ARTS, ÉTAT ET POUVOIR : HASTA SIEMPRE Contexte historique

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ARTS, ÉTAT ET POUVOIR : HASTA SIEMPRE Contexte historique
ARTS, ÉTAT ET POUVOIR : HASTA SIEMPRE
Présentation de l’œuvre
Titre
Hasta siempre
Nature / genre de l’œuvre
Chant de la Révolution Cubaine
Auteur / Interprète
Carlos Puebla
Date de création
1965
Genre musical
Son cubain
Sujet
Ernesto « Che » Guevara (révolutionnaire argentin)
Instruments
Guitare, basse et bongo (percussion cubaine).
Autres interprètes
Soledad Bravo, Joan Baez, Silvio Rodríguez, Pablo Milanes,
Compay Segundo, Nathalie Cardone, …
Lien avec d’autres Œuvres
Alberto Korda, El guerillero heroíco, 1960. (Photographie)
Steven Soderbergh, Che, 2008-2009. (Film en 2 parties)
Mural, Université publique de Cochabamba, Bolivie.
(Peinture murale)
I)
Contexte historique et culturel
1- L’auteur-interprète :
Carlos Manuel Puebla, né le 11 septembre 1917 à Manzanillo et décédé le 12 juillet 1989 à La Havane, est
un compositeur cubain. Il est considéré comme le chanteur de la Révolution cubaine. Issu d'une famille
modeste, il exerce durant sa jeunesse différents métiers manuels mais s'intéresse rapidement à la musique et
plus précisément à la guitare qu’il apprend à jouer en autodidacte. Il commence à composer des chansons
d'amour durant les années 1930 et connaît alors une certaine notoriété dans sa ville natale. Il enregistre ses
premières chansons dans les années 1950 avec son groupe Los Tradicionales, formé en 1953 et chante les
difficiles conditions de vie de son peuple contestant la dictature de Batista avec des chansons telles que Plan
de machete, Este es mi pueblo ou Pobre de mi Cuba. Il s'engage politiquement aux côtés de Fidel Castro et
de Che Guevara lors de la révolution de 1959. Celle-ci lui inspire de nouvelles chansons comme Y en eso
llegó Fidel, La Reforma Agraria ou Son de la alfabetización. En 1961, il part en tournée dans plusieurs pays
du monde avec ses musiciens. Sa musique, ainsi que son engagement politique, en font un chanteur très
populaire. On l'appelle alors « le chanteur de la Révolution cubaine » et il devient un ambassadeur de Cuba
et de sa musique dans le monde.
2- Le genre musical :
La chanson est interprétée sur un son cubain et jouée, à ses débuts, par un trio de musiciens (guitare, bongo,
basse). Le son illustre les interactions des apports hispaniques et africains (la population cubaine est
constituée majoritairement de descendants d’Espagnols et de Noirs- Africains soumis à l’esclavage jusqu’à
la fin du XIXe siècle-) et s’intègre dans le syncrétisme culturel si singulier à Cuba. Apparu à la fin du XIXe
siècle dans la partie orientale de l’île, en milieu rural, ce genre populaire prend de l’essor rapidement et
s’impose durablement dans le paysage musical cubain puisqu’il poursuit sa diffusion tout au long du XXe
siècle, à Cuba et dans le monde entier.
Au début le son désignait non seulement la musique mais aussi la danse, la fête et l’ambiance qui sont autant
d’éléments caractéristiques de la culture cubaine.
L’essence populaire du son se retrouve dans les instruments utilisés, car ils étaient fabriqués avec des
matériaux de récupération sans valeur avant de prendre leur forme actuelle, plus soignée.
Guitare de Tres
Güiro
Bongo
(Instrument à cordes)
(Percussion)
(Percussion)
D'abord taillé dans le bois
d'un cageot de morue et
tendu de trois paires de
cordes en fil de pêche ciré.
le
tres
est
monté
aujourd'hui
de
6 cordes en métal,
semblables à celles de la
guitare folk. Chaque paire
de cordes comportant une
corde lisse et une filée. Le
corps est réalisé avec du
bois tendre et le manche est
fait de bois dur.
Le güiro était fabriqué à partir du
fruit vidé et séchée de la bignone,
sur laquelle étaient creusées des
rainures et où l’on frottait ensuite
une baguette en bois.
Les deux bongos étaient construits à partir
de troncs d’arbre évidés, recouverts par un
cuir de chèvre à l’une des extrémités, puis
réunis par une corde, et devaient être
installés de chaque côté de la cuisse droite
afin que l’on puisse le frapper des deux
mains.
(Le güiro n’est pas utilisé dans la
version de Carlos Puebla mais on
peut l’entendre dans des reprises
postérieures d’Hasta siempre)
Dans la chanson de Carlos Puebla, ce sont la guitare, la contrebasse et le bongo qui sont utilisés pour
interpréter la musique.
Il existe de nombreuses versions de la chanson : dans certaines, d’autres percussions font leur apparition,
comme les maracas ou le güiro, et d’autres instruments disparaissent. La guitare est utilisée dans toutes les
reprises.
3- Argument
Carlos Puebla compose la chanson Hasta siempre après avoir entendu Fidel Castro annoncer le départ
d’Ernesto Che Guevara de Cuba pour étendre la révolution dans le monde, le 3 octobre 1965.
Le révolutionnaire argentin a quitté depuis le mois d’avril 1965 l’île de Cuba et se trouve depuis, au Congo,
en Afrique de l’ouest. Le départ du Che Guevara est certes motivé par la diffusion de la révolution marxiste
à travers le monde mais il est aussi provoqué par des désaccords politiques avec Fidel Castro. Le peuple
cubain tout entier pleure le départ d’un de ses héros de la Révolution.
4- Ernesto « Che » Guevara et la Révolution cubaine
-
1928 : Naissance d’Ernesto Guevara de la Serna, à Rosario, Argentine.
-
1946-1952 : Études de médecine à Buenos Aires, Argentine.
-
Janvier-septembre 1952 : Voyage à moto, à travers l’Amérique du Sud, avec son ami Alberto
Granado.
-
Juillet 1953 : Second voyage à travers le continent.
-
1955 : Rencontre avec Fidel Castro.
-
2 décembre 1956 : Débarquement catastrophique à Cuba. Les survivants se réfugient dans la Sierra
Maestra.
-
Juillet 1957 : Fidel Castro nomme Guevara commandant, grade le plus élevé de l’armée
révolutionnaire.
-
27 décembre 1958 : Che Guevara remporte la bataille de Santa Clara. Dans la nuit du 30, Batista
s’enfuit de Cuba.
-
Janvier 1959 : Che Guevara pénètre dans La Havane (capitale de Cuba).
-
Juin 1959 : Tournée diplomatique à travers le monde.
-
Octobre 1959 : Fidel Castro le nomme président de la Banque Nationale de Cuba.
-
Février 1961 : Il devient ministre de l’Industrie.
-
24 février 1965 : À Alger, Che Guevara se livre à une violente critique de l’URSS. De retour à Cuba,
c’est la disgrâce.
-
Avril 1965, Guevara part clandestinement soutenir la guérilla au Congo.
-
Novembre 1966 : Toujours incognito, il entre en Bolivie pour implanter un foyer révolutionnaire.
-
8 octobre 1967 : Che Guevara est capturé par l’armée bolivienne. Il est exécuté le lendemain, à La
Higuera.
Ernesto Guevara (26 ans)
El guerillero heroíco de Ministre de l’industrie Guérillero assassiné
Alberto Korda. (1960)
du
Gouvernement
(9/10/1967)
cubain (1961-1965)
Cuba :
Ancienne colonie espagnole, l’île de Cuba gagne son indépendance en 1902 mais, en réalité, les États-Unis
en sont les véritables maîtres. En 1952, le colonel Batista, qui a déjà été plusieurs fois président, renverse le
gouvernement par un coup d’état. D’abord soutenu par la population, son régime se transforme vite en
dictature. Le pays vit dans la misère, tandis que toutes les ressources économiques – canne à sucre, tabac,
pétrole, nickel – profitent aux États-Unis et à l’Angleterre. Dans la capitale, La Havane, la mafia américaine
contrôle les hôtels de luxe et les casinos destinés aux touristes du continent. Dans les campagnes, les
paysans travaillent surtout à la récolte de canne à sucre dans de grandes plantations qui appartiennent aux
américains et aux riches cubains. Embauchés sur de courtes périodes, ils sont très mal payés. Le reste du
temps, ne possédant rien, ils vivent dans la misère la plus totale. D’inspiration marxiste, le groupe de
guérilleros (une vingtaine d’hommes) mené par Fidel Castro et Che Guevara ne peut espérer la victoire sans
le soutien des paysans auxquels Fidel Castro promet la redistribution des terres ; de nombreux guajiros
(paysans cubains) vont ainsi se joindre à leur cause. Sur les territoires que les révolutionnaires contrôlent,
sont installés ateliers, fours à pain, hôpitaux et écoles pour apprendre à lire aux guajiros et aux combattants.
En deux ans, la guérilla embrase l’île : les « fidélistes » (noms donné aux révolutionnaires car leur
commandant est Fidel Castro) imposent leur loi à une armée de 10000 hommes. Le 27 décembre 1958, le
commandant Che Guevara remporte une victoire décisive : il s’empare de la ville de Santa Clara qui occupe
une position stratégique sur le grand axe de communication de l’île. La route de La Havane est libre et
quelques jours plus tard, le dictateur Batista s’enfuit à Saint-Domingue. Le 2 janvier 1959 les
révolutionnaires pénètrent dans la capitale. Depuis 1959 jusqu’à 2008, Fidel Castro a été le chef d’État de
Cuba ; son frère Raúl Castro lui a succédé. Malgré des résultats excellents dans les domaines de la santé et
de l’éducation, Cuba demeure un pays en voie de développement, privé de nombreuses libertés.
II)
La chanson
1- Le ressenti
Le caractère générale de la chanson est nostalgique et évoque l’exotisme de la musique cubaine. La manière
de chanter ajoute à l’œuvre un caractère solennel, déterminé, presque victorieux.
2- La musique
Le tempo (modéré/moderato) et la nuance (mezzo forte) sont fixes et n’entraînent donc pas d’évolution
dans le morceau.
L’orchestration :
-
Voix soliste et chœur à 2 voix (refrain).
-
Guitare.
-
Contrebasse.
-
Percussions cubaines (bongo, …).
L’harmonie : utilisation de la gamme mineure (en fa ♯) donnant un aspect nostalgique. Harmonie simple
utilisant les piliers habituels de la tonalité (tonique/dominante) : deux accords pour le couplet et quatre pour
le refrain.
La structure de la chanson est simple car il s’agit d’un Rondo, une forme qui alterne successivement
couplet/refrain. C = couplet. Ref = refrain.
Plan : Intro. / C. 1 / Ref. / Interlude / C. 2 / Ref. / Interlude / C. 3 / Ref. / Interlude / C. 4 / Ref. / Interlude /
C. 5 / Ref.
3- Les paroles
Dans les paroles on retrouve des pronoms et adjectifs possessifs – quererte ; tu bravura ; tu querida ; verte ;
te conduce ; … - qui indiquent que l’auteur a voulu s’adresser directement au Che comme on le fait dans une
lettre, comme si la chanson constituait une réponse à la lettre d’adieu de Che Guevara que Fidel Castro lit en
octobre 1965. Le tutoiement est de rigueur à Cuba pour marquer l’égalité entre les personnes, depuis
l’avènement de la Révolution, mais il indique aussi une sorte de proximité ; cette familiarité renvoie au
sentiment fraternel qui unit tous les révolutionnaires.
Dans la chanson apparaissent plusieurs champs lexicaux qui illustrent les qualités du Commandant Che
Guevara ou bien les sentiments que ces qualités inspirent.
-
Le combat (valeur guerrière) : « tu bravura » (C.1) ; « puso cerco »(C.1) ; « Comandante »
(Refrain) ; « dispara » (C.2) ; « vienes quemando » (C.3) ; « la bandera » (C.3) ; « revolucionario »
(C.4) ; « nueva empresa » (C.4) ; « libertario » (C.4) ; « con Fidel » (C.5).
-
Le corps magnifié (les qualités physiques) : « presencia » (refrain) ; « tu mano gloriosa y fuerte »
(C.2) ; « vienes quemando la brisa » (C. 3) ; « tu sonrisa » (C.3) ; « tu brazo libertario » (C.4).
-
L’admiration (à travers la lumière et la clarté) : « la clara » (refrain) ; « la transparencia » (refrain) ;
« Santa Clara » (C.2) ; « verte » (C.2) ; « quemando » (C.3) ; « soles de primavera » (C.3) ; « la luz
de tu sonrisa » (C.3).
-
L’amour : « quererte » (C.1) ; « entrañable », « querida » (refrain) ; « amor revolucionario » (C.4) ;
« junto a ti » (C.5).
Il y a une heureuse coïncidence linguistique avec le nom Santa Clara : ville dont s’est emparée
glorieusement Che Guevara et qui signifie « Sainte Claire ».
Dans la chanson apparaît ainsi un personnage magnifié : les qualités physiques et morales du Commandant
Che Guevara deviennent la représentation idéalisée du révolutionnaire et de son combat contre les injustices.
Ces qualités ne peuvent inspirer qu’amour et admiration si bien que le caractère laudatif et presque
grandiloquent des paroles envisage à peine, à travers des expressions où s’entremêlent clarté et lumière, un
être céleste, presque divin. L’hommage de Carlos Puebla pour le héros devient l’hymne de la Révolution
cubaine et de toutes les révoltes contre les injustices. Les derniers mots de la chanson constituent la prise de
congé « Hasta siempre » à la fois définitive et solennelle : « adieu, pour toujours et à jamais » et le cri
belliqueux des révolutionnaires.
Conclusion
→ Tous ces éléments confirment le caractère direct et populaire de cette œuvre. La ritournelle utilisée pour
l’introduction et les interludes et la répétition des refrains qui se terminent sur le nom du Che ont contribué à
la diffusion de la chanson.
C’est une œuvre militante dont le but est la glorification d’un homme et de l’idéologie marxiste qu’il
défendait.
Soledad Bravo avait repris la chanson, accompagnée seulement de sa guitare, sur un ton très mélancolique,
peu de temps après la mort du Che, sans doute pour manifester la douleur de la perte de l’exemple
révolutionnaire qu’il symbolisait, à une époque où les pays d’Amérique Latine sombraient dans des
dictatures répressives (Brésil, Argentine, Chili, Pérou, Bolivie, …).
La version plus récente de Nathalie Cardone (1997) met en évidence une exploitation beaucoup plus
commerciale de la chanson et de l’image de Che Guevara dans la mesure où la version est liée à un clip
vidéo qui joue sur la fibre dramatique de la mort de ce dernier, à travers la diffusion d’images d’archives du
Che mort, et peu de temps après la découverte de son corps (le lieu où il avait été enterré était resté secret
pendant 30 ans).
Pour terminer, la photo d’Alberto Korda, El guerillero heroíco, de 1960 tient une place immense dans la
symbolique de la représentation du Che : source d’inspiration artistique (Pop Art, Land Art, peintures
murales, …), l’image du Che est aussi devenue un produit de la société de consommation : son image
charismatique et révolutionnaire, le regard déterminé et orienté vers l’horizon a été détournée et s’utilise
désormais sur tous types de produits : tee-shirts, badges, affiches, tasses, briquets, produits financiers ( !),
… Alberto Korda qui n’avait jamais demandé d’argent pour son portrait du Che, a commencé à réclamer des
droits d’auteur, à la fin des années 1990, quand il s’est rendu compte que son œuvre ne servait pas à la
diffusion des idéaux de la Révolution.

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