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SUJETS D’ANALYSE
ACTIVITÉS PÉDAGOGIQUES
SUJET 1 : Quelle image de l’enfance et de ses rapports avec le monde des adultes proposent ces deux œuvres ?
INTRODUCTION
« Elle est quand même fortiche la jeunesse d’aujourd’hui » : en choisissant de placer la petite Zazie au centre de leurs œuvres, Raymond Queneau et Louis Malle nous invitent
à voir dans leur roman et dans leur film une image de la jeunesse contemporaine, cette « nouvelle génération » (p. 16) du début des années 1960. Le moins que l’on puisse
dire, c’est que la représentation de cette « mouflette » rompt avec une certaine imagerie de l’enfance telle qu’on la trouve par exemple dans Jeux interdits, autre film adapté d’un
roman (René Clément / Régis Boyer, 1951). Par sa manière de renouveler le regard porté sur l’enfance, l’œuvre s’inscrit dans la lignée ouverte par Les 400 coups de Truffaut
(1959), mais dans une tonalité très différente et en affichant une mise à distance de tout réalisme. Les deux Zazie dans le métro - roman et film - sont en effet dépourvus des
clichés attachés à la représentation de l’enfance : point de fillette tendre et impressionnable, de mots d’enfants, de scènes touchantes. Zazie ne fait pas naître d’attendrissement,
elle susciterait plutôt une certaine crainte ; loin d’être innocente, elle risque de « pervertir tout le quartier » (p. 20).
Quelle image de l’enfance et de ses rapports avec les adultes proposent dès lors ces deux œuvres ? La Zazie du film et celle du roman partagent avant tout une même énergie,
un élan vital fait d’appétit, de curiosité et d’irrévérence. Cette force est loin d’être sans conséquence sur le monde des adultes avec lequel elle entretient un rapport explosif,
agissant sur lui tantôt comme un révélateur tantôt comme un agent de destruction. Mais son action est plus profonde encore : elle s’apparente à une contamination généralisée,
à la fois des adultes qui l’entourent et qui vont se trouver modifiés à son contact, mais aussi de la forme qui lui donne existence : l’esprit à la fois farceur, irrévérencieux et ludique
de cette enfant est à l’œuvre autant dans l’écriture du roman que dans la mise en scène du film.
Au cours de cette analyse, on s’attachera à mesurer en quoi les deux Zazie ne sont pas strictement superposables : l’adolescente de 13-14 ans mise en scène par Queneau a
été rajeunie de 4 ans par Louis Malle afin de perdre son côté « petite femme » et de rester plus radicalement étrangère à l’univers des adultes.
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I. ZAZIE, UNE « FORCE QUI VA » : ÉNERGIE, APPÉTIT ET IMPERTINENCE
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Dans le roman aussi bien que dans le film, ce qui frappe d’abord dans le personnage de Zazie, c’est l’impression qu’elle possède un élan vital presque inépuisable. Loin de se
laisser conduire et conseiller par les adultes, cette enfant est mue par un appétit insatiable et semble absolument dépourvue de limites, voire de surmoi.
1. Autonomie
Zazie n’entretient aucun rapport de dépendance à l’égard des adultes : à son arrivée à la gare, c’est elle qui prend l’initiative : elle reconnaît Gabriel et se présente sans sa
mère (« une mouflette surgit qui l’interpelle – Chsuis Zazie, jparie que tu es mon tonton Gabriel » p. 9). Dans le film, elle fait irruption depuis le hors champ, alors que Gabriel
regarde encore au loin (chap. 1, 3’04).
Placée sous la garde de son oncle, Zazie échappe pourtant très souvent à sa surveillance et l’on est frappé par la fréquence des scènes où elle se retrouve seule avec des
étrangers : devant les grilles fermées du métro, avec Pédro-surplus aux Puces, dans la voiture de la veuve Mouaque, ou le soir dans les rues de Paris.
Apparemment inaccessible à l’influence des grandes personnes, elle décide, décrète, commande, refuse : en dépit de la proposition de Gabriel, elle n’ira pas voir le tombeau
de Napoléon : « Il m’intéresse pas du tout, cet enflé, avec son chapeau à la con » (p. 14 et 7’15).
2. Energie
C’est la prodigieuse énergie qu’elle déploie qui caractérise surtout Zazie. Energie verbale d’abord car le roman lui accorde une part dominante dans les dialogues. Ses répliques
se singularisent par leur expressivité : ordres (« Mais répondez-moi donc ! » p. 89), jugements (« ça n’a rien d’indécent, c’est la vie » p. 89), jurons (« Sacrebleu, merde alors »
p. 11 ou la litanie des « mon cul ! »), tout y traduit son aplomb et son caractère explosif.
Energie physique aussi, traduite en particulier par le film qui nous donne à voir les déplacements incessants de l’enfant, ses courses vertigineuses et accélérées à travers Paris
pour échapper à Pédro-surplus (chap. 5, 17’10 ; chap. 8, 27’43)
19 Dossier pédagogique Zazie dans le métro
SUJETS D’ANALYSE
ACTIVITÉS PÉDAGOGIQUES
SUJET 1 : Quelle image de l’enfance et de ses rapports avec le monde des adultes proposent ces deux œuvres ?
3. Appétits insatiables
Cette énergie, Zazie la tire de ses désirs, elle qui est mue par une multitude d’appétits. Très concrètement, elle engloutit littéralement les moules et les frites : à la description
du roman (« Zazie se jette dessus, plonge dans la sauce, patauge dans le jus, s’en barbouille » p. 50), le film répond par un accéléré qui fait de Zazie une sorte d’automate
ingurgitant mécaniquement les frites à une allure effrayante (chap. 7, 24’27). Le roman y ajoute des épisodes autour des boissons : « cacocalo » (on voit qu’aucun principe de
réalité ne peut conduire Zazie à renoncer à son désir : « C’est hun cacocalo que je veux et pas autt chose » p. 17), panaché (« elle descend son demi-panaché d’un seul élan,
expulse trois petits rôts et se laisse aller sur sa chaise » p. 50), ou bière (« De rage, Zazie assèche son demi, puis elle la boucle » p. 51). A cet appétit de nourriture, Zazie ajoute
des convoitises vestimentaires : devant les « bloudjinnzes » objets de sa convoitise « a boujplu. A boujpludutou », elle « tremble de désir et d’anxiété » (p. 47).
Mais son appétit est parfois d’ordre intellectuel : tout au long du film, elle entend satisfaire sa curiosité et comprendre ce qu’est un « hormosessuel » (p. 65), question à laquelle
les adultes refuseront systématiquement d’apporter une réponse valable et qu’elle s’acharnera à reposer avec plus ou moins de violence.
Le caractère sans limite de ses aspirations et de ses fantasmes est également illustré par sa manière de se projeter dans l’avenir : elle désire d’abord être institutrice pour « faire
chier les mômes (…). Ceux qu’auront [s]on âge dans dix ans, dans vingt ans, dans cinquante ans, dans cent ans, dans mille ans, toujours des gosses à emmerder », puis se
ravise : elle sera astronaute pour « pour aller faire chier les martiens » (p. 23).
4. Un être sans limites : ni convenance, ni politesse, ni tabou.
L’énergie de Zazie se déploie avec d’autant plus de vigueur qu’elle semble n’être bornée par aucune limite de convenance. Elle dit vertement à chacun ses vérités, sans retenue
aucune : son appréciation sur l’état de son taxi de Charles (« Il est rien moche son bahut » p. 12), son avis sur le physique de la veuve Mouaque (« Et ma tante est drôlement
mieux que vott’ pomme » p. 129), l’hypocrisie de Pédro-surplus (« Alors, vous mentiez tout à l’heure ? » p. 53). Ces déclarations sont clairement revendiquées comme une
affirmation de liberté et d’indifférence à l’égard des adultes et de leurs règles : « Grandes personnes mon cul » (p. 102) ; « la nouvelle génération, dit Zazie, elle t’… » (p. 16).
Sa parole n’est entravée par aucun tabou ; Zazie n’a en particulier aucune difficulté à aborder les questions sexuelles. Si son insistance sur « l’hormosessualité » de Gabriel
peut être mise sur le compte de l’ignorance, le récit du fait divers qui la met en scène avec ses propres parents montre en revanche le naturel avec lequel elle aborde la question
de l’inceste (chap. 5).
On observe à cet égard une nette différence entre le roman et le film : Louis Malle a en effet largement atténué la charge de scandale du chapitre 5 dans lequel Zazie raconte
la tentative d’inceste dont elle a été l’objet. Certains passages, les plus innocents, sont audibles tandis que ceux qui explicitent vraiment la tentative d’inceste sont rendus
inaudibles car la bande son est montée à l’envers et que les paroles sont couvertes par la musique (26’). Nous n’entendons donc pas ces passages du roman : « voilà qu’il se
met à me faire des papouilles zozées, alors je dis ah non parce que je comprenais où c’est qu’il voulait en arriver le salaud », « il bavait même un peu quand il proférait ces
immondes menaces et finalement immbondit dssus » (p. 54).
5. … et sans innocence ? L’écart entre le roman et le film
Zazie a donc une position plus radicalement étrangère aux questions sexuelles dans le film que dans le livre, ce qui lui permet de poser ses questions sans créer de trouble sur
sa propre position. C’est en ce sens que l’on peut interpréter l’écart d’âge qui sépare la Zazie du roman de celle du film. Louis Malle a expliqué son choix dans un entretien :
« Zazie, dans le roman, est un personnage de treize-quatorze ans, très petite femme ; elle a un côté Lolita qui nous gênait beaucoup parce qu’il enlevait de la force à notre
démonstration et ça en faisait un personnage qui était un tout petit peu déjà du monde des adultes. Alors on lui a enlevé quatre ans. C’est une enfant » (« Entretien avec Louis
Malle », André FONTAINE, Le Monde, 27 octobre 1960). Par « enfant », Louis Malle entend une forme de pureté : « [Zazie] est, si vous voulez, un personnage pur et dur à
la fois, comme sont les enfants ».
Dans le roman, les passages qui abordent la question sexuelle sont plus nombreux et plus explicites : aussi bien dans l’évocation des possibles pulsions pédophiles de Pédrosurplus (« C’est un dégoûtant satyre, dit Gabriel. Ce matin, il a coursé la petite jusque chez elle. Ignoble. » p. 175), que dans les manœuvres de charme que Zazie exerce
consciemment (« C’est pas gentil pour moi, ça, dit Zazie en se tortillant. – Si maintenant elle se met à te faire du charme, dit Gabriel, on aura tout vu » p. 124).
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