Détection des personnalités à risque dans les sports à sensations
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Détection des personnalités à risque dans les sports à sensations
MÉMOIRE ORIGINAL Détection des personnalités à risque dans les sports à sensations fortes D. LAFOLLIE, C. LE SCANFF (1) Detection of high-risk personalities in risky sports Summary. Argument – Detecting high-risk personalities involved in hazardous sports is essential to develop prevention ; studies on automobile driving or risky professional activities highlight excessive risk-taking personality variables. Methodological aspects – The most pertinent variables were tested so as to determine those most relevant to imprudent sportspeople : anxiety (State-Trait Anxiety Inventory, 1983), sensation-seeking (Sensation-Seeking Scale V, 1978), alexithymia (Toronto Alexithymia Scale-20, 1994), and self-regulation (Risk and Excitement Inventory, 1997). Results – Following an exploratory incremental ascendant discrimination analysis and various step-to-step incremental regression analyses, only two variables out of the seven tested stand out. The « difficulty to identify feelings » alexithymic variable [λ de Wilks = 0,23, p < 0,001 & R2 change = 0,57 ; F(2,85) = 125,61, p < 0,001] and the « self-conscience escape » self-regulation variable [λ de Wilks = 0,18, p < 0,05 & R2 change = 0,52 ; F(2,85) = 101,81, p < 0,001] appear to best discriminate and explain sportspeople’s imprudence. Neither anxiety nor « danger and adventure seeking », among others, are significant. These results show how taking emotional data into account is essential to understand careless sport activities better. In keeping with drug addiction data, alexithymic subjects that cannot understand their feelings impulsively seek regulating stimulations. Indeed, our data confirm that « escapists » who forget their « self-conscience » in alcohol, drugs or parties, also practice strong sensation sports (43 % of snowboarders). Conclusion – It would appear that, in all instances, they seek positive sensations in a compulsive and uncontrolled manner, to forget about their negative affects. That would explain their carelessness. Key words : Alexithymia ; Escape from self-awareness ; Personality ; Risk taking ; Sport. Résumé. Détecter les personnalités « à risque » impliquées dans des sports dangereux revêt un enjeu important pour la prévention. Des études portant sur la conduite automobile ou les pratiques professionnelles à risque mettent en avant des variables de personnalité en lien avec une prise de risque excessive. Les variables les plus pertinentes ont été testées afin de déterminer celles qui discriminent le mieux les sportifs les plus imprudents : anxiété (State-Trait Anxiety Inventory, 1983), recherche de sensations (Sensation Seeking Scale V, 1978), alexithymie (Toronto Alexithymia Scale-20, 1994), autorégulation (Risk and Excitement Inventory, 1997). Deux données sur les sept discrimineraient et expliqueraient l’imprudence des sportifs : la variable alexithymique « difficulté à identifier ses sentiments » et la variable d’autorégulation « fuite de la conscience de soi ». Ces résultats mettent donc en avant l’importance des données émotionnelles pour appréhender les pratiques sportives imprudentes : les sujets alexithymiques qui n’arrivent pas à comprendre leurs sentiments vont rechercher de façon impulsive des stimulations afin de se réguler. La « fuite de la conscience de soi » confirme le besoin de ne plus penser à ses affects négatifs – non régulés – en se concentrant sur les sensations positives apportées par les pratiques sportives. Mots clés : Alexithymie ; Fuite de la conscience de soi ; Personnalité ; Prise de risque ; Sport. (1) Centre de Recherches en Sciences du Sport, UFR STAPS (UPRES 1609), bâtiment 335, Université Paris-Sud Orsay, 91405 Orsay cedex. Travail reçu le 11 juillet 2005 et accepté le 12 octobre 2005. Tirés à part : C. Le Scanff (à l’adresse ci-dessus). L’Encéphale, 33 : 2007, Mars-Avril 135 D. Lafollie, C. Le Scanff INTRODUCTION Détection des personnalités à risque Plusieurs travaux ont montré que la dimension « recherche de danger et d’aventure » (recherche de sensations fortes et inhabituelles à travers des sports ou activités comportant des éléments de risque : surf, parachutisme, alpinisme, etc.) de l’échelle de recherche de sensations de Zuckerman et al. (30) est en lien avec un nombre d’accidents plus important dans les activités sportives ou la conduite automobile (1, 2, 7, 22). Dans cette perspective, les individus les plus en recherche de sensations (High Sensation Seekers, HSS) sont les plus exposés aux accidents. En effet, les activités pratiquées seront plus dangereuses (sport à risque…) que celles des individus à faible recherche de sensations (Low Sensation Seekers, LSS) qui se contentent d’activités routinières et peu risquées. Pour comprendre et prévoir le risque d’accident, les différences d’engagement, prudent ou non, des HSS dans des activités à risque paraissent être une voie de recherche plus judicieuse qu’une comparaison HSS/LSS. Différentes études mettent en avant les variables de personnalité qui distingueraient les HSS « prudents » des HSS « à risque » dans différents domaines : professionnel, de la délinquance, sportif. Les résultats soulignent notamment l’importance de l’impulsivité (12, 14, 16, 23) et des caractéristiques antisociales – antisocialité, psychopathie ou psychoticisme – (13, 14, 18, 31) dans les conduites imprudentes. Cependant, dans le champ des activités sportives, ces études semblent peu appropriées. En effet, quand elles prennent en compte les sportifs, les études les considèrent a priori comme un groupe aux « risques limités » par rapport aux délinquants (14, 18). De plus, la plupart des études s’intéressent aux professionnels comme les forestiers (23) ou les soldats (13). Cependant les caractéristiques psychologiques des délinquants ou des professionnels ne sont peut-être pas comparables à celles des sportifs « à risque ». Dans une visée de prévention des comportements à risque, une étude spécifique portant sur les déterminants psychologiques qui distinguent les sportifs « prudents » des sportifs « à risque » dans le champ précis des activités sportives à sensations fortes paraît importante. Fuite et compensation : un axe de recherche original Dans la théorie de l’autorégulation (6), la régulation de soi reposerait sur des processus attentionnels. Lorsque l’attention portée sur soi révèle une dissonance entre le Soi idéal et le Soi synonyme d’échecs, l’estime de soi s’en trouve affectée. Pour la préserver deux stratégies peuvent être mises en place (26) : le détournement de la conscience de soi (11) pour ne plus penser à ses problèmes (« fuite ») et la compensation qui consiste à porter son attention sur une autre source de valorisation de soi. Taylor et Hamilton (26) postulent que la recherche de sensa136 L’Encéphale, 2007 ; 33 : 135-41 tions peut servir ces deux stratégies. Les « fuyeurs », anxieux, déprimés et pessimistes, « évacueraient » leurs difficultés émotionnelles en cherchant des sensations dans des activités désinhibitrices (fêtes, alcool, drogues, etc.). À l’inverse, les « compensateurs », plus équilibrés psychologiquement, rechercheraient des stimulations dans des activités sportives à « sensations fortes ». Ces sensations n’ont pas pour objectif de se déconnecter de la réalité, elles permettent au contraire de contrôler son corps pour répondre aux exigences de l’environnement (pente neigeuse, masse d’air, vague…). Ces individus rechercheraient une valorisation à travers ces activités exigeantes et mises en avant socialement (parachutisme, alpinisme, raid-aventure…). Ils pourraient compenser un échec ou une déception, par exemple dans les domaines professionnel ou sentimental, par une réussite dans les sports à sensations fortes (26). Mais les sensations apportées par de telles activités sportives pourraient aussi servir de support à la « fuite ». La prise de risque sportive permettrait de vivre dans l’immédiateté et d’éviter de penser au passé, à l’avenir ou aux problèmes présents (9). Il a notamment été mis en évidence que les comportements « à risque » de certains plongeurs serviraient à réguler leurs émotions négatives (2). Les sensations apportées par les sports à risque auraient des effets psychotropes puissants : apaisement (libération de tensions intérieures) ou excitation (20). Les sensations recherchées dans ce type de sports ou les toxiques pourraient donc servir la même fonction de « fuite » et de régulation émotionnelle. À partir d’un questionnaire traduit et validé en français (Inventaire de risque et d’activation, 17) nous faisons l’hypothèse que les individus adeptes de sports à sensations ne sont pas tous des « compensateurs », certains fonctionneraient sur une logique de « fuite ». Les « fuyeurs », présentant des perturbations émotionnelles, ne seraient pas sur une logique de contrôle de leurs actions, puisque le but est de se déconnecter de la réalité, ne plus penser et « se remplir » de sensations fortes. Si la « fuite » existe chez les sportifs chercheurs de sensations, nous pensons que cette variable devrait permettre de discriminer efficacement les plus imprudents. Cette étude a également pour but une validation externe et empirique de l’IRA. MÉTHODE Étude 1 Population Cette étude comprend 186 hommes : 99 alpinistes experts de la promotion 2003- 2004 des aspirants-guides de l’ENSA, École nationale de ski et d’alpinisme (moyenne d’âge : 28,10 ans ± 4,20), 30 snowboarders loisirs (moyenne d’âge : 22,3 ans ± 2,7) et 57 sportifs « traditionnels » (basketteurs et athlètes ; moyenne d’âge : 25,4 ans ± 8,6). L’Encéphale, 2007 ; 33 : 135-41 Outil d’évaluation Ces sportifs ont rempli le questionnaire « Inventaire de risque et d’activation » (IRA) de Taylor et Hamilton (adaptation et validation française de Lafollie et al., 2003) qui met en avant les échelles « fuite dans la désinhibition » (6 items dont « Je pense moins à moi-même et à mes problèmes quand je suis à une fête », « Consommer de la drogue ou de l’alcool est un moyen de ne plus penser à moi-même pour un moment ») et « compensation dans des activités à sensations fortes » (6 items dont « J’ai plus conscience de moi-même lorsque je pratique des activités à sensations », « Les activités à sensations me donnent un sentiment d’accomplissement »). Seuls les résultats extrêmes ont été pris en compte (moyenne ± un écarttype) pour classer les individus « compensateurs » ou « fuyeurs » (annexe 1). Étude 2 Population Cette seconde étude comprend 88 hommes pratiquant une activité « à risque » ou « à sensations » : 39 alpinistes experts (promotion 2004 des aspirants-guides de l’ENSA ; moyenne d’âge : 28,1 ans ± 3,7), 9 pratiquants « élites » de « descente VTT » (moyenne d’âge : 16,9 ans ± 0,4), 40 gymnastes confirmés ou de haut niveau en centre de formation (moyenne d’âge : 24 ans ± 3,8). À ce niveau de pratique, nous considérons la gymnastique comme un sport « à risque » et porteur de sensations (4). Outils d’évaluation En plus de l’IRA, cinq questionnaires de personnalité ont été remplis anonymement : State-Trait Anxiety Inventory pour l’anxiété (STAI, Spielberger, 1983 ; traduction et validation française de Bruchon-Schweitzer et al., 1993) ; Sensation Seeking Scale pour la recherche de sensations (SSS V ; Zuckerman et al., 1978 ; traduction et validation française de Carton et al., 1992) ; Toronto Alexithymia Scale pour l’alexithymie (TAS-20 ; Bagby et al., 1994 ; traduction et validation française de Loas et al., 1995) ; trois échelles du NEO-PI-R (Costa et Mc Crae, 1992) relatives à l’impulsivité (Whiteside et Lynam, 2001) : impulsivité – N5 –, (manque d’) autodiscipline – C5 –, (manque de) délibération – C6 –. Ces traits de personnalité, indépendamment ou en association, seraient prédictifs d’imprudence ou d’un surnombre d’accidents dans les activités à risque (1, 7, 10, 16, 22, 23, 27). La pertinence et la fiabilité de ces échelles pour notre population spécifique de sportifs a été testée (calcul des alphas de Cronbach, n = 88). Les échelles ayant une faible consistance interne (α < 0,60) ont été analysées afin d’enlever les items responsables de leur faible score. Deux échelles sont dans ce cas : la « difficulté à décrire ses sentiments aux autres » (« TAS_ddsa ») dont l’alpha Détection des personnalités à risque dans les sports à sensations fortes passe de 0,56 à 0,70 en enlevant l’item 2 et l’« impulsivité » (NEO_imp) dont l’alpha passe de 0,49 à 0,62 en enlevant l’item 6. Cependant quatre échelles n’atteignent pas le score de 0,60 en enlevant un ou plusieurs items. Ces échelles ont été retirées de l’analyse : « recherche d’expériences » de la SSS (α = 0,31) ; « pensée orientée vers l’extérieur » de la TAS-20 (α = 0,32) ; « manque de délibération » du NEO-PI-R (α = 0,37), « susceptibilité à l’ennui » de la SSS (α = 0,55). Les échelles conservées sont les suivantes : « fuite » de l’IRA (α = 0,78), « difficulté à identifier ses sentiments » de la TAS-20 (α = 0,88), « trait d’anxiété » du STAI (α = 0,83), « recherche de danger et d’aventure » (dans des sports à risque) de la SSS (α = 0,74), « désinhibition » (dans la drogue, l’alcool) de la SSS (α = 0,61), « manque d’autodiscipline » (difficulté à entreprendre et terminer des tâches à cause de l’ennui ou toute autre source de distraction) du NEO-PI-R (α = 0,67), « compensation » de l’IRA (α = 0,81) et les deux échelles corrigées « difficulté à décrire ses sentiments aux autres » de la TAS-20 (α = 0,70) et « impulsivité » (incapacité à maîtriser ses désirs et ses besoins) du NEO-PI-R (α = 0,62). De plus, trois questions ont été posées portant sur l’imprudence des individus pendant leur activité ; seules deux ont été conservées au vu de leur fiabilité (α = 0,88) : « Mes amis ou collègues, experts de l’activité, pensent que je prends trop de risques lorsque je pratique des activités à risque » ; « Lorsque je pratique des activités à risque, j’ai fréquemment (dans les deux dernières années) des accidents causés par mon attitude désinvolte et parfois irresponsable » (réponse sur une échelle de Likert en cinq points). Deux groupes (n = 49) fortement opposés ont été constitués à partir des résultats à ces questions : un groupe de 26 « prudents » dont les scores sont inférieurs à 2/10 [moyenne (4,45) – un écart-type (2,70)] et un groupe de 23 « imprudents » dont les scores sont supérieurs à 7/10 [moyenne + un écart-type]. Une analyse discriminante incrémentielle ascendante exploratoire permet de mettre en avant les variables qui discrimineraient le mieux ces deux groupes. Afin de « forcer » le maximum de variables dans le modèle, les valeurs des F d’inclusion et d’exclusion ont été fixées à leur minimum. Dans le but de confirmer les résultats de l’analyse discriminante, de les étendre à une population plus large (n = 88) et compte tenu des écarts importants d’âge entre les sujets, des analyses de régression incrémentielles « pas-à-pas » ont été menées, en prenant en compte les scores à l’échelle « imprudence ». La variable « âge » a été rentrée en premier dans l’analyse afin de la neutraliser. Les variables les plus discriminantes (dégagées lors de la première analyse) ont ensuite été testées selon plusieurs modèles de régression afin de dégager les variables les plus explicatives et d’explorer la contribution unique de certaines d’entre-elles. 137 D. Lafollie, C. Le Scanff L’Encéphale, 2007 ; 33 : 135-41 RÉSULTATS TABLEAU II. — Analyse discriminante incrémentielle ascendante de « l’imprudence ». Étude 1 Les sports à sensations n’attirent pas que des « compensateurs » (seulement un cinquième des alpinistes sont sur cette logique), mais également de nombreux « fuyeurs ». Selon l’activité pratiquée, les individus ont un profil « fuite » plus ou moins marqué : 4 % des alpinistes, 7 % des sportifs et 43 % des snowboarders (tableau I). TABLEAU I. — Prévalence de la « fuite » et de la « compensation » dans différentes populations de sportifs. Groupe n Âge Compensation1 Fuite2 Alpinistes Sportifs Snowboarders 99 57 30 27,4 26 22,3 19 % (19) 3,5 % (2) 33,3 % (10) 4 % (4) 7 % (4) 43,3 % (13) n = nombre d’individus dans l’échantillon. Âge : moyenne d’âge. ( ) : nombre d’individus. 1. Individus ayant des scores très élevés de « compensation » (moyenne + 1 écart-type). 2. Individus ayant des scores très élevés de « fuite » (moyenne + 1 écart-type). Étude 2 L’étude exploratoire indique que la « fuite » serait la variable la plus discriminante des comportements imprudents (λ de Wilks : 0,23 ; p < 0,001) devant une variable émotionnelle de l’alexithymie « difficulté à identifier ses sentiments » (λ de Wilks : 0,18, p < 0,05) (tableau II). La « désinhibition », la « compensation », « l’impulsivité », « l’anxiété », la « difficulté à décrire ses sentiments aux autres », le « manque d’autodiscipline » et la « recherche de danger et d’aventure » ne sont pas statistiquement discriminants (tableau II). Les premières variables ont été testées dans des régressions pas-à-pas selon plusieurs modèles. Seuls les modèles de régression les plus pertinents sont présentés ici (tableau III). Ils confirment que les variables « difficulté à identifier ses sentiments » et « fuite » sont les plus explicatives de « l’imprudence ». Elles contribuent à elles deux à 62 % (R2 = 0,62, p < 0,001) de la variation de la variable « imprudence ». De plus, quand elles sont entrées en deuxième dans le modèle (après l’âge), elles expliquent, à elles seules, respectivement 57 % [R2 modifié = 0,57 ; F(2,85) = 125,61, p < 0,001] (tableau III, 1er modèle) et 52 % [R2 modifié = 0,52 ; F(2,85) = 101,81, p < 0,001] (tableau III, 2e modèle) de la variance de l’« imprudence ». L’impulsivité du NEO-PI-R, dernière variable significative, semble moins importante à considérer. Entrée en quatrième position dans le modèle, sa contribution est minime [R2 modifié = 0,03 ; F(4,83) = 8,42, p < 0,05]. Entrée en deuxième dans le modèle, cette variable n’est plus significative [tableau III, 3e modèle ; R2 modifié = 0,013 ; F(2,85) = 1,18, p = 0,28]. 138 F Wilks Partiel d’excluLambda Lambda sion N = 49 (1,39) Alpha de Cronbach N = 88 0,78 0,88 0,61 0,81 0,62 0,83 0,70 0,67 0,74 IRA_FUIT TAS_DIS SSS_Dis IRA_COMP NEO_IMPc STAI_ANX NEO_DDSAc NEO_MA SSS_TAS 0,228 0,184 0,178 0,173 0,172 0,168 0,164 0,164 0,163 0,713 0,884 0,915 0,940 0,946 0,970 0,991 0,994 0,995 15,72 5,10 3,64 2,50 2,23 1,21 0,341 0,228 0,186 p 0,000 0,030 0,063 0,122 0,143 0,278 0,563 0,635 0,669 IRA_FUIT : « fuite » de l’IRA ; TAS_DIS : « difficulté à identifier ses sentiments » de la TAS-20 ; SSS_Dis : « désinhibition » de la SSSV ; IRA_COMP : « compensation » de l’IRA ; NEO_IMPc : « impulsivité » corrigée du NEO-PI-R ; STAI_ANX : « trait d’anxiété » du STAI ; NEO_DDSAc : « difficulté à décrire ses sentiments aux autres » corrigée de la TAS-20 ; NEO_MA : « manque d’autodiscipline » du NEO-PIR ; SSS_TAS : « recherche de danger et d’aventure » de la SSS. Les matrices de classification issues d’analyses discriminantes (tableau IV) permettent de repérer les individus qui se classent correctement (« prudents », « imprudents ») en fonction des variables discriminantes « Dis », « Fuite » ou « fuite et Dis ». Même si les données sont à relativiser car l’échantillon est identique à celui de l’analyse discriminante, ces matrices confirment que la « fuite » associée à la « difficulté à identifier ses sentiments » permet un classement correct de 96 % des sujets. Ce chiffre reste le même en ne considérant que la variable « fuite ». En revanche, il descend à 92 % avec « la difficulté à identifier ses sentiments ». DISCUSSION Ces résultats confirment la présence de « fuyeurs » parmi les pratiquants de certaines activités à sensations fortes, le snowboard en particulier. L’alpinisme n’attire pas ces individus : les sensations apportées y sont peut-être jugées insuffisantes mais c’est aussi une discipline onéreuse, exigeante, qui ne s’improvise pas : elle est donc doublement sélective. Les « fuyeurs » qui aiment les stimulations fortes ne s’investissent également pas dans les sports trop « classiques » (basket, athlétisme). Ceci confirme une co-occurence des conduites à risque (20, 26) chez les individus « fuyeurs » qui chercheraient des stimulations aussi bien dans des activités désinhibitrices (alcool, drogues, musique) que dans des sports à sensations fortes. Les sensations engendrées par de tels sports ou par des substances seraient en effet similaires puisqu’il y aurait la même « récompense » physiologique à un niveau dopaminergique (15, 29). Le manque de contrôle qui caractérise la « fuite » dans la désinhibition (26) se L’Encéphale, 2007 ; 33 : 135-41 Détection des personnalités à risque dans les sports à sensations fortes TABLEAU III. — Régression incrémentielle pas à pas de « l’imprudence » – 1er, 2e et 3e modèles. 1er modèle n = 88 Âge TAS_DIS IRA_FUIT NEO_IMPc SSS_Dis 2e modèle n = 88 Âge IRA_FUIT TAS_DIS NEO_IMPc SSS_Dis 3e modèle n = 88 Âge NEO_IMPc IRA_FUIT TAS_DIS SSS_Dis Étape R R2 multiple R2 modifié F incl/exc p Bêta1 t (82) 1 2 3 4 5 0,222 0,785 0,820 0,838 0,844 0,049 0,616 0,672 0,702 0,712 0,567 0,056 0,030 0,010 47,16 125,61 14,27 8,42 2,77 0,000 0,000 0,000 0,005 0,100 – 0,080 0,427 0,467 – 0,145 – 0,116 – 1,314 4,468*** 4,550*** – 2,328* – 1,664 Étape R R2 multiple R2 modifié F incl/exc p 1 2 3 4 5 0,222 0,753 0,820 0,838 0,844 0,049 0,567 0,672 0,702 0,712 0,518 0,104 0,030 0,010 47,16 101,81 26,79 8,42 2,77 0,000 0,000 0,000 0,005 0,100 Étape R R2 multiple R2 modifié F incl/exc p 1 2 3 4 5 0,222 0,250 0,776 0,838 0,844 0,049 0,062 0,603 0,702 0,712 0,013 0,540 0,099 0,010 47,16 1,18 114,33 27,70 2,77 0,000 0,280 0,000 0,000 0,100 1. Poids des régressions du modèle final à 5 variables [R2 = 0,71, F(5,82) = 40,545, p < 0,0001]. * p < 0,05 ; ***p < 0,001. TAS_DIS : « difficulté à identifier ses sentiments » de la TAS-20 ; IRA_FUIT : « fuite » de l’IRA ; NEO_IMPc : « impulsivité » du NEO-PI-R ; SSS_Dis : « désinhibition » de la SSSV. TABLEAU IV. — Matrice de classification des sujets selon différentes analyses discriminantes. n Fuite et DIS Analyse discriminante p < 0,000 Matrice de classification G_1 : prudents G_2 : imprudents % bien classés Fuite Lambda Wilks : 0,21 F d’excl. (2,46) = 85,27 n 26 23 DIS Lambda Wilks : 0,26 F d’excl. (1,47) = 132,18 Lambda Wilks : 0,29 F d’excl. (1,47) = 115,39 Total correct G_1 théo G_2 théo Total correct G_1 théo G_2 théo Total correct G_1 théo G_2 théo 96,2 % 95,6 % 95,9 % 25 1 26 1 22 23 92,3 % 100 % 95,9 % 24 0 24 2 23 25 88,5 % 95,6 % 91,8 % 23 1 24 3 22 25 G_1 : prudents : groupe réel des prudents [classification observée]. G_2 : imprudents : groupe réel des imprudents. G_1 théo : groupe théorique « de prudents » constitué à partir des résultats de l’analyse discriminante (variables : fuite et Dis, fuite ou Dis) [classification prévue]. G_2 théo : groupe théorique « d’imprudents » constitué à partir des résultats de l’analyse discriminante. Fuite : échelle « fuite » de l’IRA ; DIS : échelle « difficulté à identifier ses sentiments » de la TAS-20. retrouverait également dans ces activités sportives. En effet, l’analyse discriminante incrémentielle ascendante et la régression pas-à-pas confirment que la « fuite » est la variable la plus discriminante et explicative des comportements imprudents, avec la variable alexithymique « difficulté à identifier ses sentiments ». Nos résultats montrent que l’impulsivité serait peu prédictive de l’imprudence. Cependant la facette la plus intéressante « manque de délibération » (ne pas réfléchir aux conséquences d’un acte) n’a pu être testée pour des raisons statistiques (α : 0,37). L’impulsivité semble pourtant jouer un rôle important. Il est en effet admis que les sujets 139 D. Lafollie, C. Le Scanff L’Encéphale, 2007 ; 33 : 135-41 alexithymiques, incapables d’identifier et de moduler leurs émotions, réguleraient ces dernières dans un agir impulsif et/ou avec la recherche d’une hyperstimulation dans des comportements compulsifs (25). Cette recherche impulsive de stimulations dans les comportements de « fuite » (fêtes, alcool, drogues) ou dans les sports à risque pourrait donc permettre, en plus de fuir la réalité, de se concentrer sur les sensations positives apportées par ces activités et d’apaiser leurs difficultés émotionnelles. Cette recherche de sensations polymorphes se retrouve aussi, par exemple, chez les joueurs « compulsifs » (recherche de sensations dans les jeux d’argent) qui ont plus tendance que les joueurs « classiques » à abuser de substances et à utiliser des stratégies de coping évitantes en recherchant des « exutoires » émotionnels ou des distractions diverses (21). La « recherche de danger et d’aventure » n’est pas ici une variable explicative des comportements à risque. Les sportifs recherchent des sensations dans leur activité (alpinisme, VTT ou gymnastique), mais ce trait de personnalité n’implique pas une pratique plus imprudente. Contrairement aux résultats de certains auteurs (1, 2, 7, 22), nos résultats confirmeraient plutôt les données et l’analyse de Slanger et al. (24) qui stipulent que la « recherche de danger et d’aventure », validée sur une population générale, ne discrimine pas la prise de risque parmi des sportifs qui pratiquent tous des activités à sensations fortes. Elle mettrait surtout en avant les différences d’enga- gement entre les activités sportives à sensations et les sports plus classiques. CONCLUSION Cette étude confirme que la « recherche de danger et d’aventure » n’est pas une variable discriminante des comportements « à risque » : tous les sportifs recherchent des sensations physiques, mais pas forcément en adoptant des conduites dangereuses. Il faut s’appuyer sur d’autres données pour comprendre l’imprudence des sportifs et la repérer. Les sportifs imprudents seraient surtout les « fuyeurs », alexithymiques, qui multiplient les pratiques à risque (alcool, drogues ou sports à sensations fortes) dans un même but d’évitement de soi et de régulation émotionnelle. L’échelle « fuite » de l’IRA, dont la validation a été faite sur une population générale, semble être adaptée à cette population de sportifs amateurs de sensations fortes. Avec l’échelle « difficulté à identifier ses sentiments », elle permet de distinguer les individus les plus « imprudents ». Ce questionnaire paraît donc efficace et pratique d’utilisation (12 items seulement) pour repérer les personnalités éventuellement « à risque » chez les sportifs. Remerciements. Nous tenons à remercier Paul Fontayne pour ses précieux conseils statistiques. ANNEXE 1 Validation française de l’Inventaire de risque et d’activation Ci-après figurent 12 affirmations. Merci de lire chacune d’elles attentivement. Après avoir lu l’affirmation, entourez le degré pour lequel l’affirmation vous correspond le mieux. Si l’affirmation n’est pas vraie pour vous, entourez l’item 1 ou 2 ; si elle est moyennement vraie pour vous, entourez le 3 ; et si elle est complètement vraie pour vous, entourez le 4 ou le 5. Pas du tout vrai 1 2 Moyennement vrai 3 Complètement vrai 5 4 1 – Je pense moins à moi-même et à mes problèmes quand je suis à une fête 2 – Je me sens mieux dans ma peau après avoir participé à une activité vivifiante 3 – J’ai tendance à aller plus souvent à des fêtes lorsque je suis « sous pression » 4 – J’ai plus conscience de moi-même lorsque je pratique des activités à sensations 5 – J’ai plus conscience de mon corps lorsque je pratique des activités à sensations 6 – J’aime les gens très fêtards 7 – Les activités à sensations me donnent un sentiment d’accomplissement 8 – Quand je veux me détendre, j’aime bien boire quelques verres et augmenter le volume de ma chaîne hi-fi 9 – Quand je fais quelque chose d’excitant ou à sensations, je me concentre sur l’activité et les sensations fortes que j’en retire 10 – Consommer de la drogue ou de l’alcool est un moyen de ne plus penser à moi-même pour un moment 11 – Habituellement lorsque je pratique des activités à sensations, j’en apprécie les souvenirs longtemps après 12 – Quand je prends des risques, je me laisse aller plus que d’habitude 1 1 1 1 1 1 1 1 1 2 2 2 2 2 2 2 2 2 3 3 3 3 3 3 3 3 3 4 4 4 4 4 4 4 4 4 5 5 5 5 5 5 5 5 5 1 1 2 2 3 3 4 4 5 5 1 2 3 4 5 Correction : additionner les scores des items (pas de scores inversés) : fuite : 1, 3, 6, 8, 11, 12 ; compensation : 2, 4, 5, 7, 9, 10. 140 L’Encéphale, 2007 ; 33 : 135-41 Références 1. 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