1 1 - Les Précolombiens 1.1 - Avant les Caraïbes
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1 1 - Les Précolombiens 1.1 - Avant les Caraïbes
1 - Les Précolombiens 1.1 - Avant les Caraïbes - Tous les préhistoriens sont unanimes à reconnaître que l'homme aux Antilles n'est pas autochtone et serait venu d'Amérique centrale ou méridionale à la fin du pléistocène, c'est-à-dire au paléolithique américain (- 15.000). Soudées à l'Amérique du Sud (Vénézuela), les îles constituaient, Trinidad en particulier, la route principale de diffusion, des groupes ethniques les plus anciens entre le continent et les grandes Antilles. Les petites îles auraient été peuplées avant les grandes. Les Arawaks se composent d'un ensemble de peuples, formant une grande famille linguistique. Ils partirent du bassin de l'Amazone et se dispersèrent dans toutes les directions à travers une grande partie du sud et du centre du continent américain. (Colombie, Bolivie, Vénézuela, Mexique) et aussi le sud-ouest des Etats Unis (Floride). Vers l'an 1000 avant J.-C. commence la période néo-indienne. Les Igneris, peuplades Arawaks, qui connaissaient l'agriculture et la poterie, vivaient le long du Bas-Orénoque, franchirent le delta de ce fleuve, où ils rencontrèrent les Méso-Indiens. Ils apprirent les techniques de la pêche et de la navigation. Au début de l'ère chrétienne, ils commencèrent à se répandre dans les Antilles et, vers 200 après J.-C., ils atteignirent Puerto-Rico. Entre 300 et 1000 après J.-C., le peuplement néo-indien s'étendit encore. Il occupa les Iles-Vierges, la République Dominicaine, Jamaïque, Cuba et les Bahamas. A leur arrivée, les Arawaks repoussèrent les Calusas ou Muspas, qui ont probablement fourni leur contingent au peuplement des îles côtières de la Floride et des Bahamas. Ils venaient antérieurement de Floride. Mais lorsque les Creeks envahirent leur territoire, tout ce qui resta de la nation Calusa chercha refuge sur les keys, îles calorigènes qui bordent la Floride. La partie occidentale de Cuba a été peuplée par les Guanahabibes ou Guanahatebeyes. L'est de l'île était peuplée par les Ciboneys, avant l'arrivée des Arawaks. "De nature très peu pacifique, grands céramistes, sculpteurs et agriculteurs, les Arawaks ont introduit de proche en proche, et du sud au nord, la culture du maïs et du manioc sur des monticules de terre, le tissage, les rites funéraires et l'exhumation des morts dans des urnes, le droit matrilinéaire 1 exogame et le culte des ancêtres." (Canals-Frau : Préhistoire de l'Amérique). Le travail de la terre et la préparation des aliments, le manioc nécessitant une longue préparation avant d'être comestible, revient aux femmes, de même que la poterie. Les hommes complètent la subsistance par la chasse et la pêche en rivière. En Guadeloupe, ils étaient installés en Basse-Terre, dans la région de la Capesterre, des Trois-Rivières et de la Rivière Duplessis; en Grande-Terre, à l'Anse à l'Eau et de Gros Cap et à Folle-Anse à la Marie Galante. Les habitations sont situées "en bordure de la mer sur la côte au vent, près des marigots ou d'une embouchure de rivière, sur une plage ou une des premières collines de la côte, de préférence aux endroits d'une eau profonde abritée par une barrière madréporique, leur permettant une pêche facile." (Allaire) 1.2 - La migration des Calibis - Entre 1000 et 1500, une troisième migration part de l'Amérique du Sud et remonte une à une les îles des Petites Antilles. Les Caraïbes subjuguèrent les anciennes populations Arawaks, branche des Igneris. Ils arrivèrent dans les Grandes Antilles, une centaine d'années avant la conquête ibérique. Les Caraïbes comme les Arawaks appartenaient à la même aire géographique englobant le vaste ensemble forestier de l'Amazonie brésilienne, du delta de l'Orénoque et du Vénézuela. Ils possédaient de nombreux traits culturels communs, c'est-à-dire une conception identique de l'univers et une même attitude à l'égard des êtres et des choses. Les Calibis de "terre ferme" (Caraïbes) attribuaient les raisons de leur départ du continent sud-américain aux nombreuses guerres, qu'ils durent soutenir contre les Arawaks, leurs ennemis héréditaires. Ils étaient venus aux îles pour combattre et anéantir les Ignéris et les Taïnos (Arawaks) habitant les Petites et les Grandes Antilles. Mais il serait faux de croire que l'installation des Galibis se soit traduite par un déferlement humain, qui aurait entraîné l'extinction totale des Arawaks. 1.3 - L'installation victorieuse des Caraïbes - Si l'on s'en tient à la tradition orale transmise de génération en génération par les anciens, pour être rapportée jusqu'à nous par les écrits des missionnaires européens, les Caraïbes insulaires descendraient des Galibis de "terre-ferme". Ils s'étaient détachés du continent pour conquérir les îles et selon le R.P. Breton : "le capitaine qui les avait conduits était petit de corps, mais grand en courage, 2 qu'il mangeait peu et buvait encore moins, qu'il avait exterminé tous les naturels du pays à la réserve des femmes, qui ont toujours quelque chose dans leur langue pour conserver la mémoire de ces conquêtes, il avait fait porter les têtes des ennemis (que les François ont trouvées) dans les antres des rochers qui sont sur le bord de la mer, afin que les pères les fissent voir à leurs enfants et successivement à tous les autres qui descendaient de leur postérité ......” “Ils m'ont dit qu'ils avaient des rois, que le mot Abouyou était celui de ceux qui les portaient sur leurs épaules : et que les Caraïbes qui avaient leur carbet au pied de la Soufrière de la Dominique, au-delà d'Amichon, étaient descendus d'eux, mais je ne leur demandai pas si leurs rois avaient commencés dès ce capitaine, qui avait conquis les îles et quand ils ont cessé de régner." D'après cette relation, qui décrit un ensemble d'évènements cohérents, structurés dans le temps, on peut retenir plusieurs faits. La tradition veut que ces populations se soient fixées en premier lieu sur le piton volcanique de la Soufrière de la Dominique (Amichon). C'est seulement alors, qu'elles occupèrent successivement l'île voisine de la Guadeloupe et toutes celles formant l'Archipel des Petites Antilles. Puis, en souvenir de cette bataille victorieuse où tous les natifs furent massacrés, à la réserve des femmes, ces hommes échangeront leur nom de Galibis contre celui de leur chef appelé "Kallinago". Il s'agit ni plus ni moins de l'ancêtre éponyme, fondateur du clan caraïbe insulaire. Ce dernier avait un rôle plus sociologique que religieux, car les Caraïbes ne lui rendaient aucun culte et n'admettaient pas la notion d'un être suprême créateur du monde. 2 - De COLOMB à D'ESNAMBUC 2.1 - L'arrivée de Christophe Colomb aux Iles - Au cours de son premier voyage en 1492, avec trois caravelles (Santa-Maria, Nina et Pinta), Christophe Colomb avait découvert "Hisponiola", que les indiens appelaient "Aïti" et les Bahamas. Avec ses compagnons, il fut très bien reçu par les Taïnos, qui était un peuple paisible ayant une civilisation assez avancée. Les Taïnos décrivirent les Caraïbes comme de féroces anthropophages, dont ils subissaient régulièrement les attaques. Ces raids avaient pour but essentiellement de se procurer des victimes pour leurs rites anthropophagiques et des épouses esclaves. Christophe Colomb mit en doute ces affirmations jusqu'à la découverte en 1493 de la Guadeloupe. 3 2.2 - Le second voyage de Christophe Colomb et découverte de l'île de la Guadeloupe - Lors de son deuxième voyage en 1493, Christophe Colomb à la tête d'une escadre de dix-sept navires, découvre le 3 novembre 1493, la Dominique, ainsi nommée car elle fut rencontrée un dimanche. L'île suivante sera nommée Marie-Galante en l'honneur du navire amiral, puis la Guadeloupe, ainsi baptisée pour remplir la promesse faite aux moines du monastère du même nom en Extramadure et enfin un groupe d’îles appelées "Todos los Santos" (Les Saintes), pour commémorer la fête de la Toussaint, célébrée quelques jours auparavant. Un bâtiment fut envoyé en reconnaissance au sud sur la Dominique et un autre sur l'île au vent de la flotte : la Guadeloupe. Les hommes débarquèrent près de Sainte Marie, aux environs des chutes du carbet. Ils trouvèrent un village Caraïbe, dont les habitants avaient fuit à leur arrivée. Ils y trouvèrent des restes humains. • Récit du docteur Chanca, médecin de l’escadre de Christophe Colomb, qui parle de la rencontre des Caraïbes, à la Guadeloupe, en 1493, par J. Rennard “Découverte des Antilles par Christophe Colomb” p 117 : “Le capitaine monta dans sa chaloupe et descendit sur le rivage. Il porta ses premiers pas vers les maisons, dans lesquelles il trouva leurs habitants, qui, dès qu’ils l’aperçurent, prirent la fuite. Il entra dans ces maisons où il trouva les choses qu’ont les Indiens ; car ils n’avaient rien emporté. Il y prit deux perroquets très grands et bien différents de ceux qu’il avait vus jusqu’alors. Il y trouva beaucoup de coton filé ou prêt à l’être, et des vivres destinés à leurs habitants. Il prit un peu de chacune de ces choses et surtout quatre ou cinq ossements de bras ou de jambes humaines. Aussitôt que nous eûmes vu ces derniers objets, nous soupçonnâmes que ces îles étaient celles de Caribe qui sont habitées par une race qui mange la chair humaine”. L'amiral et sa flotte restent en Guadeloupe, jusqu’au 10 novembre, dont une partie du temps à un mouillage, au nord de la côte sous le vent. Le 11 novembre, la flotte longea "Montserra", puis "Antigua" et mouilla à "Névis". Le lendemain, Christophe Colomb passa à "Saint-Christophe" qu'il baptisa "San Jorge". L'île suivante fut appelée "Santa Anastasia", il s'agit actuellement de "Saint-Eustache". Le jour suivant, la flotte rencontra l'île de "Sainte-Croix", qui fut appelée "Santa-Cruz", puis d'innombrables îlots nommés "Once Mil Virgene", ces Onze Mille Vierges sont appelées aujourd'hui les îles "Vierges" et la flotte arriva ensuite à Haïti, qui avait été nommé l'année 4 précédente "Hispaniola". A son retour vers l'Espagne, Christophe Colomb repasse le 9 avril 1496, d'abord à Marie-Galante, puis il mouilla à la Guadeloupe où les femmes Caraïbes s'opposèrent à son débarquement. Il resta neuf jours pour y faire des vivres et de l'eau. L'île de la Grande-Terre n'a pas été désigné par Christophe Colomb, car vue de la mer, le navigateur ne discerne qu'une seule île : la Rivière Salée" (bras de mer qui sépare les deux îles : Basse-Terre de Grande-Terre) n'est pas visible de la haute mer. Il faut pénétrer jusqu’au fond du Cul de Sac Marin pour constater, qu'il y a une séparation maritime entre les deux îles. Il y avait très peu de Caraïbes sur la Grande-Terre, car l'île n'a pas de rivière et donc peu d'eau potable. Le Moule abritait un village d'Indiens, grâce a une petite source au fond de la Baie. Pendant longtemps, les colons pensèrent, qu'il était impossible de s'établirent dans cette île plate et sèche, dont les mornes peu élevés ne retenaient pas les nuages. L'aridité du sol est aussi aggravée par la nature calcaire de l'île. 2 .3 - Les Espagnols aux Antilles - Avec Christophe Colomb, l'ensemble des îles des Antilles était connu des Espagnols, mais ils négligèrent rapidement les petites îles où il n'y avait ni or, ni pierres précieuses. Par ailleurs, le peuple Caraïbe tenait presque toutes les Petites Antilles et, ils avaient eu connaissance des traitements infligés par les Espagnols aux Taïnos (Arawaks) réduits aux travaux forcés. Christophe Colomb avait fait des captifs, lors de son passage en Guadeloupe. A titre de représailles, il subit les attaques des Caraïbes, dans il s'arrêta pour faire l'aiguade en 1496 au Vieux-Fort. A partir de 1518, la conquête du Mexique par Herman Cortes et en 1531, celle du Pérou par Francisco Pizarro va pousser les Espagnols à délaisser les îles au profit du continent. La pression des corsaires et des flibustiers venant de toutes les autres nations maritimes européennes poussera de plus en plus à la concentration du trafic maritime, afin de mieux le protéger. Les îles encore occupées par les Espagnols seront de moins en moins peuplées. Vers 1600, Hispaniola n'aura que 10.000 Blancs et Cuba environ 3.000 Blancs. La population indienne a quasiment disparu du fait des mauvais traitements et surtout des maladies venues d'Europe. Pour remédier à cette dépopulation, les Espagnols eurent recours à la traite des Noirs. 5 2.4 - La guerre entre les Espagnols et les Caraïbes - Le premier raid des Caraïbes dont nous avons connaissance après l'arrivée des Espagnols a eu lieu en 1509 sur l'île de Porto-Rico. Il y eu ensuite de nombreuses attaques (environ une par an) contre diverses îles occupées par les Espagnols sans compter les raids contre les Ignéris. Par exemple, en octobre 1520, cinq pirogues et 150 guerriers Caraïbes attaquèrent Porto-Rico. Ils débarquèrent à la rivière Humacao et tuèrent de nombreux espagnols et indiens. Après vingt jours passés sur l'île, ils partirent avec 50 indiens captifs. En 1516, Ponce de Léon, à la tête de trois bateaux, essaya de s'installer en Guadeloupe. Comme les Espagnols voulaient enlever des Indiennes, ils furent attirés dans une embuscade et massacrés par les Caraïbes. En 1520, Antonio Serrano fit une nouvelle tentative, qui échoua elle aussi. L'affrontement entre les Espagnols et les Caraïbes durera cent cinquante ans. Les nombreux raids Caraïbes sur Porto-Rico et Hispaniola firent des morts, mais surtout causa une certaine peur de ces guerriers. Pour leur part, les Espagnols organisèrent de nombreuses expéditions punitives sur les îles du sud. 2.5 - L'arrivée des autres Européens - Jusqu'à une période récente, la conception dominante était que les Espagnols n'avaient jamais songé à coloniser les Petites Antilles, car elles étaient dépourvues d'or et peuplées par les féroces Caraïbes. On croyait également que Pierre Belin d'Esnambuc était le premier français à avoir débarqué dans les îles. Il est certain maintenant que les Espagnols ont multiplié les tentatives de colonisation des Petites Antilles, sans succès à cause des Caraïbes. D’autre part, les Français étaient présents sur les îles soixante quinze ans avant Belin d'Esnambuc. Les grandes îles du nord : Hispaniola, Cuba et Porto-Rico suffisaient aux conquérants, qui n'avaient les moyens de tout occuper et de tout exploiter. Peu à peu, les Espagnols s'en désintéressèrent au profit du Mexique (Campèche) d'abord, puis du Pérou (Terra Ferma) qui se révélaient plus lucratifs. C'est ainsi que fut abandonnée la partie occidentale d'Hispaniola que les Français occupèrent (Haïti), les Espagnols restant dans la partie orientale (République Dominicaine). Délaissés par les Espagnols, les petites îles devenaient les repaires de flibustiers. En Guadeloupe, les Caraïbes recevaient ou refoulaient les flibustiers, 6 qui abordaient pour réparer les avaries ou simplement pour faire de l'eau. Les Indiens moins bien équipés sur le plan technologique avaient besoin de vaste espace pour survivre au moyen de la chasse, de la pêche, de la cueillette et de la culture sur brûlis. Ils étaient directement menacés par l'intrusion des nouveaux arrivants. C'est dans ce monde presque vide que va s'exercer l'effort de colonisation des Français, des Anglais et Hollandais. En 1620, les Anglais s'emparaient de la Barbade, de Nevis, de Montserrat et d'Antigua. En 1621, les Hollandais prirent Saint-Martin, SaintEustache, Aruba, Bonaire et enfin Curaçao en 1634. 2.6 - Les Français dans les îles - Dès 1623, les Français et les Anglais s'étaient installés à Saint-Christophe, qui devint la base de départ de l'implantation française aux Antilles. En 1635, la nouvelle Compagnie de Iles d'Amérique dirigée par François Fouquet (père du futur Surintendant des Finances) remplaça la Compagnie de Saint-Christophe et décida de conquérir la Guadeloupe, la Dominique et la Martinique. En juillet 1635, Bellain d'Esnambuc arriva à la Martinique avec les meilleurs troupes. A l'origine, le peuplement de la Guadeloupe se fit avec des colons, alors que celui de la Martinique résulte d'une occupation militaire. 3 - L’arrivée des premiers colons 3.1 - L'arrivée des premiers colons en Guadeloupe - Par contrat la Compagnie des Indes Occidentales donna à L'Olive et Duplessis le commandement des îles, qu'ils coloniseraient, pour dix ans. Ils partirent avec cinq cents engagés de Dieppe, le 25 mai 1635. L’expédition arriva à la Martinique, mais l'aspect de cette île, coupée et hachée, remplie d'affreux serpents, les découragèrent. Nos colons levèrent l'ancre et firent voile pour la Guadeloupe où, le 27 juin 1635, ils quittèrent leurs vaisseaux et descendirent à terre, à la Pointe Allègre, près de l'actuelle ville de Ste-Rose. Ils s'installèrent près de là dans un lieu décrit par le R.P. Dutertre comme "l'endroit le plus ingrat de toute l'île autant à cause de la terre qui y est rouge ... qu'à cause des montagnes". L'expédition était conduite par L'Olive et Du Plessis, mais la mésentente entre les deux chefs provoqua la division. Après avoir partagé les provisions, les outils et les hommes, l'Olive alla s'établir à l'ouest de la Pointe-Allègre, sur 7 la rivière dite du Vieux-Fort et Duplessis à l'est de la même Pointe, sur la rivière dite du Petit-Fort. 3.2- Les Caraïbes et les premiers colons - Il n'y avait des vivres que pour deux mois. Sans ressource, les sept cents premiers colons se jetèrent sur les tortues dont la plage était couverte. Cette chair sans pain, mal préparée, à laquelle les estomacs européens n'étaient pas faits, causa des dysenteries. Plusieurs colons prirent le parti d'abandonner la colonie et d'aller vivre avec les Caraïbes, qui leur firent l'accueil le plus cordial. Ils partagèrent avec eux leurs demeures et leurs provisions. Comme Duplessis était vénéré par les Caraïbes, ils allaient souvent le visiter. Leurs pirogues étaient toujours remplies de vivres. C'était beaucoup pour les Caraïbes, puisque c'est tout ce qu'ils pouvaient donner; mais ce n'était rien pour la colonie affamée. Selon le R.P. Dutertre : "Les sauvages ne venaient jamais voir les Français les mains vides et, comme ils les voyaient dans la nécessité, ils leur apportaient toujours quelques vivres. Leurs pirogues étaient souvent chargées de tortues, de lézards, de cochons, de lamentins, de patates, de bananes, de figues (bananes) et autres fruits que produit le pays. Il faut dire que sans ces secours la colonie eût misérablement péri ... Les sauvages n'y allant plus la famine recommença plus violemment que jamais." 3.3 - L'apport des Caraïbes aux premiers colons - L'apport des Caraïbes est double : ils révélèrent aux Européens quels étaient les fruits comestibles et les plantes nourricières du pays; et ils enseignèrent au colons les techniques culturales adaptées au milieu. La cueillette de fruits, de baies, de feuilles et de tiges comestibles pouvait offrir un précieux appoint : grappes du raisinier bord-de-mer, fruits des merisiers et "cerisiers" à baies sucrées, pulpe orangée de l' "abricot-pays", icaques blancs et noirs, prunes de mombin, pomme-cajou, goyave , coeur savoureux du choux-palmiste, etc ... Les "callinago" firent connaître aux nouveaux venus la valeur des racines vivrières qu'ils appelaient “oulé” : le manioc, la patate douce, l'igname couche-couche, les choux-caraïbes. A ces "racines" s'ajoutaient divers pois doux du genre Inga. Dans leurs jardins, ils cultivaient l'arachide ou "pistache", le papayer aux 8 fruits rafraîchissants, des petits piments, des concombres, melons et citrouilles, le ricin. Ils connaissaient le cacao, ce que rapporte le Père Dutertre : "J'ai été fort longtemps dans les Iles sans avoir jamais vu un seul arbre de cacau; mais enfin les Sauvages ayant découvert à M. du Parquet ce trésor qui était caché dans la Capsterre de son Ile, plusieurs personnes en ont planté ... Ce sont ces grains que l'on nomme cacau ou cacou". Ils cultivaient les bananiers, et désignaient la banane sous le nom de balaranna; la canne à sucre, qu'ils aimaient mâchonner, sous le nom de caniche et l'ananas. Ajoutons encore qu'ils savaient utiliser les fibres du cotonnier, pour faire leurs lits, les cordes de leurs arcs, des rubans et leurs lignes à pêcher. Ils savaient extraire la teinture du rocou, avec laquelle, "ils se rougissent tout le corps". Ils connaissent aussi le petun, ou tabac, et l'utilisaient ainsi : "Ils n'usent guère de pétun en fumée, mais ils le font sécher au feu, puis le mettent en poudre et en mêlent un peu avec de l'eau de mer, et mettent entre la lèvre et la gencive, et cela est bien fort". Ils connaissaient admirablement les simples, ils savaient tresser les fibres végétales pour faire leurs cordes, leurs filets, leurs paniers et leurs corbeilles. Les Caraïbes ou les Arawaks ont introduit du Brésil : l'ananas, le papayer, le cacaoyer, le manioc, les choux-caraibes et diverses ignames. Les Caraïbes apprirent aussi aux Français à travailler la terre. Ils les initièrent à la culture sur brulis, qu'ils pratiquaient eux-mêmes aux dépens de la forêt. Leur culture était itinérante, et pour créer un jardin, ichali, ils utilisaient la hache de pierre et le feu. Après avoir épuisé l'humus et la cendre, ils laissaient la forêt reprendre à nouveau possession du sol et allaient plus loin. Le terme de kàbogneti signifie, que le Caraïbes avait débroussaillé et mis un jardin en culture, "qu'il était habitué là". Le mot d' "habituée" garde aujourd'hui le même sens, pour les cultures sur brûlis, notamment en côte sous le vent. L'ichali, où subsistait les souches calcinées des arbres abattus se présentait comme l'habituée d'aujourd'hui : fouillis de cultures vivrières et arbustives, où le manioc, l'igname et la patate tenaient la première place. Les colons avaient appris des Caraïbes a "grager" (râper) le manioc, à préparer la "cassave" , à boire le "ouïcou" (bière de manioc). L'héritage des Caraïbes est donc beaucoup plus important dans la vie rurale que dans le peuplement. 9 Les Caraïbes apprirent aussi aux colons français à pêcher ou à harponner les poissons et animaux marins qui fréquentaient les eaux de la Guadeloupe, à chasser les oiseaux et les bêtes des Grands-Bois, grâce aux pistes qu'ils connaissaient. Ils montrèrent comment harponner le lamentin, comment varer les tortues (3 espèces : tortues franches, kahouannes et carets), comment tourner ces tortues (100 à 300 kgs) sur le dos lorsqu'elles venaient pondre leurs oeufs dans le sable des plages. Il suffit de relire Breton et Dutertre pour prendre conscience du rôle important joué par ces "viandes", par les crabes, par les oeufs de tortues et d'oiseaux dans l'alimentation des premiers colons. L'abus de ces mets entraîna de graves dysenteries. 3.4 - La première guerre des colons avec les Caraïbes - La famine fut si grande selon le R.P. Dutertre : "qu'on mangea les chiens, les chats et les rats. Depuis la déclaration de guerre aux sauvages, nos gens n'osèrent plus sortir du fort et mangèrent jusqu'à l'onguent des chirurgiens, au cuir des baudriers, qu'ils faisaient bouillir pour le réduire en colle. On en a vu brouter de l'herbe, manger les excréments de leurs camarades après les leurs ... On a souvent vu la terre des fosses, où nos pères avaient enterré les morts totalement remuée le matin; il était évident, qu'on les avait fouillées pour déterrer les corps et en couper quelque membre pour vivre." A bout d'expédients pour nourrir ses colons, une pensée fatale traversa le cerveau de l'Olive. Il conçut le projet de faire la guerre aux sauvages, pour prendre leur manioc et leurs patates. Duplessis repoussa ce projet homicide et l'Olive demanda l'autorisation de faire la guerre à d'Enambuc, qui gouvernait l'ensemble des îles. Celui-ci croyait avoir intérêt à exterminer les Caraïbes de Saint Christophe, mais il n'en avait aucun à faire la guerre à ceux de la Guadeloupe. Il désapprouva donc hautement le dessein de son ancien lieutenant; il le menaça même d'écrire au Roi, s'il persistait dans une détermination si contraire à la volonté du monarque, plusieurs fois manifestée. Pendant l'absence de l'Olive, Duplessis décéda le 4 novembre 1635. Débarrassé, par la mort de Duplessis, l'Olive revint à la Guadeloupe avec la ferme résolution de commencer sa guerre contre les Caraïbes, dont il ignorait la détermination dans l'épreuve. Il chercha un prétexte et en trouva un dans un vol de poissons (un Caraïbe prit le poisson d'un européen et laissa en échange un porc et des fruits). Avant d'entrer en campagne, l'Olive chargea un des ses lieutenant 10 Fontaine, de faire le tour de l'île en chaloupe, afin d'étudier la situation de chaque carbet, et de ramener les colons retirés chez les Caraïbes. Seulement, ces derniers doués de finesse et de sagacité, avaient surpris ses desseins hostiles. Après une première échauffourée au Vieux-Fort, les habitants avaient fuit par la montagne, à travers la forêt vierge, sur Capesterre. L'Olive et ses troupes partirent à leur poursuite, mais ils durent abandonner devant l'effort. Les Caraïbes sachant, qu'ils ne pourraient pas résister aux armes à feu des Européens, prirent la détermination d'abandonner l'île. Ils allèrent demander asile aux Caraïbes de la Grande-Terre, des Saintes, de la MarieGalante et de la Dominique. Toutefois, ils avaient laissé à la Guadeloupe, un certain nombre de leurs plus vaillants guerriers, afin d'épier les mouvements de l'ennemi et de saisir toutes les occasions de lui rendre le mal, qu'il en avait reçu. Les Indiens combattaient à leur façon, en organisant de coups de main contre les Français, en s'efforçant de les surprendre, lorsqu'ils étaient isolés ou en petits groupes, fuyant lorsqu'ils étaient découverts ou qu'ils avaient le dessous. Cette guérilla fit beaucoup de victimes et les nouveaux arrivants n'osaient plus sortir du fort pour trouver des vivres ou chasser, de peur d'être abattus par les flèches de leurs ennemis. Les Caraïbes n'avaient pas été longtemps à comprendre qu'un fusil déchargé était une arme inutile jusqu'à ce qu'il fût rechargé. L'oeil fixé sur le chasseur, sans faire un mouvement qui pût déceler sa présence, il attendait. Le fusil déchargé sur le gibier, le Caraïbe s'élançait sur le chasseur et l'assommait d'un coup de boutou. Une soixantaine d'hommes avaient disparu sans que l'on sut ce qu'ils étaient devenus. Lorsque la cause de leur mort fut connue, L'olive pour se procurer des aliments à l'aide de la chasse et de la pêche, eut recours à un expédient, qui d'abord fut couronné d'un plein succès. Il divisait son monde en deux bandes, dont l'une avait pour mission de chasser et l'autre de défendre les chasseurs de l'attaque de l'ennemi. Après quelques jours, les Caraïbes ayant étudié cette nouvelle tactique, prirent des mesures, qui entraînaient des pertes à chaque chasse. Les Caraïbes de la Dominique et des autres îles avaient épousé les querelles de ceux de la Guadeloupe. Réunis, ils tombaient sur la colonie dans le moment qu'on attendait le moins. Avec leurs flèches et leurs redoutables boutous, ils livraient aux colons des combats en règle. Vaincus par la puissance des armes à feu, obligés de céder, on les voyait au plus fort de la mêlée se 11 diviser en deux corps, dont l'un enlevait les blessés et les morts et l'autre soutenait la retraite. L'Olive dut regretter son injuste agression, car les colons qui n'avaient pas succombé à la maladie, ou au boutou des Caraïbes, affaiblis par les privations, ne pouvant joindre un ennemi aussi prompt à la retraite qu'à l'attaque, que les défaites ne rebutaient point et qui revenait sans cesse à la charge, s'affaiblissant sous la fatigue d'une surveillance de tous les instants du jour et de la nuit, furent contraints de s'enfermer dans le petit fortin que ce chef avait fait élever depuis le commencement des hostilités. Les assiégés se virent en proie à une horrible famine. On en vit descendre à brouter l'herbe, d'autres faire un affreux repas avec des morceaux de cadavre. Quelques uns eurent recours au suicide, se pendirent ou se précipitèrent dans les flots. Les colons ne sortirent de cette intolérable situation qu'à l'arrivée des secours en hommes et en vivres envoyés par la compagnie. Cependant les Caraïbes, quoique battus, ne continuaient pas moins à harceler la colonie, qui ne faisait aucun progrès. La Compagnie souhaitait le remplacement de l'Olive, mais Richelieu lui confirma son mandat jusqu'à son terme. Ce maintien de l'Olive au gouvernement fut funeste à la Guadeloupe. Tout le temps qu'il fut Gouverneur, la guerre contre les Caraïbes n'ayant pas de trêve, son essor fut paralysé, elle ne prit aucun développement. La Compagnie reporta son attention et ses soins sur les autres îles, principalement sur la Martinique, dont les destinées avaient été confiées à un homme de coeur et d'intelligence, Monsieur Duparquet. Ce sera le premier anneau de cette chaîne de calamités, qui devait se dérouler sur la Guadeloupe. En 1638, Poincy fut nommé gouverneur des îles d'Amérique. Il envoya des renforts, des vivres et des munitions à la Guadeloupe. Les troupes de renfort étaient commandées par M.M. de Sabouilly et de la Vernade, qui décidèrent d'en finir avec les Caraïbes. Dans un premier combat dans la région du Grand Cul de Sac, Sabouilly en tua une trentaine. Furieux les Indiens décidèrent de se venger et ils revirent avec treize pirogues, représentant environ 600 ou 700 combattants. Le combat dura trente heures et Sabouilly fut une nouvelle fois vainqueur. Les Caraïbes quittèrent définitivement la Guadeloupe pour la Dominique, ce qui donna un répit à la colonie. Aubert, nommé Gouverneur le 4 avril 1640 pour trois années, eut pour 12 premier soin de faire la paix avec les Caraïbes. 3.5 - Nouvelle guerre avec les Caraïbes - En 1653, l'île de MarieGalante fut dévastée par un raid des Caraïbes venant de la Dominique. Le chevalier Houel organisa une expédition de représailles contre les Indiens de la Dominique. Après une dernière tentative des Caraïbes contre Marie-Galante, qui fut repoussée, les Indiens renoncèrent à leurs raids meurtriers. En 1658, les derniers Caraïbes quittèrent la Martinique et la paix générale ne fut obtenue qu'en 1660. Les îles de la Dominique et de Saint-Vincent furent reconnue comme la propriété des Indiens. En 1653, le Gouverneur Houël se disposait à se rendre en France lorsqu'il fut retenu, en Guadeloupe, par une guerre contre les Caraïbes de la Dominique. La cause des hostilités vint des colons de la Martinique. Les Caraïbes, en guerre avec les Anglais, firent une expédition contre la colonie anglaise d'Antigue, expédition qui fut couronnée d'un plein succès. Ils en revenaient chargés de butin et de quelques prisonniers. Voulant, dans la joie et l'orgueil de leur triomphe, se montrer aux colons français, leurs amis, ils s'arrêtèrent, en passant, à l'île de Marie-Galante. Rendus dans leurs villages leurs chants de victoire se changèrent en cris de désespoir et de fureur. Pendant leur absence, des colons de la Martinique s'étaient rendus à la Dominique, avaient pillé les villages et fait aux femmes et aux filles, les plus sanglants outrages. Le Caraïbe ne gardait jamais une insulte : il lui fallait une vengeance. Soit que mal renseigné, il crût que le crime avait été commis par les colons de Marie-Galante, soit que, pour le moment, il ne se sentit pas assez fort pour s'en prendre à la Martinique, il retourne à Marie-Galante, surprend les colons, les assomme à coups de boutou et met le feu à tous leurs établissements. L'incendie fut assez considérable pour être aperçu de la Guadeloupe. Une expédition de cent hommes allèrent à Marie-Galante pour s'informer. A son retour, Houël songea à châtier les Caraïbes, auteurs du meurtre des Français. Il fit partir pour la Dominique le sieur Dumé avec cent hommes. Ce chef battit les Caraïbes des villages de l'est et leurs carbets furent brûlés. Avec la supériorité des armes européennes, une campagne contre les Caraïbes n'offrait pas beaucoup de dangers. De son expédition, Dumé n'eut que quatre blessés. Les naturels n'étant redoutables que par les surprises. En 13 hostilité avec eux, il fallait sans cesse être sur ses gardes. Au retour en Guadeloupe de l'expédition, Houël fût averti que ces mêmes Caraïbes dont on venait de brûler les carbets, réunissaient toutes leurs forces pour fondre à nouveau sur Marie-Galante. Il envoya une troupe dans l'île où celle-ci rencontra trois cents Caraïbes. Ils furent mis en déroute et on les obligea à se rembarquer avec précipitation. Trois mois plus tard, Houël apprit qu'une nouvelle expédition des Caraïbes se préparait contre Les Saintes. Il y envoya une troupe. Après plusieurs jours d'attente, les pirogues Caraïbes furent signalées. Attendre le débarquement, attaquer l'ennemi et le mettre en fuite furent pour le Sieur de l'Etoile l'affaire d'un instant. Ce fut la dernière guerre des Caraïbes contre la Guadeloupe. Elle se poursuivit contre la Martinique 3.6 - La paix et la disparition des Caraïbes - La politique de Houël, de conserver de bonnes relations avec les Caraïbes, lui fit obtenir la gloire de servir d'intermédiaire entre eux et les gouvernements des autres îles, pour conclure une paix générale. Cette paix (20 mars 1660) était considérée comme une trêve. Les Caraïbes portaient une haine égale à toutes les nations européennes, qui étaient venues les dépouiller de leurs terres. Toutefois, par suite des grands massacres faits de leurs peuplades, plus encore par l'imperfection de leurs armes, désormais trop faibles pour entreprendre seuls des actes d'hostilité, ils savaient attendre que leurs ennemis fussent en train de se déchirer, pour servir d'auxiliaires à ceux-ci ou à ceux-là. La paix fut conclue. Les Caraïbes acceptèrent la condition de résider à Saint Vincent et à la Dominique, avec promesse de n'être pas troublés, dans ces possessions, par aucune des nations européennes. Les restes de cette race infortunée se concentrèrent, en effet, en grande partie dans ces deux îles; mais plusieurs familles continuèrent à demeurer dans des lieux non défrichés de la Guadeloupe, de la Martinique et de Sainte Lucie, d'où elles n'ont disparu qu'avec le temps. Le déclin des Caraïbes est du également aux maladies vénériennes, puis pulmonaires importées d'Europe. Celles-ci décimèrent ces populations, au point de les réduire à un effectif squelettique. 3.7 - Les premières années de la colonie - Les trente cinq 14 premières années furent très agitées. En premier lieu, la mauvaise organisation a précarisé la colonie, qui fut plusieurs fois à deux doigts de sa perte. Le ravitaillement de l'île en vivres a souvent été défectueux et sans l'aide des Caraïbes, les colons n'auraient pas survécu. La Compagnie des Iles d'Amérique qui devait y pourvoir a toujours été dépassée, par les événements et n'a jamais su ou pu envoyer les bateaux pour secourir les colons. Le R.P. Dutertre rappelle, que les promesses faites aux colons étaient irréalistes, du fait que les associés de la Compagnie avaient une méconnaissance totale des problèmes. "Plusieurs éblouis par ces belles promesses s'y engagèrent avec beaucoup de facilité : il leur tardait d'aller dans ces pays enchantés, où on leur faisait croire qu'ils y trouveraient des vaches, des manipolis (?), des cerfs de deux sortes, des sangliers aussi de deux sortes, deux ou trois espèces de lapins, des cochons, des oulanas et des tatous ... on aurait dit qu'il n'y avait plus qu'à mettre la table pour faire bonne chère." Or les européens étaient peu nombreux et surtout il y avait un grave déséquilibre pour le futur par le manque de femmes. Beaucoup d'hommes vivaient en concubinage avec des Indiennes ou des Noires esclaves. La population se développait très lentement, il n'y avait pratiquement pas d'enfants. L'exploitation économique fut difficile, progressive et longue, car les colons ne connaissaient pas les plantes. Grâce aux Caraïbes, ils purent rapidement développer les cultures locales : racines, pois, manioc, ... Les premiers essais de cultures pour l'exportation furent des échecs : le tabac était produit à meilleur compte en Amérique du Nord, l'indigo et le coton n'eurent pas le succès espéré. A partir de 1650 commença la culture de la canne à sucre, qui rapidement ouvrit de réelles perspectives. Mais encore, il manquait des transports réguliers avec la Métropole. Les premières années furent assez anarchiques. La guerre avec les Caraïbes avait perturbé l'installation des colons, etc .. L'île de la Guadeloupe souffrit aussi sur le plan militaire d'être considérée comme une colonie de seconde zone. Les Gouverneurs généraux installés à la Martinique consacraient leur budget général à la défense de leur lieu de résidence en y conservant les meilleurs troupes. Cette pratique a été la cause des nombreuses invasions de la Guadeloupe par les Anglais. Si la Martinique a bénéficié de l'occupation militaire, organisée par le Gouvernement royal, l'île de la Guadeloupe a subit une occupation anarchique : 15 propriété de Compagnies successives, de Grands Seigneurs, puis revenant à la Couronne, etc ... Le 4 septembre 1649, Boisseret et son beau-frère Houël achetèrent la Guadeloupe devant les notaires M° Oger & Morel. Les quatre îles : la Guadeloupe, la Désirade, les Saintes et Marie-Galande furent vendues pour 6.000 livres et 600 livres de sucre à la fin de chaque année. En 1664, un arrêt du Conseil d'Etat força les anciens propriétaires à revendre leurs droits à la Compagnie des Indes Occidentales. Après l'échec de cette compagnie, le roi décida de la dissoudre en 1674. La Guadeloupe fut alors rattachée au domaine royal. 3.8 - Les grands Blancs - Les grands colons ou "grands Blancs" étaient proches des dirigeants de l'île. Ils avaient obtenu de vastes concessions, souvent situées en bordures de mer, pour en faciliter l'accès. Ces gens appartenaient à l'aristocratie française : noblesse de robe ou de province. A la colonie, les nobles n'étaient dispensés que de la taxe sur douze nègres. Parmi eux, on trouvait également des personnes issues de la bourgeoisie, surtout celles des ports commerçants avec les îles. Pour mettre en valeur une grande concession, il fallait disposer de capitaux importants : achat de la terre, des semences, construction des bâtiments, acquisitions des machines (moulins à sucre), achat et entretien de la maind'oeuvre blanches ou noires. Il en découlait que seules les personnes issues de la Bourgeoisie ou de la Noblesse pouvaient disposer de liquidités suffisamment importantes pour avoir de grandes concessions. Certaines riches familles marquèrent l'économie de l'île à cette époque comme les Houël, les Crapado, comtes de Lohéac, les Lemercier de Beausoleil, les Bologne, les Leroy de la Potherie, les Gaigneron, les Néron, les Filassier de Saint Germain, ... 3.9 - Les 36 mois ou petits Blancs - Jusqu'à la fin du XVII° siècle, les engagés volontaires furent la principale source de peuplement des îles. Ils provenaient généralement des régions côtières de la partie ouest de la France. Ils s'entendaient avec un propriétaire ou plus souvent avec un capitaine de bateau, qui payait leur transport et les vendait à l'arrivée à un colon engagiste. Ils devaient travailler trois ans pour obtenir leur liberté. On leur surnommait les "36 mois". Ils subissaient de grosses épreuves : voyage long et sans confort, climat nouveau, travail pénible à défricher le terrain avant la culture, mauvaise 16 nourriture, maladies inconnues à l'époque (paludisme et fièvre jaune). Beaucoup de ces engagés mourraient avant la fin de leur période de servitude. Ils vivaient avec les esclaves noirs dans les mêmes ateliers, où ils n'étaient ni mieux traités, ni mieux nourris. Selon certains historiens, c'est dans ce milieu que se mélangea les croyances et les traditions pour créer la culture antillaise et la langue créole. Il faut préciser que les premières concessions étaient situées tout au long du bord de mer et composées de forêts primaires. On disait à l'époque "en bois debout". Les maîtres étaient durs vis-à-vis de leurs serviteurs, car ils devaient rentabiliser leurs exploitations avant la fin du contrat. Après les trois ans, ils étaient libérés et généralement ils se groupaient "en matelotage" avec un autre compagnon d'infortune pour exploiter à deux une petite concession. 3.10 - Les femmes - Il y avait une grande pénurie de femmes, qui risquait d'entraver la colonisation. Les responsables de la Compagnie décidèrent : "de tirer des filles de l'Hospital St-Joseph de Paris, pour les envoyer aux Iles, afin d'y arrêter les habitants qui en venaient chercher en France, pour se marier; elles furent conduites, cette année 1643, par Mademoiselle de La Fayolle, dans le navire du Capitaine Boudart." Le R.P. Dutertre décrit cette duègne des filles à marier : "Elle lui (à Houël, Gouverneur) présenta quantité de lettres de la Reine et d'autres Dames de qualité qui l'éblouirent, et firent qu'il la reçut avec respect, la traita avec autant de civilité que si elle eût été une Princesse." Les jeunes filles de France trouvèrent rapidement des maris et d'autres virent les remplacer sous la responsabilité de Mademoiselle de La Fayolle. 4 - L’organisation coloniale 4.1 - Le contexte général - Le R.P. Du Tertre décrit le contexte de l’île et son évolution : “Il est vrai que dans son premier état, l’île était rebutante. Les Caraïbes étaient des Barbares, les terres incultes ne produisaient rien avant un travail inconcevable et les vaisseaux n'étaient pas accoutumés à les fréquenter. Les premiers Français périssaient souvent, par la main des Caraïbes, succombaient sous le faix du travail, ou manquaient des choses nécessaires, qui devaient leur être apportées de la Métropole.” “Mais depuis que les Sauvages ont été rangés à la raison, que les terres 17 ont été défrichées, et que les vaisseaux ont fait voile de ce côté là, toutes choses y abondent maintenant, et rien n'y manque, soit pour la nécessité, soit pour la délicatesse de la vie.” 4.2 - Le Gouvernement - Le R.P. Du Tertre nous donne sa vision : “Le gouvernement de toutes les Iles (sis à St Christophe), depuis l'année 1625, que l'on commença d'établir des Colonies, jusqu'en l'année 1649 a été aristocratique. La Compagnie des Indes Occidentale a gouverné les habitants par des Lieutenants, auxquels elle donnait des commissions (mandats) pour trois ans. Elle les honora ensuite de la qualité de Gouverneur, et pour les rendre plus considérables, elle joignit la qualité de Sénéchal à celle de Gouverneur, avec pouvoir de présider à tous les jugements.” “Elle donnait à ces Lieutenants ou Gouverneurs un droit capital (de capus : la tête) de vingt-cinq livres de tabac, à prendre sur chaque habitant, et autant pour l'entretien des forts nécessaires à la conservation des Iles : elle exemptait outre, un certain nombre de leurs domestiques, des droits Seigneuriaux, et leur donnait la préférence pour acheter des Nègres, quand il en arrivait dans leur Ile.” “L'on eut pris, en ce temps-là le Gouvernement des Iles, pour une image du siècle d'or : car les Gouverneurs qui n'avaient point d'autre fortune que leurs établissements dans ces lieux, appréhendant qu'on ne les blâma en France, et qu'on empêcha la continuation de leurs charges, gouvernaient les habitants plutôt en pères, qu'en Seigneurs et en Maîtres, et la confiance cordiale, que les habitants avaient en leurs Gouverneurs, causait une si étroite union, qu'ils semblaient n'avoir point d'autre volonté que la leur.” “Mais les guerres civiles ayant déchirées les Iles durant les années 1645, 1646 et 1647, les intrigues détestables qu'on y a pratiquées depuis, ont également divisé les esprits des Gouverneurs et des peuples, ... ont beaucoup diminué de l'affection qu'ils avaient pour leurs personnes, et du respect qui était du à leurs charges.” “La Compagnie ayant vendu les Iles de la Martinique et de la Guadeloupe à Messieurs Du Parquet et Hoüel, le Gouvernement devint en quelque façon monarchique, et chaque Ile ne dépendit plus que d'un Seigneur.” “Les Gouverneurs étaient absolus, ils commandaient avec toute sorte d'autorité, ... ils avaient aussi l'authorité d'en chasser (de l'Ile) ceux qui ne leur agréaient pas.” “... Chaque quartier forme une ou deux compagnies, selon que le 18 quartier est peuplée, de sorte que tous les habitants sont soldats, et obéissent aussi exactement à leur capitaine, qu'à Mr le Gouverneur, ...” “Il n'y a point de garnison dans les Iles, mais les habitants sont obligés de monter la garde chacun à son tour. On la monte huit jours de suite dans la Guadeloupe, ... Cette garde de huit jours est assez incommode aux habitants de la Guadeloupe, particulièrement à ceux qui sont seuls, car leur plantation dépérit beaucoup par une si longue absence. Les maîtres de cases y peuvent envoyer un de leurs gens, mais pas un de leurs esclaves, à qui on ne permet pas de manier des armes.” “Du temps que je demeurais à la Guadeloupe, l'on faisait régulièrement l'exercice générale une fois le mois, ..” “L'on ne se mariait point dans les Iles sans en avoir demandé la permission au Gouverneur; et quiconque eut passé outre après sa défense, en aurait été honteusement chassé ...” “Personne ne peut sortir d'aucune Ile sans un congé par écrit, du Gouverneur, et scellé du cachet de ses armes ... On l'obtient facilement, mais celui qui veut sortir, est obligé de faire publier sa permission au Prône (sermon du curé pendant la messe), pour avertir qu'il s'en va, afin que ceux qui lui doivent, ou à qui il doit, viennent compter avec lui, si bien que personne ne s'en va sans payer, et les capitaines des navires n'oseraient embarquer qui que ce soit sans congé ...” A toutes ses autres attributions, le Gouverneur joignait celle de sénéchal. La justice sous sa main, commandant la troupe, son pouvoir était sans limite. De par sa volonté l'habitant était saisi, emprisonné, mis aux fers. Il dictait des arrêts de mort que le juge prononçait. Chose remarquable, sans troupe soldée, sans gendarmerie, sans police, le Gouverneur, pour exercer son despotisme, n'avait de force que celle que lui prêtaient les colons eux-mêmes. 4.3 - La justice au début de la colonisation - La justice laissait au maître le soin de punir son esclave pour toutes les fautes ordinaires et elle n'intervenait que lorsque celui-ci avait commis un crime. Il n'y avait qu'un seul juge, à la fois civil et criminel, un procureur fiscal et un greffier. Pour le civil, le juge tenait deux audiences par semaine. Les parties se présentaient en personne, sans être assistées, ni d'avocats , ni de procureurs. Comme il ne se faisait aucune écriture, que les plaideurs ne connaissaient point l'usage des exceptions et des moyens dilatoires, que d'ailleurs les questions soumises à la solution du magistrat étaient simples. 19 Elles recevaient une solution à l'instant même et sans frais. Avant l'établissement du Conseil Souverain, on appelait des sentences du juge au Grand Conseil du Roi à Paris. Si peu de personnes dans la colonie étaient en situation de tenter cette voie de réformation, c'était comme s'il n'y avait pas eu un second degré de juridiction, c'est-à-dire la possibilité de faire appel. L'éloignement de la France était un obstacle financier important à cette procédure d’appel. Le corps de justice n'est composé dans chaque Isle, que d'un Juge : qui porte tout ensemble la qualité de juge civil et criminel, ... d'un Procureur fiscal, et d'un Greffier, sans Avocats, ni Procureurs. ... chacun plaide sa cause lui-même ... Il y des Notaires dans chaque quartier des Iles, qui reçoivent les testaments, et qui passent toutes sortes de contrats, comme on fait en France, mais ils le font à bien meilleur marché. Les Iles ont été longtemps sans prisons, et l'on ne parlait point en ce temps-là de geôlier, ni d'écroue. 4.4 - Les bâtiments publics et particuliers - Les maisons des Gouverneurs sont toutes de pierres de taille et de moellons. Selon R.P. Du Tertre : “Les bâtiments sont pour l'ordinaire fort peu élevés, à cause de la violence des vents et des ouragans.” “Je n'ai vu des vitres, qu'aux fenêtres des maisons des Gouverneurs, tous les particuliers n'en ont point, soit parce que le verre est trop fragile, soit parce que l'usage en est incommode à cause des chaleurs du pays, ...” “Les cases des simples habitants ne sont encore palissadées que de roseaux, particulièrement aux endroits où on ne craint pas les incursions des Sauvages; ces logements n'ont que des salles basses, séparées en dedans en deux ou trois chambres, ...” “Celles de plus pauvres, sont couvertes de feuilles de cannes, de roseau, de latanier et de palmiste, et celles-là sont incomparablement plus agréables que nos chaumines de France.” “La cuisine est toujours séparée de la case .... quelque coffres, une table, un lit, et des bancs, font tout l'ameublement des cases. Les personnes mariées ont des couches comme en France : mais les autres n'ont que des hamacs pendants, dans lesquels, ils se couchent à la façon des Sauvages et outre que l'usage en est commode, ils ne font pas de dépense, d'autant qu'il 20 ne faut ni oreiller, ni draps, ni couverture, de sorte qu'un bon lit de coton suffit pour la vie d'un homme.” 4.5 - La communication - Les journaux étaient inconnus dans la colonie. Ce que l'on voulait porter à la connaissance du public, les avertissements à lui donner, étaient envoyés au curé, qui en faisait la publication, le dimanche, au prône de la paroisse. Lorsqu'un habitant avait obtenu du Gouverneur l'autorisation de s'absenter de la colonie, comme il ne pouvait laisser des dettes, le curé publiait son départ, afin que les créanciers fussent avertis. On allait donc à l'église non seulement pour assister à l'office, mais encore pour avoir des nouvelles, être informé des actes de l'administration. 4.6 - Le colon et la capitation - La capitation (vient de capet : tête) est un mode ancien d'imposition par tête. Chaque contribuable payait un impôt par personne vivant dans son foyer. Le droit de séjour dans l'île, ou si l'on aime mieux de capitation, était en effet énorme, surtout pour ceux qui n'avaient pas grand'chose. Rendu dans l'île, le colon devait d'abord employer son temps à se bâtir une demeure; ne fût-ce qu'une hutte, il lui fallait un lieu pour être mis à couvert. Pendant ce temps, et avant que les vivres, qu'il avait plantés arrivent à maturité, ses faibles ressources, s'il en avait, étaient dépensées en objets alimentaires. Cependant, dès la première année de séjour dans l'île on était tenu de livrer à la compagnie cinquante livres de tabac. Cette loi était générale : on exigeait ces 50 livres de tabac, des "libres" (noirs ou mulâtres affranchis), des engagés, des esclaves, des femmes, des filles et des enfants au-dessus de dix ans. Il va sans dire que les maîtres payaient pour les esclaves et les engagés. La compagnie ne voulait rien payer ni pour le traitement du Gouverneur, ni pour l'entretien des fortifications. Pour y faire face, le Gouverneur demandait à chaque habitant vingt-cinq livres de tabac. Le R.P. Du Tertre précise : “Chacun payait à son Seigneur (le Gouverneur), les cent livres de petun (tabac), qu'on avait coutume de payer à la Compagnie : tous les Blancs et les Noirs, hommes et femmes, libres, et esclaves, au-dessus de dix ans payaient ces droits, excepté quelques officiers qui avaient un certain nombre de leurs gens exemptés, ...” “Les ecclésiastiques et les libres Créoles, c'est à dire, ceux qui étaient nés dans le pays ne payaient pas de droits.” 21 “C'était l'unique obligation des habitants des Iles, car il n'y avait ni tailles, ni impôts, ni douane pour l'entrée et la sortie des marchandises.” “On ne payait point ... de taxes pour la vente des habitations, et lorsqu'on voulu établir cette coutume, le peuple se souleva, et la Compagnie fut obligée de n'y plus penser, parce qu'on lui fit savoir que cela aurait ruiné les habitants, qui ne créaient des habitations que pour les vendre; et la plupart des habitations en ce temps-là, changeait deux ou trois fois de maître en une année.” Aucun navire autre que ceux de la Compagnie des Indes-Occidentales ne pouvait apporter des marchandises. Le prix des marchandises était fixé par les commis de la Compagnie des Indes-Occidentales, qui fixaient également le prix des denrées que le colon devait offrir en échange. Ce système réservait la part du lion à la Compagnie et lésait les colons. Mais ce qui occasionnait le plus grand mécontentement, était que la Compagnie des Indes-Occidentales laissait la colonie pendant plus de la moitié de l'année dans le grand dénuement. 4.7 - La répartition des terres - Contrairement à l’Angleterre, qui a fait payer la terre à ses colons, pour les inciter à la mettre rapidement en valeur; la France a opté pour le principe de la gratuité, ce qui a donné des résultats médiocres. Les ordonnances royales et les arrêts du Conseil d'Etat ne précisent pas l'étendue des concessions. Mais il fut rapidement admis que pour former une habitation, il fallait de 100 à 300 carrés, c'est-à-dire environ 100 à 300 hectares. Le Père Labat dit que les administrateurs concédaient des étendues de terrain "à proportion des besoins et des forces" des postulants, estimés en têtes d'esclaves. Pour acquérir des terres, les formalités demeuraient les mêmes qu'au début de la colonisation. Les demandeurs présentaient un placet au Gouverneur et à son intendant; ils déclinaient leur qualité et indiquaient quel terrain ils convoitaient, avec les dimensions de la concession. Un certificat du capitaine du quartier et de l'arpenteur royal devait attester l'exactitude des références et assurer que le terrain était libre. Conjointement, le Gouverneur et l'Intendant accordaient la concession, qui devait être inscrite au Greffe et, en principe, confirmée l'année suivante par le Roi. Le jour de la prise de possession, les nouveaux concessionnaires devraient convoquer les voisins et procéder au bornage pour éviter les litiges. 22 La concession durait aussi longtemps que la capitation était payée. Selon Guy Lasserre dans sa géographie de la Guadeloupe : “Dans un premier temps dans l’île de la Basse-Terre, on donna à chaque colon une concession de 200 pas de large sur 1.000 pas de long (le pas = 0,974 m), soit un terrain de 24 ha 20 ares. Ensuite, les nouvelles concessions eurent 200 pas de large sur 500 pas de long, soit 12 ha 10 ares.” “La première bande de terrains de 50 premiers pas géométriques était réservée au Roi pour la défense de l’île ; ensuite débutaient les attributions de concessions, qui variaient en fonction des pentes montagneuses et des cours d’eau,” qui formaient une limite.” “Dans les autres îles plus plates, le partage géométrique s’est poursuivi dans l’intérieur des terres, sauf pour les zones morneuses incultivables.” “Le cadastre de 1732 pour la Grande-Terre est accompagné de matrices donnant le nom du propriétaire et la surface du domaine. 651 propriétés étaient installées dans l’île, dont 119 habitations-sucreries. Celles-ci couvraient une surface variant entre 100 et 200 hectares. Trois avaient entre 300 et 600 hectares et quelques petites avaient entre 20 et 30 hectares.” “En conclusion, les terres cultivables étaient revenues aux grandes propriétés des Maîtres de “cazes” sucriers ; les terres sèches, marécageuses, morneuses restaient à la disposition des petits propriétaires. La côte sous le vent peu propice à la grande culture de la canne à sucre restait réservée aux petits blancs héritiers des 36 mois.” 4.8 - La dépendance vis-à-vis de la Martinique - Lorsque l'île de la Guadeloupe fut rattachée au Domaine Royal en 1664, elle fit partie du gouvernement des Iles d'Amérique qui siègait au Fort Royal de la Martinique, et qui devint le gouvernement des Iles du Vent en 1712. Devenue une capitale et les autres îles des provinces, la Martinique, comme toutes les capitales, fut tout, et les autres îles rien. A elle allaient toutes les faveurs. Son Gouverneur, plus élevé en grade, plus richement rétribué, était mieux choisi. Bien qu'en sa qualité de chef suprême, il dut donner ses soins à toutes les contrées placées sous son obédience, lui demander qu'il étendit sa sollicitude au même degré sur toutes les îles eût été exiger de lui ce qui n'est pas dans la nature humaine. Sa prédilection était et devait être pour le lieu de sa résidence, pour les personnes qui l'entouraient. Il lui importait moins qu'une autre colonie que celle soumise à son administration immédiate fût conquise par l'ennemi : partant, celle-ci était toujours mieux pourvue d'armes, de munitions, de 23 troupes, de vivres. Les choses, à cet égard, furent poussées si loin qu'un moment vint où le ministre dut faire cette observation à De Blénac : "Le Roi regarde les autres îles avec les mêmes yeux que la Martinique". Malgré cela, l'arrêt du Conseil d'Etat de novembre 1688 condamna toutes les îles à la souffrance au profit du bien-être et de la prospérité d'une seule île. Par cet arrêt, toutes les prises devaient être conduites et vendues à la Martinique. Le résultat de cet état de chose fut que la Martinique devint l'entrepôt de toutes les denrées coloniales : on ne les trouvait que là. La ville de BasseTerre fût désertée par les navires de commerce, forçant les colons de la Guadeloupe à transporter leurs sucres à la Martinique. Les autres colonies n'achetant et ne vendant qu'en seconde main, après avoir payé des frais de cabotage et une commission au commerce de la Martinique. Par conséquence, le prix des objets de consommation fut par elles plus élevé et celui des denrées fournies en paiement plus bas. Aussi, elles ne faisaient pas de progrès, tandis que le chef-lieu éblouissait par son éclat et sa prospérité. La prospérité de la Martinique appelant plus de faveurs, et la faveur développant de plus en plus cette prospérité, la compagnie d'abord, puis les ministres après, n'entendant parler que de cette île, finirent par ne voir qu'elle seule. D'autorité le préjugé descendit jusque dans le peuple, passa dans le langage commercial : le café, le sucre de toutes les îles en général, étaient dits : “sucre, café Martinique”. Les savants aussi se laissèrent entraîner par le torrent. Ils ne pouvaient croire qu'une colonie qui avait tant de renommée n'eût pas une étendue plus considérable que celles dont on ne disait rien : dans les cartes du golfe du Mexique dressée au XVIII° siècle, la Martinique est figurée plus grande que la Guadeloupe. Pendant la guerre de Sept Ans, l'escadre anglaise arriva le 23 janvier 1759, deux jours après le Fort St Charles tomba. Débarquant à nouveau au Gosier, les Anglais attaquèrent à revers le réduit Français (sis à Gourbeyre), prirent successivement Capesterre et Trois-Rivières. Les colons se rendirent en avril 1759. La Guadeloupe devenait anglaise. Les conséquences économiques furent très favorables à l'île. Les Anglais développèrent l'activité sucrière et surtout ils permirent la création de la ville de Pointe-à-Pitre au milieu des marais et l'utilisation de la rade du Petit Cul de Sac. Ce site 24 excellent permit à la colonie d'avoir un véritable port et un abri sûr par tous les temps, bien protégé par les îlots. Ce n'est qu'après l'occupation anglaise que le Gouvernement Français pris conscience de son importance et toutes les richesses qui étaient renfermées dans son sein. Mais cette dépendance vis-à-vis de la Martinique ne cessa réellement qu'après la départementalisation en 1948, après trois siècles de colonisation. Cette injustice se ressent encore dans le comportement des Guadeloupéens. 4.9 - Un aveu toujours d’actualité - Créées uniquement pour fournir à la France ce qui lui manque et pour recevoir ce qu’elle a en trop, nos possessions d’Amérique ont fluctué au point de vue économique, entre des alternatives brusques de grande prospérité et de profonde misère. La métropole réussit difficilement à stabiliser la richesse aux colonies. Elle ne sait jamais définir quel genre de produits leur demander. Selon ses besoins, elle les incite un jour à cultiver abondamment ce que demain elle prohibera avec véhémence, sans souci des possibilités et des répercussions. Et c’est ainsi qu’en 1756 le duc de Choiseul, dans un rapport adressé au comte d’Ennery, gouverneur de la Martinique, et au comte Nolivos, gouverneur de la Guadeloupe, leur fit les aveux suivants qui conservent une certaine actualité : “ ... Les colonies fondées par les diverses puissances de l’Europe ont toutes été établies pour l’utilité de leurs métropoles; mais, pour se servir utilement des choses, il faut les connaître; et ces établissements, occupés d’abord au hasard, formés ensuite sans connaissance de leur véritable utilité, sont encore aujourd’hui, après un siècle de possession, très imparfaitement connus ou même tout à fait ignorés de la plupart de ceux qui les possèdent.” 5 - La Compagnie des Indes Occidentales 5.1 - Une idée fausse - Les gouvernants ne s'entêtent pas moins que les peuples dans une idée fausse : pour les uns comme pour les autres, elle forme un préjugé qui ne peut être guéri qu'avec la puissance du temps. On était convaincu que les colonies ne pourraient être fondées, prendre du développement et devenir profitables à l'Etat que par les compagnies : avec une compagnie, il fallait un privilège; ces deux choses ne marchent pas l'une sans l'autre. 25 5.2 - La création de la Compagnie des Indes-Occidentales - Par acte du pouvoir royal, le 31 octobre 1626 a été créé la première compagnie dite de Saint-Christophe. On y lit : "Que d'Esnambuc et du Rossey prendront possession des îles de Saint-Christophe et autres, et ce, pour y trafiquer et négocier des deniers et marchandises qui se pourront recueillir et tirer desdites îles et de celles des lieux circonvoisins. " Richelieu voulut bien laisser supposer que l'intérêt des "sauvages" entrait aussi dans le plan de colonisation. Les indigènes devraient aux colons les lumières et les bienfaits du christianisme. Le grand objet de la colonisation fut le commerce, et pour le développer l'on adopta précisément le moyen le plus propre à paralyser son essor, le système d'une compagnie, en autres termes, un intérêt particulier. Une fois entré dans cette voie, il fallut recourir à toutes les mesures restrictives et prohibitives nécessaires à la sauvegarde de cet intérêt. Le commerce vit dans la liberté et l'espace; on lui enleva l'espace et la liberté. A la compagnie seule furent réservés le soin et le droit d'approvisionner les colonies de tous les objets nécessaires en échange de l'achat de toutes les denrées récoltées et fabriquées. Les prix étaient déterminés par des commis, qui apportaient dans leur mission un arbitraire inintelligent et sordide. Les navires, allant aux îles, ne purent s'expédier que de deux ports, Le Havre et Saint Louis, et il y avait obligation pour eux d'effectuer le retour dans un seul, Le Havre. Les colons exaspérés traitèrent avec les hollandais. La prospérité de la colonie et les bénéfices qu'en tirait le commerce libre avec la Hollande auraient dû être un enseignement. Ces faits ne donnèrent aucune lumière. On ne trouva rien de mieux que de tenter encore une fois ce qui avait si mal réussi. On reconstitua la Compagnie des Indes-Occidentales le 12 février 1635. L'autorité royale livra tout à la nouvelle compagnie, ne gardant pour elle que la nomination du Gouverneur et des officiers de justice. Mais ce n'est pas parce que la première compagnie n'avait pas des privilèges assez étendus, qu'elle avait été conduite à sa ruine; elle avait péri par l'impéritie et l'avidité de ses agents. Les mêmes causes produiront les mêmes effets. En réfléchissant à tous les obstacles que les premiers colons ont rencontrés, on est étonné qu'ils aient pu en triompher. En lutte avec le climat, 26 les tremblements de terre, les ouragans; obligés de se défendre contre les attaques continuelles des Caraïbes, il leur fallait encore livrer sans cesse des assauts à la politique insensée des agents de la Compagnie des IndesOccidentales. 5.3 - Le privilège du pavillon français - Jusqu’à l’effondrement récent de la marine marchande, l’état a toujours imposé le privilège du pavillon français, c’est à dire que les importations et les exportations entre la France et les colonies, puis Départements s’Outre-Mer se faisaient obligatoirement par des navires français. Ce principe du refus de la concurrence se traduit par des prix excessifs pour les usagers et par un relâchement dans la gestion pour les entreprises ayant le monopole. Après les échecs de la Compagnie des Indes Occidentales et puis de la Compagnie Générale Transatlantique, le Gouvernement a donné le privilège à Air France en matière de transport aérien. Nous constatons après des dizaines d’années de trafic les pertes gigantesques de cette Compagnie, dont les coûts de transport sont deux fois plus élevés que ceux de ces récents concurrents dans le cadre du nouveau marché Européen. Avec le Marché Commun, la concurrence s’est faite au profit des utilisateurs. 6 - L’esclavage 6.1 - Les débuts de l'esclavage - On croit généralement que la malheureuse idée d'introduire des noirs aux Antilles, de faire la traite, est due à Las-Cazes, qui pour soulager le sort des naturels (Améridiens), demanda et obtint qu'on allât en chercher à la côte de Guinée. Cette croyance pour être accréditée n'est pas moins le résultat d'une erreur. Depuis 1406, soit environ un siècle avant l'arrivée de Colomb en Amérique (1692), des noirs avaient été apportés et vendus à Séville. En 1442, ils étaient exposés en vente sur le marché de Lisbonne. Les Espagnols ayant exterminé les naturels d'Ispagnola (actuellement St Domingue / Haïti), pour remplacer leurs bras dans les travaux des mines, il fallut d'autres bras, et c'est en Afrique qu'ils allèrent en chercher. En 1503, il y avait à Saint-Domingue des noirs en quantité considérable. En 1511, la cour de Madrid, après s'être glorifiée de la prospérité de la colonie, attribuée à une 27 faveur du ciel à cause de la multiplication des églises, prescrit le transport aux îles de beaucoup de noirs de Guinée, "puisqu'un nègre travaille plus que quatre indiens ". C'est en 1517, sur la proposition de Las-Cazes "de donner la permission aux colons d'amener des nègres pour soulager le sort des naturels" qu'un privilège fut donné à des Flamands d'introduire aux îles quatre mille nègres. Les Anglais ne tardèrent point à suivre les traces des Espagnols. En 1562, ils envoyaient chercher des noirs dans les colonies espagnoles et en 1618, à Londres, une Compagnie des Indes-Occidentales était organisée et obtenait le privilège exclusif de chercher des cargaisons d'hommes pour les revendre. La France ne vint que plus tard dans ce honteux trafic. Louis XIII s'est longtemps opposé à l'établissement de l'esclavage. Aux Etats-Généraux de 1614, il y avait eu ce vote :"Le Roi est supplié d'ordonner que tous les seigneurs soient tenus d'affranchir dans leurs fiefs tous les serfs". Le premier acte législatif touchant à la traite porte la date du 11 novembre 1673, quelque trente ans après la mort de Louis XIII. Dès le début de la colonie, les noirs furent introduits, les premiers provenaient d'un navire espagnol, capturé par un dénommé Pitre, vers 1643. Au début de la colonie vers 1660, le préjugé de couleur n'existait pas. Il n'était pas rare de voir des blancs épouser des noires. Mais, s'il est vrai, que la loi forme les moeurs, le législateur ayant placé l'union du blanc et de la femme noire au nombre des délits punissables de peines afflictives et infamantes, ce dont il ne faudrait s'étonner ce serait que la défense de la loi, ne se fût, à la longue, infiltrée dans la coutume et n'eut fini par acquérir la puissance d'un préjugé; alors surtout que nous verrons le législateur persister dans sa prohibition, dont l'effet est efficace sur l'esprit de l'homme. Le malheur, c'est qu'un préjugé une fois établi n'est pas facile à guérir. 6.2 - Le "Code Noir" - Cet acte important précédait de peu la révocation de l'Edit de Nantes. L'édit de mars 1685, vulgairement appelé le Code Noir, avait été promulgué par Seigneley. Ce code était pour les colonies, le pendant de l'Edit de Nantes. Pour amener les protestants à une abjuration, ils n'étaient point encore violentés, mais il leur était défendu de se réunir pour prier; ils ne pouvaient être employés sur les habitations comme commandeur; leurs mariages étaient nuls, ne produisaient aucun effet civil, les enfants en provenant étaient dits des bâtards. 28 Sauf l'intolérance religieuse, et en général, une trop grande sévérité dans la répression des délits, le principe de l'esclavage admis, l'édit sauvegardait tous les droits, ceux du maître comme ceux de l'esclave et de l'affranchi. La nourriture, les vêtements à fournir à l'esclave étaient prévus, déterminés. Victime des actes de violence de son maître, il était reçu à porter plainte au procureur du roi, qui devait informer et poursuivre. Tout maître avait le droit d'affranchir son esclave. De sa volonté, le colon faisait de son esclave un citoyen. Les colons affranchirent beaucoup et la Métropole éleva des digues entre leur volonté et l'affranchissement. Il est juste d'observer qu'à l'époque de la promulgation du Code Noir, et même plus tard, la législation criminelle de toute l'Europe était empreinte d'une grande barbarie. C'était le temps de la torture, de la roue et du bûcher; le temps où le vol domestique était puni de mort; celui où l'on attachait à répandre de l'ignominie sur la personne des condamnés, où l'on s'acharnait quelquefois sur leurs cadavres. 6.3 - L'église et l'esclavage - A cette époque, où le clergé avait tant d'empire sur les hommes, parlant au nom d'un Dieu mort en prêchant la liberté et l'égalité de tous, n'aurait-il pas pu empêcher l'établissement de l'esclavage ? Il aurait été beau au moins de le tenter. Mais il plaçait plus sa mission dans le dogme que dans la morale. Les grandes vérités du Christianisme consistaient pour lui dans quelques pratiques. Et puis, possesseur lui-même d'esclaves, il ne pouvait s'élever contre l'esclavage. La simple lecture des récit du R.P. Labat montre l'état d'esprit des gens de cette époque, y compris le clergé. Le R.P. DUTERTRE est le seul (à ma connaissance) qui exprime dans ses écrits de la compassion sur la situation difficile des esclaves. 6.4 - La lourde responsabilité de l'Ancien Régime - Le système esclavagiste sur lequel repose la société coloniale de 1635 à 1848 a plusieurs dimensions : politique, économique, sociale et religieuse. Le Roi de France jusqu'à Louis Philippe est le suprême garant de l'ordre esclavagiste veillant au cloisonnement des castes (Blancs et Noirs). C'est lui qui promulgue l'édit de 1685 connu sous le nom de Code Noir. C'est le monarque - au vrai, ses ministres et ses commis - qui écrit au Gouverneur des îles du Vent (26 29 décembre 1703) : "Le roi ne veut pas que les titres de noblesse des sieurs soient examinés ni reçus, parce qu'ils ont épousé des mulâtresses, ni que permettiez qu'on rende aucun jugement pour la présentation de leurs titres." C'est lui qui prend la mesure d'écarter de la vie publique, "de toutes espèces de fonctions et charges publiques dans les colonies", non seulement les affranchis mais leurs descendants à quelque degré qu'ils se trouvent : en un mot les "sang-mêlé", tous "ceux qui sortent d'une race nègre". Elle est formulée pour la première fois en 1733 dans un ordre du roi à l'adresse des îles du Vent : "L'ordre du roi, Monsieur, est que tout habitant de sang mêlé, ne puisse exercer aucune charge dans la judicature, ni dans les milices. Je veux que tout habitant qui se mariera avec une Négresse ou mulâtresse ne puisse être officier, ni posséder aucun emploi dans la colonie (.....) au cas que je sois informé, qu'on ne l'ait pas été, d'un fait aussi important, je casserai, lorsque j'en aurai connaissance, les officiers qui seront dans les milices ou qui auront d'autres emplois." L'édit de décembre 1723 déclare en outre : "les Nègres incapables de recevoir des Blancs aucune donation entre vifs à cause de mort, ou autrement". La Couronne, enfin, règle les affranchissements et veille à contenir le groupe des gens de couleur libres ou esclaves. 6.5 - La première révolte à Capesterre - Après le cyclone de 1656, les esclaves africains se révoltèrent dans le quartier de la Capesterre. Il y avait parmi eux deux plus résolus et plus intelligents que les autres. C'était Pèdre et Jean-Leblanc, qui avaient appris le maniement des armes. JeanLeblanc était de la côte d'Angole, Pèdre du Cap-Vert. Ils avaient dans le secret préparé leurs compatriotes à se soulever. Il s'agissait d'égorger tous les blancs et de fonder à la Guadeloupe deux royaumes, l'un à la Capesterre gouverné par le roi Jean-Leblanc, et l'autre à la Basse-Terre où serait le siège de la cour de Pèdre. Le jour de la révolte venu, les noirs du Cap-Vert manquèrent au rendezvous. Jean-Leblanc et ses hommes ne les attendirent point. Ils fondent sur l'habitation la plus proche, en égorgent les habitants, s'emparent des armes et s'enfoncent dans les bois. Pendant quinze jours, ces révoltés se tenant sur la lisière des bois, épiant le moment favorable, se ruaient tantôt sur une habitation, tantôt sur 30 une autre, portant partout la désolation : ils pillaient les propriétés et égorgeaient les blancs qui leur tombaient sous la main. Un colon nommé Despinay, s'offrit pour aller réduire les insurgés. Il choisit vingt autres colons, dont le courage et la résolution étaient connus. Mis sur la piste des brigands par un pisteur brésilien, il les rejoignit et les révoltés furent tous tués ou pris. Pèdre et Jean-Leblanc, attrapés vivants, furent écartelés. 6.6 - L'esclavage, la résistance et la répression - Très tôt se développe un processus de résistance des esclaves qui s'efforcent de saper les bases de l'esclavagisme. Sur les vaisseaux négriers, les captifs africains tentaient déjà de se libérer. Sur les plantations, bossales (nouveaux africains) ou créoles (nés aux îles) complotent, se rebellent, s'enfuient. Les fugitifs ou Nègres marrons se regroupent dans les bois et organisent leur défense en tissant un réseau d'informateurs parmi les libres, qui leur procurent des armes, des munitions, des aliments, voire de l'argent. Les bandes de Nègres marrons cheminent dans les forêts de BasseTerre et de Grande-Terre. Les insurrections d'esclaves, qui se multiplient avec le développement de la monoculture sucrière, entrent dans une phase prérévolutionnaire après la guerre de Sept Ans (1756-1763). 6.7 - Les sources du préjugé de couleur - L’historien Auguste Lacour a bien traité ce sujet que je reprend en l’état : “Les dénombrements dressés pour l'année 1789, portent la population totale de l'île à 106.593 habitants, divisés comme suit : Blancs Libres Esclaves 13.712 3.058 89.823 “De blanc à blanc, la noblesse n'existait pas. Ce qui constituait l'aristocratie était non les parchemins, mais la couleur. Aux blancs, aux individus de race européenne étaient exclusivement réservées les fonctions publiques, lucratives ou honorifiques. “Dans l'échelle sociale, après le blanc venait l'homme de couleur. A lui étaient laissés les métiers. Il pouvait s'enrichir par le négoce, acquérir des habitations, des esclaves; mais c'était tout. Il n'aurait pas pu exercer la profession de médecin, tenir une pharmacie. Il servait dans la milice, mais dans des compagnies séparées, et sous des chefs blancs. Le blanc n'avait pour lui 31 aucune antipathie; au contraire, il était disposé à lui rendre tous les services en son pouvoir, pourvu que la nature de ces services ne sortît pas de la sphère des faits qui descendent du patron au client. “La bienveillance n'allait pas jusqu'à permettre à l'homme de couleur de franchir le seuil de la porte et de venir s'asseoir au foyer. Le blanc qui aurait contracté une alliance avec une fille de couleur, reçu un mulâtre à sa table ou dans son salon, aurait été mis au ban de la société. “Pourtant au début de la colonisation, le préjugé de couleur n'existait pas, des blancs contractaient des unions légitimes avec des noires et des mulâtresses. “Comment est venu le préjugé ? “Un des premiers actes que nous rencontrons en Guadeloupe, touchant l'homme de couleur, est l'ordonnance du Sieur Tracy, qu'il publia à son arrivée aux Antilles. “En attachant une note d'infamie au fait de procréer un mulâtre, en rendant l'auteur de ce fait passible de peines afflictives et infamantes, le lieutenant général dût brouiller les idées. Il n'était pas possible qu'à la longue, on ne regardât pas comme d'une nature différente l'enfant, dont la naissance avait pour le père une cause de déshonneur. “Le blanc, qui contractait de semblable alliances, était déchu de ses droits; le noble qui dérogeait, ne pouvait plus réclamer les privilèges résultant de ses titres, ni les transmettre à ses descendants. “Les lettres, les instructions, les ordres ministériels venaient tour à tour tracer à cet égard le devoir des gouverneurs et des conseils supérieurs. “Voici une lettre du ministre de la marine, en date du 27 mai 1771, elle est adressée au Gouverneur de Saint-Domingue : "J'ai rendu compte au roi de la lettre de MM. de Nolivos et de Bongars du 10 avril 1770, contenant leurs réflexions sur la demande qu'on fait les sieurs ..... de lettres-patentes qui les déclarent issus de sang de race indienne; Sa Majesté n'a pas jugé à propos de la leur accorder; elle a pensé qu'une pareille grâce tendait à détruire la différence que la nature a mise entre les blancs et les noirs, et que le préjugé politique a eu soin d'entretenir comme une distance à laquelle les gens de couleur et leurs descendants ne doivent jamais atteindre; enfin qu'il importait au bon ordre de ne pas affaiblir l'état d'humiliation attachée à l'espèce, dans quelque degré qu'il se trouve, préjugé d'autant plus utile, qu'il est dans le coeur même des esclaves, et qu'il contribue principalement au repos des colonies : Sa Majesté a approuvé en 32 conséquence que vous ayez refusé de solliciter pour les sieurs ...... la faveur d'être déclarés issus de race indienne, et elle vous recommande de ne favoriser sous aucun prétexte les alliances des blancs avec les filles de sang mêlé. Ce que j'ai marqué à Monsieur le comte de Nolivos, le 14 de ce mois, au sujet de M. le marquis de ...... , capitaine d'une compagnie de dragons, qui a épousé en France une fille de sang mêlé, et qui par cette raison ne peut plus servir à Saint-Domingue, - de comprendre sa compagnie dans les emplois vacants, - vous prouve combien Sa Majesté est déterminée à maintenir le principe qui doit écarter à jamais les gens de couleur et leur postérité de tous les avantages attachés aux blancs." “Cette position équivalait à une prohibition, qui ne se bornait pas uniquement aux classes privilégiés. “Ainsi c'est dans un intérêt gouvernemental qu'en France on entretenait le préjugé de couleur, qu'était défendu tout rapprochement entre le blanc et le mulâtre. Lorsque le sang aura coulé, on répudiera ce funeste système de division, mais le préjugé, s'étant déjà infiltré dans les moeurs, restera, et le colon en sera rendu responsable.” 6.8 - La destruction du système esclavagiste - "Il faut détruire l'esclavage, non seulement pour les esclaves mais pour les maîtres, car il torture les uns et déprave les autres." C. Schnakenbourg Sous la pression de l'insurrection générale des esclaves de Saint Domingue en août 1791, les commissaires civils envoyés par la Convention durent proclamer le 29 août 1793 la liberté générale. La Convention montagnarde confirma et renforça ces décisions par son décret du 16 pluviôse an II (4 février 1794), qui abolit l'esclavage dans les colonies françaises. Elle dépêcha en Guadeloupe deux commissaires, Pierre Chrétien et Victor Hugues, avec mission de reprendre l'île aux occupants anglais. Ils reprirent l'île aux Anglais après de nombreuses batailles au Gosier, à Pointe-à-Pitre et à la Baie-Mahault. Les Anglais vaincus, signèrent un armistice, avec Victor Hugues. Ils abandonnèrent l'île et leurs alliés les blancs guadeloupéens. Ceux-ci (environ 1.800 personnes) furent tous exécutés à la Pointe de Jarry. Maître de la Guadeloupe, Victor Hugues proclama l'abolition de l'esclavage en 1794. Les noirs incultes restèrent en grand nombre dans les exploitations agricoles. Les mulâtres et les "libres" ayant généralement une certaine instruction, ils formèrent l'encadrement nouveau de l'île sous la 33 révolution (administration, commerce, industrie, etc ...) La classe de négociants de couleur enrichis dans le commerce étranger avec la Nouvelle-Angleterre et la guerre de course (corsaire) s'affirme sous le Gouvernement de Victor Hugues (1794-1798). Elle fournit également un encadrement à l'armée insurrectionnelle qui s'oppose au rétablissement de l'esclavage par Bonaparte en 1802. Elle dut affronter la force expéditionnaire, commandée par le Général Antoine Richepance. Les forces en présence étaient d'une part, les troupes métropolitaine du Général Richepance et d'autre part, les troupes locales créées par Victor Hugues. Elles furent vaincues en partie à cause des hésitations des deux chefs Magloire Pélage et Louis Delgrès, officiers d'origine martiniquaise, qui ne voulurent jamais franchir le pas et faire la guerre révolutionnaire comme à Haïti. Les troupes locales se divisèrent : le Général Pelage se rendit, avec ses régiments. Après de nombreux combats, autour de Delgrès périrent ses 800 soldats au Matouba. Ils se firent sauter plutôt que de se rendre à Richepance. Les autres furent déportés en masse sur les côtes américaines. Le 4 mars 1848, le Gouvernement provisoire (avant la proclamation de la Seconde République) adopta le principe de l'abolition de l'esclavage dans les colonies. Une commission d'abolition fut formée sous la présidence de Victor Schoelcher, qui signa le décret d'abolition le 27 avril 1848. 6.9 – L’esclavage persiste de nos jours - Malheureusement, l'esclavage existe encore. Selon l'O.N.U., il y aurait en 1993 environ 200 millions d'esclaves dans le monde. Esclaves économiques privés de tous leurs droits : aux Indes, au Moyen Orient, en Amérique du Sud ... et esclaves à l'ancienne mode dans de nombreux pays d'Afrique. • Esclavage : un mal général en terre d’Islam : Anthropologue, spécialiste de l’islam et connu pour sa liberté de ton à l’égard du monde arabomusulman, Malek CHEBEL publie « L’esclavage en terre d’Islam » (Fayard), dans lequel il dénonce l’hypocrisie de nombreux pays musulmans à ce sujet. Interrogé par Laurence d’Hondt, il répond : LH – Votre livre est accablant pour l’islam ! MC – « Je ne veux pas accabler le monde musulman, mais l’interpeller en lui demandant pourquoi il laisse l’esclavage se poursuivre dans le silence. Cela fait deux siècles que le christianisme travaille sur cette question et l’interdit, 34 au nom des droits de l’homme. Mon livre veut nommer un mal général en terre musulmane qui fait que la personne humaine n’est pas respectée dans sa dignité d’homme. » LH – Pourquoi cela ? MC – « L’islam n’est pas une religion de repentance mais une religion percutante, faite d’injonctions et fondée sur des certitudes. L’individu qui la pratique n’est pas sujet aux doutes, qui sont antinomiques de sa religion. » LH – Donc aucun sentiment de culpabilité ? MC – « Pour le musulman, posséder un esclave est un signe de richesse, une question de fortune qui n’appelle pas de culpabilité particulière. » LH – Mais le Coran est pourtant explicite ... MC – « Certes, le Coran incite à l’affranchissement d’un esclave, surtout s’il est musulman. Mais il n’y a pas d’interdiction formelle de l’esclavage. En islam, on peut dire qu’il est plus respectable d’être musulman que d’être un homme. » LH – Le Coran ne serait pas assez coercitif ? MC – « Non. On se cache derrière le Coran pour justifier une pratique honteuse. L’absence de culpabilité de l’esclavagiste vient de traditions anciennes, de la pratique des gouvernements actuels et même de l’hypocrisie des élites intellectuelles qui le dénoncent et affichent pourtant la présence d’une bonne comme signe de réussite sociale. » LH – La traite orientale diffère-t-elle de la traite occidentale ? MC – « Oui. Fondée sur des bases économiques, la traite occidentales a duré deux siècles. En Afrique, les Occidentaux ne sont pas venus chercher des bonnes pour augmenter leur statut social, mais une main d’oeuvre. En Orient, l’esclave pouvait évoluer au sein d’une famille ou d’une dynastie. Beaucoup plus socialisée, intériorisée et donc difficile à chasser, la traite orientale a duré quinze siècles. LH – Et ce n’est pas fini ... MC – « Sauf cas exceptionnels, comme en Mauritanie, l’esclavage n’est plus un statut définitif. Il prend des formes diverses, comme la domestique ou l’ouvrier dans le Golfe à qui l’on confisque sa carte d’identité. Il y a des foyers en pleine expansion. A Beyrouth, des agences recrutent des bonnes asiatiques. Certains efforts sont faits, comme au Maroc. On y recense près d’un million de bonnes, souvent africaines et pas rémunérées. Le secrétaire d’État à la Famille tente de leur donner des droits. La tâche est compliquée car ces personnels sont souvent cachés. » (publication du 10 juillet 2008) 7 - La route des esclaves 35 7.1 – Trafic des esclaves – « Dépi lan Guinen, Nèg rayi Nèg » (Déjà en Guinée, les Nègres haïssaient les Nègres). Ce proverbe créole rappelle que la tragédie des esclaves commençait dès l’Afrique avec des trafiquants africains, qui capturaient et vendaient leurs frères. Toutes les sociétés humaines ont connu l’esclavage à un moment donné. En Afrique Noire comme dans la Grèce antique, les vaincus devenaient les esclaves des vainqueurs et travaillaient pour eux. Parfois, les vainqueurs épousaient les femmes esclaves. Dès le VIII° siècle, il existait un petit trafic organisé par les Arabes qui traversaient le désert pour acquérir des esclaves, qu’ils emmenaient vers les pays de la Méditerranée. Au XVIe siècle, c’est un système de grande ampleur qui s’est mis en place, avec l’approbation des grandes puissances européennes. Les colonies d’Amérique réclamaient un grand nombre d’esclaves pour servir dans les plantations. Les commandants des navires négriers vendaient de la pacotille venant d’Europe aux Africains contre des esclaves. Ceux-ci étaient transportés en Amérique où ils étaient vendus au prix fort. Les commandants des navires négriers chargeaient alors du sucre, des épices, du coton, etc. qu’ils revendaient très chers en Europe. Ce commerce était connu sous le nom de “trafic du bois d’ébène” ou de commerce triangulaire. 7.2 – La route des esclaves - Tous les pays côtiers d’Afrique vendaient des esclaves pour avoir des fusils, dans le but de se renforcer. L’exemple du Dahomey est représentatif de cette organisation. Au début du trafic, le royaume du Dahomey, vassal du royaume de l’Oyo, était un pays continental et payait un tribut annuel de 45 esclaves. Pour s’acquitter, le royaume du Dahomey a commencé la conquête du royaume d’Allada, qui le séparait de la mer. Elle s’est fait petit à petit, tribu après tribu. Chaque année, à la saison sèche, après les récoltes, le Roi qui demeurait à Abomey, levait une armée parmi ses sujets paysans, pour faire une guerre de razzia. La saison sèche avait l’avantage de pouvoir incendier les herbes pour découvrir les ennemis en fuite qui s’y cachaient. Les vaincus capturés étaient divisés en deux groupes : les “valeurs sûres”, c’est-à-dire les artisans ou les prêtres vaudous qui étaient conservés et les “autres” qui étaient acheminés vers la ville d’Ouidah, pour être vendus comme esclaves. Dans toutes les autres régions, les sorciers faisaient automatiquement partie de ceux qui étaient vendus. Ce qui explique le nombre important de sorciers parmi les esclaves qui arrivaient aux îles. L’Adjaho, second personnage du royaume, avait la responsabilité générale des esclaves, il faisait le tri parmi les “valeurs sûres”. Il choisissait ceux qui iraient servir au Palais Royal d’Abomey, ceux-là étaient 36 systématiquement castrés. Près du Palais, ils étaient regroupés dans le “Parc des esclaves”, qui couvrait plusieurs hectares. L’Adjaho désignait deux convoyeurs pour conduire les esclaves enchaînés sur les 120 kilomètres, qui séparaient Abomey du lieu d’embarquement près d’Ouidah. Chaque colonne avait 20 esclaves attachés à un poignet par des fers et au cou par un collier ; une longue chaîne les unissait les uns aux autres. Un des responsables avait la charge matérielle du transport (nourriture, logement, encadrement, etc.) et l’autre devait veiller à la santé des esclaves, qui étaient une valeur marchande. À chaque étape, il faisait soigner les blessés et les malades, ... Sur le trajet, il y avait 47 postes de contrôle qui percevaient des taxes sur les caravanes d’esclaves, afin de les nourrir, les héberger et les soigner. À chaque étape, les esclaves étaient drogués, pour leur faire oublier leurs tourments, les endormir et surtout les calmer. Lors de leur arrivée dans la ville d’Ouidah, les esclaves étaient enfermés, dans l’esclaverie. Ils étaient mis dans un local sombre, afin de les habituer à vivre dans la pénombre, car dans les navires négriers, ils seraient parqués nombreux, sous les ponts, sans lumière. Dans l’esclaverie, beaucoup de prisonniers faisaient des tentatives de suicide, certains mouraient d’épuisement et aussi volontairement de faim. Dans la ville d’Ouidah, le vice-roi Yovogan Dagaba était chargé de la négociation avec les Blancs. Avant de présenter les esclaves, ceux-ci étaient nettoyés, puis ils étaient oints avec de l’huile de palme, afin d’améliorer leur aspect. Les transactions ne portaient que sur les sujets jeunes, les autres n’intéressaient pas les colons. Les acheteurs vérifiaient la qualité de leurs dents, de leurs bras et de leurs jambes, puis cherchaient à éliminer ceux qui risquaient d’être malade. Ceux qui étaient sélectionnés étaient immédiatement marqués au fer rouge, pour éviter les substitutions. Les négociations duraient plusieurs semaines, afin d’établir le prix de vente de chaque esclave. Ce prix était élevé, de l’ordre de 5 fusils, plus divers ustensiles pour un esclave, ce qui représentait le salaire annuel d’un artisan boulanger de Paris. Uniquement sur Ouidah, on estime que le trafic portait sur environ 10.000 esclaves par an, selon le témoignage d’un Danois. Ce commerce prit fin au milieu du XIXe siècle, quand l’Angleterre et la France décidèrent l’abolition de l’esclavage pour des raisons économiques et non de moralité ou de justice. Le prix du sucre ayant baissé, avec la concurrence de la betterave, l’esclave n’était plus rentable. 7.3 - Les ravages du trafic : La première conséquence est que l’esclavage nourrissait la guerre en Afrique. Les Rois locaux, pour s’enrichir par la vente d’esclaves, devaient faire la guerre aux tribus voisines. La demande 37 des négriers Blancs a fortement augmenté le besoin d’esclaves pour satisfaire le marché. La seconde conséquence est la perte pour l’Afrique de ses éléments jeunes et dynamiques, qui ont été déportés en masse pendant plus de trois siècles. Pour un esclave vendu, combien y avait-il de victimes ? Combien de tués et de blessés pendant les razzias ? Les autres captifs invendables : trop âgés, malades, blessés, orphelins, étaient conservés par les conquérants, mais coupés de leurs racines. Le nombre exact des victimes est très nettement supérieur à celui des transportés en Amérique ; il est impossible à évaluer. De nos jours encore, des conflits subsistent entre les descendants des trafiquants et ceux des esclaves demeurés en Afrique. Un grand nombre d’esclaves mouraient sur les navires négriers, car les conditions de transport maritime étaient déjà mauvaises pour les équipages et les passagers payants de la marine à voile (pas de place, pas de fruits, ni de légumes frais, les ravages du scorbut). Les conditions étaient pires pour les esclaves, qui subissaient le confinement dans les cales, le manque d’hygiène et la mauvaise nourriture pendant le voyage qui durait un à deux mois. 8 - La guerre des épices - La journaliste Anca Bertrand a fait un travail énorme pour préserver la mémoire des us et coutumes créoles, dans tous les domaines. Sa revue “Parallèles” a permis à des nombreux antillais de s’exprimer. Malheureusement, son décès prématuré a peut être marqué la fin de ce travail. Selon Anca Bertrand : “On ne peut pas expliquer le processus de la découverte des Indes Occidentales, c'est-à-dire les Antilles, si on ne connait pas le commerce européen et particulièrement celui des épices. “Les épices étaient entre autres : la cannelle, la muscade, les piments, l'anis, le gingembre, la girofle, le poivre (l'épice la plus chère et qui se vendit au moyen-âge à son poids d'or). “Ces épices venaient toutes de l'Inde et transitaient par l'Arabie vers l'Europe, très friande de client de tout premier ordre. “Le chemin des épices des Indes passait par l'Arabie, l'Egypte, la Méditerranée et les Balkans, alimentant l'Europe du Centre, du Nord et de l'Occident. “Les Arabes, enrichis à ce commerce de transit, décidèrent d'éliminer les autres intermédiaires et ce fut le grand mouvement d'expansion arabe sur l'Egypte, l'Afrique du Nord, l'Espagne et la France. “L'islamisation n'a été que le motif moral, le motif honorable, avoué, 38 pour cacher ce vaste mouvement de commerce, tout comme la christianisation des contrées sauvages a été la couverture morale de l'expansion coloniale. “L'Europe a réagi contre cet encerclement du Commerce avec les Indes, une première fois avec les Croisades, essayant de libérer le chemin de l'Inde sous la même couverture : LA RELIGION. “N'ayant pas abouti, l'Europe a essayé de trouver un autre chemin des épices, en contournant l'Afrique. Et ce n'est pas un simple hasard que ce soient précisément l'Italie, l'Espagne, le Portugal et la France qui aient alimenté les recherches d'exploration et de la navigation à long parcours. “Avec Vasco de Gama, l'Afrique est contournée et retrouvé le chemin libre du commerce de l'épicerie. “Ce n'est pas non plus un hasard que ce soit un Génois : Christophe Colomb, qui ait reçu l'appui de l'Espagne pour tenter la découverte d'un autre chemin plus court, plus direct, toujours vers l'Inde; c'était la marche par l'ouest, vers le pays du Cipangou (Japon et Chine) et l'Inde. “Ainsi, le commerce de l'épicerie (poste important dans le commerce exotique comptant : tissus, pierres précieuses, chevaux, etc ...) amena la découverte de l'Amérique et des Antilles (Ante-isles : les îles avant la TerreFerme) qui devinrent, non sans raison les Indes Occidentales, véritables greniers du commerce de l'épicerie : muscade, girofles, cannelle, piments, gingembre, vanille et sucre. “Non seulement qu'il est nécessaire du point de vue de la culture générale de connaître comment se développa le commerce de l'épicerie qui fait partie de notre vie quotidienne, mais c'est à ce commerce que les Antilles ont du leur essor et ont contribué à l'épanouissement de l'Europe Occidentale. “Ce sont les Antilles (qu'on préféra au Canada en 1763) qui tout le long du XVII° et du XVIII° siècles ont contribué non seulement à l'enrichissement des Métropoles occidentales, mais ont libéré politiquement l'Europe de la menace Arabe, ces transitaires devenus inutiles.” 8.1 - Pourquoi les épices ? - Jusqu’au XIXème siècle, les hommes n’avaient aucun moyen de conserver les aliments, sauf à les mettre dans la saumure, qui en transformait le goût. Au Moyen Age, un premier pas a été fait avec la fabrication de pâtés par les pâtissiers, qui permettaient de donner à la viande une durée de vie plus longue au prix d’une transformation du goût. Mais en Europe, les préparations culinaires restaient fades, par manque d’épices. 39 8.2 - Un commerce très ancien - L'histoire nous apprend qu'au 18° siècle avant Jésus-Christ, les Madianites (peuples de la Palestine méridionale) venaient en caravane de Galaad (ville situé à l'est du Jourdain) et se dirigeaient vers l'Egypte, où ils allaient vendent des parfums, de la myrrhe, de la résine et des esclaves. C'est à ces premiers marchands que les fils de Jacob vendirent leur frère Joseph. Et la Bible nous dit que le jeune Joseph fut vendu par eux à Putiphar, eunuque de Pharaon et commandant des gardes. Le commerce de l'Egypte était, à cette époque, très florissant. Les caravanes, qui s'y arrêtaient, étaient en sûreté, et, de là, pouvaient se rendre, par de bonnes routes, en Ethiopie, en Afrique septentrionale, en Arabie, au Niger, en Arménie, au Caucase, à Babylone, à Carthage. C'est d'Arabie que les Egyptiens recevaient les aromates destinés à l'embaumement des corps. Ils échangeaient ces produits contre du sel et des plumes d'autruche. Les Indiens (des Indes), eux, avaient une grande expérience du commerce. Ils avaient leur réglementation et connaissaient, déjà la taxation des prix. "Les sanctuaires de Bénarès et de Jagrenat étaient des lieux de négoce, comme, plus tard, le deviendront les monastères du Moyen-Age". L'Europe, en grande partie inculte et pas civilisée, ignorait tout du commerce qui se pratiquait en Asie et en Afrique. La monnaie n'étant pas encore en usage, le commerce se faisait par troc. On échangeait des tissus, des bijoux, des esclaves, contre des produits alimentaires. Les marchands, en caravanes, se dirigeaient vers les pays qui avaient le plus de denrées à échanger. Ils se faisaient escorter d'hommes armés à cause du peu de sûreté des routes. L'extrême longueur des distances à parcourir d'un point à un autre obligeait de ménager les forces des bêtes. C'était donc des marchandises de faible volume qui étaient transportées. En Asie, les Etats construisaient des caravansérails aux haltes choisies par les caravanes; ces caravansérails devinrent vite des villages, puis des villes très riches à cause du commerce qu'on y faisait. C'est aux Phéniciens, peuples sémitiques, établis sur les bords de la Méditerranée (la Syrie d'aujourd'hui) dès le 24° siècle avant Jésus-Christ, qu'il revenait d'utiliser la voie maritime pour les transactions commerciales. Les Phéniciens commerçaient pour leur propre compte, à la différence 40 des autres peuples chez lesquels le commerce était un privilège royal. Leurs premiers voyages nautiques, qui se situent au moment de la guerre de Troie, en 1280 avant Jésus-Christ, se distinguent par des actes de piraterie. Les vaisseaux phéniciens, qui avaient très peu de quille et qui étaient presque ronds, naviguaient en longeant les côtes; ils se manoeuvraient au moyen de grandes rames et d'une large voilure. En s'orientant sur la constellation de la Petite Ourse, les Phéniciens abordèrent la Grande-Bretagne et les ports de la Baltique. Le trafic, qu'ils firent avec l'Egypte, l'Italie, l'Espagne, Israël, la Grèce, portait principalement sur le blé, du vin, de l'huile, de la cire, des fruits, du miel, de la résine, des parfums, etc ... 8.3 - La lutte entre la Croix et le Croissant pour la maîtrise du commerce des épices - Au Moyen Age, le commerce extérieur se faisait par la Méditerranée. Les Grecs et les Arabes nous apportaient les marchandises de l'Orient, qu'ils chargeaient à Alexandrie." "Mais les Croisades firent passer entre les mains des Francs cette source de richesses. Les conquêtes des croisés, dit l'Abbé Fleury, leur assurèrent la liberté du commerce pour les marchandises de la Grèce, de Syrie et d'Egypte, et, par conséquent, pour celles des Indes qui ne venaient point encore en Europe par d'autres routes. " Toujours selon l'Abbé Fleury : "Gènes, Venise, Pise, Florence et Marseille durent leurs richesses et leur puissance à ces entreprises." "On ne peut se dissimuler, ajoute Chateaubriand, que la marine et le commerce modernes ne soient nés de ces fameuses expéditions. Ce qu'il y eut de bon en elles appartient à la religion, le reste aux passions humaines". Après l’expansion de l’Islam en Egypte, puis Afrique du Nord et enfin en Espagne, la route des épices par le sud était aux mains des commerçants arabes. Les conquêtes des Turcs en Asie Mineure et dans les Balkans fermaient la route caravanière des épices. La prise de Constantinople en 1453 et la chute de l’Empire Romain d’Orient causèrent un choc pour l’Occident, qui prit conscience de la grave menace des Mulsulmans. Les seules routes ouvertes étaient celles de l’ouest soit en contournant l’Afrique, soit en traversant l’Atlantique. 8.4 - Les conséquences des routes des épices - En 1492, Christophe Colomb, recherchant une nouvelle route commerciale pour se 41 rendre aux Indes, pays des épices, découvre le continent américain, dont il ne soupçonnait pas l'existence. Une des routes des épices est ouverte. Dès 1497, le portugais Vasco de Gama, par la route du Cap de Bonne Espérance, arrive aux Indes; son second voyage sera "une véritable croisade des marchands de poivre, de gingembre et de cannelle". En 1520, toujours à la recherche de la route des épices, Magellan découvre le détroit qui porte son nom. "Le grand explorateur portait comme armes parlantes; un globe terrestre chargé de deux bâtons de cannelle, de trois muscades et de douze girofles, avec comme tenants deux rois indigènes couronnés portant à la main externe une branche d'épice et comme devise : Primus me circumdedisti". La découverte de la route des Indes et la possession des colonies productrices d'épices donnèrent tour à tour à la Hollande, au Portugal, à l'Espagne, à la France et à l'Angleterre richesses et puissance maritime et furent l'occasion d'innombrables guerres, de rapines, de pillages. C'est la fièvre de l'or, l'appât des richesses, qui occasionnèrent la destruction des paisibles Incas et marquèrent les hommes de ce temps du sceau de la honte, à cause de la traite et de l'esclavage, qu'ils pratiquaient alors, bien que ce fût au nom de la "Très Sainte Trinité". Les armateurs nantais, dieppois, bordelais avaient mis sur pied un trafic triangulaire; le bateau quittait l'un de ces ports chargé de verroterie et autres colifichets, les échangeait en Afrique contre du bétail humain, qui lui-même, était troqué sur un point quelconque des régions américaines contre du petun, de l'indigo, du sucre ou du rhum. Cependant, si, pour certains, le commerce des épices était synonyme de pleurs et de grincements de dents, d'autres, au contraire, lui durent l'origine de leurs fortunes et de toutes sortes de privilèges et de considérations. La famille des Médicis, qui régna sur la France, débuta comme épicier droguiste. Elle n'en rougissait pas, étant donné qu'elle ajouta dans ses armoiries 3 grains de poivres à côté des fleurs de lis du blason des Capétiens. Selon Brillat-Savarin, le commerce des épices furent un des moteurs de l’économie en Europe : "Si vous tardiez à planter au coin de la rue principale un épicier, comme vous avez planté une croix au-dessus du clocher, tout déserterait. Le pain, la viande, les tailleurs, le prêtre, les souliers, le gouvernement, la solive, tout vient par la poste, par le roulage ou le coche, mais l'épicier doit être là, se lever le premier, se coucher le dernier, ouvrir sa boutique à toute heure, aux chalands, aux cancans, aux marchands. 42 "Sans lui, aucun de ces excès qui distinguent la société moderne des sociétés anciennes, auxquelles l'eau de vie, le tabac, le sucre était inconnus”. 8.5 - Les épices et la Guadeloupe - Le 28 juin 1635, de l'Olive et du Plessis débarquent à la Guadeloupe, à la Pointe Allègre, avec cinq cents hommes. C'est le début de la colonisation de l'île. Les Caraïbes, qui se donnaient mutuellement ce qui leur manquait, en vinrent à troquer avec les colons : "pierres vertes", hamac, perroquets, etc ... contre couteaux, fusils, toile à voile, et, plus tard, eau de vie. De 1643 à 1759, la ville de Basse-Terre est le grand centre d'activité commerciale de la Guadeloupe, suivit du Moule et de Ste-Anne. Elle perd de son importance vers 1763, dès la fondation de la ville de Pointe-à-Pitre, qui "par la sécurité de son port, devient la rade la plus fréquentée des Antilles". En 1644, la fabrication du sucre commence à la Guadeloupe. Jusqu'à cette date, l'argent n'a pas cours dans le pays; le système est au troc et à la vente à crédit que les négociants métropolitains consentent aux planteurs, à condition que ceux-ci leur réservent une partie de leurs récoltes. En 1671, une ordonnance, rendue le 13 février par De Baas, gouverneur général des Iles d'Amérique, fixe, à la Guadeloupe, à un pour cent, c'est-à-dire à une livre pour chaque cent livres pesant de marchandises, l'impôt sur les marchandises d'épicerie, payable à l'arrivée des vaisseaux, après déchargement des marchandises et avant embarquement à l'égard de celles sortant. Dans "la Quinzaine en Guadeloupe", n° 38 du 1er mai 1965, M. Alain Boismery, dans son article : "Les relations commerciales entre Marseille et les Antilles", déclare : "En 1671, fut aménagée par Gaspard Maurellet la première raffinerie marseillaise travaillant le sucre des Antilles". Il est dit plus loin que le même Maurellet s'essaya le premier au trafic du "bois d'ébène" et, "dès 1750, on retrouve des provençaux à la Guadeloupe et à la Martinique ..." En 1674, la Guadeloupe est prospère et sa société constituée. Elle possède 113 sucreries (97 à la Guadeloupe proprement dite, 12 à MarieGalante et 4 à la Grande-Terre) qui fabriquent 4.375.000 livres de sucre par an. Le coton, le gingembre et le tabac sont produits à raison de 80 à 100.000 livres chacun. Elle consomme 3.461.340 livres de marchandises diverses parmi lesquelles nous relevons : 4.000 barriques de boeuf d'Irlande, 800 barriques de lard salé, 400 barriques d'eau-de-vie, 200 tonneaux de vin rouge de 43 Bordeaux, 200 pipes de vin de madère, 400 barriques de farine minot de Bagneux, 100 petites barriques d'huile d'olive de 15 pots, 60 demi-barriques d'huile à brûler, 50 caisses de chandelles de Hollande, 10 caisses de chandelles moitié cire et moitié suif, 50 caisses de savon, 20 barriques de morue verte, 15 boucauts de morue sèche, 20 caisses de saumon. Le reste se répartit en d'autres objets, tels que tissus, chaussures, chapeaux et notamment : 500 grages (râpes) à manioc en cuivre, 400 grages de poivre, 100 grages de muscade, 130 grages de girofle et 40 grages de cannelle. Le 10 octobre 1679, le vaisseau du Roy "Le Triomphant" revient à Brest, après avoir établi le commerce français aux Antilles; il apporte à Louis XIV le chocolat préparé avec le cacao des premières plantations antillaises. En 1705, la charge de chocolatier de la reine est créée. Mme de Sévigné, dans les lettres à sa fille, raconte les mérites et les désagréments du chocolat : "il vous flatte pour un temps, et puis vous allume tout d'un coup une fièvre continue qui nous conduit à la mort; ... la marquise de Coëtlogon prit tant de chocolat l'an passé, qu'elle accoucha d'un petit garçon noir comme le diable, qui mourut !" En 1720, il y a 3.650 pieds de cacaoyers à la Guadeloupe; en 1777, il y en aura 45.000. En 1782, le corps des épiciers verse la somme de cent mille livres sur celles de cent cinquante mille que les six corps marchands offrent au roi pour la construction d'un navire de guerre, à la suite de la défaite essuyée, le 12 avril, par le lieutenant-général de Grasse, au cours de la bataille navale qu'il livra aux Anglais, entre la Dominique et les Saintes, pendant la guerre de l'indépendance américaine. 9 - Le mythe du bon sauvage - Le cannibalisme des Caraïbes ont beaucoup marqué Christophe Colomb et ses marins. Le mot : cannibale vient du nom caraïbe : “Cariba” ou “Caniba”, et en espagnol, cela s’écrit “caribales”, puis “cannibales”. L’installation des Français aux Antilles, 140 ans après leur découverte par Christophe Colomb, nous permet d’avoir une autre vision des Caraïbes, moins sinistre que celle de Christophe Colomb. Nous reprenons le texte intégral de l’article du Dr Chatillon : “Le Mythe du bon sauvage”, paru dans la revue : “Parallèles” en 1966. : En 1658, paraissait à Rotterdam “L'histoire naturelle et morale des 44 Antilles” de César de Rochefort, pasteur protestant, qui fit plusieurs voyages aux Antilles, dont il revient en 1650. Il a visité de nombreuses îles et est l’ami du Commandeur de Poincy gouverneur de l'île de St Christophe. Il fait une excellente étude des Caraïbes de près de deux cents pages, document ethnologique de la plus grande importance, car c'est une des meilleures études que nous possédions sur les Caraïbes. L’Histoire Général des Antilles Françaises du R.P. DUTERTRE et le Dictionnaire des Caraïbes du R.P. BRETON sont d’excellent témoignages de ce peuple. Depuis peu (1993), nous connaissons le document de l’inconnu de Carpentras. Avec l’équipage du navire du Capitaine Fleury de Dieppe, il vécut ainsi qu’une centaine de marins chez les Caraïbes, à réparer leur navire endommagé. Cela se passe à la Martinique quarante ans avant la colonisation française. Les chroniqueurs espagnols de la conquête : Las Casas et Garsilaso de la Vega ont fait une description très élogieuse des indiens, mais il s'agit avant tout de ceux qui formaient les civilisations avancées des Mayas, Aztèques et Incas. Avec Jacques Cartier et Champlain se trouvèrent au contact de ces civilisations primitives du Canada. Tous les récits de ces voyageurs insistent sur le fait qu'alors qu'ils s'attendaient à trouver ces infidèles dominés par le vice, ils constatent au contraire chez eux des vertus naturelles manquant souvent aux vrais chrétiens. Même leur anthropophagie est mise sur le compte de l'ignorance et ils insistent sur le fait qu'il s'agit là d'une vengeance envers leurs ennemis. Deux grands auteurs devraient en prenant la défense de ces sauvages menacés par les exactions des européens fonder ce mythe du Bon Sauvage. Ronsard montre cette société sans morale, sans loi, sans gouvernement et défend ces hommes qui connaissent l'âge d'or et ne sauraient qu'être gâté par ce que nous leur apporterions. "Pauvre Vilgaignon, tu fais une grande faute De vouloir rendre fine une gente si peu caute Comme ton Amérique ou le peuple inconnu Erre innocemment tout farouche et tout nu Qui ne connaît les noms de vertu ni de vice." Montaigne, à son tour, au livre I des Essais dans le chapitre intitulé : Des Cannibales s'attache à montrer que ces sauvages, s'ils ont des coutumes 45 différentes des nôtres, nous sont par bien des côtés supérieurs. Quoiqu'il en soit, notre jugement devrait tenir compte de la relativité historique de nos opinions. A l'époque de la colonisation des Antilles, le sauvage américain avait donc été un thème littéraire très apprécié et il était naturel que le Caraïbe rentre à son tour dans cette lignée. César de Rochefort ne se cache pas dans sa préface de recourir aux mêmes procédés que ces prédécesseurs. "A l'exemple de Lery et Lescarbot, nous avons parsemé cet ouvrage de parallèles empruntées de divers pays et de divers peuples. Si certains ne les considèrent pas comme des traits appartenant au dessin essentiel du tableau, ils les pourront regarder avec quelque plaisir comme des bordures de fleurs, de fruits et d'oiseaux pour l'ornement de la pièce." Voici sa vision des Caraïbes : "Les Caraïbes sont gens bien faits et proportionnés de leur corps, assez agréables, la mine riante, large d'épaules et de hanches et presque tous en assez bon point et plus robustes que les français. Leur bouche est médiocrement fendue et leurs dents sont parfaitement blanches et serrées. Ils ont aussi le front aplati, mais par artifice et non pas naturellement car leur mère leur presse à la naissance. Entre ceux du pays, on ne voit ni borgne, ni aveugle ou qui ait de nature aucune infirmité." Moralement, le portrait est aussi flatteur : "Les Caraïbes, dans leur naturel, sont d'un tempérament triste, rêveur et mélancolique, la température de l'air contribuant à l'entretien de cette humeur, mais ayant remarqué que cette fâcheuse constitution altère leur santé, ils font pour la plupart une telle violence à leur inclinaison, qu'ils paraissent gais, agréables et enjoués, aussi ont-ils de la peine à souffrir la compagnie des mélancoliques et ceux qui ont conversés souvent avec eux les ont toujours reconnus fort facétieux et fort soigneux de ne laisser écouler aucun sujet de rire." Leur naturel au reste est doux et bénin et ils sont si ennemis de la sévérité que lorsqu'ils sont traités avec rigueur, ils en meurent souvent de déplaisir. Ce bon naturel leur vient du dédain des biens matériels et les chrétiens devraient bien s'en inspirer. "Ils nous reprochent souvent notre avarice et le soin déréglé que nous avons d'amasser des biens pour nous et nos enfants puisque la terre est si capable de donner la nourriture à tous les hommes pourvu qu'ils veuillent 46 prendre tant soit peu la peine de la cultiver. Aussi quant à eux, ils sont entièrement libres du souci des choses qui appartiennent à la vie et incomparablement plus gras et plus dispos que nous sommes. En un mot, ils vivent sans ambition, sans chagrin, sans inquiétude, n'ayant aucun désir d'acquérir des honneurs, d'amasser des richesses. Que s'ils vont à la chasse ou s'ils abattent des arbres, pour faire un jardin, ils font tout cela sans empressement, par manière de divertissement et de récréation, en se jouant. Surtout, s'ils s'étonnent, quand ils voient que nous estimons tant l'or et disaient : "voici le Dieu des chrétiens". Pour ceci, ils nous ont réduits en esclavage, nous ont chassés de nos demeures. Pour ceci, ils sont toujours en inquiétude, ils dérobent, ils blasphèment et il n'y a ni vilenie, ni méchanceté où ils se portent." "Pour nos Caraïbes, quand ils voient les chrétiens tristes, ils sont accoutumés de leur faire doucement la guerre (le reproche) en disant : Compère, tu es bien misérable d'exposer ta personne à de si longs et si dangereux voyages et de te laisser ronger à tant de soucis et de crainte. La passion d'avoir des biens te fait endurer toutes ces peines et tu n'es pas moins en inquiétude pour le bien que tu as déjà acquis que pour ceux que tu recherches encore. Ainsi tu vieillis en peu de temps, tes cheveux blanchissent et tu cours à grand hâte vers le tombeau; que ne méprises-tu les richesses comme nous." Ce grand détachement des biens temporels explique qu'il n'y ait point de vol. "Ils ne sont point enclins de leur nature à dérober, ils vivent sans défiance les uns des autres tellement que leur maison et leur héritage sont à l'abandon sans porte, ni clôture. "Tous les intérêts des Caraïbes sont communs entre eux, ils vivent en grande union et s'entraident beaucoup les uns les autres. Cet amour fait que l'on ne voit que fort peu de querelle et d'inimitié entre eux." Leur nudité, qui aurait dû choquer notre pasteur calviniste, témoigne au contraire de la pureté de leurs moeurs "ils vont nus entièrement hommes et femmes et si quelqu'un voulait cacher les parties naturelles, il serait moqué des autres. Quand on leur reproche leur nudité, ils disent que nous venons nus au monde et que c'est folie de cacher le corps qui nous a été donné par la nature." "Les jeunes hommes antillais ne fréquentent point de filles, ni de femmes, qui ne soient pas mariées et l'on remarque que les hommes sont 47 d'ordinaire en ces pays-là moins amoureux que les femmes. Hommes et femmes Caraïbes sont naturellement chastes et quand nos gens les considèrent trop curieusement et se rient de leur nudité, ils sont accoutumés de leur dire : “Compère, il ne faut regarder qu'entre les deux yeux.” Vertu digne d'admiration en un peuple nu et barbare." Ils savent pratiquer l'hospitalité la plus avenante. "Ces sauvages, tout sauvages qu'ils sont ont de la civilité et de la courtoisie, la plupart témoignent de la docilité et du jugement et ceux qui les ont pratiqués longtemps ont remarqués plusieurs traits d'amitié, de reconnaissance, d'honnêteté et de générosité." Ils semblent donc vivre dans l'état d'innocence de l'homme avant la faute, en dehors de ce qu'un psychiatre contemporain a appelé l'univers morbide de la faute. "Ils ne savent pas le nom de plusieurs vices, mais les chrétiens en leur en apprennent que trop. Il n'y a point de mots qui réponde à celui de péché, mais il n'y en a point aussi qui exprime la vertu." Assurément, il y a deux grandes ombres à ce tableau pour notre pasteur, leur plus grand crime est non seulement de ne pas connaître la vraie religion, mais encore de la refuser. "Quelqu'un d'entre les Caraïbes travaillant un jour le dimanche, Monsieur Dumontel rapporte, qu'il lui dit : “Celui qui a fait le ciel et la terre sera fâché de ce que tu travailles aujourd'hui car il a ordonné ce jour pour son service.” Et moi, lui répondit le sauvage, “je suis fâché contre lui, car il n'a pas envoyé la pluie en son temps et a fait mourir mon manioc et mes patates par la grande sécheresse. Puisqu'il m'a si mal traité, je veux travailler tous les dimanches pour le fâcher." "Quand on leur parle de l'essence divine et des mystères de la foi, ils écoutent fort patiemment tout le discours, mais après qu'on a achevé, ils répondent comme par moquerie : “Compère, tu es fort éloquent, tu es mouche manigat c'est-à-dire fort adroit, je voudrais aussi bien parler que toi, mais si je me laisse persuadé à de tels discours, mes voisins se moqueront ." Enfin leur cannibalisme ne pouvait que faire horreur à César de Rochefort, cependant, il l'excuse en partie car il est répandu dans le monde entier et il montre même que c'est pour eux la forme de l'extrême vengeance, il était difficile de lui demander de comprendre qu'il se trouvait en présence d'un cérémonial sacré au cours duquel la tribu en mangeant le prisonnier accroît sa force et son courage.” 48 Quoiqu'il en soit notre fréquentation ne les ont certaine-ment pas améliorés. "Depuis que les Caraïbes ont fréquentés avec les nations étrangères, ils ont beaucoup relâchés leurs anciennes pratiques et ont quittés plusieurs façons de faire qui leur étaient auparavant inviolables. De sorte qu'ils se trouvent aujourd'hui en un notable changement de ce qu'ils étaient autrefois. Ce qui est arrivé est en partie de ce que nous les européens les ont déniaisés et en partie aussi de ce que nous les avons corrompus." On ne saurait nier l'intérêt de cette étude de Rochefort qui prolonge l'effort humaniste de la Renaissance en nous montrant dans ses ouvrages des êtres qui quoique très différents de nous n'en ont pas moins gardés les vertus naturelles. Cette description devait susciter l'ironie du Père Dutertre, qui donne cependant une étude assez bienveillante des Caraïbes, mais ne pardonnait pas ses plagiats à l'auteur. "Je prie cependant le lecteur de m'excuser si je ne fais pas les Caraïbes si polis que le Sieur de Rochefort les a faits en quelque endroit de son livre puisque je suivrais, en cela, le sentiment de ceux qui les ont fréquentés qui m'ont protesté plusieurs fois, qu'ils ne les reconnaissaient plus dans la peinture, qu'il en a faite." Par contre, on ne trouve pas chez Rochefort, comme un siècle plus tard chez Rousseau et les philosophes, la volonté d'opposer l'état de nature à l'ordre social européen et ce n'est jamais chez lui une critique de la société, mais tout au plus un rappel aux mauvais chrétiens des vertus, qu'ils devraient pratiquer. Assurément cette description peut apparaître comme un jeu littéraire et l'on sait que ces Caraïbes devaient en quelques années ou être massacrés ou être relégués à la Dominique, le système politique colonial exigeant l'occupation totale des terres cultivables comme le remarque le Docteur Bangou dans son histoire de la Guadeloupe. Cependant Aubert, Gouverneur de la Guadeloupe en 1640 et ami de Rochefort à qui il a fourni des documents après les premières guerres avec les Caraïbes menées par son prédécesseur L'Olive, avait réussi à établir une paix et d'excellentes relations avec ces Caraïbes qui malheureuse-ment ne devait durer que quelques années. Si le mythe du Bon Sauvage n'eut donc des conséquences éphémères aux Antilles françaises, par contre, il eut au moins à son actif, dès le XVI° et XVII° siècle, deux réalisations importantes. 49 Las Casa après des années de lutte devait obtenir en 1537, une bulle pontificale reconnaissant la nature authen-tiquement humaine des indiens d'Amérique texte peut-être aussi important dans l'histoire coloniale que, plus tard, la déclaration des droits de l'homme. C'est surtout l'ordre religieux le plus probe alors, qui prenant la défense des indiens guaranis, pour les soustraire aux exactions des portugais, les jésuites, qui fondent en 1610 la république des guaranis, indiens appartenant à la même souche que les Caraïbes. Cet état, objet de scandale pour le monde colonial, a duré 150 ans et ne devait disparaître que grâce aux intrigues qu'avaient suscité sa réussite admiré même par les philosophes du XVIII° siècle. Ces deux initiatives marquent bien que le sauvage n'a pas été seulement un thème littéraire, mais que des hommes d'action ont essayés de le sauver contre les entreprises coloniales. Enfin peut-être l'étonnement de Rochefort devant ces primitifs, qui se trouvant en dehors des vérités de la foi n'en sont pas moins souvent meilleurs que nous explique-t-il le dernier avatar du mythe du Bon Sauvage : celui qui répondant à l'angoisse de notre monde moderne explique sa nouvelle fortune dans la littérature de Loti à Aléjo Carpentier. Se sentant de plus en plus inadapté aux transformations dans le monde duquel il vit, l'homme du XX° siècle se tourne vers les civilisations primitives où il semble retrouver l'image d'un monde perdu et le contact avec l'inconscient. Gauguin n'en est-il pas le meilleur exemple qui après sa première enfance au Pérou recherche, d'abord en Martinique, puis en Polynésie, la solution à son angoisse qu'il devait traduire dans la toile précédant son suicide : "D'où venons-nous ? Qui sommes-nous ? Où allons-nous ?" 10 - La Révolution Française à la Guadeloupe ou “O liberté, que crimes on commet en ton nom !” 10.1 - Début de la Révolution et la perte des Iles - C’est en septembre 1789 que l’on connut à la Guadeloupe les grands événements qui, en juillet, avaient changé la face du régime en France. La nouvelle causa un véritable délire. Le peuple s’empressa d’arborer la cocarde tricolore et il y eut dans les villes et les campagnes des fêtes populaires. La révolte gagna toute la colonie. Les propriétés furent pillées, incendiées et les blancs massacrés. La désorganisation fut complète dans l’île. Le 4 avril 1792, le roi Louis XVI signe un premier décret donnant aux noirs libres et aux hommes de couleur le droit de vote. Puis le 28 mars 1792, 50 l’Assemblée législative fait un premier pas vers l’émancipation des esclaves. Craignant en même temps des mouvements populaires, l’Assemblée législative envoie aux Iles trois commissaires avec 12.000 hommes sous les ordres de Rochambeau pour la Martinique, Collot pour la Guadeloupe et Ricard pour Ste Lucie. L’annonce d’une telle expédition causa une émotion extrême aux Antilles. Les rumeurs disaient que ces 12.000 hommes étaient des révolutionnaires assoiffés de sang qui allaient tout mettre au pillage. Cette division fut repoussée par les batteries de la rade de Fort de France, puis par les boulets du Fort St Charles à Basse Terre. L’expédition retourna simplement en France. Le 21 septembre 1792, la Convention, qui a succédé à l’Assemblée législative, a aboli la Royauté et proclamée la République dans sa première séance. Les Gouvernements Généraux des îles décident de soutenir la Roi et rentrent en rébellion. En Guadeloupe, les hommes de couleurs se retirent de l’Assemblée coloniale et à Pointe-à-Pitre, le 20 décembre 1792, la foule et les soldats parcourent les rues avec le drapeau tricolore en réclament la République. La Municipalité se sépare du Gouverneur de de l’Assemblée coloniale. Lacrosse, représentant de la République, arrive le 5 janvier 1793 à Pointe-à-Pitre, où l’on fête la liberté, puis il passe ses pouvoirs à Collot, gouverneur nommé par la Convention. La République doit faire face en Europe à la coalition de l’Angleterre, la Prusse et du Piémont; elle ne peut aider les colonies. Le 5 février 1794, l’amiral Jervis et le Général Sir Charles Grey se présentent devant la Martinique avec quatre vaisseaux, neuf frégates, plusieurs corvettes et galiotes. Le 23 mars 1794, Rochambeau signait la capitulation et se rendait avec les 250 hommes restant. Le 9 avril, les Anglais débarquent aux Saintes et 12 au Gosier. Le Fort Fleur l’Epée est pris le lendemain et le 22 avril 1794, Collot capitule à BasseTerre. En février, Ste Lucie était prise et en un mois, les Anglais s’étaient emparés de nos colonies aux Antilles. 10.2 - Victor Hughes débarque à la Guadeloupe et remporte la victoire de Pointe-à-Pitre - Robespierre décide de reprendre les îles aux Anglais et confie cette tâche à Victor Hughes, accusateur public à Rochefort 51 et à Brest où il avait ordonné l’hécatombe des officiers et des marins de l’Appolon. Il quitte l’île d’Aix avec 1.153 hommes de troupes sur trois bateaux et arrive à la Désirade, le 2 juin 1794, où il apprend l’occupation de la Guadeloupe par 8.000 anglais, auxquels se sont joints 2.000 blancs. De plus, l’escadre anglaise (14 vaisseaux de ligne et 18 transports) de l’amiral Jervis est présente. Dans la nuit du 2 juin, les hommes débarquent à la Pointe des Salines et écrasent les anglais qui se retirent au Fort Fleur l’Epée. Mais Victor Hughes s’empare du morne Mascotte, qui domine le fort (ancien fort). Le 6 juin, par une nuit obscure il attaque avec 200 marins et enlève le fort à une heure du matin. L’ennemi épouvanté se retire au-delà de la Rivière Salée. Le Fort est aussitôt remis en état. Les trois bateaux français sous les ordres du contre-amiral Leissègues entre dans la rade de Pointe-à-Pitre et s’empare de 87 bâtiments de commerce anglais. Avec le décret d’abolition de l’esclave du 4 février 1794, Victor Hughes est soutenu par les hommes de couleur, qui viennent renforcer ses troupes. Il en a bien besoin, car la flotte anglaise bloque Pointe-à-Pitre et les troupes ennemi tiennent toute la Basse-Terre. La ville de Pointe-à-Pitre comptait alors 12.000 âmes, dont 4.000 blancs, 3.000 hommes de couleur libres et 5.000 esclaves. Tout le Petit Cul de Sac est en feu. Les Anglais tiennent les batteries de Saint Jean et du Morne Savon d’où ils bombardent la ville de Pointe-à-Pitre. Ils ont débarqué au Gosier ont repris le morne Mascotte et la bataille fait rage pour le contrôle du Fort Fleur l’Epée. Trois généraux français sont déjà tués : Aubert, Cartier et Rouyer. Il ne reste que 200 hommes sur les 1.153 au départ. Dans la ville de Pointe-à-Pitre, les hommes sont réduit à défendre le Morne du Gouvernement. Dans la nuit du 1er au 2 juillet 1794, les Anglais bombardent la ville pendant huit heures, puis attaquent en trois colonnes. Le combat est difficile pour les Français. Soudain, une formidable explosion se fait entendre. Par mégarde, des soldats anglais ont mis le feu à un dépôt de poudre. Le dépôt a sauté en tuant plusieurs officiers anglais. C’est le signal d’une panique et le commencement de la déroute. Les Anglais fuient vers la Place Sartines (aujourd’hui place de la Victoire) en criant : “La ville est minée”. Boudet et le capitaine d’artillerie Pélardy rassemblent les hommes disponibles. Ils descendent du morne, se précipitent sur l’ennemi, le mettent 52 en déroute, capture son artillerie et le poursuivent jusqu’à ses retranchements. Les Anglais ont perdu 475 hommes, dont 25 officiers, parmi lesquels le général Gown, commandant en second et le capitaine de vaisseau Robertson. Le Général Symes, commandant en chef de l’attaque, est blessé. Il y a en plus 400 autres blessés et 300 prisonniers. Dans la nuit, l’amiral Jervis décide de rembarquer ses troupes de GrandeTerre pour le transporter au camp de Berville. Deux cents Français et quelques recrues inexpérimentées ont remporté une brillante victoire sur deux mille Anglais. Mais il reste à vaincre le reste des troupes anglaises et les colons alliés qui tiennent l’île de Basse-Terre. 10.3 - La victoire totale et l’exécution des colons - Victor Hughes n’a plus de généraux, il nomme le capitaine Pélardy, général de division et commandant en chef et il donne au chef de bataillon Boudet, le grade de général de brigade. Il fait recruter 2.000 hommes noirs et de couleur, qui sont rapidement formés pour le combat. L’ennemi est regroupé au camp de Berville, en face de Pointe-à-Pitre, de l’autre côté de la Rivière Salée, où se trouve maintenant la zone industrielle de Jarry. Les Anglais tirent nuit et jour sur la ville et les Français à court de munitions ne peuvent pas répondre. Le Général Grey, convaincu que la famine et la fièvre jaune ne tarderont pas à forcer les Français à se rendre, décide à cause de l’hivernage et la crainte des cyclones, de retourner avec ses vaisseaux à la Martinique. Dès son départ, Victor Hughes décide d’aller attaquer les Anglais dans leur camp. Il forme trois colonnes. La première avec Pélardy doit débarquer à Goyave pour attaquer les ennemis à gauche. La seconde avec Boudet doit attaquer, à partir du Morne à l’Eau, sur la droite, le camp de Berville. La troisième commandée par Bures, chef de bataillon attaque au centre. Le 26 septembre au point du jour, l’attaque générale commence. Pélardy parvient au Petit-Bourg et tombe à l’improviste sur l’ennemi. Il les culbute, tue 140 hommes et s’empare de la Pointe à Bacchus où 3 officiers et 160 hommes sont faits prisonniers. Les Français trouvent des vivres et des munitions, dont 160 barils de poudre. Les canons de la batterie sont pointés sur deux bateaux anglais qui sont contraints de s’éloigner après avaries. Boudet bouscule les troupes des colons de M. de Richebois et traverse Baie-Mahault et dresse son camp face à Berville. 53 Bures, qui a traversé la Rivière Salée et mis l’ennemi en fuite, va rejoindre Boudet; le 28, le camp de Berville est complètement cernée. Le 29, Boudet attaque sans reconnaissance des lieux. L’ennemi écrase les Français dans un défilé où ils sont entassés. 400 hommes, l’élite des troupes restent sur le champ de bataille. Les républicains cèdent du terrain, mais Pélardy le rejoint la nuit avec 300 hommes. L’émmigré de Richebois propose à Graham, qui refuse, de faire une trouée dans l’armée républicaine et de se rendre dans la ville de Basse-Terre, où le Général Prescott, qui a des forces considérables, ne bouge pas. Le 6 octobre, le général Graham dont les troupes sont décimées par la fièvre jaune, fait demander un armistice. Hughes exige la capitulation que Graham accepte. Les Anglais se retirent sur leurs vaisseaux, en abandonnant leurs alliés colons, aux républicains. Les colons sont au nombre de 865. Hughes en choisit 365 qui sont fusillés aussitôt. Le Général Graham assista à l’exécution de ses alliés colons. Le 7 octobre, les 500 autres sont conduits le long du fossé de la batterie du Morne Savon, attachés par groupe de cinq. Ils sont hachés par les canons, les blessés sont jetés à la mer. Mais le Général Prescott tient toujours la ville de Basse-Terre. Le 11 octobre Pélardy part en avant-garde. Les Anglais évacuent la ville et se retirent dans le fort Saint Charles, avec 800 hommes. Dès le 20 octobre, Pélardy fait tirer sur le fort en attendant des renforts. Dans la nuit du 19 au 20 novembre, les Anglais s’embarquent sur une escadre de quatre vaisseaux, qui ont mouillés sous le fort. Il ne restait plus qu’à libérer Marie-Galante, ce qui fut fait le 27 novembre. 10.4 – Le gouvernement de Victor HUGHES – Selon Lucien-René Abenon dans “Petite histoire de la Guadeloupe” : Après sa victoire, Victor Hughes était le maître de l’île. Alors qu’en France, après la mort de Robespierre, la Terreur s’adoucissait, elle régnait en maîtresse dans l’île. La guillotine faisait chaque jour de nouvelles victimes. On pourchassait les colons insurgés qui s’étaient réfugiés dans les montagnes, pour les exécuter. Beaucoup ne durent la vie qu’à l’émigration et il est certain que cette époque marqua profondément la population blanche de la colonie. Le départ des colons posa le problème de leurs biens. Victor Hughes décida de les mettre sous séquestre et en confia la garde à ses partisans qui en profitèrent pour s’enrichir facilement. Le proconsul s’appuyait sur une 54 armée où Noirs et Blancs vivaient de conserve. Il n’avait pas hésité à décorer du grade d’officier les Noirs qui arrivaient à la tête de leur troupe. La dureté de la répression que Victor Hughes exerça sur les colons décima les familles et fit naître des haines inexpiables qui resurgiront par la suite. Sous le Gouvernement de Victor Hughes, les 2/3 des colons furent exécutés, la colonie ne se releva pas de cette saignée. Le Directoire sous la pression des Anglais et des Américains décida de se débarrasser de son encombrant représentant. Le 5 juin 1798, il fut destitué et remplacé par le général Desfourneaux. Quelques années plutard, il sera chargé du rétablissement de l’esclavage en Guyane, tâche dans laquelle il excella. 10.5 – Les corsaires de la Guadeloupe : Victor Hugues sut aussi organiser la course contre les Anglais et cela rapporta aussi beaucoup d’argent. Les corsaires guadeloupéens réalisèrent des centaines de captures entre 1795 et 1801. Ces marins n’avaient que de petits bâtiments. Ils causèrent des pertes sérieuses aux Anglais, malgré la flotte de guerre basée à la Barbade, qui comprenait 31 bâtiments de guerre, portant ensemble 1.412 canons. Le Gouverneur de Curaçao ayant favorisé la capture d’un corsaire guadeloupéen par les Anglais, ses amis décidèrent de venger cette perte. Ils attaquèrent et pillèrent Curaçao, qu’ils occupèrent pendant sept mois. Furieux, les Etats-Unis déclarèrent la guerre à la France et s’associèrent aux Anglais pour anéantir les corsaires guadeloupéens. Cette lutte se faisait entre les petits navires corsaires et de puissants vaisseaux de guerre. • Les principaux corsaires de la Guadeloupe : La liste complète de ces corsaires a disparu des archives, mais certains noms sont restés : Langlois dit Jambe de Bois, Vida, Grassin, Giraud-Lapointe, Facio, Vilac, Pierre Gros, Augustin Pillet, Ballon, Mathieu Goy, Joseph Murphy, Lamarque, Laffitte, Dubas, Christophe Chollet, Perendreaux, Petrea, le mulâtre Modeste et Antoine Fluet. • Les prises des corsaires de la Guadeloupe : Voici l’état de prises faites sur les Anglais, par les corsaires de la Guadeloupe ou par les bâtiments armés du Gouvernement, de 1795 jusqu’à la fin janvier 1810, époque de la prise de la colonie par les Anglais : - Nombre de corsaires : 175 - Nombre de prises : 700 navires anglais, 55 - Produit brut des prises : 29.521.687,28 livres • Antoine Fluet dit Capitaine Moëde : Dans l’excellent livre de SainteCroix de la Roncière : “Victor Hughes”, nous avons relevé ce texte : “Le plus illustre des corsaires de la Guadeloupe est Antoine Fluet, surnommé “Capitaine Moëde”, à la suite d’un combat mémorable. Il revenait sur son bateau “La Thérèse” ayant enlevé à l’ennemi une quantité de petits barils pleins d’or et de “moëdes” (pièce d’or portugaise).” “Près de la Guadeloupe, un brick anglais lui barra la route. Malgré son infériorité, Fluet accepta le combat et fit tirer sabord après sabord, son maître d’équipage allant de canon à canon pour faire le pointage. Trente cinq hommes à la mousqueterie avaient devant eux des piles de fusils tout chargés, qui faisaient un feu continu. Vingt-cinq Noirs étaient occupés à monter les boulets du magasin et à les entasser dans les caissons. Fluet, à la barre, dirigeait la manœuvre et évitait les bordées anglaises. Après sept heures de combat, il n’avait plus de boulets, or l’ennemi était désemparé, les voiles en pantenne et plusieurs vergues brisées. Fluet commanda : “Qu’on défonce les barils et qu’on charge les canons avec les pièces d’or, et, sous cette mitraille dorée, courons à l’abordage.” “Les barils ouverts, les canonniers bourraient leurs pièces de ces “moëdes”, qu’ils envoyaient à l’ennemi. À l'abordage, tous les Anglais furent tués et les marins crièrent : “Vive le capitaine Moëde.” “Fluet entra triomphalement dans la rade de Pointe-à-Pitre traînant à la remorque le brick de guerre anglais. De la coque, on tira mille huit cent treize écus et plus de trois cents autres pièces d’or dans le corps des Anglais morts.” “Antoine Fluet a été le plus important des corsaires du Consulat et de l’Empire et ses bénéfices dans les prises furent considérables : - Six corsaires armés par lui, avaient fait 29 prises dont la valeur totale brute a été de 7.146.456 livres coloniales et nette de 6.088.216 livres.” “Napoléon fit de lui le premier décoré de la légion d’honneur de la Guadeloupe.” • Autres exploits des corsaires : Toujours dans le livre “Victor Hughes” de Sainte-Croix de la Roncière, nous relevons : “En 1807, le corsaire Général Ernouf enlève à l’abordage le cutter anglais Barbade, portant 49 hommes et 10 canons de 18. Puis il s’empare du brick anglais Elisabeth, armé de 14 canons de 6, portant 24 hommes d’équipage et chargé de 176 esclaves. Il ramène ces deux prises à Pointe-àPitre.” “En 1807, le bateau corsaire La Revanche du capitaine Vidal, se bat contre le brick anglais Le Curieux, armé de plusieurs pièces de 36 et portant 56 120 hommes d’équipage. Le brick prend la fuite et rentre à la Barbade, désemparé, ayant perdu son capitaine, son second et plusieurs hommes. À bord de La Revanche, il n’y a que deux tué et 13 blessés. En 1808, le même corsaire prend un bâtiment anglais armé de 16 canons de 4, portant 28 hommes et chargé de 208 esclaves.” “En août 1806, l’Austerlitz, en croisière le long des côtes du Venezuela, rencontre le bâtiment de guerre anglais Le Prévost, commandé par un lieutenant de vaisseau et armé de 12 pièces de canon. Il l’attaque et après un combat d’une heure, enlève le navire à l’abordage.” “Le 15 juillet 1804, le capitaine Lamarque avec 75 hommes à son bord et des canons de 6 livres, rencontre la corvette anglaise Lily portant 16 canons de 12 et 105 hommes d’équipage. Lamarque ménage bien son feu et tue beaucoup d’Anglais et fait des avaries majeures au navire qu’il prend à l’abordage. Il le conduit à Basse-Terre.” 10.6 - De l’Empire à la Seconde République - Selon Lucien-René Abenon, le coup d’état du 18 Brumaire modifia le paysage. Bonaparte voulait restaurer l’industrie sucrière. Il était convaincu que le seul moyen pour y parvenir était de faire renaître l’ancien état de chose. Pour lui l’esclavage faisait partie intégrante du monde colonial. Le mouvement révolutionnaire était passé sur la Guadeloupe comme une vague de fond. Il ne restait plus qu’un milliers de Blancs contre plus de 13.000 en 1789. Une seconde vague de fond déferla, mais sur les Noirs, avec son cortège de sang. En 1801, Bonaparte nomma Lacrosse, comme capitaine général, le général Lescallier comme préfet colonial et le sieur Coster comme commissaire à la justice. Cinq mois après son arrivée, Lacrosse avait contre lui les mulâtres de Pointe-à-Pitre, les troupes se mutinèrent et offrirent le pouvoir au général mulâtre Pélage, qui avait derrière lui toute la colonie. Il refusa un pouvoir révolutionnaire, mais favorisa le départ de Lacrosse. Dès la signature de traité d’Amiens, la France récupéra la Martinique et décida de maintenir l’esclavage. Pour reprendre la Guadeloupe, une expédition fut confiée au général Richepance. Après son débarquement, les troupes noires furent désarmées, Pélage fut mis à l’écart et une dure répression s’annonça. Certains officiers noirs le comprirent et décidèrent de s’opposer par les armes au coup de force qui se préparait. Ils quittèrent donc Pointe-à-Pitre et se réfugièrent à Basse-Terre. Delgrès, Ignace, Codou, Palème, Noël Corbet étaient donc bien décidés à 57 résister aux forces françaises. Delgrès et Ignace se trouvèrent au Fort St Charles où ils furent assiégés par les troupes de Richepance auxquelles s’était joint Pélage. Les insurgés, face à des forces très supérieures, ne pouvaient pas faire grand chose. Le 10 mai 1802, ils adressèrent une lettre publique à l’opinion française où ils affirmaient mourir pour la liberté. Le fort, intenable, fut évacué après de durs combats. Ignace se réfugia avec ses troupes près de Pointe-à-Pitre. Il fut littéralement balayé sur le site de Baimbridge par les canons de ses adversaires. Ceux des siens qui purent s’échapper furent tous exécutés. Delgrès s’était retranché sur les hauteurs de Basse-Terre. Sur le point d’être pris à l’habitation Danglemont, il se fit sauter avec plusieurs centaines de ses compagnons le 28 mai 1802. Leur mort montra que le peuple guadeloupéen n’acceptait pas avec résignation le sort qui lui était fait; certains avaient préféré la mort à la servitude. Une répression féroce s’abattit sur les insurgés, dont un très grand nombre furent exécutés. Les fugitifs se réfugièrent dans les bois. On organisa le corps des coureurs des bois, pour mieux les atteindre. Pélage lui-même fut emprisonné, puis déporté en Floride. On proclama le rétablissement de l’ancien système colonial, qui maintenait l’esclavage. La Guadeloupe ne s’est jamais relevé des excès de Victor Hughes et ceux de Richepance. Une grande saignée parmi les Blancs, puis une grande saignée parmi les Noirs, pour revenir à un système inhumain, qui relevait de l’ancien régime, que la Révolution avait aboli. Encore quelques années et après Waterloo en 1815, les Bourbons seront de retour. La restauration sera aussi valable pour les Métropolitains. 10.7 - L’abolition de l’esclavage – Selon Lucien-René Abenon, la proclamation soudaine de la Seconde République (24 février 1848) permit l’abolition rapide de l’esclavage le 27 avril 1848. Aux Antilles, l’agitation des esprits était telle qu’il ne fut pas possible d’attendre passivement la nouvelle. A la Martinique, une émeute se produisit au Prêcheur et déferla sur St Pierre. La maison Desabaye, où s’étaient réfugiés plusieurs Blancs, fut incendiée et 32 occupants brûlés vifs le 22 mai. Pour éviter les troubles, le gouverneur Rostoland prit sur lui de proclamer l’abolition le lendemain. En Guadeloupe, les choses se passèrent plus calmement, mais pour les 58 mêmes raisons, le gouverneur Layrle mit fin le 27 mai à deux siècles d’esclavage. L’insurrection ouverte avait forcé les autorités de la Martinique à agir et, sans attendre, la Guadeloupe avait suivi le même chemin dans une atmosphère enthousiaste et passionnée. Maintenant que la liberté était acquise, restait à savoir ce qu’on allait en faire. Il fallait d’abord donner une identité complète à ceux qui venaient d’échapper à la servitude. Une commission d’état-civil fut constituée pour ouvrir de nouveaux registres, où les esclaves qui n’avaient qu’un prénom, furent dotés d’un nom. Beaucoup de nouveaux citoyens gardèrent ceux dont ils s’étaient servis jusqu’alors, se contentant d’y adjoindre un prénom. Quelques-uns, pour éviter les homonymies trop fréquentes, choisirent d’accoler deux prénoms ensembles. On eut aussi beaucoup recours à des surnoms, à des sobriquets qui se retrouvent encore actuellement d’une façon assez courante. Il arriva que certains prirent simplement les noms de leurs maîtres, ce qui s’expliquait parfois par des filiations qui, pour être officieuses, n’en avaient pas moins un haut degré de probabilité. Comment allait vivre ceux qui venaient d’être libérés de la servitude ? Beaucoup n’avaient guère le goût du travail de la canne qui leur rappelait trop leur situation antérieure. Le travail agricole était discrédité pour longtemps aux Antilles. Les villes étaient encore incapables d’abriter la grande majorité des habitants de l’île. L’abolition ne donna pas lieu à des mouvements migratoires très importants. Une partie notable de la population resta sur les domaines où elle avait toujours vécu. Elle n’entendait nullement abandonner les cases où elle demeurait, et les jardins à vivres concédés par les maîtres et considérés comme leurs biens propres par ceux qui les détenaient. Dans la plus grande partie des cas, les maîtres durent s’incliner. Il fallait pourtant continuer à cultiver la canne et promouvoir pour cela de nouvelles relations entre les cultivateurs et les colons. On décida d’avoir recours à l’association, les travailleurs signant avec le planteur un contrat où ils s’engageaient à cultiver ses champs de cannes. Les bénéfices de la vente du sucre seraient partagés en parts. Un certain nombre allaient au propriétaire, d’autres aux contremaîtres ou aux géreurs et le restant était partagé entre les ouvriers. Beaucoup de travailleurs s’estimèrent lésés en fin de contrat. Ils n’avaient aucun moyen de contrôler les chiffres que leur avançait le propriétaire. Ils perdirent confiance dans le système, d’autant qu’ils ne pouvaient être payés qu’en fin de contrat et qu’il leur fallait alors vivre à 59 crédit. Le système d’association, inadapté, disparut très vite. On recourut alors au colonage partiaire. Le colon recevait une petite exploitation agricole et la cultivait en cannes, puis il apportait sa récolte au propriétaire ou à l’usine. Il était payé proportionnellement à sa production. Ce type de contrat fut le plus communément adopté car il présentait l’avantage d’accorder aux travailleurs une certaine indépendance, d’autant mieux acquise que la crise sucrière s’accentuait, ruinant bon nombre de propriétaires malgré les indemnités accordées lors de la suppression de l’esclavage. Beaucoup furent obligés de vendre leurs terres à des entreprises métropolitaines qui voyaient les choses de plus loin que ceux qui détenaient séculairement le sol de la colonie. Le système des travailleurs casés fut aussi parfois adopté. On laissait ceux-ci bénéficier de leur case et de leur jardin à condition qu’ils travaillent sur la terre de leur patron. Toute une transformation sociale était en marche. Elle allait profondément marquer la colonie. L’aristocratie des planteurs avait été durement touchée par l’évolution économique et sociale; elle ne cessa de décliner. Une petite paysannerie noire se créait à la périphérie des grands domaines sucriers, entre les grands colons déclinants et la masse des ouvriers agricoles, un groupe social était en formation avec lequel il fallait compter. Enfin le personnage de l’usinier prenait chaque jour une importance croissante. Bientôt il fallut élire les représentants de l’île. Les hommes de couleur défendaient leurs idées. De nombreux clubs s’ouvrirent comme en France. Ils jouèrent un rôle important dans la désignation des deux candidats à la députation : Schoelcher et Perrinon. Les colons désignèrent l’un d’eux : Charles Dain, avocat de Basse-Terre, issu d’une vieille famille de l’île, qu’une brochure publiée en 1835, “L’abolition de l’esclavage”, permettait de considéré comme relativement modéré. Finalement, les colons se rallièrent aux candidatures de Perrinon et de Dain. Le 22 août les élections eurent lieu. Les résultats furent les suivants : Perrinon 19 233 voix, Schoelcher 13.038, Dain 10.196. Louisy Mathieu et Wallon furent élus suppléants avec respectivement 11.632 et 11.588 voix. Schoelcher avait été plébiscité; il était au comble de sa popularité et toute la population de couleur lui savait gré de son passé d’abolitionniste. Comme il avait été élu en même temps à la Martinique, il décida d’opter pour cette dernière île. Il céda alors sa place à Louisy Mathieu qui devint ainsi le premier représentant noir de la colonie. 60 10.8 - Le Second Empire - Selon Lucien-René Abenon, sous le Second Empire, l’Assemblée vota en 1850, une aide de 30 millions pour indemniser les colons dépossédés. Finalement, la commission de l’Assemblée proposa le versement immédiat de 6 millions en espèces sur lesquels 3 millions seraient prélevés pour la création des comptoirs d’escompte. Cette solution avait l’avantage d’apporter des liquidités immédiate, alors que le prix du sucre continuait à décliner. Les colons guadeloupéens reçurent 1.947.105 francs pour 86.946 esclaves libérés. Le capital des rentes, allouées à titre d’indemnité, se montait à 38.949.303 francs. En 1851, une nouvelle Banque de la Guadeloupe voyait le jour, son capital était constitué du huitième des fonds accordés pour l’indemnisation. Le Second Empire favorisa l’évolution économique de la Guadeloupe. Le système bancaire se révéla positif de même que l’indemnité accordée aux colons et l’immigration indienne. Une nouvelle génération d’usines sucrières centrales vit le jour. “Jusqu’en 1860, les usines manipulaient leurs propres cannes pour en obtenir du sucre par des procédés d’une technique assez rudimentaire ... Les usines centrales qui étaient destinées à travailler la récolte de plusieurs propriétés représentaient un progrès technique important ... La centralisation diminuaient considérablement le prix de revient, permettait une meilleure fabrication” selon J. Adélaïde. 10.9 - La Troisième République - Selon Lucien-René Abenon, le problème le plus préoccupant de la Guadeloupe était à nouveau celui du sucre. La crise, qui s’était estompée sous le Second Empire, reprenait de la vigueur. Le problème n’était pas la production qui passait de 39.000 tonnes en 1879 à 49.000 tonnes en 1888, mais celui de la baisse continuelle du prix du sucre. __________________________________________________ Années Prix au quintal Prix de vente du payé au producteur quintal __________________________________________________ 1877 55,77 67,91 1878 41,86 59,97 1879 35,13 52,83 1880 45,23 58,98 1881 43,37 58,28 1882 41,45 56,70 61 1883 41,45 50,56 1884 42,72 39,54 __________________________________________________ La conjoncture sur le marché international s’assombrissait. désormais, la France produisait plus de sucre de betterave qu’elle n’en consommait. Beaucoup de colons se retirèrent après avoir vendu leur terre. Les journaux de l’époque sont remplis d’acte de vente d’habitations sucrières. Le Crédit Foncier Colonial parvint ainsi à réaliser de fructueuses opérations et s’appropria, d’après M. Chemin Dupontès pour 3.972.780 frs de terre à la Guadeloupe, alors qu’il n’en détenait que 87.079 frs à la Martinique. Les capitaux français, contrairement à ce qui se passait dans l’île soeur où les békés surent rester maîtres de l’économie du pays, acquirent une place de choix dans l’économie guadeloupéenne. En 1907, la Compagnie Sucrière de Pointe-à-Pitre, auparavant dominée par Ernest Souques, passait sous le contrôle de capitaux métropolitains et devenait la SIAPAPA, regroupant l’usine Darboussier, 26 habitations et 8.000 hectares de terrain. Progressivement, d’autres usines subirent le même sort. La SIAPAP s’appropria de : Darboussier et Blanchet; la Société Sucreries Coloniales : Marquisat et Bonne-Mère; la Société de Beauport : Beauport et Port-Louis; la Société du Centre de la Retraite : La Retraite. Les békés martiniquais se rendaient maîtres des usines de Courcelles, de Gardel et du Comté de Lohéac. Présents dès les origines de la colonie dans l’île, les Blancs-Pays guadeloupéens avaient traversé la Révolution, mais succombaient devant la crise sucrière. L’émergence des Noirs et la montée du mouvement socialiste sont deux phénomènes conjoints. Dès l’origine l’élément noir a souffert de sa maîtrise insuffisante du français. Longtemps on a considéré que, pour participer à la vie politique, il convenait de posséder une bonne connaissance de la langue. Il fallait même en rajouter; les discours du temps sont remarquables par leur aspect fleuri et redondant qui exclut d’ailleurs pas toujours les impropriétés et les fautes de syntaxe. Or ce discours politique fut longtemps impraticable pour des gens non scolarisés. La langue d’expression populaire était le créole jugé indigne d’exprimer les réalités des luttes politiques. Toutefois, les conquêtes scolaires et la lutte contre l’alphabétisation amenèrent chaque jour de nouveaux citoyens à s’intéresser davantage au fait politique. Hégésippe Légitimus, fils d’un marin pêcheur, avait été élève au Lycée Carnot à Pointe-à-Pitre. Après sa terminale, il a fondé le Comité de la Jeunesse 62 Républicaine Socialiste. Dès les élections de 1892, il fut une menace pour Auguste Isaac. En 1894, son parti s’empara des mairie de Ste Rose, de Gosier, du Lamentin et de l’Anse Bertrand. En 1898, les élections législatives allaient permettre au nouveau parti de s’imposer définitivement. Puis son parti se divisa et Achille René Boisneuf devint un concurrent. Son mouvement politique se situait au confluent de plusieurs tendances : le radicalisme, le socialisme et l’anti-cléricalisme. Gratien Candace, qui parvint à se faire élire à Basse-Terre en 1910, était un spécialiste de l’agriculture coloniale. Alors que le socialisme déclinait en Guadeloupe, Boisneuf devint maire de Pointe-à-Pitre, puis Président du Conseil Général et Député de la Guadeloupe, avec Candace comme un des leaders essentiels de la vie politique locale. Le Syndicat des Fabricants de Sucre, créé par Ernest Souques (usine Daboussier), regroupait toutes les usines. Petit à petit, ce mouvement gagna les petits planteurs et les colons, puis les ouvriers agricoles. Le syndicalisme fut d’abord agricole, car l’activité industrielle était limitée. Le 15 juillet 1889 fut votée une loi étendant le service militaire aux colonies anciennes, mais elle ne fut appliquée que tardivement que le 19 octobre 1913, par le départ des premiers conscrits vers la métropole. 10.10 - L’époque Lucien-René Abenon contemporaine de 1914 à nos jours - Selon 1 - Développement, puis contingentement - La guerre de 19141918 retarda les échéances économiques, car les régions betteravières étaient devenues le théâtre des opérations militaires. Les productions de sucre et d’alcool ayant été réduites en France, celles des colonies se développèrent : __________________________________________________ 1913 1915 1917 1919 1921 __________________________________________________ En milliers de litres de rhum 2.887 1.829 2.900 3.854 5.000 N.B. - Le rhum et l’alcool servent de base à la fabrication des explosifs. La guerre de 1914 allait pourtant marquer la colonie de manière plus tragique. La Guadeloupe eut 11.021 mobilisés, 8.700 envoyés au front et 1.470 morts. Comme il fallait permettre à l’agriculture française de se relever et, 63 peut-être, lutter contre l’alcoolisme qui avait progressé depuis le début du conflit, on décida par la loi du 31 décembre 1922, de limiter à 160.000 hl d’alcool pur les importations de rhums coloniaux. Les quota suivants furent imposés : 80.000 hl pour la Martinique, 60.000 hl pour la Guadeloupe et 18.000 hl pour la Réunion. Une fois de plus la Guadeloupe était défavorisée par rapport à la Martinique et la Guyane complètement oubliée. Chaque usine sucrière et chaque distillerie obtient un quota précis. 2 - Le cyclone de 1928 - Le terrible cyclone du 12 septembre 1928 eut des incidences graves dans tous les domaines de la vie de la colonie. Le quotidien “Nouvelliste” rapporte : “Un sinistre sans précédent vient d’apporter dans la colonie la ruine et le deuil. Dans la matinée du 12, un cyclone d’une violence extrême s’est abattu sur la Guadeloupe et en moins de deux heures toutes les communications, toutes les routes ont été détruites, les cultures dévastées et la mort a frappé de nombreuses personnes. Dans ces douloureuses circonstances, le gouverneur adresse à la population de la Guadeloupe les condoléances les plus émues du gouvernement et de Monsieur le Ministre des colonies.” Le cyclone commença le mardi 11 septembre vers 11 heures du matin, le paroxysme a été noté le mercredi 12 septembre vers 14 heures et la fin le jeudi 13 septembre vers 12 heures. Toutes les communes de l’île furent plus ou moins détruites. Partout on décomptait les morts : 2.000 environ. Les neuf dixième des maisons étaient endommagés, sans toits, sans fenêtres, délabrées comme après un bombardement. d’autres complètement détruites formaient un amas de décombres. Les usines étaient détruites, les troupeaux décimés, les récoltes détruites et les habitations anéanties. La Guadeloupe avait été durement frappée. Il fallut l’aide de la France, pour refaire surface. Le cyclone de 1928 resta longtemps gravé dans les mémoires. La vie économique en fut très affectée. La récolte de sucre qui s’était élevée à 32.000 tonnes en 1928 (récolte de février à mai) tomba à 2.300 tonnes en 1929, pour remonter à 26.300 tonnes en 1930. 3 - La guerre 1939-1945 - La Guadeloupe se trouva dans la guerre de 1939, sans bien se rendre compte du cours des événements. Le nouveau 64 gouverneur Constant Sorin a été très controversé. Chargé de maintenir l’ordre au cours d’une période difficile, il l’a fait sans états d’âme excessifs. Il s’appuyait sur la Jeanne d’Arc (navire école en temps de paix et croiseur de combat), aux ordres du contre-amiral Rouyer, lui-même placé sous la dépendance de l’amiral Robert, qui siégeait à Fort de France. Ces amiraux représentaient l’Etat vichyste. Le gouverneur de la Guadeloupe fut le jouet des événements que nul ne pouvait dominer. On a dit qu’il s’inquiétait du sort de ses beaux parents israélites demeurés en France et c’est la raison pour laquelle il demeura dans l’obédience vichyste alors qu’il aurait eu la velléité de se rallier à la France libre. Comme l’amiral Robert, il symbolise pour la Guadeloupe une période ambiguë au cours de laquelle le pays hésitait sur la voie à suivre. Dans les premiers temps du conflit, une grande partie de la population de l’ile se rallia au maréchal Pétain. Sa personnalité tutélaire et paternaliste symbolisait assez bien les liens traditionnels qui unissaient la colonie à la métropole. Le gaullisme eut du mal à s’implanter. C’est après la déclaration de guerre des Etats-Unis que les Antillais saisirent la portée de la résistance gaulliste. Dorénavant, la dissidence prit un sens. Pour prendre part à la lutte contre l’Allemagne nazie, il fallait aller à la Dominique, pour s’engager. Malgré les dangers de la traversée du canal de la Dominique, environ 5.000 antillais quittèrent la Guadeloupe et la Martinique, pour partir en fraude. Arrivée à destination, ils étaient pris en mains par les services de la France Libre. L’île ne pouvait qu’être durement affectée sur le plan économique par les événements. Elle fut soumise à un blocus particulièrement rigoureux. D’une part, les bateaux qui faisaient le commerce transatlantique se faisaient rares; d’autre part, les Anglais et les Américains n’hésitaient pas à arraisonner les bateaux qui leur paraissaient suspects. En quelques mois, la Guadeloupe renoua avec la situation des temps de blocus qu’elle avait tant de fois connue. Impossibilité d’exporter le sucre et la banane qui constituaient les principaux produits de son agriculture. Impossibilité de se fournir en denrées alimentaires de consommation courante qui, en grande partie, lui venaient de France. L’économie de l’île était ruinée, car il lui était impossible de vendre ou d’acheter quoi que ce soit. Un nouvel état d’esprit, inventif, anima certains qui tirent parti des ressources locales trop souvent négligées. On mélangea l’essence, avec de l’alcool de cannes. Le savon fut fabriqué avec de la noix de coco. On en revint 65 au manioc et on refit cuire des cassaves pour remplacer le pain. On mangea beaucoup le fruit de l’arbre à pain. On mangea des bananes vertes cuites comme légumes, que l’on appelait “ti-bandit” ou “ti-sorin” (petit bandit ou petit sorin, du nom du gouverneur), car ce légume est assez indigeste. On utilisa la toile des sacs pour faire des vêtements, on créa des sandales en herbes tressées, etc ... En mars 1943, la Guyane passa à la France Libre. La tension montait dans les îles, la population avait définitivement viré de bord. Le 14 juillet 1943, l’amiral Robert abandonnait la partie et nouveau haut commissaire pour les Antilles venait d’être nommé. Le Gouverneur Sorin s’embarqua avec quelques fidèles sur le “Terrible” pour Porto-Rico. La Guadeloupe adhérait à la France Libre et entrait dans la guerre à côté des Alliés. La guerre avait été, pour la Guadeloupe, une période de dure privation. Tout manquait car le pays dépendait de la Métropole, pour une grande partie des vivres et la totalité des produits manufacturés. Mais la population a eu la sagesse d’être rester calme, malgré la défaite de la France et la tempête qui balayait l’ensemble de l’Europe. Le Gouverneur Sorin obligea les agriculteurs à développer sur 10% de leurs surfaces cultivables, soit des cultures maraîchères, soit des cultures particulières (arachide pour faire de l’huile, etc). La consommation des cocos était réservée aux fabricants de savon, etc ... Ces contraintes, mal comprises pendant la guerre, ont permis à la population de manger. Après la guerre, j’ai entendu les agriculteurs remercier le gouverneur Sorin (lors de son passage en Guadeloupe en 1963) : “Nous ne vous aimions pas pendant la guerre, mais avec le travail, nous avons d’abord mangé, puis nous nous sommes ensuite enrichi. Aujourd’hui, nous vous remercions ...” 5 - L’après guerre - La Guadeloupe sortit de la guerre dans des conditions relativement enviables. Alors que des pays entiers avaient été dévastés et comptaient leurs morts (50 millions pour l’ensemble de la guerre), l’île n’avait connu que des petites privations, mais rien n’avait changé par rapport à l’avant-guerre. Les élections, qui suivirent la Libération, amena la victoire des socialistes et des communistes aux Antilles. La loi du 18 mars 1946 qui apportait la départementalisation aux anciennes colonies, fut très bien accueilli à la Guadeloupe. La France, ruinée par la guerre, ne pouvait en faire plus. Aussi, le changement ne se fit que très 66 longuement. Il fallut attendre le retour au pouvoir du Général de Gaulle, pour que la V° République fasse un important programme de réformes. L’arrivée au pouvoir de Fidel Castro attisa les illusions. Un mouvement révolutionnaire le GONG apparu en 1964, prêt à recourir au terrorisme, pour faire émerger des solutions radicales. En 1967, un simple incident déclencha une émeute à Basse-Terre, puis deux mois plus tard à Pointe-à-Pitre. Le procès remua l’opinion, malgré les peines légères, qui frappèrent les accusés. Les événements suscitèrent un regain du mouvement révolutionnaire qui prit une forme clandestine et recourut au terrorisme. La Guadeloupe devint l’ïle où l’on posait des bombes. Les attentats se multiplièrent avec leur cortège de dégâts et de victimes, fauchant parfois les terroristes eux-mêmes infiltrés par les policiers. Tout cela créa à la Guadeloupe une atmosphère bien particulière et lui forgea une réputation de violence et d’activisme révolutionnaire. L’industrie sucrière est expirante et la production bananière est touchée par une grave polution. Le rhum vivote. L’île est trop petite pour avoir une culture extensive, les cyclones réguliers freinent la mise en place d’infrastructures vulnérables. Il ne reste guère que le tourisme comme réel espoir, grâce à la baisse des tarifs aériens. Les infrastructures sont lourdes, mais elles résistent assez bien aux cyclones. Les îles ont le soleil et la chaleur toute l’année, de très belles plages, sans danger. La population est accueillante et parle le français. 67 SOMMAIRE 1 – Les Précolombiens 1.2 – Avant les Caraïbes 1.2 - La migration des Calibis 1.3 - L'installation victorieuse des Caraïbes 2 - De COLOMB à D'ESNAMBUC 2.1 - L'arrivée de Christophe Colomb aux Iles 2.2 - Le second voyage de Christophe Colomb et découverte de l'île de la Guadeloupe 2.3 - Les Espagnols aux Antilles 2.4 - La guerre entre les Espagnols et les Caraïbes 2.5 - L'arrivée des autres Européens 2.6 - Les Français dans les îles 3 - L’arrivée des premiers colons 3.1 - L'arrivée des premiers colons en Guadeloupe 3.2 - La Guadeloupe à l'arrivée des premiers colons en 1636 3.3 - Les Caraïbes et les premiers colons 3.4 - L'apport des Caraïbes aux premiers colons 3.5 - La première guerre des colons avec les Caraïbes 3.6 - Nouvelle guerre avec les Caraïbes 3.7 - La paix et la disparition des Caraïbes 3.8 - Les premières années de la colonie 3.9 - Les grands Blancs 3.10 - Les 36 mois ou petits Blancs 3.11 - Les femmes 4 - L’organisation coloniale 68 4.1 - Le contexte général 4.2 - Le Gouvernement 4.3 - La justice au début de la colonisation 4.4 - Les bâtiments publics et particuliers 4.5 - La communication 4.6 - Le colon et la capitation 4.7 - La répartition des terres 4.8 - La dépendance vis-à-vis de la Martinique 4.9 - Un aveu toujours d’actualité 5 - La Compagnie des Indes Occidentales 5.1 - Une idée fausse 5.2 - La création de la Compagnie des Indes-Occidentales 5.3 - Le privilège du pavillon français 6 - L’esclavage 6.1 - Les débuts de l'esclavage 6.2 - Le "Code Noir" 6.3 - L'église et l'esclavage 6.4 - La lourde responsabilité de l'Ancien Régime 6.5 - La première révolte à Capesterre 6.6 - L'esclavage, la résistance et la répression 6.7 - Les sources du préjugé de couleur 6.8 - La destruction du système esclavagiste 6.9 – L’esclavage persiste de nos jours 7 - La route des esclaves 7.1 – Trafic des esclaves 7.2 – La route des esclaves 7.3 - Les ravages du trafic 8 - La guerre des épices 8.1 - Pourquoi les épices ? 8.2 - Un commerce très ancien 8.3 - La lutte entre la Croix et le Croissant pour la maîtrise du commerce des épices 8.4 - Les conséquences des routes des épices 8.5 - Les épices et la Guadeloupe 9 - Le mythe du bon sauvage 1 – Les Précolombiens 1.2 – Avant les Caraïbes 69 1.2 - La migration des Calibis 1.3 - L'installation victorieuse des Caraïbes 2 - De COLOMB à D'ESNAMBUC 2.1 - L'arrivée de Christophe Colomb aux Iles 2.2 - Le second voyage de Christophe Colomb et découverte de l'île de la Guadeloupe 2.3 - Les Espagnols aux Antilles 2.4 - La guerre entre les Espagnols et les Caraïbes 2.5 - L'arrivée des autres Européens 2.6 - Les Français dans les îles 3 - L’arrivée des premiers colons 3.1 - L'arrivée des premiers colons en Guadeloupe 3.2 - La Guadeloupe à l'arrivée des premiers colons en 1636 3.3 - L'apport des Caraïbes aux premiers colons 3.4 - La première guerre des colons avec les Caraïbes 3.5 - Nouvelle guerre avec les Caraïbes 3.6 - La paix et la disparition des Caraïbes 3.7 - Les premières années de la colonie 3.8 - Les grands Blancs 3.9 - Les 36 mois ou petits Blancs 3.10 - Les femmes 4 - L’organisation coloniale 4.1 - Le contexte général 4.2 - Le Gouvernement 4.3 - La justice au début de la colonisation 4.4 - Les bâtiments publics et particuliers 4.5 - La communication 4.6 - Le colon et la capitation 4.7 - La répartition des terres 4.8 - La dépendance vis-à-vis de la Martinique 4.9 - Un aveu toujours d’actualité 5 - La Compagnie des Indes Occidentales 5.1 - Une idée fausse 5.2 - La création de la Compagnie des Indes-Occidentales 5.3 - Le privilège du pavillon français 6 - L’esclavage 6.1 - Les débuts de l'esclavage 70 6.2 - Le "Code Noir" 6.3 - L'église et l'esclavage 6.4 - La lourde responsabilité de l'Ancien Régime 6.5 - La première révolte à Capesterre 6.6 - L'esclavage, la résistance et la répression 6.7 - Les sources du préjugé de couleur 6.8 - La destruction du système esclavagiste 6.9 – L’esclavage persiste de nos jours 7 - La route des esclaves 7.1 – Trafic des esclaves 7.2 – La route des esclaves 7.3 - Les ravages du trafic 8 - La guerre des épices 8.1 - Pourquoi les épices ? 8.2 - Un commerce très ancien 8.3 - La lutte entre la Croix et le Croissant pour la maîtrise du commerce des épices 8.4 - Les conséquences des routes des épices 8.5 - Les épices et la Guadeloupe 9 - Le mythe du bon sauvage 10 - La Révolution Française à la Guadeloupe ou “O liberté, que crimes on commet en ton nom !” 10.1 - Début de la Révolution et la perte des Iles 10.2 - Victor Hughes débarque à la Guadeloupe et remporte la victoire de Pointe-à-Pitre 10.3 - La victoire totale et l’exécution des colons 10.4 – Le gouvernement de Victor HUGHES 10.5 – Les corsaires de la Guadeloupe 10.6 - De l’Empire à la Seconde République 10.7 - L’abolition de l’esclavage 10.8 - Le Second Empire 10.9 - La Troisième République 10.10 - L’époque contemporaine de 1914 à nos jours 71