sentiment - Médiathèque de la Cité de la musique

Transcription

sentiment - Médiathèque de la Cité de la musique
Jean-Philippe Billarant
président du conseil d’administration
Laurent Bayle
directeur général
Après l’exposition Figures de la passion qui avait montré comment les artistes
français de l’époque classique (1620-1740) ont mis en scène les différents
affects humains (entre « ordre » et « désordre »...), la cité de la musique vous
invite à une nouvelle exposition et une série de concerts intitulées L’invention du
sentiment (du 2 avril au 30 juin). Ces manifestations interrogent, aux sources du
romantisme, le tournant artistique qui s’opère en Europe à partir de 1760 et qui,
au-delà du regain d’intérêt pour l’antique, traduit le besoin de perfection et de
pureté qu’éprouvent nécessairement les sociétés en crise.
Pour prolonger la thématique de L’invention du sentiment, le pianiste Alain
Planès vous propose un récital oscillant entre classicisme et romantisme, avec
deux œuvres de Joseph Haydn et la Wanderer-Fantasie de Franz Schubert,
chacune d’elles incarnant et mêlant ces deux tendances.
samedi
13 avril - 16h30
dimanche
14 avril - 15h
amphithéâtre du musée
Joseph Haydn
Sonate pour clavier n° 60, en ut majeur, Hob. XVI/50
allegro, adagio, allegro molto
durée : 18 minutes
Variations pour clavier, en fa mineur, Hob. XVII/6
durée : 8 minutes
Franz Schubert
Fantaisie pour piano, en ut majeur, D. 760, op. 15,
« Wanderer-Fantasie »
allegro con fuoco ma non troppo, adagio, scherzo, finale
(allegro)
durée : 21 minutes
Alain Planès, piano
concert sans entracte, durée : 50 minutes
l’invention du sentiment
introduction
À la fin de son second séjour londonien, en août 1795,
Haydn dressa dans l’un de ses carnets le catalogue
des partitions composées depuis le 2 janvier 1791 pour
l’Angleterre, soit en Autriche entre ses deux voyages, soit
sur place à partir de février 1794. On y remarque un
certain nombre d’œuvres pour clavier, figurant en bonne
compagnie auprès, notamment, des douze Symphonies
« londoniennes ». Cette floraison doit certainement à
l’excellence de l’école de piano anglaise qui s’était développée sous l’impulsion de Clementi et, dans une
moindre mesure, de Jean-Chrétien Bach et de Dussek.
Clementi avait formé des virtuoses de premier rang, au
nombre desquels il faut compter Jean-Baptiste Cramer,
John Field et Thérèse Jansen (pour laquelle Haydn allait
composer sonates et trios). Londres se distinguait également sur le plan de la facture. Haydn se passionna
pour les nouveaux modèles de Broadwood, de Stodard
ou de Clagget : plus puissants et colorés que les instruments viennois, ils jouissaient en outre d’une étendue
plus large dans l’aigu, d’une pédale de sourdine et
d’autres aménagements multipliant l’éventail des
nuances et les possibilités de jeu.
Joseph Haydn
Sonate pour clavier
n° 60, en ut majeur,
Hob. XVI/50
Au nombre des partitions les plus remarquables composées lors du second séjour dans la capitale anglaise
figurent celles destinées à Thérèse Jansen, et notamment les Sonates nos 60 (en ut majeur) et 62 (en
mi bémol), composées en 1794-1795. La genèse de
la Sonate n° 60 s’étend sur plusieurs mois. Son adagio, en fa majeur, fut en effet publié isolément à Vienne,
chez Artaria, dès août 1794. Mais elle est également
la seule à utiliser, dans son finale, les notes aiguës
supplémentaires qu’offraient les pianos anglais par
rapport aux viennois, ce qui semblerait indiquer qu’elle
ait été achevée la dernière. Tout, dans cette partition,
impose le respect et l’admiration. Haydn s’y montre au
sommet de sa fantaisie, de son imagination, mais
aussi de sa maîtrise technique. L’allegro initial est
éblouissant d’invention et de hardiesse, combinant
une forme-sonate à d’incessantes variations théma-
4 | cité de la musique
récital de piano Alain Planès
tiques. Dans ce monde grouillant d’idées et de surprises harmoniques, le thème principal sert, sous ses
innombrables masques, de fil conducteur empêchant
l’ensemble de se désagréger.
À l’occasion de son intégration au sein de la sonate,
l’adagio subit une révision légère mais significative :
comme le relève Marc Vignal pour commenter ces
différentes étapes, le nombre des indications dynamiques s’accrut et certaines doublures à l’octave inférieure de la main gauche furent supprimées, Haydn
ayant certainement jugé suffisante la puissance dans
le grave des instruments anglais.
Le finale (allegro molto) est l’une des pages les plus
frappantes de son auteur. Son humour et les incessantes surprises qu’Haydn ménage lui donneraient
plutôt le caractère d’un scherzo sans trio. La moindre
d’entre elles n’est pas sa brièveté : ce finale file donc
comme une traînée de poudre, achevant la sonate
entre l’éclat de rire et le point d’interrogation.
Variations pour clavier en Même si Haydn les emporta dans ses bagages, les
fa mineur, Hob. XVII/6
Variations en fa mineur naquirent en Autriche et furent
destinées à Babette du Ployer, à qui Mozart offrit ses
Concertos nos 14 et 17. Une hésitation subsiste sur
l’appellation véritable de la pièce. Cette dernière fut
inscrite dans le fameux carnet sous le titre de Sonate
in F minore, ce qui indiquerait qu’Haydn y plaçait une
réelle ambition. Une copie d’époque porte cependant
la mention, de la main du compositeur : « Un piccolo
divertimento scritto e composto per la Stimatisssima
Signora de Ployer » (« un petit divertissement écrit et
composé pour la très estimée Madame de Ployer »).
La partition va effectivement bien au-delà de ce qui
s’écrivait alors à Vienne dans le genre du thème et
variations. La structure, tout d’abord, est relativement
complexe. Il s’agit en fait de doubles variations, c’està-dire que deux thèmes – respectivement en fa mineur
et fa majeur – sont alternativement présentés puis
variés. Chacun de ces thèmes est lui-même découpé
en deux sections, chacune reprise à son tour. Mais ces
notes de programme | 5
l’invention du sentiment
sections jumelles se succèdent sans le retour thématique attendu, ce qui leur donne un caractère
ouvert et libre que n’a pas habituellement cette forme,
aux schémas très cloisonnés.
La tonalité de fa mineur initiale favorise par ailleurs les
chromatismes, et son harmonie chargée contamine
ensuite la partie en majeur. Les thèmes sont riches en
promesses que les variations ne manquent pas de
tenir : tout en laissant les tonalités « officielles » très
perceptibles, Haydn s’adonne à son goût bien connu
pour les surprises harmoniques et tonales. Mais c’est
surtout sur le plan de l’expression et de la virtuosité
que les Variations en fa mineur tranchent avec la production contemporaine : une palette d’émotions et
de dynamiques considérable, des ruptures de ton
spectaculaires, une exigence technique bien au-dessus de la moyenne placent l’œuvre en tête de la lignée
menant aux grandes pages londoniennes.
Franz Schubert
Fantaisie pour piano
en ut majeur, D. 760,
op. 15, « WandererFantasie »
6 | cité de la musique
En décrivant les « célestes longueurs » de la Neuvième
Symphonie de Schubert, Schumann soulignait combien les genres mêmes de la symphonie et de la
sonate pouvaient sembler étranger à son univers. Là
où un Beethoven pliait le moindre détail à une logique
inexorable, quelle pouvait être l’attitude d’une âme à
la fois si secrète et si soumise au flux de ses émotions ? Schubert n’était pas un architecte. Il n’essayait pas de régenter le monde, mais de se fondre en
lui : telle fut sa manière, si profondément romantique,
d’accéder à l’universalité.
Son tempérament s’exprimait plus facilement dans
d’autres types de formes dont il fut, sinon l’inventeur,
du moins le génial propagateur : le lied et, pour le
piano, l’impromptu et la fantaisie où les épisodes s’organisent au fil d’une pensée vagabonde. En 1822,
après quelques essais de jeunesse, la Fantaisie pour
piano en ut majeur – dite « Wanderer-Fantasie » –
donna à ce genre illustré notamment par Mozart une
envergure nouvelle. Elle doit certainement sa forme
innovatrice à l’impossibilité de mener à bien la
récital de piano Alain Planès
Huitième Symphonie (qui la précède immédiatement).
Il s’agit de sa tentative la plus radicale, jusqu’alors,
pour trouver une alternative à la sonate classique.
En quatre mouvements enchaînés, dont on ne reconnaît les moules qu’à grand-peine, cette Fantaisie repose
sur un thème unique qui naît, croît, se transforme et
génère des motifs secondaires – héros d’un récit épique
qui le façonne. Ainsi Schubert s’affirme-t-il comme un
véritable précurseur de Berlioz et, plus encore, de la
variation « psychologique » des thèmes telle que Liszt
l’a développée dans son unique sonate, dans ses symphonies et dans ses poèmes symphoniques.
Le « personnage » du récit est ce Wanderer, ce voyageur auquel Schubert s’identifia si souvent, depuis
ce lied de 1816 qui offre son titre et l’un de ses thèmes
à la Fantaisie pour piano, jusqu’au magistral cycle du
Voyage d’hiver, en 1827.
Composé sur un poème de Schmidt von Lübeck,
Der Wanderer est l’un des lieder les plus amers de
Schubert ; le voyageur y erre en quête d’un bonheur
inaccessible : « Là-bas, où tu n’es pas, là-bas se
trouve le bonheur. » Le thème qui irrigue la Fantaisie
provient de la deuxième strophe de ce lied, où il soutient ces paroles : « Ici, le soleil me semble si froid, la
fleur flétrie, la vie âgée, et ce qu’ils racontent bruit
vide ; partout, je suis un étranger. » Il apparaît sous sa
forme originelle dans la deuxième partie de la Fantaisie,
l’adagio, où il donne lieu à une série de variations ;
mais on reconnaît le pas du Wanderer dans le rythme
dactylique du thème initial (allegro con fuoco, ma non
troppo), dans sa variante pointée du scherzo et dans
son avatar fugué du finale. Et, de dérivations en rebondissements, c’est l’œuvre entière qui est prise dans
ses rets. Ainsi Schubert a-t-il réussi son impossible
pari : pousser la forme classique jusqu'à sa désintégration (la fugue finale, par exemple, se dissout après
quelques mesures dans une quasi-improvisation) tout
en demeurant d’une irréprochable cohésion.
Claire Delamarche
notes de programme | 7
l’invention du sentiment
biographie
Alain Planès
De l’université d’Indiana à
Pierre Boulez : c’est ainsi
que pourraient, en raccourci, se dessiner les
débuts de la carrière
d’Alain Planès, devenu,
depuis lors, l’un des
pianistes les plus remarqués de sa génération.
Il fait ses études à Lyon –
où il donne son premier
concert avec orchestre à
l’âge de huit ans – puis au
Conservatoire de Paris.
Jacques Février a été son
mentor. Alain Planès part
ensuite se perfectionner
aux États-Unis.
À Bloomington, il travaille
avec Menahem Pressler
(le pianiste du fameux
Beaux-Arts Trio), Janos
Starker, György Sebök et
William Primrose.
Il devient le partenaire de
Janos Starker et commence à donner de
nombreux concerts aux
États-Unis et en Europe.
Pierre Boulez lui propose
de devenir, dès la création
de l’Ensemble
Intercontemporain,
pianiste soliste de cette
formation (où il restera
jusqu’en 1981).
8 | cité de la musique
Sa carrière de soliste le
conduit dans les plus
grands festivals (Festival
d’art lyrique d’Aix-enProvence, Montreux,
La Roque d’Anthéron,
la Folle journée de
Nantes...). Très proche de
Rudolf Serkin, il est un
des jeunes « seniors » du
prestigieux festival de
Marlboro. En musique de
chambre, Alain Planès a
été le partenaire de
Maurice Bourgue, Shlomo
Mintz, Michel Portal, ainsi
que celui des quatuors
Prazak et Talich. Il a joué,
entre autres, avec
l’Orchestre de Paris,
l’Orchestre national de
France, les orchestres de
l’Opéra de Paris, la
Monnaie de Bruxelles.
Il assume la direction
musicale du Carnet d’un
disparu de Janácek mis
en scène par Claude
Régy, qui a fait
l’événement au Festival
d’Aix-en-Provence en
2001. Révélé au disque
par Janácek, Alain Planès
a notamment gravé pour
Harmonia Mundi une
intégrale de Sonates de
Schubert qui, comme ses
derniers disques
consacrés aux Préludes
de Debussy et Chopin,
a été saluée par la critique
internationale. Son dernier
disque, dédié à Haydn,
a reçu un « Choc » du
Monde de la musique
et un « Diapason d’or ».
technique
régie générale
Didier Belkacem
régie plateau
Eric Briault
régie lumières
Valérie Giffon

Documents pareils

Téléchargez le livret

Téléchargez le livret Schubert mettait un point final à la WandererFantasie en ut majeur, résultat d’une commande d’un « riche particulier » viennois, son exact contemporain, Emanuel Karl von Liebenberg, élève de Hummel...

Plus en détail

THÉÂTREDE ST-QUENTIN- EN-YVELINES LE VOYAGE D`HIVER

THÉÂTREDE ST-QUENTIN- EN-YVELINES LE VOYAGE D`HIVER auprès de Peter Brook. Il participe aux plus célèbres spectacles du metteur en scène anglais au Théâtre des Bouffes du Nord et à travers le monde comme La Conférence des oiseaux, Le Mahabharata ou ...

Plus en détail