Analyse du film : Au revoir les enfants, Louis Malle, 1987. Malle a

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Analyse du film : Au revoir les enfants, Louis Malle, 1987. Malle a
Analyse du film : Au revoir les enfants, Louis Malle, 1987.
Le travail de mémoire
Malle a privilégié la réalité de son souvenir à la réalité historique. En effet, en comparant ses
souvenirs avec son frère (qui était en 3e), il a constaté des divergences. Malle a bel et bien
écrit un scénario de fiction à partir d’une base autobiographique. Le réalisateur n'a jamais
prétendu raconter la vérité à la façon d'un documentaire, c'est une fiction faite des
souvenirs qu'il a de cette histoire vécue, à laquelle il a rajouté des éléments et anecdotes
récupérés ailleurs, et des éléments purement fictionnels. Au revoir les enfants est une
version romancée d'événements que Louis Malle a vécu.
 Il a compressé le temps. Le film commence après les vacances de Noël en janvier
1944 pour s’achever le 15 janvier soit une quinzaine de jours après. L’histoire contée
dans le film a duré 3 mois et non 15 jours
 Dans les faits réels, le jeune Jean Bonnet s'appelait Hans-Helmut Michel (6 novembre
1930, 6 février 1944) et il est resté environ un an dans le collège d'Avon avant d'être
arrêté et déporté. Il est en fait arrivé dans cet internat quelques mois avant Louis
Malle et son frère Bernard.
 Le Père Jean du film a lui aussi existé et s'appelait Père Jacques (29 janvier 1900, 2
juin 1945). Pour avoir caché les trois enfants juifs dans le collège d'Avon il fut aussi
déporté à Mauthausen.
 Il y avait bien eu un jeune garçon « extrêmement mal traité dans cette école pour
gosses de riches » mais il ne fut pas, semble-t-il, le dénonciateur. Dans la réalité, « on
a dit que des voisins ou encore un ancien élève qui était entré dans la Résistance et
qui avait été arrêté et torturé »
 Si la scène de la forêt est authentique, il s’agissait d’un autre camarade, les soldats
bavarois qui ont ramené les enfants n’ont jamais existé, la prière de Bonnet la nuit
dans le dortoir a été imaginée
Ce travail aboutit à faire d’un souvenir personnel et traumatisant un objet de mémoire
collective. Il raconte à travers son histoire, l’Histoire d’un pays. Nous suivons l’évolution d’un
collégien qu’une terrible irruption de l’Histoire dans sa vie va précipiter.
LE POINT DE VUE de Julien Quentin / Louis Malle (cf la VOIX OFF de la fin)
Tout repose dans le regard de Julien. Les deux élèves se jaugent, Julien est intrigué par Jean,
garçon fier, mutique et mystérieux rejeté par l'ensemble de la classe. Julien ne nourrit pas
une profonde sympathie pour le nouveau venu. Une certaine rivalité s’instaure même entre
eux dès le début du film. Mais cette rivalité fait vite place à une curiosité. Julien Quentin
fouine un peu partout, mène son enquête sur Jean Bonnet et dont il reconstitue peu à peu
l’identité comme un puzzle : il arrive en cours d’année, ne voit jamais ses parents, reçoit une
lettre de sa mère inquiète, il n’étudie pas le grec, ne communie pas (il prétend être
protestant) il prie en pleine nuit à la lueur de ses deux chandelles ( kiddouch), il est replié sur
lui-même (il rabroue Julien et a pour unique ami le Négus), il ne mange pas de porc, il ne
s’appelle pas Bonnet mais Kippelstein. Julien pose sur Jean un regard inquisiteur. Mais sa
différence l’intrigue. Leur relation fondée sur une sorte d’attrait / répulsion ne parvient pas
se clarifier et aboutit par deux fois à une bagarre. Mais leur véritable rencontre passe par la
mère, elle les sépare et d’une certaine manière permet de nouer une relation amicale entre
eux.
Le contexte du film
 Contexte historique :
La France occupée en janvier 1944. Des personnages, des éléments et des propos qui
jalonnent le film rappellent sans cesse l’occupation.
- Soldats allemands, officiers de l’aviation (restaurant), milice, gestapo…
A l’instar de la SS allemande, la milice française fut créée en janvier 1943 par Laval. Habillés
en bleu foncé avec un large béret, ils contrôlaient les forces de police ainsi que la
propagande.
Dans la séquence du restaurant, un officiel allemand intervient pour mettre fin au zèle du
milicien. Cette scène souligne la méfiance des officiers de l’armée allemande à l’égard de
cette police française qui a parfois devancé les pires exigences allemandes.
- Propos antisémites
(Joseph à Quentin : « T’es un vrai Juif ». Un élève voyant un Juif portant l’étoile jaune qui
sort du bain – douche s’exclame : « Il est gonflé, celui-là ! »).
Dès septembre 1940, dans la France occupée, les juifs étaient contraints de faire apposer un
tampon sur leur carte d’identité et à partir de mai 1942, de porter sur leur vêtement une
étoile jaune avec l’inscription JUIF
- Questions de Julien à son frère sur les Juifs
(« C’est quoi un Juif. – C’est quelqu’un qui ne mange pas de porc. » la réaction du jeune
garçon : « -C’est tout ? » souligne l’absurdité des thèses antisémites et de la ségrégation
infligée aux Juifs).
- Julien dit avec cruauté à Jean qu’ « Il n’y a plus de zone libre », lorsque celui-ci espère
que sa mère, dont il n’a pas de nouvelles depuis 3 mois, s’y trouve en sécurité.
- Progression du front. Couvre-feu. Résistance. Clandestinité. Perquisition. Arrestation.
Déportation.
Les menaces planent en permanence, et le contexte de guerre est bien réel, mais tout n’est
que suggéré dans le film. Suite à une dénonciation, la Gestapo fait irruption dans le collège.
Le père Jean, résistant clandestin, et les trois enfants juifs sont emmenés. Julien ne devait
plus jamais les revoir. Ils furent déportés à Auschwitz et à Mauthausen.
Dans ce film, Louis Malle arrive à aborder la guerre et l'holocauste sans surcharge de scènes
de violence, sans manichéisme non plus, les Allemands ne sont pas tous mauvais et les
collabos sont montrés de manière plus dure.
 Univers clos :
Lieu quasi-unique : l’internat constitue un microcosme. Le collège est un espace
relativement protégé.
- Le dortoir : devient l’espace de l’intimité, des secrets
- La cour : lieu de représentation. On y prend des noms de héros historiques. On se
confronte à l’autre sous les yeux d’autrui.
- La classe : lieu de transmission du savoir
Tout ce qui vient de l’extérieur du collège est menaçant.
- Forêt de Fontainebleau.
Elle se situe exactement au milieu du film. C’est un point de bascule dans la relation Bonnet /
Quentin
- Les douches municipales, le restaurant où les allemands sont présents
 Janvier 1944 : omniprésence du froid, jusque dans l’expression des personnages,
dans le choix des couleurs.
Malle voulait faire ‘un film en couleur sans couleur » : éclairage froid, couleurs éteintes, tel
fut le parti pris esthétique du réalisateur.
La structure du film
Un film clos : au début, la mère dit « -Bonjour les enfants ! » à la fin, le père Jean, arrêté par
la gestapo les salue une dernière fois « -Au revoir les enfants ! » et ce n’est que là que le titre
prend tout son sens. Le film démarre sur un quai de gare ; à la fin, le père juste (qui
conservait des tracts résistants dans les tiroirs de son bureau) et les trois enfants juifs
(Bonnet, Négus et Dupré) qu’il a cachés partent pour un « long voyage » dont la voix off nous
dit qu’ils ne reviendront jamais. Tous seront déportés et exterminés à Auschwitz ou à
Mauthausen.
Le langage filmique
 Pas d’effets d’angles (sauf dans la fuite de Moreau par les toits)
 Couleurs du temps, saturées, sans lumière où peu de couleurs percent dans le vert de
gris ambiant (à l’exception du rouge à lèvre de la mère). Faire du noir et blanc en
couleur, à mi-chemin entre le film documentaire d’époque et une fiction écrite au
présent. Le passé et le présent sont imbriqués
 Rares mouvements d’appareils
° Panoramique de 90° qui accompagne un mouvement de corps de Julien qui a pour effet de
mettre en relation des personnages ou des événements étrangers l’un à l’autre : les miliciens
ont fait irruption dans la cour, le surveillant et le père Michel emmènent Jean sous le regard
de Julien ; ils disparaissent par une porte reculée du bâtiment laissant Julien seul.
La caméra reste sur lui qui amorce une rotation ; la caméra pivote pour suivre son
mouvement et accompagner Julien qui découvre et s’avance vers Joseph. Ce mouvement de
caméra est assimilable à un mouvement de pensée de Julien.
° Double mouvement d’appareil dans la scène du dortoir qui précède l’arrestation de Jean.
Dans l’obscurité, la caméra s’avance en traveling lentement. Les barres des lits passent peu à
peu hors champ. Les deux amis sont de dos. Jean tient la lampe pour éclairer Julien qui lit les
1001 nuits. Ce travelling est enchainé avec un autre, perpendiculaire. Lentement, on
s’approche par une sorte d’effraction dans l’intimité. A nouveau les barres de lit s’effacent.
Ce mouvement de caméra exprime le point de vue du réalisateur. Elle constitue l’ultime
évolution des sentiments amicaux entre les deux garçons (ce qui rendra la scène de
l’arrestation plus douloureuse).