Interview d`Esther Freud à propos de son livre

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Interview d`Esther Freud à propos de son livre
Interview d’Esther Freud à propos de son livre
Nuits d’été en Toscane
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Après le très bel accueil réservé à 'La Maison mer', l'Anglaise Esther Freud est de retour en
France avec 'Nuits d'été en Toscane'. Le roman troublant des vacances italiennes d'une
adolescente de 17 ans, aux prises avec une figure paternelle magnétique et la découverte
des plaisirs charnels.
Arrière-petite-fille du père de la psychanalyse et fille d'un monstre vivant de la peinture,
Esther Freud se balance aux branches d'un illustre arbre généalogique. Si elle a choisi dans
l'écriture d'autres voies que celles qu'ont empruntées ses ancêtres, la jeune femme n'a de
cesse d'explorer la mémoire familiale à travers une œuvre de fiction qui fait la part belle à la
psychologie des personnages, aux liens du sang et à la prégnance des lieux. Plus léger, plus
linéaire, mais tout aussi riche de révélations que ses prédécesseurs, 'Nuits d'été en Toscane'
recèle toute la sensibilité d'une écrivain coincée dans les filets de l'enfance et traversée par
d'inépuisables souvenirs.
Vous dites que vos romans ont tous un fond autobiographique. Est-ce également le cas de
Nuits d'été en Toscane ?
Oui, ce roman-ci plus que les autres, peut-être. J'ai pour habitude de construire une histoire
autour d'un souvenir personnel. Ici, je voulais étudier la relation très formelle entre un père
et une jeune fille à peine sortie de l'enfance, et son évolution dans un contexte d'intimité
nouveau. Cette situation m'interpelle parce que j'ai moi-même commencé à véritablement
connaître mon père lorsque j'étais adolescente. C'est l'idée de cette relation naissante qui
est à l'origine du livre. Puis j'ai souhaité emmener mon personnage en Toscane, dans une
végétation luxuriante qui fournissait le cadre idéal à l'épanouissement et à l'éveil de la jeune
Lara comme à la construction narrative du drame. La puissante beauté de l'Italie affecte
quiconque la découvre, aussi pouvait-elle participer activement au double enjeu du roman.
Après le Maroc dans 'Marrakech Express' et le Suffolk dans 'La Maison mer', vous voici en
Toscane. Vos romans sont également des voyages, baignés de cultures différentes...
Je crois que dans certains romans, le lieu est aussi important que les personnages, qu'il est
lui-même un acteur majeur de l'intrigue. Le cadre est fondamental pour moi. Dans 'La
Maison mer', le Suffolk est sans doute le point de départ du roman. En ce qui concerne
'Marrakech Express', lorsque vous vous trouvez au Maroc, la culture et le décor de ce pays
sont tellement impressionnants que vous ne pouvez les oublier ne serait-ce qu'une seconde,
à l'inverse de Londres, par exemple, qui n'a pas tant de caractère.
On dit que l'adolescence est l'âge de tous les possibles. C'est ce que votre roman tend à
prouver…
Je ne connaissais pas cette expression, mais je l'aime beaucoup. Je sais, de ma propre
expérience, que lorsque vous êtes entre l'enfance et l'âge adulte, les gens attendent de vous
que vous preniez une décision, que vous choisissiez une voie, selon votre caractère et votre
humeur. C'est un âge passionnant, compliqué également, pour celui ou celle qui, à ses 17
ans, doit découvrir ce qu'il aime, ce qui l'intéresse. Et c'est encore très délicat parce qu'en
prenant telle ou telle direction, on prend le risque de se fermer à d'autres options, d'autres
sources d'émotions fortes. Aussi faut-il rester ouvert, autant que possible.
Est-ce également le moment où la vie de Lara commence véritablement, grâce à la
découverte de son père ?
Oui, je crois que lorsque vous entretenez une relation d'intimité et de confiance avec l'un de
vos parents, au mieux avec les deux, cela vous donne le courage et la tranquillité nécessaires
pour grandir. Pour la première fois, Lara a le sentiment d'être aimée, elle se sent belle. Le
traumatisme dont elle a souffert et qu'elle a gardé comme une plaie ouverte à l'intérieur
peut alors commencer à se résorber.
Ce roman est-il une sorte d'hommage à votre père, Lucian Freud ?
C'est une lettre d'amour. Alors que j'écrivais ce livre, mon père a commencé à devenir vieux.
Jusqu'à l'âge de 82 ans, il ne l'était pas vraiment. Puis tout a changé assez soudainement,
comme c'est souvent le cas. Lorsque j'ai terminé 'Nuits d'été en Toscane', j'étais très
heureuse d'avoir passé deux ans à penser à mon père ainsi et à sa relation fictionnelle avec
Lara. Aujourd'hui, il a tant vieilli qu'il serait très compliqué pour moi d'écrire cette histoire.
Le livre, qui repose sur la notion du syndrome d'Oedipe, regorge de symboles incarnant le
passage à l'âge adulte et la découverte de la sexualité. Faut-il y voir un intérêt pour la
psychanalyse ?
En réalité, de nombreux détails de mon livre sont issus de faits réels, de lieux réels. Je
n'aurais jamais pu imaginer quelque chose comme "le chemin érotique" ou "la cascade de
l'amour". Lorsque l'on m'a parlé de ces endroits, j'ai ri. Mais parce qu'ils étaient réels, je me
suis dit que je pouvais les utiliser dans le livre, que leur symbolique évidente pourrait passer.
Je suis naturellement attirée par la psychologie des gens, la manière dont leur passé et leur
environnement les affectent. Je me réfère instinctivement à la psychanalyse. Selon les livres,
je connais plus ou moins les motivations et les réactions de mes personnages. Parfois, je les
découvre en creusant leur histoire lors de l'écriture, progressivement. Dans 'Nuits d'été en
Toscane', l'enjeu était surtout de trouver comment révéler les secrets des personnages,
comment comprendre les non-dits et répondre aux questions que l'on n'ose pas poser au
sein des familles mais qui sont pourtant libératrices. J'espère qu'au final le lecteur en aura
appris suffisamment sur ce père, les raisons de sa douleur, de son silence et de sa honte.
À la lascivité et au luxe des vacances de Lara et de son père en Italie, se superpose le
souvenir d'un voyage initiatique chaotique avec sa mère en Inde. Que révèle ce contraste ?
J'évite de juger les personnages et leurs actions. Et si finalement la comparaison entre ces
deux situations s'avère lourde de sens, ça n'était pas le but de cette juxtaposition. Bien sûr,
cette opposition entre deux modes de vie totalement différents prouve que s'il existe
plusieurs façons de vivre, le confort matériel n'est pas toujours le meilleur moyen de trouver
le bonheur, bien que nous passions notre vie à courir après l'argent. J'ai observé, au cours de
mes nombreux voyages, que le fait de quitter l'endroit où l'on vit et de se confronter à
d'autres réalités ouvre de nouvelles perspectives. Cela permet notamment de se souvenir
d'autres voyages et, inconsciemment, de faire le parallèle entre ces expériences qui nous en
apprennent beaucoup sur nous-mêmes. Aujourd'hui, alors que je suis à Paris, je prends le
temps de penser à ma vie à Londres avec du recul. En incluant cette jeunesse exotique aux
vacances toscanes, je voulais surtout comprendre comment fonctionne le cerveau lorsque
l'on perd ses repères, et montrer que la vie est faite de nombreuses strates et de multiples
voyages.
On retrouve une certaine forme de nostalgie dans vos romans. Est-elle pour vous un
moteur de l'écriture ?
Quand vous écrivez sur le passé, quel qu'il soit, vous devez mentalement faire le voyage dans
le temps. Vous retrouvez la beauté et l'intensité des sentiments éprouvés alors, mais vous
pouvez également vous souvenir de l'embarras, de la confusion ou de la douleur. Aussi je
crois qu'il s'agit moins de nostalgie que de la capacité à habiter un temps et un espace qui
appartiennent au passé.
Dans 'La Maison mer', l'héroïne retrouve des lettres d'amour d'un mari à sa femme et
trouve sa propre relation bien terne au regard de cette passion épistolaire. Vous sentezvous aussi parfois écrasée par le poids du passé ?
Je considère plutôt que je suis chanceuse de compter parmi les membres de ma famille des
personnages hors du commun. D'une certaine manière, ils vivent en moi et bousculent ma
propre personnalité réservée. Mais dans le cas de ces lettres, puisque j'ai moi-même lu
celles de mon grand-père, il est vrai que leur force m'a permis de m'interroger sur ma
relation avec mon compagnon. J'ai compris à quel point nous étions indépendants alors que
mes grands-parents étaient inextricablement liés, qu'ils se reposaient complètement l'un sur
l'autre. Cela m'a finalement inspiré et convaincu d'être plus vulnérable, plus confiante.
Sur quel livre travaillez-vous en ce moment ?
J'ai presque terminé mon nouveau roman. En tout cas je l'espère. C'est une série de
nouvelles qui ont pour mêmes personnages des acteurs et qui courent sur une quinzaine
d'années. On les retrouve à différentes étapes de leur vie pour découvrir ce contre quoi ils
luttent. Le livre se divise en trois parties. Dans la première, ils ont entre 18 et 20 ans ; c'est la
période avec laquelle je suis le plus à l'aise. Dans la seconde, ils ont autour de 25 ans. Enfin,
dans la dernière partie que j'écris actuellement, ils sont trentenaires. Et là c'est très
compliqué pour moi (rires).
Pourquoi est-ce si difficile pour vous de vous projeter au-delà de la jeunesse ?
Mes souvenirs des événements de l'enfance sont si forts que de nombreux détails me
reviennent. Lorsque j'écris sur des trentenaires, je ne parviens pas à m'accrocher à des faits
précis. Peut-être est-ce parce qu'ils ne vivent pas ces expériences pour la première fois, mais
qu'ils s'accommodent de la vie et de la répétition des mêmes actes. Même lorsque j'étais
actrice, avant de me lancer dans l'écriture, je n'étais à l'aise que dans les rôles d'enfants.
Peut-être qu'il me faut plus de recul pour appréhender l'âge adulte.
Sources : http://www.evene.fr/livres/actualite/esther-freud-nuit-toscane-marrakech-express2000.php

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