Chapitre 2

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Chapitre 2
Est-ce toi que je veux ?
Tina Berthley
II
New York, mercredi 21 avril 2010
Nora était sur des charbons ardents car il ne lui restait plus que deux jours pour trouver la
perle rare. Finalement, sa décision n’était plus de faire croire à une quelque rupture à ses
parents.
« Et ce téléphone qui n’arrête pas de sonner ! »
L’envie la démangeait de l’envoyer contre un mur. Jamais la technologie ne lui était
apparue aussi détestable. Depuis ce matin, elle ne cessait de répondre, dérangée à chaque
instant lorsqu’elle remettait le nez sur l’affaire des quatre hommes morts, essayant d’élucider
certains points mystérieux.
Le combiné portatif fut attrapé d’un geste rageur à la quatrième sonnerie.
- Entreprise Stockwell et Stockwell, répéta-t-elle avec une lassitude amère.
- Je suis Joséphine Miles, j’ai déjà téléphoné trois fois aujourd’hui…
Les yeux de Nora se fermèrent tandis que sa tête bascula vers l’arrière et qu’un gros
soupir vint contenir son envie pressante de s’emporter contre l’intruse. Voilà une bonne
femme qui ne lâchait pas prise.
Elle se souvenait même d’elle pour l’avoir vue dans les locaux de la compagnie. C’était la
caricature parfaite de la grande blonde pulpeuse que tous les hommes souhaiteraient avoir
dans leurs bras… et dans leur lit.
- Je sais qui vous êtes, répondit-elle.
- Est-ce que Kyle est là ? Je voudrais le remercier pour ses fleurs, susurra-t-elle.
- Mademoiselle, je crois que vous n’avez rien compris depuis ce matin.
- Pardon ?
Kyle choisissait vraiment ses femmes pour leur corps et non pour leur esprit !
Nora ouvrit les yeux et plaça les deux coudes sur le bureau. Ses yeux flamboyaient d’une
colère non dissimulée. Les quelques personnes qui passaient devant elle furent surprises par
ce changement.
- Il ne veut plus entendre parler de vous. Suis-je assez explicite ? lui avoua-t-elle
sèchement.
- Je ne vous crois pas ! Pourquoi m’aurait-il envoyé des fleurs ?
- Désolée de vous l’apprendre, mais c’est pour rompre.
- Je ne vous crois pas !
Tôt ce matin, Kyle lui avait demandé de téléphoner au fleuriste pour commander et
adresser un bouquet de fleurs à la jeune femme avec pour seul mot son prénom. Aucune
marque affective comme il le faisait d’habitude. Et surtout son client lui avait ordonné, chose
qu’elle n’aimait pas du tout, de ne plus lui passer le moindre coup de fil de Joséphine.
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La seule chose que Nora eut à l’esprit fut de lui raccrocher au nez. Mais elle songea que
cette pauvre femme n’était en rien fautive. Elle n’était qu’une victime comme tant d’autres.
Le coupable portait le nom de Kyle Stockwell. Tout le mal occasionné à ses conquêtes allait
être réglé rubis sur ongle dès à présent.
- Attendez une petite seconde... Monsieur Stockwell, il y a un appel pour vous sur la une.
- Qui est l’interlocuteur ?
- Vous le saurez bientôt.
Elle bascula la ligne avant qu’il ne réplique autre chose.
Cinq minutes plus tard, l’interphone se mit à sonner.
- Mademoiselle Davidson, dans mon bureau !
Nora chaussa ses affreuses chaussures avant d’obtempérer. Elle avait à peine franchi le
seuil qu’il commença à l’incendier.
- Pour quelle raison me l’avez-vous passée ? gronda-t-il.
Elle prit le temps de refermer derrière elle et de se positionner bien en face de lui avant de
répondre.
- Je ne suis pas votre standardiste ! répliqua-t-elle sur le même ton. Comment voulez-vous
vous débarrasser d’elle en lui envoyant des fleurs sans aucune explication ?
Il rajusta une mèche rebelle qui lui tombait sur l’œil.
- A vrai dire, je n’en sais rien. Ne plus répondre à ses appels est assez clair…
- Si vous ne voulez plus revoir une femme, faites-lui comprendre vous-même de vive voix
au lieu de vous cacher dans votre bureau ! Je plains vraiment votre secrétaire de la tâche
qu’elle accomplit chaque jour pour vous !
- Je m’en aperçois. C’est la première fois qu’on m’admoneste ainsi.
- J’ai pour habitude de dire ce que je pense, et ce, à qui que ce soit…
- Effectivement, je l’ai déjà constaté. Avoir toujours raison auprès de mes employés en
devient assommant… Je vous admire, vous avez du caractère, ajouta-t-il en éclatant de rire.
Son rire la séduisit bizarrement. C’était la première fois qu’il se permettait de rire devant
elle alors que d’ordinaire, il avait un tempérament froid et distant…
« Tout comme moi », conclut-elle intérieurement.
- Je ne suis pas à la tête d’une équipe pour rien.
- Je m’en rends compte.
- Fumez-vous moins ? demanda Nora en sautant du coq à l’âne.
- Je suis passé à un paquet et demi grâce à votre aide si précieuse. Vous êtes un ange.
Vous ne voulez pas quitter le F.B.I. pour vous joindre à nous ? s’enquit-il le plus sérieusement
du monde.
- Je vous remercie pour votre offre mais je suis attachée à mon travail et surtout à mon
équipe.
Pourquoi se justifiait-elle ?
- Je vais vous avouer quelque chose : j’aime nos discussions, je ne sais jamais comment
elles se finiront. Si vous avez une dent contre moi, vous me le faites savoir sur-le-champ.
Vous n’êtes pas… une menteuse, finit-il par dire.
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- Qu’en savez-vous ?
- Du moins avec moi. Néanmoins pour ce qui est des autres personnes, ma foi, je ne
saurais le dire.
Nora, à son habitude, s’assit sur le bord du bureau, près de Kyle. Elle n’arrivait jamais à
rester bien longtemps perchée sur ces chaussures.
- Cher monsieur Stockwell, il y a moins d’une semaine, j’ai menti à ma mère.
- Que lui avez-vous dit ?
Mais pourquoi lui parlait-elle de ses affaires personnelles ? Peut-être parce qu’au fond,
Kyle Stockwell lui ressemblait beaucoup. Intransigeant, froid avec son monde, ne souriant
qu’en de rares occasions.
- Que j’avais un petit ami ! lâcha-t-elle après quelques secondes où elle faillit tourner les
talons.
- Et ce n’est pas vrai ?
- Non... Elle vient après-demain et je n’ai personne à lui présenter. Qui plus est, je lui ai
fait une description de cet homme.
Kyle parut réfléchir quelques secondes.
- Et si vous louiez un homme ? Une de mes amies a ouvert sa propre agence d’hommes à
louer. Je vous donne l’adresse et vous n’avez qu’à vous y rendre dès maintenant pour pouvoir
le choisir à loisir.
- Et qui occupera ma place de secrétaire ?
Kyle lui tendit un papier. Il y avait griffonné l’adresse de l’agence.
- Ne vous inquiétez pas et filez.
Nora se leva à contrecœur, le post-it tenu entre deux doigts, prêt à être lâché à tout instant.
Pourquoi s’était-elle livrée aussi facilement à lui ? D’ordinaire, elle gardait tout pour elle. Elle
était faite de fer et rien ne devait transparaître dans ses faits et gestes.
- Je m’aperçois que vous vous habituez à vos talons.
- Oui. En une semaine, on apprend vite même si j’ai encore du mal à marcher
correctement. Allez, bonne fin de journée.
Elle s’éclipsa aussi vite que possible.
« Quelle honte ! »
Nora pénétra dans un bâtiment de trois étages d’un style très ancien après avoir sonné et
décliné son identité à l’interphone. Elle s’engouffra dans l’ascenseur et monta au dernier étage
avec appréhension.
Une plaque dorée sur la porte la pria de sonner avant d’entrer. Une fois dans le couloir,
elle se mit à chercher la salle d’attente. La décoration autour d’elle montrait la raffinerie
féminine de son occupante. La salle d’attente enfin trouvée, sa respiration se relâcha en
constatant qu’aucune personne n’attendait son tour. Il était déjà bien assez difficile d’être dans
les locaux. Des gens en plus l’auraient rendue encore plus nerveuse.
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Nora se posta près de la fenêtre.
Cinq jeunes garçons, d’environ vingt ans, s’approchèrent près... très près de sa voiture de
sport. Ils tournèrent autour du véhicule avec des sifflements, mettant leurs sales pattes sur ses
vitres pour scruter à l’intérieur. En alerte, la jeune femme déboutonna son holster et sortit son
arme, prête à les mettre en joue. Mais ceux-ci finirent par partir en se retournant pour admirer
une dernière fois la Luciano.
Quelle folie son père avait-il faite en achetant une voiture comme celle-ci ! Mais il
suffisait de la regarder pour lui pardonner cet achat considérable.
Sa tête gesticula de gauche à droite. Que faisait-elle ici en train d’attendre pour louer un
homme ? Etait-elle devenue folle ? Ce n’était pas son genre. Dès demain tout serait avoué à
ses parents.
Forte de ses résolutions, elle allait partir quand un bruit de pas l’avertit d’une présence.
Elle fit volte-face devant une femme blonde au visage horrifié.
- Ne me faites pas de mal, je vous donnerais tout ce que vous voulez !
- Que dites-vous... Je vois, ajouta-t-elle en rangeant son arme. Je ne vous veux aucun mal.
- Pourquoi cette arme, alors ?
- Voyons, je l’ai rangée. Ne faites pas votre mijaurée. Je l’ai sortie car je pensais qu’on
s’en prendrait à ma voiture.
La blonde satisfaite de cette réponse fut soudainement soulagée. Sa main droite se posa
sur son sein gauche.
- Vous portez toujours un revolver sur vous ?
- Toujours. Je suis du F.B.I.
- Et que puis-je faire pour vous ?
- Je… je… au final, c’était une mauvaise idée de venir ici, rétorqua-t-elle en passant
devant elle.
- Pas si vite.
Nora s’arrêta en plein milieu du couloir.
- Vous êtes la demoiselle qui travaille avec Kyle, est-ce bien cela ?
Nora inspira lentement. Kyle avait donc appelé son amie.
- Apparemment, c’est bien vous, dit-elle sans attendre sa réponse. Venez dans mon
bureau, ajouta-t-elle en lui saisissant le bras pour l’entraîner.
Mal à l’aise par cette promiscuité, Nora s’installa dans un fauteuil face à la jeune femme
qui lui présenta trois gros classeurs.
- Vous avez une préférence ?
- Je vous ai dit que je ne voulais plus…
- Si vous êtes ici ce n’est pas pour rien. Alors, je vous écoute.
« Et puis, qu’ai-je à perdre ? »
Elle avait au contraire tout à y gagner. Sa mère stopperait ses questions personnelles
concernant sa vie amoureuse. Elle devait sauter sur l’occasion sans perdre un instant.
- Cheveux blonds et des yeux gris, informa-t-elle du bout des lèvres.
- Vous êtes très pointilleuse sur les détails.
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- Vous en avez un ? demanda Nora d’un ton sec.
Son hôtesse haussa les épaules.
- J’ai trois classeurs, nous allons nous mettre à sa recherche.
Une demi-heure passa sans que ni l’une ni l’autre ne tombent sur l’homme idéal.
- Malheureusement, il n’y en a pas... Mais n’y a-t-il pas un autre homme qui vous plaise ?
- Absolument pas. Il me faut un homme blond aux yeux gris. J’ai décrit cet homme à ma
mère et elle a décidé de venir nous voir. Si elle ne le rencontre pas, elle saura que j’ai menti.
Sa mère était son point faible.
- C’est fâcheux. Je ne peux rien faire pour vous. Tous les hommes que j’ai embauchés
sont dans ces classeurs. Je suis désolée.
- Tant pis. Ce n’est pas une fatalité. Je trouverai bien quelque chose à lui raconter. Je vous
remercie de m’avoir consacré votre temps. Combien vous dois-je ?
- Mais rien, dit-elle en lui tendant la main.
Tout ce temps perdu. L’amie de Kyle n’y était pour rien. Elle en était l’entière fautive.
Nora dépassa la plante verte entreposée à l’entrée et allait franchir la porte quand la voix
de la blonde l’en empêcha.
- Attendez, je ne voudrais pas vous donner un faux espoir mais je connais une personne
qui serait susceptible de correspondre à vos critères. Je me demande comment j’ai pu
l’oublier.
Le cœur de Nora se mit à battre vite.
- Cheveux blonds et yeux gris ?
Et si c’était Kyle ? Quelle honte !
- Oui. Si vous voulez bien patienter une seconde, le temps que je l’appelle.
- Ce ne sera pas…
Mais déjà la jeune femme avait disparu de sa vue. Pénétrant à son tour dans le bureau de
celle-ci, elle la vit composer un numéro de téléphone sans consulter son répertoire.
- Bonjour Michaël, c’est Joanna... Tu te rappelles que tu me dois toujours deux services...
Pourrais-tu accompagner une de mes clientes ?... C’est pour quand ce rendez-vous ?
demanda-t-elle à Nora.
- Vendredi soir.
- Après-demain, en soirée, ça te va ?... Bien. Je te préciserai plus tard les détails. Ciao…
Voilà tout est réglé, ajouta-t-elle à son adresse en raccrochant.
- Je vous remercie. Mais cela n’était plus nécessaire.
Joanna eut un rire haut perché.
- Voyons très chère, vous êtes venue ici dans un but bien précis. A présent nous avons
trouvé la perle rare.
Prenant place à nouveau en face de son interlocutrice, elles parlèrent des tarifs et des
horaires ainsi que de l’adresse où Michaël devait se rendre.
Dans sa voiture, Nora poussa un soupir de soulagement. Heureusement que l’homme
n’était pas Kyle Stockwell.
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Le hall de l’immeuble s’illumina dès l’entrée de Nora. Les prospectus dans la boîte aux
lettres furent jetés immédiatement dans la poubelle murale. Aucun pli personnel ne lui était
dédié.
Au loin, les portes de l’ascenseur s’ouvrirent sans un bruit.
Nora frissonna malgré elle en apercevant son voisin qui s’avançait vers elle. Trop tard !
Elle ne pouvait plus l’esquiver. Son frémissement reprit de plus belle. Son voisin n’était autre
que le neveu de John Morrison, son patron. Il avait pris la fâcheuse habitude de la saluer avec
entrain depuis qu’elle osait s’habiller en femme.
- Bonjour voisine! s’exclama-t-il en plaquant quatre bises sonores sur ses joues.
La main de Nora se tendit instinctivement vers le cou du pauvre malheureux qui s’était
hasardé à la toucher. Une sainte horreur d’être touchée ainsi la mettait en rogne.
- Bonjour, grommela-t-elle en relâchant la pression.
Elle n’allait tout de même pas frapper cet imbécile.
- Quelle technique ! s’extasia-t-il. Je vais beaucoup apprendre avec vous. Mon oncle avait
raison. Et comment allez-vous, aujourd’hui ?
« Bien, avant de vous voir », songea-t-elle.
Ce crétin ne s’était pas rendu compte qu’il était passé à deux doigts de se faire cogner.
- Excusez-moi, je dois vous laisser, je suis pressée ; ajouta-t-elle pour se soustraire de
cette vue répugnante.
Nora le contourna et se dirigea vers l’ascenseur, suivie de très près par Collespot.
Pourquoi l’avait-on surnommé ainsi ? Tout simplement parce que les joues du jeune homme
s’accentuaient par des boutons de puberté tardifs qui plus est collants. Au début, il la saluait
de la main à son grand soulagement. Mais depuis qu’elle avait commencé à se vêtir de
manière plus féminine, il s’était pris tout à coup d’amitié pour elle. Si elle l’avait su, elle se
serait changée dans les locaux du F.B.I. Elle ne voulait pas peiner John en rejetant
brutalement son neveu fragile de corps et d’esprit. Grand et chétif, roux de surcroît, il donnait
l’image d’un gringalet pas trop débrouillard.
A tout moment de la journée, depuis sa métamorphose, il essayait de s’incruster chez elle,
prétextant lui apporter des nouvelles de son oncle.
Elle prit conscience qu’il avait cessé de parler et qu’il attendait une réponse.
- Oui ?
- Bien, à demain alors !
La porte de l’ascenseur se referma sur elle avant qu’elle puisse lui faire répéter sa
question.
A quoi avait-elle donné son approbation ? Cela lui apprendrait à ne pas écouter les gens
ennuyeux.
Elle haussa les épaules.
Que pouvait-il bien mettre comme produit sur le visage ? Elle trembla de nouveau au
souvenir désagréable des joues contre les siennes. Au diable ce type !
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Elle laissa échapper un rire en songeant qu’il portait bien son véritable nom: Bob
Lemoche.
Ses yeux s’agrandirent.
Et si l’homme du lendemain lui ressemblait ?
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