Christine Janin, première Française à l`Everest

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Christine Janin, première Française à l`Everest
LE FIGARO.FR LA MATINALE
Pays : France
Périodicité : Quotidien
Date : 29 JUIL 15
Page de l'article : p.203-206
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1990 : Christine Janin, première Française à l'Everest
LES SOMMETS DE LA GLOIRE (3/6) - À l'occasion des 150 ans de l'âge d'or de l'alpinisme, retour sur
quèlques ascensions qui ont marqué l'histoire de la discipline, commentées par leur auteur.
«Je ne suis pas alpiniste», lance d'entrée Christine Janin Tout de même, première Française à l'Everest,
ce n'est pas rien. «Bien sûr, mais il ne faut pas me comparer aux plus grands, les Desmaison, Bonatti,
Messner, Profit, Destivelle...». L'Himalaya fut un temps son domaine: «Jaime ces montagnes et leurs
populations» (ce printemps, elle est allée au Népal, pour apporter son aide, après le terrible tremblement
de terre qui venait de ravager Katmandou). Mais, contrairement aux «plus grands», sa vie en hauts lieux
n'a duré qu'un peu plus d'une décennie, commencée en 1981, au Gasherbrum ll (8035 m). Coup d'essai,
coup de maître, ce géant pakistanais fait d'elle la première Française à atteindre 8000 rn d'altitude sans
oxygène.
«Une opportunité, résume-t-elle. J'étais alors en sixième année de médecine et je faisais partie d'un
groupe de grimpeurs, à Fontainebleau. Un copain qui préparait l'internat m'a proposé de le remplacer
comme médecin de l'expédition. J'ai dit oui tout de suite, alors que je n'avais même jamais fait le mont
Blanc.» Sacré numéro que cette petite blonde à la jolie frimousse, grande sportive devant l'éternel. «J'étais
en forme, je faisais du marathon, de la voile, de l'escalade et beaucoup de raids à ski. J'ai dit à ma mère
que je ne dépasserais pas le camp de base, pour la rassurer, mais je n'osais moi-même imaginer que
j'irais au sommet.» En 1986, la voilà à nouveau championne de France à l'Hidden Peak (8068 m), au
Pakistan également. «J'aime être la première», lâche-t-elle sans fausse modestie.
Le challenge des dames
En cette fin des années 1980, neuf femmes (contre quelque 300 aujourd'hui) ont marché sur le Toit du
monde. Mais pas une seule Française. Dans le microcosme des ascensionnistes tricolores, l'Everest est
LE challenge de ces dames (les messieurs, Jean Afanassieff, Pierre Mazeaud et Nicolas Jaeger en tête,
ont emporté le morceau en 1978). Une douzaine de filles sont en lice. Christine Janin se frottera au
monstre en 1989, versant tibétain, en compagnie d'Éric Escoffier: «Les mauvaises conditions météo nous
ont obligés à rebrousser chemin, à 7800 rn d'altitude. Mais cela m'a permis de démythifier la montagne.»
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La deuxième tentative sera la bonne, en 1990,
lors d'une expédition menée par Marc Bâtard.
Objectif: la voie normale, par l'arête sud-est,
versant népalais. Autrement dit l'itinéraire
historique, celui qu'empruntèrent le NéoZéiandais Edmund Hillary et le sherpa Tensing
Norgay, premiers humains à fouler, le 29 mai
1953, à 11 h30, le sommet suprême, 8 848 rn
:
d'altitude au-dessus du niveau de la mer.
L'approche de Sagarmatha, nom népalais du
point culminant de la Terre, commence par
250 km à pied, à raison de six heures de marche
quotidienne pendant dix jours, depuis
Katmandou, à 1000 rn d'altitude, jusqu'au camp
de base, 5 200 m. «Ce n'est pas désagréable,
commente Christine Janin. Cela permet de
s'acclimater, on traverse des villages, on dort
dans des lodges et on voyage léger, juste un sac
à dos.» Matériel et ravitaillement sont, en effet, acheminés à dos de yack. Et à dos d'homme également,
ces formidables porteurs d'altitude sherpas dotés d'une force herculéenne.
ïverest;
Le 5 septembre 1990, après 10 jours et 250 km de marche, les alpinistes atteignent le camp
de base de l'Everest, à 5200m d'altitude. - Crédits photo : Pascal Tournaire
Une idée de génie
Une fois au camp de base, il faut s'armer de patience, faire preuve de persévérance et croiser les doigts.
«L'Everest, c'est 25.000 rn de dénivelé, car on progresse par étapes, d'un camp à l'autre, et quand ça ne
passe pas, il faut redescendre. Et recommencer. C'est rageant, mais c'est le jeu, et là, le mental devient
très important. De plus, en 1990, il n'y avait pas, comme aujourd'hui, de météorologue à Chamonix pour
nous indiquer les fenêtres météo. On fonctionnait au pif.» Seuls quatre membres de l'expédition
toucheront au but, Marc Bâtard, Erik Decamp, le photographe Pascal Tournaire et Christine Janin. «Cette
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ascension était sublime, il faisait beau, le temps était stable et sans vent. Pour réussir l'Everest, il faut
aussi être là au bon moment.»
À deux jours près, elle rentrait bredouille. Arrivée au camp de base le 5 septembre, elle ne décrochera le
Graal qu'un mois plus tard, alors que l'expédition touchait à sa fin. Après deux semaines de va-et-vient
avec le camp de base pour équiper la voie et installer les camps I, ll et lll, perches respectivement à
6100 m. 6300 rn et 7300 m. Et avec, à chaque fois et dans chaque sens, la traversée obligée de rice Pali:
trois heures d'un périlleux slalom avec échelles et cordes fixes tendues entre les séracs et les crevasses
de cette gigantesque cascade de glace. Dès le 15 septembre pourtant, Christine Janin et trois de ses
compagnons étaient montés jusqu'à 7880 m, au camp IV établi au col sud. Et redescendus. Puis remontés
le 22 septembre pour donner l'assaut. En vain. Et rebelote le 27 septembre.
Exténuée, les bronches irritées par une toux sèche (froid et manque d'oxygène), Christine Janin
redescendra, seule, fin septembre, jusqu'à Lobuche, le premier village, à 5000 rn d'altitude, pour se
ressourcer. Une idée de génie. Le 3 octobre, regonflée à bloc, elle regagne, en trois heures, le camp de
base. Monte le lendemain comme un bolide au camp I, arrive à 11 heures, avale une tasse de thé et fonce
jusqu'au camp ll où se trouvent Marc Bâtard et Pascal Tournaire. À 14 heures, elle les a rejoints. Et part
avec eux, à 15 heures, pour le camp lll, trois heures plus haut. La nuit sera courte, mais le jour qui suivra
le plus long de l'expédition. Réveil à 1 heure et en route à 3h30 avec Pascal Tournaire, deux malheureux
biscuits et un café dans l'estomac, au final son unique repas de la journée.
Le jour le plus long
Ce 5 octobre 1990, il fait beau mais très froid, si froid, moins 40°, qu'à 8 heures et 8000 m, au col Sud,
Christine Janin craque - ce n'était pas prévu - pour une petite bouteille d'oxygène pour requinquer ses
bronches endolories. Pascal Tournaire marche en tête, ils ne sont plus encordés. «Après le camp IV, c'est
un peu chacun pour soi. Au-dessus de 8000 m, il faut trouver son rythme. On fait dix pas. Puis dix à
nouveau. Puis cinq seulement... La pente est raide mais pas extrême, 45 degrés. À un moment, dans la
dernière montée, je me suis demande si j'allais ou non continuer. Puis j'ai décidé d'y aller, tranquillement,
et je ne me suis plus posé de questions.»
À 16 h 45, le coucher de soleil les cueille tout là-haut. Vingt minutes d'éblouissement, le monde à leurs
pieds. Ils soulèvent leurs masques à oxygène pour s'embrasser, font des photos. Sans pour autant crier
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victoire. «Ce n'était pas gagné, il fallait encore
redescendre par le même chemin, or il était tard,
c'était limite. Ce n'est qu'une fois en sécurité, le
lendemain au camp de base, et après la nuit au
camp IV, que j'ai réalisé ce que je venais de faire
et éprouvé un grand moment de plénitude.» Un
exploit que cette ascension en trente-quatre
heures chrono depuis le camp de base, avec une
seule nuit au camp lll, alors qu'habituellement, il
faut trois jours, avec arrêt à chaque camp.
Quatre ans plus tard, le docteur Janin créait «À
chacun son Everest», une association destinée à
aider les enfants malades du cancer à «guérir
mieux» grâce à la montagne, à laquelle elle se
consacre depuis, à Chamonix. Alors pourquoi ne
pas l'avoir appelée «À chacun son mont Blanc»?
«Parce que l'Everest est unique. Il fut pour moi
bien plus qu'un sommet, un chemin de vie, et
c'est précisément ce que viennent chercher les
enfants que nous accueillons.» Chaque 5
octobre, depuis vingt-cinq ans, Christine Janin
fête Sagarmatha: «J'envoie un message à Pascal
Tournaire pour lui souhaiter bon anniversaire.»
Bio express
1957 - Naissance à Rome
1973 - Découvre l'escalade à Fontainebleau
1981 - Au Gasherbrum ll (Himalaya): première Française à plus de 8 000 rn sans oxygène
1982 - Docteur en médecine
1990 - Première Française à l'Everest
1992 - Première Européenne victorieuse du challenge Seven Summits
1994 - Fonde «À chacun son Everest»
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