Egon SCHIELE - Les Dits de L`Art

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Egon SCHIELE - Les Dits de L`Art
Egon SCHIELE
« Chez Schiele, le style de la vie et le style de la création ne différaient en rien car, en lui, l’homme et l’artiste constituaient
un tout indissoluble ; parce qu’il dut mourir à l’âge de 28 ans, tout ce qui d’habitude s’étend sur de longues années resta
fortement condensé. Il est simultanément enfant, adolescent, homme mûr et vieillard ; un enfant qui possède la maturité de
tout ce qu’on peut vivre, un adolescent qui se sent mourir, un homme en qui tous les excédents d’énergie n’ont pas fini de se
dépenser, un vieillard qui vit dans les rêves heureux de l’enfance. C’est là que s’enracine le regard pénétrant et visionnaire de
Schiele ». Hans Tietze, « Die Bilden der Kunst »1, vol. II, juillet 1919.
Egon Schiele (Tulln 12 juin 1890-Vienne, 31 octobre 1918) suivit des études secondaires à Krems puis à Klosterneuburg, en
Basse-Autriche. Il entre en 1906, à l’âge de 16 ans, à l’Académie des Beaux-Arts de Vienne et, plus précisément, dans l’atelier
de Christian Grienperkerl, qui fut l’un des maîtres de Richard Gerstl. Après la mort de son père, en 1905, le jeune homme
avait été placé sous la tutelle conjointe de sa mère et de son oncle Leopold Czihaszek. Ce dernier céda au souhait de la mère
d’Egon Schiele de le voir suivre des études artistiques. En 1909, il quitte l’Académie pour fonder, le 17 juin de la même
année, le Neukunstgruppe, le Groupe pour un nouvel art, avec Anton Faistauer, Anton Peschka, Franz Wiegele, Hans
Massmann, Hans Böhler, Albert Paris von Gütersloh. Le groupe exposa en à la galerie Gustave Pisko en décembre 1909 et en
février 1911. Leur credo est d’affirmer que : »L’artiste nouveau se veut un créateur dégagé de toutes les traditions et de tous
les modèles et qui n’appliquait aucune recette toute faite ». Egon Schiele, dans Die Aktion2, en 1914. En 1909, l’oncle de
Schiele renonça à exercer ses fonctions de tuteur et cessa de le soutenir financièrement. Remarqué par Arthur Roessler,
critique d’art, Schiele fit connaissance de collectionneurs importants et fit son entrée dans un nouveau milieu social. En avrilmai 1911, il bénéficie d’une exposition à la galerie Miethke sur Graben, Vienne.
A partir de 1910, comme en témoignent ses autoportraits, le jeune artiste âgé de 20 ans commence à faire preuve d’une très
grande liberté dans ses expérimentations picturales. Le Nu masculin assis, Vienne, Leopold Museum, où il se présente sous
forme d’un corps amputé de ses mains et de ses pieds a pu choquer autant par son exhibitionnisme assumé que par
l’articulation des zones du corps par un dessin sec et des couleurs jaunes ou orangées. L’auto-expressionnisme associé aux
artistes viennois se déploie dans les autoportraits de Schiele et est marqué par le jeu des visages, plus ou moins tourmentés, et
celui des mains, comme nous pouvions le remarquer dans le portrait photographique de Schiele par Anton Joseph Trċka. Il
se met en scène tout en pratiquant une forme d’autoanalyse. En 1911, il séjourne à Krumau, en Bohême, avec Wally Neuzil,
sa compagne et son modèle, et choque les habitants par son mode de vie et ses œuvres. Il part pour Neulengbach où il est
incarcéré, du 13 avril au 3 mai 1912, pour diffusion de dessins contraires aux bonnes mœurs, l’accusation de détournement
de mineure n’ayant pas été retenue par la justice. Un autoportrait exprime ses souffrances d’alors : Entraver l’artiste est un
crime, mai 1912, Vienne, Albertina Museum.
L’œuvre intitulée Les Ermites, 1912, Vienne, Leopold Museum, nous présente Egon Schiele et Gustav Klimt, indissociables
sous leurs grands manteaux sombres. Schiele avait rencontré Klimt en 1907 et celui-ci lui avait proposé d’exposer avec les
sécessionnistes à la Kunstchau, la grande exposition internationale de Vienne, en 1908. Toutefois, se représenter à côté de
Klimt peut être vu comme un hommage mais aussi comme un défi et la volonté de se défaire de son influence
particulièrement visibles dans ses premiers portraits à tendance décorative (Portrait d’Anton Peschka, 1909, collection
particulière ; Portrait d’Hans Massmann, 1909, Zug, Kunsthaus). La Danseuse Moa, 1911, Vienne, Leopold Museum, est le
portrait d’une artiste portant un manteau très coloré et représentatif des audaces viennoises dans le domaine de la mode ; son
partenaire, le mime Erwin Van Osen, disait d’elle : « Elle était mince comme un fil avec un visage blanc comme une tête de
mort et l’expression figée d’un masque. Elle avait des cheveux noirs bleutés et l’air d’une princesse égyptienne. Ses grands
yeux noirs comme jais et mélancoliques brillaient d’une faible lueur derrière de lourdes paupières ombragées de longs cils et
maquillées en bleu et marron ».
Le Portrait d’Erich Lederer, 1912, Bâle, Kunstmuseum, est d’une autre nature. Klimt a présenté Schiele à August Lederer qui
l’invite chez lui à Györ, en Hongrie. Schiele y arrive en décembre 1912 et réalise plusieurs études du plus jeune fils de
l’industriel. Ce portrait qui présente un jeune homme au caractère altier et ambigu est suivi du Garçon couché, 1913, Vienne,
Leopold Museum. Le Portrait de l’éditeur Eduard Kosmack, 1910, Vienne, Österreichische Galerie Belvedere, nous présente
un éditeur puis marchand d’art viennois de toute première importance. Kosmack (1880-1947) édita des revues qui permirent
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La Formation de l’Art L’Action la diffusion des œuvres et des idées de la Sécession : Deutsche Kunst und Dekoration, Die Architekt, Das Interieur.3 Très ami
avec Arthur Roessler, Kosmack commande son portrait à Schiele qui en fait un homme dans un état de tension intense et à
l’air presque égaré. Heinrich et Otto Benesch qu’il représente dans un double portrait de 1913, à Linz, Kunstmuseum, furent
des amateurs de la première heure. Heinrich Benesch (1862-1947), inspecteur général des chemins de fer, découvrit Schiele
à la première exposition de groupe à laquelle il participa en mai-juin 1908 à Klosterneuburg. Son fils Otto (1896-1964) devint
directeur de l’Albertina Museum de 1947 à 1961. Le Portrait d’Hugo Koller date de 1918 et est conservé à Vienne,
Österreichische Galerie Belvedere. Médecin et physicien, industriel dans le domaine de l’électrochimie, amateur d’art et
bibliophile, le Docteur Hugo Koller (1867-1948) était mariée à la peintre paysagiste Broncia Koller-Pinell (1863-1934) liée
aux artistes de la Sécession. Le couple Koller découvrit Schiele en 1918 à l’occasion de la 49ème
Exposition de la Sécession. C’est en avril 1918 que Koller commande son portrait à Schiele qui travaille non en atelier mais
chez le modèle, entouré de ses livres dans lesquels il semble incrusté et qui forment un paysage étrange.
Schiele rencontra Adèle et Edith Harms lorsqu’il revint à Vienne en 1912 pour s’installer dans le quartier de Hietzing. Il
épouse Edith le 17 juin1918. C’est une jeune femme issue d’un milieu bourgeois qui ne ressemble en rien à celles dont avait
pu s’éprendre le peintre jusqu’ici. Les premiers mois de mariage sont difficiles en raison des obligations militaires auxquelles
doit répondre le peintre qu part à Prague quelques mois avant de revenir à Vienne. Schiele peint plusieurs portraits de sa
jeune épouse, l’un très « klimtien », Portrait d’Edith Schiele debout, 1915, La Haye, Gemeentemuseum, et l’autre plus
mélancolique, Portrait d’Edith Schiele assise, Vienne, Österreichische Galerie Belvedere, parce qu’il recouvrit, à la demande
de l’acheteur, Frans Martin Haberditzl, directeur de la Staatsgalerie de Vienne (ancien nom du Belvedere) la jupe bariolée
que sa femme aimait porter. La Famille, 1918, Vienne, Österreichische Galerie Belvedere, est une œuvre douloureuse parce
que Schiele se tient auprès de sa femme et de l’enfant dont ils rêvaient et qui ne vit jamais le jour. Schiele meurt le 31
octobre 1918, trois jours après sa femme, tous frappés par l’épidémie de grippe espagnole, et douze jours avant
l’effondrement de l’Empire austro-hongrois.
La Famille est un portrait de groupe et un tableau philosophique à la manière de Klimt. Schiele travailla à ce type de
compositions dès 1910 et leur point commun est de présenter l’obsession de la mort qui est la caractéristique de son œuvre.
Mère décédée, 1910, Vienne, Leopold Museum, offre une opposition brutale du visage cadavérique d’une mère portant en
son sein un enfant lumineux portant déjà des mains d’adulte. Les œuvres qui suivent Visionnaire II, 1911, Vienne, Leopold
Museum, et Agonie, 1912, Munich, Neue Pinacothek, le présentent face à ses démons, la Mort elle-même (sous ses traits) et
Klimt, dont il cherche à se libérer. La Mort et la jeune fille, 1915, Vienne, Österreichische Galerie Belvedere, a été interprétée
comme une dernière étreinte désespérée entre Schiele et Wally Neuzil, sa maîtresse, au moment où il lui apprend son
prochain mariage avec Edith Harms. Mère et deux enfants, enfin, 1915, Vienne, Österreichische Galerie Belvedere, est une
vision terrifiante de la maternité associant la vie et la mort dans la destinée de chacun des deux enfants.
Ce sont les œuvres à sujet amoureux ou érotique de Schiele qui ont suscité le scandale de son vivant, lui aliénant parfois
certains commanditaires. Cardinal et religieuse (Caresse), 1912, Vienne, Leopold Museum, considéré comme une parodie du
Baiser de Klimt, cherche à briser le tabou sexuel autant que le tabou social mais provoque un tollé général. Il poursuit dans
cette voie cependant avec une série de dessins présentant des jeunes filles et des jeunes femmes dont certains révèlent un
érotisme un peu morbide, liant le sexe à la mort, une réflexion qui fut aussi celle de Picasso ou du peintre norvégien Edvard
Munch. En 1917, Femme allongée, Vienne, Leopold Museum, est un nu audacieux à l’esthétisme contrôlé, mais plus apaisé,
où l’on voit une jeune femme inscrite dans un linge aux nombreux plis sur fond jaune, insouciante du spectateur et centrée
sur ses désirs. La Femme assise à la jambe repliée, 1917, Prague, galerie nationale, est, d’après certains spécialistes de
Schiele, une image de Wally Neuzil, souvenir ou regret. En 1918, Les nus deviennent solaires et, par conséquent, moins
tourmentés, les Deux femmes accroupies, Vienne, Leopold Museum, sont plaquées sur un fond très coloré laissant derrière
elles le pan de l’œuvre de Schiele à connotation symboliste.
Schiele a traité également le paysage, en 1911 et 1912, sur les conseils de son protecteur Arthur Roessler et le Petit arbre de
fin d’automne, 1911, Vienne, Leopold Museum, avec ses grêles branches tourmentées, se fait l’écho de la pensée et des
sentiments de l’artiste, pourrait-on y voir une forme d’autoportrait ?
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Art et décoration allemands, L’Architecte, L’Intérieur 

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