur le périmètre à retenir
pour apprécier les difficultés
d’une entreprise internationale :
l’Hexagone ou l’échelon européen ? Une piste qui répond à l’une
des revendications de la CFDT.
Reste que pour le gouvernement,
la voie à trouver est étroite, notamment avec la centrale cédétiste, qui
exige l’abandon du barème obliga-
toire en matière prud’homale :
« Cela contrevient aux principes généraux du droit », lance Véronique
Descacq, la numéro deux de la
CFDT. La CGC réclame aussi des
« avancées » sur d’autres thématiques (médecine du travail, fractionnement du temps de repos
quotidien…) : « Si le texte ne bouge
pas, nous n’excluons aucune forme
d’action », met en garde Carole
Couvert, la présidente de la Confédération des cadres.
Et le ralliement de certains syndicats sera sans doute impossible à
obtenir. « Le problème de fond reste
entier », juge Jean-Claude Mailly,
secrétaire général de FO, en insistant sur son désaccord total avec la
« philosophie générale » d’un texte
qui met l’accent sur le dialogue social dans les entreprises au détriment de la négociation de branche, « voire du code du travail ».
Côté patronal, on commence à
froncer les sourcils face à de possibles reculades. « J’ai peur que l’on
aboutisse à un mirage de réforme »,
confie François Asselin, président
de la CGPME. Il ne faudrait pas que
la phase de concertation « se traduise par un texte moins fort », in-
dique-t-on au Medef. L’enjeu de ce
texte est aussi politique pour le
chef de l’Etat, à quatorze mois de la
présidentielle.
Si M. Hollande maintient un caractère fortement réformiste à la
loi pour montrer qu’il agit avant
2017, il prend le risque de déclencher un mouvement social contre
lui. A l’inverse, s’il recule trop, plusieurs de ses proches redoutent
qu’il n’offre ainsi « une porte de
sortie à Valls » avant la présidentielle. Or, comme le dit un soutien
de ce dernier, « si Valls n’est plus
premier ministre dans un mois, ça
m’étonnerait qu’il parte en vacances pendant un an ». p
bertrand bissuels
et bastien bonnefous
d’après Les Trois Soeurs
de
Anton Tchekhov
un spectacle de
« La méthode retenue est brouillonne et confuse »
Christiane Jatahy
du 1er au 12 mars 2016
spectacle en portugais
surtitré en français
Antoine Lyon-Caen, membre du comité Badinter sur le droit du travail, juge sévèrement l’avant-projet de loi El Khomri
ENTRETIEN
P
rofesseur émérite de droit
du travail à l’université de
Paris-Ouest Nanterre, Antoine Lyon-Caen a participé aux
travaux du comité présidé par Robert Badinter qui a remis, le 25 janvier, un rapport sur « les principes
essentiels du droit du travail ». Il livre son avis sur l’avant-projet de
loi de Myriam El Khomri.
Que pensez-vous de la décision
du gouvernement de reporter
la présentation en conseil des
ministres du projet de loi de
Myriam El Khomri ?
Cette décision peut avoir des vertus thérapeutiques mais je pense
que le malaise est profond et
qu’elle ne réglera rien. La méthode
retenue est brouillonne, confuse
et va à rebours de la volonté, manifestée initialement par le gouvernement, de redonner confiance
dans la loi. Au départ, deux axes
ont été tracés : il s’agissait, d’une
part, de donner plus de lisibilité au
code du travail en en dégageant les
grands principes. Ce fut la mission
confiée au comité Badinter.
D’autre part, dans le sillage du rapport rendu en septembre 2015 par
Jean-Denis Combrexelle, l’objectif
était de faire plus de place à la négociation collective afin de fixer
les règles en matière de temps de
travail et d’organisation du travail.
Cette démarche est aujourd’hui
remise en cause.
Pourquoi ?
Parce qu’elle contient un nombre impressionnant de dispositions, ajoutées au dernier mo-
ment, qui ne sont pas en ligne
avec cette volonté de rendre les
textes plus intelligibles et de ménager un espace accru au dialogue
social. Plusieurs mesures sont purement opportunistes : elles visent à montrer que l’exécutif est
sensible à certaines demandes
mais ces dispositions sont unilatérales – et certaines ne profitent
qu’aux grandes entreprises. Par
exemple, celle consistant à apprécier les difficultés économiques
d’un groupe multinational, au niveau de ses filiales en France, et
non plus sur l’ensemble de ses
établissements dans le monde. Ce
dispositif est très favorable aux
grandes sociétés : si elles veulent
engager un plan social dans leur
filiale française relevant d’un secteur donné, elles n’auront plus à
se justifier sur la santé de leurs fi-
liales à l’étranger, évoluant dans le
même secteur.
Manque de clarté, dites-vous,
mais le texte cherche à en apporter en fixant un barème
obligatoire pour les indemnités prud’homales en cas de licenciement abusif…
Ce dispositif est injuste et inefficace. Injuste car le plafonnement
des dédommagements revient à
empêcher la réparation intégrale
du préjudice, alors que cette mesure porte sur la rupture du contrat de travail sans raison valable.
Inefficace car des exceptions multiples à cette règle sont prévues
– par exemple si le salarié a été
victime de harcèlement ou de
traitement discriminatoire de la
part de sa hiérarchie. Cela va
ouvrir la porte à d’innombrables
contentieux. Et substituer l’arbitraire d’un barème obligatoire à la
sagesse des juges, car les indemnités que ceux-ci accorderont ne devront pas excéder des plafonds
fixés dans la loi. C’est un acte de
défiance à leur égard.
Regrettez-vous que les recommandations du comité Badinter n’entrent pas en vigueur
avant 2018 ou 2019 ?
Le vœu émis par le comité était
que les principes, dégagés par celui-ci et déjà à l’œuvre, entrent en
vigueur dès le moment où la loi
serait promulguée. Le premier
ministre avait paru réceptif à cette
idée. Curieusement, un autre
choix a été fait. Cela ne place pas
nos préconisations sous des auspices encourageants. p
propos recueillis par b. bi.
www.colline.fr
01 44 62 52 52
de
Yana Borissova
mise en scène
Galin Stoev
du 3 mars au 2 avril 2016
8 | france
0123
MERCREDI 2 MARS 2016
Xavier Bertrand
met Pôle emploi
sous pression
En Nord-Pas-de-Calais-Picardie,
la région a lancé Proch’emploi
lille - envoyé spécial
C’
était un engagement
de campagne de Xavier Bertrand. A
peine avait-il pris ses
fonctions à la présidence de la région Nord-Pas-de-Calais-Picardie
qu’il lançait, le 5 janvier, un nouveau dispositif baptisé Proch’emploi. « Il y avait de fortes attentes.
Tout au long de la campagne, on
avait entendu des critiques très violentes vis-à-vis de Pôle Emploi, explique son directeur de cabinet,
Alexandre Brugère. Soit on passait
beaucoup de temps à concevoir le
dispositif, soit on le mettait en
place sans tarder, quitte à rectifier
en cours d’expérimentation. »
C’est la marque de fabrique de
Xavier Bertrand : l’expérimenta­
tion et le pragmatisme. Sans né­
gliger pour autant l’intérêt politique. « Proch’emploi est le symbole
de la mobilisation générale de la
région pour l’emploi », appuie
M. Brugère. Quels que soient les
interlocuteurs, ils s’accordent à
reconnaître que le dispositif Proch’emploi a pour premier avantage de rendre le conseil régional
visible et « proche des gens ». « En
termes de communication, c’est
très fort », admet une responsable
de l’ancienne majorité régionale.
Pour démarrer sans délai, la région a utilisé la plate-forme téléphonique préexistante, créée en
Picardie pour aider les administrés dans leurs démarches administratives : d’où le numéro Vert
0800-02-60-80 qui reprend les intitulés numériques des trois départements picards (Aisne, Oise,
Somme). La vingtaine d’agents affectés à cette fonction, auxquels se
sont ajoutés quinze vacataires, ont
désormais pour mission de recueillir les appels de demandeurs
d’emploi ou d’entreprises proposant un emploi. Au cours de ce premier appel, un questionnaire est
« Les services ne
peuvent pas être
les petites mains
d’une opération
politique »
BENOÎT GUITTET
secrétaire CFDT
Nord-Pas-de-Calais
renseigné. A l’issue de ce premier
entretien, l’objectif fixé par la région est qu’une date de rendezvous avec le demandeur lui soit
communiquée dans les quinze
jours et que celui-ci ait lieu, dans
une antenne proche de son domicile, dans les quinze jours suivants : soit un rendez-vous à J + 30.
La deuxième phase du dispositif
a consisté à dégager des effectifs,
au sein de la région ou dans les
structures partenaires (missions
locales, maisons de l’emploi, plates-formes de l’emploi), sur la
base du volontariat, pour conduire les entretiens. Et à installer
des antennes d’accueil dans
29 bassins de vie. A ce jour,
132 agents de la région et 70 des
organismes partenaires se sont
portés volontaires. « Cela a suscité
un véritable enthousiasme, vante
M. Brugère. Des agents nous disent : “Maintenant, je sais pourquoi je viens bosser”. » Chaque
agent a reçu une formation de
deux demi-journées et un guide
d’accompagnement.
« Pourquoi ne pas essayer ? »
Alors, quels sont les premiers résultats ? Selon les chiffres communiqués par la région, en huit
semaines d’existence, Proch’emploi a reçu 5 300 appels et 3 900
entretiens ont été réalisés. Sur ce
nombre, 1 300 personnes ont été
« orientées » vers une offre d’emploi, 1 000 vers une formation.
« Orientées », cela ne signifie pas
que cela débouche sur une embauche ou une formation. « Quelques unités, à ce stade, ont retrouvé un emploi », reconnaît Frédéric Leprêtre, le coordonnateur
de la plate-forme, qui chiffre à
« une quinzaine » le nombre de
contrats en entreprise et à « une
cinquantaine » celui des inscriptions en stage. « Nos systèmes d’information ne sont pas encore en
« La région
patronne de Pôle
emploi, moi,
je ne veux pas »
XAVIER BERTRAND
président de la région
Nord-Pas-de-Calais-Picardie
mesure de nous fournir le retour
sur qui est entré, où et quand. On
construit en marchant », admet-il.
C’est peut-être là, précisément,
que le bât blesse. La région a voulu
mettre sur pied rapidement ce
dispositif d’accueil et d’écoute.
Mais qu’en est-il, ensuite, de l’accompagnement ? Qu’apporte ce
service de plus que Pôle emploi ?
« Il y a des gens qui n’attendaient
plus rien. Pour certains, ils sont désabusés. Ils y trouvent de l’écoute.
Je ne veux faire aucune promesse,
donner aucun faux espoir mais
pourquoi ne pas essayer ? », défend M. Bertrand.
« On a du mal à comprendre ce
que va apporter de plus Proch’emploi. Qu’y a-t-il d’innovant ? Quelle
valeur ajoutée ? Que l’Etat et la région travaillent ensemble, c’est
une évidence mais, là, on est dans
une démarche où on superpose un
dispositif régional à un dispositif
national existant, s’interrogent au
contraire Perrine Mohr et Damien
Vincent, délégués CFDT à Pôle emploi Nord-Pas-de-Calais. On voit
même un service inférieur à celui
que l’on rend. Les agents de Pôle
emploi ont une expertise sur l’accueil des demandeurs d’emploi, il
faut savoir les accompagner. C’est
bien plus complexe que ce qu’on
imagine. On ne s’improvise pas
conseiller placement. S’il n’y a pas
de suivi derrière, cela peut engendrer une nouvelle frustration du
demandeur d’emploi. »
Des députés et des sénateurs ont revu la façon d’attribuer leur « dotation d’action
parlementaire », cette enveloppe autrefois opaque et mise chaque année à leur disposition
C’
Autrefois totalement opaque et
confisquée par certains élus, la
réserve est, depuis 2012, répartie
équitablement entre les parlementaires, et ne fait plus l’objet
d’injustices scandaleuses. Pour
autant, elle reste un système archaïque, aux critères d’attribution aléatoires, que beaucoup
aimeraient voir disparaître. Des
écologistes ainsi que des socialistes, comme René Dosière (Aisne),
plaident ainsi pour sa suppression, tout comme certains à
droite, tels Pierre MorelA-L’Huissier (Les Républicains,
Florian PHILIPPOT
Invité de
Mercredi 2 mars à 20h30
Emission politique présentée par Frédéric HAZIZA
Avec :
Françoise FRESSOZ, Frédéric DUMOULIN et Yaël GOOSZ
sur le canal 13 de la TNT, le câble, le satellite, l’ADSL, la téléphonie mobile, sur iPhone
et iPad. En vidéo à la demande sur www.lcpan.fr et sur Free TV Replay.
www.lcpan.fr
Lozère) ou Véronique Besse (Vendée), qui a déposé une proposition de loi en ce sens.
Mais, à l’heure où les dotations
de l’Etat aux collectivités ne cessent de baisser et où les petites
communes font face à des difficultés financières grandissantes,
d’autres avancent au contraire
que supprimer cette ligne de crédit « serait une erreur », à l’instar
de Didier Guillaume, président
du groupe socialiste au Sénat et
élu de la Drôme – les sénateurs
disposent également d’une réserve d’environ 60 millions
d’euros. Bien conscient des nécessités de réformer ce dispositif,
M. Guillaume suggère toutefois
que le montant global de la réserve parlementaire soit intégralement réorienté vers les petites
communes dans le besoin, à travers la « dotation d’équipement
des territoires ruraux » gérée par
les préfets. Une idée partagée, entre autres, par le député non inscrit Nicolas Dupont-Aignan (Essonne) ou le sénateur Eric Doligé
(LR, Loiret).
Jurys « citoyens »
En attendant, certains élus ont
déjà revu la façon d’attribuer leur
propre réserve. Ils sont ainsi quelques-uns à désormais déléguer le
choix des projets à subventionner à des jurys « citoyens » tirés au
sort. L’écologiste Isabelle Attard
(Calvados) ou les socialistes Colette Capdevielle (Pyrénées-Atlantiques) et Guillaume Garot
(Mayenne) ont notamment
choisi ce système et en rendent
compte de manière transparente
sur leur blog. Dans la Loire-Atlantique, la députée socialiste Monique Rabin a, elle, mis en place un
LES CHIFFRES
383 058
demandeurs d’emploi
sans activité en Nord-Pasde-Calais-Picardie fin janvier
Toutes catégories confondues,
le nombre de demandeurs
d’emploi dans la région s’élève
à 648 000.
47 500
demandeurs d’emploi sortis
des listes sur
les trois derniers mois
En moyenne mensuelle, 8 848
d’entre eux ont retrouvé un emploi et 4 725 ont engagé une formation. Le nombre d’offres d’emploi non pourvues sur l’ensemble
de l’année s’élève à 8 900.
5 100
agents de Pôle emploi
dans la région
Soit une moyenne de 127 demandeurs d’emploi par agent.
Proch’emploi a-t-il vocation à
devenir pérenne et à se développer ? La région, à terme, ne pourrait-elle envisager de réaliser une
OPA sur le service public de Pôle
emploi ? « Certainement pas, s’exclame Xavier Bertrand. La région
patronne de Pôle emploi, moi, je
ne veux pas. Pour ce qui est de Proch’emploi, si le dispositif fonctionne, ce n’est pas pour que ce soit
expérimental. Les seules limites,
c’est ce que la loi m’interdit de faire
et ce que mes finances m’empêchent de faire. Maintenant, je suis
lucide, je sais que je serai attendu
au tournant. » p
patrick roger
L’HISTOIRE DU JOUR
Au PS, la fronde des « aubrystes »
ne bouleverse pas les équilibres
La « réserve parlementaire »,
vieux système, nouveaux usages
est quasi devenu un
non-événement. Lundi
29 février, comme l’année dernière et la précédente, l’Assemblée nationale a mis en ligne
sur son site Internet le détail de
l’utilisation de la « dotation d’action parlementaire » des députés
pour l’année 2015. Plus connue
sous le nom de « réserve parlementaire », cette enveloppe d’environ 80 millions d’euros est mise
chaque année à disposition des députés pour qu’ils aident au financement d’associations ou de projets dans leur circonscription.
D’autant que se pose la question
du réservoir d’offres d’emplois. La
région se félicite d’avoir d’ores et
déjà réussi à mobiliser 160 entreprises et d’être en mesure de proposer « entre 400 et 500 offres ».
Pour élargir le dispositif, elle a engagé des discussions en vue d’un
partenariat avec des sites tels Le
Bon Coin ou Jobijoba, des entreprises d’intérim comme Randstad, et un conventionnement est
en cours d’élaboration avec… Pôle
Emploi pour avoir accès à ses données et pouvoir utiliser l’outil de
gestion de ses conseillers.
« Je ne suis pas en concurrence ni
en guerre avec Pôle emploi. Ce qui
m’importe, c’est le pragmatisme,
assure M. Bertrand. Je n’aurais pas
la compétence formation, je serais
illégitime. Je vais pouvoir déclencher rapidement des formations là
où il y a de l’emploi. Maintenant, je
dois muscler le dispositif pour la
partie offres d’emplois. » Reste que
ce système qualifié par la région de
« circuit court » occulte de multiples aspects dont s’occupe Pôle
Emploi, comme l’accompagnement personnalisé et l’indemnisation des demandeurs d’emploi ou
le traitement des offres d’emploi.
La démarche suscite des interrogations parmi les agents de la région. « La région, traditionnellement, est sur du “faire faire”, elle
confie l’accueil du public à des organismes extérieurs. Là, c’est la région qui prend elle-même en
charge l’accueil, note Benoît Guittet, secrétaire de la CFDT région
Nord-Pas-de-Calais. Mais quelle est
l’étape suivante ? Le dispositif ne
peut être piloté par le cabinet du
président de région. Les services ne
peuvent pas être les petites mains
d’une opération politique. La compétence région est sur la formation.
La compétence emploi, elle, est à
l’Etat. Il n’est pas possible d’avoir
deux dispositifs en parallèle. »
L
jury composé de maires de sa circonscription qui l’« aident sur les
critères de choix pour l’attribution
aux communes ».
De son côté, Jean-Jacques Urvoas – nommé ministre de la justice le 27 janvier – a lui aussi choisi
un modèle similaire en 2015, en
nommant un « jury de personnalités investies localement et sans
fonction partisane » (présidente
de l’office du tourisme, personnalités du sport ou de la culture…)
pour décider de l’attribution de sa
réserve. Après s’être réuni plusieurs fois sans sa présence, ce
jury a soumis à l’élu du Finistère
une liste de dix-sept dossiers ne
concernant que des associations,
conformément à sa demande,
qu’il a validée les yeux fermés.
Enfin, toujours dans le souhait
de dépasser les clivages partisans
et de parer à toute tentation clientéliste, deux sénateurs de la Haute-Vienne de sensibilités différentes, Jean-Marc Gabouty (UDI-UC)
et Marie-Françoise Pérol-Dumont
(PS), ont eux décidé de mettre en
commun leur réserve avec des critères d’attribution bien précis ;
seuls ont été retenus les projets de
subvention pour des communes
de moins de 5 000 habitants et
pour des dossiers non subventionnés par ailleurs. Progressivement, par petites touches, la « dotation d’action parlementaire »
avance chaque année un peu plus
vers la transparence et l’équité, au
moins dans les mentalités. Mais
tant qu’elle subsistera telle quelle,
la réserve parlementaire restera
un reliquat des pratiques d’un ancien temps, dont personne ne sait
plus vraiment ni l’origine ni la
date de création. p
e grand rassemblement réalisé en juin 2015 au congrès de
Poitiers, de Manuel Valls à Martine Aubry, a finalement
volé en éclats. Les partisans de la maire de Lille ont annoncé, lundi 29 février, qu’ils quittaient la majorité du PS, déçus
par la politique menée par le gouvernement et globalement
soutenue par la direction du parti.
Le geste est avant tout symbolique. Si les « aubrystes » revendiquent 10 membres sur les 73 qui composent le bureau national
(le gouvernement du parti), leur départ ne renverse pas les
équilibres au sein de l’instance de décision principale, le conseil
national (le parlement des socialistes). Mais cette scission est
surtout l’aboutissement d’une équation impossible, quand le
premier secrétaire, Jean-Christophe Cambadélis, avait essayé de
concilier les différents courants du PS au sein d’une même motion, pour remporter son congrès. « Nous n’avons pas de regrets,
nous savions que ça serait difficile, mais nous avons essayé de peser de l’intérieur », explique François Lamy, député de l’Essonne
et conseiller politique de Martine Aubry. In fine, les désaccords
l’ont emporté sur le reste.
Les premières tensions au sein de
la majorité du parti datent de la renLES PARTISANS
trée 2015. Le bureau national, sous la
DE LA MAIRE DE LILLE pression des aubrystes, avait voté
pendant l’été un plan de réorientaREVENDIQUENT
tion du pacte de responsabilité. Las,
devant l’inflexibilité du premier mi10 MEMBRES
nistre, M. Cambadélis avait accepté à
SUR LES 73
l’automne un compromis qui tenait
très peu compte des propositions du
QUI COMPOSENT
PS. Il y eut ensuite l’épisode de la déLE BUREAU NATIONAL chéance de nationalité, à laquelle la
maire de Lille est farouchement opposée. L’absence de position claire
du PS sur la question a semé la confusion dans la majorité du
parti. Mais c’est finalement l’avant-projet de loi El Khomri, sur
le droit du travail, qui a poussé les aubrystes à faire scission.
Pour les frondeurs, qui avaient échoué à faire alliance avec les
aubrystes au congrès de Poitiers, cette nouvelle fragilise le premier secrétaire qui, selon le député de la Nièvre Christian Paul,
n’aurait plus qu’une majorité « terriblement aléatoire ». « Les
proches de Martine Aubry sont dans la logique de leurs positions,
mais ça fait longtemps qu’ils ne votaient plus, et on a toujours eu
la majorité », rétorque M. Cambadélis.
La réunion du conseil national, en avril, où sera discutée la
position du PS sur la primaire, s’annonce mouvementée.
Idem pour les réunions hebdomadaires du bureau national,
où plus aucune majorité nette ne se dégage. « De toute façon,
ça fait longtemps qu’au bureau national on ne vote plus de choses sérieuses », ironise un dirigeant. En revanche, la venue de
Myriam El Khomri, le 7 mars, devrait donner une idée du rapport de force, rue de Solférino, sur l’épineuse question du droit
du travail. p
hélène bekmezian
nicolas chapuis
france | 9
0123
MERCREDI 2 MARS 2016
A Calais, l’évacuation de la « jungle » sous tension
Tirs de lacrymogènes, cabanes en feu : le démantèlement du bidonville a commencé lundi dans la violence
D
euxième jour d’évacuation de la « jungle » de Calais : mardi
1er mars, la destruction par la préfecture des abris de
fortune où vivent plusieurs milliers de migrants en attente d’un
passage en Grande-Bretagne, devait continuer et concerner un
nouveau périmètre. « Nous mettons en place le même dispositif que lundi et poursuivrons notre
mission les jours suivants », indiquait la préfète du Pas-de-Calais,
Fabienne Buccio, au Monde,
lundi soir. Arguant que l’Etat « offre ainsi une solution humanitaire » à chaque migrant, elle entend bien mener à terme la destruction de l’habitat précaire,
pour ne garder que 2 000 personnes, même si les images de la première journée ont suscité l’indignation.
Jet de grenades lacrymogènes,
explosions de bouteilles de gaz
dans des cabanes en feu, cris et
mouvements de foule… A partir
de 15 heures, lundi, le chaos et la
violence se sont installés dans la
partie sud du bidonville. Celle-là
même que l’Etat est en train de
démanteler puisque le tribunal
administratif y a autorisé, le
25 février, la destruction des cabanes, à l’exception des lieux de
vie collectifs.
Pierre contre gaz
Pour Maya Konforti, de l’association L’Auberge des migrants, présente dans la « jungle » depuis
8 heures du matin, la confusion
s’est installée « lorsqu’une grenade
lacrymogène tombée sur une cabane l’a enflammée ». Ensuite, le
ton est monté, des pierres ont été
lancées par des jeunes migrants et
les CRS ont riposté à coups de gaz.
Pour contrer les charges successives des policiers, et ralentir leur
avancée dans le bidonville, des
migrants ont jeté les planches de
leurs abris détruits dans les chemins et les ont enflammés.
La matinée, elle, avait été calme.
Le bouclage précoce du secteur
« Les migrants
évacués n’ont
nulle part où
aller. On va en
retrouver à errer
ici ou là »
MAYA KONFORTI
de l’association
L’Auberge des migrants
sud par plus de trente véhicules
de CRS et deux camions antiémeute a surpris le bidonville au
réveil. « Dès 8 h 30, les entrées sud
ont été filtrées. Bénévoles et journalistes se sont vu interdire l’accès,
sauf à passer par le nord », explique Maya Konforti, arrivée plus
tôt sur les lieux. Alors que la préfète, elle aussi venue sur place, explique que « seules les tentes et cabanes vides étaient détruites »,
plusieurs observateurs livrent
une version différente : « On faisait sortir les gens des abris, on
leur laissait une heure pour quitter
le lieu, puis la cabane disparaissait
à coups de pieds-de-biche, de disqueuses et d’autres outils à main. »
Les matériaux de construction
étant ensuite chargés dans des
bennes par une équipe de démolisseurs venus avec la délégation
préfectorale.
La violence de la méthode et la
lourde présence policière ont largement surpris, parce qu’elles ne
correspondaient ni à l’exigence
du tribunal d’une évacuation
« progressive », ni aux déclarations politiques de la préfète ou
du ministre de l’intérieur, Bernard Cazeneuve. Le 25 février,
après le rendu de l’ordonnance,
Fabienne Buccio avait promis de
ne pas employer la force. Elle se
donnait alors « plusieurs semaines ; un mois, peut-être plus » pour
convaincre les migrants de partir
repenser leur projet migratoire
dans un centre d’accueil. Il était
question d’attention aux personnes vulnérables, de prise en
Dans la « jungle » de Calais, lundi 29 février. PHILIPPE HUGUEN/AFP
charge des mineurs isolés.
Aujourd’hui, le ton a changé.
Mme Buccio explique sa nouvelle
stratégie par la présence, le 26 février, « de nombreux activistes extrémistes » qui « ont empêché le
bon déroulement des opérations ». « Ils ont pris à parti les maraudeurs qui tentaient de convaincre les migrants de déposer une
demande d’asile en France et ont
ensuite empêché ceux qui avaient
fait ce choix, de monter dans les
bus partant vers un des 102 centres
d’accueil et d’orientation. »
Christian Salomé, président de
L’Auberge des migrants, n’y croit
guère. Pour lui, « les politiques di-
sent une chose un jour et font le
contraire le lendemain. Sans violence, ils ne parviendront jamais à
vider le bidonville. Ils le savent et
tout est prétexte à faire venir des
forces de l’ordre. Qu’ils aient au
moins l’honnêteté de le reconnaître », insiste le président de cette
association historique.
« Opération de communication »
Lundi soir, personne ne savait où
se dirigeaient ceux qui avaient vu
leurs cabanes s’écrouler sous
leurs yeux. « Ils n’ont nulle part où
aller. On va en retrouver à errer ici
ou là », déplore Maya Konforti.
« Sur le morceau de papier qui a
Redoine Faïd, médiatique braqueur
« repenti », retrouve les assises
RAC I S ME
Le Conseil de l’Europe
inquiet de la montée du
« discours de haine »
Le procès du meurtre en 2010 d’Aurélie Fouquet, policière municipale, s’ouvre mardi
S’
il n’est pas poursuivi
pour meurtre, c’est pourtant lui le plus attendu
des neuf accusés. Mardi 1er mars,
Redoine Faïd foulera une nouvelle fois le parquet des assises.
Lui qui avoue s’inspirer des films
de gangsters pour ses propres scénarios de braquages jouera son
plus grand rôle. Et ce durant les
sept semaines du procès pour lequel il comparaît, à Paris, aux côtés de huit autres prévenus : un
braquage avorté qui s’était soldé
par la mort d’Aurélie Fouquet, une
policière municipale.
Le 20 mai 2010 à 9 h 15, un détail
attire l’attention de deux policiers en patrouille à Créteil, dans
le Val-de-Marne. Des traces d’impacts de balles sur la portière
d’une camionnette blanche. A
l’intérieur, un commando voit
alors dérailler l’objectif de sa journée : l’attaque d’un fourgon
blindé. S’engage une coursepoursuite à grand renfort de jets
d’extincteurs, de tirs de kalachnikov et de pistolets-mitrailleurs.
Les premiers policiers sont semés
mais « entiers ».
Les fuyards poursuivent leur
folle embardée et croisent la
route de policiers municipaux de
Villiers-sur-Marne. Pour l’un
d’eux, blessé lors de l’échange de
tirs, pas de doute : « Ils voulaient
tuer du flic, ça c’est clair. » Les
vingt-quatre impacts sur la carrosserie de son véhicule témoignent de la violence de la fusillade. Les appuis-tête sont criblés. Sa collègue, Aurélie Fouquet,
y perd la vie à 26 ans. Un enfant de
14 mois, sa mère.
Les membres du commando
armé accusés de la mort de la première policière municipale tuée
dans l’exercice de ses fonctions
risquent la perpétuité. Tous les
quatre ont été identifiés, mais
seuls deux seront présents au
procès : Rabia Hideur, reconnu
par un policier, et Daouda Baba,
trahi par son ADN et des marques
de brûlure. Le troisième, Olivier
Tracoulat, sera jugé en son absence. Il pourrait avoir été blessé
lors de la fusillade, et est même
vraisemblablement mort. Mais
les recherches n’ont permis de retrouver ni sa trace, ni son cadavre.
« Autodidacte du braquage »
Le dernier du quatuor, Fisal Faïd, a
été arrêté en Algérie et sera jugé
séparément. Son nom de famille
est loin d’être inconnu de la police
comme du grand public. Et pour
cause, c’est le frère du faux repenti
numéro un, petit caïd des cités devenu grand bandit : Redoine Faïd.
Redoine Faïd
reste le potentiel
cerveau de la
terrible équipée,
même s’il ne
faisait pas partie
du commando
En 2010, celui qui se présente
comme un « autodidacte du braquage » inspiré par un autre ennemi public numéro un, Mesrine,
défilait sur les plateaux télé pour
présenter son livre et son nouveau profil de repenti. Le « Doc »
était devenu « l’écrivain », un surnom donné ironiquement par les
policiers.
Mais les enquêteurs ne croient
pas à ce nouveau rôle, rendu
d’autant moins crédible après son
évasion avec explosifs et otages
de la prison de Sequedin, dans le
Nord, en 2013. Pour eux, si Redoine Faïd ne faisait certes pas
partie du commando armé qui a
tué la policière municipale, il reste
le potentiel cerveau de la terrible
équipée. Dénominateur commun
entre la plupart des accusés, il risque lui aussi la perpétuité pour,
été donné aux migrants de la zone
évacuée, était proposé ou bien de
rejoindre le centre d’accueil provisoire, composé de conteneurs, ou
bien de prendre le car à 16 heures
pour partir loin de Calais et du
rêve de passer en Grande-Bretagne, ou encore d’aller sous les tentes bleues qui sont beaucoup
moins confortables que la plupart
des maisons détruites », ajoute-telle. Seules 43 personnes sont
montées dans les bus, et la plupart ne provenaient pas de la
zone évacuée.
Après cette journée émaillée
de violences, beaucoup d’humanitaires, qui s’épuisent sur le lieu
entre autres, « récidive de tentative
de vol en bande organisée avec
usage ou menace d’armes ».
Lui continue de nier, et aucun
des témoins ni des autres mis en
examen ne le désignent. « La loi
du silence semble les gouverner »,
précise l’instruction. L’employeur
de Redoine Faïd avait ainsi affirmé dans un premier temps être
« certain » de son absence durant
une partie de cette journée du
20 mai 2010, avant d’être plus vague sur l’heure de son arrivée, et
ambigu sur de possibles pressions
lui ayant fait changer de version.
Le seul à avoir un peu desserré la
sacro-sainte omerta semble être
le premier à avoir été arrêté, le soir
du drame : Malek Khider. Une balise GPS posée, par hasard, quelques jours auparavant sur son véhicule volé, a permis de l’interpeller et de remonter jusqu’à des vidéos de surveillance semblant
confondre Redoine Faïd. Mais si
Malek Khider accepte de donner
quelques précisions aux enquêteurs, sur son rôle de poseur de
herses ou le montant du butin espéré de près de 10 millions
d’euros, il prévient dès son premier interrogatoire : il ne donnera aucun nom. Par crainte des
représailles. p
lucie soullier
La Commission européenne
contre le racisme et l’intolérance – un organe du Conseil
de l’Europe – s’inquiète, dans
un rapport publié mardi
1er mars, de l’augmentation
des discours et infractions
racistes en France, ainsi que
de leur sous-évaluation par
les autorités. Ce rapport, qui
porte sur la période 2010-mi2015, « constate une augmen-
depuis des mois à construire ces
cabanes pour apporter un peu
de confort aux exilés, avaient du
mal à calmer leur colère et
parlaient de « dégoût » face à
l’opération du jour. Julie Bonnier,
l’avocate qui avait plaidé le recours des associations et des migrants devant le tribunal de Lille,
a, elle, lu dans cette violence que
« l’acte prétendument humanitaire de l’Etat était une pure opération de communication visant à
masquer l’objectif unique de vider
ce bidonville installé par l’Etat. Au
détriment de milliers de personnes
vulnérables ». p
maryline baumard
tation importante du discours
de haine et, surtout, de la violence motivée par le racisme
et l’intolérance, ayant conduit
à plusieurs attentats meurtriers, en particulier motivés
par l’antisémitisme ». « Cette
situation est d’autant plus inquiétante qu’il existe un niveau important de sous-déclaration du crime raciste et
homo/transphobe », ajoute
ce collège d’experts indépendants, qui note que les
« Roms en particulier,
sont une cible récurrente ».
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10 | france
0123
MERCREDI 2 MARS 2016
Quand les adoptions tournent à l’échec
Selon le Quai d’Orsay, en deux ans, 2 % des enfants ont été remis par leurs parents adoptifs aux services sociaux
J
e vais te tuer ma fille parce
que tu nous pourris la vie. »
Celle qui a écrit ces mots témoigne sous un nom d’emprunt et porte une perruque
pour ne pas être reconnue. « C’est
tellement honteux d’écrire ça »,
s’excuse Judith Norman. Elle dit
être une « mauvaise mère » : c’est le
titre de son livre, paru le 10 février
(Les Liens qui libèrent, 224 p.,
17,50 euros). Elle a commencé ce
journal le jour des 32 ans de Mina,
sa fille adoptive, après une
énième scène, au cours de laquelle
la jeune femme a assommé sa
mère, aujourd’hui âgée de 68 ans.
« J’ai écrit pour ne pas mourir, ça
devenait tellement impossible, raconte-t-elle. Je voulais comprendre ce que nous avons mal fait,
pourquoi nous n’avons pas réussi à
la rendre heureuse. » « C’est un témoignage rare », observe la psychanalyste Sophie Marinopoulos,
à la tête de la maison d’édition qui
publie le récit. Il paraît au moment où la loi sur la protection de
l’enfant, qui réforme légèrement
les statuts de l’adoption, doit être
définitivement votée par l’Assemblée nationale le 1er mars.
Quand Mina est arrivée d’Ethiopie, à 13 mois, elle pesait tout juste
5 kg. Son père était mort, sa mère
l’avait abandonnée à 4 mois. « Je
me suis dit : “On va l’aimer, elle sera
notre fille, ça se fera facilement” »,
se souvient sa mère adoptive. Les
difficultés surgissent dès l’entrée
à l’école. Puis au « Je veux changer
de famille ! » de la fille de 12 ans
succède le « Salope, tu n’as fait
aucun effort pour moi ! » de la
femme de 32 ans. Dès l’adolescence, les crises de délire alternent avec les séjours en hôpital
psychiatrique et les tentatives de
suicide. Aujourd’hui, Mina a dépassé les 35 ans, mais elle harcèle
ses parents de coups de fil, multipliant les exigences.
Si son père tente de les satisfaire,
sa mère a arrêté. « La sécurité et le
confort, ajoutés à l’amour, ne sont
pas la recette miracle du bonheur,
écrit-elle. La douleur de Mina, c’est
cette vie entière pleine de points
d’interrogation. » Elle analyse les
causes de la situation : l’abandon
vécu par l’enfant, les carences du-
Iris, 22 ans, développeur-web, Tours
rant ses premiers mois, le racisme
subi en France, les parents adoptifs
culpabilisés qui ne mettent
aucune limite… Mais pas l’adoption. « Si c’était à refaire, je le referais », dit Judith Norman. Le lien
avec sa fille est indissoluble. Elle ne
s’est même pas posé la question.
D’autres l’ont fait. La mission
pour l’adoption internationale du
Quai d’Orsay a annoncé le 26 janvier qu’une quarantaine d’enfants
ont été remis par leurs parents
adoptifs à l’Aide sociale à l’enfance
(ASE) depuis deux ans, soit 2 % des
adoptions sur la période. C’est la
première fois qu’un tel chiffre est
rendu public. « Il y a certainement
de nombreux cas dont nous ne
sommes pas informés », commente Odile Roussel, ambassadrice chargée de l’adoption internationale. La France a commencé
à collecter ces données, car de plus
en plus de pays exigent un suivi
jusqu’aux 18 ans de l’enfant.
Lever le tabou
Les chiffres pour les échecs
d’adoption d’enfants nés en
France sont également inconnus.
Rien ne permet de distinguer dans
les statistiques un enfant adopté
d’un enfant biologique confié à
l’ASE. Selon certains praticiens, les
échecs représenteraient autour de
15 % des adoptions. Dans les cas les
plus graves, les enfants sont remis
CORRESPONDANCE
Une lettre
d’UBS (France) SA
A la suite de la publication de l’article « Affaire UBS : quand le contre-espionnage mettait sur la touche son agent trop curieux »
(Le Monde du 20 février), nous
avons reçu de la société UBS
(France) SA le courrier suivant :
Inscrivez-vous sur
lemonde.fr/academie
0123
« Le Monde a publié dans son édition du 20 février une série d’articles mettant gravement en cause
UBS, notamment dans un article
intitulé : « Affaire UBS : quand le
contre-espionnage mettait sur la
touche son agent trop curieux ».
Cet article se réfère aux « carnets
du lait » évoqués dans le cadre du
dossier. Depuis le premier jour de
sa mise en cause, UBS France conteste avoir contribué, de quelque
façon que ce soit, à quelque mécanique de fraude fiscale ou de
blanchiment, et elle conteste notamment que les ATA, ou l’inscription d’opérations dans ce qui
a été appelé le « carnet du lait »,
puissent correspondre à des opé-
« En parlant
des difficultés,
c’est comme si
on allait contre
la magie de
l’adoption »
CATHERINE SELLENET
psychologue
à l’ASE en vue d’une nouvelle
adoption, qui ne pourra être
qu’une adoption simple, l’adoption plénière étant irrévocable.
Mais il arrive aussi qu’ils soient
éloignés de leur famille (en pension par exemple) ou placés temporairement. « Il faut réserver le
terme d’échec aux ruptures totales,
quand les relations entre parents et
enfants ont disparu ou sont extrêmement pauvres », affirme le pédiatre Jean-Vital de Monléon.
Le sujet a longtemps été un nondit. « En parlant des difficultés, c’est
comme si on allait contre la magie
de l’adoption, analyse la psychologue Catherine Sellenet. Il faut redire que, dans la majorité des cas,
ça se passe bien. Il ne faut être ni
aveugles ni catastrophistes. »
Il reste que les exemples cités
sont terribles : tel enfant de 5 ans
remis à l’ASE au bout de trois mois
rations irrégulières. Après une enquête interne très approfondie
versée au dossier, UBS n’a cessé
de répéter que les accusations reposant sur les fameux carnets du
lait n’ont jamais eu de substance
et ces « carnets » n’ont jamais
constitué un outil de dissimulation d’opérations entre la Suisse
et la France. A ce jour, l’instruction n’a mis en évidence aucune
opération illicite, et moins encore
caractéristique de fraude fiscale
ou de blanchiment de fraude fiscale liée à un ATA ou à un comportement d’UBS France.
L’accusation n’a pu mettre en
avant (et pour cause) aucune opération traduite par les ATA constitutive d’une fraude fiscale.
La présomption d’innocence dont
bénéficie UBS France devrait donc
suffire à ce que toutes conséquences soient tirées de ce constat. La
banque s’est attachée à rapporter
toutes les preuves de son innocence, à ses frais, fardeau que ne
lui impose pas la loi, et dont
aurait dû la dispenser l’instruction. Alors que ce travail a été
conduit dans le plus grand détail,
la persistance de cette référence à
ce qui était présenté comme un
avec ses affaires dans un sac-poubelle ; tel autre renvoyé par avion
dans son pays d’origine ; de nombreux cas de rejets et de violences
réciproques à l’adolescence et à
l’âge adulte. « C’est gravissime,
d’autant plus qu’on est censé s’être
assuré des capacités des parents »,
affirme le psychiatre Pierre LévySoussan. « Pour les enfants, il est
extrêmement difficile d’accepter le
fait d’avoir été abandonné deux
fois », relève la psychologue Françoise Vallée, qui a travaillé pour
l’ASE de Loire-Atlantique.
D’où l’intérêt de lever le tabou.
« C’est de la prévention, affirme
M. Lévy-Soussan. Plus on connaît
les risques, plus on sait si on peut les
prendre. Tous les enfants ne sont
pas adoptables, tous ceux qui veulent être parents ne sont pas capables d’adopter. » Des facteurs de risques sont identifiés par les professionnels : se lancer seul, atteindre
la cinquantaine, avoir un projet à
forte dimension humanitaire…
L’attitude du pays d’accueil
compte. « Les enfants adoptés sont
regardés comme des êtres différents, regrette M. de Monléon. C’est
de la maltraitance sociétale. » L’âge
de l’enfant entre aussi en jeu. « Un
enfant qui arrive à 5 ans a un passé,
explique Nathalie Parent, présidente de l’association Enfance et
famille d’adoption. Il peut avoir vu
mourir ses parents, été recueilli
dans sa famille élargie, placé dans
un orphelinat… Il a tissé des liens. Il
va falloir faire avec. » Les mauvais
traitements, la vie dans la rue laissent des séquelles. « Certains enfants présentent de multiples troubles du comportement, observe
Mme Sellenet. On met les futurs parents en position de thérapeutes.
C’est placer la barre très haut. »
Or les deux tiers des adoptions
internationales réalisées en France
en 2015 concernent des enfants à
besoin spécifique : âgés de plus de
5 ans, en fratrie, ou atteints d’une
pathologie. Pour les parents, « le
risque le plus grand, c’est d’élargir
ses limites au-delà de ce qu’on est
capable de faire », prévient Mme Parent. Quelque 17 000 agréments
sont en cours de validité. La disproportion avec le nombre d’enfants
adoptés en 2015 est colossale : 815 à
l’international, 773 en France.
Pourtant, la loi sur la protection
de l’enfant ne réforme pas la procédure d’agrément, très largement accordé, et ne modifie que
marginalement (seules les conditions de révocation et de succession de l’adoption simple sont
concernées) des statuts jugés par
certains obsolètes. p
gaëlle dupont
fondement de l’accusation ne
peut que laisser songeur.
Les accusations portées contre
UBS AG et sa filiale française reposent principalement sur les déclarations de « lanceurs d’alertes »
auto-proclamés, notamment Bradley Birkenfeld, auquel Le Monde
consacre aussi un article. UBS
tient à rappeler que Bradley Birkenfeld a plaidé coupable en
juin 2008 pour avoir aidé des
clients américains à frauder le
fisc. La justice américaine a prononcé à son encontre une condamnation de 40 mois de prison.
Il faut également rappeler que
Raoul Weil, ancien dirigeant
d’UBS gravement mis en cause
par M. Birkenfeld, a lui été acquitté par la justice américaine.
Par ailleurs, Bradley Birkenfeld n’a
jamais eu accès au moindre dossier de client concernant la
France, comme il l’a d’ailleurs admis devant les juges d’instruction.
L’enquête menée par la justice
française porte sur une période
s’étalant de 2004 à 2012, soit pour
l’essentiel après qu’il a quitté UBS
AG en 2005. UBS s’étonne dès lors
de la crédibilité qui semble lui
être octroyée. »
enquête | 11
0123
MERCREDI 2 MARS 2016
Dans le centre
de Bujumbura,
le 27 janvier.
PHIL MOORE « POUR LE MONDE »
Au bord du chaos
jean-philippe rémy
bujumbura - envoyé spécial
A
u Belvédère, il n’y a qu’un
point de vue qui l’emporte
sur le Burundi, et c’est celui,
imprenable, dont on jouit depuis la terrasse. C’est le dernier restaurant chic de Bujumbura. Quand le jour décline, les rares
clients se serrent les coudes au comptoir du
bar, planté comme un nid d’aigle sur les hauteurs de la colline de Kiriri. Aux alentours, des
soldats montent la garde devant les vastes demeures. L’élite du pays adore cette éminence,
et son coup d’œil magistral sur la capitale burundaise, qui s’enfonce, comme apaisée,
dans la brume du soir.
Plus loin s’étend le lac Tanganyika, puis les
montagnes de la République démocratique
du Congo. Tout au fond, là-bas, se prépare,
dit-on, une rébellion dont le but serait de porter la guerre ici. On ignore si cela aura lieu.
L’espace d’un crépuscule, depuis cette colline
des notables, tout semble si beau, si calme.
Bientôt, pourtant, voici l’heure de l’attaque
de la nuit, en ville. Une poignée de détonations, des explosions sourdes. Des échanges à
la kalachnikov et parfois une grenade ou un
obus de mortier. Le son monte avec une netteté étrange vers le Belvédère. Le président,
Pierre Nkurunziza, avait assuré à la délégation du Conseil de sécurité de l’ONU venue
fin janvier au Burundi l’exhorter à mettre fin
aux violences que le pays était « en sécurité à
99 % ». Ce doit être, alors, le 1 % restant qui se
manifeste, cette nuit encore.
Chacun se livre à son évaluation balistique.
S’agit-il d’une attaque de position militaire
ou de la police ? Est-ce vers Musaga, Ngagara ?
Ou Cibitoke, à présent ? Ces quartiers où
avaient éclos les manifestations contre la
perspective d’un troisième mandat du président, en avril, sont à présent le théâtre d’affrontements nocturnes. Des insurgés qui se
réclament, de plus en plus, du mouvement
Red Tabara (Résistance pour un Etat de droit)
attaquent des positions loyalistes. Quelques
balles traçantes rouges fusent. Au Belvédère,
personne ne s’étonne. Les visages sont plongés dans la lumière blafarde des téléphones,
et de leurs nouvelles contradictoires.
EAUX DANGEREUSES
Déo, le patron, soupire. Depuis le début de la
crise, il s’est consacré à l’élaboration de sa
nouvelle carte, fusion thaïe-burundaise, a
tenté de minimiser ses pertes en réduisant le
personnel, et prié pour que tout finisse par se
tasser. Mais une forme de lent pourrissement
est à l’œuvre, qui réduit de plus en plus les espoirs. Comment mettre le doigt dessus ? En
Burundi, au pays de la peur 2|2
Alors que l’économie plonge et que les assassinats
d’opposants se multiplient, les dirigeants burundais
se radicalisent de plus en plus, allant jusqu’à une forme
d’épuration au cœur du pouvoir
apparence, la situation semble aussi immobile et immuable que le panorama.
Mais en profondeur… Quelques jours plus
tôt, un obus est tombé sur la maison de Déo,
détruisant une partie du toit. Ce n’était qu’un
tir de mortier de 60 mm, mais ceux qui ont
fait feu n’étaient qu’à quelques centaines de
mètres, dans des zones régulièrement
fouillées de fond en comble par les policiers
ou par certains des hommes en uniforme
sans insigne qui pullulent désormais dans la
capitale, notamment les membres du mouvement de jeunesse du parti au pouvoir, les
Imbonerakure.
Parfois, les insurgés de la capitale – dont
certains s’infiltrent depuis le Congo voisin ou
depuis les collines qui entourent la ville – ne
s’attaquent pas aux policiers, mais tuent des
militants du parti au pouvoir, le Conseil national pour la défense de la démocratie-Forces de défense de la démocratie (CNDD-FDD),
ou des Imbonerakure. Parallèlement, les
loyalistes raflent, torturent, exécutent. Les
frontières se brouillent. La cible des derniers
tirs de mortier était apparemment la présidence, en plein cœur de Bujumbura.
Le président ne passe plus qu’occasionnellement dans ces bureaux du centre-ville. « Le
pouvoir s’est déplacé ailleurs, et les décisions se
prennent en petit comité, avec les fidèles, les
généraux, les gouverneurs militaires, assure
une bonne source. Cela explique une forme
d’autisme. » Tout cela pourrait être considéré
comme surmontable, si un durcissement,
une dérive n’étaient à l’œuvre, dans un pays
proche de l’asphyxie économique.
En 2015, le Burundi est devenu le pays de la
planète où le produit intérieur brut (PIB) par
habitant est le plus minuscule (315 dollars, environ 290 euros). Ce, malgré une bonne récolte de café. Les hôtels sont vides, les entreprises licencient. « Jusqu’ici, le gouvernement
est arrivé à payer les fonctionnaires, on se demande comment », remarque un fin connaisseur de l’économie. Le même gouvernement
vient d’annoncer des perspectives de croissance (3,6 %) pour 2016, en contradiction avec
les calculs du Fonds monétaire international
(FMI), qui prévoit une contraction de 7 % de
CERTAINS HOMMES
D’AFFAIRES LOCAUX
QUITTENT LE PAYS
SUR LA POINTE DES
PIEDS POUR FUIR
LES DEMANDES DE
« CONTRIBUTIONS »
DU POUVOIR,
DE PLUS EN PLUS
PRESSANTES
l’économie. D’ici quelques mois, la situation
deviendra « intenable », juge cette source.
Les devises manquent, le franc burundais
est en chute libre. Certains hommes d’affaires locaux quittent le pays sur la pointe des
pieds, pour fuir les demandes de « contributions » du pouvoir, de plus en plus pressantes,
explique un membre du patronat local, qui
précise : « Ils ont reçu des menaces de gens qui
savent combien d’argent ils ont sur leurs
comptes. Il n’y a plus de neutralité : si tu restes,
il faut payer. Alors, certains préfèrent partir en
voyage… »
On n’a recensé à ce jour aucun assassinat
d’homme d’affaires, contrairement aux jeunes, étudiants, activistes, ex-leaders des manifestations ou passants malchanceux : plus
de 400 morts au cours des dix derniers mois,
et la liste s’allonge. Parallèlement, plusieurs
groupes rebelles se sont déclarés. En plus de
Red Tabara, une autre formation rebelle s’est
créée. Le Forebu (Forces républicaines du Burundi) regroupe des officiers supérieurs
ayant fait défection, avec à leur tête le général
Godefroid Niyombaré, ex-compagnon de
route du chef de l’Etat, qui a tenté de prendre
le pouvoir lors du putsch de mai 2015. Il vit
aujourd’hui en exil. On ne peut connaître
avec précision le poids de ces mouvements,
mais ils ont en commun de mélanger Hutu et
Tutsi.
Vont-ils parvenir à organiser des bases arrière dans la région, notamment au Congo ?
Vont-ils finir par attaquer le Burundi depuis
l’extérieur et tenter d’y établir des bastions ?
Le Rwanda voisin est accusé de soutenir une
partie de cette galaxie encore mal définie.
Même les Etats-Unis, alliés du pouvoir rwandais, ont demandé que le recrutement et l’appui aux rebelles cessent. Entre Burundi et
Rwanda, le ton monte dangereusement.
D’autant qu’à Kigali, on tient un raisonnement implacable : le pouvoir burundais est
accusé de collusion avec les Hutu génocidaires rwandais (regroupés dans le mouvement
des Forces démocratiques de libération du
Rwanda), pour préparer, en substance, le
massacre des Tutsi burundais. Et on ne dissimule pas que le Rwanda, dans ce cas de fi-
gure, interviendrait pour sauver ceux qui
pourraient l’être.
Pour l’heure, rien n’est venu appuyer l’existence d’un plan de cette ampleur. Mais la dégradation inexorable de la situation, sur fond
de radicalisation de l’équipe au pouvoir et
d’émergence possible de groupes armés, fait
redouter que la situation entre rapidement
dans des eaux dangereuses.
A cela s’ajoutent des recrutements de miliciens et le noyautage des chefs de colline. Les
Imbonerakure font de moins en moins figure
de « mouvement de jeunesse » et de plus en
plus de supplétifs de la répression. Habituellement prudent, le think tank International
Crisis Group vient de lancer un cri d’alarme
contre la « spirale de la violence » au Burundi
et avertit : « Les miliciens Imbonerakure prennent une place de plus en plus importante au
milieu des lignes de fracture au sein des services de sécurité. » Les observateurs redoutent
qu’un événement fortuit, tentative d’assassinat du président ou autre drame, ne mette le
feu à ce milieu explosif. Au cours des mois
écoulés, des épurations radicales ont eu lieu
dans les services de sécurité.
DE GRANDS TRAUMATISÉS
Fait important, la composante tutsi de l’armée a été peu à peu éloignée des responsabilités. Le Burundi compte environ 15 % de
Tutsi et plus de 80 % de Hutu, et le pouvoir,
comme l’armée, ont été dominés par les Tutsi
pendant plusieurs décennies. En 1993, l’élection puis l’assassinat du premier président
hutu au suffrage universel avaient déclenché
des massacres de Tutsi, puis des contre-massacres de Hutu par l’armée, constituant le début de la guerre civile. La plus importante des
rébellions hutu, le CNDD-FDD, avait émergé,
et Pierre Nkurunziza, un ex-professeur de
gymnastique, avait fini par en prendre la tête.
Ce conflit n’a pris fin, en 2005, qu’au terme
d’un long processus de paix, laissant un pays
endeuillé par plus de 200 000 victimes. La
paix était en fait la chose la plus désirée par
les Burundais. Même les ex-rebelles et les soldats se sont mélangés dans une nouvelle armée avec un enthousiasme réel. Aujourd’hui,
cette unité nationale est en train d’être détruite méthodiquement.
Après l’armée et les services de renseignement, une autre forme d’épuration a eu lieu
au cœur du pouvoir. Les « intellectuels » du
CNDD-FDD (souvent hutu) ont été écartés, au
profit des « militaires ». Ces derniers commandaient au temps de la guerre civile,
quand le parti n’était qu’une rébellion. La plupart d’entre eux sont généraux, et ce groupe
est désormais en guerre. Contre les manifestants ; contre les pays occidentaux soupçonnés de conspirer pour les chasser ; contre les
membres de leur parti qui ont osé remettre
en cause le choix de Pierre Nkurunziza
comme candidat aux dernières élections ; et
enfin, contre les Tutsi, soupçonnés de vouloir
éternellement garder leur emprise.
Ce groupe dirigeant radicalisé a repris le
combat, comme au temps de la guerre civile,
mais avec les moyens de l’Etat, cette fois. Or
une grande partie des responsables de premier plan qui entourent le président ont été
les victimes des massacres commis par l’expouvoir tutsi, la plupart touchés par l’exécution du « génocide sélectif » des Hutu de 1972.
Parmi ces « orphelins de 1972 », dont les parents ont été massacrés, il y a le président,
Pierre Nkurunziza, dont le père, Eustache
Ngabisha, était député.
Les hommes du pouvoir burundais sont à
l’image du pays. Ce sont, eux aussi, de grands
traumatisés. Depuis le retour à la paix, il y a
dix ans, cette question avait été éludée. Elle
émerge à nouveau, comme un retour du refoulé des grands crimes nationaux. Un exemple ? Le général-major Evariste Ndayishimiye,
de son nom de guerre « Never », a été à deux
doigts de se faire tuer à l’université par ses
condisciples, extrémistes tutsi, en 1995. Il a
fui à temps, rejoignant le CNDD-FDD. En représailles, on a tué une partie de sa famille.
Aujourd’hui, il est chef du cabinet civil à la
présidence, l’un des hommes qui comptent
autour de Pierre Nkurunziza. Ce dernier, dont
une partie de la famille est tutsi, a toutefois
affirmé à la délégation du Conseil de sécurité
de l’ONU : « Je vous garantis qu’il n’y aura plus
de génocide au Burundi. » p
12 | débats
0123
MERCREDI 2 MARS 2016
Parce qu’une tribune collective de spécialistes du monde musulman
lui a reproché son « islamophobie », l’écrivain algérien a décidé de se
retirer du journalisme. Attaque indigne ou légitime controverse ?
Peut-on critiquer Kamel Daoud ?
Faire croire à un choc des cultures, Défendons les libres-penseurs
contre les fatwas de l’intelligentsia
voilà la vraie défaite du débat
Il est normal, dans la vie
démocratique, de critiquer un
auteur qui, malgré son indéniable
courage, véhicule une vision
culturaliste de la violence sexuelle
par jocelyne dakhlia
R
ésumons les trois termes d’une polémique
en cours : les islamistes défendent l’idée que
leur culture (religion) est spécifique et doit
être défendue et même imposée au reste de la société. Kamel Daoud défend la même idée que cette
culture (religion) est spécifique, mais qu’elle doit être
réformée et même combattue. Nous (chercheurs en
sciences sociales ayant signé un texte critique d’une
tribune de Kamel Daoud) saluons le courage de
l’auteur dans son opposition à ses adversaires islamistes, mais défendons l’idée que le problème n’est
pas dans la culture (religion) et doit être cherché
ailleurs. C’est de notre part, et de ma part en tout cas,
un positionnement intellectuel et scientifique, et
c’est aussi un positionnement politique.
Les réactions hystériques et complètement disproportionnées suscitées par notre critique de Kamel
Daoud ne peuvent s’expliquer que par le contexte
politique post-attentats et le besoin frénétique de
s’unir autour d’une figure de la résistance. Tel est assurément Kamel Daoud, mais avoir été en butte aux
attaques d’islamistes ne lui confère en rien une immunité prophétique de la parole à propos de tout.
Nous sommes tous comptables de nos écrits. Un personnage public doit s’attendre à répondre à des objections ou à des critiques et il est surprenant qu’un
homme qui a su tenir tête si longtemps aux islamistes, et dont j’ai personnellement admiré les chroniques algériennes, qu’un homme de sa stature morale, se retire sur l’Aventin après deux textes critiques. Quant à parler de fatwa à propos de ces deux
textes, de censure ou d’hallali, c’est d’un ridicule qui
ne mérite même pas commentaire. Le débat d’idées
est légitime, et, contrairement à ce que l’on pense
souvent en France, il est aussi pratiqué en Algérie.
Lorsque l’on s’adresse au monde entier, lorsque l’on
publie dans La Repubblica, Le Monde ou le New York
Times, on peut et on doit s’attendre à être interpellé
sur ses idées. Je déplore en tout cas sa décision quant
à la fin de sa carrière journalistique, car, dans un moment où les positions politiques s’aiguisent dans
l’adversité, il a toute sa place dans le débat en cours.
Ladite place n’est d’ailleurs pas singulière. Un certain
nombre d’intellectuels musulmans appellent à une
réforme de l’islam, et occupent plus largement, face
aux sociétés islamiques ou en leur sein, une position
critique assez analogue à celle d’Alain Finkielkraut,
par exemple, lorsqu’il déplore le déclin de la France et
de ses valeurs et déploie une lecture foncièrement
pessimiste du présent.
Ce courant de pensée quasi houellebecquien interne à l’islam a sa légitimité. Mieux encore, des musulmans, sur cette même base critique, se déclarent
aujourd’hui athées, se vivent comme athées, ou encore se convertissent à d’autres religions. C’est de
mon point de vue un droit absolu et ce phénomène,
de toute façon, nous intéresse et retient notre intérêt
en tant que chercheurs. Pour autant, je ne partage ni
les idées de Houellebecq, ni celles de Finkielkraut, ni
celles de Kamel Daoud, et c’est aussi mon droit absolu. Que ces idées favorisent l’islamophobie, c’est
une évidence, un truisme, mais la problématique
même de l’islamophobie ou -philie ne m’intéresse
pas. Tout cela renvoie à de l’affect, aux affects (et on
ne l’observe que trop), or ce qui m’intéresse est la justice et l’égalité de traitement pour tous et toutes.
Le problème du texte sur les fantasmes de Cologne
(Le Monde du 5 février) est qu’il n’était pas un texte
littéraire ni un texte général d’idées, mais une tribune à partir de faits bien concrets ; des faits obscurs
dans leur déroulement, leurs acteurs, et des faits de
surcroît en cours d’instrumentalisation par l’extrême droite et par la police, ainsi que par des partis
politiques. En tant que journaliste comme en tant
que chercheur, l’éthique professionnelle dans ce contexte imposerait de commencer par se demander :
qui dit quoi ? où ? à qui ? dans quelles circonstances ?
En admettant que l’auteur se fiche que son propos
soit instrumentalisable, car sa parole est libre, cette
déontologie journalistique imposerait aussi de s’enquérir du témoignage des principaux concernés et
des principales concernées. Or les « réfugiés » et les
« immigrés » sont d’emblée et globalement assimilés
à des violeurs en puissance du fait de leur culture-religion, les musulmans de Cologne sont assimilés aux
islamistes d’Alger, et Daoud reprend une autocitation, un extrait de texte ayant été rédigé depuis plusieurs années. Amalgames (réfugiés, Arabes, musulmans), confusion et lecture fragile ou discutable…
En effet, un nouveau développement risque de
mettre à mal cette lecture culturaliste de la violence
sexuelle. A Cologne, des femmes réfugiées déposent
plainte aujourd’hui contre les gardiens d’un camp
de migrants qui se livrent sur elles à un harcèlement
sexuel et les filment sous la douche ou en train d’allaiter. Où est la place de la culture dans ce nouvel
épisode de violence faite aux femmes ? Va-t-on nous
dire que leur culture musulmane les assigne à la passivité et donc rend possible un tel abus de pouvoir ?
L’explication de la violence sexuelle par la culture
n’est-elle valable qu’avec des hommes musulmans ?
En tant que femme, je veux pouvoir dénoncer les
violences faites aux femmes et l’instrumentalisation du corps des femmes à des fins politiques sans
basculer dans le racisme ou le culturalisme de bon
aloi qui en est le masque ou l’alibi.
CLICHÉS
Outre les clichés orientalistes de l’hypersexualité
des musulmans, Kamel Daoud, notamment avec
son texte sur la misère sexuelle paru dans le
New York Times, a curieusement ressuscité et marié
ensemble deux images de l’immigré maghrébin qui
se répondaient au cours des années 1960 et 1970.
L’image compassionnelle et quelque peu misérabiliste de l’immigré enfermé dans « la plus haute des
solitudes » (selon le titre d’une thèse de psychologie
soutenue et publiée par Tahar Ben Jelloun), privé de
vie affective et sexuelle, s’opposait au cliché de l’Algérien violeur issu de la guerre d’Algérie et qui a tristement marqué l’histoire française des « trente glorieuses ». No excuse, absolument.
Des hommes, quelle que soit leur nationalité, ont
commis des viols et des agressions sexuelles contre
des femmes à Cologne, ou ailleurs. Le discrédit de la
parole universitaire comme parole de l’excuse fait
rage, mais non : comprendre, ce n’est pas excuser.
Expliquer n’est pas absoudre. La population des réfugiés compte comme toute population son lot de sales types et il n’y a pas lieu de demander aux étrangers d’être meilleurs que nous ne le sommes.
Mais, si des faits doivent être analysés et si des politiques doivent être mises en œuvre, ce doit être sur la
base d’une intelligence des acteurs eux-mêmes, ici et
maintenant. Qui donne une chance de s’exprimer sur
ces questions aux réfugiés de Cologne ou d’ailleurs ?
Qui pourra expliquer à Kamel Daoud que de jeunes
musulmans et musulmanes (ou Arabes, ou Turcs, ou
Amazighs…) en Allemagne, aux Pays-Bas, en France
mais aussi en Algérie, ne se reconnaissent pas nécessairement dans ce portrait de frustrés sexuels qu’il
trace d’eux ? Je ne souhaite certainement pas que ces
jeunes l’invitent à se taire, mais il est prévisible qu’ils
exprimeront de plus en plus un point de vue fermement critique face à ce type d’analyses qui les réifie.
Et peut-être certains de ces jeunes ont-ils aussi envie que l’on tienne un peu moins systématiquement un discours dénonciateur et accusateur, attendu et bien-pensant (car la bien-pensance n’est
pas où l’on croit), et que l’on mette un peu plus en lumière les facteurs de changement, les dynamiques
et les forces vives qui font aussi leur quotidien, en
Algérie comme ailleurs. C’est à l’émergence de ces
forces nouvelles qu’il faut être attentif aujourd’hui.
Le choc des civilisations nous a menés dans le mur.
Il a débouché sur le djihadisme, le terrorisme et la
guerre : comment imaginer pire ? Il s’agit maintenant d’en sortir et ce n’est pas en s’enferrant ou en
s’enfermant dans l’idée réitérée d’un choc des cultures que l’on va trouver l’apaisement et restaurer
plus de concorde sociale et politique. p
¶
Jocelyne Dakhlia est directrice d’études à l’Ecole des
hautes études en sciences sociales. Historienne et anthropologue franco-tunisienne, elle a notamment publié
« L’Empire des passions. L’arbitraire politique en islam »
(Aubier, 2005), « Islamicités » (PUF, 2005), « Tunisie, le pays
sans bruit » (Actes Sud, 2011). Elle est cosignataire du
texte collectif, « Les fantasmes de Kamel Daoud », paru
dans « Le Monde » du 12 février
Au nom d’un antiracisme
de pacotille, on veut faire taire
une voix d’Algérie qui s’en prend
au machisme de musulmans
qui ont agressé des femmes
à Cologne, le 31 décembre 2015
par pascal bruckner
C
omment faire taire une voix originale ?
Par deux moyens : la menace physique,
d’un côté, le discrédit moral, de l’autre. La
première appuie le second. C’est ce qui se passe
avec l’écrivain Kamel Daoud : en Algérie, un
imam salafiste a prononcé une fatwa contre lui
en 2015, qui réclame son exécution. A Paris, un
collectif d’historiens et de sociologues, dans une
pétition dans Le Monde du 12 février, l’accuse, à
propos de sa lecture des événements de Cologne
– les agressions sexuelles du 31 décembre 2015 –,
de véhiculer des « clichés islamophobes ».
Il évoquait en effet, dans une tribune parue
dans Le Monde du 5 février, le rapport pathologique à la sexualité de nombreux pays d’islam
et le choc culturel d’un certain nombre de jeunes gens issus du Maghreb, face à des femmes
qui se promènent en liberté dans la rue. Il n’est
pas le premier à proposer une telle lecture : de
Tahar Ben Jelloun à Fethi Benslama, nombreux
sont les écrivains ou psychanalystes originaires
d’Afrique du Nord à avoir mis en lumière la misère sexuelle, la relégation des femmes, l’interdit de l’homosexualité dans le monde arabe.
Mais Kamel Daoud est le seul à avoir appliqué
cette analyse aux événements de Cologne. Il ne
s’agit pas ici, pour les pétitionnaires, d’exprimer
leur désaccord ou de nuancer le point de vue de
Daoud – lequel a décidé, à la suite de cette pétition, de se retirer du débat public. Il s’agit de lui
fermer la bouche en l’accusant de racisme.
Avec cette pétition, on n’est pas dans le débat
intellectuel, parfaitement légitime, mais dans la
démonologie. Les faits qui se sont produits à Cologne seraient tellement graves qu’il ne faut pas
en parler. D’ailleurs, les pétitionnaires n’ont
rien à en dire : sinon qu’il ne faut rien en dire
sous peine de tomber « dans la banalisation des
discours racistes ».
Une sorte d’interdit pèse sur l’interprétation,
dès lors qu’il s’agit de personnes qui viennent du
Proche-Orient ou d’Afrique du Nord. Incroyable
retournement caractéristique de toute une gauche multiculturelle : l’antiracisme est plus important, désormais, que le viol ; le respect des cultures que le respect des personnes. Après tout, les
Allemandes n’avaient qu’à se tenir à « une certaine distance plus longue que le bras » des hommes qui les côtoyaient, comme l’a recommandé
la maire sans étiquette de Cologne, Henriette Reker, à la suite des agressions de la Saint-Sylvestre.
CHANTAGE
Voilà, donc, le terme « d’islamophobie », ce mot
du vocabulaire colonial du XIXe siècle, transformé en arme de guerre idéologique par les
mollahs de Téhéran en 1979, à nouveau utilisé
comme instrument de censure. Que signifie ce
vocable ? Que toute critique de l’islam est raciste. Car la religion du Prophète, seule entre
toutes, est intouchable : on a le droit de critiquer
le christianisme, le judaïsme, le bouddhisme,
l’hindouisme, on peut piétiner le pape, les rabbins, le dalaï-lama, mais pas l’islam, drapé dans
le manteau du réprouvé.
Nous ne devons surtout pas l’évaluer avec nos
critères occidentaux, mais lui réserver la clause
de la religion la plus défavorisée et lui passer
tous ses égarements. Avec l’affaire Daoud, nous
assistons à la réédition de ce qui s’était déjà
passé avec Salman Rushdie, en 1989 : la fabrication planétaire d’un nouveau délit d’opinion
analogue à ce qui se faisait, jadis, en Union soviétique contre les ennemis du peuple.
Il s’agit d’imposer le silence à ceux des intellectuels ou religieux musulmans, hommes ou
femmes, qui osent critiquer leur propre confession, dénoncer l’intégrisme, en appeler à une réforme théologique, à l’égalité entre les sexes.
Il faut donc – ces renégats, ces félons – les dési-
gner à la vindicte de leurs coreligionnaires, les
dire imprégnés d’idéologie coloniale ou impérialiste pour bloquer tout espoir d’une mutation en terre d’islam, avec l’onction de « spécialistes » dûment accrédités auprès des médias et
des pouvoirs publics.
Et l’on voit que, derrière Kamel Daoud, c’est
toute la nébuleuse critique de l’intelligentsia
franco-maghrébine qui est visée par les pétitionnaires, notamment Rachid Boudjedra et
Boualem Sansal, eux aussi dans le viseur de nos
inquisiteurs. Cette rhétorique n’est pas nouvelle : c’était déjà le chantage auquel était soumise, par la vieille garde stalinienne, la gauche
non communiste, quand il s’agissait d’évaluer le
bilan de l’URSS. A l’époque, il ne fallait pas faire
le jeu des impérialistes. Sous les oripeaux nouveaux, une vieille rengaine. Mais, une fois l’accusation d’« islamophobie » tombée sur vous,
elle prend le poids d’une excommunication.
Le crime de Kamel Daoud est d’être un apostat
et un traître. Il est fautif d’avoir trahi son camp et
d’avoir osé dire que la culture européenne est
aussi celle de l’émancipation. Ce qui est autorisé à
l’intellectuel occidental, se désolidariser de ses
racines, ne l’est pas à l’intellectuel maghrébin,
contraint de faire corps avec sa civilisation d’origine et de réserver ses flèches à l’Europe maudite.
CRIME DE LÈSE-MAJESTÉ
Il y a quelques années, la députée néerlandaise
d’origine somalienne du Parti populaire libéral
et démocrate, Ayaan Hirsi Ali, avait été accusée
par un certain nombre d’intellectuels anglosaxons « d’intégrisme laïque », parce qu’elle se
permettait de critiquer le machisme musulman, critique qui lui a valu une condamnation à
mort et l’a contrainte à s’exiler aux Etats-Unis.
Elle avait eu le tort indigne, aux yeux de nos
bons esprits, de ne pas rester enracinée dans sa
communauté, mais de vouloir quitter la religion, de se moquer du Coran, de ne plus croire
en Dieu. Crime de lèse-majesté.
Avec l’accent attendri des riches qui expliquent aux pauvres que l’argent ne fait pas le
bonheur, nos pétitionnaires instituent une
sorte d’apartheid légal dans la division internationale du travail intellectuel : à nous, sociologues, écrivains européens, confortablement
installés dans nos métropoles, les fardeaux de
la liberté, le devoir d’humilier l’Europe, le droit à
l’athéisme, à l’invention de soi, au respect entre
hommes et femmes. A vous les joies de la coutume, des mariages forcés, de l’apostasie punie
de mort, de la croyance obligatoire.
Derrière un antiracisme de pacotille, on voit
affleurer un mépris néocolonial masqué sous la
défense de l’islam. La dissidence y est interdite,
les anciens damnés de la terre ne pourront jamais accéder à l’âge de la responsabilité. Bref,
l’autocritique, le dénigrement de soi doivent
rester notre privilège exclusif.
Ainsi se confirme une nouvelle trahison des
clercs : au lieu d’aider les rebelles du monde arabo-musulman à étendre le règne de la raison, à
combattre le fanatisme et le puritanisme, nombre d’intellectuels européens et nord-américains se contentent de soutenir les pouvoirs dominants de l’autre côté de la Méditerranée, et
cautionnent, avec opiniâtreté, la bigoterie religieuse en cours, en rappelant à l’ordre ceux qui
osent ruer dans les brancards.
Si quelques chiens de garde de la fatwa, déguisés en chercheurs, en sociologues, peuvent
ainsi amener à résipiscence un grand écrivain
comme Kamel Daoud, ils risquent de décourager tous les libres-penseurs venus du monde
musulman. C’est pourquoi il n’est rien de plus
urgent, si l’on veut construire un islam modéré
à l’intérieur de nos frontières, que d’appuyer ces
voix divergentes, que de les parrainer, de les
protéger. Il n’est pas de cause plus sacrée et qui
n’engage la concorde des générations futures. p
¶
Pascal Bruckner est écrivain et philosophe.
Auteur de romans (« Lunes de fiel », Seuil, 1981)
et d’essais critiques sur les mœurs ou les idéologies
contemporaines, il a notamment publié « Le Sanglot
de l’homme blanc » (Seuil, 1983), « Le Fanatisme
de l’apocalypse. Sauver la Terre, punir l’Homme »
(Grasset, 2011) ou « Un bon fils » (Grasset, 2014)
éclairages | 13
0123
MERCREDI 2 MARS 2016
Les Occidentaux dans le piège infernal de la Libye
ANALYSE
frédéric bobin
tunis - correspondant
L’
INTERVENIR
EN URGENCE
EN LIBYE SANS
AVOIR REVITALISÉ
SES STRUCTURES
ÉTATIQUES,
C’EST COURIR
LE RISQUE D’ÊTRE
INSTRUMENTALISÉ
Occident est à court d’idées, démuni,
impuissant. En Libye, rien ne se
passe comme prévu. Tous les beaux
plans s’émiettent comme une poignée de sable entre les doigts. Il n’a pas suffi
que le géant d’Afrique du Nord torpille sa transition démocratique après les illusions lyriques soulevées par la chute du Guide de la révolution, Mouammar Kadhafi, en 2011. Il n’a
pas suffi non plus que l’organisation Etat islamique (EI) s’implante dans les brèches ouvertes par la guerre civile ayant éclaté à l’été 2014.
Voilà désormais que même les prétendus faiseurs de paix, ces factions antagonistes qui
avaient signé le 17 décembre 2015 un accord
politique à Skhirat (Maroc), s’entre-déchirent
au sein du gouvernement d’« union nationale » censé pourtant incarner la réconciliation. Comme si ce gouvernement alternatif,
supposé se substituer aux deux gouvernements rivaux déjà existants (l’un basé à l’est,
l’autre à l’ouest), cumulait les contradictions libyennes au lieu de les transcender. Et, même
quand il parvient à s’accorder sur un fragile
compromis – telle la liste intégrale des ministres –, il se heurte à l’opposition irréductible
d’une partie de l’Assemblée (basée à Tobrouk, à
l’est) reconnue par la communauté internationale. Résultat : dix semaines après l’accord de
Skhirat, ce gouvernement de « réconciliation »
n’a toujours pas été investi par les parlementaires de Tobrouk. En somme, il n’a pas d’existence légale, alors même que la bombe géopolitique libyenne (bases de l’EI, réseaux migratoires…) menace d’exploser sur les marches
orientales de l’Europe.
Pour les Nations unies, qui sont lourdement
intervenues pour forcer la naissance de ce gouvernement, un tel enlisement signe un cinglant désaveu. Car toute l’opération visait à installer une nouvelle légitimité politique, dépassant la fracture entre les tenants et les adversaires de l’islam politique qui avait déchiré le pays
en 2014, afin de mobiliser tout le monde contre
l’essor de l’EI. D’une certaine manière, il s’agissait d’imposer la fin de la « deuxième guerre »
de Libye (le conflit fratricide ayant suivi la « première guerre » contre Kadhafi en 2011) pour
lancer une « troisième guerre », cette fois contre la branche locale de l’organisation djihadiste d’Abou Bakr Al-Baghdadi.
Selon le scénario initialement envisagé dans
les capitales occidentales, le nouveau gouvernement d’« union nationale » était censé fournir la couverture légale à une intervention
militaire extérieure. Celle-ci devait prendre la
forme d’une campagne de raids aériens principalement dirigés contre la région de Syrte,
bande littorale de 200 kilomètres dont l’EI a
fait sa place forte. Des milices locales « amies »,
issues notamment de la cité voisine de Misrata, étaient pressenties pour accompagner
sur le terrain l’offensive.
Or, ce scénario militaire « officiel » est
aujourd’hui victime de l’enlisement du scénario politique. L’impasse ne se résume pas à la
fiction légale qui n’en finit pas d’entourer le
gouvernement d’« union nationale ». Il s’y
ajoute la difficulté pratique pour ce gouvernement, quand bien même il finira un jour par
être investi, de s’installer dans la capitale, Tripoli, là où l’attendront des milices hostiles.
Face à tant d’incertitudes et devant l’urgence
du défi représenté par l’EI, les Occidentaux ont
donc décidé de s’engager sans plus tarder dans
une « guerre secrète » en Libye. Les Français y
prennent leur part, comme l’a révélé Le Monde.
Frappes aériennes non revendiquées, présence
de forces spéciales en appui d’unités locales engagées contre l’EI… : les opérations clandestines ont bel et bien commencé. L’« urgence » a
commandé de court-circuiter le processus politique et de s’affranchir de contrainte légale.
HÉRITAGE EMPOISONNÉ DE KADHAFI
Or, c’est là que le piège libyen menace de se refermer. La Libye est aujourd’hui dans un état
de fragmentation avancé. Derrière le clivage
idéologique autour de l’islam politique s’emboîtent une multitude de fractures locales,
réveil d’identités microcommunautaires antagoniques. Aux affiliations tribales traditionnelles s’ajoute la cristallisation d’identités urbaines – certains parlent même de « citésEtat » – que représentent à leur manière les villes de Misrata ou Zinten. C’est un peu l’héritage
empoisonné de Kadhafi qui avait miné l’Etat et
l’armée au profit de réseaux parallèles dévoués
à sa personne. Au lendemain de la chute du
Guide, le vide a été vite comblé par une mosaïque de nouveaux acteurs prétendant assurer la
sécurité des communautés locales sur fond de
compétition autour de l’appropriation des ressources (pétrole, contrebande, trafic d’êtres humains…). Cette revanche du local est aussi le
produit d’une histoire tourmentée où la fusion
au sein d’une même entité nationale des trois
régions historiques de la Cyrénaïque (est), de la
Tripolitaine (ouest) et du Fezzan (sud-ouest) a
été problématique.
Dans un tel paysage éclaté, intervenir en urgence en Libye sans attendre d’avoir revitalisé
des structures étatiques et nationales, c’est
courir le risque d’être instrumentalisé par des
factions à l’agenda limité, et donc approfondir
plutôt qu’atténuer l’émiettement général qui
fait le jeu de l’EI. La « deuxième guerre » de Libye entre Tobrouk et Tripoli n’est pas terminée,
contrairement à ce que feignent de croire les
capitales européennes. Se lancer dans une
« troisième guerre » contre l’EI sans avoir résorbé ce précédent conflit ne peut que fragiliser un processus politique déjà ténu. Ou comment la quête de gains militaires à court terme
contre l’EI compromet une solution institutionnelle qui, seule, peut durablement saper
les bases djihadistes. Là est le piège dans lequel
une action précipitée des Occidentaux dans
cette Libye fragmentée menace de sombrer. p
[email protected]
LETTRE DE WASHINGTON | par g il l es par is
Course à la chaise électrique en Virginie
L’
un des obstacles a été franchi, mais il
en reste un autre et le temps presse.
Le 19 janvier, une juge de Richmond,
en Virginie, a fixé la date d’exécution
de Ricky Gray, un meurtrier, au 16 mars. Cet
Etat est l’un des huit dans lesquels les condamnés à la peine capitale peuvent choisir comment mourir, entre la seringue et l’électricité.
Mais, comme de nombreux Etats depuis la décision de laboratoires européens de ne plus les
approvisionner, l’administration pénitentiaire
de Virginie est à court de l’anesthésiant qui
constitue l’un des éléments de l’injection létale. Ce qui la rend incapable d’exécuter la sentence visant le matricule 1 100 057 de la prison
d’Etat du comté de Sussex, à Waverly, dans l’est
de l’Etat, à moins que le condamné opte de luimême pour la chaise électrique.
En 2015, cette même administration avait dû
s’approvisionner de toute urgence au Texas
pour pouvoir exécuter Alfredo Rolando Prieto,
reconnu coupable d’un triple meurtre et qui
avait attendu pendant vingt-cinq ans l’application de la sentence. Depuis l’introduction du
cocktail létal en Virginie, seuls sept condamnés sur quatre-vingt-six ont choisi l’autre façon d’en finir, une méthode considérée
comme particulièrement cruelle. Depuis que
l’Etat a renoué avec la peine capitale en 1976,
cent onze condamnés ont été exécutés. Outre
LES INDÉGIVRABLES PAR GORCE
Ricky Gray, six condamnés attendent comme
lui dans le couloir de la mort, deux autres AfroAméricains et quatre Blancs. Compte tenu de
l’urgence, un élu républicain de la Chambre
des représentants de l’Etat, Jackson Miller, a rédigé un projet de loi permettant à l’administration de passer outre les volontés des condamnés et de substituer un mode d’exécution à
l’autre, autrement dit d’imposer la mort par
électrocution. Lorsqu’il a défendu son texte devant les élus, Miller est longuement revenu sur
le quadruple meurtre perpétré en 2006 par
Ricky Gray, dans une maison dans laquelle il
s’était introduit pour la cambrioler.
« PEINES CRUELLES ET INHABITUELLES »
Le vol s’était achevé en massacre, celui de la famille d’un musicien de Richmond, Bryan Harvey. Il avait précédé d’une semaine celui de la
femme du tueur et des parents de cette dernière. L’élu s’est tout particulièrement attardé
sur le calvaire subi par les enfants d’Harvey,
deux petites filles de 9 et 4 ans. « Notre travail,
c’est de finir celui de la justice », a plaidé Jackson
Miller. Son projet de loi a été adopté par 62 voix
contre 33 le 10 février, les républicains ont majoritairement voté pour et les démocrates tout
aussi majoritairement contre.
Le Sénat de Virginie est désormais saisi.
En 2014, il s’était opposé à une mesure simi-
laire mais sans la perspective d’une exécution
imminente et, depuis, sa composition a
changé. S’il adopte à son tour le projet et si le
gouverneur démocrate de l’Etat, Terry McAuliffe, le valide, Jackson Miller ne sera pas au
bout de sa démarche. D’une part parce que les
lois votées en Virginie entrent ordinairement
en application le 1er juillet. Il est à parier, en
outre, que les avocats du condamné ouvrent
une nouvelle procédure en se basant sur l’article 8 de la Constitution américaine qui interdit
les « peines cruelles ou inhabituelles ». Car c’est
bien la cruauté de la chaise électrique qui avait
conduit à l’alternative de l’injection létale.
Le débat sur la peine de mort rouvert en Virginie à l’occasion de la discussion de la loi 815
défendue par l’élu républicain n’a guère de
chance de se frayer un chemin jusqu’à la campagne présidentielle. Après neuf débats républicains et six confrontations démocrates, soit
plus de quarante heures de discussions, on ne
peut guère retenir que les deux minutes et
quarante-neuf secondes qui lui ont été consacrées, à l’invitation de la journaliste Rachel
Maddow, de la chaîne NBC, lors du cinquième
débat démocrate, le 4 février.
Elles en valent pourtant la peine. L’ancienne
secrétaire d’Etat Hillary Clinton n’a pas hésité
une seconde pour indiquer qu’elle y était favorable pour « les crimes les plus horribles, notam-
ment le terrorisme », tout en déplorant un
usage excessif par les Etats qui nécessiterait,
selon elle, une plus étroite supervision fédérale. Son adversaire Bernie Sanders, sénateur
indépendant du Vermont, n’a pas hésité non
plus pour défendre la position opposée.
« J’ai écouté ce que la secrétaire d’Etat a dit, et
je la comprends, a commencé le sénateur. Nous
avons été témoins au cours des dernières années, d’horribles crimes, horribles, horribles… Il
est difficile d’imaginer comment des gens osent
tuer 168 personnes à Oklahoma City, ou poser
une bombe au marathon de Boston. » « Mais
voici ce que je crois, a-t-il poursuivi. Tout
d’abord, trop de personnes innocentes, y compris issues des minorités, des Afro-Américains,
ont été exécutées alors qu’ils étaient innocents.
Donc, nous devons être très attentifs à ce sujet. »
« Ensuite, a-t-il enchaîné, il y a cette raison
peut-être plus profonde. Bien sûr, des actes de
barbarie sont commis, mais dans un monde
marqué par tant de violences et de morts, je ne
crois tout simplement pas qu’un gouvernement
lui-même doive s’en mêler. » « Alors, quand quelqu’un commet un de ces terribles crimes dont
nous avons eu connaissance, il faut l’enfermer,
et puis jeter la clé. Pour qu’il ne puisse jamais
sortir. C’est tout », a conclu Bernie Sanders. p
UN ÉLU
RÉPUBLICAIN
A RÉDIGÉ
UN PROJET DE LOI
PERMETTANT À
L’ADMINISTRATION
DE PASSER OUTRE
LES VOLONTÉS
DES CONDAMNÉS
[email protected]
Le « moment » iranien
LIVRE DU JOUR
gaïdz minassian
L’
Iran est à la mode. Depuis l’accord international du 14 juillet 2015 sur le
programme nucléaire iranien, le retour de cet Etat sur la scène internationale se traduit par un grand nombre de publications, les unes plus pédagogiques que les
autres. Mais pas toutes au même niveau d’objectivité et d’éclairages.
L’essai du juriste Ardavan Amir-Aslani présente l’Iran des mollahs sous ses plus beaux habits. De nouveau fréquentable, l’Etat héritier de
la vieille civilisation perse jouit de tous les
atouts pour devenir un nouvel eldorado en
Orient. Carrefour des intérêts asiatiques et occidentaux, l’Iran redeviendrait, à ses yeux, le centre du monde, comme il le fut avant la découverte de l’Amérique, au XVe siècle. Les ressources de l’Iran sont tellement immenses que le
pays des mollahs pourrait même devenir un régulateur de conflits à l’ouest (Irak, Syrie), au sud
(Yémen), au nord (Arménie-Azerbaïdjan) et à
l’est (Afghanistan). L’idée est séduisante
comme la musicalité du farsi. Il y a aussi de la
poésie dans cette représentation d’un Iran facteur de paix mondiale, mais cette tentative de
réhabilitation de l’Iran ne lève pas le voile sur
ses problèmes : violations des droits de
l’homme, rigidité du régime, place des gardiens
de la révolution dans le pays ou relations ambiguës avec la Russie, mi-alliée, mi-rivale.
Même la postface d’Alexandre Adler, qui appelle de ses vœux un partenariat Turquie-Iran
et une nouvelle dynamique dans les relations
franco-iraniennes, trouve sa place dans ce tableau idyllique d’une Perse moderne débarrassée du poids de ces monstruosités et pathologies sociales. C’est regrettable.
PLACE CENTRALE
Et pourtant, les élites iraniennes ont raison de
croire que ce qui passe depuis un an autour de
leur pays s’inscrit dans le sens de l’Histoire. Le
nouvel ouvrage de Mohammad-Reza Djalili et
de Thierry Kellner, deux des meilleurs spécialistes de l’Iran en Europe, reprend cette idée
d’un « moment iranien » qui est là pour durer,
tant la République islamique d’Iran, qui jouit
d’une place centrale dans le monde du XXIe siè-
cle, est convoitée par les puissances. Mais si
l’Iran fascine ses interlocuteurs pour son histoire et sa civilisation, les héritiers des Darius et
Xerxès inquiètent aussi par la bicéphalité du régime – et de son langage ? –, son fondamentalisme révolutionnaire et son refus viscéral de
reconnaître l’existence d’Israël.
Et c’est toute la pertinence de cet essai didactique, où chaque chapitre se dévore comme des
fiches synthétiques à propos de questions
autant politico-stratégiques qu’économiques
et sociales. Avec nuance, les auteurs abordent
tous les sujets, des plus courants aux plus sensibles, afin d’ouvrir cette boîte noire iranienne
dont le principal dilemme tient en une interrogation : faut-il s’ouvrir sur le monde pour gagner en puissance, au risque de déstabiliser le
régime et la révolution de 1979 ? p
L’Iran en 100 questions
Mohammad-Reza Djalili, Thierry Kellner,
Tallandier, 383 pages, 13,90 euros.
Iran, le sens de l’Histoire
Ardavan Amir-Aslani, Editions du Moment,
187 pages, 16,50 euros.
14 | culture
0123
MERCREDI 2 MARS 2016
pppp CHEF-D'ŒUVRE
pppv À NE PAS MANQUER
ppvv À VOIR
pvvv POURQUOI PAS
vvvv ON PEUT ÉVITER
Ivres d’électro et de houblon
Deux frères ennemis, un bar à Gand, de l’alcool et de la drogue : une épopée belge sur fond de musique
BELGICA
des groupes d’électro, de rock ou
de psychobilly qui reflètent la
foule qui se presse au Belgica. Jo et
Frank veulent un lieu ouvert où
se côtoient les rockeurs et les rastas, les buveurs de bière et de tequila. Cette fédération hédoniste
se brisera sur les réalités économiques, sécuritaires, sur l’impossibilité d’être à la fois l’organisateur et le participant d’une bacchanale quotidienne.
ppvv
D
e Belgica, il ne reste, à
la fin de la projection,
logiquement, que le
collage d’images, de
sons et de sensations que l’on
conserve au bout d’une nuit
d’ivresse. Si le film porte le nom
d’un pays (et l’on reviendra sur
cette métonymie), il faut se souvenir que cette déclinaison de
« Belgique » est d’abord une marque de bière. Et qu’ici cette marque désigne un rade, un bar de la
ville de Gand, décor principal du
quatrième long-métrage de Felix
van Groeningen.
Aux Magritte, aux European
Film Awards, le film peut d’ores et
déjà prétendre au trophée de l’alcoolémie. Pourtant, cette traversée nocturne au long cours – des
années frénétiques au fil desquelles deux frères se retrouvent, se
perdent en une succession de paroxysmes distordus par des plantes psychotropes, du houblon au
pavot, en passant par la coca – ne
peut se résumer à l’excès.
Tragédie distordue
Derrière les brumes d’alcool et de
stupéfiants se dessinent nettement deux figures banales et magnifiques, deux frères que la perspective sans cesse changeante de
la mise en scène présente, tour à
tour, comme des héros, de minuscules patriarches ou de dignes héritiers des Affranchis, de
Martin Scorsese (1990). Jo et
Frank font du Belgica une splendide utopie à mi-temps (le jour, ce
n’est pas très reluisant) vouée au
naufrage. Leurs interprètes, respectivement Stef Aerts et Tom
Vermeir, incarnent le désir brut
de briser les chaînes du quotidien
– ce qui offre au film une énergie
proportionnelle à celle du metteur en scène –, de celles qui font
passer les faux pas et les erreurs.
La destinée du Belgica pourrait
être une affaire sordide – après
tout, le commerce de la limonade
ou des stupéfiants, les jalousies
fraternelles ne sont pas forcé-
Debout, Tom Vermeir (Franck). MENUET
ment exaltantes. Felix van Groeningen préfère en faire une épopée magnifiée par la loupe de la
mémoire. Le scénario, écrit avec
Arne Sierens, s’inspire de l’enfance et de l’adolescence du cinéaste, né en 1977, l’année de la
sortie de Never Mind The Bollocks,
des Sex Pistols, fils d’un tenancier
de bar à Gand.
Dans la fiction, Jo tient celui du
Belgica, établissement sympathique mais nauséabond (un problème de toilettes). Frank, son
aîné, qui s’ennuie entre le garage
d’occasions où il travaille et le chenil (littéral et métaphorique, sa
femme tient une pension pour
FATIMA
un film de
La goinfrerie
de Frank,
l’égoïsme de Jo
creusent
des fissures,
qui transforment
peu à peu la nuit
en abîme
d’obscurité
MEILLEURE ADAPTATION
MEILLEUR ESPOIR FÉMININ
PRIX LOUIS DELLUC 2015
MEILLEUR FILM FRANÇAIS DE L’ANNÉE
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LE MONDE!!!!
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TÉLÉRAMA
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LES INROCKS
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nario ne fait pas vraiment la part
belle aux femmes) emporte tout le
début du film. Le recrutement de
l’équipe du Belgica, les rapports incertains entre les patrons du lieu
et les artistes qu’ils programment,
le succès public et les raccourcis
qu’il faut emprunter pour y parvenir (graisser la patte des fonctionnaires, fermer les yeux sur les trafics) s’enchaînent inéluctablement, avec la logique irréfutable
de la tragédie distordue par l’énergie artificielle des stimulants.
Les frères gantois de Soulwax ne
se sont pas contentés d’enregistrer la partition, ils ont créé toute
une scène musicale, inventant
Film belge de Felix van
Groeningen. Avec Stef Aerts, Tom
Vermeir, Hélène De Vos, Charlotte
Vandermeersch (2 h 02).
« Je voulais qu’on sente la sueur »
L’approche organique de van Groeningen pour filmer le monde de la nuit
Philippe Faucon
3 CÉSAR 2016
MEILLEUR FILM
chiens, il vit sa paternité comme
une mise en cage) où il habite, le
convainc de transformer le bouge
en phare de la nuit gantoise, pas
une boîte où l’on danse, mais une
scène sur laquelle on fait de la musique qui fait bouger la foule.
Pour figurer la métamorphose
du Belgica, Felix van Groeningen
montre très rapidement des gestes quotidiens (casser une cloison,
vider des gravats) qui, filmés
comme s’ils étaient des exploits
héroïques ou des crimes affreux et
portés par la partition électro de
Soulwax, prennent une dimension spectaculaire. Cet enthousiasme précaire et machiste (le scé-
Désenchantement
La désintégration de ce rêve n’est,
a priori, pas plus spectaculaire que
la transformation d’un local industriel en salle de concerts. Là encore, Felix van Groeningen tient à
faire du naufrage du Belgica une
affaire essentielle, avec une conviction communicative. Les mêmes instruments de cinéma
– montages énergiques, séquences nocturnes, qui circulent frénétiquement entre les coulisses sordides et la salle en délire – racontent alors un désenchantement,
qui prend une dimension exemplaire, discrète, mais pertinente.
Les péchés originels du Belgica
remontent à la surface, ceux du
système – la corruption, la discrimination sociale – et ceux des individus. La goinfrerie de Frank,
l’égoïsme de Jo creusent des fissures, qui transforment peu à peu la
nuit en abîme d’obscurité. C’est à
ce moment qu’on se dit que le
nom du bar signifie un peu plus
qu’une marque de bière, que cet
échec de la communauté nocturne reflète une autre fracture.
En même temps, ce dernier
mouvement du film ramène les
personnages principaux à leur dimension humaine, trop humaine. L’aube de la dernière nuit
de fête venue, il faut continuer de
vivre et les derniers plans ouvrent
cette perspective nécessaire, mais
pas forcément exaltante, avec
beaucoup de grâce. p
thomas sotinel
ENTRETIEN
A
près deux premiers films
remarqués chez lui en Belgique (Steve + Sky, en 2004
et Dagen Zonder Lief, en 2007), Felix van Groeningen a fait passer les
frontières à son cinéma, avec une
prédisposition pour l’exportation
fracassante. En France, les festivaliers cannois de 2009 ne sont pas
prêts d’oublier la projection de La
Merditude des choses, sélectionnée à la Quinzaine des réalisateurs : rejouant l’une des scènes
d’anthologie du film, l’équipe était
arrivée sur la Croisette complètement nue et à vélo.
Quatre ans plus tard, autre entrée tonitruante, dans un registre
plus policé : avec le mélodrame
musical Alabama Monroe, Felix
van Groeningen remporte le César
du meilleur film étranger et manque l’Oscar correspondant, pour
lequel il était nominé. Tout venant
à point à qui sait attendre, son cinquième long-métrage, Belgica, racontant l’histoire de deux frères
emportés – dans le bon et le mauvais sens – par le succès de leur
club, arrive sur les écrans français
déjà auréolé d’une consécration
américaine : le cinéaste vient
d’être sacré meilleur réalisateur
dans la catégorie « World Dramatic
Competition » au Festival de Sundance.
Le monde de la nuit et des bars
est un thème qui vous accompagne depuis votre premier longmétrage, Steve + Sky…
Ce n’est pas forcément volontaire, mais pas sans raison non
plus : j’ai grandi dans un bar ! Mon
père en avait un, le Charlatan, il y
travaillait toute la nuit, et le matin
j’y passais avant d’aller à l’école
boire un chocolat chaud, à côté de
ceux qui tenaient encore suffisamment debout pour une dernière bière… L’endroit a évolué
comme le Belgica dans le film,
quand j’avais 15 ou 16 ans. Mon
père a vendu le Charlatan à deux
frères qui en ont fait un club branché avec des videurs, de la musique à la mode…
C’est celui de vos films qui est le
plus proche de votre histoire familiale. Peut-on dire pour autant
que c’est le plus personnel ?
Oui et non. C’est plus proche de
l’histoire des deux frères que de la
mienne ou de celle de mon père,
mais cet endroit a tellement fait
partie de ma vie que j’avais parfois
l’impression de l’avoir vécue moi,
cette histoire ! Il y a un peu de mon
père dans le personnage de Jo, j’ai
un frère aussi… Mais même si j’ai
beaucoup aimé ce monde plus
jeune, j’ai arrêté très vite de sortir,
vers 19 ans. Pourtant, à 16 ans, je ne
pouvais pas imaginer un week-
end sans. Je travaillais au Charlatan, j’organisais des fêtes… J’ai arrêté d’un coup. Il y a de la beauté
dans la nuit, mais aussi des gens et
des choses qui deviennent noirs…
J’ai compris que je préférerais regarder. Et j’en ai fait des films.
Comment fait-on pour filmer la
nuit sans faire toujours la même
chose, lorsqu’on y revient aussi
souvent ?
La grande nouveauté, c’est que
c’était la première fois que je filmais avec deux caméras. C’était indispensable avec toutes ces grandes scènes musicales. Avec deux
caméras et la bonne énergie, on
peut essayer plein de choses, laisser tourner, se faire surprendre, il y
aura toujours une image qui sera
bonne. L’inconvénient, c’était les
130 heures de rushes au montage…
Ça ne vous avait pas manqué sur
Alabama Monroe, cette seconde
caméra ?
Non, car tout était en playback !
Ce qui convenait bien au style du
film. Mais tout ce qu’on entend
dans Belgica est live. C’était très
important pour Soulwax, qui a
imaginé chacun des groupes qui
se produit au Belgica et leur musique. Ils ont composé 100, peutêtre 120 titres dont on n’entend
parfois que dix secondes ! Les séquences musicales d’Alabama
Monroe avaient souvent lieu dans
de petits cafés, avec 30 ou 40 figurants… On pouvait en avoir 300
dans Belgica, qui devaient danser
toute la journée. Je voulais qu’on
sente la sueur.
La nuit, c’est l’un des mondes
chéris du cinéma… Comment
avez-vous fait pour que Belgica
ne soit pas qu’une nuit de fiction
parmi d’autres ?
J’ai essayé de comprendre comment marche l’ivresse de la nuit et
de la musique : ce qui fait qu’à un
moment précis les gens vont se
mettre à crier ou à danser. Un
break, un groupe qu’on annonce,
la musique qui s’arrête et reprend… Je n’ai pas l’impression
d’avoir déjà vu un film travailler
vraiment là-dessus. La plupart du
temps c’est assez mécanique : le DJ
fait « Play ! », tout le monde lève les
bras, on tourne toujours sur les
mêmes effets. Mais dans la réalité,
c’est beaucoup plus complexe. J’ai
travaillé dans ce sens-là : c’est une
approche moins émotionnelle
que ce qu’on voit d’habitude,
même si la musique reste constamment liée à l’histoire et aux
personnages. Mais c’est plus organique, et j’adore quand ça devient
organique. Faire du cinéma avec
une idée fixe qu’on remplit visuellement, ça ne m’intéresse pas. p
noémie luciani
culture | 15
0123
MERCREDI 2 MARS 2016
Vers une interdiction aux mineurs moins rigide
La ministre Audrey Azoulay a annoncé une réforme de la classification afin de contrer les recours en justice
D
ix jours après le camouflet infligé à l’exministre de la culture,
Fleur Pellerin, par le
tribunal administratif de Paris
qui a jugé « entachée d’illégalité »
l’interdiction aux moins de 18 ans
du documentaire Salafistes, la
nouvelle ministre, Audrey Azoulay, a rendu public, lundi 29 février, un rapport proposant de réformer les interdictions de films
aux mineurs. Réalisé par JeanFrançois Mary, le président de la
commission de classification des
œuvres du Centre national du cinéma et de l’image animée (CNC),
ce document liste différentes propositions visant à faire évoluer
une réglementation qui a « mal
vieilli ». Notamment de revoir les
critères permettant à la justice de
contredire les visas donnés aux
films par le ministère de la culture, et de limiter le nombre et les
délais des procédures judiciaires
contestant ces décisions.
C’est Fleur Pellerin qui, en septembre 2015, avait commandé à
M. Mary ce travail de réflexion,
après la reclassification par la justice, saisie par l’association Promouvoir, de plusieurs films dont
Love (2015), de Gaspar Noé, passé
d’une interdiction aux moins de
16 ans à moins de 18 ans. Depuis,
l’association fondée par André
Bonnet, proche des catholiques
intégristes, a encore eu gain de
cause en obtenant, en décembre 2015, le réexamen de l’interdiction aux moins de 12 ans du
film d’Abdellatif Kechiche, La Vie
d’Adèle (2013), et l’annulation du
visa d’exploitation d’Antichrist
(2009), de Lars von Trier.
« Il faut redonner à la ministre et
à la commission de classification
la marge d’appréciation que l’appropriation par des juges avait
singulièrement réduite ces derniers temps », a déclaré Jean-François Mary en remettant son rapport à Audrey Azoulay. Pour la
ministre, qui a succédé le 11 février à Fleur Pellerin, réviser le
système est une urgence. « Je connais bien le monde du cinéma et je
sais l’importance que peuvent
L’expression
« scènes de sexe
non simulées »
est devenue
obsolète avec le
développement
des techniques
numériques
Le film « Love », de Gaspar Noé, est passé d’une interdiction aux moins de 16 ans à moins de 18 ans. WILD BUNCH
avoir dans la vie d’un film les soubresauts que représentent les
changements de classification,
appuie-t-elle. L’actualité récente,
marquée par les annulations de
plusieurs de nos décisions, montre
qu’il est nécessaire de faire quelque chose rapidement. »
Appréciations subjectives
Elle a annoncé qu’elle retenait
d’ores et déjà de ce rapport, établi
en concertation avec des spécialistes de l’adolescence et des représentants du monde du cinéma, deux propositions « de bon
sens » visant à « trouver le meilleur
équilibre entre la protection du
jeune public et celle des œuvres cinématographiques ». En clair, il
s’agit d’établir des critères de classification mieux adaptés aux jeunes grandis avec Internet et qui
LES MEILLEURES ENTRÉES EN FRANCE
Nombre
de semaines
d’exploitation
Nombre
d’entrées (1)
Nombre
d’écrans
1 1 112 798
540
Zootopie
2
865 018
647
Pattaya
1
803 757
307
Deadpool
3
437 451
489
Les Tuche 2
4
406 096
623
La Vache
2
203 968
278
Alvin et les chipmunks...
4
194 322
582
Amis publics
2
185 136
525
Chocolat
4
174 027
669
Ave, cesar !
2
133 415
429
The Revenant
AP : avant-première
Source : Ecran total
Evolution
par rapport
à la semaine
précédente
Total
depuis
la sortie
1 112 798
↓
– 31 %
2 421 414
803 757
↓
↓
↓
↓
↓
↓
↓
– 43 %
2 962 162
– 41 %
4 022 206
– 22 %
542 713
– 27 %
1 559 084
– 44 %
589 402
– 31 %
1 632 214
– 55 %
501 438
permettent aux cinéastes d’évoquer des sujets tels que le sexe et
la violence sans risquer de se voir
relégués à des circuits de diffusion condamnant leur existence
artistique et économique. Un
film interdit aux moins de 18 ans
voit non seulement se réduire
son accès aux salles mais compromettre sa possibilité d’être vu
sur le petit écran, de sortir en
DVD ou sur tout autre support
numérique ou analogique.
A partir de quel degré une scène
est-elle susceptible de porter atteinte « à la sensibilité » des adolescents ? Actuellement, comme
en témoignent les récentes péripéties provoquées par des décisions de la juridiction administrative, les appréciations sont
hautement subjectives. Le rapport, qui rejette l’idée de suppri-
mer l’interdiction aux moins de
18 ans, propose une modification
de l’article du code du cinéma qui
entraîne une interdiction automatique d’un film aux mineurs
lorsque celui-ci « comporte des
scènes de sexe non simulées ou de
très grande violence ».
M. Mary suggère que la restriction soit décidée dès lors qu’un
Une classification en cours depuis 1990
Pour être diffusé en salle, un film doit obtenir un visa d’exploitation
du ministère de la culture, délivré après avis de la commission
de classification du Centre national du cinéma (CNC), qui fixe,
depuis 1990, les catégories d’âge du public autorisé à le voir :
– tous publics ;
– interdit aux moins de 12 ans ;
– interdit aux moins de 16 ans ;
– interdit aux moins de 18 ans ;
– classification X.
Quel film magnifique !
Un joyau. Subtil et intense. Passionnant.
Magnifique.
Télérama
La Croix
Les Echos
Studio Ciné Live
Émouvant. Unepépiteiranienne.
Première
Le JDD
Une réussiteL’Obsmagnifique.
L’Express
* Estimation
Période du 24 au 28 février inclus
Avant même les résultats des Oscars, avant le volcan de tweets
– pas moins de 440 000 comptabilisés mondialement – qui ont
célébré le sacre du roi Leonardo, avant la consécration d’Alejandro
Gonzalez Iñarritu comme meilleur réalisateur pour la deuxième
année d’affilée, The Revenant caracolait déjà en tête du box-office
français avec plus d’un million d’entrées en quelques jours, et des
salles remplies à bloc. Ce survival qui suit le calvaire d’un trappeur
(DiCaprio) laissé pour mort par ses camarades après qu’il a été piétiné
et déchiqueté par un ours, et qui va se traîner, mû par la vengeance,
à travers les montagnes enneigées d’Amérique du Nord, devrait
en toute logique faire un carton. Dans le registre du comique
de mauvais goût, l’autre gros démarrage de la semaine, Pattaya,
est un film français dont l’action a été délocalisée d’une cité de
banlieue parisienne vers la capitale thaïlandaise du tourisme sexuel.
Sur le versant plus artisanal du cinéma, Merci Patron !, de François
Ruffin, Robin des bois potache du documentaire, fait un tabac
à sa mesure. Ce film qui réussit l’exploit de piéger le milliardaire
Bernard Arnault en révélant non seulement les pratiques inavouables
de son service d’ordre, mais aussi la collusion entre son empire
et les plus hautes sphères de l’Etat, totalise en première semaine
pas moins de 37 000 entrées pour 40 copies, soit près de 1 000 spectateurs pour chacune.
film « comporte sans justification
de caractère esthétique des scènes
de sexe ou de grande violence qui
sont de nature, en particulier par
leur accumulation, à troubler gravement la sensibilité des mineurs,
à présenter la violence sous un
jour favorable ou à la banaliser ».
Quant à l’expression « scènes de
sexe non simulées », le rapport
FESTIVAL DE CANNES
PRIX DE L’AVENIR
UN CERTAIN REGARD
un film de Ida Panahandeh
ACTUELLEMENT
note qu’elle est devenue obsolète
avec le développement des techniques numériques et demande
son remplacement par « scènes
de sexe ».
S’agissant des recours en justice
qui rendent parfois chaotique la
carrière d’un film, le rapport estime qu’« une plus grande sérénité
serait sans doute apportée aux
professionnels si le petit nombre
d’affaires aujourd’hui jugées chaque année était jugé plus rapidement ». Il suggère de laisser le tribunal administratif de Paris juge
en premier et dernier ressort des
affaires et de supprimer la voie de
l’appel, ne laissant que la possibilité de saisir le Conseil d’Etat, juge
de cassation.
Dans un communiqué publié
lundi 29 février, la Société civile de
perception et de répartition des
auteurs, réalisateurs et producteurs indépendants (ARP) s’est félicitée de ces mesures, en émettant le vœu qu’elles puissent
« mettre fin à ces procédures abusives aux intentions ouvertement liberticides ». Même écho au Syndicat des producteurs indépendants (SPI) dont la déléguée générale, Catherine Bertin, salue des
propositions « en accord avec
l’époque et avec la manière dont
les médias ont évolué ».
A l’inverse, Agnès Tricoire, déléguée de l’Observatoire de la liberté de création, se dit « très déçue ». Pour l’avocate, qui réclamait une révision du code pénal,
ces propositions ne sont « guère
plus qu’un cautère sur une jambe
de bois ». p
sylvie kerviel
16 | culture
0123
MERCREDI 2 MARS 2016
S E M A I N E
Amours interdites en prison
Un couple impossible formé par une détenue et le directeur
ÉPERDUMENT
ppvv
L A
E
ppvv À VOIR
Deux Rémi, deux
Film français de Pierre Léon (1 h 05).
Deux Rémi, deux trouve son origine dans Le Double, roman de
Dostoïevski dont il reprend la trame en la transposant dans une
petite ville de province française. Rémi, la quarantaine, est un
garçon dont la singularité consiste à n’en avoir aucune. Le statu
quo qui lui tient lieu de vie est mis en cause par le surgissement
dans sa vie d’un double maléfique. La manière qu’a le cinéaste
de teinter le naturalisme de son film d’une forme de comique
surréaliste fait le charme de ce conte philosophique. p i. r.
Adèle Exarchopoulos et Guillaume Gallienne. STUDIO CANAL
sive », qui a des yeux partout, a débusqué d’autres couples avant
eux. La vérité de leur amour se situe dans la transparence d’un bureau vitré où le directeur convoque les détenues, où le couple naît
et vit prisonnier du regard – concupiscent, critique, mauvais, apitoyé – de tous les autres.
Tristesse qui saute aux yeux
Dans la transparence qui interdit
l’exubérance des corps, on n’a plus
que les mots. Au-delà d’une mise
en scène assez forte dans son travail des corps dans l’espace, Eperdument est un film bavard, donc
déconcertant si l’on s’attendait à
un brasier des sens. La folie des
mots et celle du sexe n’y sont
pourtant qu’une même démence
ancienne. Racine y puisait les vers
puissants de Phèdre. Ils reviennent brûler les lèvres d’Anna qui se
frotte au texte et à l’amour – ou à la
tentation de feindre un amour qui
la sauve – lors d’un cours de français en prison.
Quoi de plus simple en apparence que de mettre dans la bouche et dans la tête de ses protagonistes des vers que les siècles ont
rendus familiers sans rien leur
ôter de leur force ? De s’éviter
l’épreuve de leur écrire un texte
trop courant pour rendre justice à
"L’étonnante Suite Armoricaine enchantera notre printemps" Télérama
SorTIE
LE 9 MArS
2016
leur passion, ou trop pompeux
pour la garder crédible, quand on
peut faire parler Racine à sa place ?
Entre deux conversations de couloir menées en termes fleuris
(« T’as déjà niqué au parloir ? »),
cela aurait pu n’avoir guère plus de
sens que des citations hors sujet.
A la première scène, Anna arrive
en prison murée dans son silence.
Autour d’elle, c’est un chenil : des
rangées de cages d’où sortent des
sons rauques, plus proches de
l’aboiement que du langage des
hommes. Elle, sans rien dire, se
déshabille mécaniquement et
sans nécessité, ce qui fait rire les
gardiennes. C’est pourtant la tristesse dans son geste qui saute aux
yeux : un renoncement à communiquer autrement qu’en s’offrant
comme une bête à l’abattoir.
Il faut Racine pour ranimer
Anna. Les vers lus devant la classe,
copiés sur un coin de feuille, font
renaître en elle l’envie de vivre
– pour aimer Jean ou s’en faire
aimer et lui dérober la clé des
champs. Guillaume Gallienne a
fait de son personnage un livre
ouvert et mal aimable. Une sorte
de fantoche aux velléités artistiques de petite envergure, que l’acteur joue faux exprès, parce que
Jean lui-même est mauvais acteur
de sa vie. p
noémie luciani
A U T R E S
F I L M S
D E
Moonwalkers
L E S
perdument est un deuxième
film auquel son réalisateur
ne nous avait guère préparés. Avec Juliette, Pierre Godeau
proposait, en 2012, un portrait de
jeune fille un peu emprunté. Si
Eperdument se construit autour
d’un double portrait, c’est presque
tout ce qu’ils ont de commun. De
l’un à l’autre, l’approche a changé :
de timide, le personnage est devenu franc et vif. Le mérite en revient en bonne part au jeu de l’incandescente Adèle Exarchopoulos
(La Vie d’Adèle). Mais s’il reste à ce
film un peu de cette surcomposition qui pesait sur Juliette, elle est
ici défendable et appréciable.
C’est une adaptation de Défense
d’aimer (Presses de la Cité, 2012), de
Florent Gonçalves, dans lequel cet
ancien directeur de prison racontait ses amours avec une détenue,
qui avait été utilisée comme « appât » dans l’affaire du « gang des
barbares ». Il eût été facile d’en
faire un brûlot érotique en terrain
contraint, d’attiser la fureur charnelle contre la froideur du système. Le réalisateur fait le choix
difficile d’assumer la fièvre autant
que la glace, travaille la première à
l’épreuve de la seconde plutôt que
dans la friction.
Son film est l’histoire d’un couple qui s’aime – ou dont l’un des
deux au moins aime, ce qui fait
tout le sel du drame – dans l’interdit, presque aux yeux de tous. La
salle informatique leur offre un
asile physique, mais « Radio cour-
K Retrouvez l’intégralité des critiques
sur Lemonde.fr (édition abonnés)
Film britannique d’Antoine Bardou-Jacquet (1 h 37).
Brodant sur la théorie conspirationniste selon laquelle les images de l’alunissage d’Apollo 11 auraient été truquées, cette comédie classique dans sa construction tient du feu d’artifice créatif
dans son travail de l’image et de la mise en scène. p n. lu.
pvvv POURQUOI PAS
Le Crime du sommelier
Film italien de Ferdinando Vicentini Orgnani (1 h 40).
Adaptant le roman Vino dentro, de Fabio Marcotto, cette enquête à l’italienne sur un crime passionnel tient plutôt du portrait de viniphile. On se perd un peu dans ce parcours gourmand mais on reconnaîtra une témérité dans le mélange des
saveurs. p n. lu.
Ma petite planète verte
Film d’animation coréen, mexicain, belge, finlandais,
canadien (0 h 35).
Venus des quatre coins de la planète, ces cinq courts-métrages
sensibiliseront les plus petits aux questions du respect de la nature et de la préservation de l’environnement. Au-delà de ce
projet pédagogique, la qualité de ces films ludiques, parfois
poétiques, mérite à elle seule le déplacement. p i. r.
Fille ou garçon, mon sexe n’est pas mon genre
Documentaire français de Valérie Mitteaux (1 h 01).
Ce documentaire met en scène quatre women to men, ces personnes nées femmes qui se sont réinventées en hommes. Sa valeur tient à la qualité d’écoute de la documentariste, qui laisse se
déployer la parole dans la nuance et la complexité. p i. r.
Sunrise
Film indien de Partho Sen-Gupta (1 h 25).
Peinture de la folie d’un père endeuillé par le rapt de sa fille et
pamphlet dénonçant le trafic des enfants, Sunrise souffre de
cette double nature. Des séquences oniriques tournées dans un
cabaret lynchien et d’autres, réalistes, se heurtent dans l’espace
confiné d’un scénario incertain. p t. s.
vvvv ON PEUT ÉVITER
L’Orchestre de minuit
Film marocain de Jérôme Cohen-Olivar (1 h 54).
Si l’existence de ce film, qui évoque la tradition musicale judéoarabe au Maroc, est digne d’intérêt, sa réalisation l’est moins.
L’errance d’un trader israélien est traitée tour à tour comme une
comédie burlesque ou comme une dramatique, sans qu’aucun
des deux registres ne convainque. p t. s.
Zoolander 2
Film américain de Ben Stiller (1 h 42).
Suite opportuniste, dépourvue de grâce et d’inspiration, Zoolander 2 recycle les idées de la satire du milieu de la mode qui avait
contribué à imposer Ben Stiller, il y a quinze ans, comme l’un
des artisans du renouveau de la comédie américaine. p i. r.
NOUS N’AVONS PAS PU VOIR
Célibataire, mode d’emploi
Film français de Pierre Godeau,
avec Adèle Exarchopoulos,
Guillaume Gallienne, Stéphanie
Cléau (1 h 50).
Film américain de Christian Ditter (1 h 44).
La Chute de Londres
Film américain de Babak Najafi (1 h 38).
L’art de l’arnaque
Jean-Luc Léon brosse le portrait d’un copiste de génie qui a dupé de fins experts
UN VRAI FAUSSAIRE
ppvv
alQ + Cr 16
D
Zadig Films présente
UN FILM DE PAScALE BrEToN
avec
FESTIVAL DEL FILM
LOCARNO 2015
CONCORSO INTERNAZIONALE
PRIX FIPRESCI
Valérie DréVille / Kaou langoët / elina löwensohn
e vieilles attaches se réveillent inopinément,
parfois. Ainsi de Jean-Luc
Léon, dont on avait adoré Les Lapirov passent à l’Ouest (1994) – une
famille juive soviétique filmée à
dix ans d’écart, entre Moscou et
New York. Puis le réalisateur filmait pour Arte Le Marchand, l’Artiste et le Collectionneur (1996),
chronique assassine des activités
de Pierre et Marianne Nahon, célèbres galeristes parisiens, qui fit un
sacré scandale. Vingt ans plus tard
– entre-temps perdu de vue au cinéma –, Léon y revient, ainsi qu’à
un sujet qui visiblement le chiffonne : l’art, ses affinités tant avec
la croyance qu’avec l’imposture.
Le héros de son film est un des
plus grands faussaires français,
qui n’était pas un simple copiste,
mais inventait des toiles de maîtres « à la manière de ». Des milliers de toiles ont ainsi été propagées sur le marché, dont certaines,
pour ne pas dire beaucoup, y circuleraient encore, authentifiées par
les meilleurs experts. Cet homme
se nomme Guy Ribes, il a payé,
comme on dit, sa dette à la société,
et a accepté de se laisser filmer et
de se raconter en allant sur ses
70 ans. Personnage excessif, truculent, il est plein de verve, d’histoires à n’en plus finir, de comptes à
régler, de scandales à révéler.
On touche ici au double effet du
film. D’une part, un régal de drôlerie, un modèle d’insoumission,
une description piquante du milieu de l’art. D’autre part, une tendance à la fabulation et à la rodomontade qui laissent penser que
Guy Ribes pourrait nourrir sa légende sans toujours sacrifier à la
vérité.
Revers de la médaille
En tout état de cause, et quelque
fragile que puisse être le sort réservé à la vérité dans cette histoire,
les deux revers de la médaille sont
aussi savoureux et rocambolesques l’un que l’autre. Le récit de la
vie du héros (élevé dans une maison close par des parents proxénètes à Lyon, brièvement engagé
dans la marine nationale, cam-
brioleur occasionnel, flambeur et
noceur toute sa vie durant), la sûreté du coup de pinceau (qui réinvente Picasso aussi bien que Chagall), la description de ses arnaques (de la prouesse technique au
coup de bluff mondain), impressionnent notablement. Il n’est pas
jusqu’aux témoins à charge – commissaire de police ou procureur de
la République – qui ne laissent percer, sous la juste condamnation de
l’acte délictueux, un soupçon d’admiration pour le bonhomme.
C’est que quelque chose, dans la
défense d’assez mauvaise foi que
prodigue le héros de ce film, sonne
finalement juste. Il s’agit de la
croyance dans l’art, dont il fait valoir qu’elle vaut aussi bien, en définitive, pour ses toiles que pour
leurs modèles. Générateur d’une
passion identique, le faux peut
ainsi nourrir le vrai, simplement
en se faisant passer pour lui.
N’est-ce pas là une excellente définition générale de l’art ? p
jacques mandelbaum
Documentaire français
de Jean-Luc Léon (1 h 30).
culture | 17
0123
MERCREDI 2 MARS 2016
Un certain regard chez la vache ?
Présent dans deux films actuellement à l’écran, le ruminant a été l’objet
d’un débat, animé par Jean-Luc Godard, sur son expressivité
LE FIGARO
« SOMPTUEUX.»
VANITY FAIR
« UN ÉVÈNEMENT.»
ANALYSE
L
es vaches font-elles de
bonnes actrices ? La question peut se poser avec
deux films à l’écran mettant en scène des bovins et le Salon de l’agriculture : La Vache, la
comédie de Mohamed Hamidi, et
Saint Amour, de Benoît Delépine
et Gustave Kervern. Dans le numéro 300 des Cahiers du cinéma,
en mai 1979, Jean-Luc Godard, qui
s’était vu confier la rédaction en
chef du magazine pour l’occasion,
écrivait une lettre au réalisateur
Alain Tanner. Il lui reprochait de
n’avoir pas, pour son précédent
film, Messidor, fait appel aux service d’un photographe avant le
tournage.
A ce courrier, Godard avait
ajouté des images d’animaux en
gros plan et précisait fort sévèrement : « Ci-joint trois photos de vaches faites par ce photographe et il
me semble très visible qu’elles ont
trois expressions différentes alors
que tes actrices ont toujours la
même… » Il ajoutait : « Ces photos
expriment, il me semble, une relation extrêmement forte avec
l’autre, que ce soit le décor ou les
êtres vivants. Contrairement à tout
ce qui se dit et s’écrit, le regard de
ces animaux est tout sauf neutre.
C’est un véritable regard critique, à
sa place dans une vraie revue de cinéma si celle-ci existait. »
Godard concluait ainsi sa démonstration : « En fait, ce qu’elle
critique, cette vache, c’est pas que
les cinéastes roulent en auto, c’est
que même s’ils viennent filmer aux
champs, leur regard fait toujours
du cent vingt à l’heure. » On retrouvait, dans cette utilisation de la vache comme, disons, outil conceptuel, l’impératif godardien du ralentissement nécessaire à une
meilleure vision des choses et le
souci d’une expressivité de l’acteur, expressivité perdue selon lui
et dont le manque était négativement incarné par celle, présumée,
des ruminants.
Alain Tanner répondit, semblet-il, à cette « lettre » de Godard en
insérant un mystérieux plan de
vaches, plan qui n’était guidé par
« D’UNE BEAUTÉ
À COUPER LE SOUFFLE ! »
CLAP !
« MAGIQUE ! »
LES INROCKS
« SUBLIME ! »
!!!
« UNE
PREMIÈRE
MERVEILLE.»
LE MONDE
« UNE ÉLÉGANCE FOLLE.»
VOGUE
Isabelle Huppert dans « Sauve qui peut (la vie) », de Jean-Luc Godard (1980). PROD DB/MK2 SARA FILMS
aucune nécessité narrative, dans
le film qu’il tourna cinq ans plus
tard, No Man’s Land. Mais c’est un
autre cinéaste, lui aussi ancien critique, qui contestera l’idée godardienne de l’expressivité des vaches. Luc Moullet reprochera à
l’auteur du Mépris de nier ce qu’il
considérait comme un des rares
privilèges de celles-ci sur l’humanité : « la neutralité du regard ».
La neutralité bovine
Etrangement, bien avant cette réfutation, Moullet avait déjà émis
une telle idée dans un entretien
paru dans le numéro des Cahiers
du cinéma précédant celui dirigé
par Godard. Donné à l’occasion de
la sortie de son film Genèse d’un
repas, il avait été justement intitulé « Le regard honnête de la vache ». « Le principe [de mon film],
dira Luc Moullet, c’est un peu le regard de la vache comme dans mes
films précédents, c’est-à-dire quelque chose d’extrêmement neutre. »
Cette controverse amusante ne
repose pas sur l’opposition radicale de deux conceptions du cinéma mais témoigne, plus modes-
tement, d’un regard différent sur
les capacités du ruminant à exprimer une émotion, fût-elle primitive. La neutralité bovine devient
ainsi une sorte de défi pour les cinéastes. Qu’attendre d’un animal
dont le regard ne saurait déterminer devant la caméra aucun sens
perceptible ou déchiffrable ?
La vache pourrait-elle remettre
en question l’effet Koulechov, du
nom de l’expérience de ce cinéaste
soviétique qui a fait précéder le
même plan de visage de l’acteur
Ivan Mosjoukine par trois plans
représentant des objets ou des situations diverses (une assiette de
soupe, une femme morte, une
fillette qui joue) ? Le montage des
images conférait à l’acteur une expression différente et imaginairement fabriquée par le spectateur
(la faim, la tristesse, l’amusement).
Une telle opération de synthèse
mentale serait-elle envisageable si
on substituait une vache à l’acteur ? Y a-t-il un vertige de l’opacité
d’un regard bovin plus fort que les
moyens du cinéma ? Question que
Godard et Moullet ont transformée en débat théorique.
Dans Sauve qui peut (la vie)
(1980), Godard introduisait des
vaches dans son cinéma, au cours
d’une scène durant laquelle un
personnage féminin, dans une
étable, montrait ses fesses à une
rangée de bovins apathiques. Le
contraste entre la partie sexuée et
charnue de l’actrice et l’œil rond
de ruminants indifférents au
spectacle proposé donnait raison
à la théorie de Luc Moullet. Mais
que faire avec cette neutralité essentielle ?
La vache représente donc, sinon
un enjeu cinématographique, du
moins un motif assez réjouissant
et peut-être pas si frivole que ça.
Deux films célèbres ont accolé à
un « personnage » de vache des
acteurs aux antipodes l’un de
l’autre. Comme si l’œil obtus de
l’animal appelait soit ce qui s’opposait radicalement à lui, soit ce
qui s’en approchait le plus : l’expressivité grimaçante de Fernandel dans La Vache et le Prisonnier
(1959), d’Henri Verneuil, ou l’impassibilité de Buster Keaton dans
Ma vache et moi (1925). p
« GRANDIOSE ! »
TRANSFUGE
« UN PUR MOMENT
DE GRÂCE.»
LA CROIX
jean-françois rauger
La descente plutôt que l’élevage
Le duo Depardieu-Poelvoorde en pilotage automatique sur les routes de France
pour sauver l’avenir du monde paysan
SAINT AMOUR
pvvv
C
omme on le sait, ou pas, il
règne dans ces colonnes
un constant respect pour
l’œuvre anarcho-déglingo-humaniste des deux ex-zozos de Canal+
passés réalisateurs, on a nommé
Benoît Delépine et Gustave Kervern. Pour le côté fleur bleue et
coup de trique, électrique et lymphatique, fantaisiste et ravagé.
Rien à redire non plus sur la bande,
très smart, de grands dingues abîmés qu’ils ont agrégée à leur univers poétique de la dernière
chance, qu’il s’agisse de Gérard
Depardieu, Benoît Poelvoorde ou
Michel Houellebecq.
Notre déclaration d’amour profane étant faite, il faut bien rétrograder en douceur au retour de ce
Saint Amour, qui, avouons-le, se
laisse un peu aller sur la pente de la
facilité. Comme le titre le claironne, ce nouveau road-movie est
situé au carrefour de la Trinité et
de la dive bouteille, quelque part
entre Jésus et Rabelais. Les personnages en sont des innocents aux
mains pleines. Leur pèlerinage
Ce road-movie
est situé
au carrefour
de la Trinité et de
la dive bouteille
suit la route des vignobles. L’épilogue leur fait rencontrer rien moins
que la Sainte Vierge, quand bien
même elle s’appellerait Vénus,
aurait les cheveux rouges et les
traits félins de Céline Sallette.
Traduction. Jean (Gérard Depardieu) et son fils Bruno (Benoît
Poelvoorde) se trouvent au Salon
de l’agriculture. Le père rêve que
son fils prenne la suite, ce dernier,
vieux garçon en quête d’expériences sexuelles, buveur dépressif et
paresseux, est plus porté sur la
descente que sur l’élevage. Or, ce
Salon est un peu celui de la dernière chance. Trouvant son fils fin
beurré après sa tournée des stands
de dégustation, il l’emmène sur un
coup de tête faire la vraie route des
vignobles, dans un taxi conduit
par Mike (Vincent Lacoste), jeune
paumé un rien mythomane.
Voilà donc à peu près Dieu, le Fils
et le Saint-Esprit partis sur les routes de France, pour vider moult godets et tenter de sauver l’avenir du
monde paysan, cartographiant au
passage une France à la fois déprimante et insolite (Houellebecq en
propriétaire lessivé de chambre
d’hôte, Ovidie en agente immobilière saphique, Solène Rigot en serveuse catatonique).
Déconstruction narrative
Saint Amour est aussi la rencontre
de deux influences majeures. Les
Valseuses (Bertrand Blier) pour le
tandem Depardieu-Poelvoorde,
où Gérard, assagi, semble refaire la
route à l’envers en compagnie
d’un partenaire incontrôlable qui
joue son fils (même désir de transgression, même traversée erratique de la France, même rôle fondamental des femmes qu’ils croisent
sur leur chemin, même final miraculeux). Broken Flowers (Jim Jarmusch) pour le personnage interprété par Vincent Lacoste, qui profite de ce voyage pour sonner à la
porte de toutes ses ex.
Réminiscences fort honorables,
mais un tantinet écrasantes. Aussi
bien, selon le regard, le verre de
Saint Amour sera dit à moitié plein
ou à moitié vide. La première hypothèse privilégiera les moments
indéniablement croustillants que
le film parvient à prodiguer, l’examen d’entrée réussi de Vincent
Lacoste dans la classe des brindezingues, la décontraction souveraine du récit, la musique inspirée
de Vincent Tellier.
A contrario, la seconde hypothèse constatera les trop nombreux passages en pilotage automatique, la tendance à forcer sur
les messages, la déconstruction
narrative poussée à un stade critique, et un côté « le peuple et le terroir ne mentent pas » qui a quand
même ses limites. En un mot, l’impression que le film n’a pas su
transsubstantier en œuvre la virée
pittoresque qu’a dû être son tournage. Voilà. Le vin ne s’est manifestement pas transformé en sang,
mais rien n’interdit de le boire. En
revanche, pour l’Eucharistie, on repassera. p
jacques mandelbaum
Film français de Benoît Delépine
et Gustave Kervern. Avec Gérard
Depardieu, Benoît Poelvoorde,
Vincent Lacoste (1 h 42).
AU CINÉMA LE 9 MARS
18 | télévisions
0123
MERCREDI 2 MARS 2016
Dans la peau et dans la tête de Philip K. Dick
VOTRE
SOIRÉE
TÉLÉ
Très torturé, l’Américain a été l’un des auteurs de science-fiction les plus influents du XXe siècle
ARTE
MERCREDI 2 – 22 H 40
DOCUMENTAIRE
Q
ui était Philip K. Dick
(1928-1982) ? Un visionnaire ou un paranoïaque ? Un génie
littéraire ou un illuminé ? Ou bien un peu de tout
cela à la fois ? Les Mondes de Philip
K. Dick tente, en cinquante-deux
minutes, de faire le point sur
l’une des figures les plus singulières de l’histoire de la science-fiction. Avec un dispositif en ligne
qui permet de plonger plus avant
dans l’œuvre et le cerveau torturé
du romancier, composé d’un jeu
vidéo sur PC, baptisé Californium, et d’une expérience en réalité virtuelle, I, Philip.
Auteur prolifique
Philip K. Dick a laissé une empreinte indélébile dans la littérature. Auteur prolifique (plus de
40 romans et de 120 nouvelles), il a
écrit certains des grands classiques de la science-fiction des années 1960 et 1970 : Ubik (10/18,
1999), Le Dieu venu du Centaure
(J’ai lu, 2015). Et plusieurs de ses livres ont été adaptés au cinéma
comme Les androïdes rêvent-ils de
moutons électriques ?, réalisé par
Ridley Scott sous le titre Blade Runner, en 1982. Des romans et des
nouvelles sombres qui tournent
Pur produit de la contre-culture californienne, Philip K. Dick a écrit des livres sombres
sur l’Etat policier, la perte d’un être cher, l’effacement progressif de la réalité, la drogue… DR
toujours autour de l’Etat policier,
de la perte d’un être cher, de repères, et de l’effacement progressif
de la réalité, la drogue…
Les Mondes de Philip K. Dick emmène le spectateur à la rencontre
des proches de l’auteur, pour tenter de pénétrer dans son environnement et dans sa psyché. Tour à
tour, son biographe attitré, sa dernière épouse et son psychologue
détaillent les traumatismes et les
obsessions d’un écrivain boulimique de travail, qui écrit sous amphétamines et est gravement perturbé par la mort, à la naissance,
de sa sœur jumelle. Un reclus, qui
détestait sortir de chez lui, mais
pas un asocial ; un être rempli
d’angoisses, « mais pas un paranoïaque, au sens clinique », assure
son ancien psychologue.
Au-delà des difficultés psychologiques de l’auteur, c’est dans la manière dont il resitue l’œuvre de Philip K. Dick dans son contexte politique que le documentaire de Yann
Coquart et Ariel Kyrou est le plus
convaincant. Pur produit de la
contre-culture californienne, Philip K. Dick, élevé par une mère
communiste dans l’Amérique du
maccarthysme, a vécu presque
toute sa vie à proximité de l’université de Berkeley. Dans ce berceau de l’usage du LSD et des manifestations contre la guerre du Vietnam, l’auteur de science-fiction a
développé une conscience politique aiguë et une proximité avec
l’extrême gauche. Ce qui lui vaudra
une perquisition musclée et traumatisante, qui renforcera à vie sa
peur de l’émergence d’un Etat policier et des dérives totalitaires, explorées dans de nombreux livres.
Surveillance de masse, perquisitions, attentats et ennemi invisible : cette partie de l’œuvre de Philip K. Dick entre étrangement en
résonance avec l’actualité. Notamment lorsque le documentaire
nous emmène à Los Angeles, aux
côtés des forces de l’ordre, qui testent des technologies de « police
prédictive » – application à plus
petite échelle de ce que K. Dick décrivait dans Minority Report (Gallimard, 2002), un monde dans lequel des « précognitifs » signalent
les crimes avant qu’ils ne se produisent. Soudain, les mots de
l’auteur prennent un sens nouveau, lorsque sa voix surgit de
l’écran pour affirmer : « Vous
n’imaginez pas à quel point nos pires craintes étaient justifiées. » p
damien leloup
Les Mondes de Philip K. Dick,
de Yann Coquart et Ariel Kyrou
(Fr., 2016, 52 min).
La nouvelle série comico-judiciaire de France 2 ne fait pas dans la nuance
B
ien que séparés, Paule (Clémentine Célarié) et Simon
Lebowitz (Antoine Duléry)
ont continué de travailler dans le
cabinet d’avocats qu’ils ont créé
ensemble et sont restés très attachés l’un à l’autre. Jusqu’au jour
où Paule apprend que Simon s’est
remarié en secret avec leur associée, la jeune et ambitieuse Irène
(Caroline Anglade), de vingt ans
sa cadette. Ce dernier, subitement
emporté par une crise cardiaque,
n’aura guère le temps de se justifier et laissera derrière lui deux
femmes, désormais contraintes
de codiriger le cabinet, et dont les
relations sont à couteaux tirés.
Contrairement aux productions
précédentes, « Boulevard du Palais » et « Accusé », cette nouvelle
série judiciaire que lance France 2
revendique un ton comique qui
s’exprime à outrance dans les premiers épisodes, comme s’il s’agissait surtout de prévenir le téléspectateur qu’il va bien s’amuser.
Clémentine Célarié accompagne
ce mouvement avec une énergie
excessive et un jeu de grimaces
que même les comédiens de films
muets n’osaient pas toujours
s’autoriser.
Des répliques bien troussées
Cette manière démonstrative a
pour effet d’agacer au plus haut
point et de nous faire oublier l’intérêt des dossiers (et intrigues)
dont la quadragénaire a la charge
et dont elle s’acquitte en permanence avec brio.
Heureusement, même si le travers d’un comique appuyé n’est
TF1
20.55 Grey’s Anatomy
Série créée par Shonda Rhimes.
Avec Patrick Dempsey, Ellen Pompeo
(EU, saison 11, ép. 1 et 2/24).
22.40 Les Mystères de Laura
Série développée par Jeff Rake,
Carlos Vila et Javier Holgado.
Avec Debra Messing, Josh Lucas
(S1, ép. 1 à 3/22)
France 2
20.55 Lebowitz contre Lebowitz
Série créée par Laurent Burtin,
Nathalie Suhard, Jacques Bastier.
Avec Clémentine Célarié, Caroline
Anglade, Michel Jonasz
(Fr., S1, ép. 1 et 2/8)
22.40 Folie passagère
Divertissement animé
par Frédéric Lopez.
France 3
20.55 Football
Quart de finale de la Coupe
de France : Saint-Etienne - PSG
Canal+
21.00 Nos femmes
Comédie dramatique de Richard
Berry. Avec Daniel Auteuil,
Richard Berry, Thierry Lhermitte
(Fr., 2015, 95 min).
22.30 Chic
Comédie de Jérôme Cornuau.
Avec Fanny Ardant, Marina Hands
(Fr., 2015, 103 min).
France 5
20.40 Aux portes du cosmos
Documentaire de Serge Tignères
(Fr., 2012, 83 min).
23.35 Dangers dans le ciel
Documentaire de Su Rynard
(Can., 2010, 45 min).
La folle du barreau
FRANCE 2
MERCREDI 2 – 20 H 55
SÉRIE
M E RCR E D I 2 M ARS
pas tout à fait gommé, il s’atténue
cependant à partir du quatrième
épisode, où Clémentine Célarié,
en retrouvant le chemin d’une interprétation moins hystérique,
permet aux autres acteurs de
s’épanouir et de révéler leur profil
parfois attachant (Michel Jonasz),
farfelu (Cécile Rebboah) ou décalé
(Nicolas Grandhomme) – et, pour
le coup, souvent drôle.
Il n’empêche que « Lebowitz
contre Lebowitz », dont le scénario réserve tout de même quelques répliques bien troussées,
demeure une série qui ne fait pas
dans la nuance et qui, à trop vouloir divertir, sombre d’emblée
dans la caricature. Et nous donne
dès la première demi-heure envie de fuir très loin du cabinet
Lebowitz. p
véronique cauhapé
« Lebowitz contre Lebowitz »
(saison 1), série créée par
Jacques Bastier, Nathalie Suhard
et Laurent Burtin.
Avec Clémentine Célarié, Caroline
Anglade, Michel Jonasz, Cécile
Rebboah, Nicolas Grandhomme
(Fr., 2015, 8 × 52 min).
Arte
20.55 A perdre la raison
Drame de Joachim Lafosse.
Avec Emilie Dequenne, Tahar Rahim
(Fr.-Bel., 2012, 110 min).
22.40 Les Mondes de Philip
K. Dick
Documentaire de Yann Coquart
et Ariel Kyrou (Fr., 2016, 56 min).
M6
20.55 Maison à vendre
Magazine animé par Stéphane Plaza.
0123 est édité par la Société éditrice
HORIZONTALEMENT
GRILLE N° 16 - 052
PAR PHILIPPE DUPUIS
1
2
3
4
5
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8
9
10
11
12
I
II
III
IV
V
VI
VII
I. On ne peut rien lui cacher. II. Plein
de vie et de malice. S’éloigna de la vérité. III. Facilite le tirage. Préférèrent
tout lâcher. IV. Dans les grands comptes mais plus dans les mesures. Enchaînement de nucléotides. Pointes
d’acacia. V. Personnel. Rencontre au
sommet. VI. Ballottée par l’histoire,
elle entre dans l’UE en 2004. Pointe
au sommet. VII. Fait bon ménage à
l’intérieur. Label de qualité. Orge et
seigle fermentés chez Vladimir.
VIII. Prépare les techniciens de demain. Personnel. A en mains. IX. Travaille à l’usine. Reprise avec explications. X. Doivent souvent lâcher un
peu de lest pour avancer.
du « Monde » SA
Durée de la société : 99 ans
à compter du 15 décembre 2000.
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SUDOKU
N°15-052
VERTICALEMENT
IX
X
SOLUTION DE LA GRILLE N° 16 - 051
HORIZONTALEMENT I. Acquittement. II. Feutrai. Amer. III. Flair. Trissa.
IV. Lallation. Si. V. Ieda (aide). Ute. VI. Cet. Irréelle. VII. Tréteau. Nie.
VIII. Io. Es. Siam. IX. Odon. Médiane. X. Nébulisation.
VERTICALEMENT 1. Aliction. 2. Cèla. Erode. 3. Qualité. Ob. 4. Utile.
Ténu. 5. Irradiés. 6. Ta. Tara. Mi. 7. Titi. Rusés. 8. Roué. Ida. 9. Maintenait. 10. Ems. Elimai. 11. Ness. Le. No. 12. Traîne. Zen.
1. Il y a des risques à se lancer sans
elle. 2. Facilite les ouvertures. 3. Un
quart de peseta. Vient d’avoir. 4. Mesure très discutable. Trachyte ou obsidienne après refroidissement. La
moitié d’un fayot. 5. Profondément
atteint. Avance en creusant. 6. Point
dans l’eau. A toujours un compte à régler. 7. Calme tout le monde. Possessif. 8. Entre Huron et Ontario. Réfractaire au laboratoire. 9. Transporte le
courant. Aide à tout remettre en
mouvement. 10. Grogne du cruciverbiste. Bien couvert. 11. Donna belle
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12. Poussent à la multiplication.
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n° 0717 C 81975 ISSN 0395-2037
0123
Les Unes du Monde
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- N˚19904
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L’investiture
de Barack
Nouvelle édition
Tome 2-Histoire
---
Jeudi 22 janvier
Uniquement
2009
Fondateur
Premières mesures
Le nouveau président
américain a demandé
la suspension
: Hubert Beuve-Méry
En plus du «
en France
- Directeur
Monde »
métropolitaine
: Eric Fottorino
Obama
des audiences
à Guantanam
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Barack et
Michelle Obama,
à pied sur
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WASHINGTON
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20 janvier,
CORRESPONDANTE
se dirigent
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nouvelle génération
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tallée à la tête
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d’une chanteuse.
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Kidjo, née au
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la campagne
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ambitions d’un
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(…)
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glacials et endurons
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et l’éditorial
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de 47 ans.
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Harry Belafonte… Bacall,
du discours
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miste Alan Greenspan.
Lire la suite
et l’écono- a It’s the economy...
des Etats-Unis.
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0123
MERCREDI 2 MARS 2016
MILAN | PRÊT-À-PORTER AUTOMNE-HIVER 2016-2017
hommages au cinéma
Très liée au 7e art, la création milanaise concilie son goût
pour les superproductions et les ambiances intimistes
MODE
milan
L
es Oscars 2016 ont doublement récompensé la
mode italienne : Leonardo DiCaprio a reçu sa
statuette dorée en smoking Giorgio Armani, tandis que Brie Larson allait chercher la sienne en
robe griffée Gucci. Souvent glamour et photogéniques, les créations milanaises participent activement à la liaison passionnelle
qui unit la mode et le cinéma. Et
ces deux univers évoluent comme
en miroir. D’un côté les superproductions répondent aux films
d’auteurs, de l’autre les collections
visuelles et commerciales disputent la vedette à des approches
plus cérébrales du vêtement.
En 2016, l’enjeu consiste pour la
mode milanaise à trouver le plus
de nuances possible dans cette dichotomie, afin de moderniser son
image. De Richard Gere (période
American Gigolo) à Cate Blanchett,
Jodie Foster et bien d’autres, Giorgio Armani est un habitué des tapis rouge et ses créations défendent un glamour intemporel qui a
depuis longtemps conquis l’Amérique par son chic milanais rigoureux. Il est bien là dans la collection hiver : le velours sombre et
les coupes tailleurs tout en souplesse évoquent un personnage
de Garbo à l’italienne dans une superproduction à la James Bond.
Les fleurs impressionnistes tissées dans les laines et les soies apportent une touche féminine tout
public avant que les capes et les
drapés, les velours dévorés et les
soies moirées n’enveloppent les
silhouettes du soir d’une forme de
mystère qu’affectionnent les stars
à l’ancienne qui ne dévoilent pas
tout sur Instagram.
L’ambiance est moins dramatique chez Bottega Veneta, où Tomas Maier met en scène grands
manteaux et costumes croisés,
imprimés panthère, effets de carreaux texturés, mailles aux dégradés graphiques et poétiques, robes sages voilées de mousseline
ou structurées par des brassières
sensuelles. L’allure, terriblement
élégante, est soutenue par les effets de matières et les jeux de lumière. C’est un peu comme si
George Cukor ou Alfred Hitchcock tournait un film aujourd’hui
en Italie : forcément un classique
grand public de très haute qualité.
Le ton est plus intimiste pour la
collection Agnona, la première de
son nouveau directeur artistique,
le talentueux Anglais Simon Holloway. Une plongée dans les archives de cette maison, spécialisée
dans les étoffes de grand luxe, lui a
inspiré un vestiaire aux tons crémeux et aux textures sensuelles.
Ses jupes fendues à taille élastique, ses pulls en mohair dégradés,
ses robes à fines bretelles en cachemire double face, ses marqueteries de fourrure évoquent une
Virginia Woolf du XXIe siècle qui
habiterait une villa donnant sur le
lac de Côme. C’est élégant et moderne, le glamour des années 1950
est réconcilié avec le confort que
l’on exige du luxe d’aujourd’hui,
même si les prix de cette ligne en
font fatalement une production
exclusive.
Les marques italiennes se tournent beaucoup vers cette épure
classique, mais la modernité s’exprime aussi dans une veine plus
pop et colorée. Chez Marni, Consuelo Castiglioni propose un vestiaire aux architectures raffinées
et puissantes. Les manches des robes et des blouses sont délicatement soufflées, de gros boutons
ferment les pantalons larges à
Giorgio
Armani.
STEFANO
Dolce & Gabbana. GIUSEPPE CACACE/AFP
RELLANDINI/REUTE
RS
Marni. TIZIANA FABI/AFP
taille haute, les jupes longues aux
découpes arrondies soulignent la
démarche des filles qui passent
sur des talons aux contours sinueux. Les clashs d’imprimés abstraits et les bijoux classiques détournés (des empilements de perles aux oreilles) achèvent de créer
une atmosphère singulière, façon
Antonioni/Peter Sellers, version
2016 ; pas forcément tout public
sur le papier, c’est tellement séduisant qu’il est difficile d’y résister.
Les ensembles monochromes
aux volumes abstraits de Salvatore Ferragamo ont une élégance
imparable. Mais le designer Massimiliano Giornetti multiplie
aussi les silhouettes aux imprimés multicolores en zigzag, les
étages de volants et les mélanges
de carreaux. C’est très photogénique, mais on perd un peu le fil de
cette collection qui manque d’un
« scénario » clair. Cette ligne directrice qui lui fait défaut est en revanche très lisible chez Jil Sander,
où Rodolfo Paglialunga pratique
une sorte de « cinéma » de genre
très réussi. Manteaux et tailleurs
stricts aux volumes légèrement
décalés, robes asymétriques qui
dévoilent une épaule, chemises
austères et drapées créent l’ambiance stricte, glacée et fascinante
d’un film noir berlinois, peuplé de
ces belles prédatrices qui daignent
parfois se glisser dans la lumière
liquide du Lurex rose ou argent.
SOUVENT GLAMOUR
ET PHOTOGÉNIQUES,
LES MARQUES
ITALIENNES PARTICIPENT
ACTIVEMENT À LA LIAISON
PASSIONNELLE QUI UNIT
LA MODE ET LE CINÉMA
Cet esprit « film de genre »
trouve un écho plus léger chez
Bally où Pablo Coppola explique
en riant que sa collection pourrait
être un film de John Waters dans
lequel jouerait Françoise Hardy.
Manteaux à effets tachistes en
noir et blanc, mini robes volantées vert acide ou rose bonbon,
minijupes trapèze en cuir et pulls
en mohair à manches pagode,
bottines faites de cuirs contrastés
et inspirées d’un modèle d’archive composent donc un vestiaire pop frais et distancié.
Chez Philosophy di Lorenzo Serafini, ce talentueux designer inconnu du public entraîne le spectateur dans un monde romanticorock sous influence eighties. Avec
ses pantalons taille haute en cuir
rouge ou noir, ses escarpins et bottes vernis, ses robes en dentelle
aux coupes modernes, ses mohairs volantés, il invente une sorte
de comédie musicale branchée et
assez cool pour rester plausible.
De son côté, Jeremy Scott a volontairement quitté la réalité et
s’inspire pour Moschino de la Renaissance et de l’époque précise
où les autorités religieuses incendièrent les objets d’art qui dérangeaient leur monde normé. Marquise motarde, princesse punk,
femme chandelier, robes du soir
dévorées par les flammes composent un ensemble au kitsch presque parodique. Cette comédie
burlesque fait le succès de Scott,
mais empêche parfois de le prendre vraiment au sérieux.
Enfin, les rois de la superproduction milanaise restent Dolce
& Gabbana, sorte de Michael Bay
de la mode italienne. Comme le
réalisateur qui a bâti sa gloire avec
des blockbusters à effets spéciaux,
le duo doit son succès à des collections thématiques ultra-efficaces.
Cette saison, les créateurs font appel à la fillette qui sommeille en
chaque femme avec une collection
pour princesse Disney. Tailleur à
brandebourgs, robe de bal et escarpins façon souliers de vair, broderies naïves très couture (chats, rats,
petits soldats…), flots de franges
métallisées, sacs châteaux : le
spectacle est au rendez-vous. Si le
cinéma est un art qui se regarde, le
défilé est son lointain cousin ;
mais la mode, elle, doit se porter. p
carine bizet
Bottega Veneta. ALESSANDRO GAROFALO/REUTERS
20 | disparitions & carnet
Claude Parent
Architecte
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MERCREDI 2 MARS 2016
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En 2014.
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ont la tristesse de faire part du décès de
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La cérémonie religieuse sera célébrée
le vendredi 4 mars, à 14 h 30, en l’église
Saint-Léon IX, à Nancy (Meurthe-etMoselle), suivie de l’inhumation
dans l’intimité, au cimetière de Préville.
survenu le 25 février 2016,
à l’âge de quatre-vingt-treize ans,
à Paris 12e.
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L’
« Le culte de l’avenir »
Né le 26 février 1923 à Neuilly, il
avait commencé par des études
de mathématiques, avant d’entrer
en 1936 dans l’atelier de Joël Lemaresquier aux Beaux-Arts de
Toulouse. Il revient dix ans plus
tard à Paris, où il effectue des stages, notamment dans les ateliers
de Le Corbusier et de Jean Trouvelot. Associé avec Ionel Schein,
de 1949 à 1955, il gagne avec lui,
en 1953, le Premier Prix d’architecture pour le concours organisé
par la revue La Maison française.
Proche d’André Bloc, artiste, architecte et éditeur, il devient rédacteur en chef de la revue L’Architecture d’aujourd’hui. Il réalise de
nombreuses maisons (notamment celle d’André Bloc à Antibes,
en 1959), et participe au groupe
Espace, qui défend une nouvelle
synthèse des arts, dans une tendance proche de Theo van Doesburg et du néoplasticisme des années 1920. Visionnaire convaincu,
dessinateur passionné, Claude Parent multiplie les recherches aux
limites de l’art et de l’architecture.
Parent et Virilio, urbaniste et architecte, devenus professeurs à
l’Ecole spéciale d’architecture,
vont alors contribuer à former
dans leur atelier plusieurs grands
noms de l’architecture contemporaine française.
Ils fondent le groupe Architecture principe, défendant l’idée
d’une nouvelle appropriation de
l’espace commandée par la
« fonction oblique » qui établit un
nouveau rapport au sol fondé sur
l’instabilité et le déséquilibre.
L’oblique génère une nouvelle importance au sol : le plan incliné
permet de déployer la surface
utile. Jean Nouvel, qui fut son
élève, l’explique à sa manière :
« Des espaces enchaînés par des
rampes qui obligent le corps à être
dans une dynamique plus forte.
Parent est utopique, il a le culte de
l’avenir, du mouvement. » Plus
poétiquement, le même Nouvel
peut expliquer que Claude Parent,
« récusant la ville verticale, a imaginé les “inclisites”, cités obliques
où les habitants, comme les montagnards, vivent essentiellement
sur les pentes, nouvelle organisation de l’espace basée sur la santé
et le plaisir du corps en mouvement ».
Parmi les projets représentatifs
de ce concept de « fonction oblique » figurent l’église Sainte-Bernadette à Nevers (1963-1966), le
complexe culturel de Charleville
(1965), les centres commerciaux
de Reims-Tinqueux (1969) et de
Sens (1970).
Ce dessinateur passionné et virtuose réalise ensuite des ensembles commerciaux et socioculturels (à Sens, Reims, Nevers), des
immeubles de bureaux à Lyon,
des collèges et lycées à Prague,
tout en travaillant dans le domaine de l’architecture nucléaire
(centrales de Cattenom et de
Chooz). Il réalise, par ailleurs, le
Théâtre Silvia-Monfort à Paris,
l’hôtel de région à Marseille, et
l’hôtel de ville de Lillebonne (Seine-Maritime).
Claude Parent était l’auteur de
nombreux ouvrages, tels que Cinq
réflexions sur l’architecture (1972),
Claude Parent, architecte (1975),
Entrelacs de l’oblique (1981), Les
Maisons de l’atome (1983), Cuits et
archicuits (2003).
En 1979, Claude Parent avait
reçu le Grand Prix national d’architecture pour l’ensemble de son
œuvre. Il était officier de la Légion
d’honneur. p
frédéric edelmann
Alain GODARD,
agrégé de l’Université,
professeur émérite
à l’université Paris I Panthéon-Sorbonne.
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26 FÉVRIER 1923 Naissance
à Neuilly-sur-Seine (Hautsde-Seine)
1979 Grand Prix national
de l’architecture
2005 Membre de l’Académie
des beaux-arts
27 FÉVRIER 2016 Mort
à Neuilly-sur-Seine
ont le chagrin d’annoncer le décès,
survenu à l’âge de quatre-vingt-six ans,
le 25 février 2016, à Antony, de
Vincent et Marie Christine Michon,
Xavier et Anne Michon,
Marie Françoise et Bernard Gausset,
Jean et Martine Michon,
Christophe et Agnès Michon,
Anne et Christian Mathieu,
Claire Michon,
ses enfants,
Nicole et Michel Desvignes,
sa sœur,
Hélène Michon,
sa belle-sœur,
Aude, Erwan, Anne-Tiphaine, Marc,
Laure, Cédric, Alexis, Pieranne, Mélanie,
Maxime, Jocelyn, Clémence, Coline,
Adrien, Claire-Cécile, Pascal, Marine,
Baptiste, Guillaume, Nicolas, Benjamin,
ses petits-enfants
ainsi que leurs conjoints,
Ses vingt-quatre arrière-petits-enfants,
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architecte et théoricien
de l’architecture Claude
Parent est mort à l’âge
de 93 ans, au lendemain
de son anniversaire, à Neuillysur-Seine (Hauts-de-Seine), a annoncé, dimanche 28 février, sa famille. Au cours d’une carrière en
dents de scie, il avait notamment
reçu le Grand Prix national d’architecture en 1979 et avait été élu,
en 2005, membre de l’Académie
des beaux-arts. Il était le frère de
Michel Parent (1916-2009),
grande figure internationale du
patrimoine.
Dans le monde de l’architecture,
Claude Parent était devenu, ces
dernières années, un symbole de
la modernité. Sympathique et généreux, il était devenu un personnage fétiche pour la profession,
qui s’amusait de sa passion pour
les voitures de luxe.
Plusieurs expositions, notamment à la Cité de l’architecture et
du patrimoine et au Frac Centre
(Orléans), ont contribué à faire
émerger cette figure un peu
oubliée dans les années 1970 et
1980, qui voient les maîtres
d’œuvre se tourner vers des écoles plus anecdotiques. Non que
Parent et sa théorie de la « fonction oblique » soient beaucoup
plus justifiés. Mais, pris entre
deux générations, celle d’un
Le Corbusier et celle d’un Nouvel,
il était perçu comme un inventeur démodé. Et, pour séduisantes
que soient ses théories, elles passaient pour totalement utopiques
et trop rigides.
Nicolas Godard,
son ils
Et Sonia,
Madeleine Godard
Et Pierre, Yves, Michel et Philippe,
ses enfants,
Nicole Rivoirard, née Godard
Et Philippe, Jacques et Claire,
ses enfants,
Etienne et Monique Godard,
Hélène Godard,
Monique et Gustave Leyendecker
Et Anne, Claire et Vincent,
leurs enfants,
Ses frère, sœurs, beau-frère,
belles-sœurs, neveux et nièces,
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AU CARNET DU «MONDE»
Naissance
Jeanne SAUVAGEOT
et Benjamin ROTTIER
partagent avec
Joseph,
la joie d’annoncer la naissance de
Gaspard,
le 21 janvier 2016, à Paris.
Décès
Fatima Ait-Khaled,
son épouse,
Liza, Cylia et Yasmine,
ses enfants,
Elyès, Rayyan et Kamil,
ses petits-enfants,
ont l’immense tristesse de faire part
du décès de
M. Ali AIT-KHALED,
professeur
de maladies infectieuses et tropicales,
survenu le 25 février 2016, à Paris,
à l’âge de quatre-vingt-sept ans.
La famille remercie toutes les personnes
qui s’associent à son deuil.
Georgette,
sa mère,
Louise et Ferdinand,
ses enfants,
Dominique,
Evelyne,
Sophie,
sa belle-ille,
Alexandre,
son gendre,
Adèle et Joachim,
ses petits-enfants,
Sa famille
Et ses amis,
ont la tristesse de faire part du décès de
M. François DUPEYRON,
cinéaste
et écrivain,
survenu le jeudi 25 février 2016,
à Paris, à l’âge de soixante-cinq ans.
La cérémonie religieuse aura lieu
le mercredi 2 mars, à 14 h 30, en l’église
Notre-Dame-de-Grâce de Passy,
Paris 16e.
(Le Monde du 27 février.)
Nous avons la profonde tristesse
de faire part du décès de
Mme Marie-Thérèse FRENKEL,
née VINCENT,
enlevée à notre tendre affection,
le 29 février 2016,
à l’âge de quatre-vingt-quinze ans.
Elle rejoint son époux,
Jean FRENKEL.
La cérémonie religieuse aura lieu
le samedi 5 mars, à 14 heures, au centre
funéraire de Strasbourg-Robertsau, 15, rue
de l’Ill, où l’on se réunira.
Les fleurs pourront être remplacées
par des dons en faveur de la paroisse.
Cet avis tient lieu de faire-part
et de remerciements.
Résidence la Chartraine,
14, rue de l’Espérance,
92160 Antony.
Emmanuel Chain,
Roxane Torloting,
sa ille,
Jean et Lily Guignabodet,
ses parents,
Jean-Christophe Guignabodet,
son frère
et sa compagne, Marie Jacquelin,
Béatrice Guignabodet,
sa sœur,
Olympia, Damien et Eva,
ses neveux et nièces
Et tous ses amis,
ont la très grande douleur de faire part
du décès de
Valérie GUIGNABODET,
survenu brutalement le 23 février 2016,
à l’âge de cinquante ans.
Ses obsèques ont eu lieu dans la plus
stricte intimité familiale.
Marie Guillet, née Horeau,
son épouse,
Sara et Olivier de Frouville,
Sonia et Etienne Breton,
ses illes
et ses gendres,
Dimitri, Gabriel, Héloïse, Anna
et Raphaël,
ses petits-enfants,
ont l’immense tristesse d’annoncer la mort
de
Gérard GUILLET,
survenue à La Sage (Valais suisse),
le 24 février 2016,
à l’âge de soixante-douze ans.
La cérémonie religieuse aura lieu
le jeudi 3 mars, à 10 h 30, en l’église
Saint-Etienne-du-Mont, Paris 5e.
Cet avis tient lieu de faire-part.
[email protected]
Mme Odile HENRY,
décédée le 27 février 2016,
institutrice,
ancien Grand maître
de la grande Loge mixte de France.
Elle était l’épouse d’André Henry,
ancien ministre.
Mme Valérie Julien Grésin,
Sa famille
Et ses amis,
font part du décès de
Mme Maria JULIEN,
née PÉTAVY,
dans sa soixante-dix-septième année,
le 28 février 2016.
La célébration se déroulera le jeudi
3 mars, à 10 h 15, en l’église SainteBlandine, Lyon 2e, suivie de l’inhumation
dans l’intimité familiale.
Marie et Gregory Lavin,
Nicolas et Louise Mettra,
Jeanne et Dominique Videau,
ses enfants,
Mathias et Hélène, Stanislas et Lina,
Amélie et Corsin, Thibault et Alisson,
Pierre-Antoine, Jean-Nicolas (†), Noémie,
Martin,
ses petits-enfants,
Emilie, Lucien, Sveva, Jules, Maxence,
Majan,
ses arrière-petits-enfants,
ont la grande tristesse de faire part
du décès de
Françoise METTRA,
née ROUSSEL,
agrégée de lettres classiques,
survenu le 23 février 2016,
à l’âge de quatre-vingt-quinze ans.
Elle repose au cimetière de l’Isle-surla-Sorgue, auprès de son époux,
Jacques METTRA.
[email protected]
Mme Renée MICHON,
née MILLERAND,
Elle a rejoint son époux,
Lucien
et ses enfants,
Luc
et
Agnès.
La cérémonie religieuse a eu lieu,
en l’église Saint-Eloi, Paris 12e, ce mardi
1 er mars, à 10 heures. Celle-ci sera
suivie de l’inhumation au cimetière
des Rousses (Jura), le mercredi 2 mars,
à 10 h 30.
Cet avis tient lieu de faire-part.
Ni fleurs ni couronnes, dons
au Secours Catholique, au CCFD
ou la CIMADE.
28, square Jean-Jacques Rousseau,
35700 Rennes.
Albert NAUDI
nous a quittés le samedi 27 février 2016,
dans sa quatre-vingt-quinzième année.
Ses enfants,
Sa famille
Et tous ses proches,
ont la grande tristesse de vous en faire
part.
L’inhumation aura lieu le jeudi 3 mars,
à 11 h 30, au cimetière du Plessis-Robinson
(Hauts-de-Seine).
C’est avec une immense tristesse
que le MRAP
fait part du décès de
Charles PALANT,
cofondateur du MRAP
et l’un de ses éminents dirigeants.
Il s’est éteint le vendredi 26 février
2016, à l’âge de quatre-vingt-treize ans.
Militant syndical et antiraciste dès son
plus jeune âge, il préside à la in des années
trente le comité des jeunes de la Ligue
internationale contre l’antisémitisme
(LICA).
Dénoncé à la Gestapo, celle-ci l’arrête
à son domicile le 17 août 1943 à Lyon.
Découvrant à cette occasion leur judéité,
la police allemande arrête également
sa mère et sa sœur. Ils sont transférés
à Drancy, puis déportés à Auschwitz,
dans le soixantième convoi de mille juifs
livrés à la « solution inale ».
Seul survivant de sa famille raflée,
le 11 avril 1945, il a vingt-trois ans et pèse
quarante kilos à sa libération du camp
de Buchenwald.
Cofondateur en 1949 du MRAP
- à l’époque « Mouvement contre le
racisme, l’antisémitisme et pour la paix »
- il en assura la direction en occupant
successivement les fonctions de secrétaire
général et de président.
Sous l’impulsion de Charles Palant,
le MRAP mobilisa l’opinion, dès 1951,
pour tenter de soustraire les époux
Rosenberg à la mort, puis pour exiger
leur réhabilitation.
Avec d’autres responsables et militants
du Mouvement, il fut à l’origine en 1977,
du changement de dénomination
du MRAP, devenu « Mouvement contre
le racisme et pour l’amitié entre les
peuples ». Il plaçait ainsi résolument la
lutte antiraciste que mène le MRAP
au cœur de l’universalité.
Inlassable militant, au service des
générations nouvelles, il fut pendant
de longues années - et jusqu’en 2015 représentant du MRAP au sein des
instances de la Commission nationale
consultative des droits de l’homme CNCDH.
L’inhumation aura lieu au cimetière
du Père-Lachaise, Paris 20e, le mercredi
2 mars, à 13 heures.
M. Erik Desmazières,
président,
M. Arnaud d’Hauterives,
secrétaire perpétuel
Et tous les membres
de l’Académie des beaux-arts,
ont la tristesse de faire part du décès
de leur confrère,
Claude PARENT,
membre de l’Institut
(section d’architecture
de l’Académie des beaux-arts)
commandeur de la Légion d’honneur,
commandeur
de l’ordre national du Mérite,
commandeur
dans l’ordre des Palmes académiques,
commandeur
dans l’ordre des Arts et des Lettres,
survenu le samedi 27 février 2016,
à l’âge de quatre-vingt-treize ans.
Les obsèques seront célébrées,
dans la plus stricte intimité, le vendredi
4 mars.
Cet avis tient lieu de faire-part.
Académie des beaux-arts,
23, quai de Conti,
75270 Paris Cedex 06.
Béatrice,
son épouse,
Nicolas, Olivier, Laurent, Perrine,
Benjamin,
ses enfants,
Martine, Danièle, Elisenda,
ses belles-illes,
François,
son gendre,
Jacques-Antoine, Mathieu, Nathaniel,
Michaël, Kim, Jessica, Elisabeth,
Henri-Raphaël, Naomi, Clémentine,
Aurélien, Annabelle, Sacha, Candice,
Emma,
ses petits-enfants,
ses arrière-petits-enfants,
Martine Lévy,
sa sœur,
ont l’immense chagrin de faire part
du décès de
Didier PHILIPPE,
ancien agent de change,
oficier ministériel,
survenu le 28 février 2016.
Il n’a été que bonté et droiture,
le pilier de notre famille.
Les obsèques ont lieu au cimetière
du Montparnasse, Paris 14 e, ce mardi
1er mars, à 14 heures.
12, rue de l’Élysée,
75008 Paris.
Anniversaire de décès
Il y a cinq ans, le 1 er mars 2011,
disparaissait
Bernard MEUNIER.
Il nous manque.
Paule, Sophie, Yacine, Idir, Inès
Et toute la famille,
vous remercient d’avoir une pensée
pour lui en ce jour anniversaire.
Souvenir
Alonzo LE BLANC,
1933 - Québec - 2010.
Prions pour lui.
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0123 | 21
0123
MERCREDI 2 MARS 2016
FRANCE | CHRONIQUE
par gé r ar d co urtois
Macron est-il
un Bisounours ?
M
ême pour d’excellentes et légitimes
raisons, il est bien
imprudent
de
s’éloigner un moment de l’actualité. La situation du président de la
République et du gouvernement
était mauvaise, à l’évidence. En
l’espace d’une semaine, elle est devenue exécrable, confirmant
l’adage chiraquien selon lequel
« les emmerdes, ça vole toujours en
escadrille ». L’inventaire est éloquent, comme si aucune initiative,
aucune réforme, aucun projet ne
trouvait plus grâce, désormais,
aux yeux des corporations concernées. Comme si le pouvoir exécutif était devenu inaudible.
Ainsi de la crise des éleveurs
français, lancinante depuis des
mois, scandée depuis des semaines par des opérations coup de
poing et qui a trouvé une spectaculaire caisse de résonance au Salon de l’agriculture. L’Etat a eu
beau débloquer en urgence plus
de 800 millions d’euros d’aides,
baisser les cotisations sociales, décréter une année blanche sur les
charges des agriculteurs les plus
en difficulté et plaider, à Bruxelles,
pour une régulation européenne
des marchés afin de soutenir les
prix, rien n’y fait. Hué et vilipendé,
François Hollande l’a constaté à
ses dépens lors de l’inauguration
du Salon, le 27 février. Et l’on voit
mal, dans l’immédiat, ce qui pourrait calmer la colère paysanne.
Ainsi, encore, du projet d’aéroport de Notre-Dame-des-Landes
qui pourrit depuis des années. Le
chef de l’Etat pensait avoir trouvé
une porte de sortie honorable en
proposant de soumettre cet aménagement à un référendum local.
Peine perdue. Le 27 février, ce sont
des milliers de manifestants
– 50 000 selon les organisateurs,
15 000 selon les autorités, en tout
cas le double d’une précédente
mobilisation le 9 janvier – qui sont
venus dire leur opposition résolue
au projet lui-même et à la consultation annoncée, perçue comme
une manœuvre, non comme une
réponse.
Front du refus
De même, sans attendre sa présentation en conseil des ministres, le projet de réforme du droit
du travail a provoqué, en quelques jours, une redoutable levée
de boucliers. Front syndical inédit
depuis des années, opposition de
la CFDT à plusieurs dispositionsclés du projet, pétition en ligne
qui a engrangé plus de 700 000 signatures à ce jour, sans oublier la
menace de l’UNEF de faire descendre les étudiants dans la rue pour
protester contre ce qu’elle estime
être une généralisation de la précarité : là encore, voilà le gouvernement confronté à un inquiétant front du refus.
C’est sans compter avec la grogne des taxis qui continue à couver, ou celle des auto-écoles qui jugent inapplicable, dès avril, la réforme de l’épreuve de code de la
route et réclament son report à
l’automne. Sans compter, dans un
tout autre registre, avec la réforme
constitutionnelle et sa disposition sur la déchéance de nationalité, qui déchire la gauche et reviendra sur le devant de la scène,
dans trois semaines au Sénat.
HOLLANDE
EST COMME UN
FILDEFÉRISTE MENACÉ
PAR DE VIOLENTES
BOURRASQUES
DE VENT
IL FAUT BEAUCOUP
DE STOÏCISME
AU MINISTRE
DE L’ÉCONOMIE
POUR APPELER À
« UN VRAI DÉBAT
DÉMOCRATIQUE »
Bref, l’impasse où est enfermé le
pouvoir est impressionnante.
Tout y contribue. Un président
dont la popularité, autant que
l’autorité, est de nouveau au plus
bas ; il est comme un fildefériste
menacé par de violentes bourrasques de vent et qui tente de retrouver son point d’équilibre par de
constants mouvements de balancier. Un premier ministre – c’est sa
marque de fabrique – qui n’hésite
pas à cliver et à braquer pour
mieux démontrer son volontarisme. Un gouvernement replâtré
plus que remanié. Une majorité
chaque jour plus crispée et divisée.
Une gauche hérissée de contradictions, dont le réquisitoire cinglant
de Martine Aubry, dans ces colonnes, contre les choix du gouvernement n’est pas la moindre démonstration. Enfin, une fin de
mandat présidentiel où toute proposition nouvelle est parasitée par
les arrière-pensées électorales que
l’on prête à ses initiateurs, chef de
l’Etat en tête.
Dans ces conditions, il faut
beaucoup de stoïcisme au ministre de l’économie pour appeler à
« un vrai débat démocratique »,
mené « de manière calme et dépassionnée », comme il vient de le
faire, dans les colonnes du Journal
du dimanche, à propos de la réforme du code du travail. Faut-il,
pour autant, ranger Emmanuel
Macron dans la catégorie des Bisounours ? Certainement pas, car
– outre plusieurs perches tendues
aux syndicats dont on n’imagine
pas qu’elles n’aient été validées
par l’Elysée – il ajoute deux remarques. La première relève d’une
profession de foi difficilement
contestable : pour corriger une organisation du travail « injuste et
inefficace », « notre société et notre
économie ont un besoin furieux
d’innover économiquement, socialement, politiquement ». La seconde renvoie à un travers national tout aussi évident : « La France
a malheureusement l’habitude de
projets lancés sur des enjeux réels,
mais qui, mal emmanchés, finissent dans la crispation et l’omerta
politique. » Les exemples abondent, effectivement, depuis une
trentaine d’années.
Prudemment, cependant, le ministre ne va pas au-delà de ce
constat. Et pour cause. Cela pourrait le conduire à la même conclusion que le général de Gaulle, lorsqu’il plaidait, il y a un demi-siècle,
en défense des institutions qu’il
avait instaurées. « Faute de quoi,
écrivait-il dans ses Mémoires
d’espoir, la multiplicité des tendances qui nous est propre, en raison de notre individualisme, de
notre diversité, des ferments de divisions que nous ont laissés nos
malheurs, réduirait l’Etat à n’être
qu’une scène pour les confrontations d’inconstantes idéologies, de
rivalités fragmentaires, de simulacres d’action intérieure et extérieure, sans durée et sans portée. »
Hormis la référence très datée à
« nos malheurs », la description
est d’une cruelle actualité. A un
détail près : les institutions étant
les mêmes, c’est donc l’art de gouverner qui est en cause. Et ceux
qui l’exercent. p
[email protected]
Tirage du Monde daté mardi 1er mars : 237 875 exemplaires
DROIT
DU TRAVAIL :
LES FAUTES DU
GOUVERNEMENT
P
our la seconde fois en trois mois, le
pouvoir exécutif expérimente une
méthode de gouvernement inédite :
on se tire d’abord une balle dans le pied
gauche, ensuite dans le pied droit. La claudication est assurée, voire l’immobilisation. Le président de la République et le premier ministre avaient pourtant constaté,
avec la réforme de la Constitution et sa disposition sur la déchéance de la nationalité,
que cela pouvait faire de sérieux dégâts. Ils
sont en train de récidiver avec le projet de
loi sur le droit du travail.
Dans un pays miné par le chômage de
masse, chacun savait que cette réforme
était indispensable pour moderniser et assouplir le marché du travail, en adapter les
règles aux réalités spécifiques de chaque
entreprise et, en contrepartie, accorder aux
salariés de nouvelles protections. Mais personne n’ignorait que le sujet était hautement inflammable et qu’il faudrait beaucoup de doigté pour trouver le bon point
d’équilibre entre flexibilité et sécurité.
Le gouvernement avait d’ailleurs soigneusement préparé le terrain. Dès septembre 2015, le rapport de Jean-Denis Combrexelle avait doté le gouvernement d’une
solide boîte à outils pour adapter les règles
d’organisation du travail. De même, le comité présidé par Robert Badinter avait, à la
demande du gouvernement, gravé dans le
marbre les principes essentiels du droit du
travail. Jusque-là, tout semblait sous contrôle et le président de la République pouvait, à bon droit, plaider qu’entre ceux qui
ne veulent rien changer et ceux qui veulent
tout démolir, il y a place pour une réforme
intelligente et équilibrée.
C’est ensuite que les choses se sont gâtées. Sur le fond, un certain nombre de dispositions ont été introduites, de façon précipitée, brouillonne et opaque, au moment des derniers arbitrages sur l’avantprojet de loi, à la mi-février. Qu’il s’agisse
de la fixation du temps de travail, du plafonnement des indemnités prud’homales,
de la définition des motifs de licenciement économique, ou encore du recours
au référendum salarial, le gouvernement a
fait pencher nettement la balance du côté
de la flexibilité, au détriment de la sécurité. Au point de susciter l’opposition de la
CFDT, son partenaire syndical pourtant
indispensable.
La méthode a été tout aussi cafouilleuse.
En laissant entendre, le 18 février – et elle ne
s’était évidemment pas engagée sans l’aval
de l’Elysée et de Matignon –, que le gouvernement pourrait recourir à l’article 49-3 de
la Constitution pour forcer la main à une
majorité rétive, la ministre du travail, Myriam El Khomri, a braqué tout le monde. En
deux semaines, le gouvernement a donc
réussi à provoquer un périlleux front du refus, qui rassemble les syndicats, une
grande partie de la gauche, ulcérée ou déboussolée, la société civile, qui pétitionne à
grande échelle sur Internet contre le projet,
et jusqu’aux étudiants de l’UNEF, qui menacent de descendre dans la rue.
En décidant, le 29 février, de reporter de
quinze jours la présentation du texte en
conseil des ministres, le premier ministre
tente de faire baisser la pression. Mais on
sait d’expérience ce qu’il en est : ou bien le
gouvernement ne cherche qu’à gagner du
temps et il cristallisera un peu plus les oppositions de la gauche politique et syndicale ; ou bien il est prêt à remettre en discussion, sur des points importants, ce projet mal emmanché et c’est le patronat et la
droite qui l’accuseront de pusillanimité.
Beau gâchis ! p
LA MATINALE DU MONDE
LE MEILLEUR DE L’INFO 7 JOURS SUR 7
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N’OUBLIONS
PA S C E U X Q U I
FONT LE LAIT
Le lait c’est la vie. La vie de nos territoires.
Mais aujourd’hui ce sont des éleveurs laitiers
en difficulté, des emplois menacés,
une activité économique rurale qui disparaît.
Soyons solidaires.
Mobilisons-nous pour une France terre de lait.
sur
LESPRODUITSLAITIERS
e t A U S A L O N D E L’ A G R I C U LT U R E
A Genève, l’optimisme retrouvé
de l’automobile européenne
Guerre des
innovations
dans
le paiement
▶ Après des
C
et été, La Banque postale
lancera le paiement à distance par reconnaissance
vocale. Au même moment, MasterCard développera, aux EtatsUnis, au Canada et dans certains
pays européens, le paiement par
selfie… Et Natixis a, pour sa part,
récemment annoncé tester le
paiement par ultrasons. A l’instar
du paiement à distance, le paiement de proximité, aussi, a droit
à son lot d’innovations. La plus
connue étant le paiement sans
contact, permis par une puce NFC
(near field communication) logée
dans la carte bancaire.
Mais avec un million de transactions en 2015, en France, ce
type de paiement tarde à s’étendre, et il pourrait être vite ringardisé par le paiement sans contact
par… mobile, puisque presque
tous les smartphones sont équipés de la fameuse technologie
NFC. Si on ajoute aux initiatives
des établissements financiers celles des géants d’Internet ou des
opérateurs de télécommunications, les consommateurs se retrouvent submergés par les innovations, et chacune a des difficultés à s’imposer. « C’est un jeu où
chaque acteur essaie de prendre
des positions, et seuls les deux ou
trois meilleurs vont subsister »,
souligne Anatole de La Brosse, directeur général adjoint du cabinet Sia Partners. p
années de crise,
le marché affiche des ventes
en hausse
de 9,3 % en 2015
▶ En France,
les immatriculations neuves
ont bondi de
13 % en février
▶ Entre
confiance
et prudence, les
constructeurs
doivent opérer
des choix
technologiques
majeurs
→ LIR E
PAGE 3
Au Salon
de l’automobile
de Genève,
lundi 29 février.
DENIS BALIBOUSE/REUTERS
→ LIR E PAGE 6
Inquiétant reflux des prix dans la zone euro
▶ En février, l’inflation
▶ Ce repli tient à la chute
▶ Le tassement
▶ Face à ces éléments,
s’est établie à – 0,2 %,
après + 0,3 % en janvier.
C’est la première fois
depuis septembre 2015
que l’indice des prix recule
dans l’union monétaire
des cours du pétrole,
mais ce n’est pas la seule
raison. Et c’est bien
ce qui préoccupe les économistes, qui soulignent
le risque de déflation
de l’inflation et des
indicateurs économiques
moroses laissent craindre
un fléchissement
de la reprise engagée
sur le Vieux Continent
la Banque centrale européenne va vraisemblablement devoir prendre
de nouvelles mesures, lors
de sa réunion du 10 mars
PLEIN CADRE
PERTES & PROFITS | TRANSDEV
DANS L’INTÉRIM,
PRÉCARITÉ RIME
AVEC INSÉCURITÉ
→ LIR E
PAGE 2
DETTE
L’ARGENTINE TROUVE
UN ACCORD AVEC
LES FONDS VAUTOURS
→ LIR E
PAGE 5
j CAC 40 | 4 363 PTS + 0,22 %
J DOW JONES | 16 516 PTS – 0,74 %
J EURO-DOLLAR | 1,0871
j PÉTROLE | 36,91 $ LE BARIL
j TAUX FRANÇAIS À 10 ANS | 0,49 %
VALEURS AU 1ER MARS - 9 H 30
RENDEZ-VOUS
en page économie
→ LIR E
PAGE 5
Tiens, voilà l’autocar qui arrive !
D
epuis le temps qu’on l’attendait, ce
bus, on n’y croyait plus vraiment.
Pas celui du conseil général, qui pallie les absences du train sur de
courts trajets provinciaux. Non, le car longue
distance, qui permettra enfin de relier Brives à
Lyon, Bayonne à Toulouse ou Laval à Paris pour
une fraction du prix ferroviaire. Projet le plus
visible de la loi Macron pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques votée
en août 2015, volontiers présenté comme un
gadget un peu inutile, voire néfaste, la libéralisation du transport interurbain de voyageurs
est en train de s’ancrer dans le paysage français.
Le démarrage peut sembler modeste. En six
mois, près de 1,5 million de passagers ont été
transportés, révèle le premier bilan réalisé par
France Stratégie. Cela représente à peine 2 % du
trafic voyageurs grandes lignes de la SNCF et
moins de 10 % des voyageurs transportés par le
site de covoiturage Blablacar sur la même période. Mais, selon l’organisme public, le
rythme de développement est proche de celui
constaté en Allemagne, du moins en termes de
réseau. En France, 734 liaisons directes entre
deux villes sont déjà assurées, contre un peu
plus de 900 en Allemagne, deux ans après
l’ouverture du marché, début 2013.
Le maillage est donc serré, entre les opérateurs qui copient la carte SNCF en privilégiant
les radiales qui convergent vers Paris et
ceux qui optent pour les transversales plus
délaissées (ayons une pensée émue pour les
passagers de la ligne Lyon-Bordeaux). Serré, le
Cahier du « Monde » No 22123 daté Mercredi 2 mars 2016 - Ne peut être vendu séparément
700
C’EST LE NOMBRE, AU MINIMUM,
DE PROJETS DE PAIEMENT
SANS CONTACT DÉVELOPPÉS
DANS LE MONDE, SELON KPMG
HORS-SÉRIE
UNe vie, UNe ŒUvRe
prix l’est aussi. Avec un tarif moyen recensé
de 4,5 centimes du kilomètre, le trajet en bus
s’avère plus de deux fois moins cher que le
train, mais aussi meilleur marché que le covoiturage.
Mouvement bénéfique
Ainsi, progressivement, s’instaure en France
un continuum dans l’offre de transport public
qui élargit le choix, du moins cher et plus lent
au plus onéreux mais bien plus rapide. Il vient
ainsi combler un vide laissé vacant par la politique du tout-TGV qui a poussé à la hausse le
prix des billets. Un mouvement bénéfique
vers ce que certains appellent l’« individualisation du transport public ». Bénéfique aussi
pour le tissu économique des quelque
7 000 sociétés de transport qui, pour la plupart, travaillent déjà pour ces nouveaux acteurs.
Reste évidemment l’équation économique
de cette nouvelle organisation. Aujourd’hui,
sept acteurs se partagent le marché. Avec deux
acteurs prédominants en termes de nombre
de liaisons, Isilines, créé par le groupe Transdev (Caisse des dépôts), qui exploite aussi
Eurolines, et l’Allemand Flixbus, leader outreRhin. Dans ce pays, le marché s’est rapidement
concentré autour de deux entreprises. Il y aura
des fusions, des batailles sur les lignes courtes
distances (moins de 100 km) encore sous monopole des collectivités locales, mais le bus est
enfin là, et pour longtemps. p
philippe escande
François
Mitterrand
Le pouvoir
et la séduction
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2016
Le centenaire de la naissance de l’ancien président
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POUVOIR ET LA SÉDUCTION
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2 | plein cadre
0123
MERCREDI 2 MARS 2016
La sécurité, angle mort
du travail intérimaire
Un ouvrier devant
les hauts-fourneaux
de l’aciérie
d’ArcelorMittal,
à Dunkerque.
ANDREW TESTA/PANOS-REA
D
eux mille quinze, année
noire chez ArcelorMittal.
Entre avril et septembre,
trois salariés sont décédés
chez l’aciériste, dont deux à
Dunkerque, un site classé
Seveso seuil haut. Ces derniers étaient des intérimaires, l’un ayant été recruté par un
sous-traitant. Celui-ci, âgé de 21 ans, a été
écrasé entre deux wagons au cours d’une
opération de déchargement. Le deuxième,
âgé de 40 ans, est tombé dans une rigole de
fonte en fusion. Le même accident a touché
un intérimaire en septembre 2015 à l’usine
du groupe de Fos-sur-Mer (Bouches-duRhône). Cette situation dramatique a conduit la société d’intérim Randstad à retirer, le
30 octobre, vingt-huit de ses intérimaires de
l’usine de Dunkerque, le temps que leurs postes soient « mis au niveau de sécurité attendu », a indiqué cette société d’intérim.
Mais certains se sont réinscrits dans une
autre société d’intérim pour pouvoir retravailler à l’usine…
Les intérimaires forment, globalement,
une population plus vulnérable, face aux risques professionnels, que l’ensemble des salariés. Selon les données de l’Assurance-maladie, l’indice de fréquence des accidents était
en effet, en 2014, de 46,5 pour 1 000 salariés
de l’intérim, contre 33,4 tous salariés confondus. Quant aux décès, l’intérim représente
proportionnellement, en 2014, le double de
l’ensemble des travailleurs, avec trente-deux
morts (pour 774 000 intérimaires), contre
539 (sur 18,6 millions de salariés). S’ajoutent
trente-deux autres décès d’intérimaires dans
des accidents de trajet.
Pour Pascal Jacquetin, directeur adjoint de
la branche risques professionnels à l’Assurance-maladie, les intérimaires sont soumis
au régime de la double peine avec « un nombre d’accidents ayant entraîné au moins un
jour d’arrêt de travail qui évolue plus vite que
le nombre d’intérimaires au travail ». En 2014,
la hausse du nombre d’intérimaires était de
1,2 %, celle du nombre d’accidents les concernant de 3,1 %.
Dès lors, faut-il craindre une augmentation
des accidents et des décès au travail avec la
hausse de 4 % de l’intérim en 2015, passée en
janvier 2016 à 5,6 % ? « Il n’y a pas de risque
que cela survienne », affirme François Roux,
délégué général de Prism’emploi, le syndicat
des professionnels de l’intérim et du recrutement. Le nombre de décès et d’accidents diminue depuis 2012, fait-il valoir. Heureuse-
Les travailleurs intérimaires sont
particulièrement vulnérables face
aux accidents professionnels,
selon l’Assurance-maladie, qui
recense une augmentation des
décès. Les syndicats dénoncent
le manque de formation
ment, car 2011 avait été catastrophique en
tout point, avec cinquante décès au travail et
45 373 accidents du travail (35 975 en 2014)
chez les intérimaires, selon l’Assurance-maladie. « Le taux de fréquence des accidents du
travail est sur une tendance longue à la baisse
grâce aux mesures de prévention », souligne
encore M. Roux. A l’inverse, pour Alain Wagmann, secrétaire de l’Union syndicale de l’intérim CGT (USI), « il paraît logique que le regain de l’intérim en 2015 se traduise par plus
d’accidents et de morts, car nous ne percevons
pas d’éléments nouveaux en termes de prévention. On assiste à une externalisation des
risques par les entreprises utilisatrices ».
« LE SALE BOULOT »
Chez ArcelorMittal Dunkerque, la CGT dénonce ce qu’elle considère comme une politique de management et de prévention à
deux vitesses : « On confie des missions aux
intérimaires alors que la validation de leurs
compétences n’est pas correctement faite. »
Jean-Paul Bussi, délégué national CGT chez
Randstad, souligne que, dans l’usine, « les
fondeurs bénéficient de hui semaines de formation, les intérimaires, sur les mêmes métiers, n’en ont que trente-cinq heures ». Ces
derniers n’auraient pas non plus les mêmes
équipements de protection individuels.
« C’est faux, dément la direction d’ArcelorMittal France. Intérim ou pas, nous ne faisons aucune différence en termes de sécurité. » Depuis ces accidents, ajoute-t-elle,
« des mesures de renforcement de la sécurité
ont été prises ».
Une expertise externe, limitée au secteur
fonte, va être engagée, portant sur le management de la sécurité et la politique de prévention des risques professionnels, demandée par le comité d’hygiène, de sécurité et
des conditions de travail (CHSCT). Cette mission devra aussi « poser un diagnostic sur le
recours à l’intérim et sur les moyens mis en
œuvre pour assurer la validation des compé-
« LA DIRECTION
DE MANPOWER
NOUS A CACHÉ
CE DÉCÈS,
QU’ELLE N’A
PAS DÉCLARÉ
COMME ACCIDENT
DU TRAVAIL »
MARIE-ODILE BONNET
secrétaire CGT du CHSCT
chez Manpower
Ile-de-France
tences requises et l’expérience nécessaire pour
assurer le poste de travail en sécurité ».
Globalement, tout concourt à ce que les intérimaires se retrouvent en première ligne.
« La constante de toutes les enquêtes sur les accidents du travail est que les précaires sont les
plus exposés à des situations à risque, observe
François Desriaux, rédacteur en chef de la revue Santé & Travail. On les fait venir pour le
sale boulot que les autres ne veulent pas faire.
Cela arrange tout le monde. » Appelés dans
l’urgence, les intérimaires travaillent souvent
sous pression. « Ils doivent être opérationnels
rapidement, mais ne connaissent pas l’entreprise. Ils ne savent pas à qui demander de l’aide
et, bien souvent, les salariés permanents n’en
ont rien à faire des intérimaires », témoigne
Marie Pascual, médecin du travail, qui a beaucoup travaillé sur cette question.
La formation est également un point faible.
« Le défaut de formation sécurité est ce que
l’on retrouve principalement dans les enquêtes sur les décès et les accidents du travail chez
les intérimaires, relève Gérald Le Corre, inspecteur du travail et militant CGT. Le code du
travail contient beaucoup de textes dans ce
domaine, mais ces articles ne donnent pas
toujours lieu à des circulaires d’application. »
Quant à la formation sécurité renforcée pour
occuper des postes qualifiés à risque, « elle ne
dispose pas de référentiels comme pour les
travailleurs de l’amiante ».
FORMATION OU INFORMATION ?
Pour M. Le Corre, il y a aussi confusion, dans
les entreprises, entre formation et information. « En général est organisée une session
d’accueil sécurité, puis l’intérimaire est mis en
doublon avec un salarié permanent, voire avec
un intérimaire un peu plus compétent. Et,
comme il y a des impératifs de production, les
dysfonctionnements ne sont pas analysés. » La
précarité du statut pousse l’intérimaire à exécuter toutes les tâches demandées par l’entreprise utilisatrice, même celles qui lui paraissent dangereuses, dans l’espoir d’être reconduit. « S’il rencontre un problème, il ira voir son
chef une fois, deux fois, et s’il ne s’en sort pas, il
ne sera pas repris, observe M. Le Corre. Alors, à
un moment, il prend des risques. »
Comme cet ouvrier en mission dans une
petite société du bâtiment en région parisienne, mort en août 2014 à la suite d’une
chute de 12 mètres. « Il devait poser des éléments sur un toit, raconte Marie-Odile Bonnet, secrétaire CGT du CHSCT chez Manpower Ile-de-France. Il est monté à l’échelle, il
avait un harnais, mais pas de possibilité de l’accrocher. Son chef de chantier a dit qu’il avait vu
qu’il avait peur. Mais il l’a laissé monter ! »
Dans certains cas, les intérimaires sont utilisés comme des bouche-trous, mis tout
d’abord sur un poste précis, puis sur un autre
pour lequel ils ne sont ni missionnés ni formés. « Il n’est pas interdit de changer un intérimaire de poste au cours d’une mission, indique
M. Roux. C’est la vraie vie. Ce qui est critiquable,
en revanche, c’est lorsque, sans prévenir
l’agence d’intérim, l’intérimaire va d’un poste
ordinaire à un poste à risque. » Ou à un poste
nécessitant d’autres compétences, qu’il n’a
pas forcément.
Un changement qu’a vécu Fabien Adonis,
mort au travail le 19 décembre 2012, à l’âge de
25 ans. Il travaillait comme intérimaire dans
une entreprise de logistique à Val Bréon (Seine-et-Marne). Sa mère, Annick Goupil, raconte qu’« on lui faisait faire tous les postes ». Il
avait obtenu le certificat d’aptitude à la conduite en sécurité niveau 1. Or, sur le poste de
cariste qu’il a occupé en dernier lieu, « le niveau 3 était nécessaire », selon Mme Bonnet.
L’accident serait survenu alors qu’il chargeait,
seul, d’énormes bidons sur la remorque d’un
camion à quai. Une barre métallique serait
tombée au sol et aurait percuté le véhicule. Le
choc aurait projeté Fabien sur les manettes de
l’engin, qui se seraient enfoncées dans son
thorax. « Il est mort d’un arrêt cardiaque, dit
Mme Bonnet. Fabien n’aurait jamais dû être seul
pour faire ce travail. » Son frère avait lui aussi
travaillé en intérim pour le même logisticien.
« On lui demandait des choses qu’il n’avait pas
à faire, il a été viré, raconte Mme Goupil. Fabien,
lui, a continué. Comme il avait des crédits à
payer, il ne disait jamais non. »
Et puis il y a des morts sans nom, sans visage. Le 30 juillet 2015, sur un chantier de la société SADE (filiale de Veolia), situé à Clichy
(Hauts-de-Seine), un intérimaire de Manpower est mort, semble-t-il, des suites d’un
malaise. C’était un sans-papiers, qui travaillait
sous alias. « La direction de Manpower nous a
caché ce décès, qu’elle n’a pas déclaré comme
accident du travail », dénonce Mme Bonnet. Le
CHSCT ne l’a appris qu’en octobre. De son
côté, La SADE affirme avoir informé immédiatement son propre CHSCT et Manpower. La
CGT a recherché sa famille afin qu’elle puisse
percevoir les droits auxquels elle pouvait prétendre. Il s’appelait Mamadou Traoré. Sollicitée, la direction de Manpower ne nous a pas
répondu. p
francine aizicovici
économie & entreprise | 3
0123
MERCREDI 2 MARS 2016
Requinquée, l’automobile veut oublier la crise
Avec son lot de nouveautés, le Salon de Genève devrait confirmer le retour en forme du marché européen
genève - envoyé spécial
C
onfiance et prudence.
En ce début d’année
2016, les constructeurs
automobiles oscillent
entre ces deux sentiments alors
que se sont ouvertes à la presse,
mardi 1er mars, les portes du
Salon automobile de Genève.
Avec plus d’une centaine de
nouveautés et de premières
mondiales, le Salon promet des
frissons aux amateurs de grosses cylindrées.
Entre la nouvelle Alpine, relancée par Renault, la Chiron, le dernier bolide de Bugatti, ou la GT
Concept d’Opel, Genève déroule
le tapis rouge aux belles mécaniques, mais pas seulement.
Les SUV, ces 4 × 4 urbains qui détiennent désormais plus de 20 %
du marché, sont également à
l’honneur. Audi et Volkswagen dévoilent leur premier « petit » SUV, Seat et Skoda leur SUV
compact, tandis que PSA montre
sa 2008 restylée, et Maserati
présente son Levante, son premier 4 × 4 urbain.
L’explosion de l’offre de modèles SUV coïncide avec le rétablissement du secteur automobile
européen. Après la crise qui l’a secouée entre 2008 et 2013, l’industrie se relève progressivement.
En 2015, le marché automobile a
affiché une croissance étincelante de 9,3 %, à 13,7 millions
d’unités, soit « la plus forte croissance de ces vingt-cinq dernières
années », selon le cabinet PwC
Autofacts. Ce sont 2 millions
d’unités de plus qu’en 2013 qui ont
été vendues, quand le marché a
touché son point le plus bas. Encore loin toutefois du record de
2007, quand les constructeurs
automobiles écoulaient 16 millions de véhicules.
Le renouvellement des flottes
de véhicules d’entreprise, lié au
Le secteur affiche
une croissance
étincelante
de 9,3 % en 2015,
avec 13,7 millions
d’unités écoulées
redémarrage économique dans
les pays du nord de l’Europe, ainsi
que la reprise du marché des particuliers et entreprises dans les
pays qui avaient le plus souffert
de la crise (Espagne, Italie, Portugal, etc.) expliquent en grande
partie cette vigoureuse reprise. Le
pétrole et le crédit bon marché
sont d’autres raisons avancées
par les analystes.
Pour l’année 2016, la croissance
s’annonce bien plus limitée, malgré un mois de janvier très prometteur avec des immatriculations en progression de 6,2 % par
rapport à janvier 2015. L’Association des constructeurs européens
d’automobiles anticipe une
hausse de 2 % du marché en 2016
du fait de la faiblesse persistante
de la reprise économique.
« Vague de délocalisation »
D’autres consultants sont moins
prudents. Après une année 2015
record, PwC Autofacts anticipe
une croissance des ventes de
3,7 %, à 14,7 millions de véhicules
immatriculés. L’agence Moody’s
s’attend, elle, à une progression
de 4,7 % cette année, avant un ralentissement à 3,1 % en 2017.
« Alors que le marché américain
est au à son plus haut niveau, le
marché européen est encore un
peu fragile, mais il a quelques années de croissance devant lui, considère Laurent Petizon, du cabinet
AlixPartners. Une chose est certaine : après des années difficiles,
l’industrie automobile euro-
En France, un très bon mois de février
Les immatriculations ont fait un bond de 13 % en février sur
le marché français, a annoncé le Comité des constructeurs français d’automobiles mardi 1er mars. 166 741 voitures particulières
neuves ont été écoulées sur le mois. Sur les deux premiers mois
de l’année, le marché global progresse en moyenne de 9,3 %.
En février, Renault croît de près de 15 % grâce à la très bonne
performance de Dacia (30 %). PSA tutoie les 10 % de croissance
tandis que les marques étrangères font plus que belle figure :
Volvo affiche 27 % de progression, BMW et Hyundai plus de 20 %.
La marque Volkswagen affiche un recul de 0,4 % de ses ventes,
sans doute lié en partie au scandale du diesel.
L’usine Renault de Douai (Nord), spécialisée dans les Scenic, fabriquera la nouvelle version du monospace. PHILIPPE HUGUEN/AFP
péenne va vraiment mieux. » Les
constructeurs tirent les bénéfices
financiers de trois années de lourdes restructurations avec des milliers d’emplois sacrifiés et une demi-douzaine de sites fermés. Chez
les constructeurs généralistes,
Ford, Fiat, Renault ou PSA ont tous
affiché des bénéfices opérationnels substantiels dans la région
l’an dernier.
Seul General Motors perd encore de l’argent, mais il a réduit
ses pertes à 720 millions d’euros
l’an dernier, contre 1,3 milliard
d’euros en 2014. Et, en 2016, le
groupe américain, qui détient les
marques Opel-Vauxhall, espère
enfin atteindre l’équilibre.
Ce retour à meilleure fortune se
traduit par des premières augmentations de salaires, de 1,25 %
à 1,4 % chez PSA et Renault, mais
par très peu de recrutements.
« Aujourd’hui, chacun veut limiter
au maximum ses coûts afin de résister à une éventuelle nouvelle
crise, estime un analyste du secteur. C’est pour cela que l’on devrait assister à une nouvelle vague
de délocalisation vers les pays à
bas coût en Europe et autour
de l’Europe. » Si, pendant la crise,
l’Espagne a retrouvé de la compétitivité et attirer des productions
– chose qu’avait déjà faite la Roumanie –, c’est désormais le Maroc
ou la Turquie qui séduisent.
« Si les constructeurs affichent
des résultats prometteurs, l’Europe
reste seulement convalescente,
juge Bertrand Rakoto, du cabinet
D3 Intelligence. Les groupes automobiles ne sont pas encore sortis
d’affaire, car il existe des surcapacités de production, et la concurrence est encore très rude. »
« Les groupes automobiles ne
sont pas très sereins, confirme
Laurent Petizon. Jamais ils n’ont
eu autant de choix technologiques à faire. Il y a la question de la
voiture connectée et autonome,
l’arrivée de nouveaux concurrents
de la Silicon Valley, mais aussi
la question des réseaux et de la
distribution, qui est percutée par
Internet. Enfin, le scandale Volkswagen a mis à mal la position du
diesel en Europe… »
Dans le sillage de la révélation
du trucage de certains moteurs
diesel du Volkswagen, de nombreux constructeurs (Renault,
Ford, Mercedes, etc.) ont été montrés du doigt pour avoir optimisé
leurs véhicules afin qu’ils passent
les normes européennes. « Tout le
monde s’est rendu compte que le
thermomètre était cassé, reprend
M. Petizon. Aujourd’hui, tous les
constructeurs se demandent
quelle sera la sévérité de la prochaine norme pour le diesel et
dans quelle mesure cela condamne ou pas cette motorisation
en la renchérissant, et donc en la
rendant moins compétitive vis-àvis des autres motorisations. »
Les constructeurs doivent désormais décider dans quels
moyens de propulsion investir :
l’électrique, l’hybride, l’essence,
les prochaines générations de diesel ou encore l’hydrogène. Pour
Laurent Petizon, « les choix faits
actuellement sont importants, car
ils vont déterminer qui seront les
leaders du marché en 2025 ». p
LE CONTEXTE
Les constructeurs dévoileront
de nouveaux modèles à Genève.
RENAULT
Renault présente la quatrième
génération de son monospace
Scénic, l’un de ses véhicules
iconiques.
PSA
PSA montre des véhicules restylés. Sa DS3 (DS) se pare
d’une nouvelle face avant,
la 2008 (Peugeot) prend du
muscle, tandis que Citroën
met en avant sa E-Mehari, un
véhicule électrique de plage.
AUDI
Le constructeur allemand
dévoile son premier SUV
ultra-compact, le Q2.
philippe jacqué
Nuits blanches à venir pour les salariés du matelassier Cauval
Le fabricant français, connu pour ses marques Dunlopillo ou Tréca, a été placé en redressement judiciaire. 1 800 employés sont concernés
G
illes Silberman assure ne
pas avoir « trouvé d’autre
solution ». Le vice-président et actionnaire du groupe
Cauval Industries, fabricant de
matelas, s’est présenté au tribunal
de commerce de Meaux (Seine-etMarne) lundi 29 février pour demander son placement en redressement judiciaire. Les juges lui
ont accordé une période d’observation de six mois. Mais ils ont directement prononcé la liquidation judiciaire de sa filiale Cipal
qui emploie 170 salariés à Bar-surAube (Aube).
« Nous pensions que les négociations avec l’un des deux investisseurs aboutiraient. Mais non :
nous voilà au tribunal de commerce », déplore le délégué syndical CGT, Moustapha Mamouri. Le
fabricant de matelas, connu pour
ses sept usines en France et ses
marques Dunlopillo, Tréca et
Simmons, dit être confronté à de
gros problèmes de trésorerie. Les
organismes sociaux lui réclament pas moins de 55 millions
d’euros d’impayés. Malgré un moratoire, la situation financière
avait contraint les actionnaires
d’envisager l’entrée d’un concurrent au capital.
Les usines tournent au ralenti
En octobre 2015, le groupe avait
ainsi dévoilé la signature d’un accord avec le portugais Aquinos,
fournisseur de canapés et de sommiers pour l’enseigne suédoise
d’ameublement Ikea. « Il était convenu, expliquait fin février M. Silberman, qu’Aquinos apporte
12,5 millions d’euros en février, puis
12,5 millions d’euros en juin ». Mais
le fondateur de cette entreprise,
Carlos Aquino, aurait « soudain
décidé unilatéralement de remettre en cause cet accord et indiqué
vouloir renégocier celui-ci », assure le dirigeant français. « Ça,
c’est la version de M. Silberman »,
souligne M. Mamouri.
Le 24 février, le dirigeant de Cauval Industries annonce avoir « introduit une requête en conciliation-homologation » pour résou-
dre leur différend. Contacté par Le
Monde, l’industriel portugais n’a
pas répondu. Dans la foulée,
M. Silberman dit s’être lancé à la
recherche de nouveaux partenaires financiers. « Un fond d’investissement anglais et un industriel
allemand dont il n’a pas dévoilé
l’identité », rapporte M. Mamouri.
M. Silberman se dit aujourd’hui
dans une situation dramatique.
Ce n’est pas la première fois. L’ancien avocat reconverti dans le
monde des affaires en 1990 lors
du rachat de la fabrique de meubles Dumeste, devenue actionnaire du groupe coté Cauval la
même année, s’était déjà illustré
en 2009.
A l’époque, ce fut lors d’un conflit avec la direction de Conforama, son principal client français. L’enseigne d’ameublement
était alors en cours de cession au
groupe sud-africain Steinhoff
par le groupe PPR (devenu Kering) pour un montant de
1,6 milliard d’euros, à la barbe des
actionnaires du groupe But.
« Nous sommes
bien conscients
qu’il va y avoir
de nouveaux
licenciements »
MOUSTAPHA MAMOURI
délégué CGT
M. Silberman s’était rendu au
ministère des finances pour alerter l’Etat des risques de cette opération sur l’activité de ses usines
tricolores. Et il avait appelé les
Français au boycott de Conforama. Au printemps 2015, l’entreprise avait aussi fait appel à un
médiateur à Bercy pour résoudre
un contentieux commercial avec
But, son deuxième client. Il parlait déjà du risque de dépôt de bilan. But lui avait finalement accordé une avance de trésorerie.
Aujourd’hui Cauval (380 millions d’euros de chiffre d’affaires)
dit ne plus être en mesure de payer
ses fournisseurs de matières premières. Et, faute d’approvisionnement, ses sept usines tournent au
ralenti. Pourtant le marché français de la literie est en pleine santé.
En 2015, les ventes de sommiers et
de matelas ont progressé de 4,1 %
pour atteindre 1,4 milliard d’euros.
Cette performance surpasse celle
du marché du meuble dans son
ensemble, en croissance de 2,4 %.
« Les Français ont redécouvert le
confort d’une bonne literie », note
Christophe Gazel, directeur de
l’Institut de prospectives et d’études de l’ameublement (IPEA). Et
leurs choix se portent sur des marques haut de gamme que Cauval
fabrique en France. Sur le segment
d’entrée de gamme, la vente en ligne approvisionnée par l’usine de
Bar-sur-Aube connaît aussi un
gros succès. « Sans les dettes sociales de Cauval, l’entreprise marcherait du tonnerre ! », convient M.
Mamouri. La mise en redressement judiciaire du groupe Cauval
plonge une nouvelle fois les 1 800
salariés français del’entreprise
dans un profond désarroi. C’est
notamment le cas à Bar-sur-Aube.
La commune est située dans un
département où le taux de chômage atteint 13 %, selon l’Insee.
Elle a déjà payé un lourd tribut aux
vicissitudes de Cauval Industries.
En 2009, le plan de sauvegarde de
l’emploi portait sur 420 postes. « A
Bar-sur-Aube, les filiales OCM et Atmosphère Interiors avaient procédé à 210 licenciements », rappelle
M. Mamouri.
Depuis, 420 salariés se sont
pliés à la réorientation complète
de l’activité de ce site spécialisé
dans la fabrication de canapés
vers la production de sommiers
et de matelas vendus sur Internet. « Nous sommes bien conscients qu’il va y avoir de nouveau
des licenciements », s’alarme le
délégué syndical CGT. Le groupe
dispose maintenant de six mois
pour attirer des candidats à la reprise de la totalité de l’entreprise
ou entreprise par entreprise. p
juliette garnier
4 | économie & entreprise
0123
MERCREDI 2 MARS 2016
Nicolas Floc, éleveur de vaches laitières, malgré tout
Malgré la chute du prix du lait, le trentenaire breton succède à son père dans l’exploitation familiale
Manche
Côtesd’Armor
Finistère
Guipel IlleBRETAGNE
et-Vilaine
Morbihan Rennes
Océan
Atlantique
50 km
REPORTAGE
guipel (ille-et-vilaine) envoyé spécial
R
ugueux mais respectueux. » C’est par ces
mots que le premier ministre a commenté l’accueil que lui ont réservé certains
éleveurs lors de sa venue au Salon
de l’agriculture, lundi 29 février.
Depuis son inauguration samedi,
la « plus grande ferme de France »
est le théâtre de happenings permettant de relayer la détresse et la
colère d’une partie des agriculteurs. C’est ainsi que des éleveurs
de bovins ont pris pour cible, dimanche, le stand Charal, marque
du groupe Bigard et numéro un de
l’abattage en France, pour dénoncer sa politique de prix. La veille,
François Hollande avait été hué,
moqué et insulté par des éleveurs
très remontés. Le stand du ministère a, quant à lui, été saccagé. Des
mouvements d’humeur qui s’inscrivent dans la lignée de plusieurs
mois de manifestations et d’actions coups de poing de la part des
agriculteurs dans toute la France.
En Bretagne, la famille Floc est
très loin de cette agitation. Elle
n’est jamais allée au Salon. En ce
mercredi matin pluvieux et froid
de février qui précède l’ouverture,
Jean-Paul Floc, 61 ans, préfère être
aux petits soins d’Idéale, une génisse qui peut mettre bas à tout
moment. Assis sur son tracteur
vieux de trente ans, il s’occupe
également de la cinquantaine de
bovins que possède l’exploitation
familiale située à Guipel, en Ille-etVilaine, à 30 kilomètres de Rennes.
& CIVIL ISATI ONS
La fierté du père
Idéale donnera naissance, tard
dans la soirée, à un veau, Mascotte. Mais ce n’est pas Jean-Paul
qui s’est occupé de la mise bas,
c’est son fils Nicolas. Car l’exploitation laitière ne lui appartient
plus. Jean-Paul est à la retraite depuis le 31 décembre 2014. Après
avoir repris la ferme des parents
de sa femme, Monique, en 1976, il
a passé le relais en janvier 2015 à
Nicolas, 32 ans, son second fils.
La transmission familiale se fait
progressivement. Le père donne
encore régulièrement un coup de
main à son fils. Mais dans quelques mois, Jean-Paul et son
épouse Monique, vont quitter
l’exploitation pour s’installer, à
quelques kilomètres de là, « de
Jean-Paul Floc
et son fils Nicolas
dans l’exploitation
familiale de Guipel,
en Ille-et-Vilaine,
le 24 février.
JAVIER BELMONT
POUR « LE MONDE »
Le jeune éleveur
est la quatrième
génération
de la famille
qui travaille
dans cette ferme
de 49 bovins
l’autre côté du canal ». Et passer un
peu de bon temps, le couple
n’ayant pu prendre que trois jours
de vacances en quarante ans,
« pour le mariage de [leur] fils ».
Nicolas, sa femme, assistante vétérinaire, et ses trois « gars », âgés
de 2 ans à 8 ans, vont venir habiter
dans la ferme. Le jeune agriculteur
sera alors seul à gérer l’exploitation. Pas question cependant de
tout bouleverser. Comme ses parents, Nicolas continuera de ne
produire que du lait et ne compte
pas, en dépit des difficultés rencontrées par la filière, se lancer
dans le bio ou le circuit court, en
vogue ces dernières années.
Nicolas Floc est la quatrième génération de la famille à travailler
dans cette exploitation de 60 hectares, qui compte 49 vaches laitières, des pies rouges des plaines.
N° 15
MARS 2016
S
& C IV IL IS A T IO N
L’ AMOURˆ AU
MOYEN AGE
SEXE, MARIAGE
ET RELIGION
PÉRICLÈS
ATE
LE DÉMOCR
IMPÉRIALISTE
^ E DE
L’IL
^ UES
PAQ
Prendre la succession de ses parents était une évidence pour lui
depuis son enfance. Malgré les semaines sans jour de repos, les réveils à 6 heures, les prix bas, les crises sanitaires, et un avenir teinté
d’incertitude.
Ils sont 460 nouveaux exploitants à s’être installés, comme lui,
en 2014-2015 en Bretagne. Mais les
transmissions dans le cadre familial se raréfient. D’après la chambre d’agriculture de Rennes, 30 %
des installations se font désormais hors cadre familial. Un chiffre en constante progression ces
dernières années en France.
« C’est un avantage de pouvoir
démarrer avec une exploitation
qui est déjà sur pied, on ne part pas
dans le vide, explique ce longiligne trentenaire dans la caravane
qui lui sert pour l’instant de bureau. Je suis né dedans, c’est ce que
j’ai toujours voulu faire, c’est vraiment une passion. Et, en ayant vu
mes parents, je connais très bien les
contraintes du métier. » De son
côté, Jean-Paul est satisfait de voir
son fils prendre le relais : « Ça
montre qu’on n’a pas travaillé pour
rien avec ma femme. »
L’exploitation ne pouvant faire
vivre plus de deux personnes, Nicolas Floc a dû attendre que ses
parents partent à la retraite avant
de reprendre le flambeau. Après
un BTS en analyse, conduite et
stratégie de l’entreprise agricole, il
a travaillé durant dix ans dans les
travaux publics. Un choix rare
dans ce milieu, que Nicolas revendique : « Etre salarié m’a permis de
voir ce qu’était une vie hors de
l’agriculture, d’avoir une ouverture
d’esprit sur le monde, mais aussi
sur le métier d’agriculteur. »
Douze jours de vacances
Cette période l’a conforté dans
son choix de devenir agriculteur :
« Avant, j’avais des horaires très
contraignants. Aujourd’hui, c’est
agréable, je peux rentrer à la maison le midi, m’occuper des enfants.
Et je suis mon propre patron. » Des
avantages que le trentenaire
nuance : il n’a pris que douze jours
de vacances depuis la reprise de
l’exploitation – dix l’été dernier et
deux à Noël –, et Nicolas Floc rêve
de pouvoir avoir un week-end sur
deux de repos. « Aujourd’hui, ce
n’est pas réalisable », déplore-t-il.
Et la liberté revendiquée par le
jeune patron n’est pas totale. « Le
souci dans ce métier, c’est qu’on ne
décide pas de nos prix de vente. On
donne nos produits et, ensuite, on
nous dit le prix. Nous sommes le
seul métier où on a le droit de vendre à perte. »
L’éleveur breton souffre de la
chute du prix du lait qui lui est imposé. Il vend ainsi la tonne à
280 euros, alors que « 340 euros,
ça serait l’idéal pour pouvoir vivre ». En 2015, Nicolas Floc n’a pu
se verser qu’« à peine 300 euros
par mois ». « Heureusement, il me
reste un capital après mes dix ans
dans les travaux publics. Mais
cette année je ne pourrai plus
compter sur ça, s’inquiète-t-il. J’ai
trois gosses, une maison à rembourser, je n’ai plus le choix. »
Outre le prix du lait, l’activité de
M. Floc pâtit, selon lui, de lourdeurs administratives, de normes
trop contraignantes, d’une
main-d’œuvre moins chère
ailleurs en Europe… « On est davantage des gestionnaires que des
« C’est
un avantage
de pouvoir
démarrer avec
une exploitation
qui est déjà
sur pied »
NICOLAS FLOC
producteurs », peste-t-il. A son installation, Nicolas Floc a choisi
d’augmenter son cheptel, mais
très progressivement. A cause du
cours actuel du lait, il souhaite ne
prendre aucun risque. Pourtant,
certains de ses partenaires (fournisseurs de matières premières et
laiteries) lui ont bien fait comprendre que l’agrandissement serait inéluctable. Quitte à s’endetter sur plusieurs années.
« Je veux rester avec une petite
structure, avec mes 49 vaches laitières, et être rentable. En France,
certains éleveurs font tout pour
avoir la plus grosse ferme, c’est
une course à la grandeur, c’est de
la folie, analyse-t-il. Travailler de
5 heures à 23 heures, ce n’est pas
une vie. Si j’avais acheté plus de
vaches, comme on me l’avait conseillé, j’aurais été dans une situation financière très compliquée. »
Pour Jean-Paul Floc, « on ne veut
plus des exploitations familiales ».
Malgré tout, Nicolas Floc verrait bien l’un de ses enfants reprendre l’affaire et ainsi voir une
cinquième génération dans l’exploitation familiale. Mais il prévient : « Avant, ils iront travailler
ailleurs, comme papa, et ils attendront que je parte à la retraite. » p
éleveur
jérémie lamothe
Un voyage à travers le temps et les grandes
civilisations à l’origine de notre monde
Dans chaque numéro, vous retrouverez
■ les signatures d’historiens et d’un comité scientifique
renommés
■ six dossiers riches en infographie et en iconographie
■ un regard sur toutes les civilisations qui ont marqué
notre humanité
COMMENT
NAÎT ET MEURT
UNE CIVILISATION
MITHRAE
LE DIEU PERS
RIVAL DU CHRIST
LA GUERRE
ÉE
CHAQUE MOIS CHEZ VOTRE MARCHAND DE JOURNAUX
économie & entreprise | 5
0123
MERCREDI 2 MARS 2016
Nouveau recul
inquiétant
des prix
en zone euro
Le président
de la Banque
centrale
européenne,
Mario Draghi,
au Parlement
européen,
à Strasbourg,
le 1er février.
L’inflation s’est repliée de 0,2 %
en février. Un accès de faiblesse
qui devrait conduire la BCE à agir
V
oilà un chiffre dont Mario Draghi, le président
de la Banque centrale
européenne (BCE), se
serait bien passé. En février, l’inflation est tombée à – 0,2 % sur un an
dans la zone euro, après + 0,3 % en
janvier, selon les chiffres publiés
lundi 29 février par Eurostat, l’institut européen des statistiques.
C’est la première fois depuis septembre 2015 que l’indice des prix
recule dans l’union monétaire.
« Ce n’est pas une surprise, mais
c’est inquiétant », commente Howard Archer, chez IHS Global Insight. « Ces chiffres sont bien
plus mauvais que prévu », ajoute
Maxime Sbaihi, chez Bloomberg.
Les premières informations détaillées indiquent que la plupart
des grands pays de la zone euro
sont concernés. L’indice des prix
a ainsi reculé de 0,9 % en Espagne
(après + 0,4 % en janvier), de 0,2 %
en Italie, de 0,2 % en Allemagne et
de 0,1 % en France. En cause ? Pour
l’essentiel, le plongeon des cours
du pétrole : en février, les prix de
l’énergie ont reculé de 8 % sur un
an, après – 5,4 % en janvier.
Mais ce n’est pas tout. « D’autres
composantes de l’inflation donnent des signes de faiblesse : c’est
nouveau et c’est bien plus problématique », s’inquiète Patrice
Gautry, chef économiste de
l’UBP. De fait, l’inflation dite
« sous-jacente », qui exclut les
prix les plus volatils, comme ceux
de l’énergie ou de l’alimentaire,
est tombée à 0,7 % en février
contre 1 % en janvier, au plus bas
depuis dix mois.
Si bien que les économistes s’interrogent : et si la baisse des cours
Croissance : rebond surprise en Suède
La Suède a enregistré une croissance plus forte que prévu au quatrième trimestre 2015, de 4,5 % sur un an, selon les chiffres officiels
publiés lundi 29 février. L’économie suédoise a profité de taux d’intérêt bas mais aussi d’une hausse des dépenses publiques liée à
l’afflux de migrants. A première vue, cette forte croissance est une
bonne nouvelle. Mais paradoxalement, c’est aussi un casse-tête
pour la banque centrale de Suède car elle s’accompagne d’un taux
d’inflation faible, loin de son objectif annuel de 2 %. Pour tenter de
raviver les prix, elle a réduit son taux directeur à – 0,5 % le 11 février, après trois baisses en 2015. Une mesure qui risque de créer
une bulle sur le marché immobilier, redoutent les économistes.
VINCENT
KESSLER/REUTERS
du pétrole commençait à influencer les comportements des entreprises des autres secteurs ? Et si
celles-ci, en conséquence, gelaient à leur tour leurs prix de
vente et les salaires ? « C’est ce que
l’on appelle les effets de second
tour, et c’est précisément ce que redoute Mario Draghi », commente
M. Ducrozet.
Matière à inquiétude
Et pour cause : si à court terme le
tassement de l’inflation est positif pour le pouvoir d’achat, les effets de second tour peuvent s’avérer nocifs lorsqu’ils s’installent. Ils
sont en effet synonymes d’une
stagnation longue de l’économie,
comparable à celle avec laquelle
le Japon se débat depuis quinze
ans. Voire d’une entrée en déflation, ce scénario noir où, cette
fois, l’ensemble des prix et des
salaires baisse de façon durable,
entraînant l’économie dans une
dépression semblable à celle des
années 1930…
Pour l’instant, jugent les économistes, rien ne permet d’établir
que ces effets de second tour sont
à l’œuvre dans l’union monétaire.
Mais il y a matière à inquiétude.
La BCE pourrait
augmenter
le volume
de ses rachats de
dettes publiques
ou baisser encore
son taux de dépôt
D’autant que les indicateurs
macroéconomiques sont plutôt
mitigés. Le dernier indice composite des directeurs d’achats (PMI)
– qui intègre le secteur manufacturier et les services – est ainsi ressorti à 52,7 en février, à son plus
bas niveau depuis treize mois, selon les chiffres publiés le 22 février
par le cabinet Markit. « Cela laisse
penser que la reprise économique
fléchit en zone euro », juge Jessica
Hinds, chez Capital Economics.
Face à ce tableau peu réjouissant,
la BCE va probablement prendre
des mesures lors de sa réunion du
10 mars. De fait, M. Draghi luimême avait déjà martelé le 21 janvier que l’institution « n’hésiterait
pas à agir » en cas de risque accru
pour la stabilité des prix. « Face
aux mauvais chiffres de l’inflation
et au fléchissement de la conjoncture, même les plus hésitants de ses
membres devraient, cette fois, être
convaincus de la nécessité d’entamer de nouvelles actions », pronostique M. Ducrozet.
L’institut de Francfort pourrait
ainsi augmenter le volume de ses
rachats de dettes publiques sur les
marchés (le quantitative easing),
aujourd’hui de 60 milliards
d’euros mensuels. Ou encore modifier leur composition, afin de
racheter un peu plus de dettes des
pays du sud de la zone euro, plus
en difficulté que ceux du nord.
Voire se mettre à racheter aussi
des actifs plus risqués, mais plus
susceptibles de soutenir la croissance. Par exemple des obligations d’entreprise. Certains économistes l’appellent de leurs
vœux. Mais il n’est pas certain que
la banque centrale allemande,
plutôt réticente à ce genre de mesures, donne son feu vert.
La BCE pourrait également baisser encore son taux de dépôt,
aujourd’hui à – 0,3 %. Une mesure
qui reviendrait à taxer les banques un peu plus encore pour les
Buenos Aires a trouvé un terrain d’entente sur sa dette avec les fonds spéculatifs
C’
« Nous sommes tous satisfaits
d’avoir conclu un accord avec l’Argentine, a déclaré le porte-parole
d’Elliott Management, dans un
communiqué. Nous espérons que
la négociation finale, tenue sous
l’égide de Daniel Pollack, a ouvert la
voie à la conclusion d’une solution
satisfaisante pour les autres plaignants. » Les quatre fonds concernés par l’accord pèsent en effet
85 % des sommes concernées
– 15 % de « l’affaire » reste donc à régler, selon M. Pollack. Ce qui devrait se faire sans trop de difficulté,
probablement ces prochains jours,
estiment les analystes.
« Bataille du siècle »
Si tous les détails ne sont pas encore connus, les quatre fonds spéculatifs (NML, filiale d’Elliott Management, Aurelius Capital, Davidson Kempner et Bracebridge
Capital) ont accepté, selon M. Pollack, une décote de 25 % par rapport à la valeur totale des sommes
qu’ils réclamaient. Celles-ci correspondent aux obligations argentines qu’ils détiennent, gonflées des intérêts et de frais de justice. Des obligations qu’ils avaient
rachetées à prix cassé dans les années 2000 (50 millions de dollars
pour NML).
S’il est validé par le Parlement,
cet accord représentera une
grande victoire pour le président
argentin Mauricio Macri, arrivé au
pouvoir avec la ferme intention de
clore ce litige qui empoisonne la
vie économique argentine depuis
des années. « Dit simplement, l’élection du président Macri a tout
changé », a ainsi commenté Thomas Griesa, le juge américain
chargé du dossier, le 19 février. Le
gouvernement précédent, dirigé
par la présidente Cristina Kirchner,
a toujours refusé de rembourser
les fonds vautours.
Cette « bataille du siècle »,
comme on la surnomme parfois, a
débuté en 2001. Après des années
de crise, l’Argentine fait alors défaut sur sa dette publique, d’une
centaine de milliards de dollars.
En 2005 et 2010, le gouvernement
parvient à en restructurer une partie : 93 % des créanciers acceptent
une décote de 70 % sur leurs titres.
Les 7 % d’irréductibles, à savoir
une poignée de hedge funds
comme Aurelius et surtout NML,
s’engagent alors dans une incroyable guérilla juridique afin d’obtenir le remboursement total de
leurs titres.
En juillet 2012, ces fonds vautours obtiennent une première
victoire, lorsque le juge new-yorkais Thomas Griesa interdit à l’Argentine d’honorer les échéances
de sa nouvelle dette (celle restructurée en 2005 et 2010) tant qu’elle
ne rembourse pas, au préalable, les
hedge funds. Une décision confirmée en 2014 par la Cour suprême
marie charrel
L’HISTOIRE DU JOUR
Starbucks tente sa chance
au vrai pays du « caffè »
Accord historique en vue entre l’Argentine
et les fonds vautours
est un accord historique, qui pourrait mettre
un terme à près de
quinze ans d’un terrible affrontement entre l’Argentine et les fonds
spéculatifs réclamant le remboursement de sa dette. Conclu dimanche, rendu public lundi 29 février,
cet accord confirme l’information
en partie révélée le 24 février par
un avocat. C’est désormais officiel : quatre fonds spéculatifs emmenés par Elliott Management, le
plus agressif et redoutable d’entre
eux, se sont entendus avec Buenos
Aires. En échange d’un remboursement de 4,65 milliards de dollars (4,27 milliards d’euros) du gouvernement de Mauricio Macri
(centre droit), ils abandonneront
les poursuites judiciaires engagées contre le pays.
« C’est un très grand plaisir pour
moi d’annoncer que la bataille
vieille de quinze ans entre l’Argentine et Elliott Management, dirigé
par Paul Singer, est en passe d’être
résolue, a indiqué, lundi, le médiateur américain Daniel Pollack,
dans un communiqué. C’est un pas
de géant mais il reste une dernière
étape. » En effet, le Parlement argentin doit encore valider l’accord
et abolir deux lois faisant obstacle
au remboursement. M. Macri, arrivé au pouvoir le 10 décembre 2015, devait s’exprimer devant
les élus mardi 1er mars, afin d’obtenir suffisamment de soutiens.
liquidités qu’elles laissent dormir
à court terme dans leurs coffres.
De quoi les inciter à plutôt prêter
ces sommes aux ménages et aux
entreprises. De quoi, aussi, décourager les capitaux tentés de se placer en zone euro. Ce qui pousserait l’euro à la baisse, favorisant
ainsi les exportateurs…
Problème : une telle mesure fait
de plus en plus débat. Pour compenser cette taxe, les banques
pourraient en effet être tentées de
reporter le coût sur leurs clients.
Plutôt contre-productif. Mais la
BCE pourrait ruser en baissant son
taux de dépôt seulement au-delà
d’un certain seuil, afin de taxer
uniquement les réserves les plus
excessives des banques…
« Dans tous les cas, la BCE ne
manque pas d’outils, résume
M. Sbaihi. Le problème, c’est que
l’efficacité de certains reste encore
incertaine. » De fait, les armes monétaires ne peuvent résoudre, à
elles seules, l’ensemble des problèmes structurels dont souffre
l’économie européenne. A commencer par l’anémie de la demande et de l’investissement, qui
peinent toujours à repartir… p
rome - correspondant
américaine. Mais Cristina Kirchner, intraitable, refuse de céder. Ce
qui conduit le pays, durement affecté par la baisse des cours des
matières premières, à faire partiellement défaut sur sa dette en
juillet 2014.
Dès son arrivée, Mauricio Macri,
ancien homme d’affaires millionnaire, rompt avec les pratiques de
sa prédécesseure. Il met tout en
œuvre pour résoudre le problème.
Le 5 février, il propose ainsi de rembourser 6,5 milliards de dollars à
ses créanciers les plus récalcitrants, sur 9 milliards réclamés.
Une proposition acceptée dans la
foulée par deux des six principaux
fonds concernés.
Validé par le Congrès argentin, le
nouvel accord dévoilé lundi permettra au pays de revenir sur les
marchés financiers, dont il est exclu depuis 2001. « Cela sera très positif pour l’économie argentine », se
félicite Edward Glossop, chez Capital Economics, dans une note sur
le sujet. « C’est un préalable indispensable au processus de libéralisation voulu par le président et cela
permettra d’attirer de nouveau les
investisseurs étrangers », ajoute
Christopher Dembik, chez Saxo
Banque. Une bonne nouvelle pour
les Argentins, pénalisés depuis de
longs mois par une inflation galopante et par la pauvreté, qui touche 30 % de la population. p
m. c.
L
e défi est de taille. Identitaire, culturel, intercontinental
même. La chaîne américaine Starbucks, qui distribue ses
cafés (d’aucuns diront des « lavasses ») dans 23 000 établissements à travers le monde, a annoncé, lundi 29 février,
l’ouverture, début 2017, de son premier établissement en Italie.
A Milan, plus précisément. On entend déjà les commentaires :
autant essayer de vendre des glaces aux Esquimaux…
Le marché semble impénétrable. Les Italiens dépensent en effet chaque année, 6,6 milliards d’euros pour consommer six
milliards d’expressos au bar.
Un Américain, fort de ses 19 milliards de chiffres d’affaires
en 2015 (en hausse de 17 %), pourra-t-il jouer des coudes aux
comptoirs péninsulaires ? Howard Schultz, le patron de Starbucks a commencé par flatter son futur pays d’accueil : « L’histoire de Starbucks est intimement liée à la façon dont les Italiens
réalisent le parfait expresso. Tout ce que nous avons réalisé jusqu’ici s’appuie sur cette fabuleuse expérience. »
AUTANT ESSAYER
DE VENDRE
DES GLACES
AUX ESQUIMAUX
Un euro au comptoir
S’ils ne sont pas insensibles aux compliments, il en faudra davantage pour
changer les habitudes de consommation des Italiens. Ils prennent en général, leur caffè espresso ou macchiato ou lungo ou ristretto ou corretto ou schiumato ou shakerato ou freddo, debout au comptoir,
en quelques secondes, dans le vacarme du percolateur, de la radio et parfois de la télé. Prix : un euro (et parfois moins) alors
que Starbucks facture les siens trois fois plus cher.
Comme s’il savait le combat perdu dans les tasses, Howard
Schultz s’est allié au promoteur immobilier Antonio Percassi,
un ancien joueur de football professionnel de l’Atalanta Bergame qui a installé les premières enseignes Benetton et celles
de Victoria’s Secret.
Ils veulent forcer le consommateur à s’asseoir pour profiter
d’autres avantages : coins tranquilles pour la clientèle d’affaires
et réseau Internet performant pour accéder à des contenus exclusifs. Bref, tout pour oublier le vrai caffè. p
philippe ridet
6 | économie & entreprise
0123
MERCREDI 2 MARS 2016
Solutions de paiement : la bataille de l’innovation
Commerçants et consommateurs sont désorientés par l’afflux d’offres surfant sur les nouvelles technologies
L
es clients et les commerçants n’ont pas encore
pris le pli du paiement
sans contact et du protocole 3D Secure que les banques en
sont déjà au coup d’après. Lundi
29 février, La Banque postale a annoncé qu’elle lancerait, dès cet
été, la sécurisation des paiements
à distance par reconnaissance vocale. Le prix du service reste à déterminer, mais cela se passera
ainsi : lorsqu’un client effectuera
un achat sur Internet, il recevra
un appel sur son mobile. Il devra
alors prononcer une phrase donnée – par exemple : « Bonjour je
m’appelle Michel et je m’authentifie par la voix. » La Banque postale
n’a pas encore décidé de la phrase
type qu’elle recommanderait à
ses clients. Ils pourront aussi
choisir n’importe quelle suite de
mots, du moment qu’elle est assez longue. Si la voix du porteur
de carte est reconnue, grâce à une
technologie biométrique, le formulaire de paiement du site marchand se remplit automatiquement.
Pourquoi en revenir au traditionnel coup de fil ? Après tout, le
protocole d’identification 3D Secure, en vigueur depuis plusieurs
années, permet d’identifier le
porteur de carte grâce à l’envoi
d’un code par SMS. Mais « le 3D Secure sécurise les transactions, pas
les données de carte bancaire en
tant que telles », explique Aurélien
Lachaud, directeur du développement des marchés de paiement à
La Banque postale. Une carte perdue ou volée peut être utilisée
pour faire des achats sur Internet.
Avec le service de La Banque postale, baptisé Talk to pay (Parlez
pour payer), cela devient impossible : les paiements sans reconnaissance vocale sont refusés, et
le client est alerté d’une tentative
de fraude.
Pour ceux qui n’aimeraient pas
le son de leur voix, il y a aussi la reconnaissance faciale. Mastercard
lancera, dès l’été prochain, le paiement par selfie aux Etats-Unis, au
Canada et dans plusieurs pays
européens. Le géant américain
des systèmes de paiement ne précise pas encore si la France en fera
partie. « Beaucoup d’achats sur Internet sont réalisés au bureau, il est
difficilement envisageable de faire
un selfie au milieu de l’open
space… », tempère Anatole de la
Brosse, directeur général adjoint
de Sia Partners. Plus discret, le
paiement à distance avec sécurisation par ultrason est testé, lui,
par Natixis, filiale de BPCE.
« Authentification faciale, sanguine, par ADN : on peut tout imaginer, remarque M. Lachaud, de La
Banque postale. Mais ça coûte
cher à déployer. L’innovation ne
« Authentification
faciale, sanguine,
par ADN : on peut
tout imaginer »
AURÉLIEN LACHAUD
directeur du développement
des marchés de paiement
à La Banque postale
doit pas forcément passer par une
rupture technologique. Pour
qu’elle soit adoptée, il faut des méthodes universelles. »
« De moins en moins confiance »
A l’instar du paiement à distance,
le paiement de proximité a aussi
droit à son lot d’innovations. La
plus connue ? Le paiement sans
contact, permis par une puce NFC
(Near field communication, Communication dans un champ proche), logée dans la carte bancaire.
En décembre 2015, le million de
transactions sans contact par jour
a été atteint, selon le GIE Cartes
bancaires, un groupement d’intérêt économique des établisse-
La sécurité, moteur du boom des drones
Selon une étude, la valeur de ce marché sera multipliée par trois d’ici à 2020
D
e quels ingrédients sera
fait l’avenir économique
du drone ? C’est à cette
question que tente de répondre
l’étude du consultant Oliver Wyman, publiée mardi 1er mars. Selon cette enquête, le futur de ces
drôles d’objets volants s’inscrit
davantage comme outil de travail
que comme instrument de loisir
ou arme de guerre. Le cabinet estime que ce marché pourrait voir
sa valeur multipliée par trois d’ici
à 2020 et avoir un impact fort
dans certains secteurs, mais pas
forcément ceux que l’on croit.
Aujourd’hui, le marché mondial
des drones est dominé par les usages militaires qui pèsent 6,8 des
8,3 milliards d’euros annuels de
dépenses liées à leur fabrication et
à leur exploitation. Dans cinq ans,
les drones à usage professionnel
devraient générer quelque 6 milliards d’euros alors qu’ils ne pesaient que 300 millions en 2015.
Selon l’étude, cette croissance
repose sur trois moteurs : l’établissement de réglementations
claires et, a priori, favorables à l’essor des drones professionnels aux
Etats-Unis comme en Europe, la
baisse accélérée du prix des composants mais aussi le potentiel offert « par le cloud et le big data ».
Pour autant, le secteur des loisirs
va continuer de se développer
(surtout en valeur) de même que
le domaine des drones militaires,
quoique plus lentement.
Les projections concernant la
France font état d’une croissance
annuelle comprise entre 12 % et
18 % d’ici à 2025, impulsée par les
applications professionnelles. Actuellement, celles-ci représentent
65 millions d’euros (exploitants et
constructeurs), soit moins de la
moitié d’un marché de 155 millions dominé par les loisirs.
En 2020, cette hiérarchie sera bouleversée. Le chiffre d’affaires du
drone professionnel (près de
180 millions d’euros) sera prépondérant au sein d’un marché qui
aura doublé et devrait encore plus
que doubler entre 2020 et 2025. Le
secteur des médias, actuellement
prépondérant, sera toujours important mais il ne devrait que très
modérément prospérer.
« Une menace réelle »
En France, les plus forts bataillons
de drones sont attendus dans le
secteur de la surveillance et de la
sécurité qui embrassent un spectre très large de professions. Le rapport, qui rappelle que la SNCF ou
ERDF commencent à investir dans
les drones assurant le survol de
leurs installations, évoque aussi la
cartographie ou la « cubature »
(mesure du volume de matériaux
extraits d’une carrière, par exemple) ou encore les activités de thermographie (survol de logement
pour déterminer les pertes de chaleur) liées à la réglementation,
sans oublier la maintenance
d’ouvrages. Plus généralement, la
tendance grandissante de l’industrie à digitaliser les données – modélisation 3D ou suivi de chantiers
de construction ou de travaux publics, par exemple – constitue un
levier essentiel pour le recours aux
drones, « y compris pour la réalisation de modèles prédictifs ». Dans
ces conditions, la valeur ajoutée résidera dans la capacité à traiter ces
données, c’est-à-dire leur donner
une utilité et donc un prix.
En revanche, évoquant « la lenteur de l’acceptation sociétale », les
consultants ne voient pas prospérer des drones au service des forces de l’ordre ou de la sécurité civile. Ceux-là qui ne devraient pas
peser plus que 5 % du marché
dans dix ans (ce qui, malgré tout,
n’est pas rien). Quant aux applications liées à l’avènement de l’agriculture de précision, elles vont
fortement gagner du terrain mais
il ne faut pas les surestimer.
L’étude considère que leur part
dans le marché global lié à l’exploitation des drones ne dépassera pas 10 % dans les dix prochaines années. Enfin, la part des métiers de la distribution devrait rester symbolique, malgré les projets
de livraison par drones évoqués
par Amazon, Google ou DHL.
« Cette activité ne paraît pas faisable en termes opérationnels », estime Guillaume Thibault, spécialiste des drones au sein du bureau
parisien d’Oliver Wyman.
« Je suis aussi enthousiaste que
vous à l’idée d’avoir une pizza livrée
par un drone », reconnaissait, à la
mi-février, au Salon aéronautique
de Singapour, Tony Tyler, le directeur général de l’Association internationale du transport aérien
(Iata), tout en soulignant que les
drones civils représentent une
« menace réelle et croissante » pour
la sécurité des avions de ligne.
« Nous recevons beaucoup d’informations de pilotes faisant état de
drones à des endroits inattendus,
en particulier à basse altitude
autour d’aéroports », a t-il ajouté,
appelant à une réglementation.
A ce jour, seuls 63 des 191
pays membres de l’Organisation
civile de l’aviation internationale
ont adopté des réglementations,
selon Rob Eagles, expert en drones
à l’Iata. Neuf pays sont en train de
les élaborer, tandis que cinq autres
interdisent les vols. « Mais, déplore-t-il, il n’y a pas de cohérence entre ces réglementations. » De son
coté, le centre d’étude des drones
de l’université américaine de Bard
(New York) a enregistré 921 incidents impliquant des drones et
des avions dans l’espace aérien
américain, de décembre 2013 à
septembre 2015. Trente-six d’entre
eux étaient considérés comme
« proche d’une collision ». Et dans
vingt-huit cas, les pilotes de ligne
ont dû manœuvrer pour éviter un
choc. p
jean-michel normand
ments financiers français. Plus de
la moitié des cartes de crédit disposent de cette technologie, mais
un quart des commerçants seulement sont équipés pour l’accepter.
Pas encore démocratisé, le paiement sans contact par CB pourrait
toutefois être déjà ringardisé par le
paiement sans contact avec mobile. Presque tous les smartphones sont équipés de la fameuse
technologie NFC : on peut payer en
posant son mobile sur le terminal
de carte bleue. Mais « il y a une défiance d’utilisation liée à la sécurité : que se passe-t-il si j’égare mon
téléphone ? », commente Didier
Descombes, associé KPMG. L’engouement, encore faible, n’empê-
che pas d’autres innovations
d’éclore. Des start-up développent
des solutions de paiement par QR
codes, par Bluetooth… Et ce n’est
pas fini. Les géants du Web et des
télécoms poussent chacun leur
portefeuille électronique : Apple
Pay, Google Wallet, Orange Cash,
Samsung Pay… Même les réseaux
sociaux permettent désormais de
rembourser ses amis : en un tweet,
ou avec la messagerie Facebook.
« Pas une journée ne se passe sans
qu’une nouvelle solution de paiement soit annoncée, décrit M. Descombes, de KPMG. Il y a 700 à 800
projets de paiement mobile en ce
moment ; mais une grande majorité va probablement échouer. » En
effet, « aucun utilisateur ne va cumuler toutes ces solutions de paiement, souligne M. de la Brosse,
chez Sia Partners. Et chacune a du
mal à s’imposer. C’est un jeu où chaque acteur essaie de prendre des positions et seuls les deux ou trois
meilleurs vont subsister ».
Alors, comment expliquer que
ces innovations pullulent ? Pour
les GAFA (Google, Apple, Facebook
et Amazon) et les acteurs des télécoms, il s’agit de grappiller les
quelques centimes de commission de transaction, et de prolonger la relation avec leurs clients.
Les start-up des Fintech, si elles ne
percent pas, espèrent se faire racheter par une banque. De peur de
se retrouver dépassés, et voyant
qu’on attaque leurs parts de marché, les acteurs financiers réagissent. Sauf qu’« il y a un moment où
c’est trop, estime Eric Tournier, directeur KPMG pour la transformation digitale. On envoie un message confus au consommateur, qui
a de moins en moins confiance. Il
faut que les acteurs s’accordent sur
deux ou trois solutions qui seront
distribuées par tout le monde ». Les
clients ont intérêt à s’armer de patience : pour le 3D Secure comme
pour le sans contact, il a fallu plusieurs années pour que tout le
monde se mette d’accord sur un
standard commun. p
jade grandin de l'éprevier
11,70 %
Telle est la part que le chinois Jin Jiang, numéro cinq mondial de la gestion hôtelière, a annoncé détenir dans le capital d’AccorHotels, lundi
29 février. Il a indiqué à l’Autorité des marchés financiers ne « pas exclure
d’acquérir d’autres titres », ni « de demander la nomination d’un ou plusieurs représentants au conseil d’administration afin de participer à la définition de sa stratégie ». Mais il « n’envisage pas de prendre le contrôle »
du groupe. Entré en 2015 au capital d’Accor, Jin Jiang en est devenu
le premier actionnaire voici un mois en portant sa part à 6,05 %.
Fin 2014, le chinois a acquis le groupe Louvre Hôtels, concurrent d’Accor.
T RAN S PORT
RATP-SNCF : journée
de grève mercredi
9 mars
Pour la première fois depuis
2013, les syndicats de la SNCF
appellent ensemble à la
grève, le 9 mars, pour défendre des conditions de travail
de « haut niveau » et réclamer
une hausse des salaires. La
RATP sera, elle aussi, en grève.
Leur préavis commun couvre
la période du mardi 8 mars à
19 heures au jeudi 10 mars,
8 heures. – (AFP.)
Les effectifs salariés ont reculé à leur rythme le plus rapide depuis janvier 2009.
AÉR ON AU T I QU E
Un avion supersonique
silencieux pour la NASA
par Lockeheed Martin
Lockheed Martin a remporté, lundi 29 février, un
contrat de recherche auprès
de la NASA pour concevoir
un avion de transport de
passagers supersonique silencieux et abordable. Cet
appareil expérimental pourrait voler vers 2020. – (AFP.)
CON J ON CT U R E
Nouveau repli
de la production
manufacturière en Chine
La production manufacturière chinoise s’est repliée
en février à son plus bas niveau depuis cinq mois, selon
l’indice Caixin-Markit des directeurs d’achat publié mardi
1er mars, qui a été ramené de
48,4 à 48. L’indice reste sous
la barre de 50, qui sépare la
croissance de la contraction.
VI D ÉO
GoPro achète
deux start-up
de montage vidéo
Le fabricant américain de
mini-caméras GoPro a annoncé, lundi 29 février, l’acquisition de deux start-up
spécialisées dans le montage
vidéo, l’américain Vemory et
le français Stupeflix, qui sont
derrière les applications mobiles Splice et Replay.
idées | 7
0123
MERCREDI 2 MARS 2016
LETTRE DE WALL STREET | par st ép hane l auer
Chronique du machisme ordinaire
L
a première impression est souvent la
bonne. Maureen Sherry se souviendra longtemps de son premier jour à
Wall Street, lorsqu’elle découvrit que
dans le carton de la pizza qui devait lui faire office de déjeuner un collègue avait remplacé les
rondelles de pepperoni par des préservatifs.
Bienvenue au pays du machisme ordinaire.
Pendant les dix ans durant lesquels elle est
restée chez Bear Stearns, l’une des banques
d’affaires de Wall Street qui avait pignon sur
rue jusqu’à sa faillite en 2008, cette grande
jeune femme blonde a accumulé les anecdotes salaces comme celle-là, enduré les blagues
obscènes et s’est heurtée au plafond de verre
qui, si souvent, prive les femmes d’une carrière analogue à celle de leurs pairs masculins.
Une expérience qu’elle a décidé de faire partager au travers d’un livre fiction, largement inspiré de la réalité qu’elle a vécue dans les années
1990. Opening Belle (Simon & Schuster, 352 p.,
25 dollars, non traduit), qui vient de sortir aux
Etats-Unis, va être bientôt porté à l’écran avec,
dans le premier rôle, Reese Witherspoon.
Le livre n’a rien d’un brûlot féministe.
L’ouvrage est plutôt à classer dans la catégorie
de ce que l’on appelle aux Etats-Unis un « chick
lit », ce genre littéraire qui traite des problèmes des femmes modernes sur un ton humoristique, un peu désabusé. Du désabusement,
il en aura fallu pour supporter la misogynie
plus ou moins assumée de ses collègues.
Pendant des années, elle les a entendus débattre ouvertement, lors du recrutement de
jeunes recrues, des critères physiques de ces
dernières. En tête du CV de l’une d’elles, un petit croquis de seins avait été ajouté. Elle se souvient aussi que, lorsqu’elle allaitait son enfant
et qu’elle se rendait à l’infirmerie de l’entreprise, un tire-lait à la main, des collègues inspirés accompagnèrent plusieurs fois son trajet
en poussant des meuglements. Une autre fois,
l’un d’eux se permit de boire le lait qu’elle avait
stocké dans le réfrigérateur du bureau.
LE RÈGNE DE L’OMERTA
L’auteure explique que, pour les femmes traders, il est difficile de se rebeller. « Elles ne veulent pas être perçues comme les fauteurs de
troubles. Celles qui déposent plainte sont considérées comme faibles. C’est un travail d’équipe
et elles s’ostracisent si elles agissent ainsi. »
Dans un pays où le politiquement correct
semble omniprésent, les banques ont aussi
un moyen de faire régner la loi du silence : le
fameux « U4 », un document qu’on signe à
l’embauche et qui stipule que les conflits ne
doivent pas franchir les murs de l’entreprise.
Les problèmes doivent se régler en interne,
pas sur la place publique.
L’ÉCLAIRAGE
Donnons sa chance
au projet de loi El Khomri
par thierry baril, bruno
mettling, franck mougin,
françois nogué et jeanchristophe sciberras
D
irecteurs des ressources
humaines de grandes entreprises soumises à une
forte concurrence internationale, nous constatons tous les
jours que la performance de nos entreprises et leur capacité à créer des
emplois passent non seulement par
la qualité et le renouvellement de leur
offre industrielle, mais aussi par
l’adaptation rapide de leurs organisations du travail.
Au quotidien, nous sommes convaincus que c’est bien cette capacité à
s’adapter mais aussi l’aptitude à valoriser les compétences humaines présentes dans nos entreprises qui sont
au cœur de notre performance et
donc de notre pérennité.
L’obsession du chômage, que partagent aujourd’hui tous nos concitoyens, doit favoriser une prise de
conscience collective sur les enjeux
de compétitivité de nos entreprises et
sur la nécessité d’optimiser le coût et
la rémunération du travail. Elle doit
encourager l’ouverture de marges de
manœuvre et permettre plus de flexibilité aux entreprises sans attendre
qu’elles soient en crise et que des solutions socialement douloureuses ne
doivent être mises en place. Cette obsession doit encourager des solutions
concrètes à travers un dialogue social
exigeant, d’autant plus pertinent
qu’il s’exerce au plus près du terrain
et des salariés.
INCOMPRÉHENSIONS ET RÉSISTANCES
Le projet de loi El Khomri tente
d’ouvrir une nouvelle approche de la
régulation sociale dans notre pays. Il
n’est pas étonnant qu’elle provoque
incompréhensions et résistances.
Ces propositions apportent une première réponse aux questions essentielles soulevées par le rapport Com-
¶
Thierry Baril, Bruno Mettling,
Franck Mougin, François Nogué
et Jean-Christophe Sciberras
sont directeurs des ressources
humaines respectivement
chez Airbus, Orange, Vinci,
Areva et Solvay (France)
brexelle sur « La négociation collective, le travail et l’emploi » : comment
construire à l’avenir les régulations
sociales d’une économie en mutation
permanente ? Quelle place donner
aux acteurs sociaux et aux réalités industrielles dans le choix de ces régulations ? Comment aller vers plus de
subsidiarité dans l’adaptation de notre modèle social, en favorisant la négociation plutôt que la loi ou la judiciarisation du social ?
En ouvrant de nouveaux espaces de
négociation dans les entreprises, notamment sur l’organisation du travail, en affirmant une primauté de
l’accord collectif sur le contrat de travail individuel, en généralisant le recours à l’accord collectif majoritaire,
ce projet de réforme encourage la responsabilisation des acteurs au plus
près des besoins d’adaptation auxquels ils sont confrontés en permanence. Il leur fait confiance pour choisir les voies de leur destin.
UNE SÉCURITÉ JURIDIQUE
D’autres dispositions du projet,
comme celles qui sont relatives au licenciement pour motif économique
ou au barème des indemnités
prud’homales, peuvent être de nature
à apporter une plus grande sécurité
juridique propice à l’investissement,
à la prise de risque et donc à l’emploi.
Enfin, sur la place du numérique
dans l’entreprise, la formation en alternance, la représentativité patronale ou encore la restructuration des
branches, le projet El Khomri, partant
de constats largement partagés, nous
invite à faire bouger les lignes, à simplifier les règles du jeu et tout simplement à favoriser l’adaptation du
monde du travail au monde
d’aujourd’hui.
Indépendamment de toute considération politique, les praticiens d’entreprise que nous sommes sont
d’abord attentifs à toute initiative
susceptible de rendre plus efficaces et
productives les relations du travail et
l’élaboration des normes sociales.
Sur bien des aspects, le projet de loi
El Khomri répond à ces attentes, au
risque parfois de heurter les traditions normatives et étatistes françaises. A l’occasion de la concertation sociale qui s’engage et du débat parlementaire qui va suivre, tentons de
surmonter nos clivages, au besoin en
adaptant tel ou tel aspect du texte.
Mais face aux enjeux pour l’emploi
et pour nos entreprises, ne dénaturons ni l’esprit ni la portée du projet
de loi El Khomri. p
Mais, de temps en temps, quelques cas forcent ces portes du secret et font prendre conscience qu’Opening Belle n’est pas qu’une fiction. Entre 2004 et 2007, Morgan Stanley a réglé à l’amiable deux procédures de discrimination sexuelle, permettant à plusieurs centaines
de femmes d’obtenir 100 millions de dollars de
dommages. En 2010, six employées avaient
poursuivi Citigroup pour des faits similaires.
Leurs supérieurs hiérarchiques leur avaient
servi des amabilités du type « vous pourrez assister à des réunions quand vous apprendrez à
jouer au golf », tandis que l’une d’elles a été
rétrogradée à son retour de congé maternité.
La même année, en mars, trois employées se
retournaient contre Bank of America pour
« sexisme ». Plus récemment, en 2015, chez
Goldman Sachs, une plaignante affirme avoir
été agressée sexuellement par un collègue marié après un dîner d’affaires. Lorsqu’elle l’a signalé à sa direction, elle a été rétrogradée. Enfin, Bank of America a été condamnée en 2013 à
dédommager près de 5 000 femmes pour un
montant total de 39 millions de dollars.
Pour camper son héroïne, Isabelle, Maureen
Sherry s’est inspirée de sa propre expérience et
a recueilli des témoignages de femmes ayant
subi les mêmes discriminations. Certaines
avaient ainsi dû promettre de ne pas faire d’enfant au moment de leur embauche, tandis que
d’autres ont été priées de revenir au travail
deux semaines seulement après l’accouchement. L’auteure raconte qu’un collègue lui a un
jour confié que l’on ne devrait recruter que des
femmes qui ont des frères, parce qu’elles sont
plus promptes à encaisser les plaisanteries.
Depuis les années 1990, des progrès ont été
enregistrés. Les banques d’investissement se
sont dotées de commissions chargées de réfléchir à la diversité, certaines deviennent plus
généreuses en termes de congés maternité,
tandis que Morgan Stanley, après ces affaires
retentissantes, a mis en place des procédures
pour promouvoir les femmes de façon paritaire. Mais, comme le montre une étude menée par Bloomberg BusinessWeek en 2015, les
diplômées d’un MBA entre 2007 et 2009 gagnent encore en moyenne 20 % de moins
qu’un garçon de la même université.
Lorsqu’elle démissionna de Bear Stearns,
en 2000, Mme Sherry raconte que le service juridique lui donna un papier qu’il fallait absolument signer en échange d’un chèque.
C’était une sorte d’engagement à ne jamais
parler de ce qu’elle avait vécu pendant dix ans
dans cette entreprise. Elle refusa, expliquant
que « prendre l’argent, c’était renoncer à aider
celles qui viendraient après [elle] ». p
« CELLES
QUI DÉPOSENT
PLAINTE SONT
CONSIDÉRÉES
COMME FAIBLES
ET S’OSTRACISENT
EN AGISSANT
AINSI »
MAUREEN SHERRY
ancienne employée
de Bear Stearns
[email protected]
Une autre voie pour le travail
Plutôt que l’antienne sur les « freins
à l’embauche », c’est la recherche de la qualité
des emplois qui doit guider les politiques
par eric heyer, pascal lokiec
et dominique méda
L
e projet de loi travail marque
la victoire au sein de l’exécutif d’une certaine vision de
ce que l’on appelle bien improprement le « marché du travail »
(car le travail n’est pas une marchandise). S’est imposée l’idée que le taux
de chômage s’expliquerait plus par la
« rigidité » des règles de rupture du
contrat de travail et la désincitation
au travail provoquée par des allocations trop généreuses que par une
demande anémiée par les politiques
d’austérité et l’obsession de réduire
au plus vite le déficit budgétaire.
Alors que les chefs d’entreprise n’ont
de cesse d’indiquer, dans les enquêtes Insee, que ce sont avant tout les
carnets de commandes dégarnis qui
bloquent leurs décisions d’investir et
d’embaucher.
L’alpha et l’oméga de la politique
gouvernementale peuvent se résumer dans cette antienne : seules les
entreprises créent des emplois ; or
les entreprises ne créent pas d’emplois parce qu’elles ont peur ; il faut
donc « lever les freins à l’embauche ».
Après les réductions des dépenses de
l’Etat, la mise en place du crédit
d’impôt compétitivité emploi (CICE)
et du pacte de responsabilité pour
un coût global de 41 milliards
d’euros, le développement du travail
du dimanche et le contrôle des chômeurs, voici venir le temps du plafonnement des indemnités prud’homales, de l’élargissement du
domaine de la décision unilatérale et
de la primauté de l’accord d’entreprise sur la convention de branche
au risque de créer un droit du travail
à la carte, le tout au nom de la sécurisation des parcours professionnels et
de l’agilité d’entreprises engagées
dans la bataille mondiale de la compétitivité.
La vision qui l’emporte dans l’exé-
PRENDRE ACTE DE CE QUE
NI LE CODE DU TRAVAIL
NI LES 35 HEURES
NE SONT LA CAUSE
DES MAUX FRANÇAIS
cutif français comme à droite est
celle que défendait l’Organisation de
coopération et de développement
économiques (OCDE) au début des
années 1990, agitant son « indicateur
de la rigueur de protection de l’emploi » pour appeler à la suppression
des règles du licenciement, bientôt
relayée en France par les partisans
du contrat de travail unique et, plus
récemment, du mal nommé contrat
de travail « agile ». Et cela à un moment où l’OCDE, dans un revirement
salutaire, reconnaît qu’aucune étude
sérieuse n’a jamais montré le lien
entre chômage et droit du travail, et
qu’il est désormais « urgent de soutenir collectivement la demande » ; où
le Fonds monétaire international
(FMI) montre que la présence syndicale fait obstacle à l’explosion des
inégalités ; où l’on sait que la diminution des protections des salariés conduit au durcissement des relations
de travail ; où les moyens permettant
de mettre fin à un contrat à durée indéterminée sont légion (le nombre
de ruptures conventionnelles n’a jamais été aussi élevé) ; où le taux de
chômage est tel qu’aucun salarié ne
peut refuser une baisse de salaire ou
une hausse de son temps de travail.
L’IMPASSE
Cette voie nous conduit à l’impasse.
Elle ignore le cercle vertueux « qualité de l’emploi, qualité des produits,
augmentation du chiffre d’affaires,
investissement », avec pour conséquence une proportion de malfaçons
considérable et un positionnement
de gamme médiocre ; elle tire un
trait sur les leçons léguées par le
XIXe siècle quant à la nécessité de réguler le temps de travail – avec un
risque de retour du travail à la tâche
sous des formes certes plus modernes (le travail par objectifs ou par
projet), mais tout aussi périlleuses
pour la santé et la sécurité ; elle permet à des entreprises multinationales de se jouer des législations nationales pour détruire les territoires
qu’elles quittent en un instant.
Il existe une autre voie. Elle consiste à prendre acte de ce que ni le
code du travail ni les 35 heures ne
sont la cause des maux français.
C’est avec eux que la France a, entre
1998 et 2002, créé le plus grand
nombre d’emplois durables des quarante dernières années, que l’évolution des coûts salariaux unitaires de
ses entreprises industrielles a été
plus modérée qu’ailleurs dans la
zone euro, y compris en Allemagne
(comme le révèle le dernier rapport
de Coe-Rexecode), et a permis que les
salariés français travaillent plus que
les salariés allemands, néerlandais
ou danois, mais avec de moindres
inégalités – notamment en matière
de temps de travail – entre hommes
et femmes. Une voie qui intéresse de
plus en plus hors de nos frontières :
la Suède expérimente la semaine des
trente heures (six heures par jour)
pour augmenter la productivité et le
bonheur de ses salariés.
Nous avons besoin, en France, d’investir dans la qualité. La qualité de
l’emploi (non, une heure de travail
n’est pas toujours mieux que le chômage) sans discrimination de sexe
ou d’origine ; la qualité de l’éducation
et de la formation, mais aussi du logement, des produits et de la cohésion sociale. L’entreprise doit prendre en compte l’intérêt des
différentes parties prenantes, pas
seulement celui des apporteurs de
capitaux, ce qui passe par une nouvelle gouvernance, voire une forme
de codétermination. Nous devons intégrer dans notre droit du travail les
enjeux du numérique et les nouvelles formes de subordination afin
que, demain, la modernité reste le
salariat et que la seule alternative ne
soit pas l’essor de modèles comme
Uber, qui cherchent l’optimisation à
tout prix, y compris au sacrifice de
nos systèmes de protection sociale.
Nous devons aussi nous engager au
plus vite dans la reconversion écologique qui, bien conduite, peut nous
permettre de renouer avec une
forme de plein-emploi. La rénovation thermique des bâtiments, la reconstruction du système énergétique, le verdissement des processus
industriels, sont une source d’emplois non délocalisables considérable. Les besoins sociaux également.
Les satisfaire suppose de réguler une
finance carnassière qui dépèce les
entreprises et met les territoires et
les nations en concurrence permanente. Cette autre voie ne passe pas
par la mise à plat du droit du travail
et de ses protections qui, tout au
contraire, sont une condition de sa
réussite. p
¶
Eric Heyer est directeur du département
Analyse et prévision de l’OFCE
Pascal Lokiec est professeur de droit du
travail à l’université Paris-Ouest-Nanterre-la Défense
Dominique Méda est professeure de sociologie à l’université Paris-Dauphine
8 | MÉDIAS&PIXELS
0123
MERCREDI 2 MARS 2016
« Nous voulons signer une charte avec Bolloré »
Olivier Ravanello, président de la SDJ de Canal+/i-Télé, dénonce le traitement fait à l’investigation journalistique
ENTRETIEN
L
es atteintes à l’indépendance éditoriale constatées au sein du groupe Canal+ de Vincent Bolloré
ont amené les députés à proposer
un texte de loi en faveur de l’indépendance des médias, qui doit
être examiné en commission,
mercredi 2 mars. Mais pour Olivier Ravanello, éditorialiste à iTélé et président de la Société des
journalistes de Canal+/iTélé, le
texte doit aller plus loin.
En 2015, on a appris la non-diffusion par Canal+ d’un documentaire sur le Crédit mutuel
et le retrait d’un reportage sur
l’Olympique de Marseille,
deux sujets jugés gênants par
la direction. Six mois plus tard,
quelles ont été les conséquences de ces décisions ?
La première conséquence a été
la création d’une Société des journalistes (SDJ) de l’ensemble du
groupe Canal+, pour prendre contact avec la direction et essayer de
poser un cadre qui permette d’éviter que de telles situations se reproduisent. La SDJ a plaidé pour
que la charte éditoriale demandée
au groupe par le CSA soit élaborée
avec la participation de journalis-
tes de la maison. Cela lui a été refusé. Nous avons donc pris l’initiative d’écrire une charte, qui a
été approuvée par un vote de la rédaction et transmise à la direction. Mais celle-ci n’a, à ce jour,
pas donné suite, et s’abrite derrière la création d’un comité
d’éthique qu’elle a annoncée,
mais dont la composition est contestée.
L’indépendance éditoriale
a-t-elle fait l’objet de nouvelles
atteintes ?
Les équipes de l’émission « Spécial Investigation » ont essuyé
sept refus sur leurs onze dernières propositions de sujets,
comme l’a publiquement raconté
le rédacteur en chef de l’émission,
Jean-Baptiste Rivoire. Ces refus
concernent une vaste gamme de
sujets : François Hollande, les forces de l’ordre, Volkswagen, YouTube, le Nutella, etc. Le message
implicite est clair : on ne touche
pas aux pouvoirs, quels qu’ils
soient. Au service des sports, la
consigne a été ouvertement donnée de ne pas faire de sujet dérangeant pour les clubs, qui sont systématiquement
présentés
comme des « partenaires ».
ventions sur l’information de
flux que propose i-Télé ?
Non, aucune. C’est l’investigation qui est spécifiquement visée.
Celle-ci fait pourtant partie de
l’identité de Canal+, dont les abonnés savent qu’elle ménage des espaces libres et indépendants. Affaiblir l’investigation, c’est rompre
une partie du contrat entre la
chaîne et ses abonnés. Mais rien
ne dit que demain, ce qui se passe
sur l’investigation ou le sport ne
concernera pas également i-Télé.
Lors de sa venue devant la rédaction, le 25 septembre, Vincent Bolloré a expliqué que, selon lui, les
journalistes doivent travailler
dans l’intérêt du groupe. Or un
journaliste n’a qu’une façon de
servir son groupe : c’est de produire la meilleure information
possible ! Le seul moyen de garantir l’avenir, c’est de signer publiquement une charte.
Une proposition de loi sur l’indépendance des médias est ac-
tuellement préparée à l’Assemblée nationale. Elle prévoit la
généralisation des comités
d’éthique. Qu’en pensez-vous ?
Cette mesure ne me semble pas
de nature à réellement protéger les
journalistes. Au sein d’un groupe,
un comité d’éthique peut être utile
pour poser des règles, conduire
des réflexions, etc. Mais dans la
mesure où ces comités sont nommés par les directions, ils ne peuvent être les garants de l’indépendance éditoriale. Ils courent le risque de n’être que des comités
Théodule, sans réel pouvoir.
Le texte établit la notion d’« intime conviction professionnelle », au nom de laquelle un
journaliste pourrait refuser un
acte qui lui semblerait contraire à ses principes. Est-ce
pertinent ?
Réduire la notion de l’indépendance à une question de conscience individuelle est potentiellement dangereux pour des jour-
Surenchère en vue
Avec sa nouvelle offre, Vincent
Bolloré souhaite s’octroyer la moitié des droits de vote, devant la famille Guillemot, qui possède
20,47 % du capital et 28,57 % des
droits de vote. « Même si le conseil
d’administration a rejeté l’offre, elle
est suffisamment attractive pour
attirer les actionnaires », juge, dans
une note, Richard-Maxime Beaudoux, analyste chez Bryan Garnier.
La surenchère pourrait se poursuivre. « On comprend maintenant
que Vivendi est vraiment intéressé,
Certains plaident pour la création d’une autorité professionnelle indépendante, comme
cela existe pour les médecins
ou les avocats…
Je n’ose en rêver, mais c’est évidemment ce qu’il faudrait. L’indépendance ne peut être pleinement garantie par une autorité
nommée par le pouvoir politique
comme l’est le CSA. Seuls les journalistes peuvent garantir l’indépendance des journalistes et disposer d’un pouvoir de sanction. Il
faut organiser cette séparation du
quatrième pouvoir, faute de quoi
on ne résoudra jamais véritablement cette question. p
propos recueillis
par alexis delcambre
RÉSULTATS
ANNUELS
2015
Le groupe a relevé son OPA sur Gameloft
après que l’éditeur de jeux vidéo l’a dénoncée
L’
nalistes qui seront amenés à se
singulariser. Plus que l’individu
journaliste, il faudrait aborder la
question des rédactions, et rendre
obligatoire l’adoption d’une
charte d’indépendance dans tous
les groupes de médias. La charte
est un texte public par lequel l’actionnaire, mais aussi la rédaction,
prennent des engagements mutuels, qui codifient les droits et les
devoirs de chaque partie. Si la loi
ne crée pas cette obligation, les
journalistes resteront isolés. Le
public a tendance à considérer que
les médias roulent pour des intérêts privés : cette loi peut être l’occasion de faire évoluer les mentalités et de poser une nouvelle relation entre les rédactions et les actionnaires, mais aussi le public.
Avez-vous constaté des inter-
Vivendi renforce
la pression sur
les frères Guillemot
étau se resserre autour
des frères Guillemot, à la
tête des éditeurs de jeux
qu’ils ont fondés, Ubisoft et Gameloft. Vivendi, qui avait annoncé le 18 février une offre publique d’achat (OPA) sur la totalité du
capital de Gameloft, a relevé,
lundi 29 février, son offre de 20 %
à 7,20 euros l’action, valorisant
l’éditeur de jeux mobiles 615 millions d’euros.
Si Vivendi est repassé à l’offensive, c’est en raison de la publication par Gameloft, lundi matin,
d’un communiqué au vitriol, se
prononçant contre l’OPA du
groupe de Vincent Bolloré. Le conseil d’administration avait jugé à
l’unanimité la présence de Vivendi
« contraire à l’intérêt de Gameloft,
de ses actionnaires, de ses salariés
et de ses clients », et dénoncé « l’absence de rationnel industriel de ce
projet de rapprochement ».
« C’est la réponse du berger à la
bergère », rétorque donc un proche du dossier, qui assure que Vivendi ne voulait pas à l’origine
prendre le pouvoir par la force au
sein de l’éditeur de jeux vidéo,
mais avait tenté à plusieurs reprises, par l’intermédiaire d’Arnaud
de Puyfontaine, le président du
directoire de Vivendi, de « nouer
un dialogue ». Dans le clan d’en
face, la montée au capital de
l’homme d’affaires est plutôt vue
comme une agression.
« Au service
des sports,
la consigne a
été ouvertement
donnée de ne pas
faire de sujet
dérangeant
pour les clubs »
Avec sa nouvelle
offre, M. Bolloré
pourrait
s’octroyer
la moitié
des droits de vote
mais l’offre est encore de 10 % inférieure aux dernières transactions
du secteur », dit Jean-Christophe
Liaubet, d’Exane. Or, pour atteindre son but, Vincent Bolloré doit
convaincre certains gros actionnaires, comme Fidelity, Amber Capital, Allianz Global Investors et
DNB Asset Management, qui possédaient ensemble 25 % du capital
au 31 décembre 2015.
En s’attaquant à Gameloft, dirigé
par Michel Guillemot, Vincent
Bolloré semble vouloir montrer à
son frère, Yves, le patron d’Ubisoft,
qu’il est déterminé. De fait, Ubisoft, l’éditeur de jeux à succès
comme Watch Dogs ou Assassin’s
Creed, valorisé 3 milliards d’euros
en Bourse, est une cible plus attractive mais plus difficile à conquérir. Vivendi détient pour l’instant 15 % du capital, comme il l’a
confirmé le 29 février, et pourrait
se montrer moins agressif qu’avec
Gameloft, selon les experts.
« Vivendi veut convaincre la famille Guillemot que des synergies
sont possibles, et qu’ils peuvent
être partenaires », analyse M.
Beaudoux, de Bryan Garnier, qui
pense que, à terme, un accord
avec Vivendi, qui dispose de
6 milliards d’euros de cash, pourrait être bénéfique. « Il s’agit de
donner à la société les moyens de
se développer », dit un proche du
dossier. Depuis l’irruption de
l’homme d’affaires breton, Yves
Guillemot, qui tient à préserver
son indépendance, s’est démené
pour trouver un chevalier blanc.
Sans résultat concret à ce jour. p
sandrine cassini
Chiffre d’affaires
« En 2015, Saint-Gobain a enregistré une amélioration de ses
résultats dans un environnement économique très contrasté.
L’ampleur de ce progrès a été limitée par la poursuite
du recul des activités en France, notamment affectées
par le fort repli de la Canalisation au second semestre,
malgré des premiers signes d’amélioration des indicateurs
de la construction.
Résultat d’exploitation
Le Groupe a achevé une étape importante dans l’évolution
de son portefeuille d’activités avec la cession de Verallia
dans de très bonnes conditions et poursuit le projet
d’acquisition du contrôle de Sika après l’obtention
de l’ensemble des autorisations antitrust préalables
à la clôture de l’opération.
39,62 MD€
2,64 MD€
+ 4,5 %
Dans un contexte macroéconomique encore très volatil,
nous poursuivons en 2016 nos efforts d’adaptation et
visons une nouvelle amélioration du résultat d’exploitation
à structure et taux de change comparables. »
Pierre-André de Chalendar
Président-Directeur Général
Résultat net*
1,30 M€
+ 35,9 %
Dividende**
PROCHAINS RENDEZ-VOUS
27 Avril
2 Juin
Publication
du chiffre d’affaires
du premier trimestre
Assemblée générale,
Palais des Congrès,
Paris
1,24 €
par action
* Résultat Net de l’ensemble consolidé
part du Groupe.
** Montant qui sera proposé à l’Assemblée
générale versé intégralement en espèces.
Une information complète sur les résultats
de l’exercice est disponible sur
www.saint-gobain.com
BIOLOGIE
NEUROLOGIE
PORTRAIT
LES PLANTES, SENSIBLES
ET INTELLIGENTES ?
LES EXPERTS AU CHEVET
DU RETARD MENTAL
PIERRE POLLAK,
STIMULATEUR PROFOND
→ DOSSIER PAGES 4-5
→ PAGE 2
→ PAGE 7
Zika multiplie les cas de Guillain-Barré
L’analyse rétrospective de l’épidémie qui a touché la Polynésie française en 2013-2014 confirme que le virus engendre des syndromes de Guillain-Barré.
Chez les personnes infectées, la fréquence de cette atteinte neurologique réversible était environ vingt fois plus élevée que dans la population non touchée.
PAGE 3
Le moustique
« Aedes aegypti »,
vecteur du virus
Zika.
MARVIN RECINOS/AFP
Le syndrome de l’imposteur
V
chronique
Angela Sirigu
Neuroscientifique, directrice
de l’Institut de science cognitive
Marc-Jeannerod,
département neuroscience (CNRSuniversité Lyon-I)
ous arrive-t-il parfois d’avoir la sensation de
ne pas être à la hauteur, de ne pas posséder
les qualités qu’il faut pour accomplir un travail ambitieux ? Un tel sentiment est assez
commun et le plus souvent passager, mais lorsqu’il
se transforme en conviction durable, on entre dans
le cadre du « syndrome de l’imposteur », qui est assez
répandu dans de nombreux milieux professionnels.
L’individu qui en est atteint se convainc qu’il n’est pas
apte à la fonction qu’il occupe ou qu’il convoite et
redoute d’être démasqué tôt ou tard comme un imposteur, au point de renoncer à toute nouvelle opportunité qui pourrait faire progresser sa carrière.
Ce phénomène a été étudié pour la première fois
en 1978 par Pauline Clance et Suzanne Imes, de l’université de Géorgie à Atlanta, chez 150 femmes ayant
occupé des postes à haute responsabilité mais qui ne
parvenaient pas à intérioriser l’expérience du succès
et persistaient à penser que leur réussite était le fait
du hasard. Des études récentes montrent que ce phénomène ne dépend pas du sexe, qu’il affecte généralement des personnes ayant un niveau intellectuel élevé,
et est endémique chez les scientifiques. Des articles
Cahier du « Monde » No 22123 daté Mercredi 2 mars 2016 - Ne peut être vendu séparément
traitant de ce malaise sont parus dans les rubriques
« carrière » de revues comme Science et Nature.
Le contexte dans lequel grandissent puis évoluent
les chercheurs serait propice à son émergence. Souvent
élèves brillants, ils peuvent développer un sentiment
de valeur personnelle qui est très dépendant de leurs
exploits académiques, ce qui les rend prompts à douter
et à éprouver sentiment de ne pas être légitime lorsqu’ils commencent à évoluer parmi d’autres cerveaux
tout aussi performants que le leur ou sont confrontés
au refus d’un manuscrit ou d’une demande de subvention. La monnaie qui rétribue le travail d’un chercheur
n’est pas l’argent, c’est connu, mais la reconnaissance.
Même si celle-ci est au rendez-vous, le sentiment d’imposture est parfois tenace. On en a vu récrire vingt fois
un rapport et mettre des années avant de le soumettre
pour publication, minés par la conviction que le travail
n’est pas abouti, ou refuser une invitation à donner
une conférence internationale de crainte de voir leur
ignorance exposée au grand jour.
Le paradoxe est qu’il s’agit de personnes objectivement ultracompétentes, ayant accumulé tous les
gages extérieurs de reconnaissance : diplômes, prix,
chaire de prestige, etc. Certains pensent que l’universalité du sentiment d’imposture chez les scientifiques
naît du fait qu’ils sont confrontés tous les jours à la
conscience aiguë qu’ils ne réussiront jamais à tout
comprendre. S’appuyant sur des tests de personnalité,
Frederik Anseel, de l’université de Gand, évoque plutôt le perfectionnisme exacerbé et l’auto-imposition
d’objectifs irréalistes menant à un sentiment inéluctable de défaite et d’insuffisance.
Enfin, il est possible que les scientifiques soient juste
un peu trop centrés sur eux-mêmes, car relativiser
l’importance de ses travaux, s’occuper d’autrui, s’intéresser plus à la formation des étudiants qu’à sa propre
promotion a aidé certains d’entre eux à se défaire de
ce sentiment d’imposture désagréable. Il est intéressant de noter que le phénomène inverse existe aussi :
l’effet Dunning-Kruger, qui montre que les personnes
très incompétentes ont une confiance excessivement
élevée dans leurs capacités et leurs jugements, et
grâce à cela ne connaissent ni le doute ni l’angoisse.
Mais non, amis chercheurs, brider votre processeur
interne n’est pas forcément la meilleure solution pour
soulager et traiter votre syndrome de l’imposteur. p
2|
0123
Mercredi 2 mars 2016
| SCIENCE & MÉDECINE |
AC T UA L I T É
Sortir la déficience intellectuelle de l’ombre
| L’Inserm consacre une volumineuse expertise collective aux troubles du développement,
des handicaps méconnus, qui concernent de 1 % à 2 % de la population. Reportage dans une consultation spécialisée
neuropédiatrie
sandrine cabut
Q
u’est-ce qui vous soucie avec
votre petite fille ? », demande le
docteur David Germanaud. Ce
matin de février, le neuropédiatre et chercheur commence sa consultation à l’hôpital Robert-Debré (AP-HP)
avec Clara (prénom changé), 6 ans, et ses parents. Comme la plupart des jeunes patients
que prend en charge ce spécialiste des troubles
neuro-développementaux, la fillette ne se développe pas tout à fait comme les autres enfants.
Chez certains, ce sont des troubles du comportement qui sont au premier plan. Chez d’autres,
comme Clara, ce sont des difficultés cognitives,
qui perturbent les acquisitions précoces ou les
apprentissages scolaires.
« La nature ne sait pas
fabriquer de bons yeux
à tout le monde. Elle ne fait
pas beaucoup mieux
pour le cerveau »
david germanaud
neuropédiatre
« Ce qui nous tracasse, c’est son retard par rapport aux camarades de son âge. Au quotidien elle
progresse, mais on sent un décalage », décrit le
père, la fillette sagement assise sur ses genoux.
Guidés par les questions du médecin, les parents retracent le parcours de Clara, les démarches entreprises. Quand elle était bébé, ils se
sont demandé si elle n’avait pas un problème
d’audition, car elle ne réagissait pas tellement
lorsqu’ils l’appelaient. Puis en première année
de maternelle, ils ont pensé qu’elle était particulièrement timide. Elle n’avait pas d’échange avec
la maîtresse, alors qu’elle était sociable à la maison. Progressivement, ils ont réalisé que son niveau de compréhension restait limité, son langage basique. Des professionnels de santé ont
été consultés ; une prise en charge organisée en
orthophonie, psychomotricité et orthoptie.
Clara et sa famille sont entrés de plain-pied
dans le monde du handicap, avec une reconnaissance de ce statut par la Maison départementale des personnes handicapées, qui ouvre
l’accès à certains soins comme l’accompagnement par une auxiliaire de vie scolaire. En fin
de grande section, Clara a rencontré à deux reprises la psychologue scolaire, et les enseignants ont dit aux parents que « le plus raisonnable » était une orientation en classe pour l’inclusion scolaire (CLIS). Mais beaucoup de
questions restaient sans réponse et les parents
ont hésité.
« Je me demandais si Clara ne devait pas plutôt
redoubler la grande section ou passer au CP avec
une aide. On était perdus. Finalement, elle a intégré une CLIS cette année, mais je ne sais pas si
c’est la bonne option », avoue la maman.
Dans une classe d’orthophonie du service de neurologie de l’hôpital du Kremlin-Bicêtre (Val-de-Marne). VALENTINE VERMEIL/PICTURETANK
David Germanaud prend son temps pour consulter les documents apportés par le couple, examiner l’enfant, faire de « petits jeux » avec elle. Il
reconstitue précisément l’arbre généalogique, à
la recherche de difficultés équivalentes chez les
trois frères et sœurs de Clara, les parents, les cousins… Ce n’est pas le cas. Le neuropédiatre questionne aussi soigneusement la maman sur sa
grossesse : a-t-elle souffert de maladies ou été
victime d’un accident ? A-t-elle pris des médicaments, même avant de se savoir enceinte, consommé de l’alcool, du tabac ou d’autres substances ? Là non plus, rien d’évident.
A l’issue de cette consultation spécialisée,
que les parents attendent depuis plus de six
mois, il lui faudra répondre à leurs nombreuses questions, et plus particulièrement à
deux, essentielles pour la prise en charge :
qu’est-ce qui fonctionne moins bien dans le
cerveau de leur enfant pour la mettre en difficulté, et pourquoi ?
« Une personne sur trois doit porter des lunettes
car la nature ne sait pas fabriquer de bons yeux à
tout le monde. Elle ne fait pas beaucoup mieux
pour le cerveau », dit le docteur Germanaud en
préambule. Puis il met des mots précis sur les
problèmes de cette petite fille : « La compréhension qu’elle a du monde n’est pas celle d’une enfant de 6 ans, mais plutôt de 4. Elle a une déficience intellectuelle modérée à légère. Chez Clara,
celle-ci est isolée, c’est-à-dire qu’elle n’est pas associée à d’autres anomalies de son développe-
ment. » Des termes que ces parents semblent entendre pour la première fois. Souvent, les professionnels ne sont pas à l’aise pour aborder avec
les familles la question de la déficience intellectuelle, autrefois appelée retard mental. Ici, le
couple paraît soulagé de cette démarche de
transparence, menée avec bienveillance.
« Ce n’est pas parce qu’elle est globalement gênée qu’elle n’a pas des points forts, parmi d’autres
plus faibles. Ses points forts, il faut les repérer et
être un peu plus exigeant. Pour le reste, il faut être
tolérant, accepter que certaines de ses réactions
vous semblent un peu étranges parce que décalées », poursuit David Germanaud. Il rassure
aussi les parents sur la pertinence de l’accompagnement et des choix faits jusque-là pour Clara.
Un constat rassurant, mais pas si courant
d’après l’expérience de ce médecin. Dans la
majorité des cas, à cet âge-là, les difficultés des
enfants n’ont pas été convenablement identifiées et les prises en charge adaptées restent à
mettre en place ou sont toujours « en attente »
sans raisons valables.
David Germanaud propose ensuite aux parents de revenir pour des examens complémentaires, à la recherche d’un « pourquoi ». « Dans le
cas de Clara, où il n’y a pas de cause évidente, on
trouve seulement une fois sur trois, dit-il. Ces examens peuvent néanmoins nous aider à mieux
comprendre l’enfant, et anticiper certains aspects
de sa prise en charge. Et puis, identifier une cause
permet de savoir s’il peut parfois y avoir d’autres
personnes concernées dans la famille. Cela arrive
avec certaines anomalies génétiques. »
Ce 1er mars, l’Inserm devait rendre publique
une expertise collective sur ce vaste sujet des déficiences intellectuelles (DI), lors d’un colloque à
Paris. Les DI sont définies par un déficit des fonctions intellectuelles (mesurées notamment par
le QI) et du comportement adaptatif associé.
Fruit de trois ans de travail, cet ouvrage de
1 000 pages s’appuie sur 2 500 références scientifiques. Une initiative bienvenue pour mettre un
coup de projecteur sur ces handicaps qui touchent au total de 1 % à 2 % de la population mais
restent méconnus, voire tabous dans le grand
public et même parfois chez les professionnels.
« Ce travail permet de repenser les déficiences
intellectuelles en termes scientifiques, et c’est important parce que la bientraitance passe par la
connaissance », souligne le professeur Vincent
des Portes, l’un des douze experts, en insistant
sur la grande hétérogénéité des DI et leurs causes multiples. Selon ce neuropédiatre (Centre
de référence national des déficiences intellectuelles de causes rares, Lyon), il y a un paradoxe
entre, d’un côté, la bonne volonté et la créativité des aidants familiaux et professionnels, et
les moyens engagés, et, de l’autre, le sentiment
de carences, de parcours du combattant. « Il
faut voir cette expertise collective comme une
boîte à outils pour les professionnels et les familles mais elle n’a pas pour autant vocation à
dicter à chacun sa feuille de route », conclut-il. p
La phagothérapie poursuit sa quête réglementaire
Des cocktails de virus pourraient bénéficier d’autorisations temporaires d’utilisation contre des infections antibiorésistantes
L
e 18 février se tenait à l’Assemblée nationale un colloque sur la phagothérapie. Cette thérapie ancienne utilise les bactériophages,
des virus naturels spécifiques des
bactéries, pour lutter contre certaines infections à bactéries multirésistantes. Le colloque avait
pour vocation de discuter du cadre réglementaire pour réintroduire ces médicaments biologiques, qui ont fait leurs preuves
par le passé et sont notamment
toujours librement utilisés dans
des pays comme la Géorgie.
En juillet 2015, le premier essai
clinique les utilisant a commencé
sous le nom de Phagoburn (supplément « Science & médecine »
du 8 janvier 2014). Cet essai européen évalue deux cocktails – associations de différents phages visant à cibler une bactérie en parti-
culier – contre deux espèces bactériennes, colibacille et pyocyanique,
sur des brûlures infectées. Pour
subvenir aux besoins de l’essai
clinique, les phages devaient être
produits selon les normes de l’industrie pharmaceutique, appelées « bonnes pratiques de fabrication » (BPF). « Aujourd’hui, ils
sont de qualité suffisante et acceptable, bien qu’ils ne puissent
pas encore être qualifiés BPF, précise Caroline Semaille, à la tête de
la direction des médicaments
anti-infectieux à l’Agence nationale de sécurité du médicament
(ANSM). Il existe toujours un
enjeu sur la production de phages
de qualité. » En particulier dans le
cas où les essais cliniques seraient concluants. Il faudrait
alors que les cocktails médicaments de phages répondent entièrement aux conditions BPF
pour accéder à une autorisation
de mise sur le marché.
Par ailleurs, l’ANSM vient de
créer un comité scientifique spécialisé temporaire dont la première réunion aura lieu le 24 mars.
« Cette rencontre a pour objectif de
discuter du cadre des premières
autorisations temporaires d’utilisations (ATU) nominatives auxquelles
nous allons pouvoir répondre », indique Caroline Semaille. En effet, la
disponibilité, dans le cadre des essais cliniques, de deux cocktails de
phages produits en qualité satisfaisante ouvre cette possibilité aux
patients en impasse thérapeutique. Une première ATU avait été
exceptionnellement accordée en
novembre 2015 pour un patient
pris en charge par l’un des médecins coordinateurs de l’essai
Phagoburn. Une deuxième demande vient d’être envoyée pour
une petite fille de 13 ans atteinte
d’une infection urinaire à colibacille, en impasse thérapeutique,
qui a déjà perdu un rein et est sur le
point de perdre le second.
Staphylocoques
L’ANSM lance également « un
appel d’offres pour financer des
équipes qui vont tester sur des modèles expérimentaux animaux de
nouveaux cocktails de phages »,
nous apprend Caroline Semaille.
« Si ces nouveaux cocktails peuvent
être produits de façon qualitative et
que les modèles animaux démontrent leur efficacité, nous pourrons
envisager des ATU pour d’autres
indications », précise-t-elle.
Le docteur Alain Dublanchet,
microbiologiste et ancien chef de
service au centre hospitalier de
Villeneuve-Saint-Georges (Val-deMarne), se bat pour réintroduire la
phagothérapie en France, l’ayant
employé avec succès. Il attend
avec impatience de pouvoir utiliser les phages légalement dans le
cas d’infections ostéo-articulaires
provoquées par les staphylocoques. Il connaît en effet le fort potentiel des bactériophages contre
ces bactéries particulièrement redoutables lorsqu’elles se logent
dans une plaie. Le microbiologiste
a d’ailleurs pris les devants avec le
projet de recherche « Phosa »,
commencé en janvier 2015, qui a
pour objectif la mise au point d’un
cocktail de phages efficaces contre ce type d’infections. « J’en ai assez de voir des patients amputés
faute de solutions thérapeutiques
face aux bactéries multirésistantes », se désespère-t-il.
Tandis que la phagothérapie
avance pas à pas en Europe, la
phagoprophylaxie (utilisation des
phages de façon préventive contre une maladie) est utilisée légalement depuis des années dans
l’agroalimentaire, par exemple
aux Etats-Unis. La préparation de
phages Listex, notamment, y est
commercialisée par l’industriel
hollandais Micreos. Ce produit
est pulvérisé sur les aliments destinés à la consommation humaine pour les protéger de la listériose, une maladie bactérienne
rare mais grave. L’Autorité européenne de sécurité des aliments
est actuellement en train d’évaluer la sécurité et l’efficacité du
Listex sur différents aliments
mais Enrico Brivio, porte-parole à
la Commission européenne, indique pour l’heure « qu’il est
beaucoup trop tôt pour envisager
son autorisation sur le marché
européen ». p
raphaëlle maruchitch
AC T UA L I T É
| SCIENCE & MÉDECINE |
Le lien avéré entre Zika et Guillain-Barré
| Une étude rétrospective en Polynésie française établit une relation de causalité
entre l’infection par le virus et une multiplication par vingt de ces atteintes neurologiques
épidémiologie
paul benkimoun
L’
infection par le virus
Zika peut entraîner des
syndromes de GuillainBarré (SGB), une affection plutôt rare (1 à
2 cas pour 100 000 personnes par an) caractérisée par une
faiblesse, voire une paralysie progressive des nerfs périphériques. Une
étude conduite sur les données de
42 patients ayant présenté un SGB au
cours de l’épidémie à virus Zika de
2013-2014 en Polynésie française démontre que ces atteintes neurologiques réversibles sont environ vingt
fois plus fréquentes chez les personnes infectées. Publié mardi 1er mars
dans The Lancet, ce travail – le premier à évaluer l’implication du virus
Zika sur un grand nombre de SGB –
associe plusieurs équipes, dont l’Institut Pasteur, l’Institut Louis-Malardé
et l’université de Glasgow.
Se présentant avec des tableaux
cliniques variables, le SGB prend
une forme sévère avec une détresse
respiratoire dans 20 % à 30 % des
cas, comme le rappelle un article paraissant dans le même numéro du
Lancet. Il est généralement précédé
d’une infection ou d’un autre type
de stimulation de l’immunité.
Celle-ci déclenche une réponse autoimmune aberrante, qui s’attaque
aux nerfs périphériques et à leurs
racines au niveau du rachis. « La bactérie Campylobacter jejuni, responsable d’infections intestinales, est
l’un des grands pourvoyeurs de SGB,
mais sous forme de cas sporadiques », indique le professeur Arnaud
La concomitance d’une
épidémie de dengue
a fait envisager sa
responsabilité dans le
nombre anormalement
élevé de Guillain-Barré
Fontanet (Institut Pasteur et Conservatoire national des arts et métiers),
l’un des principaux auteurs de
l’étude paraissant dans The Lancet.
Jusqu’ici, les épidémiologistes
avaient constaté que plus les infections à virus Zika étaient nombreuses, plus le SGB était fréquent. S’y
ajoutait la description publiée du cas
d’une personne atteinte de ce tableau
0123
Mercredi 2 mars 2016
|3
télescope
Chimie
Un procédé peu cher pour
fabriquer de l’eau oxygénée
Une équipe de l’université de Cardiff
(Pays de Galles) a mis au point une nouvelle méthode économique et rapide
pour synthétiser de l’eau oxygénée, un
désinfectant précieux notamment pour
rendre l’eau potable. La technique utilise
des catalyseurs à base d’étain à la place
de l’or, plus coûteux. Les chercheurs
notent une efficacité moindre (95 %)
que celle des procédés industriels, mais
adaptée à des productions locales.
> Freakley et al, « Science », 26 février
Evolution
Un système nerveux vieux
de plus de 500 millions d’années
Le plus complet et le plus ancien des systèmes nerveux a été découvert dans le
sud de la Chine par une équipe internationale. Vieux de plus de 500 millions
d’années, ce fossile de la période du
cambrien appartient à Chengjiangocaris
kunmingensis, un ancêtre des arthropodes actuels. Il est rare de trouver des tissus mous dans les fossiles mais les chercheurs ont pourtant repéré un cordon
nerveux central ressemblant à un collier
de perles, ainsi que des douzaines de minuscules ramifications. L’intérêt est
d’observer le maintien ou la disparition
d’une telle architecture dans les descendants actuels de cette espèce pour comprendre l’évolution du système nerveux.
> Yang et al., PNAS, 1er mars
Une femme infectée par Zika et atteinte d’un syndrome de Guillain-Barré, en Colombie. RICARDO MAZALAN/AP
neurologique et présentant une sérologie attestant de l’infection par le
virus Zika, résume le professeur Fontanet. Mais le virus était-il bien à l’origine de l’accroissement du nombre
de SGB observé lors de l’épidémie qui
a frappé la Polynésie française
en 2013-2014 ? Les chercheurs ont tiré
parti de données exhaustives et de
qualité pour mener, à distance des
faits, ce travail d’analyse de ce qui
constitue probablement la plus
grosse flambée de cas de SGB étudiée.
L’exploitation des données de surveillance par le réseau des médecins
généralistes, celles des patients hospitalisés sur place, et la fiabilité du
laboratoire de virologie de l’Institut
Louis-Malardé à Papeete ont ainsi
concouru à une réponse positive à
l’interrogation de départ.
Les deux tiers de la population de
Polynésie française, soit environ
180 000 personnes, ont été infectés
par le virus Zika en 2013-2014. Près
de 32 000 patients ont consulté un
médecin pour une suspicion d’infection par le virus Zika et 42 diagnostics de SGB ont été portés au
centre hospitalier de Papeete, soit
« à peu près vingt fois plus que l’incidence habituelle », précise le Pr Fontanet. En effet, dans cette étude, le
risque de développer un SGB s’élevait à 2,4 pour 10 000 cas d’infection
par le virus.
Le taux d’admission en réanimation était de 38 %, un chiffre un peu
plus élevé que les 30 % généralement
observés en métropole. L’apparition
d’un SGB était, en règle générale, plus
rapide : moins de quatre jours pour la
moitié des malades contre une à
deux semaines dans l’Hexagone.
Autre différence, un rétablissement
plus prompt. Trois mois après la
phase critique, 57 % des patients pouvaient marcher, précise le professeur
Fontanet. Ce qui est une proportion
inhabituellement élevée. La totalité
des patients ayant eu un SGB étaient
porteurs d’anticorps neutralisants
contre le virus Zika (contre 54 % chez
les patients ayant consulté pour un
autre motif qu’une fièvre). Ces anticorps ont été détectés par une méthode très sensible et très spécifique
du virus. De plus, ils présentaient des
anticorps de type IgM témoignant
d’une infection récente par le virus.
La concomitance d’une épidémie
de dengue a amené les chercheurs à
envisager une éventuelle responsabilité de cette autre infection virale
dans le nombre anormalement élevé
de SGB. Ils ont donc eu recours à deux
groupes contrôles. Les individus des
trois groupes présentaient fréquemment des signes biologiques d’infection ancienne par le virus de la dengue, dans des proportions proches :
95,2 % dans le groupe des malades
infectés par le virus Zika et atteints
d’un SGB, 88,8 % chez ceux n’ayant
pas eu de fièvre, et 82,9 % chez ceux
atteints par le virus Zika dénués de signes neurologiques. Les auteurs ont
donc écarté une infection récente par
le virus de la dengue chez des personnes présentant une immunité préexistante et ont conclu à la responsabilité de Zika dans l’augmentation
spectaculaire du nombre de SGB en
Polynésie française.
Au-delà de cette démonstration
d’un lien de causalité entre le virus
Zika et le SGB, le Pr Fontanet souligne
« l’importance de disposer de capacités hospitalières et en particulier de lits
disponibles en unité de soins intensifs.
La moitié des 38 % des personnes atteintes d’un SGB admises en réanimation y est restée plus de 35 jours ». Les
infrastructures polynésiennes, de
même que celles de Martinique et de
Guyane, les départements français
d’Amérique les plus touchés actuellement, permettent d’y faire face, mais
cela n’est pas nécessairement le cas
dans les autres territoires concernés.
Par ailleurs, plusieurs études sont
en cours pour tenter de mettre en
évidence un lien de causalité entre
l’infection par le virus Zika chez la
femme enceinte et la survenue d’une
microcéphalie chez le fœtus. Un tel
lien est soupçonné mais pas encore
démontré scientifiquement. p
Archéologie
Des tombes musulmanes du Haut
Moyen Age découvertes à Nîmes
Pour la première fois en France, une présence musulmane entre les VIIe et les
IXe siècles a été authentifiée. Trois sépultures respectant les rites musulmans ont
été découvertes à Nîmes par l’Institut
national de recherche en archéologie
préventive, lors de fouilles entamées
en 2006. Des analyses génétiques indiquent une origine nord-africaine. Les
corps pourraient être ceux de soldats
berbères de l’armée omeyyade, qui a
conquis à cette même période l’Afrique
du Nord et le sud de l’Europe.
(PHOTO : MARIE-FRANCE BERNARD/INRAINRAP)
> Gleize et al., « Plos One », 24 février
Une maladie rare éclaire sur la dépression
Des inflammations liées à la mastocytose causeraient des troubles dépressifs
L
e lien entre inflammation et dépression semble un peu plus se confirmer. L’idée est née d’un
constat : environ 50 % des patients atteints d’une maladie
rare, la mastocytose, souffrent
de symptômes dépressifs,
comme l’a constaté le professeur Olivier Hermine (hôpital
Necker, centre de références des
mastocytoses, Institut Imagine),
qui a codirigé ces travaux avec le
professeur Raphaël Gaillard
(centre hospitalier Sainte-Anne,
Institut Pasteur). La mastocytose
se caractérise par la prolifération
anormale de mastocytes, des
cellules granuleuses impliquées
dans les réactions allergiques ou
inflammatoires. Cette pathologie se présente sous forme cutanée, en général bénigne, ou systémique – elle est dans ce cas
plus grave, avec des atteintes osseuses, digestives, etc.
Menée par Sophie Georgin-Lavialle dans les hôpitaux parisiens Necker et Sainte-Anne et
par les équipes de l’université Paris-Descartes, une étude publiée
fin janvier dans la revue Molecular Psychiatry a porté sur 54 adultes atteints de la forme modérée
de mastocytose, dont les deux
tiers montraient des symptômes dépressifs, comparés à
54 adultes sains de même profil.
En mesurant les éventuels troubles dépressifs et en analysant
leur sang, il a d’abord été montré
que les patients présentaient des
concentrations plus faibles de
tryptophane et des taux plus élevés de dérivés neurotoxiques du
tryptophane, tel l’acide quinolinique. Or, l’organisme métabolise le tryptophane en sérotonine, un neurotransmetteur
dont les antidépresseurs actuels
visent à augmenter la quantité
dans le cerveau.
Ces résultats confirment de
précédents travaux montrant
une perturbation du métabolisme du tryptophane dans les
dépressions pouvant être induites par une inflammation. L’étude montre aussi que le groupe de
patients atteints de mastocytose
ont des taux plus faibles de sérotonine dans le sang.
Des pistes intéressantes
Le lien entre dépression et inflammation a déjà été observé.
« Des études ont déjà montré les
effets spectaculaires de la kétamine – agent anesthésiant qui est
aussi un puissant inhibiteur de
l’acide quinolinique – sur les personnes réfractaires au traitement
conventionnel », rappelle le professeur Raphaël Gaillard. On
compte environ une publication
par semaine sur ce sujet. « Il faut
également regarder si les personnes dépressives réfractaires aux
traitements actuels ont une activation des mastocytes, en dehors
des mastocytoses », avance le
professeur Hermine.
Cette étude ouvre une autre
voie : tester des molécules qui
pourraient empêcher les mastocytes de relarguer leurs molécules inflammatoires. Des pistes intéressantes quand on sait
qu’environ 30 % des patients
souffrant de dépression (qui
touche 350 millions de personnes dans le monde) ne répondent pas correctement aux traitements antidépresseurs classiques. Pour le professeur
Gaillard, « dans le domaine de la
dépression, il faut penser autrement les voies de l’inflammation et de l’immunologie, dans
la mesure où les antidépresseurs, des inhibiteurs de récepteurs de sérotonine, n’ont que
peu évolué en trente ans ». p
pascale santi
Dans l’
êt de
la science
mathieu vidard
arré
la tête au c
14 :00 -15 :00
avec, tous les mardis,
la chronique de Pierre Barthélémy
4|
0123
Mercredi 2 mars 2016
| SCIENCE & MÉDECINE |
ÉVÉNEMENT
Stefano Mancuso, promoteur de la « neurobiologie » végétale, au département d’horticulture de l’université de Florence. MASSIMO SESTINI
P
sabah rahmani
lus de doute, les plantes
savent communiquer !
Loin des clichés sur les
plantes vertes et passives, la biologie végétale
ne cesse d’observer depuis une quinzaine d’années des facultés surprenantes que l’on croyait réservées au
monde animal. Elles communiquent entre elles et avec des insectes, « appellent »
la pluie, élaborent des stratégies pour
combattre des agresseurs, alertent leurs
voisines en cas de danger, gardent des
événements en mémoire, et, à la grande
surprise des chercheurs, sont parcourues
de signaux électriques mystérieux.
« Certains aspects sont connus depuis
longtemps : les fleurs sentent bon pour attirer les pollinisateurs, les fruits sont colorés
et parfumés pour attirer les animaux qui
dispersent les graines, rappelle Francis
Hallé, botaniste, ancien enseignant à
l’université de Montpellier et auteur de
Plaidoyer pour l’arbre (Actes sud, 2005).
Mais ce qui est intéressant et nouveau, c’est
la communication entre les plantes ellesmêmes. » Le premier exemple, et sans
doute le plus spectaculaire, fut découvert
dans les années 1990, lorsque le biologiste
sud-africain Wouter Van Hoven montra
que des acacias avaient tué près de
3 000 koudous dans les ranchs ! Les arbres
s’étaient mis à produire plus de tanins
(molécules au goût amer) pour rendre
toxique la digestion des feuilles par ces
herbivores trop nombreux qui menaçaient la survie des végétaux. Les branches blessées émettaient alors un gaz volatil, l’éthylène, pour prévenir les autres
acacias du danger afin qu’ils enclenchent
à leur tour leur système de défense avant
même l’arrivée des koudous.
Plus tard, en 2015, des chercheurs ont
publié une étude étonnante sur le cas de
cyprès qui résistent au feu. Le botaniste
espagnol Bernabé Moya avait constaté
en 2012 qu’à la suite d’un incendie dans la
région de Valence, seuls 12 cyprès méditerranéens sur 946 avaient brûlé, alors
que les autres végétaux s’étaient bien
moins défendus. Comment l’expliquer ?
Côté plante, on a observé que le cyprès
(Cupressus sempervirens) est très résistant
à l’inflammation en raison de la constitution de ses feuilles : ses « écailles » sont
capables de retenir l’eau, avec 84 % à 96 %
d’humidité, même par temps sec et
chaud. Le cyprès met sept fois plus de
Les plantes
Ces grandes
communicantes
biologie
Les végétaux échangent des informations, s’adaptent aux situations
de crise, dorment, mémorisent, attirent la pluie… Une source
d’émerveillement autant que d’interrogations pour les chercheurs
temps à brûler qu’un pin. Côté sol, les
feuilles sèches forment une litière épaisse
qui retient l’eau. Enfin, côté ciel, quand le
feu approche et que la température du
cyprès atteint 60 °C, celui-ci dégage dans
l’atmosphère des composés volatils et
semble prévenir ses congénères, qui libèrent aussi des molécules avant même
que leur température n’augmente : « Les
feuilles sont composées, outre la cellulose
et de la lignine, leurs éléments de structure,
d’un mélange organique de résines – composés de terpènes, etc. – qui, lorsqu’il est
libéré dans l’atmosphère, se transforme en
composés organiques volatils », explique
Bernabé Moya. En se libérant d’une partie
de sa résine inflammable, le cyprès réduit
fortement ses risques de brûler.
« Les plantes, organismes sessiles, enracinés, ne sont pas capables de battre en retraite ou de s’enfuir, mais elles peuvent
modifier leur métabolisme pour s’adapter
aux variations de l’environnement », souligne Daniel Chamovitz, biologiste à
l’université de Tel-Aviv. Et parfois ce sont
elles qui modifient leur environnement !
Les recherches récentes ont montré que
la formation des nuages n’était pas seulement le fruit de l’humidité dans l’atmosphère dégagée par les végétaux. En 2014,
l’agronome brésilien Antonio Donato
Nobre a confirmé, dans un rapport scientifique intitulé « L’avenir climatique de
l’Amazonie », que « les arbres amazoniens
Dans les années 1990, le
biologiste sud-africain Wouter
Van Hoven a montré que
des acacias avaient tué près
de 3 000 koudous dans les ranchs
émettent des substances volatiles qui
agissent comme précurseurs, des sortes
de “graines” qui aident à la condensation
de la vapeur d’eau ». Pour le chercheur,
« l’efficacité de ces particules dans la nucléation des nuages provoque des pluies
abondantes et bénéfiques ». Pour Francis
Hallé, « c’est très intéressant et complexe
sur le plan chimique car chaque espèce
d’arbre a son propre parfum, son propre
message, pour attirer la pluie ».
La communication biochimique complexe des plantes est encore loin d’avoir
dévoilé tous ses secrets. Mais plus encore,
c’est l’électrophysiologie des végétaux qui
suscite régulièrement la surprise des
chercheurs. Si on savait que les plantes
ont une activité électrique, on a longtemps sous-estimé son importance. Les
plantes blessées, par exemple, émettent
des signaux électriques qui les traversent.
Pourquoi et comment ? Au département
de biologie moléculaire de la plante à
l’université de Lausanne, l’équipe dirigée
par le professeur Edward Farmer s’est demandé « si ces signaux électriques générés
quand on blesse la plante peuvent déclencher des mécanismes de défense ». Car les
protéines de défense sont non seulement
produites dans les parties attaquées, mais
aussi dans les parties saines de la plante.
Grâce au modèle de l’arabette des dames
(Arabidopsis thaliana), l’équipe a réussi à
identifier les gènes qui déclenchent le signal électrique et à confirmer le lien avec
l’activation de protéines de défense loin
de la blessure. Les résultats publiés
en 2013 dans Nature identifiaient trois gènes GLR (glutamate receptor-like), semblables à ceux des animaux, impliqués dans
ce processus électrophysiologique. « Ce
qui est surprenant, c’est que ces gènes sont
très similaires aux gènes activés dans les
synapses rapides du cerveau humain, alors
qu’une plante n’a aucun neurone. C’est très
intrigant et stimulant », s’enthousiasme
Edward Farmer. Il explique que toute cellule biologique a un potentiel électrochimique de membrane qui agit comme une
petite pile polarisée, mais la transmission
électrique d’une cellule végétale à l’autre
sur une longue distance reste une
énigme. Avec une moyenne de 8 à 10 cm
par minute – « un peu la vitesse d’une chenille qui marche sur une feuille » – le signal
électrique a une vitesse hétérogène et
« cet entre-deux est un vrai casse-tête pour
la recherche », ajoute-t-il.
Les hypothèses se focalisent sur le système vasculaire de la plante, composé du
phloème (tissu conducteur de la sève élaborée depuis la feuille vers le reste de la
plante) et du xylème (tissu conducteur de
la sève brute – eau et sels minéraux – depuis les racines jusqu’au reste de la plante).
Selon Farmer, « de nombreux chercheurs
pensent que c’est l’un ou l’autre qui agit
ÉVÉNEMENT
| SCIENCE & MÉDECINE |
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Mercredi 2 mars 2016
|5
Sensibilité ou
intelligence ?
J
Une arabette des dames, dans le laboratoire d’Edward
Farmer, à l’université de Lausanne. UNIVERSITÉ DE LAUSANNE
dans la transmission électrique, mon laboratoire pense que ces deux types de cellules
travaillent ensemble pour l’envoi du signal.
Mais on ne sait toujours pas qui fait quoi ».
Les nombreuses et déroutantes similitudes entre l’activité électrique des plantes
et le système nerveux des animaux suscitent encore des débats, parfois houleux,
dans la communauté des biologistes.
Bien avant les travaux d’Edward Farmer,
Stefano Mancuso, de l’université de Florence, et Frantisek Baluska, de l’université de Bonn, soulignaient dans leurs travaux l’importance de l’activité « synaptique » des plantes. A tel point qu’en 2005,
Mancuso utilise pour la première fois
l’expression « neurobiologie » végétale en
fondant avec Baluska le Laboratoire international de neurobiologie végétale, à
Sesto Fiorentino, près de Florence. Mais
pour Farmer, pas question d’utiliser ce
terme car la plante n’a pas de neurones.
A contrario, Baluska souligne que « ce
qui est important, c’est que la plupart des
molécules responsables de la communication et des activités neuronales dans le
cerveau humain sont aussi présentes chez
les plantes, avec des fonctionnements très
similaires. Le processus est très proche et
implique d’une certaine manière que les
plantes ont aussi des processus d’information, de mémoire, de décisions, de résolution de problèmes ». Mais comment expliquer ce mécanisme alors que la plante
n’a pas de cerveau ? « Les plantes sont capables de produire et d’émettre des signaux électriques sur toutes les cellules de
leur corps. De ce point de vue, il y a une
sorte de cerveau diffus, alors que chez les
animaux tout est concentré dans un seul
organe », détaille Stefano Mancuso.
Directeur de recherche à l’INRA, Bruno
Moulia, quant à lui, relativise : « Le piège
des végétaux est qu’ils assurent de nombreuses fonctions – comme le mouvement,
le vasculaire, le musculaire – avec les
mêmes tissus. La question de l’activité
synaptique des plantes est troublante, mais
on ne peut pas encore trancher. »
Feuille sensitive de « Mimosa pudica »
après stimulation. MURIEL HAZAN/BIOSPHOTO
A l’instar de Darwin, qui comparait l’action des racines à celle du cerveau animal, les partisans de la neurobiologie
ont souvent concentré leurs recherches
sur les racines. Dans l’un de leurs articles, publié en 2013, Mancuso et Baluska
insistent sur le fait que les apex racinaires – les extrémités – ont « une très
grande sensibilité aux stimuli environnementaux ». « La pointe de racine [la coiffe]
agit comme l’organe sensoriel le plus
important de la plante ; elle détecte des
paramètres physiques divers telles que la
gravité, la lumière, l’humidité, l’oxygène
et les nutriments inorganiques essentiels », expliquent-ils. Les racines poussent ainsi plus vite que la partie aérienne
de la plante. Ils ajoutent que les cellules
de la « zone de transition » sont « très actives dans le réarrangement du cytosquelette, le transport de molécules
Au Japon, des chercheurs ont
observé, quelques jours avant
un séisme, une activité électrique
anormale des arbres, qui
s’intensifie à l’approche du jour J
[endocytose] et le recyclage des vésicules
d’endocytose, ainsi que dans les activités
électriques ». Ils supposent, en conclusion, que « la zone de transition » de la racine agit comme « une sorte de centre de
commandement » de la plante.
Au Japon, des chercheurs ont ainsi
observé depuis longtemps, trois ou quatre jours avant un séisme, une activité
électrique anormale des arbres qui s’intensifient à l’approche du jour J. D’après
les dernières mesures de Yoshiharu
Saito, directeur de l’Institut technique de
l’environnement et des prévisions des
séismes, ces phénomènes seraient dus à
la réception d’un signal électromagnétique par les racines de l’arbre. Mais
l’étude de ce mécanisme ne permet pas
encore de localiser l’épicentre et l’ampleur d’un séisme.
La mémoire des plantes, elle, n’est plus
un tabou. De nombreuses études ont
montré que les plantes sont capables de
se souvenir d’un stress (climat, torsion,
etc.) et de s’adapter à leur environnement. Cette mémoire varie de quelques
jours à une quarantaine de jours pour le
Mimosa pudica, par exemple, qui selon
l’équipe de Mancuso montre aussi des
capacités d’apprentissage. Pour autant,
Francis Hallé prévient qu’il ne s’agit pas
d’une « mémoire ou d’un apprentissage
comparable aux nôtres. Une plante que
vous n’arrosez que rarement, par exemple, aura l’habitude de vivre au sec, elle
s’en “souvient”. Par contre, si vous l’arrosez beaucoup, eh bien, le jour où vous ne
l’arrosez plus, elle meurt. Car la plante dépend aussi de ce qu’il lui est arrivé dans les
époques antérieures ».
Cette mémoire est généralement activée avec l’expression d’un gène jusqu’alors inactif. « Les gènes peuvent être
modifiés chimiquement par des facteurs
environnementaux tels que le stress, et
ces modifications épigénétiques peuvent
dans certains cas être transmises à la
génération suivante. Cette sensibilité du
génome est surprenante et nous commençons à peine à explorer la portée du
contrôle épigénétique du développement
de la plante », explique Lincoln Taiz, professeur émérite à l’université de Californie. Si l’être humain a près de 25 000 gènes, les végétaux en ont souvent beaucoup plus, comme le riz, qui en compte
plus de 40 000. Alors que l’animal a la
possibilité de se déplacer, la plante a
finalement trouvé ses réponses dans la
richesse et la variabilité génétique. « Un
gage de longévité », assure Francis Hallé,
pour qui le plus important reste sans
doute encore à découvrir. p
Des capacités sensorielles étonnantes
D
ites-vous bien une chose :
les plantes vous voient. Elles
savent même si vous portez
une chemise bleue ou rouge, si vous
avez repeint votre maison ou
déplacé leur pot d’un bout à l’autre
du salon », écrit Daniel Chamovitz,
biologiste à l’université de Tel-Aviv,
dans son ouvrage très sérieux La
Plante et ses sens (Buchet-Chastel,
2014). Elles n’ont pas d’yeux
et pourtant elles voient, elles n’ont
pas de nez et pourtant elles
sentent, elles n’ont pas d’oreilles et
pourtant elles réagissent au son…
Les plantes ont une vingtaine de
capacités sensorielles. Grâce à plus
de 700 capteurs répertoriés dans
le monde végétal, elles analysent
en permanence leur environnement pour mesurer la température, l’humidité, la lumière, etc.
Mimosa pudica, souvent cité en
exemple, est l’une des rares
espèces végétales à réagir dès qu’on
la touche en refermant ses feuilles.
Contrairement à celui des plantes
carnivores, son mouvement est une
réaction défensive. Plus insolite, la
« plante qui danse » (Desmodium gyrans) est sensible à la musique ! Cette
légumineuse d’Asie agite ses folioles
dès que de la musique ou des ondes
sonores comme la voix lui parviennent. « Plus on répète la musique,
mieux elle bouge. Elle devient une ballerine, s’amuse le biologiste Francis
Hallé. Mais nous ne savons pas comment ça marche ni à quoi ça sert. »
Le sommeil des végétaux
Le sujet est délicat : la communauté des biologistes est mal à l’aise
lorsqu’on parle de musique et
de plantes. Depuis les années 1960,
diverses expériences menées par
des amateurs ou des chercheurs peu
estimés par leurs pairs soumettent
les plantes à divers styles de musique pour étudier leur réaction. Les
résultats font bondir le milieu
académique : le classique et le jazz
favoriseraient la croissance des
plantes alors que le metal les tuerait ! Plus sérieusement, il est certain que les perceptions sensorielles
des végétaux sont très sophistiquées et souvent beaucoup plus
complexes que chez les humains.
L’arabette des dames a, par exemple, au moins onze photorécepteurs
différents, situés sur différentes
parties de la plante, alors que les
humains en ont quatre, situés dans
les yeux. En étudiant le phototropisme, Darwin avait déjà découvert
qu’une plante dont on a coupé
ou occulté le bourgeon n’est plus
sensible à la lumière. Mais les
recherches ultérieures ont montré
que les feuilles jouent aussi un rôle.
Si on fait pousser une plante à
l’horizontale, elle se redresse, car la
plante a aussi le sens de l’orientation
etcelui de la gravité. Or des expé-
riences ont montré que cela ne
suffit pas, car « les plantes combinent leurs perceptions », explique
Bruno Moulia, qui travaille sur la
biomécanique des plantes à l’INRA.
« Ce qui est nouveau, c’est qu’elles
perçoivent aussi leur état propre,
par exemple leur forme, en rapport
avec l’environnement. C’est ce qu’on
appelle la proprioception. »
Certains laboratoires, comme à
l’université de Sendai, au Japon, travaillent sur le sommeil des végétaux. Il ne s’agit pas ici de cycle saisonnier annuel, mais du sommeil
nocturne pour tenter de comprendre l’horloge interne de la plante.
Le monde végétal regorge encore
de nombreuses énigmes, comme
celle que posent certains arbres
dits « timides », qui laissent toujours quelques centimètres entre
leurs cimes sans jamais se toucher
lorsqu’ils sont regroupés entre individus de la même espèce. p s. ra.
e pousse donc je suis ? Depuis une dizaine d’années, un vif débat sur l’intelligence des plantes anime la communauté des biologistes spécialistes
du monde végétal. Hérésie, crient les
uns, vérité, affirment les autres. A la tête
des seconds, Stefano Mancuso, fondateur du Laboratoire international de
neurobiologie végétale, persiste et signe
dans son dernier ouvrage, Brilliant Green
(Michael Pollan, 2015, non traduit) :
« Les études les plus récentes du monde
végétal ont démontré que les plantes sont
sensibles (et donc sont douées de sens),
qu’elles communiquent (entre elles et avec
les animaux), dorment, se souviennent
et peuvent même manipuler d’autres
espèces. Elles peuvent être décrites
comme intelligentes. »
Chez les chercheurs interrogés sur
le sujet, le malaise est systématique.
Déjà en 2008, trente-six biologistes
européens et nord-américains avaient
signé un manifeste publié dans Trends
in Plant Science, menés par l’Italien
Amedeo Alpi (université de Pise),
pour dénoncer l’emploi du mot « neurobiologie », qui sous-entendrait une
intelligence des plantes. Il faut dire
qu’un traumatisme a longtemps ébranlé
les biologistes végétaux. En 1973,
la sortie du livre The Secret Life of Plants,
de Peter Tomkins et Christopher Bird
(La Vie secrète des plantes, Robert Laffont, 1975), soutenait la thèse selon laquelle les plantes nous sont semblables.
Ce best-seller a suscité pour longtemps
un regard suspicieux sur la discipline.
Anthropocentrisme
Pour le botaniste Francis Hallé,
« le terme intelligence n’est pas adapté
aux plantes, mais aux animaux et aux
êtres humains », même s’il reconnaît
que « la plante qui n’a pas de cerveau est
capable de manipuler un animal qui
en a un ». Daniel Chamovitz (université
de Tel-Aviv) préfère décrire la plante
comme « consciente de son environnement ». Edward Farmer (université
de Lausanne) ne souhaite surtout pas
être « associé à ces chercheurs qui disent
que les plantes sont intelligentes ». Même
s’il confie avec humour que les capacités
des plantes sont si « fabuleuses et tellement différentes de nous que parfois [il]
les regarde comme des extraterrestres !
Mais il ne [lui] vient pas à l’esprit de les
comparer aux êtres humains, car ce serait
anthropocentrique ». Idem pour Lincoln
Taiz (université de Californie), qui
met ses confrères en garde contre
« les métaphores anthropomorphiques ».
Pour Stefano Mancuso, « essayer de
vous sentir différent du reste de la nature
est une attitude stupide. Il est évident
que l’homme fait partie de la nature, il n’a
rien de plus important que les autres
organismes au niveau biologique. C’est
vraiment un point de vue incroyablement
anthropocentrique de porter ce regard
sur la nature ». Chaque partie accuse
donc l’autre d’anthropocentrisme !
Pour sortir de l’impasse, nous avons interrogé Philippe Descola, anthropologue
et professeur au Collège de France : « Il
n’existe pas de définition anthropologique
de l’intelligence, et pas d’universalité de
l’idée de l’intelligence non plus. » Mais
il rappelle que, dans la tradition occidentale, le naturalisme domine le champ
de pensée, avec l’idée que « l’humain se
distingue du reste du monde par le fait
qu’il aurait des dispositions cognitives
et morales particulières que l’on dénie
aux non-humains. Il subsiste dans notre
schème mental la hiérarchie des êtres
d’Aristote, qui place les plantes au-dessous
des animaux et des humains ».
Signataire du manifeste d’Alpi en 2008,
Lincoln Taiz reconnaît aujourd’hui que
« la définition de l’“intelligence” a maintenant été élargie pour inclure l’“intelligence
en essaim” dans les organismes sociaux et
l’“intelligence artificielle” dans les machines. Donc, il est juste d’utiliser l’expression
“intelligence des plantes”, tant que l’on
prend soin de la distinguer de l’intelligence animale, qui exige un système
nerveux ». « Les frontières tombent, c’est
très intéressant car on ne sait pas trop où
l’on va », dit Philippe Descola, qui voit ce
débat comme une marque probable de la
fin du cycle naturaliste dans les sociétés
occidentales. p
s. ra.
6|
0123
Mercredi 2 mars 2016
| SCIENCE & MÉDECINE |
Eve ne serait pas née de la côte d’Adam
Psychologie :
des mythes
en miettes
le livre
Enfants-loups, singe parlant…
Méfiez-vous des trop belles
histoires des psychologues !
F
aire le ménage. » Débarrasser la psychologie des mythes qui encombrent
son histoire et brouillent son image.
Telle est l’entreprise poursuivie par
Kotaro Suzuki (université de Niigata, Japon) et
Jacques Vauclair (université d’Aix-Marseille).
Les deux psychologues expérimentaux unissent leurs forces pour récrire quelques-unes
des pages les plus célèbres de leur discipline,
qui sont aussi les plus trompeuses. Des
épisodes qui façonneraient de façon subliminale la façon dont elle est perçue par le grand
public. Pour eux, il importe d’effacer ces
souvenirs-écrans avant d’inviter les curieux
« à venir y voir de plus près et découvrir les véritables avancées de la psychologie scientifique ».
Cette discipline a déjà une grande et longue
postérité, rappellent-ils, contrairement à
ce que laisse croire la formule ressassée de
l’Allemand Hermann Ebbinghaus – « la psychologie a un long passé, mais une courte
histoire ». Elle a donc eu tout le temps d’accumuler des résultats erronés, de connaître
des changements de paradigmes, d’épouser
des modes et de refléter l’époque. Les différents cas d’école présentés sont replacés dans
ces contextes historiques, sans oublier les
motivations individuelles des psychologues.
Les auteurs s’attaquent en premier lieu
aux enfants-loups, un mythe si puissant
qu’il a pu tenir en haleine la paléontologue
Christine Tardieu, qui espérait trouver chez
les « enfants sauvages » des éléments de compréhension de l’acquisition par l’homme de la
bipédie, ainsi qu’elle le relate dans Comment
nous sommes devenus bipèdes (Odile Jacob,
2012). Avant de déchanter. L’histoire tragique
des petites Kamala et Amala, épigones
involontaires de Mowgli, rappellent Suzuki
et Vauclair, était trop belle pour être vraie.
Tout comme les expériences de James
Vicary sur les publicités subliminales, celles
de Cyril Burt sur l’héritabilité de l’intelligence
ou les différentes tentatives de faire parler
les singes. Il est pourtant dommage que leur
démonstration donne parfois l’impression
de jeter le bébé avec l’eau du bain. Ainsi
des études sur la perception inconsciente,
qui ont grandement aidé à comprendre
la façon dont le cerveau déchiffre le monde.
On comprend le souci de Suzuki et Vauclair
d’en finir avec le complexe d’infériorité de la
psychologie expérimentale, science réputée
« molle ». Le grand ménage qu’ils proposent,
pour utile qu’il soit, ne fait cependant qu’une
partie du chemin. Il ne traite que d’histoires
anciennes, alors que la discipline – comme,
du reste, certaines sciences « dures » – souffre
d’une terrible « crise de la reproductibilité » :
39 % seulement des effets rapportés dans les
expériences de psychologie sociale ou cognitive publiées en 2008 dans trois revues réputées ont pu être reproduits, révélait une étude
publiée fin août 2015 dans la revue Science.
Autant de mythes en puissance pour lesquels
la chasse reste ouverte ! p hervé morin
De quelques mythes en psychologie,
de Kotaro Suzuki et Jacques Vauclair,
Seuil, 240 p., 20 €.
Livraison
Vulgarisation
« Mais qui a attrapé le bison
de Higgs ? »
David Louapre, blogueur à succès, par ailleurs
docteur en physique et travaillant dans
la recherche privée, montre tout son talent
de vulgarisateur, au-delà de sa discipline.
Il s’intéresse aussi à la biologie, aux maths,
à la psychologie… Chaque chapitre de son
livre est introduit par une question naïve
de ses jeunes enfants et illustré de schémas
parlants. Depuis un an, il a également
lancé sa chaîne de vidéos pédagogiques,
www.youtube.com/user/ScienceEtonnante.
> De David Louapre,
Flammarion, 178 p, 17 €.
RENDEZ-VOUS
improbablologie
Pierre
Barthélémy
Journaliste et blogueur
Passeurdesciences.blog.lemonde.fr
D
ans la Genèse, il est dit que
« l’Eternel Dieu fit tomber
un profond sommeil sur
l’homme, qui s’endormit ;
il prit une de ses côtes, et referma
la chair à sa place. L’Eternel Dieu
forma une femme de la côte qu’il
avait prise de l’homme, et il l’amena
vers l’homme ». Mais le mythe
biblique de l’apparition d’Eve n’a
pas eu l’heur de plaire à Scott Gilbert.
Ce biologiste de Pennsylvanie a en
effet trouvé étrange de choisir
un os dépourvu de toute symbolique
pour un acte aussi important
que la création de la femme sous
anesthésie générale. D’où l’hypothèse qu’il a formulée en 2001 dans
une savoureuse correspondance
publiée par l’American Journal
of Medical Genetics et désormais
passée à la postérité de la science improbable : et si, à la suite d’une erreur
de traduction, on avait fait prendre
à Dieu le mauvais os d’Adam ?
Scott Gilbert s’est donc adjoint les
services de Ziony Zevit. Ce spécialiste
de littérature biblique et des langages
sémitiques à l’American Jewish
University de Los Angeles lui a expliqué que le mot hébreu utilisé dans
la description de l’opération divine
signifiait effectivement « la côte »
ou « le flanc », mais qu’il pouvait aussi
prendre le sens de « planche », de
« poutre », d’« étai » ou de « colonne » ;
bref, décrire un élément de structure,
de soutien. C’est exactement ce
qu’espérait Scott Gilbert, car il avait
sa petite idée sur l’os que Dieu pouvait avoir soustrait à l’homme et qui
lui manque toujours aujourd’hui.
Cela s’appelle le baculum, mot latin
qui signifie « bâton » ou « sceptre ».
De nombreux mammifères mâles
en sont pourvus et notamment nos
plus proches cousins, les chimpanzés
et les gorilles. Il s’agit d’un os inclus
dans le pénis qui, lors de la copulation, se révèle pratique pour obtenir
une érection rapide sans attendre
que se mette en branle tout le système hydraulique sur lequel la reproduction humaine repose.
Un os prélevé du sexe masculin ?
Hormis quelques rares cas pathologiques d’ossification pénienne,
l’homme a quant à lui égaré cet
ustensile quelque part au cours de
son évolution, et cette absence n’a
pu passer inaperçue des peuples
de l’Antiquité qui vivaient à proximité
des animaux. Pour Scott Gilbert et
Ziony Zevit, la création d’Eve pourrait
donc être un mythe explicatif de cette
mystérieuse disparition osseuse. En
effet, disent-ils, l’hébreu utilisé dans
la Bible ne dispose d’« aucun terme
technique pour désigner le pénis et s’y
réfère par le biais de nombreuses
circonlocutions ». Du coup, on peut
imaginer que la « colonne » ou
la « poutre » – apparente ou non –
d’Adam est autre chose qu’une simple
côte. Et il serait fort symbolique
de penser qu’Eve a été engendrée
d’un os prélevé sur le sexe masculin.
Scott Gilbert a, non sans humour,
gardé pour la fin un dernier et subtil
argument anatomique. En disant que
Dieu « referma la chair » au terme
de son prélèvement chirurgical, le
texte de la Genèse sous-entend une
cicatrice. Or il y a bien une magnifique suture le long de l’organe
reproducteur mâle, le raphé périnéal,
ligne qui parcourt le dessous du
pénis, le scrotum et le périnée. On
comprend mieux pourquoi Dieu
a endormi Adam avant de l’opérer.
« Jusqu’à 40 ans, j’ai cru que c’estoit
un os », disait Henri IV en parlant de
la partie virile de son anatomie. Puis,
le Vert Galant a dû déchanter en expérimentant quelques pannes. D’os, il
n’y avait point. A qui la faute ? De là à
soupçonner une collusion entre Dieu
et les marchands de Viagra, il y a un
pas que je ne franchirai pas. Je laisse
cela aux journalistes d’investigation. p
NASA/JHUAPL/SWRI
Le pôle Nord gelé
de Pluton
affaire de logique
La NASA vient de rendre publique cette image
prise le 14 juillet 2015 à 33 900 kilomètres de
Pluton par la sonde New Horizons. De profonds
canyons de 10 à 75 kilomètres de large creusent
des sols gelés, constitués en majorité de méthane. Les cratères discernés seraient le résultat
d’effondrements de terrains sous l’effet d’une
fonte de la glace. Les différences de couleurs s’expliqueraient par une dégradation du méthane
sous l’effet du rayonnement solaire, plus marquée et ancienne en haute altitude (couleur jaunâtre) qu’au fond des vallées (couleur bleuâtre). p
RENDEZ-VOUS
| SCIENCE & MÉDECINE |
|7
La bronzette
nutritive du
ver de Roscoff
sandrine cabut
Q
uand sa collaboratrice a
ouvert en trombe la porte
du bureau où il était en train
de consulter, le neurologue
Pierre Pollak a d’abord cru à
une catastrophe. « Il marche », lui a dit la docteure
Patricia Limousin en l’entraînant dans la pièce
à côté, où était assis un de leurs patients. Elle a
mis en route deux petits boîtiers. « En quelques
secondes, j’ai vu cet homme presque grabataire
se lever et marcher normalement. Ce jour-là, j’ai
pris conscience qu’il y avait deux miracles concernant la maladie de Parkinson : la levodopa,
cette molécule arrivée dans les années 1960, et
la stimulation cérébrale profonde du noyau
subthalamique, que l’on testait pour la première fois de façon bilatérale chez ce malade »,
se réjouit le professeur Pollak.
A 66 ans, ce spécialiste des maladies du mouvement vient de raccrocher définitivement sa
blouse. Mais, lorsqu’il raconte cette scène de
1993, le souvenir le plus fort de ses quarantecinq années d’activité professionnelle, l’émotion est encore perceptible dans sa voix.
La fierté sans doute d’avoir contribué à la
mise au point d’une thérapie qui a changé la
vie de dizaines de milliers de parkinsoniens et
qui est aujourd’hui explorée dans de nombreuses pathologies neuropsychiatriques :
troubles obsessionnels compulsifs, dépression, maladie d’Alzheimer, anorexie, addictions… Codécouvreur de la stimulation cérébrale profonde (SCP) avec le neurochirurgien
Alim-Louis Benabid, Pierre Pollak reste pourtant peu connu du grand public. Trop modeste
peut-être. Quand ce pionnier retrace l’histoire
des « pacemakers du cerveau », c’est un travail
collectif qu’il met en avant. Une aventure humaine et scientifique, où les malades ont un
rôle aussi crucial que l’équipe de médecins,
chirurgiens, neuropsychologues… « Ce sont les
patients qui nous ont tout appris », assure-t-il.
A 18 ans, le jeune Isérois avait hésité entre des
études médicales et une carrière de pianiste.
Deux décennies plus tard, ce virtuose du clavier est praticien en neurologie au CHU de
Grenoble, spécialiste des mouvements anormaux. Le premier chapitre de la saga de la stimulation cérébrale profonde va s’écrire. Le
chercheur perce déjà sous le médecin. « Pierre
Pollak est un excellent clinicien qui a compris
instantanément qu’un malade peut inspirer des
idées pour l’expérimentation et que les
observations en laboratoire sont utiles aux patients », résume son maître et ami Yves Agid,
qui l’avait accueilli comme postdoctorant à la
Pitié-Salpêtrière (Paris, AP-HP) en 1979.
A Grenoble, Pierre Pollak confie ses patients
les plus sévères, atteints de tremblements rebelles à tout traitement médical – isolés ou
dans le cadre d’un Parkinson –, au professeur
Alim-Louis Benabid, dit « Ben », un neurochirurgien et chercheur de huit ans son aîné. Pour
les soulager, celui-ci détruit par thermocoagulation le noyau ventral intermédiaire (VIM),
une petite zone de ce noyau profond du cerveau qu’est le thalamus. Au préalable, il stimule électriquement à basses fréquences la
zone cible. Si cela déclenche un tremblement,
c’est qu’il est au bon endroit.
Un jour de 1987, après ce test de routine, le
neurochirurgien augmente la fréquence de stimulation. Surprise : les tremblements cessent,
suggérant un effet inhibiteur de la stimulation
à hautes fréquences, inverse donc de celui observé à basses fréquences. « Ben m’a livré le patient avec l’électrode implantée et le stimulateur
externe, et m’a demandé de faire des tests hors
du bloc. Au bout de deux semaines, il a internalisé le système », se rappelle Pierre Pollak. Avec
la stimulation cérébrale profonde, les Grenoblois disposent d’une technique aussi efficace
que la chirurgie sur les tremblements, mais
modulable et réversible. Après ce premier succès, le duo réalise d’autres implantations.
« Nous étions complémentaires et formions
un véritable tandem, certains ont même parlé
de mariage, plaisante Alim-Louis Benabid.
Pierre Pollak sélectionnait les patients et venait
au bloc pour discuter des options ; moi, j’opérais. Sa mission était aussi de suivre les malades
après l’intervention et, pour les premiers, cela a
été un très gros travail. » Un travail de longue
haleine, confirment d’autres membres de
l’équipe. « Pierre Pollak était là jour et nuit pour
étudier les paramètres de stimulation, raconte
le professeur Paul Krack, qui lui a succédé à la
tête du service de neurologie de Grenoble. Les
effets inhibiteurs commencent à partir de
50 hertz et sont optimaux à 130, mais il a tout
testé, de 2 à 10 000 hertz. S’il n’avait pas fait
cette étude rigoureuse, la première observation
fortuite n’aurait rien donné. »
De son côté, Pierre Pollak salue les deux
grandes contributions de son confrère neurochirurgien. « D’abord, Ben a su redécouvrir
l’effet inhibiteur des stimulations à hautes
fréquences du VIM sur le tremblement. Cette
0123
Mercredi 2 mars 2016
zoologie
S
A Paris,
le 9 octobre 2015.
BRUNO FERT/PICTURETANK
POUR « LE MONDE »
Pierre Pollak,
neurostimulant
| Le neurologue, spécialiste de la maladie
de Parkinson, a codécouvert la stimulation cérébrale profonde
portrait
propriété avait été rapportée dans les années
1960 par la neurophysiologiste Denise Albe-Fessard, mais elle n’avait pas été exploitée à des fins
thérapeutiques. Ensuite, c’est lui qui a eu l’idée
de laisser en place le stimulateur, en utilisant les
seuls appareils alors disponibles destinés au
traitement des douleurs neurologiques. »
Cette première mondiale, quoique présentée
dans des congrès, passe relativement inaperçue. « Au départ, personne n’a réalisé les potentialités de cette invention, c’est ce qui nous a permis de prendre de l’avance », s’amuse M. Pollak.
Autre bémol : la stimulation thalamique est efficace sur les tremblements, mais pas sur les
deux autres symptômes majeurs du Parkinson : la rigidité et l’akinésie, cette difficulté à
initier des mouvements.
En 1990, des travaux américains publiés
dans Science vont leur ouvrir de nouveaux horizons. Hagai Bergman et Mahlon DeLong
montrent qu’en détruisant le noyau subthalamique – une autre petite région cérébrale – de
singes parkinsoniens, ce sont les trois signes
cardinaux de la maladie qui s’améliorent. Puis
l’équipe bordelaise d’Abdelhamid Benazzouz
La stimulation du noyau
subthalamique est tentée
pour la première fois chez
un parkinsonien en 1993
obtient le même résultat, chez des singes toujours, avec une stimulation cérébrale profonde. Benabid et Pollak rêvent de tenter l’expérience chez leurs malades. « La communauté médicale nous a considérés comme trop
audacieux. C’était un dogme de ne pas opérer
cette zone, à cause du risque d’hémiballisme,
des mouvements anormaux très violents pouvant entraîner la mort par épuisement », explique Pierre Pollak.
Selon lui, c’est pourtant une audace raisonnée. Il a calculé que l’intervention est peu risquée, la taille de l’électrode restant mineure
par rapport au volume du noyau subthalamique. Il rédige un protocole d’essai clinique,
réussit à convaincre l’Inserm d’en être le promoteur, obtient le feu vert d’un comité d’éthique. En 1993, la stimulation du noyau subthalamique est tentée pour la première fois chez
un parkinsonien. « Quand Pierre Pollak est
venu me voir avec ses vidéos, c’était si spectaculaire que j’ai réorienté notre stratégie de recherche. Moi qui m’apprêtais à débuter un
grand programme de thérapie génique dans la
maladie de Parkinson, j’ai lancé l’équipe sur la
voie de la SCP », se souvient le professeur Agid.
Dès lors, Grenoble est sous les projecteurs.
L’équipe publie dans les revues les plus prestigieuses, accueille des visiteurs du monde entier, assure des formations… En 2010, Pierre
Pollak est parti pour exercer les fonctions de
chef du service de neurologie au CHU de Genève, où il a terminé sa carrière fin 2015.
Aujourd’hui, plus de 100 000 patients ont
été implantés. Et cette approche de neuromodulation n’a pas fini de se découvrir de
nouvelles indications. Au fil des années, elle a
reçu de nombreuses distinctions, mais c’est
surtout le volet chirurgical qui a été mis à
l’honneur. En 2014, Alim-Louis Benabid a ainsi
été auréolé du prix américain Lasker, « antichambre » du Nobel, avec Mahlon DeLong.
En 2015, le même a reçu le Breakthrough Prize,
créé par les fondateurs de Facebook et de Google. Une asymétrie de reconnaissance que déplorent les spécialistes du domaine, d’autant
que le professeur Benabid n’a, soulignent-ils,
même pas fait référence à son équipe dans ses
remerciements.
« Alim-Louis Benabid mérite bien sûr pleinement ses récompenses, mais la personne qui a
permis que la stimulation cérébrale profonde
diffuse dans le monde a été négligée, regrette le
neurochirurgien Marwan Hariz (University
College, Londres). Au moment du prix Lasker,
les grandes revues scientifiques ont rendu hommage à Benabid et DeLong, mais les contributions décisives de leurs collaborateurs respectifs, le neurologue Pierre Pollak et le neuroscientifique Hagai Bergman, n’ont même pas été
mentionnées. »
Les professeurs Paul Krack et Mathieu Anheim (CHU de Strasbourg), tous deux anciens
élèves de Pierre Pollak, sont sur la même ligne.
« C’est M. Pollak qui a rédigé tous les articles
scientifiques, mais par générosité pour ses collaborateurs il s’est rarement mis en premier ou
dernier auteur, et cela l’a peut-être desservi », relèvent-ils. Alim-Louis Benabid fait aujourd’hui
partie des rares scientifiques français considérés comme nobélisables. « Si Ben recevait un
jour le Nobel, ce serait formidable et justifié
mais, s’il n’était pas partagé avec Pierre Pollak,
ce serait une grande injustice morale et scientifique », estime Mathieu Anheim. p
ur les plages de l’Atlantique ou de
la Manche, vous avez certainement
croisé, sans le voir vraiment, cet « animal-plante » singulier qu’est le ver plat
de Roscoff. A marée basse, il s’accumule dans
les rigoles sculptées dans le sable par l’eau
descendante. A première vue, ces petits filaments vert bouteille, de moins de 5 mm de
long, passent pour des algues qui peuvent
s’accumuler en fin matelas visqueux. Mais à
y regarder de plus près, chacun a son mouvement propre et, quand la mer remonte, tous
s’enfoncent dans le sable pour éviter d’être
balayés par les vagues.
Voilà, vous avez fait connaissance avec
Symsagittifera roscoffensis, ce discret habitant
de l’estran dont la physiologie, l’origine et
le comportement fascinent depuis plus d’un
siècle des générations de chercheurs. Xavier
Bailly, à la station biologique de Roscoff,
où l’animal a été pour la première fois scientifiquement décrit à la fin du XIXe siècle, entretient cette flamme. Il est le seul aujourd’hui,
après dix années d’efforts, à faire se
reproduire l’animal en captivité. C’est que
S. roscoffensis ne s’appartient pas totalement.
« Pour le présenter, j’aime bien parler d’“animalgue’’ », explique le chercheur, qui a mis
au point un « kit pédagogique » permettant
aux scolaires et aux étudiants de suivre tout
le cycle de vie de l’animal. Car sa belle couleur
verte, le ver la doit à des microalgues qui
colonisent ses tissus. « Il les a ingérées, mais
pas digérées. » Elles captent l’énergie du soleil
et, grâce à la photosynthèse, produisent
les nutriments dont le ver, dépourvu de
système digestif, se sustente. Cette relation
de photosymbiose est fréquente dans les
océans, chez les coraux, mais le ver de Roscoff
en offre un exemple commode à étudier.
S. roscoffensis naît dépourvu de ces microalgues qui lui apporteront sa pitance. Sans
elles, le ver meurt, alors qu’elles peuvent
très bien se passer de lui. Pour que leur rendement soit optimal, leur hôte s’est adapté
à un double rythme, calé sur l’alternance
jour-nuit et sur celle des marées.
Vers plats de Roscoff, alias
« Symsagittifera roscoffensis ». XAVIER BAILLY
Mais c’est à un autre comportement que
s’est intéressée une équipe de l’université
de Bristol. Ana Sendova-Franks et ses collègues décrivent dans les Proceedings of the
Royal Society B du 24 février la façon dont ces
vers, au-delà d’une certaine densité de population, adoptent un mouvement circulaire
collectif dans les récipients où ils sont conservés. Une simulation informatique suggère
que ce comportement grégaire peut émerger
à partir d’interactions simples entre individus
– comme dans d’autres types de mouvements
de « foules animales », bancs de poissons
ou volées de passereaux.
Ces mouvements giratoires ont-ils une
fonction ? Les chercheurs britanniques
émettent l’hypothèse qu’ils permettent
d’optimiser l’insolation de chaque individu,
afin que la photosynthèse puisse profiter
à tous. Ils font un parallèle avec « les manchots
empereurs, qui forment des regroupements
rotatifs pour se protéger contre les vents
extrêmes de l’Antarctique ».
S’il a bien observé ce comportement dans
son laboratoire, Xavier Bailly ne se souvient
pas de l’avoir aperçu dans la nature. « Il serait
intéressant de voir s’il se manifeste aussi sur un
substrat rugueux, comme le sable où vivent ces
vers », dit-il. Et les juvéniles, se demande-t-il,
qui ne dépendent pas encore de la photosynthèse, entrent-ils eux aussi spontanément
dans la ronde ? Il se promet de contacter
ses confrères de Bristol pour leur proposer
une collaboration sur cette thématique
qui, comme tout ce qui touche à son cher ver,
lui paraît « fascinante ». p
hervé morin
8|
0123
Mercredi 2 mars 2016
| SCIENCE & MÉDECINE |
Des chaussures pour protéger les pieds des diabétiques
Toutes les trente secondes,
une amputation est réalisée sur
un patient diabétique dans le
monde. Un concept de chaussure
« intelligente », en cours de
développement par les hôpitaux
universitaires de Genève (HUG)
et l’Ecole polytechnique
fédérale de Lausanne (EPFL),
pourrait-il changer la donne ?
Les amputations sont en effet
à 85 % précédées d’ulcères
plantaires dus à la pression exercée
lors de la marche. Or, la moitié
des malades, dont le diabète n’est
pas suffisamment bien contrôlé,
souffrent d’une complication,
la polyneuropathie périphérique,
qui a pour principale conséquence
d’inhiber toute sensibilité
à la douleur. Le diabétique n’a
alors plus de signal d’alarme
le prévenant de la présence, par
exemple, d’une lésion importante
sous le pied. La botte plâtrée
actuellement proposée,
invalidante, n’empêche pas des
récidives dans 30 % à 70 % des cas.
En équipant la semelle de
chaussure d’amortisseurs actifs,
l’idée est d’alléger la pression
sur les zones lésées. Le prototype
comprend sept cellules, mais
à terme, cinquante amortisseurs
seront actifs. Les concepteurs
évoquent la possibilité d’utiliser la
marche elle-même pour produire
l’énergie nécessaire au système. Ils
imaginent aussi des matelas qui,
sur le même principe, pourraient
réduire les risques d’escarres. p
sylvie logean (« le temps »)
Une semelle « intelligente »
A terme, la chaussure sera dotée d’amortisseurs
capables de mesurer la pression et de s’y adapter.
L’idée est de soulager les zones plantaires lésées
par des ulcères, pour réduire les risques
de complications qui peuvent conduire
à l’amputation chez les patients diabétiques.
Amortisseur contracté pour
soulager la plante du pied
Amortisseur
Circuit de commande
et d’alimentation
Processeur
Des amortisseurs sous pression
Chacun des modules dispose d’un capteur
de pression et d’un système de valve qui
lui permet de se déformer. La stratégie
de commande reste à déterminer :
déformation permanente de la zone
à protéger, contrôle dynamique lors
de la marche, arrêt de l’alimentation
lorsque le pied est en l’air pour
économiser l’énergie…
Capteur de pression
Coussin déformable
Indicateur de la charge
Valve
Membrane de retour
Support de soutien
Electronique
Batterie
Amortisseurs
miniaturisés
15 mm
INFOGRAPHIE : JACQUES LOURADOUR
SOURCES : HUG, EPFL
Yves Ville et Philippe Hélary s’inquiètent d’une mode visant, en cas de césarienne, à oindre le nouveau-né
du microbiote vaginal maternel, une pratique qui selon eux n’a pas de justification médicale
L’ensemencement vaginal, un nouveau rite païen ?
|
L’
ensemble des muqueuses accessibles
de l’organisme humain est colonisé
par une flore microbienne abondante
et diversifiée, appelée microbiote. Ces
micro-organismes exercent des effets
bénéfiques essentiels sur la santé de
l’individu. De très nombreuses affections humaines
seraient liées à des déséquilibres de la composition
du microbiote. A la naissance, le nouveau-né est exposé pour la première fois à un large éventail de micro-organismes à partir d’une variété de sources, y
compris le microbiote vaginal de leur mère lorsqu’ils
naissent d’un accouchement par voie basse.
La naissance par césarienne induit une colonisation du nouveau-né dominée par la flore de la peau
maternelle. Un certain nombre d’études ont rapporté une association entre la naissance par césarienne et des problèmes affectant ces enfants. Le microbiote, à travers des observations scientifiques fortuites mais aussi du fait d’une popularité croissante,
pour ne pas dire une mode, a été désigné comme le
lien entre la césarienne et le risque de maladies. Une
théorie encore marginale est développée, arguant
que les enfants nés par césarienne pourraient bénéficier, à leur naissance, d’un ensemencement par la
flore vaginale de leur mère pour être colonisé
« comme pendant un accouchement ». Dans cette
forme de nouveau rite païen, le père enduit la bouche
et l’anus du nouveau-né d’une compresse imbibée
des sécrétions vaginales de la mère (vaginal seeding).
Dans son édition du 23 février, le British Medical
Journal s’émeut et alerte contre le développement de
cette pratique en Grande-Bretagne, à juste titre et
pour plusieurs raisons : il n’y a aucune preuve que le
microbiote de l’enfant soit modifié par cette pratique,
et le vagin porte de nombreux germes normaux
(streptocoques) ou pathogènes (maladies sexuellement transmissibles) pouvant avoir des conséquences infectieuses dramatiques pour le nouveau-né.
Les enfants nés par césarienne sont un peu plus
susceptibles d’avoir un problème de santé dans l’enfance tel que l’obésité, l’asthme, l’atopie, et un certain
nombre d’anomalies du développement neurologique. Cependant, ces études ont eu une capacité limitée à contrôler les facteurs de confusion entre le fait
de naître par césarienne et ce qui entoure cet acte, en
particulier ce qui en fait poser l’indication. Pour ce qui
est du poids et donc du risque d’obésité, celui-ci est
augmenté après une naissance par césarienne essentiellement en relation avec une obésité maternelle.
Ce dernier aspect illustre la complexité de l’implication de la césarienne dans tous les maux dont on
l’accable. En effet, les césariennes sont rarement
tribune
|
faites sans raisons, parmi lesquelles les problèmes
de croissance de fœtus trop gros, en particulier si la
mère est obèse ou diabétique, ou trop petits, prématurés ou affaiblis pour d’autres raisons. Ces enfants
présentent souvent des problèmes respiratoires à la
naissance pour toutes ces raisons, en particulier la
prématurité, qui sont bien plus probablement en
lien avec le développement d’un asthme ou d’une
allergie de l’enfant que le microbiote du nouveau-né. Enfin, il est naïf de penser que le fœtus
n’est exposé à la flore vaginale que lorsque la tête
passe à travers l’orifice vaginal sur le périnée et
d’ignorer l’exposition constante à cette flore bien
avant l’accouchement, dès l’ouverture de la poche
des eaux. Le rôle des antibiotiques doit également
être pris en compte dans les études futures puisqu’ils sont prescrits, et à juste titre, à la mère dans au
moins 20 % des accouchements.
« Il est naïf de penser que le fœtus
n’est exposé à la flore vaginale que
lorsque la tête passe à travers l’orifice
vaginal sur le périnée, et d’ignorer
l’exposition constante à cette flore
bien avant l’accouchement,
dès l’ouverture de la poche des eaux »
La césarienne est devenue aux Etats-Unis l’intervention chirurgicale la plus fréquemment pratiquée. Plusieurs facteurs expliquent l’augmentation
dans tous les pays de cette fréquence, qui semble cependant atteindre un plateau depuis cinq ans : une
augmentation de l’âge des mères à la première grossesse, des grossesses multiples et des projets familiaux plus souvent limités à un ou deux enfants,
mais aussi une plus grande fréquence de l’obésité
maternelle et du diabète de la grossesse. Cependant,
les indicateurs de mortalité périnatale et maternelle continuent de diminuer, en dépit de l’augmentation constante du nombre de grossesses à
risque élevé de complications.
Les professionnels de santé s’appliquent à contenir les indications de césarienne au bénéfice des
mères et de leurs enfants et ont la responsabilité
de s’assurer que les dangers de ne pas effectuer
une césarienne dépassent les risques de le faire. La
qualité d’un service d’obstétrique ne devrait pas
être jugée sur son taux de césariennes mais sur la
qualité de leurs indications. Il serait dommage et
dommageable que ces efforts soient considérés
par le public comme une diabolisation de la césarienne sur laquelle pourraient « proliférer » les rites autour du microbiote.
Dans le domaine de la santé, le « mythe de la naturalité » se nourrit des scandales sanitaires et du large
écho donné à la parole de toute personne s’estimant
victime d’un effet secondaire lié à un produit de
santé, ainsi que d’une confiance peu critique dans les
habitus naturels pour éviter les maladies. Une publication de l’OMS datant de 2003 soulignait la popularité croissante de la médecine naturelle dans toutes
les sociétés civilisées.
Les tourments contemporains particulièrement
prégnants et médiatisés en boucle peuvent favoriser un fonctionnement névrotique nombriliste et
isolationniste, évitant de se confronter aux réalités
du monde extérieur et duquel pourrait participer le
rituel de l’ensemencement vaginal, tout comme
d’ailleurs le rejet des vaccinations. Certaines femmes césarisées manifestent par ailleurs un fantasme de castration et le ressenti négatif qu’elles
n’ont pas accouché comme toutes les mères, voire
qu’elles n’ont pas vraiment accouché. Ce rite pourrait être identifié à l’expression d’un mécanisme
psychique de projection de ce fantasme sur les bébés. En remplaçant l’acte symbolique de « couper le
cordon ombilical » entre la mère et l’enfant par le
tiers paternel, nécessaire au processus de « triadification », cet ensemencement de la flore vaginale
effectué par le père ferait de celui-ci l’exécutant de
cette organisation fusionnelle fantasmatique. C’est
ne pas tenir compte de l’évolution généralement favorable des maux psychiques maternels négatifs de
la césarienne, car, chez la plupart de ces mères, une
consolidation et une réorganisation psychique de
ces maux s’effectuera grâce à l’organisation des
interactions précoces mères-bébés. A l’inverse, s’il
existe un état de stress post-traumatique consécutif
à leur accouchement qui peut concerner 5 % des
mères, cette technique pourrait favoriser l’enkystement d’un mal-être psychologique unissant la
mère et l’enfant.
Les parents doivent également se rappeler que
l’allaitement au sein, tout en évitant les antibiotiques inutiles chez l’enfant, a un effet puissant, et
celui-ci bien établi, sur la constitution du microbiote en développement. p
¶
Yves Ville,
chef de service de la
maternité de l’hôpital
Necker-Enfants
malades, professeur
de gynécologieobstétrique, université
Paris-Descartes.
Philippe Hélary,
pédopsychiatre, réseau
de périnatalité
de la région Centre,
service de psychiatrie
infanto-juvénile
du centre hospitalier
de Dreux.
Le supplément « Science
& médecine » publie
chaque semaine une
tribune libre ouverte au
monde de la recherche.
Si vous souhaitez
soumettre un texte,
prière de l’adresser à
[email protected]