Stress au cours du saut en parachute

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Stress au cours du saut en parachute
Dossier « Cœur et Armées » : Physiologie
STRESS AU COURS DU SAUT EN PARACHUTE
À TRÈS GRANDE HAUTEUR
Approche par l’étude de 38 holter s ECG
Mise à jour 26-05-08
L. AIGLE, J.-M. CHEVALIER, L. JOURNAUX, É. TREMSAL, Y. BODESCOT
RÉSUMÉ
Le saut opérationnel à très grande hauteur avec dérive
sous voile est un concept aéroporté récent permettant de
parcourir une grande distance sous voile, puis de se poser
discrètement avant de réaliser une mission commando de
jour et surtout de nuit. Pour étudier les réactions
cardiovasculaires de ce type de saut extrême, nous avons
posé 38 holters rythmiques ECG (13 sauts de jour, 17
sauts de nuit et 8 vols avec intention de saut) chez 18
parachutistes très expérimentés (610 sauts et 32 ans en
moyenne). Comme prévu, les variations de fréquence
cardiaque (Fc) scandent les différentes phases de saut :
équipement, montée dans l’avion, dénitrogénation,
accélération franche lors du saut, décroissance très lente
lors de la dérive sous voile et rebond juste avant
l’atterrissage. Aucune anomalie rythmique ou ischémique
n’a été enregistrée. Mais de nuit, la Fc d’un même
parachutiste est toujours significativement plus élevée que
de jour, traduisant le stress psychologique engendré par
les conditions environnementales extrêmes. Cette étude
confirme que l’entraînement diminue les réactions de
stress (et donc la Fc) au fil des sauts et que les
parachutistes ont su gérer au mieux des incidents de saut,
situations parfois très dangereuses se traduisant par une
augmentation franche de la Fc sans trouble du rythme.
Mots-clés : Holter ECG. Parachutisme à très haute
altitude. Stress.
I. INTRODUCTION.
Le saut opérationnel à très grande hauteur (SOTGH) avec
dérive sous voile est un concept récent d’opération
aéroportée révélé au grand public par la très médiatisée
traversée de la Manche en tandem réussie le 7 novembre
1999 par deux militaires français (largage à 8 200 mètres,
40 km parcourus en 27 minutes). Effectué à haute altitude
(> 5 000 mètres) sous oxygène pur et avec ouverture
immédiate du parachute après la sortie de l’avion, son but
est l’infiltration discrète de personnels expérimentés
en territoire hostile. L’objectif de ce travail (1) est d’approL. AIGLE, médecin principal. J.-M. CHEVALIER, médecin chef des services,
praticien confirmé. L. JOURNAUX, médecin en chef. É. TREMSAL, médecin en
chef. Y. BODESCOT, directeur des activités holter, Ela France.
Correspondance : J.-M. CHEVALIER, Service de cardiologie, HIA Robert Picqué,
BP 28, 33998 Bordeaux Armées.
médecine et armées, 2006, 34, 4
ABSTRACT
STRESS DURING HIGHT ALTITUDE PARACHUTE
JUMPING. APPROACH BY HOLTER ECG.
The high altitude parachute jumping, with drift under
sail is a recent concept allowing to cover a long distance,
then to land discreetly before realising his military
mission daily or nightly. To study cardiovascular’s
reactions of this extreme parachute jumping, we placed
38 holters ECG (13 daily jumps, 17 nightly jumps and 8
flights with jump intention) on 18 parachutists welltrained (mean 610 jumps and 32 years old). As planned,
the variations of the cardiac frequency scan the different
events of the jump. No rhythmical or ischemic abnormity
was registered. But by night and for the same
parachutist, the cardiac frequency is significantly higher
than by day, translating the psychological stress
consecutive to the extreme environmental conditions.
This study confirms that training lowers the reactions of
stress (then the cardiac frequency) jump after jump, and
when incidents occur, the parachutists may be able to
manage dangerous situations with an important but
normal increase of the cardiac frequency.
Keywords : Holter ECG. Parachuting at very high level.
Stress.
(Médecine et Armées, 2006, 34, 4, 293-298)
cher les réactions cardio-vasculaires de stress engendrées
par ce type de saut extrême en enregistrant l’activité
électrocardiographique par la méthode holter ECG (étude
des variations de fréquence, recherche d’une éventuelle
extrasystolie aux deux étages, voire d’une ischémie) chez
des parachutistes militaires très expérimentés et sans
facteur de risque cardio-vasculaire. Après un rappel sur
le SOTGH et ses différentes contraintes matérielles,
physiologiques et psychologiques, nous décrirons les
modalités de l’étude avant d’en présenter les résultats.
II. CONTRAINTES DU SA UT OPÉRATIONNEL
À TRÈS GRANDE HAUTEUR.
Le SOTGH est une activité militaire parachutiste de haute
technicité. Dans un but opérationnel (inf iltration
d’agents, actions commando, mise en place d’équipes de
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recherche), des parachutistes sont largués à très haute
altitude sous oxygène pur, le plus souvent de nuit (plus de
4 500 m jusqu'à 7 500 m). Ils ouvrent leur parachute dès la
sortie de l’avion et effectuent ensuite une dérive sous voile
(DSV) qui sera variable, en durée (10 à 30 minutes) et en
distance (en moyenne une vingtaine de km, mais parfois
jusqu’à 40 km) selon de nombreux paramètres (altitude
de largage, direction et intensité des vents, terrain plat ou
accidenté, etc.). Ce type de saut entraîne à la fois des
contraintes physiologiques et des réactions de stress (2, 3),
mais aussi des contraintes importantes d’ordre technique
(avion particulier, qualification des personnels, matériels
spécifiques). En effet, ces parachutistes emportent jusqu’à
80 kg de matériel (fig. 1) pour réaliser ce type de saut: deux
parachutes, une bouteille d’oxygène pur au masque, un
système de vision nocturne, des moyens sophistiqués de
transmission, l’armement, le matériel de survie, etc.
Figure 1. Chuteur opérationnel équipé.
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A) CONTRAINTES PHYSIOLOGIQUES
Les contraintes liées à l’altitude et à ce type de vol sont
multiples (4, 5) :
– baisse de la température liée à l’altitude (à 6 000 m il fait
- 40 °C) ;
– grande vitesse de chute initiale sous voile (10 m/s) en
raison de la moindre densité de l’air dans les hautes
couches de l’atmosphère ;
– le vent relatif est un facteur aggravant la sensation
de froid (wind chill factor) ;
– la longueur des vols impose des contraintes
positionnelles (ankylose des jambes par le harnais),
de mobilisation des commandes de vol (difficile maintien
prolongé des bras en l’air) et des difficultés de concentration nécessaire à la navigation de nuit avec jumelles
de vision nocturne.
L’ hypobarie d’altitude intervient sur l’organisme par
trois mécanismes :
– la diminution de la pression barométrique (loi de
Boyle-Mariotte) responsable de barotraumatisme
essentiellement lors de la chute libre initiale ;
– la diminution de la pression partielle en oxygène
responsable d'hypoxie aiguë qui peut avoir des
conséquences dramatiques sur la vigilance (6) et qui
impose la respiration d’oxygène pur pendant toute la
durée du vol et de la dérive sous voile. Dès 4 500 m, les
effets de l’hypoxie sont multiples, avec perturbation de la
motricité, altération de la vision, atteinte psychique avec
perte des capacités intellectuelles (6). Seule l’audition
résiste à l’hypoxie et peut donc servir de moyen de sauvetage ultime (importance des liaisons radiophoniques) ;
– la diminution de la pression partielle en azote observée
lors de la montée en altitude est responsable de la pathologie de décompression (lois de dissolution des gaz de
Henry) à la sortie de l’avion. En aéronautique, les formes
graves sont heureusement rares. Cette décompression des
gaz est prévenue par la dénitrogénation qui consiste en la
respiration préalable d’oxygène pur pendant toute la durée
de vol (vol stationnaire à une altitude cabine de 1 500 m
environ pendant une durée variable en fonction de la
hauteur de largage) afin d’éliminer la plus grande partie de
l’azote résiduel. Cette oxygénation sera poursuivie durant
la dérive sous voile jusqu'à l’arrivée au sol (fig. 2).
Figure 2. Longue dérive sous voile.
l. aigle
B) CONTRAINTES DE STRESS PSYCHOLOGIQUE (3, 7-9).
Le stress psychologique est un élément constant et majeur
lors du saut en parachute que ce soit chez le débutant (10)
ou le confirmé (4, 7) lors de sauts à ouverture automatique
(4, 11) et à ouverture retardée (12) avec une gestion très
individuelle du stress. Lors du SOTGH, le stress est bien
sûr lié à ce type de saut que l’on peut qualifier d’extrême,
mais aussi à l’anticipation de la mission à venir. Les
conséquences d’une mauvaise gestion de ce stress
peuvent entraîner des fautes de procédure lors des incidents de saut (retard à l’ouverture du parachute, mauvaise
adhérence du masque, mauvais réglage des jumelles de
vision nocturne, etc.), une dépense énergétique plus
importante et surtout un épuisement psychique majeur
avant même que la mission au sol ne débute.
III. ÉTUDE.
L’objectif a été d’approcher les réactions de stress lors du
SOTGH en enregistrant de façon continue l’électrocardiogramme par la méthode holter ECG, enregistrant ainsi
les variations de la fréquence cardiaque durant toutes les
phases du saut, de l’équipement jusqu’à l’arrivée au sol et
après si possible. Les enregistrements permettant
d’étudier chez un même parachutiste la variation de Fc
entre un saut de jour et un saut de nuit, entre des sauts
successifs, lors des incidents de saut et lors des vols avec
intention de saut (qui sont des vols avec équipement
complet mais annulation du saut pour des raisons
techniques, météorologiques le plus souvent).
A) PERSONNELS ÉTUDIÉS.
Se sont portés volontaires lors d’une campagne
de SOTGH en septembre 1999 18 militaires de carrière
appartenant au Commandement des opérations
spéciales. Tous ces hommes étaient très expérimentés,
avec une moyenne d’âge 32 ± 3,2 ans, plus élevée
que celle trouvée dans les unités parachutistes conventionnelles. Ils étaient tous des sportifs de très bon
niveau, sans antécédent personnel ou familial notable.
Seuls deux parachutistes étaient fumeurs réguliers.
Leur examen clinique était rigoureusement normal
avec une fréquence cardiaque moyenne de 63,7 ± 6,5
bpm. Leur pression artérielle systolique était en moyenne
de 124,5 ± 5,2 mmHg et la diastolique de 71,8 ± 9,8
mmHg. C’étaient des hommes parfaitement stables sur
le plan psychologique, ayant bénéficié de nombreux
tests de sélection préalable.
Leur expérience parachutiste est bien sûr significative,
notamment en chute libre avec un minimum de 250 sauts
commandés et un maximum de 1 500, soit une moyenne
de 610 ± 330 sauts. Le nombre de sauts à très grande
hauteur (SOTGH) était bien sûr beaucoup plus limité (14
± 5 sauts en moyenne, extrêmes de 5 à 25 sauts), car cette
activité est d’introduction récente avec un nombre très
limité (et très onéreux) de campagne de sauts.
stress au cours du saut en parachute à très grande hauteur
B) MATÉRIEL.
N’ayant pu bénéficier d’un soutien institutionnel (projet
de recherche refusé car jugé sans intérêt médico militaire !) nous avons utilisé du matériel aimablement prêté
par la société ELA médical avec 5 holters rythmiques de
type SYNEFLASH et 10 cartes mémoires type SYNESIS
de 20 méga-octets. Le holter se compose d’un boîtier de
faible encombrement (130 x 90 x 25 mm) et de faible
poids (290 g) avec un écran à cristaux liquide et un raccord
à cinq pistes. La séquence de mise en marche du holter est
simple et rapide. L’unité centrale de la société ELA
Médical nous a aussi été prêtée avec le logiciel d’interprétation SYNETEC qui a permis de sauvegarder sur place
l’ensemble des holters puis une analyse secondaire.
Après dégraissage de la peau, tous les holters ont été
posés de la même manière juste avant que les parachutistes ne s’équipent. À l’issue du saut, les données étaient
sauvegardées dans des fichiers individuels de l’unité
centrale puis les cartes mémoires étaient réinitialisées
pour une nouvelle utilisation.
C) MÉTHODE D’ANALYSE.
Avant de pouvoir analyser les variations de Fc et du
segment ST, un important travail de nettoyage des tracés a
été nécessaire. Il a consisté en la validation de toutes les
morphologies de QRS en commençant par les véritables
artefacts puis les complexes normaux et supra-ventriculaires pour finir par les vraies ESV (peu nombreuses).
Ensuite, la bonne position des curseurs pour l’intervalle
R-R a été vérif iée. Puis, il a fallu valider la totalité
des zones artefactées (ligne de base instable, défaut de
reconnaissance des complexes QRS) en revalidant si
nécessaire chaque battement tant en terme de positionnement que d’identification. Le T0 (heure de largage) a
ensuite été déterminé en réalisant un zoom sur le pic de Fc
et en le comparant avec l’horaire connu du largage, puis
validation déf initive. À l’issue de ce long travail de
« nettoyage-validation » nécessaire pour obtenir des
tracés fiables, les données de Fc ont été exportées dans un
fichier texte par périodes de 30 secondes, puis importées
dans un f ichier EXCEL et alignées sur le T0. Pour
l’analyse statistique des données, une loi polynomiale
d’ordre 4 a été utilisée pour le tracé de la Fc, car elle seule
permettait d’obtenir des coefficients de corrélation les
plus élevés possibles ainsi que la meilleure approche de la
réalité des courbes. Rapidement après le début de
l’analyse, de grosses variations dans les écarts-type ont
contraint de modifier la méthode d’étude en moyennant
les intervalles par minute puis en réalisant une moyenne
glissante lissée sur quatre minutes, pour améliorer le
coefficient de corrélation. Lors de l’analyse globale et
statistique des holters par la société ELA Médical, deux
tracés ont dû être rejetés car non exploitables.
D) LIMITES DE LA MÉTHODE.
Nous avons dû faire face à de nombreux problèmes. Le
premier, a été la conception artisanale du protocole
d’étude dans le cadre d’une thèse de doctorat en
médecine, sans f inancement institutionnel et avec
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uniquement la bonne volonté des médecins parachutistes
et le prêt gracieux du matériel par la Société Ela Medical.
Le second problème a été l’attente d’une campagne de
SOTGH. Cette campagne, plusieurs fois repoussée,
dépendait de nombreux paramètres dont la disponibilité
d’un avion, de différents techniciens et de la météorologie
car les enchaînements de sauts sont toujours sous sa
dépendance. La météo sera plutôt favorable mais de
nombreux problèmes d'avionique perturberont certains
sauts. En pratique, nous n’avons été prévenus que quinze
jours avant le début de la campagne de SOTGH. Il a donc
fallu récupérer rapidement tout le matériel d'enregistrement et d'analyse, apprendre à le manier et définir un
protocole d'étude. Puis il a fallu prendre contact avec les
médecins parachutistes assurant le soutien médical de la
campagne afin qu’ils transmettent auprès du commandement la demande d’autorisation de réaliser cette étude.
Tous ces problèmes techniques et ces contraintes expliquent surtout que nous n’ayons pas eu le temps de bien
décrire aux parachutistes l’intérêt de garder les holters
plus d’une heure voire 24 heures après le saut. Il n’y a pas
eu de problème avec le matériel de la société ELA, simple
d’emploi, fiable et très solide. Il n’y a pas eu de perte de
données grâce à un délai minimum entre le recueil et la
sauvegarde. Enfin, il n’y pas eu de défaut de stockage, et
l’activité musculaire n’a pas perturbé le signal. Secondairement, nous avons constaté qu’il aurait fallu recueillir de
façon plus précise les horaires de largage et surtout
d’arrivée au sol pour affiner les résultats. Ceci aurait pu
être facilement réalisable car il y avait un médecin en soute
et un autre au sol susceptibles de relever ces horaires.
IV. RÉSULTATS.
Au cours de cette campagne de SOTGH, 39 holters ECG
ont été mis en place. Un des holters n’a pas fonctionné
pour une raison inconnue. Sur les 38 autres holters posés,
8 parachutistes ont été équipés correctement mais les
sauts n’ont pas eu lieu (vols avec intention de saut) pour
des raisons matérielles et d’avionique. Secondairement,
deux tracés holter ECG ont été exclus car non exploitables. Au total, 28 holters avec dérive sous voile seront
été réalisés : 12 lors d’un saut de jour (entre 5 600 et
6 300 m), 16 lors d’un saut de nuit (5 600 m), 7 personnels
ayant sauté une fois de jour et une fois de nuit.
L’horaire de largage a été défini comme T0. Pour l’étude,
nous avons réalisé les moyennes des données en prenant
comme un intervalle de temps de 120 minutes avant T0 et
60 mn après.
Pour les huit vols avec intention de saut, les enregistrements s’arrêtent dans l’avion à différentes phases de la
procédure de dénitrogénation. Ils sont étudiés à part.
et fastidieuse (vérification du matériel). Ici les modifications de la Fc (qui varie de 95 à 105 bpm environ) sont
dues principalement à un effort physique (équipement,
longue station debout). En vol (2), les parachutistes sont
assis au repos complet et n’ont aucune tâche à effectuer.
Ils respirent de l’oxygène pur et leur fréquence cardiaque
diminue très lentement mais dans des proportions
moindres que l’on aurait été en droit d’attendre chez ces
hommes entraînés au repos. Pendant la dénitrogénation
(une heure environ), la Fc moyenne est de 85 bpm. Dans
cette situation, le stress psychologique est l’élément
fondamental responsable de la tachycardie relative
persistante. Viennent ensuite les deux pics de Fc (3 et 4)
correspondant à des efforts physiques en soute avant la
sortie de l’avion. En ce qui concerne les pics de Fc à la
sortie et à l'ouverture du parachute (5), ils sont quasiment
simultanés car l'ouverture de la voile est très précoce
(dans les cinq premières secondes). On trouve des valeurs
moyennes à 132 bpm le jour et 154 bpm la nuit avec des
extrêmes de 180 bpm, toujours inférieures aux Fc
maximales théoriques. Juste après l'ouverture, on note un
petit décroché dans la courbe (6) qui s'explique par les
manœuvres à réaliser pour la navigation (tour d’horizon,
vérification de l’azimut) et la sécurité de la dérive sous
voile. Lors de cette dérive sous voile (7), on note une
décroissance lente et régulière de la Fc, passant en
moyenne à 105 bpm en dix minutes de vol. L'autre
caractéristique de ces sauts est la phase d'atterrissage (8)
qui entraîne un ressaut tachycardique modéré en fin de
vol. Celui ci est lié à la crainte d’un obstacle imprévu, au
largage près du sol de la gaine contenant le matériel
emporté et à la difficulté du poser avec tout l’équipement.
Lors de cette dernière phase, la Fc passe à 115 bpm en
moyenne. Le dernier pic d’accélération (9) correspond au
déséquipement, avec l’euphorie relative post stress (3, 8)
sans différence entre un saut de jour ou de nuit.
Lors des douze sauts de jour (fig. 3, tracé en bleu), on
retrouve un tracé similaire à celui des 28 sauts moyennés
mais décalé vers des fréquences cardiaques plus basses
A) HOLTERS RYTHMIQUES DE 28 SOTGH.
La figure 3 représente le diagramme des fréquences
cardiaques moyennes des 28 sauts (en jaune), des 12 sauts
de jour (en bleu) et des 16 sauts de nuit (en rouge). Que ce
soit de jour comme de nuit, on individualise facilement
huit périodes. La phase d’équipement au sol (1) est longue
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Figure 3. Diagramme des fr équences cardiaques moyennes des 28 sauts (en
jaune), des 12 sauts de jour (en bleu) et des 16 sauts de nuit (en rouge). 1 = long
équipement au sol ; 2 = assis dans l’avion avec dénitrogénation en O2 pur ; 3 et
4 = lever et efforts en soute ; 5 = sortie de l ’avion et ouverture imm édiate ;
6 = vérification de l ’azimut ; 7 = dérive sous voile ; 8 = atterrissage ;
9 = déséquipement.
l. aigle
(moins dix bpm) sur l’ensemble de l’enregistrement, ce qui
est classique. La moyenne de Fc sous voile est de 98 bpm.
C’est la seule étude dans la littérature qui rapporte
les variations de Fc lors des sauts de nuit. En effet, les réactions cardiovasculaires ont été plusieurs fois étudiées par
la méthode holter (8, 11, 13-15) mais toujours lors de
sauts diurnes. Lors des 16 sauts de nuit enregistrés (fig. 3,
ligne rouge), on retrouve les huit périodes pré décrites
mais avec un Fc toujours au moins supérieure de 10 voire
15 bpm par rapport à la même période en saut de jour. Que
ce soit lors de la dénitrogénation assis dans l’avion ou lors
des mouvements de vérification de matériel en soute. Le
pic de Fc au largage est à 154 bpm en moyenne la nuit (soit
22 bpm de Fc en plus que le jour) ce qui traduit bien le
stress psychologique engendré par le saut de nuit. La
différence est encore plus caricaturale lors de la dérive
sous voile où la Fc est toujours supérieure à 110 bpm, soit
20 bpm de plus que le jour. Enf in, malgré un strict
repérage préalable et des cartes très précises, la crainte
d’un obstacle non vu à l’arrivée au sol (fossé récemment
creusé, souche d’arbre non arrachée, fil de fer tendu
récent) angoisse toujours ces grands professionnels (16,
17). L’étude montre que de nuit la différence est significative pour les variations de la Fc par rapport à celles de jour,
et que cette variation est essentiellement due au stress
psychologique car les contraintes matérielles et environnementales (froid, etc.) sont les mêmes hormis l’obscurité
et le port de jumelle à vision nocturne. Lors d'études
précédentes à l'ETAP (4), des vols avec intention de saut
(VIS) avaient été enregistrés chez des novices lors de
SOA. Il avait été noté, après une courte phase de
tachycardie liée à l’agitation du personnel de soute, une
bradycardie relative dès l'annonce de l'annulation du saut.
B) HUIT HOLTERS LORS DE VOL AVEC
INTENTION DE SAUT.
Lors des huit VIS (5 de jour et 3 de nuit) les résultats sur la
Fc sont différents chez ces parachutistes très expérimentés. L'annulation du saut n'a pas l'effet « libérateur de
stress » comme chez de jeunes recrues (4) et la fréquence
cardiaque poursuit sa rapide décroissance vers une valeur
proche de la Fc de repos. C'est une nouvelle preuve de
l'adaptation émotionnelle due à l’entraînement. Ceci
nous permet aussi de confirmer que lors d’un vol normal,
la Fc ne descend pas sous les 75 bpm traduisant bien la
concentration et le stress physiologique d’avant saut.
C) SEPT PERSONNELS ONT EFFECTUÉ UN
SAUT DE JOUR ET UN SAUT DE NUIT.
Pour chacun d’eux, la différence est significative avec une
Fc de nuit toujours plus élevée que celle de jour (pour l’un
des personnels, la Fc maximale de nuit est de 160 bpm, la
plus basse de jour au même moment est de 80 bpm). Un
parachutiste (tab. I) a effectué les 8, 10 et 11 septembre
1999 trois sauts de jour dans les mêmes conditions. Si la
chute et l’ouverture du parachute entraînent une réaction
catécholergique identique, on constate une nette
diminution de la Fc en récupération post saut. On peut en
stress au cours du saut en parachute à très grande hauteur
déduire que la répétition des sauts permet une meilleure
gestion du stress et donc une meilleure maîtrise de
l’activité. Ce qui confirme l’importance de l’entraînement pour des activités à risque comme le SOTGH, le
parachutiste devant être immédiatement apte à débuter sa
mission le plus souvent en milieu hostile et inconnu.
Tableau I. Évolution de la Fc apr ès le saut d ’un m ême parachutiste ayant
réalisé trois SOTGH diurnes à trois jours d ’intervalle.
Temps après T0
08 /09
10/09
11/09
+ 5 minutes
87
84
86
+ 9 minutes
90
85
82
+ 15 minutes
101
84
81
+ 20 minutes
95
84
84
+ 25 minutes
117
105
108
D) INCIDENTS DE SAUT.
Au cours de cette étude, 4 incidents de sauts ont été
enregistrés :
– 2 à la sortie de l’avion (retard d’ouverture du parachute
de 3 à 6 secondes) ;
– 1 sous voile (inefficacité des jumelles à vision nocturne) ;
– et 1 à l’atterrissage (obstacle imprévu sur l’aire
de poser).
Lors d’un saut de nuit, le parachutiste P. S. fait sa séquence
d’ouverture mais sans succès. La voile se libère enfin
après six secondes. Pour un chuteur de son expérience,
cela reste une situation extrêmement anxiogène mais qui
a été analysée de manière sereine (il se laissait encore trois
secondes avant de tirer sur la poignée du parachute de
réserve). L’ECG parle de lui même, montrant une
tachycardie importante sur la durée de l’incident (165
bpm) et un lent retour à la normale. Alors que pour le
même saut de jour sa Fc était à 91 sous voile. Vingt
minutes après le saut, la Fc était toujours sinusale à 105
bpm après l’incident de saut, alors qu’il était préalablement à 86 bpm sans incident. Le parachutiste A. Ch.
effectue un saut de nuit avec un système de vision
nocturne cassé (fig. 4). Ceci se traduit par une tachycardie
qui s’est prolongée tout le vol (Fc moyenne à 135 bpm
sous voile) alors qu’elle était à 120 bpm lors d’un
deuxième saut avec jumelles à vision nocturne.
Les quatre incidents ne sont pas « critiques » si on se place
dans un contexte de parachutisme de loisir. Ils prennent ici
une tout autre signification : décider de libérer une voile et
de repartir en chute libre avant d’ouvrir le parachute de
secours de nuit, en charge sous oxygène et à 5 600 mètres
n'est pas une situation que tout un chacun est à même de
gérer facilement. L'expérience, la gestion du stress et des
événements sont des éléments capitaux mais qui n'empêchent pas une tachycardie réactionnelle plus ou moins
intense liée à la décharge physiologique d'adrénaline.
Mais les fréquences maximales retrouvées (de l’ordre de
180 bpm), restent en deçà des valeurs de la FMT. Surtout,
aucun trouble du rythme auriculaire ou ventriculaire
significatif n’a été révélé. Dans d'autres études (10, 18)
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Figure 4. Diagramme des fr équences cardiaques moyenn ées toutes les
5 minutes et centr ées sur T0 (sortie d ’avion) chez un m ême parachutiste. La
différence entre le saut de nuit (ligne du haut) et de jour (ligne d u bas) est
manifeste lors de la d érive sous voile beaucoup plus anxiog ène.
sans notion d'incident, des sujets plus novices passent
largement au-dessus des 200 bpm. Ceci traduit bien la
capacité à gérer différemment de tels événements.
V. CONCLUSION.
Ce travail représente la première étude des variations de
fréquence cardiaque lors des sauts en parachute de nuit
(jamais décrit) et de jour, qui plus est à grande hauteur
(> 5 000 m) en respiration d’oxygène pur et dans des
conditions d’atterrissage parfois difficiles. Cette étude a
permis d’obtenir un tracé ECG continu caractéristique du
SOTGH de jour et de nuit, avec ses différentes phases :
équipement initial, long vol assis en cabine pressurisée
avec dénitrogénation, puis saut agressif à très grande
altitude (froid, hypoxie, accélération), puis assez longue
dérive sous voile et atterrissage en milieu parfois hostile.
Les réactions cardio-vasculaires de stress sont franches
pour des personnels très entraînés sans toutefois dépasser
la FMT ni révéler d’anomalie rythmique. La Fc des sauts
de nuit est significativement supérieure de dix bpm au
moins à celle de jour lors de toutes les phases du saut et du
vol sous voile, tant individuellement que collectivement.
La succession de sauts entraîne une diminution relative
de la Fc moyenne et donc du stress témoignant de l’importance d’un l’entraînement régulier. Lorsque le parachutiste
est équipé mais n’a pas sauté, il n’y a pas d’appréhension
du saut. Par ailleurs, lors des incidents de saut, l’expérience
a permis une bonne gestion des situations.
Le SOTGH doit donc être considéré comme un parachutisme de l’extrême, qui nécessite une sélection médicale
et technique rigoureuse des candidats.
Il serait très intéressant d’envisager une préparation
mentale pour ces chuteurs comme cela se pratique déjà
dans de nombreux sports de haut niveau, car cette étude
révèle un stress anticipatoire franc pour des chuteurs très
entraînés qui, une fois au sol, auront besoin de toutes leurs
capacités psychiques pour réaliser leur mission. Il serait
aussi intéressant de refaire une étude en conservant les
holters lors d’un enchaînement saut-exercice de combat
commando afin d’étudier l’évolution de la Fc dans une
situation la plus proche possible de la réalité.
RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES
1. Aigle L. Stress au cours du saut opérationnel à très grande hauteur :
apport du holter ECG. Thèse : Bordeaux II ; 2000 (52) : 89 p.
2. Herd JA. Cardiovascular response to stress. Physiological Reviews
1991 ; 71 (1) : 305-26.
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l. aigle