Carnet d`A. - Anne Lise Broyer

Transcription

Carnet d`A. - Anne Lise Broyer
Journal de Laura Palmer
Le visage est expressif, dira-t-on. Elle est jolie. Il a l’air tarte.
Elle ne fait pas son âge. Moi, je trouve que personne ne se
ressemble. À peine si l’on ressemble à soi-même, ou si rarement.
On se décolle tout le temps. Même l’intime cherche sa forme
adéquate, reste un travail, une quête – voire une enquête.
On se familiarise, à force, mais c’est alors encore plus obscur.
On ne ressemble que dans l’amour.
Je ne sais voir aucun visage, la face humaine est un mystère.
C’est un enfant très déçu à qui l’on offre une boîte de Playmobil,
un Meccano, un puzzle, mais dont il manque des pièces, le plan
a été perdu, ça vient du Secours Populaire, c’est trouvé dans
une poubelle, c’est reconditionné. On ne peut que glisser, puis
tomber dans un visage. Balisé par des lignes mouvantes, ce vide
n’exclut pas le ravissement – comme je baignais dans les yeux
de ma sœur, avec des vins clairs, devant la piscine.
Je ne sais voir aucune tête, regarder non plus. Je ne dis pas
ressentir, mais voir. Pourquoi embrasse-t-on ? Pour essayer
de voir, peut-être. Le baiser profond voit plus loin. Toucher,
pour voir. Sans cet abandon, on voit tout juste assez pour
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àled-ua ,neir ednehérppa’n no’uq ,sap tiov en no’uq riovas
nos tnaya ,leitnetsixe elcos nu ,noitarbiv enu ,ecnesérp enu’d
.suon ruop sap tse’n ec cnod ,euqisyhpatém al snad egèis
.riovas ruop uo riov ruop ,sproc sel rirvuO
savoir qu’on ne voit pas, qu’on n’appréhende rien, au-delà
d’une présence, une vibration, un socle existentiel, ayant son
siège dans la métaphysique, donc ce n’est pas pour nous.
Ouvrir les corps, pour voir ou pour savoir.
– relbmessa à ,eriurtsnocer à ,emêm-ios eriaf à tse egasiv eL
ecart al ,euqilpér al ,unnocni nu rap etiaf noiva’d etteuqam enu
eétongirg ecnesérp enu ,rinevuos nu àjéd uo ,esohc euqleuq ed
. é s i r u t a i n i m t n e m i t n e s n u , e m m a r g o é d i n u , er i o m é m a l r a p
erid euQ .ynuC nialA tiasid ,» etirém no’l euq egasiv el a nO «
tiares en iuq nu’D ? egasiv ruel étar tneiarua iuq xuec ed srola
etêt al tiarua iuq siam ,namam as ed éhcarc tuot tiartrop el sap
? eur al ed nioc ua enruot iuq ,sab-àl essap iuq epyt ud
Le visage est à faire soi-même, à reconstruire, à assembler –
une maquette d’avion faite par un inconnu, la réplique, la trace
de quelque chose, ou déjà un souvenir, une présence grignotée
par la mémoire, un idéogramme, un sentiment miniaturisé.
« On a le visage que l’on mérite », disait Alain Cuny. Que dire
alors de ceux qui auraient raté leur visage ? D’un qui ne serait
pas le portrait tout craché de sa maman, mais qui aurait la tête
du type qui passe là-bas, qui tourne au coin de la rue ?
nu elrap egasiv el : )eridertnoc em erèférp ej( étilibissop ertuA
,noitisopxerus ,tnemeiorduof ,ehcrep al à tuaS .tcerid egagnal
suon suon ,stnacinummoc sesav ,étidiuqiL .ertua’d te trap ed
euqitsalp ne ettob al emmoc enneittekceb edir al snad snoçnofne
neib ,sirg neib ecuaeB ed pmahc nu’d xuebruob snollis sel snad
sniom ,sertua sel ,)sitreva sulp sel ruop ,euqitsalp el( ébmolp
ettessuahc ,esialg al snad élloc norram nissacom el : stnayovérp
.etnatiséh ellivehc al rus siarf tnev ,un à
Autre possibilité (je préfère me contredire) : le visage parle un
langage direct. Saut à la perche, foudroiement, surexposition,
de part et d’autre. Liquidité, vases communicants, nous nous
enfonçons dans la ride beckettienne comme la botte en plastique
dans les sillons bourbeux d’un champ de Beauce bien gris, bien
plombé (le plastique, pour les plus avertis), les autres, moins
prévoyants : le mocassin marron collé dans la glaise, chaussette
à nu, vent frais sur la cheville hésitante.
.sulp ellocéd ne’s en no ,snaded ehcram no ,aç emmoc tse’C
leutnevé tilfnoc ud eriotsih’l etuot te – étuanummoc al tse’C
-ummoc ettec te eppolevne enu sap tse’n iuq egasiv ec ertne
eriaf tuep ,elle ,uq , tuotrus nitsed ed ,emâ’d te riahc ed étuan
C’est comme ça, on marche dedans, on ne s’en décolle plus.
C’est la communauté – et toute l’histoire du conflit éventuel
entre ce visage qui n’est pas une enveloppe et cette communauté de chair et d’âme, de destin surtout – qui elle, peut faire
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, er d n er p m o c à n e i r a y ’ n l I . t n e m e t s u j , e p p o l e v n e ’ d er u g i f
t s e ’ c , t n e dr a g er s u o n i u q u o t n e dr a g er i u q x u e y s e d t n o s e c
xueD .ruoter snas dnofnoc es te eduos es alec ,elbadicédni
noitamrof àl a y li’s erid tiaruas en no : ecaf à ecaf sésop sriorim
,emrof enu à sulp dnetta’s en no ,rueluoc enu’d uo egami enu’d
.unnoc ed neir à in
figure d’enveloppe, justement. Il n’y a rien à comprendre,
ce sont des yeux qui regardent ou qui nous regardent, c’est
indécidable, cela se soude et se confond sans retour. Deux
miroirs posés face à face : on ne saurait dire s’il y a là formation
d’une image ou d’une couleur, on ne s’attend plus à une forme,
ni à rien de connu.
.sap sius y’n ej siam ,ertê y’d ria’l ia’J – : tid iuq enu a ne y lI
.emâ nom sap zerua’n suov siam ,sproc nom zerua suoV–
iulec( ediv suoS .sod ed : sruojuot tse’c ,tnemelanif ,tiartrop eL
eésrevner etteuorb enu ,egarrab nu tse drager el )ehpatipé’l ed
noisiv al tse’c ,ehcnaver ne ,énnod tse iuq eC .notéb el snad esirp
e n o z a l t n a r v u o c s e l l i a m e d er b m o n e l , e s i m e h c e d l o c n u ’ d
xued ,xuevehc ed epuoc te erulevehc : tuotrus te ,seluapé sed
siam ,neib sèrt sruojuot sap tnednetne’s en iuq ,selbarapésni
.esufer es iuq ec à elbangissa erdac nu tnemrof
Il y en a une qui dit : – J’ai l’air d’y être, mais je n’y suis pas.
–Vous aurez mon corps, mais vous n’aurez pas mon âme.
Le portrait, finalement, c’est toujours : de dos. Sous vide (celui
de l’épitaphe) le regard est un barrage, une brouette renversée
prise dans le béton. Ce qui est donné, en revanche, c’est la vision
d’un col de chemise, le nombre de mailles couvrant la zone
des épaules, et surtout : chevelure et coupe de cheveux, deux
inséparables, qui ne s’entendent pas toujours très bien, mais
forment un cadre assignable à ce qui se refuse.
? ecneicsnoc al ed egèis el tse etnetta’l euq erid no-tiareso ,isniA
noitnetta etuot ed ecnal ed ref ,leitnetsixe uo euqirtémoég ediv eL
neib ,spmet el snad euq retsixe snovuop en suon euQ ? elbatirév
,eirocs emmoc ,iul ed sroh sétej tnemmatsnoc snoyos suon euq
emmoc eriomém al rap sétnaH ? enègorétéh srever nos emmoc
tnessinif xuerueh stnatsni sel emêm ùo – ramehcuac nu snad sirp
e l r u s er è i m u l e d i a R ? é l p u e p é d t n e s é r p n u r i r b m o s s a r a p
emitlu sruocer ,ellocéd es iuq ehtnilp ,eécnoféd esiahc ,noreppan
emêm te elatsop etrac al tnod – segasyap sdnarg sed ecapse’l à
ne essiup no’uq uep el zessa tnesid eihpargotohp ednarg al
Ainsi, oserait-on dire que l’attente est le siège de la conscience ?
Le vide géométrique ou existentiel, fer de lance de toute attention
véritable ? Que nous ne pouvons exister que dans le temps, bien
que nous soyons constamment jetés hors de lui, comme scorie,
comme son revers hétérogène ? Hantés par la mémoire comme
pris dans un cauchemar – où même les instants heureux finissent
par assombrir un présent dépeuplé ? Rai de lumière sur le
napperon, chaise défoncée, plinthe qui se décolle, recours ultime
à l’espace des grands paysages – dont la carte postale et même
la grande photographie disent assez le peu qu’on puisse en
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e n u e m m o c , s i a m a j à , i o s r u s r u o t er t i a f i u q r i s é d , – r er i t er
ua ecneicsnoc al ed leitnetsixe elbuod emmoc ,etnetta’L .elcuob
tnemellitnics ua tnemelues snoidécca’n suon euq sniom À .liavart
.neir sulp snodnetta’n suon euq srol sèd ,ednom ud
retirer –, désir qui fait retour sur soi, à jamais, comme une
boucle. L’attente, comme double existentiel de la conscience au
travail. À moins que nous n’accédions seulement au scintillement
du monde, dès lors que nous n’attendons plus rien.
,enretni enagrO .egami enu eriaf à tiffus = lielos ed ehcaT
erbmahc al snaD .eingapmoc te mutcnup ,elarbétrev ennoloc
erialcé elliugia’d uort nu : erion erbmahc al snad emmoc letôh’d
tnemelôrf nu dnauq ,niol sulp rehcrehc iouqruoP .erèitne ecèip al
? sècca’d sroh tnemelarénég ,inifni’l recalpéd tneiv elioté’d elia’d
s e l – s e n n o s r e p s e d n a r g r u o p e l l u b r e i p a p , er i o s i r é d t e l e b o G
en neir ,trom ed eniep suos : tnemertua tuot tnesu ne stnafne
releppar li-tuaF .eilof snas ,esservi snas étiart in uçrep ertê tiod
ud uo esservi’l ed euv ed tniop uD ? liavart nu issua tse’c euq
-necnoc xuaenna ses ceva ,tnerapsnart telebog el ,xuellievrem
latsirc nu ruop tuav ,emulp sdiop nos te etcaxe emrof as ,seuqirt
uaecs ud éllipmatse latsirc – lielos ed ehcat enu snad tuotrus –
tiucric nE .segurB ed sioB ud sellec ed uo selayor seirelffuoS sed
t s e ’ C . s er i a n i dr o s n e g s e l e u q a r e t c e f f a ’ n er i a n i dr o ’ l , é m r e f
.refne’l ,alec
Tache de soleil = suffit à faire une image. Organe interne,
colonne vertébrale, punctum et compagnie. Dans la chambre
d’hôtel comme dans la chambre noire : un trou d’aiguille éclaire
la pièce entière. Pourquoi chercher plus loin, quand un frôlement
d’aile d’étoile vient déplacer l’infini, généralement hors d’accès ?
Gobelet dérisoire, papier bulle pour grandes personnes – les
enfants en usent tout autrement : sous peine de mort, rien ne
doit être perçu ni traité sans ivresse, sans folie. Faut-il rappeler
que c’est aussi un travail ? Du point de vue de l’ivresse ou du
merveilleux, le gobelet transparent, avec ses anneaux concentriques, sa forme exacte et son poids plume, vaut pour un cristal
– surtout dans une tache de soleil – cristal estampillé du sceau
des Souffleries royales ou de celles du Bois de Bruges. En circuit
fermé, l’ordinaire n’affectera que les gens ordinaires. C’est
cela, l’enfer.
lielos el rus ,ruot nom à ,erid à puocuaeb siarua’j ,siaso’j iS
etnaiféputs is noçaf ed ,erussuahc enu’d dnof el snad ébmot
-nirp el tnevius iuq siom sel snad tiaref ne nitérc reimerp el euq
ia’j emmoc tnemelueS .eétépér siof tnec noitallatsni enu’d epic
snad sap etsixe’n elle’uq noN .titep tuot siaf em ej otohp al étar
,emèlborp sorg nu ue a y li siam ,serialpmexe qnic ne setîob sel
Si j’osais, j’aurais beaucoup à dire, à mon tour, sur le soleil
tombé dans le fond d’une chaussure, de façon si stupéfiante
que le premier crétin en ferait dans les mois qui suivent le principe d’une installation cent fois répétée. Seulement comme j’ai
raté la photo je me fais tout petit. Non qu’elle n’existe pas dans
les boîtes en cinq exemplaires, mais il y a eu un gros problème,
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emèlborp nu ,euqirtémoég emèlborp nu ,espille’d emèlborp nu
- or p n u t e l a c i x e l e m è l b or p n u , s er u s e m s e l t e s d i o p s e l s n a d
.elbissopmi tnemelpmis : euqirotsih emèlb
un problème d’ellipse, un problème géométrique, un problème
dans les poids et les mesures, un problème lexical et un problème historique : simplement impossible.
.esohc euqleuq ed tubéd nu àliov ,neir ertnom en iuq otohp enU
tse egitrev ec ,sialaP dnarG el tnaved eueuq al eriaf ed elitunI
sap ia’n ej – sap esserp es en no ,àl-etrop ettec tnaveD .sruellia
à tse etnetta’l euq ec …aç emmoc tse’c : neib tiaté’c euq tid
,spmet el snad esirp ecneicsnoc al ,liued ua rinevuos el ,ruoma’l
ellevuoN « tid tno sniatreC .reinnocarb ed egèip nu snad emmoc
,eéludno elôt ,seuqilbo emutib ed snaP .tioS .» eihpargotohP
s e b r e h s e l t e s e s s u o m s e l i m r a p , e t n a s s i p u or c u a e , s e c n or
silpmer suenp ,eélliuor eluem ,norduoG .nidraj etsedom nu’d
riséd ua euqnam tuoT .tuev iuq ruop uaetâhc tse tuot : uae’d
ed elia ,snotrac – irba nu tiaf tuot ,rellirb à tem es tuot te
. t u o t r a p t s e s e g a l u o S er r e i P … e l l i e v a l e d l a n r u o j , er u t i o v
Une photo qui ne montre rien, voilà un début de quelque chose.
Inutile de faire la queue devant le Grand Palais, ce vertige est
ailleurs. Devant cette porte-là, on ne se presse pas – je n’ai pas
dit que c’était bien : c’est comme ça… ce que l’attente est à
l’amour, le souvenir au deuil, la conscience prise dans le temps,
comme dans un piège de braconnier. Certains ont dit « Nouvelle
Photographie ». Soit. Pans de bitume obliques, tôle ondulée,
ronces, eau croupissante, parmi les mousses et les herbes
d’un modeste jardin. Goudron, meule rouillée, pneus remplis
d’eau : tout est château pour qui veut. Tout manque au désir
et tout se met à briller, tout fait un abri – cartons, aile de
voiture, journal de la veille… Pierre Soulages est partout.
tse’n eC – ? sli-tnenneiv ùo’d ,erret al suos sdruos spuoc seC
.uaevac nu snad eémrefne ,epparf iuq ruœs am etsuj tse’c : neir
Ces coups sourds sous la terre, d’où viennent-ils ? – Ce n’est
rien : c’est juste ma sœur qui frappe, enfermée dans un caveau.
erdnerP .sruellia edrager iuq nu’uqleuq redrager à sénmadnoC
,ecilis al snad sirp sniram xuamina ,selissof sed ceva niab nos
noçaf ertua enu te ,ecneréffid ed sna ellim etnauqnic etsuj tse’c
: iul à neib eérud as a eriosiréd tnatsni’l tnatruoP .ecneirépxe’d
,tnemetnel etnom uaevin el ,éuqalc erocne sap a’n eluopma’l
ses rettiuq À( .erporp tse’c ,un tse’c ,sniab ed ellas te etteuqom
tias en no siam ,tiov nO ).ecneconni ne engag no ,stnemetêv
Condamnés à regarder quelqu’un qui regarde ailleurs. Prendre
son bain avec des fossiles, animaux marins pris dans la silice,
c’est juste cinquante mille ans de différence, et une autre façon
d’expérience. Pourtant l’instant dérisoire a sa durée bien à lui :
l’ampoule n’a pas encore claqué, le niveau monte lentement,
moquette et salle de bains, c’est nu, c’est propre. (À quitter ses
vêtements, on gagne en innocence.) On voit, mais on ne sait
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,ennomram es à ennob sruojuot ecnedivé’d etros – iouq siamaj
al ed esuegapat te evisuba étirotua’l tnaved elpmexe rap
r u o p t u o t t n a dr a g , er t u a ’ l e d dr a g er u a e c a F . e i h p a r g o t o h p
,stoidi tnemelatot tnassial suon te – ! dnamruog el – emêm-iul
,egasiv eL .elbissop noitcerid enu’d uo ecidni nu’d erbmo’l snas
es iuq ec érglam ,srum ed tnatua : seésiorc sniam sel ,etsub el
.sruellia tuotrap tid
jamais quoi – sorte d’évidence toujours bonne à se marmonner,
par exemple devant l’autorité abusive et tapageuse de la
photographie. Face au regard de l’autre, gardant tout pour
lui-même – le gourmand ! – et nous laissant totalement idiots,
sans l’ombre d’un indice ou d’une direction possible. Le visage,
le buste, les mains croisées : autant de murs, malgré ce qui se
dit partout ailleurs.
sèrt te erbmos sèrt tnemeluor ec ,étibah erumrum ec ,iouq tse’C
iuq .L-.A etsuj tse’c ,neir tse’n eC ? sussed evirra suon iuq sab
d n a u q , » e i h p a r g o t o h p « er i d t i a r v e d n O . o t o h p e n u t i a f a
. ) er dr e p e l r i o v a s er i d - à - t s e ’ c ( s p m e t n o s er d n er p t i a s n o
, é f a c e d cr a m u a , er d n e c a l à , n o b r a h c u a e i h p a r g o t o h P
étrova emèop nu snad ,noitcafértup ne enmotua’d selliuef xua
.terces unet uo –
C’est quoi, ce murmure habité, ce roulement très sombre et très
bas qui nous arrive dessus? Ce n’est rien, c’est juste A.-L. qui
a fait une photo. On devrait dire « photographie », quand
on sait prendre son temps (c’est-à-dire quand on sait savoir
le perdre). Photographie au charbon, à la cendre, au marc de
café, aux feuilles d’automne en putréfaction, dans un poème
avorté – ou tenu secret.
ed uo reyerD ed mlif nu’d eitros tiord tuot elbmes ic-elleC
sèrpa zeretser suov ,elloc ed erueh enU – ? sèrpa te ,nosserB treboR
edrager no dnauq àl sruojuot tse egami’l euq ec-tsE ! eduté’l
? etsisér aç euq ec-tsE ? etsisrep aç euq ec-tsE ? ertênef al rap
…tnenitnoC uaevuoN ud setèop sel elcuob ne tnennoitseuq –
nifne ,riov ed ,riov ed riséd xueiruf nu’d essiga’s en li’uq sniom À
enu erdnerp sap no-tid eN .simrep ertê tiarved ,emêm ,redéssoP !!
erocne àliov ,ruza’l snad tneionruot iuq xuaesio sel regnaM ? otohp
ruetama tuot resserétni tiarruop iuq ,tejorp ed noçaf ertua enu
rexoB .tejus nos resiupÉ .emra enu ceva rioV .eihpargotohp ed
.secuod sèrt sniam sed ceva – thgirypoc el te emitni’l
Celle-ci semble tout droit sortie d’un film de Dreyer ou de
Robert Bresson, et après ? – Une heure de colle, vous resterez après
l’étude ! Est-ce que l’image est toujours là quand on regarde
par la fenêtre ? Est-ce que ça persiste ? Est-ce que ça résiste ?
– questionnent en boucle les poètes du Nouveau Continent…
À moins qu’il ne s’agisse d’un furieux désir de voir, de voir, enfin
!! Posséder, même, devrait être permis. Ne dit-on pas prendre une
photo ? Manger les oiseaux qui tournoient dans l’azur, voilà encore
une autre façon de projet, qui pourrait intéresser tout amateur
de photographie. Voir avec une arme. Épuiser son sujet. Boxer
l’intime et le copyright – avec des mains très douces.
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.noitisopmocéd tnava etiv relliavart : tiartrop uo etrom erutaN
.emsibarts regél te epuol ed teffe ceva ,lacob nos snad tnepreS
,lamrona ,elbirroh tse iuq ec tuoT .lerutan sèrt tse alec tuoT
iarv sulp ,tiartrop eL .lerutan is tnemelanif tse suon ,ésnesni
nos euq esned sulp ,elbariséd sulp ,tnesérp sulp ,erutan euq
al rehcâL .revirra tuep alec ,elbavecnoc tse issua alec ,elèdom
ed ,erbmo’l snad tnemellitnics ud revuort ,erbmo’l ruop eiorp
al tnemmoc riov ed tiffus lI .telfer nu’d ohcé’l à ecnesérp al
ennosrep enu’d arua’l te egasiv el riloméd tuep » eétar otohp «
.slituo sec ed ecnassiup al erdnerpmoc ruop
Nature morte ou portrait : travailler vite avant décomposition.
Serpent dans son bocal, avec effet de loupe et léger strabisme.
Tout cela est très naturel. Tout ce qui est horrible, anormal,
insensé, nous est finalement si naturel. Le portrait, plus vrai
que nature, plus présent, plus désirable, plus dense que son
modèle, cela aussi est concevable, cela peut arriver. Lâcher
la proie pour l’ombre, trouver du scintillement dans
l’ombre, de la présence à l’écho d’un reflet. Il suffit de voir
comment la « photo ratée » peut démolir le visage et l’aura
d’une personne pour comprendre la puissance de ces outils.
,ecnetsixe’l rap éssial nobrahc ,srohed ud ecart : cnalb te rioN
e u q s er i a n i dr o a r t x e s e d a ç a f , s n i m e h c , s n o l l i s , s e d i r e m m o c
ed tuf iuq ec tuot esnednoc ùo essoF .euqramer en ennosrep
selleuqxua ,snoitseuq sed cnalb el te ruoma’l ed rion el : tnarbiv
tnasiaf ne ,eriruos ud rion ua ecârg tnemeuqinu eppahcé no
sed tnaegarvuo ne ,reitém nu tuot érglam tnaya ne ,sotohp sed
seéssial siofrap ,sesuelubén siofrap siam ,sesicérp snoitcnof
» .ednor ,eun eluapé enU .rion éfaC .eélliuom eur enU « .setrevuo
Noir et blanc : trace du dehors, charbon laissé par l’existence,
comme rides, sillons, chemins, façades extraordinaires que
personne ne remarque. Fosse où condense tout ce qui fut
de vibrant : le noir de l’amour et le blanc des questions,
auxquelles on échappe uniquement grâce au noir du sourire,
en faisant des photos, en ayant malgré tout un métier, en
ouvrageant des fonctions précises, mais parfois nébuleuses,
parfois laissées ouvertes. « Une rue mouillée. Café noir.
Une épaule nue, ronde. »
éilbup ,tnatiséH etsefinaM nu snad ,serar servil ed sruetama seL
ellevuoN aL « : icec erocne tnorevuort ,tenraC ec ed ruetua’l rap
, e l p m e x e r a p , t n a i l er u d n e p s u s t n o p n u t s e e i h p a r g o t o h P
.esueruoma étimitni’l ed iulec à ecivres-snoitats sed ednom el
el te ,tnemetibus redéc ed tnop ec a’uq noçaf enu issua tse’C
tnatua ruop ,ellierap etuhc enu enèm iouq srev unnocni ueil
snas – tios ec euq iouq retroppar ne’d taté ne erocne tios no’uq
Les amateurs de livres rares, dans un Manifeste Hésitant,
publié par l’auteur de ce Carnet, trouveront encore ceci :
« La Nouvelle Photographie est un pont suspendu reliant,
par exemple, le monde des stations-service à celui de l’intimité amoureuse. C’est aussi une façon qu’a ce pont de céder
subitement, et le lieu inconnu vers quoi mène une chute
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retroppar ne’d taté ne erocne tios no’uq tnatua ruop ,ellierap
regérgaséd es ruœc nos tiov elle iouq snas – tios ec euq iouq
sevêr sertua’D .lielos ua ebreh’l snad rirruop ,ecnesse’l snad
ici’d tnanet ruehcîarf etuot ,tnelumrof y’s tnemetnel isnia
» .terces nos
uaeiréM neiluJ
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pareille, pour autant qu’on soit encore en état d’en rapporter
quoi que ce soit – sans quoi elle voit son cœur se désagréger
dans l’essence, pourrir dans l’herbe au soleil. D’autres rêves
ainsi lentement s’y formulent, toute fraîcheur tenant d’ici
son secret. »
Julien Mérieau
2011
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