Café nile avec Doriane Coudurier, Clémence Durand

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Café nile avec Doriane Coudurier, Clémence Durand
Café nile avec Doriane Coudurier, Clémence Durand-Tonnerre, Sébastien
Foucher et David Ruczkal
Mercredi 4 février 2015 au « Sir Winston »
Doriane Coudurier, vice-présidente de la Fédération Nationale des Etudiants en Soins Infirmiers
(FNESI), Clémence Durand-Tonnerre, présidente de l’Association Nationale des Etudiants SagesFemmes (ANESF), Sébastien Foucher, président de l’Association Nationale des Etudiants en
Médecine de France (ANEMF), David Ruczkal, président de l’Association Nationale des Etudiants
en Pharmacie de France (ANEPF), nous ont fait le plaisir et l’honneur d’intervenir à ce café nile sur
le thème : « Désespérance des jeunes professionnels : comment remobiliser les forces vives ? ».
Interventions
Clémence Durand-Tonnerre
La précarisation de l’emploi des sages-femmes est de plus en plus grande : là où 100 % d’entre
elles exerçaient à l’hôpital il y a dix ans, 12 % exercent actuellement en libéral, avec de grandes
difficultés d’installation. Les sages-femmes sont en effet une des seules professions médicales
pour laquelle des restrictions des conditions d’installation sont mises en place. Les jeunes sagesfemmes souhaitent donc que leurs conditions d’exercice soient améliorées, devenir concrètement
une profession médicale autonome à l’hôpital, et voir une amélioration de leurs conditions
d’exercice libéral. La réduction de la durée d’hospitalisation des jeunes mères n’est en effet
possible que si les conditions d’un bon suivi libéral sont réunies. Si un travail commun est
aujourd’hui réalisé entre étudiants des diverses professions de santé, il faudra que plus tard,
celui-ci se concrétise par une véritable interprofessionnalité, afin d’optimiser la prise en charge
des patients.
Doriane Coudurier
L’autonomie, la réflexivité et la compétence sont les trois qualités que la formation initiale doit
donner aux professionnels. Pour les infirmiers, l’intégration universitaire et la reconnaissance du
niveau master, le développement de la recherche, la définition d’une identité professionnelle
propre et propice à l’épanouissement de relations interprofessionnelles, le déploiement des
infirmiers de pratique avancée, sont autant de réponses concrètes aux besoins de santé actuels.
L’optimisation du temps de travail doit également pouvoir permettre aux infirmiers d’exploiter
l’ensemble de leurs compétences et responsabilités. Une interprofessionnalité doit pouvoir être
réalisée, tant sur le terrain que dans les instances administratives, afin d’assurer l’effectivité des
collaborations et l’amélioration du système de soins.
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Sébastien Foucher
Malgré l’existence d’outils appropriés, les études de médecine ne sont pas capables de s’adapter
à la nécessité d’un meilleur accompagnement des étudiants, notamment au cours de leurs stages,
et donc d’une plus grande professionnalisation. En effet, la méthode d’apprentissage des stages
hospitaliers, par la rupture et la confrontation, ne permet pas un épanouissement professionnel
optimal. Le transfert de compétences, par ailleurs, mériterait d’être plus radical et d’aller plus
loin, avec la création de nouveaux métiers par exemple. Enfin, la désespérance des étudiants en
médecine vis-à-vis de leur exercice futur vient du décalage entre une formation hospitalière
technique et un exercice souvent libéral ou dans le cadre du premier recours, de plus en plus
tourné vers la prévention, ou réalisé en structures de groupe. Ces structures de groupe, pour
augmenter l’optimisme des étudiants en médecine, en particulier les maisons de santé, doivent
mieux être accompagnées par les pouvoirs publics.
David Ruczkal
Les structures telles que les maisons de santé sont un bon début d’interprofessionnalité, mais
elles ne vont pas assez loin. L’interprofessionnalité se construit en effet dès les études et il faudra
la développer, en particulier dans la délégation de tâches. Pour les étudiants en pharmacie plus
spécifiquement, l’apprentissage est très bon, mais la coordination ville-hôpital est très mauvaise
et son amélioration est prioritaire, en particulier avec la mise en place de moyens de
communication dématérialisés.
Questions de la salle
Alain Perez, journaliste indépendant : À l’inverse des médecins en exercice, vous êtes pour le
transfert de compétences. Est-ce un conflit de générations ?
Sébastien Foucher : Les deux générations ne sont en effet pas d’accord. C’est un sujet de discorde
car nous avons des approches différentes. Les syndicats professionnels y voient une menace pour
leur rémunération, avec l’abandon des actes légers au profit des actes lourds. Ils y voient
également un bouleversement de leurs relations avec d’autres professionnels avec qui ils étaient
habitués à travailler sur un modèle plus vertical que celui qui leur succédera. Demain, les tâches
et les compétences seront mieux réparties et les professionnels de santé travailleront mieux
ensemble, car les médecins ne peuvent pas tout coordonner et doivent se concentrer sur leur
cœur de métier.
David Ruczkal : Il s’agit d’un conflit générationnel. À titre d’exemple, nous étions tous les quatre
aux vœux de la ministre de la santé, où elle a émis le souhait d’entendre les jeunes et futurs
professionnels de santé, mais nous attendons toujours d’être auditionnés pour la future loi de
santé.
Philippe Gaertner, Fédération des Syndicats Pharmaceutiques de France (FSPF) : Les conditions
d’apprentissage influencent les futures conditions d’exercice. Comment imaginer qu’un jeune
médecin qui n’a connu que l’hôpital au cours de ses études souhaite s’installer en milieu rural ?
Cette proximité ne doit-elle pas être intégrée aux études médicales ?
Sébastien Foucher : Vous avez raison. La formation actuelle est très hospitalo-centrée et nous
n’avons pas l’occasion de découvrir la pratique ambulatoire, sans doute à cause de la mainmise
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des CHU sur la formation, mais aussi à cause l’absence de statut équivalent à celui de MCU-PH ou
PU-PH pour les médecins libéraux, les écartant ainsi de la formation. Le statut de maître de stage
n’est pas suffisant.
Olivier Mariotte : Le rapport Berland de 2011 a pointé la corrélation entre la réussite au
baccalauréat scientifique et la réussite des études médicales, qui accentue l’approche technique
au détriment de l’approche humaine. Par ailleurs, l’ascenseur social offert par la possibilité, pour
celui qui en est issu, d’exercer en milieu rural, ne fonctionne plus. L’hôpital est devenu la seule
source d’attractivité, accroissant la technicité des médecins et réduisant d’autant la prise en
charge des patients au jour le jour.
Jean-Michel Mrozowski, Comité pour la valorisation de l’acte officinal : Comment envisagez-vous
les attentes des patients ? Quelle vision avez-vous pour eux ?
Clémence Durand-Tonnerre : Nous commençons à sortir de la vision ultra-paternaliste du
système de santé où le professionnel est détenteur de la vérité. La prise en charge de prévention
et la prise en charge psycho-sociale ont leur importance et un travail de collaboration doit être
mis en place avec les patients, qui doivent être acteurs de leur propre santé.
Doriane Coudurier : Les patients attendent du corps de santé une prise en charge globale qui
demande une disponibilité qui n’est pas toujours possible.
David Ruczkal : Les attentes des patients sont simples et pourtant pas mises en place, comme
pour le suivi ville-hôpital ou la création d’un dossier médical commun à tous les professionnels de
santé. Nous regrettons ce manque d’action.
Marie-Josée Augé-Caumon, Union des Syndicats de Pharmacies d’Officine (USPO) : La Première
Année Commune aux Etudes de Santé (PACES) a beaucoup été critiquée. Est-elle efficace ? Est-elle
à l’origine de votre volonté de travail commun ? Par ailleurs, pour une prise en charge globale,
l’éducation des patients sera nécessaire.
Sébastien Foucher : Le manque d’action politique sur les thèmes récurrents du dossier patient ou
de l’interprofessionnalité participe de la désespérance professionnelle. Sur ce point, la PACES n’a
pas eu beaucoup d’influence, dans des conditions étudiantes très astreignantes et très
compétitives. La PACES fonctionnera si elle est un tremplin vers une licence en santé.
Clémence Durand-Tonnerre : La PACES n’a pas rempli la totalité de ses objectifs. Néanmoins, si
nous travaillons ensemble aujourd’hui, c’est aussi grâce à elle, car c’est elle qui a permis que nous
nous connaissions et que nous connaissions les compétences des uns et des autres.
Jean-Marc Lebecque, USPO Nord-Pas de Calais et URPS Pharmaciens Nord-Pas de Calais : À Lille,
les stages d’étudiants en pharmacie en 6ème année pourront se faire en collaboration avec les
internes en médecine générale. Il faut savoir avancer lentement mais sûrement.
David Ruczkal : Ces stages en collaboration sont enfin possibles. Espérons qu’ils se développent
dans les régions les plus rurales.
Corinne Duhamel, agence de presse AEF : Êtes-vous au courant de l’existence de la négociation
interprofessionnelle de ces derniers mois sur la médecine de premier recours ? Et de celle d’un
groupe de travail ministériel sur les pratiques avancées ? Souhaitez-vous participer à ce genre
d’initiatives ?
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Sébastien Foucher : Avant toutes choses, nous souhaitons assister en tant qu’observateurs à la
négociation de la convention avec l’assurance maladie. Les syndicats sont favorables à l’idée, mais
n’œuvrent pas pour sa mise en place. Nous avons donc suivi de loin la négociation sur la
coordination interprofessionnelle.
Clémence Durand-Tonnerre : La ministre a assez peu de considération pour les étudiants n’étant
pas en médecine. Ils sont d’ailleurs les seuls à avoir été invités à ses vœux, où nous avons dû nous
inviter nous-mêmes.
Éric Myon, Union Nationale des Pharmacies de France (UNPF) : Quelle interprofessionnalité
envisagez-vous ? Comment travailler ensemble ? En libéral, en association, en cabinet regroupé ?
David Ruczkal : Avec du courage.
Sébastien Foucher : Il existe un décalage entre les aspirations professionnelles énoncées dans la
charte de la médecine libérale datant de 1927 et les aspirations actuelles. On ne peut plus
revendiquer une aussi grande indépendance d’exercice dans un système de santé de plus en plus
organisé et administré, et cela ce traduit par une surcharge de travail administratif. La structure
libérale sera amenée à évoluer et une mise en commun sera nécessaire, avec la mise en place de
l’exercice regroupé.
Claude Huriet, sénateur honoraire : La coupure entre hôpital et praticiens libéraux existe depuis
longtemps. Par ailleurs, la loi offre-t-elle suffisamment de possibilité aux initiatives ? Connaissezvous des expériences témoignant d’une collaboration entre médecins hospitaliers et libéraux dont
l’origine serait locale ?
Clémence Durand-Tonnerre : Les exemples de pratiques avancées, exception faite des infirmiers
en oncologie, proviennent de l’étranger. À l’heure actuelle, la loi ne permet pas le développement
d’initiatives locales et personnelles.
David Ruczkal : À Lille, une coopération entre sages-femmes et d’autres professionnels de santé a
été mise en place. Les pharmaciens ont ainsi créé un système d’accompagnement des futures
mères. Le véritable problème ne réside pas dans la capacité d’initiative, mais dans le passage du
niveau local au niveau national.
Sébastien Foucher : À un moment de leur développement, les initiatives locales ont besoin d’un
cadre législatif.
Olivier Mariotte : Les États Généraux de la Santé en Régions (ESGR) ont permis de faire remonter
400 expériences locales en quatre années d’existence. Néanmoins, le système n’est pas organisé
de façon à faire remonter les expériences, mais de façon centralisée et descendante. La verticalité
de la prise de décision n’offre pas d’espace à la validation et au développement des expériences
de terrain.
Charles Descours, sénateur honoraire : Croyez-vous que la création d’un parcours de soins
interprofessionnel soit possible avec le fonctionnement actuel du système libéral et avec la
rémunération à l’acte ?
Sébastien Foucher : Le système libéral tel qu’il existe n’est pas adapté aux enjeux de l’évolution
du système de santé. La part de forfait dans la rémunération du médecin généraliste est faible,
mais le système le pousse à « faire de l’acte ». L’organisation des soins en coordination et en
coopération ne sera possible qu’avec la création d’autres modalités de rémunération.
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Olivier Mariotte : L’organisation territoriale des soins a besoin d’un travail commun, en
association avec les élus locaux, de façon à dégager des forces vives ainsi que des moyens.
Comment envisagez-vous les différences dogmatiques entre service public et initiative privée ?
Clémence Durand-Tonnerre : Il existe une différence de mentalité entre étudiants à propos de la
question du secteur public et du secteur privé, mais elle tend à se réduire. L’accès à l’emploi étant
de plus en plus difficile, l’ouverture au secteur privé est de plus en plus grande.
Sébastien Foucher : Nous ne parlons pas entre nous de la possibilité d’exercice en cliniques
privées. La question du secteur privé induit celle du dépassement d’honoraires et donc celle
d’être nantis. C’est une problématique plus sociétale que sanitaire.
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