Sécuritéimmigration : Sarkozy hausse le ton, la polémique enfle

Transcription

Sécuritéimmigration : Sarkozy hausse le ton, la polémique enfle
FRANCE
LES ECHOS LUNDI 2 AOÛT 2010
POLITIQUE
3
ENSEIGNEMENT SUPÉRIEUR
Le chef de l’Etat monte d’un cran sur la question sécuritaire, et fait désormais
le lien entre délinquance et immigration. Il a souhaité vendredi autoriser
la déchéance de nationalité française pour des crimes de droit commun.
La fin du classement
de l’ENA pourrait être
à nouveau reportée
Sécurité­immigration : Sarkozy
hausse le ton, la polémique enfle
N
« Dérive antirépublicaine »
« La nationalité doit pouvoir être
retirée à toute personne d’origine
étrangère qui aurait volontairement porté atteinte à la vie d’une
[…] personne dépositaire de l’autorité publique », a-t-il déclaré, en y
ajoutant d’autres mesures comme
l’extension des peines planchers
aux auteurs de violences contre
des policiers, le maintien du bracelet électronique après la fin de
la peine pour les multirécidivistes, une refonte du droit pénal
pour les mineurs.
AFP
icolas Sarkozy ne part jamais en vacances sans
avoir tenté de déminer la
rentrée politique et sociale de
septembre.En 2008, il avait lancé
le RSA, l’an dernier il avait tenté
– en vain – de faire passer son
idée de taxe carbone : en pleine
affaire Woerth-Bettencourt et de
chute dans l’opinion, le président
de la République est cette fois reparti en « guerre » contre l’insécurité – l’expression est de lui –,
comme il l’avait fait dans sa campagne présidentielle de 2007 pour
capter les voix du Front national.
En déplacement à Grenoble pour
installer le nouveau préfet, Nicolas Sarkozy a prononcé vendredi
un discours particulièrement offensif, allant jusqu’à faire explicitement le lien entre immigration
et délinquance, ce qu’il s’était
toujours gardé de faire.
Nicolas Sarkozy lors d’une visite aux policiers grenoblois le 30 juillet dernier.
Hier, Brice Hortefeux a été plus
loin encore. Dans une interview à
« Aujourd’hui en France », le ministre de l’Intérieur a souhaité
pouvoir déchoir de la nationalité
française les délinquants polygames, les auteurs d’excision, de
traite d’êtres humains et d’actes
de délinquance grave. Les dispositions devraient être introduites
dans deux textes de loi discutés
au Parlement en septembre, celui
sur la sécurité intérieure que dé-
fend Brice Hortefeux, celui portant sur l’immigration préparé par
Eric Besson. Si les experts, notamment les constitutionnalistes,
doutent de la faisabilité juridique
d’une extension de la déchéance
de nationalité pour des crimes de
droit commun, les propos de Nicolas Sarkozy ont en tout cas suscité une violente polémique. Le
tout, quelques jours après avoir
durci le ton à l‘égard des gens du
voyage installés illégalement.
Martine Aubry a dénoncé hier
l’échec de la politique menée depuis trois ans et « une dérive antirépublicaine qui abîme la France
et ses valeurs » ; François Bayrou a
estimé que « les annonces à grand
spectacle ne font avancer en rien
la cause de la sécurité » ; le PCF a
dénoncé une « République qui
pourrit par le sommet ». L’été 2010
a sa polémique : n’était-ce pas le
but recherché ?
CÉCILE CORNUDET
Jugée inconstitutionnelle, la garde à vue
va être profondément réformée
tentés de fixer une ligne directrice :
le nouveau dispositif devra « être
accompagné des garanties appropriées encadrant le recours à la
garde à vue et assurant la protection des droits de la défense ».
Le Conseil constitutionnel a tranché vendredi le conflit sur la garde
à vue qui oppose depuis de longs
mois magistrats et avocats d’un
côté, policiers de l’autre. Saisi dans
le cadre de la réforme qui permet
aux justiciables de contester une
loi en vigueur, le Conseil constitutionnel a pris le parti des magistrats en jugeant que le régime ordinaire de la garde à vue (excluant
le trafic de stupéfiants, le terrorisme et le crime organisé) ne respectait pas les droits et libertés des
citoyens. En 2009, la Cour européenne des droits de l’homme
avait déjà été dans ce sens. Les
sages de la rue Montpensier ont ce
faisant donné un an au gouvernement, jusqu’au 1er juillet 2011, pour
faire voter une loi plus protectrice.
Ce que ce dernier s’est empressé
d’approuver. « Le gouvernement
Déséquilibre
Michèle Alliot-Marie, la garde des
Sceaux, s’est pliée à ces recommandations, en promettant « d’enrichir » le projet de réforme de la
procédure pénale qu’elle prépare
depuis un an. Elle a elle aussi fait
le « constat qu’il y a trop de gardes
à vue en France et pas assez de
garanties pour les droits de la défense ». Sans remettre en question
son principe, le Conseil constitutionnel a de fait jugé que plusieurs
évolutions récentes – recours accru à la garde à vue, « réduction
des exigences » conditionnant l’accès au métier d’officier de police
judiciaire… – avaient fini par déséquilibrer « la conciliation entre,
d’une part, la prévention des atteintes à l’ordre public et la recherche des auteurs d’infraction, et,
d’autre part, l’exercice des libertés
SOCIAL
PHOTOPQR/LE PROGRES
Après la censure du Conseil
constitutionnel, François Fillon a
promis des mesures visant
notamment à « améliorer les
modalités d’intervention de
l’avocat » lors des gardes à vue.
Les syndicats de police ont déploré
la mise en cause de leur travail.
prépare les mesures législatives qui
s’imposent et qui seront transmises
dans les prochaines semaines au
Conseil d’Etat », a indiqué François
Fillon. La décision « laisse au législateur une grande marge d’appréciation », s’est-t-il félicité, notamm e nt « p o u r a m é l i o re r l e s
modalités d’intervention de l’avocat ». Les sages se sont de fait con-
constitutionnellement garanties ».
Les syndicats de police ont vivement déploré cette mise en cause
de leur travail. Le syndicat Alliance
a jugé que, « une fois de plus, les
droits des délinquants semblent passer bien avant ceux des victimes ».
Synergie-officiers s’est « étonné que
cette décision nébuleuse intervienne
alors que le chef de l’Etat fixe dans le
même temps des objectifs ambitieux
de lutte contre la délinquance » (lire
ci-dessus). Si l’UMP est restée plutôt silencieuse sur le fond et le PS a
regretté que le régime actuel perdure encore un an, la classe politique s’est en général félicitée de la
façon dont le Conseil constitutionnel s’était saisi de la réforme des
institutions votée il y a deux ans.
« A travers la procédure de la question prioritaire de constitutionnalité,
le Conseil s’affirme avec éclat
comme une cour suprême des droits
et des libertés », s’est notamment félicité JackLang.
C. CO.
i La décision du Conseil
constitutionnel
sur lesechos.fr/document
naissance de la nécessité de lutter
contre le harcèlement au travail,
défini comme le fait qu’un salarié
subisse « abus, menaces et/ou humiliations répétées et délibérées
dans des circonstances liées au
travail ».
Guide de bonnes pratiques
Le patronat aura résisté plusieurs
mois pour limiter le champ de la
négociation à la lutte contre des
actes considérés comme purement individuels. Mais il a dû finir
par se résoudre à intégrer dans le
texte des références à la responsabilité de certains modes de mana-
gement pour emporter l’aval des
syndicats, qui du coup ont été
unanimes à parapher l’accord.
Il est vrai que, dans un arrêt du
10 novembre 2009, la Cour de cassation avait reconnu que des méthodes de gestion « dès lors qu’elles
se manifestent pour un salarié déterminé par des agissements répétés » peuvent être source de harcèlement. Mais les partenaires
sociaux n’ont pas été aussi loin que
les juges, dans la mesure où ils
n’ont pas retenu la possibilité inscrite dans cette décision et évoquée plus précisément par la Cour
de cassation dans un autre arrêt
Système intermédiaire
« Il faut que la loi soit votée avant
la fin de l’année pour que la réforme soit applicable à la promotion qui entrera à l’ENA en janvier 2011 », reconnaît-on rue
Sainte-Marguerite, à Strasbourg,
où l’école est implantée depuis
2005. « Si ce texte n’est pas inscrit à
l’ordre du jour pour octobre, c’està-dire avant la loi de Finances, il
ne sera pas examiné avant la fin
de l’année », explique le sénateur
UMP Bernard Saugey, rapporteur
du texte. Et si la proposition de loi
est bien examinée en octobre, « il
y aura certainement une deuxième
lecture », notamment parce que
ce texte, qui vise à corriger les
A l’ENA et aux carrières tracées
d’avance, Nicolas Sarkozy a toujours
préféré les entrepreneurs « qui se
sont faits à la force
du poignet ». C’est la raison pour
laquelle le chef de l’Etat a souhaité
la suppression du classement
de sortie de l’Ecole nationale
d’administration dès le début 2008.
« Ce qui est choquant, c’est
le fait qu’un concours passé à vingtcinq ans oriente toute une vie
professionnelle », avait-il lancé.
Avant d’ajouter : « Je souhaite que
les classements de sortie des écoles de
fonctionnaires qui rigidifient l’entrée
dans la carrière soient supprimés au
profit des listes d’aptitude. »
EN BREF
L’arrêté d’extension de l’accord sur le harcèlement et la violence au travail
négocié le 26 mars dernier entre le patronat et les syndicats, qui l’ont tous
paraphé, a été publié samedi au « Journal officiel ».
Pôle emploi : l’accord sur le stress
transformé en plan d’action
Extension de l’accord patronat-syndicats
qui reconnaît le harcèlement managérial
L’arrêté d’extension de l’accord du
26 mars 2010 sur le harcèlement et
la violence au travail est paru samedi au « Journal officiel ». Ce
texte s’applique donc désormais à
toutes les entreprises, qu’elles
soient adhérentes ou pas à une
organisation patronale.
Comportant peu de mesures
contraignantes, il ne va pas révolutionner les pratiques. Mais il va
plus loin que l’accord-cadre signé
par les partenaires sociaux européens en décembre 2006, qu’il
s’agissait de transposer dans le
droit français, et il apporte une
pierre supplémentaire à la recon-
A quand la fin du classement de scories législatives, est « un véritasortie de l’Ecole nationale d’admi- ble inventaire à la Prévert », sourit
nistration (ENA) ? Annoncée par Bernard Saugey. Il est donc proNicolas Sarkozy dans ses vœux, le bable que cette loi ne sera pas
11 janvier 2008, la réforme de l’af- adoptée avant la fin de l’année. Le
fectation des élèves en fin de sco- cas échéant, la suppression du
larité aurait dû s’appliquer à la classement serait, de facto, enpromotion Jean-Jacques Rous- core reportée d’un an.
seau (2010-2011). Le classement
« L’essentiel est que l’on y arde sortie – qui permet aux élèves rive, » tempère-t-on dans l’entoude choisir leur poste, les mieux rage de Georges Tron, le secréclassés se dirigeant généralement taire d’Etat chargé de la Fonction
vers les grands corps
de l’Etat – doit être
remplacé par un dossier d’aptitude anonyme et des entretiens entre les élèves
et les administrations
qui recrutent. Ce à
quoi s’opposent les
grands corps (Conseil
d’Etat, Cour des
comptes, Inspection
générale des finances…), qui se seraient
lancés dans un lobbying intense pour
empêcher son entrée
en vigueur. Quoi qu’il
en soit, c’est un article
du Code de justice Un dossier d’aptitude anonyme et des entretiens
administrative qui a entre les élèves et les administrations qui
occasionné ce pre- recrutent viendraient remplacer le classement.
mier report de la réforme. Un report qui risque de se publique. De plus, « un système
renouveler pour la promotion intermédiaire, entre l’application
2011 si la loi qui doit modifier cet stricte du classement de sortie et sa
article n’est pas adoptée avant la suppression, est en vigueur depuis
fin 2010.
la promotion Aristide Briand
L’article L.133-6 du Code de jus- (2006-2008), avec un dialogue entice administrative dispose que tre les élèves et les administrations
« les auditeurs de 2e classe [du qui recrutent », explique Bernard
Conseil d’Etat] sont nommés Boucault, le directeur de l’ENA.
parmi les anciens élèves de l’Ecole Mais ce système est appliqué seunationale d’administration selon lement dans les administrations
les règles propres au classement où les postes sont différents les
des élèves de cette école ». La mo- uns des autres, pour permettre
dification de cet article par voie une sélection pointue des candilégislative est un préalable indis- dats.Ce qui n’est pas le cas des
pensable à la publication du dé- grands corps de l’Etat. Et Bernard
cret sur la nouvelle procédure de Boucault de résumer : « Il faut
sortie. C’est donc la proposition maintenant aller au bout de la
de loi sur la simplification et logique .»
l’amélioration de la qualité du
JESSICA BERTHEREAU
droit qui devrait y remédier. Mais
ce texte, qui a été transmis au
Sénat à la fin 2009, n’est toujours « Dérigidifier »
les carrières
pas inscrit à l’ordre du jour.
rendu à la même date que le harcèlement puisse être involontaire.
Au-delà de la reconnaissance de
l’existence de harcèlement managérial, l’accord relève surtout du
guide de bonnes pratiques car il
comporte de nombreuses préconisations de prévention. Il ne prévoit
pas d’être décliné dans les branches par des accords plus précis,
ce que souhaitaient les syndicats.
Certaines devraient cependant
s’en saisir : c’est déjà le cas de la
banque, qui a décidé en juin
d’ouvrir une négociation sur le
harcèlement à la rentrée.
L.DE C.
Le SNU, la CGT, la CFDT et la CFTC ont exercé leur droit d’opposition
contre l’accord proposé par la direction de Pôle emploi sur la
prévention du stress signé par la CGC et l’Unsa, a indiqué vendredi la
CFDT. « L’objet de l’accord ne correspond pas au contenu : il n’y a
notamment rien sur l’organisation du travail, sur laquelle pendant
toute la négociation l’employeur a clairement refusé de discuter »,
souligne le syndicat dans une lettre à la direction rendue publique.
Celle-ci ne rouvrira pas pour autant les négociations. Elle va mettre en
œuvre un plan d’action reprenant le texte négocié qui, selon elle,
contient des avancées, comme la formation de l’encadrement.
UMP : deux ans de prison pour les parents
de mineurs délinquants
Le secrétaire national de l’UMP chargé de la sécurité, Eric Ciotti, qui
prépare un texte sur la responsabilité pénale des parents des mineurs
délinquants, a proposé hier, dans « Le Journal du dimanche », deux
ans de prison ferme quand ceux-ci n’auront pas fait respecter les
obligations auxquelles seront soumises leurs enfants condamnés.
L’objectif de la proposition de loi est que, « systématiquement, en cas
de condamnation d’un mineur, le magistrat mette en place un plan de
probation sous la responsabilité » des parents. Le jeune aura alors des
interdictions claires, souligne Eric Ciotti, comme celle de paraître dans
certains lieux, d’entrer en relation avec certaines personnes. Il aura
aussi des obligations en termes de résultats scolaires.