Nouvelles_files/Polar pop 2 Fabienne

Transcription

Nouvelles_files/Polar pop 2 Fabienne
POLAR POP Il avait plu et les entrelacs en fer forgé de la grille luisaient sous les rayons de la pleine lune. Du sol mouillé montait une légère brume et une odeur d’humus et de feuilles mortes. La forêt sombre était silencieuse, sans un souffle de vent. On distinguait seulement le clapotis léger des branches qui ruisselaient et l’écho lointain du galop d’un cheval. Devant la grille montait un sentier boueux où des traces de pas étaient visibles, sans doute faites par quelqu’un qui portait des bottes et qui avait trainé quelque chose de lourd sur le bord. Au loin les fenêtres du manoir Malafolie étaient plongées dans l’obscurité et la lune éclairait seulement la girouette de la tour Est d’une lueur inquiétante. A l’aube de ce 27 juin 2005, l’adjudant chef Romuald Tachon fut réveillé par la sonnerie de son portable. C’était la musique du générique de Starsky et Hutch dont il était fan depuis toujours. Il se tourna du coté gauche du lit pour répondre, n’y rencontra que du vide et fut pendant quelques secondes étonné de l’absence de sa femme Josette, avant de se souvenir qu’elle avait quitté le domicile conjugal trois jours avant. «Allo chef, c’est Hervé Navet à la brigade. On vient de nous signaler une disparition inquiétante au manoir Malafolie. Vous savez qu’y a lieu en ce moment le tournage de Démons et Diables le Retour. Toute la presse régionale en a parlé ! Vous pensez un événement pareil dans la région ! J’ai adoré le 1 et le 2, pas vous chef ? Surtout la scène du 2 où le démon prend feu et que le diable arrive et qu’il essaie de… -­‐ Allez au fait Navet ! l’interrompit l’adjudant. 1 -­‐ Oui, hum, eh bien voilà, le réalisateur nous a appelés car ce matin la vedette Blondie St Ange est introuvable, et toute l’équipe est sur les dents vous pensez bien chef ! -­‐ Entendu, j’y serais dans 20 minutes répondit Tachon avant de raccrocher, pensif. Blondie St Ange ! Il eut un petit sourire ému à l’évocation de la star car c’était l’actrice préférée de sa femme qui collectionnait tout ce qui la concernait. Elle possédait des cartons entiers d’albums remplis d’articles de magazines et de photos d’elle, ou d’objets lui ayant appartenus dans sa jeunesse quand elle s’appelait encore Germaine Martignole. C’était d’ailleurs lors d’une vente aux enchères pour nostalgiques des années 80 qu’il avait rencontré Josette, où elle venait de dénicher un peignoir en lamé porté par la star et lui une authentique brosse a dents utilisée une fois par Johnny Halliday. L’adjudant sauta du lit et fila sous la douche. Il tenait à faire bonne impression à ces gens du cinéma et apporta un soin particulier à sa tenue. Il choisit un pantalon patte d’eff d’un joli mauve et une chemise à motif fleuri. Il avala un café en vitesse et jucha ses lunettes de soleil sur son crâne en partie dégarni. Il s’examina dans le miroir et constata une nouvelle fois avec satisfaction sa ressemblance frappante avec Michel Polnareff. Il s’engouffra dans sa 4L safari orange (un pur bijou dont il prenait soin depuis 25 ans) et le temps d’écouter trois chansons de Françoise Hardy il était en vue du Manoir. Sur le perron un homme de haute taille aux cheveux gris était en grande conversation avec un autre plus petit porteur de moustaches. Romuald s’avança et les salua : « Messieurs, je suis l’adjudant chargé de cette affaire, que se passe t-­‐il ? » 2 Le plus grand prit la parole : « Je suis Albert Trischkok, le réalisateur de Diables et Démons et voici Ricardo Pasta notre maquilleur-­‐ costumier. Nous sommes très inquiets car notre vedette Blondie St Ange a disparu. Elle n’était pas présente au petit déjeuner et n’est pas dans sa chambre. Aucun de nous ne l’a vue depuis hier soir. Sa voiture est toujours là et ses bagages aussi. -­‐ Que personne ne quitte les lieux, je prends en charge les recherches » répondit Tachon. Il pénétra dans le grand hall, encombré de matériel vidéo et de cartons d’accessoires, puis dans l’immense salle de réception. Une jeune femme brune y était étendue immobile sur un divan ancien. Son cou avait été lacéré de multiples morsures ensanglantées qui contrastaient avec son teint livide. L’adjudant (qui avait été longtemps scout) se précipita pour tenter de réanimer la malheureuse par un énergique bouche à bouche. Elle se redressa telle une furie et s’écria : « Mais arrêtez ! Mais qui est cet imbécile !? Vous avez ruiné mon maquillage, j’en ai pour des heures à tout refaire !! -­‐ Mais… je vous ai crue… enfin… vous étiez… Pardon. -­‐ On tourne un film d’horreur ici espèce de crétin ! Alerté par les cris, Albert Trischkok, suivi de Ricardo, surgit dans la pièce. « Ah je vois que vous avez fait la connaissance de Melle Cynthia Belnib, notre charmant jeune espoir féminin. Elle répète son rôle car nous devions tourner ce matin la scène où nos deux héroïnes sont attaquées par les esprits maléfiques… L’absence de Blondie nous fait perdre un temps précieux, mais où peut-­‐elle être ? J’espère que ce n’est pas encore un de ces caprices. » 3 Confus, Tachon s’éclipsa pendant que Ricardo s’efforçait de calmer la jeune femme en colère qu’il entendit encore le traiter de crétin tandis qu’il explorait vivement le reste du rez-­‐de-­‐chaussée, puis l’étage, accompagné de Trischkok. La star s’était volatilisée, sa chambre ne présentait aucune trace de désordre, apparemment rien n’y manquait. L’adjudant décida d’inspecter le jardin et les écuries, et n’y trouva rien d’anormal. Il franchit ensuite la grille en fer forgé et fut intrigué par des traces de pas qui conduisait à une ancienne remise à moitié en ruine. En y pénétrant, il alluma son Zippo (un cadeau de Josette, celui-­‐ci ayant appartenu à Enrico Macias avant qu’il arrête de fumer) et découvrit sous sa faible lumière un spectacle macabre… Le corps sans vie de la vedette de cinéma gisait là, à peine dissimulé sous une botte de paille. Elle avait été tuée de plusieurs coups de couteau sans doute par surprise et au sortir du bain car elle ne portait qu’un léger peignoir. Mais ce qui ne pouvait échapper même à Tachon, c’était un curieux détail : la blonde Blondie, célèbre pour sa magnifique chevelure en chignon choucroute était… complètement chauve. Son crâne luisait comme celui d’un footballeur. L’adjudant fila dare dare au manoir et appela ses collègues de la médico-­‐légale qui s’occupèrent du corps et de la scène de crime. Ils ne relevèrent aucun indice, pas d’arme du crime et encore moins de perruque blonde. L’équipe de tournage était réunie dans la grande pièce et, après les avoir informés du meurtre, Romuald Tachon décida de les interroger à tour de rôle. Il commença par Trischkock : « Pouvez-­‐vous me dire qui aurait pu avoir des raisons de vouloir la tuer ? 4 -­‐ Ecoutez, autant vous le dire tout de suite, j’ai été l’amant de cette pauvre Blondie. Bien que nous fussions en train de nous séparer, sa mort m’affecte beaucoup et… fout mon film en l’air. La location du manoir, les frais engagés… Je ne vous cache pas que c’est un coup dur financièrement, déjà que j’ai eu du mal à réunir les fonds nécessaires…Vous savez, sa carrière s’essoufflait depuis quelques années, c’était un peu le film de la dernière chance pour elle, elle a tellement insisté pour faire partie de la distribution… Le public ne venait plus vraiment pour elle vous savez… -­‐ Et vous étiez en train de vous séparer dites-­‐vous ? Moi aussi ma femme m’a quitté récemment. -­‐ Non, non, vous n’y êtes pas, c’est moi qui la quittait. Je vais annoncer prochainement mes fiançailles avec Cynthia. Ce sera la vedette de mon prochain film. -­‐ Et, ses cheveux ? Vous êtes au courant ? -­‐ Ses cheveux ? Quel rapport ? Non… qu’y a-­‐t-­‐il à savoir ? Tachon interrogea ensuite Ricardo Pasta. Celui-­‐ci déclara en lissant sa moustache : « Adjudant, votre pantalon est magnifique et met vraiment en valeur vos yeux bleus, c’est agréable de voir qu’il y a des hommes avec votre goût dans la gendarmerie. On ne vous a jamais dit que vous pourriez faire du cinéma avec un physique pareil, hum ? -­‐ Oui oui, bien. Parlez-­‐moi plutôt de la victime, répliqua Tachon en s’empourprant. -­‐ Il manquait plus que ça, un meurtre ! Et avec l’ambiance pourrie de ce tournage c’est le pompon ! Ces starlettes se prennent pour des dames mais entre elles c’était pas joli. Les deux femmes se disputaient sans arrêt, pour tout, la lumière, le maquillage, Trischkok évidemment. Des poules dans un poulailler, avec le caractère d’un cochon, oui ! Ces derniers 5 temps Blondie était invivable et pourtant croyez-­‐moi, j’en ai vu dans ce métier. Elle me prenait pour son larbin, elle m’appelait à n’importe quelle heure pour râler et se plaindre des deux autres. Vous savez j’ai même du prendre des calmants pour pouvoir continuer sur ce tournage ! Elle ne voulait pas le quitter et en plus y a des histoires de gros sous là-­‐dessous, moi j’vous l’ dit. Trischkock va toucher le pactole avec les assurances du film pour cette histoire de meurtre, ça va bien arranger ses affaires à celui-­‐là, il lui devait un paquet a mon avis. -­‐ Bien et vous, vous saviez pour ses cheveux ? -­‐ Quoi ? Qu’est-­‐ce que ça vient faire là dedans ? Non, rien à part qu’elle nous coûtait une fortune en laque. Tachon fit ensuite rentrer Cynthia, elle s’écria : « Et bien je n’irai pas jusqu’à dire bon débarras mais c’est sûr que je ne vais pas la pleurer. Depuis qu’elle savait pour Albert et moi elle me persécutait, elle était jalouse de moi et aigrie de voir que sa carrière était en fin de course. Cette vielle peau était infernale, St Ange tu parles ! -­‐ Et a propos de ses cheveux ? -­‐ Pénible, comme avec le reste ! Sinon quoi qu’est-­‐ce qui y a avec ses cheveux ? Songeur, Tachon rentra chez lui. A son humble opinion, ces trois personnes étaient suspectes. Pour Trischkok le mobile pouvait être l’argent et l’avantage de se débarrasser d’une ex encombrante et hors du coup. Quand à Pasta, il avait l’air rincé, elle en avait fait son souffre douleur. Il aurait pu vouloir se venger. Cynthia et elle se détestaient et une dispute aurait pu mal tourner. 6 Après cette dure journée un petit chili con carne serait bien agréable ; il sortit les oignons, mais impossible de mettre la main sur son couteau préféré, un authentique opinel que le vendeur lui avait certifié avoir appartenu à Eddy Mitchell. Dépité, Il décida de réécouter sa collection de 45 tours par ordre alphabétique, ça l’aidait toujours à réfléchir. Il en était à la lettre C (Charden et Stone, le tube interplanétaire : Les vaches de Normandie) quand il entendit une clé tourner dans la serrure. Josette ! Son cœur ne fit qu’un bond et son postérieur aussi car il s’arracha du canapé. Elle lui revenait! Il s’élança pour l’enlacer mais stoppa net en plein élan : sur le pull noir de sa femme brune aux cheveux courts deux grands cheveux blonds s’étalaient. Dans son génial cerveau, des milliards de neurones établirent en un instant les connexions nécessaires. Tout concordait : Josette et son adoration pour Blondie St Ange, Josette et la disparition du couteau d’Eddy Mitchell, les cheveux qui provenaient de la perruque de l’actrice. Josette qui l’avait quitté quand elle avait su par la presse que le film allait être tourné au manoir. Il prit soudain conscience que sa femme avait voué toutes ces années une passion exclusive et dévorante à l’actrice et que celle ci n’avait jamais pris la peine de répondre aux centaines de lettres d’admiration qu’elle lui avait envoyées. Il s’approcha doucement de son épouse, la prit dans ses bras et lui dit : « Raconte moi ce qui s’est passé ». FABIENNE 7 

Documents pareils