Allocution de M. le Premier Ministre Lionel JOSPIN (format

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Allocution de M. le Premier Ministre Lionel JOSPIN (format
PREMIER MINISTRE
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Service de presse
Allocution de Monsieur Lionel JOSPIN, Premier ministre,
lors du déjeuner annuel de
l’Association Nationale de la Recherche Technique
– Paris, 4 décembre 2001 –
Monsieur le ministre,
Monsieur le Président,
Mesdames, Messieurs,
Je suis heureux de vous rencontrer à l’occasion de ce déjeuner de l’Association
Nationale de la Recherche Technique (ANRT), en présence de Roger-Gérard
SCHWARTZENBERG, ministre de la Recherche. Je remercie le président
Francis MER pour son aimable invitation. Malgré vos lourdes responsabilités
d’industriel, Monsieur le Président –la fusion récente entre Aceralia, Arbed et
Usinor vous porte à la tête du premier ensemble mondial de sidérurgie–, vous
consacrez depuis dix ans une partie de votre temps à l’ANRT. Vous avez su
faire de cette association un acteur essentiel du rapprochement entre deux
mondes professionnels qui, en France, se sont longtemps ignorés ou mal
compris : celui de la recherche et celui de l’entreprise.
La recherche a pour mission d’assurer le progrès des connaissances. Ce progrès
peut et, pour une part, doit se faire sans considération aucune d’utilité :
l’avancement des savoirs est une fin en soi. Mais, dans son mouvement même,
la recherche porte des promesses immenses. Investir dans la recherche, c’est se
donner les moyens de mieux comprendre le monde, c’est améliorer la qualité de
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la vie des hommes, c’est préparer l’avenir. Investir dans la recherche, c’est aussi
ouvrir la voie à des innovations qui permettront à des entreprises de produire
mieux, de gagner en compétitivité, de créer des emplois, de générer une
croissance durable. Cet aspect de la recherche fait l’objet de votre association. Il
est aussi au cœur de l’action mise en œuvre depuis 1997 par mon Gouvernement
en faveur de la recherche.
Vous venez de dresser, Monsieur le Président, un tableau somme toute positif de
cette action. Vous avez aussi, et c’est naturel, soulevé certaines questions,
auxquelles je voudrais répondre. Je le ferai en vous donnant ma vision de la
recherche dont la France a besoin, cette recherche moderne que nous nous
attachons à construire depuis plus de quatre ans.
C’est d’abord une recherche plus efficace et, comme vous l’avez souligné,
Monsieur le Président, une des clefs de l’efficacité réside dans le
rapprochement entre la recherche publique et les entreprises.
C’est là un axe fort de notre politique. Vous avez d’ailleurs constaté une
réduction de ce que vous appelez la « faille mentale » entre le monde de
l’entreprise et celui de la recherche scientifique. C’est que les efforts entrepris
en ce sens depuis cinq ans commencent à se concrétiser. En particulier, la loi du
12 juillet 1999 sur l’innovation et la recherche porte ses fruits. Cette grande
réforme du système de recherche français, pensée et voulue par Claude
ALLÈGRE, permet aux chercheurs d’assurer un rôle d’expertise et de conseil
auprès des entreprises. Elle les encourage également à créer leur propre
entreprise pour valoriser leurs travaux.
Dans le même esprit, nous simplifions et nous favorisons la création
d’entreprises fondées sur des technologies innovantes. Depuis trois ans, un
concours national a permis de soutenir plus de 750 projets et près de 300
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entreprises ont été créées. L’Etat joue aussi un rôle de catalyseur en participant à
la création d’incubateurs, de fonds d’investissement et d’amorçage, au niveau
régional ou national, en partenariat avec des structures privées.
Rapprocher la recherche et les entreprises, c’est faire vivre des réseaux
performants, où acteurs publics et privés mettent en commun leurs savoirs et
leurs moyens. Une quinzaine de ces réseaux thématiques ont été créés depuis
trois ans. Le réseau « Génoplante », dans le domaine de la génétique végétale, et
le réseau « GenHomme », dans celui de la génétique humaine, ont déjà fait leurs
preuves. De nouveaux réseaux se mettent en place, tels ceux qui étudient la pile
à combustible ou les pollutions marines accidentelles. Ils ont vocation à
s’intégrer dans les réseaux d’excellence qui devraient être constitués, à la
demande de la France, sous l’égide du sixième Programme cadre de recherche et
développement européen.
Une raison supplémentaire de rapprocher la recherche publique et les
entreprises, c’est que certaines recherches exigent de concentrer sur un même
site des moyens importants et des compétences multiples. C’est pourquoi nous
avons mis en place, en partenariat avec des conseils régionaux et des entreprises,
une quinzaine de centres nationaux de recherche technologique. Cette action a
permis de créer ou de renforcer des pôles scientifiques très attractifs et a facilité
l’accès des PME à des plates-formes technologiques sophistiquées. Je salue à ce
propos le rôle moteur que Denis RANDET, délégué général de l’ANRT, a joué
dans le développement du pôle grenoblois de nanotechnologies. Le ministre de
la Recherche rassemblera dans quinze jours les responsables de ces centres, afin
d’examiner avec eux les moyens d’améliorer encore ces dispositifs.
Le Gouvernement a également renforcé les outils qui facilitent l'accès des
entreprises aux ressources de la recherche publique. Je pense par exemple aux
bourses CIFRE, gérées par votre association, qui permettent à un jeune
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doctorant de faire sa thèse en contribuant à la recherche d'une entreprise, tout en
bénéficiant de l'encadrement d'une équipe académique. Je me réjouis que leur
nombre ait augmenté de 37 % depuis 1997.
Publics ou privés, tous les acteurs de la recherche ont besoin de protéger les
résultats de leur travail grâce à un système juridique efficace. Vous avez insisté,
Monsieur le Président, sur le rôle important des brevets et apporté votre soutien
à la signature par la France, en juin dernier, de l’accord de Londres. Au-delà de
cet accord, les discussions en cours doivent, à mes yeux, aboutir à l’institution
d’un brevet communautaire.
Monsieur le Président,
Nombreux sont les champs qui s’offrent à la recherche. Mais certains sont plus
prometteurs que d’autres et recouvrent des enjeux stratégiques. Sachons les
identifier, en faire des priorités de recherche et concentrer sur elles nos moyens.
Une recherche moderne est en effet une recherche adaptée aux enjeux du
XXIème siècle.
Parmi ces champs stratégiques figurent, par exemple, les sciences du vivant et
les nouvelles techniques de l’information et de la communication. Les comités
interministériels de la recherche scientifique et technique, réunis par le
Gouvernement, ont identifié ces domaines prioritaires. Ce choix s’est traduit par
une augmentation significative des moyens de l’INRIA, de l’INSERM et de
certains départements du CNRS et de l’INRA. Les sciences de l’homme et de la
société, les applications de la recherche aux questions de l’environnement ont
également fait l’objet d’une attention particulière.
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Pour soutenir ces priorités, le Gouvernement a créé le Fonds national de la
science qui permet, avec le Fonds de la recherche technique et les crédits
spécifiques du secrétariat d’Etat à l’Industrie, de concentrer quatre milliards de
francs par an sur des actions ciblées, auxquels peuvent s’ajouter les
contributions des Conseils régionaux et des partenaires privés. Tout cela
représente un effort financier important qui, pour employer vos termes,
Monsieur le Président, n’est pas « donné d’avance » mais affecté précisément,
après appels d’offres, aux projets correspondant aux priorités choisies.
Ces secteurs prioritaires bénéficieront de redéploiements prévus par le plan de
gestion prévisionnelle de l'emploi scientifique. Présenté par Roger-Gérard
SCHWARTZENBERG, ce plan sur dix ans permettra de maintenir la haute
qualité des recrutements. Ce plan, qui constitue une première au sein de la
fonction publique, est à mes yeux un exemple à suivre.
Cette même volonté d’orienter l’effort de recherche vers des enjeux prioritaires
nous a conduits à demander à la Commission européenne de concentrer sur
quelques objectifs essentiels les moyens du sixième Programme cadre de
recherche et développement et d’allouer selon des procédures beaucoup plus
efficaces les 17,5 milliards d’euros qui devraient y être affectés. Cet effort est
indispensable à la construction d’un espace européen de la recherche, structuré
par des pôles d’excellence, qui permettra de mieux valoriser la compétitivité de
l’Europe et d’approfondir encore son modèle de développement.
Pour contribuer à définir une vision stratégique globale pour la recherche, le
dispositif national de prospective que vous proposez, Monsieur le Président, est
une initiative bienvenue. Les échanges nécessaires à sa création pourraient être
organisés par l’ANRT, avec l’appui de l’Observatoire des sciences et des
techniques et des ministères concernés.
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Monsieur le Président,
Au-delà des questions de structure et de moyens que je viens d’évoquer, ce sont
des femmes et des hommes qui font une recherche d’excellence.
Ce sont nos chercheurs qui permettent à la France de s’engager avec confiance
dans la bataille de l’intelligence qui se joue au niveau mondial. Je tiens à rendre
hommage à toutes celles et tous ceux qui, par leur intelligence, leur créativité et
leur travail, y contribuent dans les laboratoires publics et privés, dans les
entreprises, dans les universités et les grandes écoles.
Veillons à ce que la France continue d’accueillir les meilleurs scientifiques.
Sur ce point, tordons le cou à une idée fausse : il n’y a pas de « fuite des
cerveaux » ; il y a une « circulation des cerveaux ». Celle-ci est naturelle et
même souhaitable, tant il est vrai que l’excellence se nourrit de l’échange. Je
me réjouis que les jeunes Français soient de plus en plus nombreux à compléter
leurs études à l’étranger, par exemple par un stage post-doctoral. Plus de 80 %
de ceux qui partent ainsi reviennent en France dans les trois ans qui suivent leur
thèse. Ils enrichissent alors d’une expérience nouvelle leur équipe de recherche.
Quant à ceux qui restent à l’étranger, ils jouent souvent un rôle précieux de
relais avec les chercheurs établis en France. Pour les mêmes raisons, nous
devons également faire venir en France les meilleurs chercheurs étrangers.
Tout doit donc être fait pour rendre la carrière scientifique en France plus
attractive. Il faut sans doute améliorer la situation matérielle des chercheurs. Je
crois au moins aussi important de leur donner plus rapidement accès à une réelle
autonomie de moyens. C’est ce que font par exemple l’INSERM, avec son
programme « Avenir », et le Fonds national de la science avec l’action « jeunes
chercheurs ».
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Outre la mobilité internationale, dont je viens de souligner l’importance, il faut
encourager la mobilité des chercheurs au sein de la communauté nationale,
entre les établissements d’enseignement, les organismes de recherche et les
entreprises. Je souhaiterais ainsi que les grands corps administratifs recrutent des
scientifiques, non seulement pour élargir les possibilités de carrière de ces
derniers, mais aussi pour que l’Etat et les collectivités publiques puissent
bénéficier de leurs compétences.
L’excellence de demain se prépare aujourd’hui. Il n’y a pas de recherche sans
formation. Que l’Education soit redevenue, depuis près de cinq ans, la première
priorité budgétaire est donc une bonne nouvelle. Pour susciter des vocations de
chercheurs, diffusons davantage une culture générale scientifique et technique
auprès des jeunes, notamment les jeunes filles, qui restent minoritaires dans ces
filières. Les initiatives comme celle de « La main à la pâte », développée dans
les écoles par le Professeur Georges CHARPAK, le succès de la Fête de la
Science et le pari gagné de l’« Université de tous les savoirs » ont souligné la
forte attente du public en matière d’échange avec les chercheurs.
Cet intérêt s’explique aussi par le fait que les grands débats scientifiques et
techniques recouvrent souvent de grands enjeux de société. Nos concitoyens
en général et les décideurs publics en particulier ont besoin d’une information de
qualité. Dans cet esprit, l’Office parlementaire des choix scientifiques et
technologiques réalise un travail considérable. Je me réjouis également que la
nouvelle Académie des technologies puisse mobiliser des scientifiques de haut
niveau sur des questions complexes. Le Gouvernement entend associer le public
aux grands choix scientifiques et techniques. Il y a deux ans, nous avons ainsi
organisé la première conférence de citoyens à propos des organismes
génétiquement modifiés. De même, après la catastrophe survenue à Toulouse,
j’ai souhaité ouvrir un débat national sur la gestion des risques industriels en
zone urbaine.
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Monsieur le Président,
Mesdames, Messieurs,
De la qualité de notre système de recherche dépend beaucoup. Celui-ci est un
des piliers de la compétitivité de notre pays, tandis que nous nous engageons
dans une économie du savoir et de la connaissance. Les innovations
d’aujourd’hui sont la croissance et les emplois de demain. Cela vaut pour la
France, mais cela vaut aussi, bien sûr, pour l’Europe. C’est à l’échelle
européenne que nous devons, chaque fois que cela est pertinent, penser l’effort
de recherche. Construire un espace européen du savoir et de l’innovation est une
responsabilité que nous devons, chacun à notre place, porter ensemble.
J’espère avoir répondu, Monsieur le Président, aux questions que vous avez
soulevées. A cet effet, j’ai volontairement axé mon propos sur les aspects
économiques de la recherche. Mais nous partageons la conviction que la
vocation de la recherche va bien au-delà. La recherche est un moteur du progrès
de la société dans son ensemble. Elle ne doit pas seulement être efficace et
performante : elle doit aussi être humaniste. Son excellence doit servir sa finalité
profonde, qui est l’émancipation des hommes.
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