1 1 - Les Précolombiens 1.1 - Avant les Caraïbes

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1 1 - Les Précolombiens 1.1 - Avant les Caraïbes
1 - Les Précolombiens
1.1 - Avant les Caraïbes - Tous les préhistoriens sont unanimes à
reconnaître que l'homme aux Antilles n'est pas autochtone et serait venu
d'Amérique centrale ou méridionale à la fin du pléistocène, c'est-à-dire au
paléolithique américain (- 15.000).
Soudées à l'Amérique du Sud (Vénézuela), les îles constituaient, Trinidad
en particulier, la route principale de diffusion, des groupes ethniques les plus
anciens entre le continent et les grandes Antilles. Les petites îles auraient été
peuplées avant les grandes.
Les Arawaks se composent d'un ensemble de peuples, formant une
grande famille linguistique. Ils partirent du bassin de l'Amazone et se
dispersèrent dans toutes les directions à travers une grande partie du sud et
du centre du continent américain. (Colombie, Bolivie, Vénézuela, Mexique) et
aussi le sud-ouest des Etats Unis (Floride).
Vers l'an 1000 avant J.-C. commence la période néo-indienne. Les
Igneris, peuplades Arawaks, qui connaissaient l'agriculture et la poterie,
vivaient le long du Bas-Orénoque, franchirent le delta de ce fleuve, où ils
rencontrèrent les Méso-Indiens. Ils apprirent les techniques de la pêche et de la
navigation. Au début de l'ère chrétienne, ils commencèrent à se répandre dans
les Antilles et, vers 200 après J.-C., ils atteignirent Puerto-Rico.
Entre 300 et 1000 après J.-C., le peuplement néo-indien s'étendit
encore. Il occupa les Iles-Vierges, la République Dominicaine, Jamaïque, Cuba
et les Bahamas.
A leur arrivée, les Arawaks repoussèrent les Calusas ou Muspas, qui ont
probablement fourni leur contingent au peuplement des îles côtières de la
Floride et des Bahamas. Ils venaient antérieurement de Floride. Mais lorsque les
Creeks envahirent leur territoire, tout ce qui resta de la nation Calusa chercha
refuge sur les keys, îles calorigènes qui bordent la Floride.
La partie occidentale de Cuba a été peuplée par les Guanahabibes ou
Guanahatebeyes. L'est de l'île était peuplée par les Ciboneys, avant l'arrivée
des Arawaks.
"De nature très peu pacifique, grands céramistes, sculpteurs et
agriculteurs, les Arawaks ont introduit de proche en proche, et du sud au nord,
la culture du maïs et du manioc sur des monticules de terre, le tissage, les
rites funéraires et l'exhumation des morts dans des urnes, le droit matrilinéaire
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exogame et le culte des ancêtres." (Canals-Frau : Préhistoire de l'Amérique).
Le travail de la terre et la préparation des aliments, le manioc
nécessitant une longue préparation avant d'être comestible, revient aux
femmes, de même que la poterie. Les hommes complètent la subsistance par
la chasse et la pêche en rivière.
En Guadeloupe, ils étaient installés en Basse-Terre, dans la région de la
Capesterre, des Trois-Rivières et de la Rivière Duplessis; en Grande-Terre, à
l'Anse à l'Eau et de Gros Cap et à Folle-Anse à la Marie Galante. Les
habitations sont situées "en bordure de la mer sur la côte au vent, près des
marigots ou d'une embouchure de rivière, sur une plage ou une des premières
collines de la côte, de préférence aux endroits d'une eau profonde abritée par
une barrière madréporique, leur permettant une pêche facile." (Allaire)
1.2 - La migration des Calibis - Entre 1000 et 1500, une troisième
migration part de l'Amérique du Sud et remonte une à une les îles des Petites
Antilles. Les Caraïbes subjuguèrent les anciennes populations Arawaks,
branche des Igneris. Ils arrivèrent dans les Grandes Antilles, une centaine
d'années avant la conquête ibérique.
Les Caraïbes comme les Arawaks appartenaient à la même aire
géographique englobant le vaste ensemble forestier de l'Amazonie brésilienne,
du delta de l'Orénoque et du Vénézuela. Ils possédaient de nombreux traits
culturels communs, c'est-à-dire une conception identique de l'univers et une
même attitude à l'égard des êtres et des choses.
Les Calibis de "terre ferme" (Caraïbes) attribuaient les raisons de leur
départ du continent sud-américain aux nombreuses guerres, qu'ils durent
soutenir contre les Arawaks, leurs ennemis héréditaires. Ils étaient venus aux
îles pour combattre et anéantir les Ignéris et les Taïnos (Arawaks) habitant les
Petites et les Grandes Antilles. Mais il serait faux de croire que l'installation des
Galibis se soit traduite par un déferlement humain, qui aurait entraîné
l'extinction totale des Arawaks.
1.3 - L'installation victorieuse des Caraïbes - Si l'on s'en tient à
la tradition orale transmise de génération en génération par les anciens, pour
être rapportée jusqu'à nous par les écrits des missionnaires européens, les
Caraïbes insulaires descendraient des Galibis de "terre-ferme". Ils s'étaient
détachés du continent pour conquérir les îles et selon le R.P. Breton : "le
capitaine qui les avait conduits était petit de corps, mais grand en courage,
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qu'il mangeait peu et buvait encore moins, qu'il avait exterminé tous les
naturels du pays à la réserve des femmes, qui ont toujours quelque chose dans
leur langue pour conserver la mémoire de ces conquêtes, il avait fait porter les
têtes des ennemis (que les François ont trouvées) dans les antres des rochers
qui sont sur le bord de la mer, afin que les pères les fissent voir à leurs enfants
et successivement à tous les autres qui descendaient de leur postérité ......”
“Ils m'ont dit qu'ils avaient des rois, que le mot Abouyou était celui de
ceux qui les portaient sur leurs épaules : et que les Caraïbes qui avaient leur
carbet au pied de la Soufrière de la Dominique, au-delà d'Amichon, étaient
descendus d'eux, mais je ne leur demandai pas si leurs rois avaient commencés
dès ce capitaine, qui avait conquis les îles et quand ils ont cessé de régner."
D'après cette relation, qui décrit un ensemble d'évènements cohérents,
structurés dans le temps, on peut retenir plusieurs faits. La tradition veut que
ces populations se soient fixées en premier lieu sur le piton volcanique de la
Soufrière de la Dominique (Amichon). C'est seulement alors, qu'elles
occupèrent successivement l'île voisine de la Guadeloupe et toutes celles
formant l'Archipel des Petites Antilles. Puis, en souvenir de cette bataille
victorieuse où tous les natifs furent massacrés, à la réserve des femmes, ces
hommes échangeront leur nom de Galibis contre celui de leur chef appelé
"Kallinago". Il s'agit ni plus ni moins de l'ancêtre éponyme, fondateur du clan
caraïbe insulaire.
Ce dernier avait un rôle plus sociologique que religieux, car les Caraïbes
ne lui rendaient aucun culte et n'admettaient pas la notion d'un être suprême
créateur du monde.
2 - De COLOMB à D'ESNAMBUC
2.1 - L'arrivée de Christophe Colomb aux Iles - Au cours de son
premier voyage en 1492, avec trois caravelles (Santa-Maria, Nina et Pinta),
Christophe Colomb avait découvert "Hisponiola", que les indiens appelaient
"Aïti" et les Bahamas. Avec ses compagnons, il fut très bien reçu par les
Taïnos, qui était un peuple paisible ayant une civilisation assez avancée.
Les Taïnos décrivirent les Caraïbes comme de féroces anthropophages,
dont ils subissaient régulièrement les attaques. Ces raids avaient pour but
essentiellement de se procurer des victimes pour leurs rites
anthropophagiques et des épouses esclaves. Christophe Colomb mit en doute
ces affirmations jusqu'à la découverte en 1493 de la Guadeloupe.
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2.2 - Le second voyage de Christophe Colomb et découverte
de l'île de la Guadeloupe - Lors de son deuxième voyage en 1493,
Christophe Colomb à la tête d'une escadre de dix-sept navires, découvre le 3
novembre 1493, la Dominique, ainsi nommée car elle fut rencontrée un
dimanche. L'île suivante sera nommée Marie-Galante en l'honneur du navire
amiral, puis la Guadeloupe, ainsi baptisée pour remplir la promesse faite aux
moines du monastère du même nom en Extramadure et enfin un groupe d’îles
appelées "Todos los Santos" (Les Saintes), pour commémorer la fête de la
Toussaint, célébrée quelques jours auparavant.
Un bâtiment fut envoyé en reconnaissance au sud sur la Dominique et un
autre sur l'île au vent de la flotte : la Guadeloupe. Les hommes débarquèrent
près de Sainte Marie, aux environs des chutes du carbet. Ils trouvèrent un
village Caraïbe, dont les habitants avaient fuit à leur arrivée. Ils y trouvèrent
des restes humains.
• Récit du docteur Chanca, médecin de l’escadre de Christophe Colomb,
qui parle de la rencontre des Caraïbes, à la Guadeloupe, en 1493, par J.
Rennard “Découverte des Antilles par Christophe Colomb” p 117 :
“Le capitaine monta dans sa chaloupe et descendit sur le rivage. Il porta
ses premiers pas vers les maisons, dans lesquelles il trouva leurs habitants,
qui, dès qu’ils l’aperçurent, prirent la fuite. Il entra dans ces maisons où il
trouva les choses qu’ont les Indiens ; car ils n’avaient rien emporté. Il y prit
deux perroquets très grands et bien différents de ceux qu’il avait vus
jusqu’alors. Il y trouva beaucoup de coton filé ou prêt à l’être, et des vivres
destinés à leurs habitants. Il prit un peu de chacune de ces choses et surtout
quatre ou cinq ossements de bras ou de jambes humaines. Aussitôt que nous
eûmes vu ces derniers objets, nous soupçonnâmes que ces îles étaient celles
de Caribe qui sont habitées par une race qui mange la chair humaine”.
L'amiral et sa flotte restent en Guadeloupe, jusqu’au 10 novembre, dont
une partie du temps à un mouillage, au nord de la côte sous le vent.
Le 11 novembre, la flotte longea "Montserra", puis "Antigua" et mouilla
à "Névis". Le lendemain, Christophe Colomb passa à "Saint-Christophe" qu'il
baptisa "San Jorge". L'île suivante fut appelée "Santa Anastasia", il s'agit
actuellement de "Saint-Eustache". Le jour suivant, la flotte rencontra l'île de
"Sainte-Croix", qui fut appelée "Santa-Cruz", puis d'innombrables îlots nommés
"Once Mil Virgene", ces Onze Mille Vierges sont appelées aujourd'hui les îles
"Vierges" et la flotte arriva ensuite à Haïti, qui avait été nommé l'année
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précédente "Hispaniola".
A son retour vers l'Espagne, Christophe Colomb repasse le 9 avril 1496,
d'abord à Marie-Galante, puis il mouilla à la Guadeloupe où les femmes Caraïbes
s'opposèrent à son débarquement. Il resta neuf jours pour y faire des vivres et
de l'eau.
L'île de la Grande-Terre n'a pas été désigné par Christophe Colomb, car
vue de la mer, le navigateur ne discerne qu'une seule île : la Rivière Salée"
(bras de mer qui sépare les deux îles : Basse-Terre de Grande-Terre) n'est pas
visible de la haute mer. Il faut pénétrer jusqu’au fond du Cul de Sac Marin pour
constater, qu'il y a une séparation maritime entre les deux îles.
Il y avait très peu de Caraïbes sur la Grande-Terre, car l'île n'a pas de
rivière et donc peu d'eau potable. Le Moule abritait un village d'Indiens, grâce
a une petite source au fond de la Baie. Pendant longtemps, les colons
pensèrent, qu'il était impossible de s'établirent dans cette île plate et sèche,
dont les mornes peu élevés ne retenaient pas les nuages. L'aridité du sol est
aussi aggravée par la nature calcaire de l'île.
2 .3 - Les Espagnols aux Antilles - Avec Christophe Colomb,
l'ensemble des îles des Antilles était connu des Espagnols, mais ils négligèrent
rapidement les petites îles où il n'y avait ni or, ni pierres précieuses. Par
ailleurs, le peuple Caraïbe tenait presque toutes les Petites Antilles et, ils
avaient eu connaissance des traitements infligés par les Espagnols aux Taïnos
(Arawaks) réduits aux travaux forcés.
Christophe Colomb avait fait des captifs, lors de son passage en
Guadeloupe. A titre de représailles, il subit les attaques des Caraïbes, dans il
s'arrêta pour faire l'aiguade en 1496 au Vieux-Fort.
A partir de 1518, la conquête du Mexique par Herman Cortes et en
1531, celle du Pérou par Francisco Pizarro va pousser les Espagnols à délaisser
les îles au profit du continent. La pression des corsaires et des flibustiers
venant de toutes les autres nations maritimes européennes poussera de plus
en plus à la concentration du trafic maritime, afin de mieux le protéger.
Les îles encore occupées par les Espagnols seront de moins en moins
peuplées. Vers 1600, Hispaniola n'aura que 10.000 Blancs et Cuba environ
3.000 Blancs. La population indienne a quasiment disparu du fait des mauvais
traitements et surtout des maladies venues d'Europe. Pour remédier à cette
dépopulation, les Espagnols eurent recours à la traite des Noirs.
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2.4 - La guerre entre les Espagnols et les Caraïbes - Le premier
raid des Caraïbes dont nous avons connaissance après l'arrivée des Espagnols
a eu lieu en 1509 sur l'île de Porto-Rico. Il y eu ensuite de nombreuses
attaques (environ une par an) contre diverses îles occupées par les Espagnols
sans compter les raids contre les Ignéris.
Par exemple, en octobre 1520, cinq pirogues et 150 guerriers Caraïbes
attaquèrent Porto-Rico. Ils débarquèrent à la rivière Humacao et tuèrent de
nombreux espagnols et indiens. Après vingt jours passés sur l'île, ils partirent
avec 50 indiens captifs. En 1516, Ponce de Léon, à la tête de trois bateaux,
essaya de s'installer en Guadeloupe. Comme les Espagnols voulaient enlever
des Indiennes, ils furent attirés dans une embuscade et massacrés par les
Caraïbes. En 1520, Antonio Serrano fit une nouvelle tentative, qui échoua elle
aussi.
L'affrontement entre les Espagnols et les Caraïbes durera cent
cinquante ans. Les nombreux raids Caraïbes sur Porto-Rico et Hispaniola firent
des morts, mais surtout causa une certaine peur de ces guerriers. Pour leur
part, les Espagnols organisèrent de nombreuses expéditions punitives sur les
îles du sud.
2.5 - L'arrivée des autres Européens - Jusqu'à une période
récente, la conception dominante était que les Espagnols n'avaient jamais
songé à coloniser les Petites Antilles, car elles étaient dépourvues d'or et
peuplées par les féroces Caraïbes. On croyait également que Pierre Belin
d'Esnambuc était le premier français à avoir débarqué dans les îles.
Il est certain maintenant que les Espagnols ont multiplié les tentatives
de colonisation des Petites Antilles, sans succès à cause des Caraïbes. D’autre
part, les Français étaient présents sur les îles soixante quinze ans avant Belin
d'Esnambuc.
Les grandes îles du nord : Hispaniola, Cuba et Porto-Rico suffisaient aux
conquérants, qui n'avaient les moyens de tout occuper et de tout exploiter.
Peu à peu, les Espagnols s'en désintéressèrent au profit du Mexique
(Campèche) d'abord, puis du Pérou (Terra Ferma) qui se révélaient plus
lucratifs. C'est ainsi que fut abandonnée la partie occidentale d'Hispaniola que
les Français occupèrent (Haïti), les Espagnols restant dans la partie orientale
(République Dominicaine).
Délaissés par les Espagnols, les petites îles devenaient les repaires de
flibustiers. En Guadeloupe, les Caraïbes recevaient ou refoulaient les flibustiers,
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qui abordaient pour réparer les avaries ou simplement pour faire de l'eau.
Les Indiens moins bien équipés sur le plan technologique avaient besoin
de vaste espace pour survivre au moyen de la chasse, de la pêche, de la
cueillette et de la culture sur brûlis. Ils étaient directement menacés par
l'intrusion des nouveaux arrivants.
C'est dans ce monde presque vide que va s'exercer l'effort de
colonisation des Français, des Anglais et Hollandais.
En 1620, les Anglais s'emparaient de la Barbade, de Nevis, de
Montserrat et d'Antigua. En 1621, les Hollandais prirent Saint-Martin, SaintEustache, Aruba, Bonaire et enfin Curaçao en 1634.
2.6 - Les Français dans les îles - Dès 1623, les Français et les
Anglais s'étaient installés à Saint-Christophe, qui devint la base de départ de
l'implantation française aux Antilles. En 1635, la nouvelle Compagnie de Iles
d'Amérique dirigée par François Fouquet (père du futur Surintendant des
Finances) remplaça la Compagnie de Saint-Christophe et décida de conquérir la
Guadeloupe, la Dominique et la Martinique.
En juillet 1635, Bellain d'Esnambuc arriva à la Martinique avec les
meilleurs troupes. A l'origine, le peuplement de la Guadeloupe se fit avec des
colons, alors que celui de la Martinique résulte d'une occupation militaire.
3 - L’arrivée des premiers colons
3.1 - L'arrivée des premiers colons en Guadeloupe - Par
contrat la Compagnie des Indes Occidentales donna à L'Olive et Duplessis le
commandement des îles, qu'ils coloniseraient, pour dix ans. Ils partirent avec
cinq cents engagés de Dieppe, le 25 mai 1635. L’expédition arriva à la
Martinique, mais l'aspect de cette île, coupée et hachée, remplie d'affreux
serpents, les découragèrent.
Nos colons levèrent l'ancre et firent voile pour la Guadeloupe où, le 27
juin 1635, ils quittèrent leurs vaisseaux et descendirent à terre, à la Pointe
Allègre, près de l'actuelle ville de Ste-Rose. Ils s'installèrent près de là dans un
lieu décrit par le R.P. Dutertre comme "l'endroit le plus ingrat de toute l'île
autant à cause de la terre qui y est rouge ... qu'à cause des montagnes".
L'expédition était conduite par L'Olive et Du Plessis, mais la mésentente
entre les deux chefs provoqua la division. Après avoir partagé les provisions,
les outils et les hommes, l'Olive alla s'établir à l'ouest de la Pointe-Allègre, sur
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la rivière dite du Vieux-Fort et Duplessis à l'est de la même Pointe, sur la
rivière dite du Petit-Fort.
3.2- Les Caraïbes et les premiers colons - Il n'y avait des vivres
que pour deux mois. Sans ressource, les sept cents premiers colons se
jetèrent sur les tortues dont la plage était couverte. Cette chair sans pain, mal
préparée, à laquelle les estomacs européens n'étaient pas faits, causa des
dysenteries.
Plusieurs colons prirent le parti d'abandonner la colonie et d'aller vivre
avec les Caraïbes, qui leur firent l'accueil le plus cordial. Ils partagèrent avec
eux leurs demeures et leurs provisions.
Comme Duplessis était vénéré par les Caraïbes, ils allaient souvent le
visiter. Leurs pirogues étaient toujours remplies de vivres. C'était beaucoup
pour les Caraïbes, puisque c'est tout ce qu'ils pouvaient donner; mais ce
n'était rien pour la colonie affamée.
Selon le R.P. Dutertre : "Les sauvages ne venaient jamais voir les
Français les mains vides et, comme ils les voyaient dans la nécessité, ils leur
apportaient toujours quelques vivres. Leurs
pirogues étaient souvent
chargées de tortues, de lézards, de cochons, de lamentins, de patates, de
bananes, de figues (bananes) et autres fruits que produit le pays. Il faut dire
que sans ces secours la colonie eût misérablement péri ... Les sauvages n'y
allant plus la famine recommença plus violemment que jamais."
3.3 - L'apport des Caraïbes aux premiers colons - L'apport des
Caraïbes est double : ils révélèrent aux Européens quels étaient les fruits
comestibles et les plantes nourricières du pays; et ils enseignèrent au colons
les techniques culturales adaptées au milieu.
La cueillette de fruits, de baies, de feuilles et de tiges comestibles
pouvait offrir un précieux appoint : grappes du raisinier bord-de-mer, fruits des
merisiers et "cerisiers" à baies sucrées, pulpe orangée de l' "abricot-pays",
icaques blancs et noirs, prunes de mombin, pomme-cajou, goyave , coeur
savoureux du choux-palmiste, etc ...
Les "callinago" firent connaître aux nouveaux venus la valeur des racines
vivrières qu'ils appelaient “oulé” : le manioc, la patate douce, l'igname
couche-couche, les choux-caraïbes. A ces "racines" s'ajoutaient divers pois
doux du genre Inga.
Dans leurs jardins, ils cultivaient l'arachide ou "pistache", le papayer aux
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fruits rafraîchissants, des petits piments, des concombres, melons et
citrouilles, le ricin.
Ils connaissaient le cacao, ce que rapporte le Père Dutertre : "J'ai été
fort longtemps dans les Iles sans avoir jamais vu un seul arbre de cacau; mais
enfin les Sauvages ayant découvert à M. du Parquet ce trésor qui était caché
dans la Capsterre de son Ile, plusieurs personnes en ont planté ... Ce sont ces
grains que l'on nomme cacau ou cacou".
Ils cultivaient les bananiers, et désignaient la banane sous le nom de
balaranna; la canne à sucre, qu'ils aimaient mâchonner, sous le nom de caniche
et l'ananas. Ajoutons encore qu'ils savaient utiliser les fibres du cotonnier,
pour faire leurs lits, les cordes de leurs arcs, des rubans et leurs lignes à
pêcher.
Ils savaient extraire la teinture du rocou, avec laquelle, "ils se rougissent
tout le corps". Ils connaissent aussi le petun, ou tabac, et l'utilisaient ainsi :
"Ils n'usent guère de pétun en fumée, mais ils le font sécher au feu, puis
le mettent en poudre et en mêlent un peu avec de l'eau de mer, et mettent
entre la lèvre et la gencive, et cela est bien fort".
Ils connaissaient admirablement les simples, ils savaient tresser les fibres
végétales pour faire leurs cordes, leurs filets, leurs paniers et leurs corbeilles.
Les Caraïbes ou les Arawaks ont introduit du Brésil : l'ananas, le papayer,
le cacaoyer, le manioc, les choux-caraibes et diverses ignames.
Les Caraïbes apprirent aussi aux Français à travailler la terre. Ils les
initièrent à la culture sur brulis, qu'ils pratiquaient eux-mêmes aux dépens de la
forêt. Leur culture était itinérante, et pour créer un jardin, ichali, ils utilisaient
la hache de pierre et le feu. Après avoir épuisé l'humus et la cendre, ils
laissaient la forêt reprendre à nouveau possession du sol et allaient plus loin.
Le terme de kàbogneti signifie, que le Caraïbes avait débroussaillé et
mis un jardin en culture, "qu'il était habitué là". Le mot d' "habituée" garde
aujourd'hui le même sens, pour les cultures sur brûlis, notamment en côte
sous le vent.
L'ichali, où subsistait les souches calcinées des arbres abattus se
présentait comme l'habituée d'aujourd'hui : fouillis de cultures vivrières et
arbustives, où le manioc, l'igname et la patate tenaient la première place.
Les colons avaient appris des Caraïbes a "grager" (râper) le manioc, à
préparer la "cassave" , à boire le "ouïcou" (bière de manioc).
L'héritage des Caraïbes est donc beaucoup plus important dans la vie
rurale que dans le peuplement.
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Les Caraïbes apprirent aussi aux colons français à pêcher ou à harponner
les poissons et animaux marins qui fréquentaient les eaux de la Guadeloupe, à
chasser les oiseaux et les bêtes des Grands-Bois, grâce aux pistes qu'ils
connaissaient. Ils montrèrent comment harponner le lamentin, comment varer
les tortues (3 espèces : tortues franches, kahouannes et carets), comment
tourner ces tortues (100 à 300 kgs) sur le dos lorsqu'elles venaient pondre
leurs oeufs dans le sable des plages. Il suffit de relire Breton et Dutertre pour
prendre conscience du rôle important joué par ces "viandes", par les crabes,
par les oeufs de tortues et d'oiseaux dans l'alimentation des premiers colons.
L'abus de ces mets entraîna de graves dysenteries.
3.4 - La première guerre des colons avec les Caraïbes - La
famine fut si grande selon le R.P. Dutertre : "qu'on mangea les chiens, les
chats et les rats. Depuis la déclaration de guerre aux sauvages, nos gens
n'osèrent plus sortir du fort et mangèrent jusqu'à l'onguent des chirurgiens,
au cuir des baudriers, qu'ils faisaient bouillir pour le réduire en colle. On en a vu
brouter de l'herbe, manger les excréments de leurs camarades après les leurs
... On a souvent vu la terre des fosses, où nos pères avaient enterré les morts
totalement remuée le matin; il était évident, qu'on les avait fouillées pour
déterrer les corps et en couper quelque membre pour vivre."
A bout d'expédients pour nourrir ses colons, une pensée fatale traversa
le cerveau de l'Olive. Il conçut le projet de faire la guerre aux sauvages, pour
prendre leur manioc et leurs patates. Duplessis repoussa ce projet homicide et
l'Olive demanda l'autorisation de faire la guerre à d'Enambuc, qui gouvernait
l'ensemble des îles.
Celui-ci croyait avoir intérêt à exterminer les Caraïbes de Saint
Christophe, mais il n'en avait aucun à faire la guerre à ceux de la Guadeloupe. Il
désapprouva donc hautement le dessein de son ancien lieutenant; il le menaça
même d'écrire au Roi, s'il persistait dans une détermination si contraire à la
volonté du monarque, plusieurs fois manifestée.
Pendant l'absence de l'Olive, Duplessis décéda le 4 novembre 1635.
Débarrassé, par la mort de Duplessis, l'Olive revint à la Guadeloupe avec
la ferme résolution de commencer sa guerre contre les Caraïbes, dont il
ignorait la détermination dans l'épreuve. Il chercha un prétexte et en trouva un
dans un vol de poissons (un Caraïbe prit le poisson d'un européen et laissa en
échange un porc et des fruits).
Avant d'entrer en campagne, l'Olive chargea un des ses lieutenant
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Fontaine, de faire le tour de l'île en chaloupe, afin d'étudier la situation de
chaque carbet, et de ramener les colons retirés chez les Caraïbes. Seulement,
ces derniers doués de finesse et de sagacité, avaient surpris ses desseins
hostiles. Après une première échauffourée au Vieux-Fort, les habitants avaient
fuit par la montagne, à travers la forêt vierge, sur Capesterre. L'Olive et ses
troupes partirent à leur poursuite, mais ils durent abandonner devant l'effort.
Les Caraïbes sachant, qu'ils ne pourraient pas résister aux armes à feu
des Européens, prirent la détermination d'abandonner l'île. Ils allèrent
demander asile aux Caraïbes de la Grande-Terre, des Saintes, de la MarieGalante et de la Dominique. Toutefois, ils avaient laissé à la Guadeloupe, un
certain nombre de leurs plus vaillants guerriers, afin d'épier les mouvements
de l'ennemi et de saisir toutes les occasions de lui rendre le mal, qu'il en avait
reçu.
Les Indiens combattaient à leur façon, en organisant de coups de main
contre les Français, en s'efforçant de les surprendre, lorsqu'ils étaient isolés
ou en petits groupes, fuyant lorsqu'ils étaient découverts ou qu'ils avaient le
dessous. Cette guérilla fit beaucoup de victimes et les nouveaux arrivants
n'osaient plus sortir du fort pour trouver des vivres ou chasser, de peur d'être
abattus par les flèches de leurs ennemis.
Les Caraïbes n'avaient pas été longtemps à comprendre qu'un fusil
déchargé était une arme inutile jusqu'à ce qu'il fût rechargé. L'oeil fixé sur le
chasseur, sans faire un mouvement qui pût déceler sa présence, il attendait.
Le fusil déchargé sur le gibier, le Caraïbe s'élançait sur le chasseur et
l'assommait d'un coup de boutou.
Une soixantaine d'hommes avaient disparu sans que l'on sut ce qu'ils
étaient devenus. Lorsque la cause de leur mort fut connue, L'olive pour se
procurer des aliments à l'aide de la chasse et de la pêche, eut recours à un
expédient, qui d'abord fut couronné d'un plein succès. Il divisait son monde en
deux bandes, dont l'une avait pour mission de chasser et l'autre de défendre
les chasseurs de l'attaque de l'ennemi. Après quelques jours, les Caraïbes
ayant étudié cette nouvelle tactique, prirent des mesures, qui entraînaient des
pertes à chaque chasse.
Les Caraïbes de la Dominique et des autres îles avaient épousé les
querelles de ceux de la Guadeloupe. Réunis, ils tombaient sur la colonie dans le
moment qu'on attendait le moins. Avec leurs flèches et leurs redoutables
boutous, ils livraient aux colons des combats en règle. Vaincus par la puissance
des armes à feu, obligés de céder, on les voyait au plus fort de la mêlée se
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diviser en deux corps, dont l'un enlevait les blessés et les morts et l'autre
soutenait la retraite.
L'Olive dut regretter son injuste agression, car les colons qui n'avaient
pas succombé à la maladie, ou au boutou des Caraïbes, affaiblis par les
privations, ne pouvant joindre un ennemi aussi prompt à la retraite qu'à
l'attaque, que les défaites ne rebutaient point et qui revenait sans cesse à la
charge, s'affaiblissant sous la fatigue d'une surveillance de tous les instants du
jour et de la nuit, furent contraints de s'enfermer dans le petit fortin que ce
chef avait fait élever depuis le commencement des hostilités.
Les assiégés se virent en proie à une horrible famine. On en vit
descendre à brouter l'herbe, d'autres faire un affreux repas avec des morceaux
de cadavre. Quelques uns eurent recours au suicide, se pendirent ou se
précipitèrent dans les flots.
Les colons ne sortirent de cette intolérable situation qu'à l'arrivée des
secours en hommes et en vivres envoyés par la compagnie. Cependant les
Caraïbes, quoique battus, ne continuaient pas moins à harceler la colonie, qui
ne faisait aucun progrès.
La Compagnie souhaitait le remplacement de l'Olive, mais Richelieu lui
confirma son mandat jusqu'à son terme.
Ce maintien de l'Olive au gouvernement fut funeste à la Guadeloupe.
Tout le temps qu'il fut Gouverneur, la guerre contre les Caraïbes n'ayant pas
de trêve, son essor fut paralysé, elle ne prit aucun développement. La
Compagnie reporta son attention et ses soins sur les autres îles,
principalement sur la Martinique, dont les destinées avaient été confiées à un
homme de coeur et d'intelligence, Monsieur Duparquet. Ce sera le premier
anneau de cette chaîne de calamités, qui devait se dérouler sur la Guadeloupe.
En 1638, Poincy fut nommé gouverneur des îles d'Amérique. Il envoya
des renforts, des vivres et des munitions à la Guadeloupe. Les troupes de
renfort étaient commandées par M.M. de Sabouilly et de la Vernade, qui
décidèrent d'en finir avec les Caraïbes. Dans un premier combat dans la région
du Grand Cul de Sac, Sabouilly en tua une trentaine.
Furieux les Indiens décidèrent de se venger et ils revirent avec treize
pirogues, représentant environ 600 ou 700 combattants. Le combat dura
trente heures et Sabouilly fut une nouvelle fois vainqueur. Les Caraïbes
quittèrent définitivement la Guadeloupe pour la Dominique, ce qui donna un
répit à la colonie.
Aubert, nommé Gouverneur le 4 avril 1640 pour trois années, eut pour
12
premier soin de faire la paix avec les Caraïbes.
3.5 - Nouvelle guerre avec les Caraïbes - En 1653, l'île de MarieGalante fut dévastée par un raid des Caraïbes venant de la Dominique. Le
chevalier Houel organisa une expédition de représailles contre les Indiens de la
Dominique.
Après une dernière tentative des Caraïbes contre Marie-Galante, qui fut
repoussée, les Indiens renoncèrent à leurs raids meurtriers. En 1658, les
derniers Caraïbes quittèrent la Martinique et la paix générale ne fut obtenue
qu'en 1660.
Les îles de la Dominique et de Saint-Vincent furent reconnue comme la
propriété des Indiens. En 1653, le Gouverneur Houël se disposait à se rendre
en France lorsqu'il fut retenu, en Guadeloupe, par une guerre contre les
Caraïbes de la Dominique. La cause des hostilités vint des colons de la
Martinique.
Les Caraïbes, en guerre avec les Anglais, firent une expédition contre la
colonie anglaise d'Antigue, expédition qui fut couronnée d'un plein succès. Ils
en revenaient chargés de butin et de quelques prisonniers.
Voulant, dans la joie et l'orgueil de leur triomphe, se montrer aux colons
français, leurs amis, ils s'arrêtèrent, en passant, à l'île de Marie-Galante.
Rendus dans leurs villages leurs chants de victoire se changèrent en cris de
désespoir et de fureur. Pendant leur absence, des colons de la Martinique
s'étaient rendus à la Dominique, avaient pillé les villages et fait aux femmes et
aux filles, les plus sanglants outrages.
Le Caraïbe ne gardait jamais une insulte : il lui fallait une vengeance. Soit
que mal renseigné, il crût que le crime avait été commis par les colons de
Marie-Galante, soit que, pour le moment, il ne se sentit pas assez fort pour
s'en prendre à la Martinique, il retourne à Marie-Galante, surprend les colons,
les assomme à coups de boutou et met le feu à tous leurs établissements.
L'incendie fut assez considérable pour être aperçu de la Guadeloupe.
Une expédition de cent hommes allèrent à Marie-Galante pour s'informer.
A son retour, Houël songea à châtier les Caraïbes, auteurs du meurtre des
Français. Il fit partir pour la Dominique le sieur Dumé avec cent hommes. Ce
chef battit les Caraïbes des villages de l'est et leurs carbets furent brûlés.
Avec la supériorité des armes européennes, une campagne contre les
Caraïbes n'offrait pas beaucoup de dangers. De son expédition, Dumé n'eut
que quatre blessés. Les naturels n'étant redoutables que par les surprises. En
13
hostilité avec eux, il fallait sans cesse être sur ses gardes.
Au retour en Guadeloupe de l'expédition, Houël fût averti que ces
mêmes Caraïbes dont on venait de brûler les carbets, réunissaient toutes leurs
forces pour fondre à nouveau sur Marie-Galante. Il envoya une troupe dans l'île
où celle-ci rencontra trois cents Caraïbes. Ils furent mis en déroute et on les
obligea à se rembarquer avec précipitation.
Trois mois plus tard, Houël apprit qu'une nouvelle expédition des
Caraïbes se préparait contre Les Saintes. Il y envoya une troupe. Après
plusieurs jours d'attente, les pirogues Caraïbes furent signalées. Attendre le
débarquement, attaquer l'ennemi et le mettre en fuite furent pour le Sieur de
l'Etoile l'affaire d'un instant.
Ce fut la dernière guerre des Caraïbes contre la Guadeloupe. Elle se
poursuivit contre la Martinique
3.6 - La paix et la disparition des Caraïbes - La politique de
Houël, de conserver de bonnes relations avec les Caraïbes, lui fit obtenir la
gloire de servir d'intermédiaire entre eux et les gouvernements des autres îles,
pour conclure une paix générale.
Cette paix (20 mars 1660) était considérée comme une trêve. Les
Caraïbes portaient une haine égale à toutes les nations européennes, qui
étaient venues les dépouiller de leurs terres. Toutefois, par suite des grands
massacres faits de leurs peuplades, plus encore par l'imperfection de leurs
armes, désormais trop faibles pour entreprendre seuls des actes d'hostilité, ils
savaient attendre que leurs ennemis fussent en train de se déchirer, pour
servir d'auxiliaires à ceux-ci ou à ceux-là.
La paix fut conclue. Les Caraïbes acceptèrent la condition de résider à
Saint Vincent et à la Dominique, avec promesse de n'être pas troublés, dans
ces possessions, par aucune des nations européennes.
Les restes de cette race infortunée se concentrèrent, en effet, en
grande partie dans ces deux îles; mais plusieurs familles continuèrent à
demeurer dans des lieux non défrichés de la Guadeloupe, de la Martinique et de
Sainte Lucie, d'où elles n'ont disparu qu'avec le temps.
Le déclin des Caraïbes est du également aux maladies vénériennes, puis
pulmonaires importées d'Europe. Celles-ci décimèrent ces populations, au
point de les réduire à un effectif squelettique.
3.7 - Les premières
années
de
la colonie - Les trente cinq
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premières années furent très agitées. En premier lieu, la mauvaise organisation
a précarisé la colonie, qui fut plusieurs fois à deux doigts de sa perte. Le
ravitaillement de l'île en vivres a souvent été défectueux et sans l'aide des
Caraïbes, les colons n'auraient pas survécu. La Compagnie des Iles d'Amérique
qui devait y pourvoir a toujours été dépassée, par les événements et n'a
jamais su ou pu envoyer les bateaux pour secourir les colons.
Le R.P. Dutertre rappelle, que les promesses faites aux colons étaient
irréalistes, du fait que les associés de la Compagnie avaient une
méconnaissance totale des problèmes.
"Plusieurs éblouis par ces belles promesses s'y engagèrent avec
beaucoup de facilité : il leur tardait d'aller dans ces pays enchantés, où on leur
faisait croire qu'ils y trouveraient des vaches, des manipolis (?), des cerfs de
deux sortes, des sangliers aussi de deux sortes, deux ou trois espèces de
lapins, des cochons, des oulanas et des tatous ... on aurait dit qu'il n'y avait
plus qu'à mettre la table pour faire bonne chère."
Or les européens étaient peu nombreux et surtout il y avait un grave
déséquilibre pour le futur par le manque de femmes. Beaucoup d'hommes
vivaient en concubinage avec des Indiennes ou des Noires esclaves. La
population se développait très lentement, il n'y avait pratiquement pas
d'enfants.
L'exploitation économique fut difficile, progressive et longue, car les
colons ne connaissaient pas les plantes. Grâce aux Caraïbes, ils purent
rapidement développer les cultures locales : racines, pois, manioc, ...
Les premiers essais de cultures pour l'exportation furent des échecs : le
tabac était produit à meilleur compte en Amérique du Nord, l'indigo et le coton
n'eurent pas le succès espéré. A partir de 1650 commença la culture de la
canne à sucre, qui rapidement ouvrit de réelles perspectives. Mais encore, il
manquait des transports réguliers avec la Métropole.
Les premières années furent assez anarchiques. La guerre avec les
Caraïbes avait perturbé l'installation des colons, etc .. L'île de la Guadeloupe
souffrit aussi sur le plan militaire d'être considérée comme une colonie de
seconde zone. Les Gouverneurs généraux installés à la Martinique consacraient
leur budget général à la défense de leur lieu de résidence en y conservant les
meilleurs troupes. Cette pratique a été la cause des nombreuses invasions de
la Guadeloupe par les Anglais.
Si la Martinique a bénéficié de l'occupation militaire, organisée par le
Gouvernement royal, l'île de la Guadeloupe a subit une occupation anarchique :
15
propriété de Compagnies successives, de Grands Seigneurs, puis revenant à la
Couronne, etc ...
Le 4 septembre 1649, Boisseret et son beau-frère Houël achetèrent la
Guadeloupe devant les notaires M° Oger & Morel. Les quatre îles : la
Guadeloupe, la Désirade, les Saintes et Marie-Galande furent vendues pour
6.000 livres et 600 livres de sucre à la fin de chaque année.
En 1664, un arrêt du Conseil d'Etat força les anciens propriétaires à
revendre leurs droits à la Compagnie des Indes Occidentales. Après l'échec de
cette compagnie, le roi décida de la dissoudre en 1674. La Guadeloupe fut
alors rattachée au domaine royal.
3.8 - Les grands Blancs - Les grands colons ou "grands Blancs"
étaient proches des dirigeants de l'île. Ils avaient obtenu de vastes
concessions, souvent situées en bordures de mer, pour en faciliter l'accès. Ces
gens appartenaient à l'aristocratie française : noblesse de robe ou de province.
A la colonie, les nobles n'étaient dispensés que de la taxe sur douze nègres.
Parmi eux, on trouvait également des personnes issues de la bourgeoisie,
surtout celles des ports commerçants avec les îles.
Pour mettre en valeur une grande concession, il fallait disposer de
capitaux importants : achat de la terre, des semences, construction des
bâtiments, acquisitions des machines (moulins à sucre), achat et entretien de
la maind'oeuvre blanches ou noires. Il en découlait que seules les personnes
issues de la Bourgeoisie ou de la Noblesse pouvaient disposer de liquidités
suffisamment importantes pour avoir de grandes concessions.
Certaines riches familles marquèrent l'économie de l'île à cette époque
comme les Houël, les Crapado, comtes de Lohéac, les Lemercier de Beausoleil,
les Bologne, les Leroy de la Potherie, les Gaigneron, les Néron, les Filassier de
Saint Germain, ...
3.9 - Les 36 mois ou petits Blancs - Jusqu'à la fin du XVII° siècle,
les engagés volontaires furent la principale source de peuplement des îles. Ils
provenaient généralement des régions côtières de la partie ouest de la France.
Ils s'entendaient avec un propriétaire ou plus souvent avec un capitaine de
bateau, qui payait leur transport et les vendait à l'arrivée à un colon engagiste.
Ils devaient travailler trois ans pour obtenir leur liberté. On leur surnommait les
"36 mois". Ils subissaient de grosses épreuves : voyage long et sans confort,
climat nouveau, travail pénible à défricher le terrain avant la culture, mauvaise
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nourriture, maladies inconnues à l'époque (paludisme et fièvre jaune).
Beaucoup de ces engagés mourraient avant la fin de leur période de
servitude. Ils vivaient avec les esclaves noirs dans les mêmes ateliers, où ils
n'étaient ni mieux traités, ni mieux nourris. Selon certains historiens, c'est
dans ce milieu que se mélangea les croyances et les traditions pour créer la
culture antillaise et la langue créole.
Il faut préciser que les premières concessions étaient situées tout au
long du bord de mer et composées de forêts primaires. On disait à l'époque
"en bois debout". Les maîtres étaient durs vis-à-vis de leurs serviteurs, car ils
devaient rentabiliser leurs exploitations avant la fin du contrat.
Après les trois ans, ils étaient libérés et généralement ils se groupaient
"en matelotage" avec un autre compagnon d'infortune pour exploiter à deux
une petite concession.
3.10 - Les femmes - Il y avait une grande pénurie de femmes, qui
risquait d'entraver la colonisation. Les responsables de la Compagnie
décidèrent : "de tirer des filles de l'Hospital St-Joseph de Paris, pour les
envoyer aux Iles, afin d'y arrêter les habitants qui en venaient chercher en
France, pour se marier; elles furent conduites, cette année 1643, par
Mademoiselle de La Fayolle, dans le navire du Capitaine Boudart."
Le R.P. Dutertre décrit cette duègne des filles à marier : "Elle lui (à
Houël, Gouverneur) présenta quantité de lettres de la Reine et d'autres Dames
de qualité qui l'éblouirent, et firent qu'il la reçut avec respect, la traita avec
autant de civilité que si elle eût été une Princesse."
Les jeunes filles de France trouvèrent rapidement des maris et d'autres
virent les remplacer sous la responsabilité de Mademoiselle de La Fayolle.
4 - L’organisation
coloniale
4.1 - Le contexte général - Le R.P. Du Tertre décrit le contexte de
l’île et son évolution : “Il est vrai que dans son premier état, l’île était
rebutante. Les Caraïbes étaient des Barbares, les terres incultes ne
produisaient rien avant un travail inconcevable et les vaisseaux n'étaient pas
accoutumés à les fréquenter. Les premiers Français périssaient souvent, par la
main des Caraïbes, succombaient sous le faix du travail, ou manquaient des
choses nécessaires, qui devaient leur être apportées de la Métropole.”
“Mais depuis que les Sauvages ont été rangés à la raison, que les terres
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ont été défrichées, et que les vaisseaux ont fait voile de ce côté là, toutes
choses y abondent maintenant, et rien n'y manque, soit pour la nécessité, soit
pour la délicatesse de la vie.”
4.2 - Le Gouvernement - Le R.P. Du Tertre nous donne sa vision :
“Le gouvernement de toutes les Iles (sis à St Christophe), depuis l'année
1625, que l'on commença d'établir des Colonies, jusqu'en l'année 1649 a été
aristocratique. La Compagnie des Indes Occidentale a gouverné les habitants
par des Lieutenants, auxquels elle donnait des commissions (mandats) pour
trois ans. Elle les honora ensuite de la qualité de Gouverneur, et pour les
rendre plus considérables, elle joignit la qualité de Sénéchal à celle de
Gouverneur, avec pouvoir de présider à tous les jugements.”
“Elle donnait à ces Lieutenants ou Gouverneurs un droit capital (de
capus : la tête) de vingt-cinq livres de tabac, à prendre sur chaque habitant, et
autant pour l'entretien des forts nécessaires à la conservation des Iles : elle
exemptait outre, un certain nombre de leurs domestiques, des droits
Seigneuriaux, et leur donnait la préférence pour acheter des Nègres, quand il
en arrivait dans leur Ile.”
“L'on eut pris, en ce temps-là le Gouvernement des Iles, pour une image
du siècle d'or : car les Gouverneurs qui n'avaient point d'autre fortune que
leurs établissements dans ces lieux, appréhendant qu'on ne les blâma en
France, et qu'on empêcha la continuation de leurs charges, gouvernaient les
habitants plutôt en pères, qu'en Seigneurs et en Maîtres, et la confiance
cordiale, que les habitants avaient en leurs Gouverneurs, causait une si étroite
union, qu'ils semblaient n'avoir point d'autre volonté que la leur.”
“Mais les guerres civiles ayant déchirées les Iles durant les années 1645,
1646 et 1647, les intrigues détestables qu'on y a pratiquées depuis, ont
également divisé les esprits des Gouverneurs et des peuples, ... ont beaucoup
diminué de l'affection qu'ils avaient pour leurs personnes, et du respect qui
était du à leurs charges.”
“La Compagnie ayant vendu les Iles de la Martinique et de la Guadeloupe
à Messieurs Du Parquet et Hoüel, le Gouvernement devint en quelque façon
monarchique, et chaque Ile ne dépendit plus que d'un Seigneur.”
“Les Gouverneurs étaient absolus, ils commandaient avec toute sorte
d'autorité, ... ils avaient aussi l'authorité d'en chasser (de l'Ile) ceux qui ne leur
agréaient pas.”
“... Chaque quartier forme une ou deux compagnies, selon que le
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quartier est peuplée, de sorte que tous les habitants sont soldats, et
obéissent aussi exactement à leur capitaine, qu'à Mr le Gouverneur, ...”
“Il n'y a point de garnison dans les Iles, mais les habitants sont obligés
de monter la garde chacun à son tour. On la monte huit jours de suite dans la
Guadeloupe, ... Cette garde de huit jours est assez incommode aux habitants
de la Guadeloupe, particulièrement à ceux qui sont seuls, car leur plantation
dépérit beaucoup par une si longue absence. Les maîtres de cases y peuvent
envoyer un de leurs gens, mais pas un de leurs esclaves, à qui on ne permet
pas de manier des armes.”
“Du temps que je demeurais à la Guadeloupe, l'on faisait régulièrement
l'exercice générale une fois le mois, ..”
“L'on ne se mariait point dans les Iles sans en avoir demandé la
permission au Gouverneur; et quiconque eut passé outre après sa défense, en
aurait été honteusement chassé ...”
“Personne ne peut sortir d'aucune Ile sans un congé par écrit, du
Gouverneur, et scellé du cachet de ses armes ... On l'obtient facilement, mais
celui qui veut sortir, est obligé de faire publier sa permission au Prône (sermon
du curé pendant la messe), pour avertir qu'il s'en va, afin que ceux qui lui
doivent, ou à qui il doit, viennent compter avec lui, si bien que personne ne
s'en va sans payer, et les capitaines des navires n'oseraient embarquer qui que
ce soit sans congé ...”
A toutes ses autres attributions, le Gouverneur joignait celle de
sénéchal. La justice sous sa main, commandant la troupe, son pouvoir était
sans limite. De par sa volonté l'habitant était saisi, emprisonné, mis aux fers. Il
dictait des arrêts de mort que le juge prononçait. Chose remarquable, sans
troupe soldée, sans gendarmerie, sans police, le Gouverneur, pour exercer son
despotisme, n'avait de force que celle que lui prêtaient les colons eux-mêmes.
4.3 - La justice au début de la colonisation - La justice laissait au
maître le soin de punir son esclave pour toutes les fautes ordinaires et elle
n'intervenait que lorsque celui-ci avait commis un crime.
Il n'y avait qu'un seul juge, à la fois civil et criminel, un procureur fiscal
et un greffier. Pour le civil, le juge tenait deux audiences par semaine. Les
parties se présentaient en personne, sans être assistées, ni d'avocats , ni de
procureurs. Comme il ne se faisait aucune écriture, que les plaideurs ne
connaissaient point l'usage des exceptions et des moyens dilatoires, que
d'ailleurs les questions soumises à la solution du magistrat étaient simples.
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Elles recevaient une solution à l'instant même et sans frais.
Avant l'établissement du Conseil Souverain, on appelait des sentences
du juge au Grand Conseil du Roi à Paris. Si peu de personnes dans la colonie
étaient en situation de tenter cette voie de réformation, c'était comme s'il n'y
avait pas eu un second degré de juridiction, c'est-à-dire la possibilité de faire
appel.
L'éloignement de la France était un obstacle financier important à cette
procédure d’appel.
Le corps de justice n'est composé dans chaque Isle, que d'un Juge : qui
porte tout ensemble la qualité de juge civil et criminel, ... d'un Procureur
fiscal, et d'un Greffier, sans Avocats, ni Procureurs. ... chacun plaide sa cause
lui-même ...
Il y des Notaires dans chaque quartier des Iles, qui reçoivent les
testaments, et qui passent toutes sortes de contrats, comme on fait en
France, mais ils le font à bien meilleur marché.
Les Iles ont été longtemps sans prisons, et l'on ne parlait point en ce
temps-là de geôlier, ni d'écroue.
4.4 - Les bâtiments publics et particuliers - Les maisons des
Gouverneurs sont toutes de pierres de taille et de moellons.
Selon R.P. Du Tertre : “Les bâtiments sont pour l'ordinaire fort peu
élevés, à cause de la violence des vents et des ouragans.”
“Je n'ai vu des vitres, qu'aux fenêtres des maisons des Gouverneurs,
tous les particuliers n'en ont point, soit parce que le verre est trop fragile, soit
parce que l'usage en est incommode à cause des chaleurs du pays, ...”
“Les cases des simples habitants ne sont encore palissadées que de
roseaux, particulièrement aux endroits où on ne craint pas les incursions des
Sauvages; ces logements n'ont que des salles basses, séparées en dedans en
deux ou trois chambres, ...”
“Celles de plus pauvres, sont couvertes de feuilles de cannes, de roseau,
de latanier et de palmiste, et celles-là sont incomparablement plus agréables
que nos chaumines de France.”
“La cuisine est toujours séparée de la case .... quelque coffres, une
table, un lit, et des bancs, font tout l'ameublement des cases. Les personnes
mariées ont des couches comme en France : mais les autres n'ont que des
hamacs pendants, dans lesquels, ils se couchent à la façon des Sauvages et
outre que l'usage en est commode, ils ne font pas de dépense, d'autant qu'il
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ne faut ni oreiller, ni draps, ni couverture, de sorte qu'un bon lit de coton suffit
pour la vie d'un homme.”
4.5 - La communication - Les journaux étaient inconnus dans la
colonie. Ce que l'on voulait porter à la connaissance du public, les
avertissements à lui donner, étaient envoyés au curé, qui en faisait la
publication, le dimanche, au prône de la paroisse. Lorsqu'un habitant avait
obtenu du Gouverneur l'autorisation de s'absenter de la colonie, comme il ne
pouvait laisser des dettes, le curé publiait son départ, afin que les créanciers
fussent avertis. On allait donc à l'église non seulement pour assister à l'office,
mais encore pour avoir des nouvelles, être informé des actes de
l'administration.
4.6 - Le colon et la capitation - La capitation (vient de capet :
tête) est un mode ancien d'imposition par tête. Chaque contribuable payait un
impôt par personne vivant dans son foyer.
Le droit de séjour dans l'île, ou si l'on aime mieux de capitation, était en
effet énorme, surtout pour ceux qui n'avaient pas grand'chose. Rendu dans
l'île, le colon devait d'abord employer son temps à se bâtir une demeure; ne
fût-ce qu'une hutte, il lui fallait un lieu pour être mis à couvert. Pendant ce
temps, et avant que les vivres, qu'il avait plantés arrivent à maturité, ses
faibles ressources, s'il en avait, étaient dépensées en objets alimentaires.
Cependant, dès la première année de séjour dans l'île on était tenu de
livrer à la compagnie cinquante livres de tabac. Cette loi était générale : on
exigeait ces 50 livres de tabac, des "libres" (noirs ou mulâtres affranchis), des
engagés, des esclaves, des femmes, des filles et des enfants au-dessus de dix
ans. Il va sans dire que les maîtres payaient pour les esclaves et les engagés.
La compagnie ne voulait rien payer ni pour le traitement du Gouverneur,
ni pour l'entretien des fortifications. Pour y faire face, le Gouverneur
demandait à chaque habitant vingt-cinq livres de tabac.
Le R.P. Du Tertre précise : “Chacun payait à son Seigneur (le
Gouverneur), les cent livres de petun (tabac), qu'on avait coutume de payer à
la Compagnie : tous les Blancs et les Noirs, hommes et femmes, libres, et
esclaves, au-dessus de dix ans payaient ces droits, excepté quelques officiers
qui avaient un certain nombre de leurs gens exemptés, ...”
“Les ecclésiastiques et les libres Créoles, c'est à dire, ceux qui étaient
nés dans le pays ne payaient pas de droits.”
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“C'était l'unique obligation des habitants des Iles, car il n'y avait ni
tailles, ni impôts, ni douane pour l'entrée et la sortie des marchandises.”
“On ne payait point ... de taxes pour la vente des habitations, et
lorsqu'on voulu établir cette coutume, le peuple se souleva, et la Compagnie
fut obligée de n'y plus penser, parce qu'on lui fit savoir que cela aurait ruiné
les habitants, qui ne créaient des habitations que pour les vendre; et la plupart
des habitations en ce temps-là, changeait deux ou trois fois de maître en une
année.”
Aucun navire autre que ceux de la Compagnie des Indes-Occidentales ne
pouvait apporter des marchandises. Le prix des marchandises était fixé par les
commis de la Compagnie des Indes-Occidentales, qui fixaient également le prix
des denrées que le colon devait offrir en échange.
Ce système réservait la part du lion à la Compagnie et lésait les colons.
Mais ce qui occasionnait le plus grand mécontentement, était que la
Compagnie des Indes-Occidentales laissait la colonie pendant plus de la moitié
de l'année dans le grand dénuement.
4.7 - La répartition des terres - Contrairement à
l’Angleterre, qui a fait payer la terre à ses colons, pour les inciter à la mettre
rapidement en valeur; la France a opté pour le principe de la gratuité, ce qui a
donné des résultats médiocres.
Les ordonnances royales et les arrêts du Conseil d'Etat ne précisent pas
l'étendue des concessions. Mais il fut rapidement admis que pour former une
habitation, il fallait de 100 à 300 carrés, c'est-à-dire environ 100 à 300
hectares.
Le Père Labat dit que les administrateurs concédaient des étendues de
terrain "à proportion des besoins et des forces" des postulants, estimés en
têtes d'esclaves. Pour acquérir des terres, les formalités demeuraient les
mêmes qu'au début de la colonisation. Les demandeurs présentaient un placet
au Gouverneur et à son intendant; ils déclinaient leur qualité et indiquaient quel
terrain ils convoitaient, avec les dimensions de la concession. Un certificat du
capitaine du quartier et de l'arpenteur royal devait attester l'exactitude des
références et assurer que le terrain était libre.
Conjointement, le Gouverneur et l'Intendant accordaient la concession,
qui devait être inscrite au Greffe et, en principe, confirmée l'année suivante
par le Roi.
Le jour de la prise de possession, les nouveaux concessionnaires
devraient convoquer les voisins et procéder au bornage pour éviter les litiges.
22
La concession durait aussi longtemps que la capitation était payée.
Selon Guy Lasserre dans sa géographie de la Guadeloupe : “Dans un
premier temps dans l’île de la Basse-Terre, on donna à chaque colon une
concession de 200 pas de large sur 1.000 pas de long (le pas = 0,974 m),
soit un terrain de 24 ha 20 ares. Ensuite, les nouvelles concessions eurent
200 pas de large sur 500 pas de long, soit 12 ha 10 ares.”
“La première bande de terrains de 50 premiers pas géométriques était
réservée au Roi pour la défense de l’île ; ensuite débutaient les attributions de
concessions, qui variaient en fonction des pentes montagneuses et des cours
d’eau,” qui formaient une limite.”
“Dans les autres îles plus plates, le partage géométrique s’est poursuivi
dans l’intérieur des terres, sauf pour les zones morneuses incultivables.”
“Le cadastre de 1732 pour la Grande-Terre est accompagné de matrices
donnant le nom du propriétaire et la surface du domaine. 651 propriétés
étaient installées dans l’île, dont 119 habitations-sucreries. Celles-ci
couvraient une surface variant entre 100 et 200 hectares. Trois avaient entre
300 et 600 hectares et quelques petites avaient entre 20 et 30 hectares.”
“En conclusion, les terres cultivables étaient revenues aux grandes
propriétés des Maîtres de “cazes” sucriers ; les terres sèches, marécageuses,
morneuses restaient à la disposition des petits propriétaires. La côte sous le
vent peu propice à la grande culture de la canne à sucre restait réservée aux
petits blancs héritiers des 36 mois.”
4.8 - La dépendance vis-à-vis de la Martinique - Lorsque l'île de
la Guadeloupe fut rattachée au Domaine Royal en 1664, elle fit partie du
gouvernement des Iles d'Amérique qui siègait au Fort Royal de la Martinique,
et qui devint le gouvernement des Iles du Vent en 1712.
Devenue une capitale et les autres îles des provinces, la Martinique,
comme toutes les capitales, fut tout, et les autres îles rien. A elle allaient
toutes les faveurs. Son Gouverneur, plus élevé en grade, plus richement
rétribué, était mieux choisi. Bien qu'en sa qualité de chef suprême, il dut
donner ses soins à toutes les contrées placées sous son obédience, lui
demander qu'il étendit sa sollicitude au même degré sur toutes les îles eût été
exiger de lui ce qui n'est pas dans la nature humaine.
Sa prédilection était et devait être pour le lieu de sa résidence, pour les
personnes qui l'entouraient. Il lui importait moins qu'une autre colonie que
celle soumise à son administration immédiate fût conquise par l'ennemi :
partant, celle-ci était toujours mieux pourvue d'armes, de munitions, de
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troupes, de vivres. Les choses, à cet égard, furent poussées si loin qu'un
moment vint où le ministre dut faire cette observation à De Blénac : "Le Roi
regarde les autres îles avec les mêmes yeux que la Martinique".
Malgré cela, l'arrêt du Conseil d'Etat de novembre 1688 condamna
toutes les îles à la souffrance au profit du bien-être et de la prospérité d'une
seule île. Par cet arrêt, toutes les prises devaient être conduites et vendues à
la Martinique.
Le résultat de cet état de chose fut que la Martinique devint l'entrepôt
de toutes les denrées coloniales : on ne les trouvait que là. La ville de BasseTerre fût désertée par les navires de commerce, forçant les colons de la
Guadeloupe à transporter leurs sucres à la Martinique.
Les autres colonies n'achetant et ne vendant qu'en seconde main, après
avoir payé des frais de cabotage et une commission au commerce de la
Martinique. Par conséquence, le prix des objets de consommation fut par elles
plus élevé et celui des denrées fournies en paiement plus bas. Aussi, elles ne
faisaient pas de progrès, tandis que le chef-lieu éblouissait par son éclat et sa
prospérité.
La prospérité de la Martinique appelant plus de faveurs, et la faveur
développant de plus en plus cette prospérité, la compagnie d'abord, puis les
ministres après, n'entendant parler que de cette île, finirent par ne voir qu'elle
seule.
D'autorité le préjugé descendit jusque dans le peuple, passa dans le
langage commercial : le café, le sucre de toutes les îles en général, étaient dits
: “sucre, café Martinique”.
Les savants aussi se laissèrent entraîner par le torrent. Ils ne pouvaient
croire qu'une colonie qui avait tant de renommée n'eût pas une étendue plus
considérable que celles dont on ne disait rien : dans les cartes du golfe du
Mexique dressée au XVIII° siècle, la Martinique est figurée plus grande que la
Guadeloupe.
Pendant la guerre de Sept Ans, l'escadre anglaise arriva le 23 janvier
1759, deux jours après le Fort St Charles tomba. Débarquant à nouveau au
Gosier, les Anglais attaquèrent à revers le réduit Français (sis à Gourbeyre),
prirent successivement Capesterre et Trois-Rivières. Les colons se rendirent
en avril 1759. La Guadeloupe devenait anglaise. Les conséquences
économiques furent très favorables à l'île. Les Anglais développèrent l'activité
sucrière et surtout ils permirent la création de la ville de Pointe-à-Pitre au
milieu des marais et l'utilisation de la rade du Petit Cul de Sac. Ce site
24
excellent permit à la colonie d'avoir un véritable port et un abri sûr par tous
les temps, bien protégé par les îlots.
Ce n'est qu'après l'occupation anglaise que le Gouvernement Français
pris conscience de son importance et toutes les richesses qui étaient
renfermées dans son sein. Mais cette dépendance vis-à-vis de la Martinique ne
cessa réellement qu'après la départementalisation en 1948, après trois siècles
de colonisation. Cette injustice se ressent encore dans le comportement des
Guadeloupéens.
4.9 - Un aveu toujours
d’actualité
- Créées uniquement pour
fournir à la France ce qui lui manque et pour recevoir ce qu’elle a en trop, nos
possessions d’Amérique ont fluctué au point de vue économique, entre des
alternatives brusques de grande prospérité et de profonde misère. La
métropole réussit difficilement à stabiliser la richesse aux colonies. Elle ne sait
jamais définir quel genre de produits leur demander. Selon ses besoins, elle les
incite un jour à cultiver abondamment ce que demain elle prohibera avec
véhémence, sans souci des possibilités et des répercussions. Et c’est ainsi
qu’en 1756 le duc de Choiseul, dans un rapport adressé au comte d’Ennery,
gouverneur de la Martinique, et au comte Nolivos, gouverneur de la
Guadeloupe, leur fit les aveux suivants qui conservent une certaine actualité : “
... Les colonies fondées par les diverses puissances de l’Europe ont toutes été
établies pour l’utilité de leurs métropoles; mais, pour se servir utilement des
choses, il faut les connaître; et ces établissements, occupés d’abord au
hasard, formés ensuite sans connaissance de leur véritable utilité, sont encore
aujourd’hui, après un siècle de possession, très imparfaitement connus ou
même tout à fait ignorés de la plupart de ceux qui les possèdent.”
5 - La Compagnie des Indes Occidentales
5.1 - Une idée fausse - Les gouvernants ne s'entêtent pas moins que
les peuples dans une idée fausse : pour les uns comme pour les autres, elle
forme un préjugé qui ne peut être guéri qu'avec la puissance du temps.
On était convaincu que les colonies ne pourraient être fondées, prendre
du développement et devenir profitables à l'Etat que par les compagnies :
avec une compagnie, il fallait un privilège; ces deux choses ne marchent pas
l'une sans l'autre.
25
5.2 - La création de la Compagnie des Indes-Occidentales - Par
acte du pouvoir royal, le 31 octobre 1626 a été créé la première compagnie
dite de Saint-Christophe. On y lit : "Que d'Esnambuc et du Rossey prendront
possession des îles de Saint-Christophe et autres, et ce, pour y trafiquer et
négocier des deniers et marchandises qui se pourront recueillir et tirer
desdites îles et de celles des lieux circonvoisins. "
Richelieu voulut bien laisser supposer que l'intérêt des "sauvages"
entrait aussi dans le plan de colonisation. Les indigènes devraient aux colons
les lumières et les bienfaits du christianisme.
Le grand objet de la colonisation fut le commerce, et pour le développer
l'on adopta précisément le moyen le plus propre à paralyser son essor, le
système d'une compagnie, en autres termes, un intérêt particulier. Une fois
entré dans cette voie, il fallut recourir à toutes les mesures restrictives et
prohibitives nécessaires à la sauvegarde de cet intérêt.
Le commerce vit dans la liberté et l'espace; on lui enleva l'espace et la
liberté.
A la compagnie seule furent réservés le soin et le droit d'approvisionner
les colonies de tous les objets nécessaires en échange de l'achat de toutes les
denrées récoltées et fabriquées.
Les prix étaient déterminés par des commis, qui apportaient dans leur
mission un arbitraire inintelligent et sordide.
Les navires, allant aux îles, ne purent s'expédier que de deux ports, Le
Havre et Saint Louis, et il y avait obligation pour eux d'effectuer le retour dans
un seul, Le Havre.
Les colons exaspérés traitèrent avec les hollandais. La prospérité de la
colonie et les bénéfices qu'en tirait le commerce libre avec la Hollande auraient
dû être un enseignement. Ces faits ne donnèrent aucune lumière. On ne trouva
rien de mieux que de tenter encore une fois ce qui avait si mal réussi. On
reconstitua la Compagnie des Indes-Occidentales le 12 février 1635. L'autorité
royale livra tout à la nouvelle compagnie, ne gardant pour elle que la
nomination du Gouverneur et des officiers de justice.
Mais ce n'est pas parce que la première compagnie n'avait pas des
privilèges assez étendus, qu'elle avait été conduite à sa ruine; elle avait péri
par l'impéritie et l'avidité de ses agents. Les mêmes causes produiront les
mêmes effets.
En réfléchissant à tous les obstacles que les premiers colons ont
rencontrés, on est étonné qu'ils aient pu en triompher. En lutte avec le climat,
26
les tremblements de terre, les ouragans; obligés de se défendre contre les
attaques continuelles des Caraïbes, il leur fallait encore livrer sans cesse des
assauts à la politique insensée des agents de la Compagnie des IndesOccidentales.
5.3 - Le privilège du pavillon français - Jusqu’à l’effondrement
récent de la marine marchande, l’état a toujours imposé le privilège du pavillon
français, c’est à dire que les importations et les exportations entre la France
et les colonies, puis Départements s’Outre-Mer se faisaient obligatoirement
par des navires français.
Ce principe du refus de la concurrence se traduit par des prix excessifs
pour les usagers et par un relâchement dans la gestion pour les entreprises
ayant le monopole.
Après les échecs de la Compagnie des Indes Occidentales et puis de la
Compagnie Générale Transatlantique, le Gouvernement a donné le privilège à
Air France en matière de transport aérien. Nous constatons après des dizaines
d’années de trafic les pertes gigantesques de cette Compagnie, dont les coûts
de transport sont deux fois plus élevés que ceux de ces récents concurrents
dans le cadre du nouveau marché Européen.
Avec le Marché Commun, la concurrence s’est faite au profit des
utilisateurs.
6 - L’esclavage
6.1 - Les débuts de l'esclavage - On croit généralement que la
malheureuse idée d'introduire des noirs aux Antilles, de faire la traite, est due
à Las-Cazes, qui pour soulager le sort des naturels (Améridiens), demanda et
obtint qu'on allât en chercher à la côte de Guinée. Cette croyance pour être
accréditée n'est pas moins le résultat d'une erreur.
Depuis 1406, soit environ un siècle avant l'arrivée de Colomb en
Amérique (1692), des noirs avaient été apportés et vendus à Séville. En
1442, ils étaient exposés en vente sur le marché de Lisbonne.
Les Espagnols ayant exterminé les naturels d'Ispagnola (actuellement St
Domingue / Haïti), pour remplacer leurs bras dans les travaux des mines, il
fallut d'autres bras, et c'est en Afrique qu'ils allèrent en chercher. En 1503, il
y avait à Saint-Domingue des noirs en quantité considérable. En 1511, la cour
de Madrid, après s'être glorifiée de la prospérité de la colonie, attribuée à une
27
faveur du ciel à cause de la multiplication des églises, prescrit le transport aux
îles de beaucoup de noirs de Guinée, "puisqu'un nègre travaille plus que quatre
indiens ". C'est en 1517, sur la proposition de Las-Cazes "de donner la
permission aux colons d'amener des nègres pour soulager le sort des naturels"
qu'un privilège fut donné à des Flamands d'introduire aux îles quatre mille
nègres.
Les Anglais ne tardèrent point à suivre les traces des Espagnols. En
1562, ils envoyaient chercher des noirs dans les colonies espagnoles et en
1618, à Londres, une Compagnie des Indes-Occidentales était organisée et
obtenait le privilège exclusif de chercher des cargaisons d'hommes pour les
revendre.
La France ne vint que plus tard dans ce honteux trafic. Louis XIII s'est
longtemps opposé à l'établissement de l'esclavage. Aux Etats-Généraux de
1614, il y avait eu ce vote :"Le Roi est supplié d'ordonner que tous les
seigneurs soient tenus d'affranchir dans leurs fiefs tous les serfs".
Le premier acte législatif touchant à la traite porte la date du 11
novembre 1673, quelque trente ans après la mort de Louis XIII. Dès le début
de la colonie, les noirs furent introduits, les premiers provenaient d'un navire
espagnol, capturé par un dénommé Pitre, vers 1643.
Au début de la colonie vers 1660, le préjugé de couleur n'existait pas. Il
n'était pas rare de voir des blancs épouser des noires. Mais, s'il est vrai, que la
loi forme les moeurs, le législateur ayant placé l'union du blanc et de la femme
noire au nombre des délits punissables de peines afflictives et infamantes, ce
dont il ne faudrait s'étonner ce serait que la défense de la loi, ne se fût, à la
longue, infiltrée dans la coutume et n'eut fini par acquérir la puissance d'un
préjugé; alors surtout que nous verrons le législateur persister dans sa
prohibition, dont l'effet est efficace sur l'esprit de l'homme.
Le malheur, c'est qu'un préjugé une fois établi n'est pas facile à guérir.
6.2 - Le "Code Noir"
- Cet acte important précédait de peu la
révocation de l'Edit de Nantes. L'édit de mars 1685, vulgairement appelé le
Code Noir, avait été promulgué par Seigneley. Ce code était pour les colonies,
le pendant de l'Edit de Nantes. Pour amener les protestants à une abjuration,
ils n'étaient point encore violentés, mais il leur était défendu de se réunir pour
prier; ils ne pouvaient être employés sur les habitations comme commandeur;
leurs mariages étaient nuls, ne produisaient aucun effet civil, les enfants en
provenant étaient dits des bâtards.
28
Sauf l'intolérance religieuse, et en général, une trop grande sévérité
dans la répression des délits, le principe de l'esclavage admis, l'édit
sauvegardait tous les droits, ceux du maître comme ceux de l'esclave et de
l'affranchi.
La nourriture, les vêtements à fournir à l'esclave étaient prévus,
déterminés. Victime des actes de violence de son maître, il était reçu à porter
plainte au procureur du roi, qui devait informer et poursuivre.
Tout maître avait le droit d'affranchir son esclave. De sa volonté, le
colon faisait de son esclave un citoyen. Les colons affranchirent beaucoup et
la Métropole éleva des digues entre leur volonté et l'affranchissement.
Il est juste d'observer qu'à l'époque de la promulgation du Code Noir, et
même plus tard, la législation criminelle de toute l'Europe était empreinte
d'une grande barbarie. C'était le temps de la torture, de la roue et du bûcher;
le temps où le vol domestique était puni de mort; celui où l'on attachait à
répandre de l'ignominie sur la personne des condamnés, où l'on s'acharnait
quelquefois sur leurs cadavres.
6.3 - L'église et l'esclavage - A cette époque, où le clergé avait
tant d'empire sur les hommes, parlant au nom d'un Dieu mort en prêchant la
liberté et l'égalité de tous, n'aurait-il pas pu empêcher l'établissement de
l'esclavage ?
Il aurait été beau au moins de le tenter. Mais il plaçait plus sa mission
dans le dogme que dans la morale. Les grandes vérités du Christianisme
consistaient pour lui dans quelques pratiques. Et puis, possesseur lui-même
d'esclaves, il ne pouvait s'élever contre l'esclavage.
La simple lecture des récit du R.P. Labat montre l'état d'esprit des gens
de cette époque, y compris le clergé.
Le R.P. DUTERTRE est le seul (à ma connaissance) qui exprime dans ses
écrits de la compassion sur la situation difficile des esclaves.
6.4 - La lourde responsabilité de l'Ancien Régime - Le système
esclavagiste sur lequel repose la société coloniale de 1635 à 1848 a plusieurs
dimensions : politique, économique, sociale et religieuse. Le Roi de France
jusqu'à Louis Philippe est le suprême garant de l'ordre esclavagiste veillant au
cloisonnement des castes (Blancs et Noirs). C'est lui qui promulgue l'édit de
1685 connu sous le nom de Code Noir. C'est le monarque - au vrai, ses
ministres et ses commis - qui écrit au Gouverneur des îles du Vent (26
29
décembre 1703) : "Le roi ne veut pas que les titres de noblesse des sieurs
soient examinés ni reçus, parce qu'ils ont épousé des mulâtresses, ni que
permettiez qu'on rende aucun jugement pour la présentation de leurs titres."
C'est lui qui prend la mesure d'écarter de la vie publique, "de toutes
espèces de fonctions et charges publiques dans les colonies", non seulement
les affranchis mais leurs descendants à quelque degré qu'ils se trouvent : en
un mot les "sang-mêlé", tous "ceux qui sortent d'une race nègre".
Elle est formulée pour la première fois en 1733 dans un ordre du roi à
l'adresse des îles du Vent :
"L'ordre du roi, Monsieur, est que tout habitant de sang mêlé, ne puisse
exercer aucune charge dans la judicature, ni dans les milices. Je veux que tout
habitant qui se mariera avec une Négresse ou mulâtresse ne puisse être
officier, ni posséder aucun emploi dans la colonie (.....) au cas que je sois
informé, qu'on ne l'ait pas été, d'un fait aussi important, je casserai, lorsque
j'en aurai connaissance, les officiers qui seront dans les milices ou qui auront
d'autres emplois."
L'édit de décembre 1723 déclare en outre : "les Nègres incapables de
recevoir des Blancs aucune donation entre vifs à cause de mort, ou
autrement".
La Couronne, enfin, règle les affranchissements et veille à contenir le
groupe des gens de couleur libres ou esclaves.
6.5 - La première révolte à Capesterre - Après le cyclone de
1656, les esclaves africains se révoltèrent dans le quartier de la Capesterre. Il
y avait parmi eux deux plus résolus et plus intelligents que les autres. C'était
Pèdre et Jean-Leblanc, qui avaient appris le maniement des armes. JeanLeblanc était de la côte d'Angole, Pèdre du Cap-Vert.
Ils avaient dans le secret préparé leurs compatriotes à se soulever. Il
s'agissait d'égorger tous les blancs et de fonder à la Guadeloupe deux
royaumes, l'un à la Capesterre gouverné par le roi Jean-Leblanc, et l'autre à la
Basse-Terre où serait le siège de la cour de Pèdre.
Le jour de la révolte venu, les noirs du Cap-Vert manquèrent au rendezvous. Jean-Leblanc et ses hommes ne les attendirent point. Ils fondent sur
l'habitation la plus proche, en égorgent les habitants, s'emparent des armes et
s'enfoncent dans les bois.
Pendant quinze jours, ces révoltés se tenant sur la lisière des bois,
épiant le moment favorable, se ruaient tantôt sur une habitation, tantôt sur
30
une autre, portant partout la désolation : ils pillaient les propriétés et
égorgeaient les blancs qui leur tombaient sous la main.
Un colon nommé Despinay, s'offrit pour aller réduire les insurgés. Il
choisit vingt autres colons, dont le courage et la résolution étaient connus.
Mis sur la piste des brigands par un pisteur brésilien, il les rejoignit et les
révoltés furent tous tués ou pris. Pèdre et Jean-Leblanc, attrapés vivants,
furent écartelés.
6.6 - L'esclavage, la résistance et la répression - Très tôt se
développe un processus de résistance des esclaves qui s'efforcent de saper
les bases de l'esclavagisme.
Sur les vaisseaux négriers, les captifs africains tentaient déjà de se
libérer. Sur les plantations, bossales (nouveaux africains) ou créoles (nés aux
îles) complotent, se rebellent, s'enfuient. Les fugitifs ou Nègres marrons se
regroupent dans les bois et organisent leur défense en tissant un réseau
d'informateurs parmi les libres, qui leur procurent des armes, des munitions,
des aliments, voire de l'argent.
Les bandes de Nègres marrons cheminent dans les forêts de BasseTerre et de Grande-Terre. Les insurrections d'esclaves, qui se multiplient avec
le développement de la monoculture sucrière, entrent dans une phase prérévolutionnaire après la guerre de Sept Ans (1756-1763).
6.7 - Les sources du préjugé de couleur - L’historien Auguste
Lacour a bien traité ce sujet que je reprend en l’état :
“Les dénombrements dressés pour l'année 1789, portent la population
totale de l'île à 106.593 habitants, divisés comme suit :
Blancs
Libres
Esclaves
13.712
3.058
89.823
“De blanc à blanc, la noblesse n'existait pas. Ce qui constituait
l'aristocratie était non les parchemins, mais la couleur. Aux blancs, aux
individus de race européenne étaient exclusivement réservées les fonctions
publiques, lucratives ou honorifiques.
“Dans l'échelle sociale, après le blanc venait l'homme de couleur. A lui
étaient laissés les métiers. Il pouvait s'enrichir par le négoce, acquérir des
habitations, des esclaves; mais c'était tout. Il n'aurait pas pu exercer la
profession de médecin, tenir une pharmacie. Il servait dans la milice, mais dans
des compagnies séparées, et sous des chefs blancs. Le blanc n'avait pour lui
31
aucune antipathie; au contraire, il était disposé à lui rendre tous les services en
son pouvoir, pourvu que la nature de ces services ne sortît pas de la sphère
des faits qui descendent du patron au client.
“La bienveillance n'allait pas jusqu'à permettre à l'homme de couleur de
franchir le seuil de la porte et de venir s'asseoir au foyer. Le blanc qui aurait
contracté une alliance avec une fille de couleur, reçu un mulâtre à sa table ou
dans son salon, aurait été mis au ban de la société.
“Pourtant au début de la colonisation, le préjugé de couleur n'existait
pas, des blancs contractaient des unions légitimes avec des noires et des
mulâtresses.
“Comment est venu le préjugé ?
“Un des premiers actes que nous rencontrons en Guadeloupe, touchant
l'homme de couleur, est l'ordonnance du Sieur Tracy, qu'il publia à son arrivée
aux Antilles.
“En attachant une note d'infamie au fait de procréer un mulâtre, en
rendant l'auteur de ce fait passible de peines afflictives et infamantes, le
lieutenant général dût brouiller les idées. Il n'était pas possible qu'à la longue,
on ne regardât pas comme d'une nature différente l'enfant, dont la naissance
avait pour le père une cause de déshonneur.
“Le blanc, qui contractait de semblable alliances, était déchu de ses
droits; le noble qui dérogeait, ne pouvait plus réclamer les privilèges résultant
de ses titres, ni les transmettre à ses descendants.
“Les lettres, les instructions, les ordres ministériels venaient tour à tour
tracer à cet égard le devoir des gouverneurs et des conseils supérieurs.
“Voici une lettre du ministre de la marine, en date du 27 mai 1771, elle
est adressée au Gouverneur de Saint-Domingue :
"J'ai rendu compte au roi de la lettre de MM. de Nolivos et de Bongars
du 10 avril 1770, contenant leurs réflexions sur la demande qu'on fait les
sieurs ..... de lettres-patentes qui les déclarent issus de sang de race indienne;
Sa Majesté n'a pas jugé à propos de la leur accorder; elle a pensé qu'une
pareille grâce tendait à détruire la différence que la nature a mise entre les
blancs et les noirs, et que le préjugé politique a eu soin d'entretenir comme
une distance à laquelle les gens de couleur et leurs descendants ne doivent
jamais atteindre; enfin qu'il importait au bon ordre de ne pas affaiblir l'état
d'humiliation attachée à l'espèce, dans quelque degré qu'il se trouve, préjugé
d'autant plus utile, qu'il est dans le coeur même des esclaves, et qu'il
contribue principalement au repos des colonies : Sa Majesté a approuvé en
32
conséquence que vous ayez refusé de solliciter pour les sieurs ...... la faveur
d'être déclarés issus de race indienne, et elle vous recommande de ne
favoriser sous aucun prétexte les alliances des blancs avec les filles de sang
mêlé. Ce que j'ai marqué à Monsieur le comte de Nolivos, le 14 de ce mois, au
sujet de M. le marquis de ...... , capitaine d'une compagnie de dragons, qui a
épousé en France une fille de sang mêlé, et qui par cette raison ne peut plus
servir à Saint-Domingue, - de comprendre sa compagnie dans les emplois
vacants, - vous prouve combien Sa Majesté est déterminée à maintenir le
principe qui doit écarter à jamais les gens de couleur et leur postérité de tous
les avantages attachés aux blancs."
“Cette position équivalait à une prohibition, qui ne se bornait pas
uniquement aux classes privilégiés.
“Ainsi c'est dans un intérêt gouvernemental qu'en France on entretenait
le préjugé de couleur, qu'était défendu tout rapprochement entre le blanc et le
mulâtre. Lorsque le sang aura coulé, on répudiera ce funeste système de
division, mais le préjugé, s'étant déjà infiltré dans les moeurs, restera, et le
colon en sera rendu responsable.”
6.8 - La destruction du système esclavagiste - "Il faut détruire
l'esclavage, non seulement pour les esclaves mais pour les maîtres, car il
torture les uns et déprave les autres." C. Schnakenbourg
Sous la pression de l'insurrection générale des esclaves de Saint
Domingue en août 1791, les commissaires civils envoyés par la Convention
durent proclamer le 29 août 1793 la liberté générale. La Convention
montagnarde confirma et renforça ces décisions par son décret du 16 pluviôse
an II (4 février 1794), qui abolit l'esclavage dans les colonies françaises. Elle
dépêcha en Guadeloupe deux commissaires, Pierre Chrétien et Victor Hugues,
avec mission de reprendre l'île aux occupants anglais.
Ils reprirent l'île aux Anglais après de nombreuses batailles au Gosier, à
Pointe-à-Pitre et à la Baie-Mahault. Les Anglais vaincus, signèrent un armistice,
avec Victor Hugues. Ils abandonnèrent l'île et leurs alliés les blancs
guadeloupéens. Ceux-ci (environ 1.800 personnes) furent tous exécutés à la
Pointe de Jarry.
Maître de la Guadeloupe, Victor Hugues proclama l'abolition de
l'esclavage en 1794. Les noirs incultes restèrent en grand nombre dans les
exploitations agricoles. Les mulâtres et les "libres" ayant généralement une
certaine instruction, ils formèrent l'encadrement nouveau de l'île sous la
33
révolution (administration, commerce, industrie, etc ...)
La classe de négociants de couleur enrichis dans le commerce étranger
avec la Nouvelle-Angleterre et la guerre de course (corsaire) s'affirme sous le
Gouvernement de Victor Hugues (1794-1798).
Elle fournit également un encadrement à l'armée insurrectionnelle qui
s'oppose au rétablissement de l'esclavage par Bonaparte en 1802. Elle dut
affronter la force expéditionnaire, commandée par le Général Antoine
Richepance.
Les forces en présence étaient d'une part, les troupes métropolitaine du
Général Richepance et d'autre part, les troupes locales créées par Victor
Hugues. Elles furent vaincues en partie à cause des hésitations des deux chefs
Magloire Pélage et Louis Delgrès, officiers d'origine martiniquaise, qui ne
voulurent jamais franchir le pas et faire la guerre révolutionnaire comme à
Haïti.
Les troupes locales se divisèrent : le Général Pelage se rendit, avec ses
régiments. Après de nombreux combats, autour de Delgrès périrent ses 800
soldats au Matouba. Ils se firent sauter plutôt que de se rendre à Richepance.
Les autres furent déportés en masse sur les côtes américaines.
Le 4 mars 1848, le Gouvernement provisoire (avant la proclamation de
la Seconde République) adopta le principe de l'abolition de l'esclavage dans les
colonies. Une commission d'abolition fut formée sous la présidence de Victor
Schoelcher, qui signa le décret d'abolition le 27 avril 1848.
6.9 – L’esclavage persiste de nos jours - Malheureusement,
l'esclavage existe encore. Selon l'O.N.U., il y aurait en 1993 environ 200
millions d'esclaves dans le monde. Esclaves économiques privés de tous leurs
droits : aux Indes, au Moyen Orient, en Amérique du Sud ... et esclaves à
l'ancienne mode dans de nombreux pays d'Afrique.
• Esclavage : un mal général en terre d’Islam : Anthropologue,
spécialiste de l’islam et connu pour sa liberté de ton à l’égard du monde arabomusulman, Malek CHEBEL publie « L’esclavage en terre d’Islam » (Fayard),
dans lequel il dénonce l’hypocrisie de nombreux pays musulmans à ce sujet.
Interrogé par Laurence d’Hondt, il répond :
LH – Votre livre est accablant pour l’islam !
MC – « Je ne veux pas accabler le monde musulman, mais l’interpeller en
lui demandant pourquoi il laisse l’esclavage se poursuivre dans le silence. Cela
fait deux siècles que le christianisme travaille sur cette question et l’interdit,
34
au nom des droits de l’homme. Mon livre veut nommer un mal général en terre
musulmane qui fait que la personne humaine n’est pas respectée dans sa
dignité d’homme. »
LH – Pourquoi cela ?
MC – « L’islam n’est pas une religion de repentance mais une religion
percutante, faite d’injonctions et fondée sur des certitudes. L’individu qui la
pratique n’est pas sujet aux doutes, qui sont antinomiques de sa religion. »
LH – Donc aucun sentiment de culpabilité ?
MC – « Pour le musulman, posséder un esclave est un signe de richesse,
une question de fortune qui n’appelle pas de culpabilité particulière. »
LH – Mais le Coran est pourtant explicite ...
MC – « Certes, le Coran incite à l’affranchissement d’un esclave, surtout
s’il est musulman. Mais il n’y a pas d’interdiction formelle de l’esclavage. En
islam, on peut dire qu’il est plus respectable d’être musulman que d’être un
homme. »
LH – Le Coran ne serait pas assez coercitif ?
MC – « Non. On se cache derrière le Coran pour justifier une pratique
honteuse. L’absence de culpabilité de l’esclavagiste vient de traditions
anciennes, de la pratique des gouvernements actuels et même de l’hypocrisie
des élites intellectuelles qui le dénoncent et affichent pourtant la présence
d’une bonne comme signe de réussite sociale. »
LH – La traite orientale diffère-t-elle de la traite occidentale ?
MC – « Oui. Fondée sur des bases économiques, la traite occidentales a
duré deux siècles. En Afrique, les Occidentaux ne sont pas venus chercher des
bonnes pour augmenter leur statut social, mais une main d’oeuvre. En Orient,
l’esclave pouvait évoluer au sein d’une famille ou d’une dynastie. Beaucoup
plus socialisée, intériorisée et donc difficile à chasser, la traite orientale a duré
quinze siècles.
LH – Et ce n’est pas fini ...
MC – « Sauf cas exceptionnels, comme en Mauritanie, l’esclavage n’est plus un
statut définitif. Il prend des formes diverses, comme la domestique ou l’ouvrier
dans le Golfe à qui l’on confisque sa carte d’identité. Il y a des foyers en pleine
expansion. A Beyrouth, des agences recrutent des bonnes asiatiques. Certains
efforts sont faits, comme au Maroc. On y recense près d’un million de bonnes,
souvent africaines et pas rémunérées. Le secrétaire d’État à la Famille tente
de leur donner des droits. La tâche est compliquée car ces personnels sont
souvent cachés. » (publication du 10 juillet 2008) 7 - La route des esclaves
35
7.1 – Trafic des esclaves – « Dépi lan Guinen, Nèg rayi Nèg » (Déjà
en Guinée, les Nègres haïssaient les Nègres). Ce proverbe créole rappelle que
la tragédie des esclaves commençait dès l’Afrique avec des trafiquants
africains, qui capturaient et vendaient leurs frères.
Toutes les sociétés humaines ont connu l’esclavage à un moment donné.
En Afrique Noire comme dans la Grèce antique, les vaincus devenaient les
esclaves des vainqueurs et travaillaient pour eux. Parfois, les vainqueurs
épousaient les femmes esclaves.
Dès le VIII° siècle, il existait un petit trafic organisé par les Arabes qui
traversaient le désert pour acquérir des esclaves, qu’ils emmenaient vers les
pays de la Méditerranée.
Au XVIe siècle, c’est un système de grande ampleur qui s’est mis en
place, avec l’approbation des grandes puissances européennes. Les colonies
d’Amérique réclamaient un grand nombre d’esclaves pour servir dans les
plantations. Les commandants des navires négriers vendaient de la pacotille
venant d’Europe aux Africains contre des esclaves. Ceux-ci étaient transportés
en Amérique où ils étaient vendus au prix fort. Les commandants des navires
négriers chargeaient alors du sucre, des épices, du coton, etc. qu’ils
revendaient très chers en Europe. Ce commerce était connu sous le nom de
“trafic du bois d’ébène” ou de commerce triangulaire.
7.2 – La route des esclaves - Tous les pays côtiers d’Afrique
vendaient des esclaves pour avoir des fusils, dans le but de se renforcer.
L’exemple du Dahomey est représentatif de cette organisation. Au début du
trafic, le royaume du Dahomey, vassal du royaume de l’Oyo, était un pays
continental et payait un tribut annuel de 45 esclaves.
Pour s’acquitter, le royaume du Dahomey a commencé la conquête du
royaume d’Allada, qui le séparait de la mer. Elle s’est fait petit à petit, tribu
après tribu. Chaque année, à la saison sèche, après les récoltes, le Roi qui
demeurait à Abomey, levait une armée parmi ses sujets paysans, pour faire
une guerre de razzia. La saison sèche avait l’avantage de pouvoir incendier les
herbes pour découvrir les ennemis en fuite qui s’y cachaient.
Les vaincus capturés étaient divisés en deux groupes : les “valeurs
sûres”, c’est-à-dire les artisans ou les prêtres vaudous qui étaient conservés
et les “autres” qui étaient acheminés vers la ville d’Ouidah, pour être vendus
comme esclaves. Dans toutes les autres régions, les sorciers faisaient
automatiquement partie de ceux qui étaient vendus. Ce qui explique le nombre
important de sorciers parmi les esclaves qui arrivaient aux îles.
L’Adjaho, second personnage du royaume, avait la responsabilité
générale des esclaves, il faisait le tri parmi les “valeurs sûres”. Il choisissait
ceux qui iraient servir au Palais Royal d’Abomey, ceux-là étaient
36
systématiquement castrés. Près du Palais, ils étaient regroupés dans le “Parc
des esclaves”, qui couvrait plusieurs hectares.
L’Adjaho désignait deux convoyeurs pour conduire les esclaves
enchaînés sur les 120 kilomètres, qui séparaient Abomey du lieu
d’embarquement près d’Ouidah. Chaque colonne avait 20 esclaves attachés à
un poignet par des fers et au cou par un collier ; une longue chaîne les
unissait les uns aux autres. Un des responsables avait la charge matérielle du
transport (nourriture, logement, encadrement, etc.) et l’autre devait veiller à
la santé des esclaves, qui étaient une valeur marchande. À chaque étape, il
faisait soigner les blessés et les malades, ...
Sur le trajet, il y avait 47 postes de contrôle qui percevaient des taxes
sur les caravanes d’esclaves, afin de les nourrir, les héberger et les soigner. À
chaque étape, les esclaves étaient drogués, pour leur faire oublier leurs
tourments, les endormir et surtout les calmer.
Lors de leur arrivée dans la ville d’Ouidah, les esclaves étaient enfermés,
dans l’esclaverie. Ils étaient mis dans un local sombre, afin de les habituer à
vivre dans la pénombre, car dans les navires négriers, ils seraient parqués
nombreux, sous les ponts, sans lumière. Dans l’esclaverie, beaucoup de
prisonniers faisaient des tentatives de suicide, certains mouraient
d’épuisement et aussi volontairement de faim.
Dans la ville d’Ouidah, le vice-roi Yovogan Dagaba était chargé de la
négociation avec les Blancs. Avant de présenter les esclaves, ceux-ci étaient
nettoyés, puis ils étaient oints avec de l’huile de palme, afin d’améliorer leur
aspect. Les transactions ne portaient que sur les sujets jeunes, les autres
n’intéressaient pas les colons. Les acheteurs vérifiaient la qualité de leurs
dents, de leurs bras et de leurs jambes, puis cherchaient à éliminer ceux qui
risquaient d’être malade. Ceux qui étaient sélectionnés étaient immédiatement
marqués au fer rouge, pour éviter les substitutions. Les négociations duraient
plusieurs semaines, afin d’établir le prix de vente de chaque esclave. Ce prix
était élevé, de l’ordre de 5 fusils, plus divers ustensiles pour un esclave, ce qui
représentait le salaire annuel d’un artisan boulanger de Paris.
Uniquement sur Ouidah, on estime que le trafic portait sur environ
10.000 esclaves par an, selon le témoignage d’un Danois. Ce commerce prit
fin au milieu du XIXe siècle, quand l’Angleterre et la France décidèrent
l’abolition de l’esclavage pour des raisons économiques et non de moralité ou
de justice. Le prix du sucre ayant baissé, avec la concurrence de la betterave,
l’esclave n’était plus rentable.
7.3 - Les ravages du trafic : La première conséquence est que
l’esclavage nourrissait la guerre en Afrique. Les Rois locaux, pour s’enrichir par
la vente d’esclaves, devaient faire la guerre aux tribus voisines. La demande
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des négriers Blancs a fortement augmenté le besoin d’esclaves pour satisfaire
le marché. La seconde conséquence est la perte pour l’Afrique de ses éléments
jeunes et dynamiques, qui ont été déportés en masse pendant plus de trois
siècles. Pour un esclave vendu, combien y avait-il de victimes ? Combien de
tués et de blessés pendant les razzias ? Les autres captifs invendables : trop
âgés, malades, blessés, orphelins, étaient conservés par les conquérants, mais
coupés de leurs racines.
Le nombre exact des victimes est très nettement supérieur à celui des
transportés en Amérique ; il est impossible à évaluer. De nos jours encore, des
conflits subsistent entre les descendants des trafiquants et ceux des esclaves
demeurés en Afrique.
Un grand nombre d’esclaves mouraient sur les navires négriers, car les
conditions de transport maritime étaient déjà mauvaises pour les équipages et
les passagers payants de la marine à voile (pas de place, pas de fruits, ni de
légumes frais, les ravages du scorbut). Les conditions étaient pires pour les
esclaves, qui subissaient le confinement dans les cales, le manque d’hygiène et
la mauvaise nourriture pendant le voyage qui durait un à deux mois.
8 - La guerre des épices - La journaliste Anca Bertrand a fait un travail
énorme pour préserver la mémoire des us et coutumes créoles, dans tous les
domaines. Sa revue “Parallèles” a permis à des nombreux antillais de
s’exprimer. Malheureusement, son décès prématuré a peut être marqué la fin
de ce travail.
Selon Anca Bertrand : “On ne peut pas expliquer le processus de la
découverte des Indes Occidentales, c'est-à-dire les Antilles, si on ne connait
pas le commerce européen et particulièrement celui des épices.
“Les épices étaient entre autres : la cannelle, la muscade, les piments,
l'anis, le gingembre, la girofle, le poivre (l'épice la plus chère et qui se vendit
au moyen-âge à son poids d'or).
“Ces épices venaient toutes de l'Inde et transitaient par l'Arabie vers
l'Europe, très friande de client de tout premier ordre.
“Le chemin des épices des Indes passait par l'Arabie, l'Egypte, la
Méditerranée et les Balkans, alimentant l'Europe du Centre, du Nord et de
l'Occident.
“Les Arabes, enrichis à ce commerce de transit, décidèrent d'éliminer les
autres intermédiaires et ce fut le grand mouvement d'expansion arabe sur
l'Egypte, l'Afrique du Nord, l'Espagne et la France.
“L'islamisation n'a été que le motif moral, le motif honorable, avoué,
38
pour cacher ce vaste mouvement de commerce, tout comme la
christianisation des contrées sauvages a été la couverture morale de
l'expansion coloniale.
“L'Europe a réagi contre cet encerclement du Commerce avec les Indes,
une première fois avec les Croisades, essayant de libérer le chemin de l'Inde
sous la même couverture : LA RELIGION.
“N'ayant pas abouti, l'Europe a essayé de trouver un autre chemin des
épices, en contournant l'Afrique. Et ce n'est pas un simple hasard que ce
soient précisément l'Italie, l'Espagne, le Portugal et la France qui aient alimenté
les recherches d'exploration et de la navigation à long parcours.
“Avec Vasco de Gama, l'Afrique est contournée et retrouvé le chemin
libre du commerce de l'épicerie.
“Ce n'est pas non plus un hasard que ce soit un Génois : Christophe
Colomb, qui ait reçu l'appui de l'Espagne pour tenter la découverte d'un autre
chemin plus court, plus direct, toujours vers l'Inde; c'était la marche par
l'ouest, vers le pays du Cipangou (Japon et Chine) et l'Inde.
“Ainsi, le commerce de l'épicerie (poste important dans le commerce
exotique comptant : tissus, pierres précieuses, chevaux, etc ...) amena la
découverte de l'Amérique et des Antilles (Ante-isles : les îles avant la TerreFerme) qui devinrent, non sans raison les Indes Occidentales, véritables
greniers du commerce de l'épicerie : muscade, girofles, cannelle, piments,
gingembre, vanille et sucre.
“Non seulement qu'il est nécessaire du point de vue de la culture
générale de connaître comment se développa le commerce de l'épicerie qui
fait partie de notre vie quotidienne, mais c'est à ce commerce que les Antilles
ont du leur essor et ont contribué à l'épanouissement de l'Europe Occidentale.
“Ce sont les Antilles (qu'on préféra au Canada en 1763) qui tout le long
du XVII° et du XVIII° siècles ont contribué non seulement à l'enrichissement des
Métropoles occidentales, mais ont libéré politiquement l'Europe de la menace
Arabe, ces transitaires devenus inutiles.”
8.1 - Pourquoi les épices ? - Jusqu’au XIXème siècle, les hommes
n’avaient aucun moyen de conserver les aliments, sauf à les mettre dans la
saumure, qui en transformait le goût. Au Moyen Age, un premier pas a été fait
avec la fabrication de pâtés par les pâtissiers, qui permettaient de donner à la
viande une durée de vie plus longue au prix d’une transformation du goût. Mais
en Europe, les préparations culinaires restaient fades, par manque d’épices.
39
8.2 - Un commerce très ancien - L'histoire nous apprend qu'au 18°
siècle avant Jésus-Christ, les Madianites (peuples de la Palestine méridionale)
venaient en caravane de Galaad (ville situé à l'est du Jourdain) et se
dirigeaient vers l'Egypte, où ils allaient vendent des parfums, de la myrrhe, de
la résine et des esclaves.
C'est à ces premiers marchands que les fils de Jacob vendirent leur frère
Joseph. Et la Bible nous dit que le jeune Joseph fut vendu par eux à Putiphar,
eunuque de Pharaon et commandant des gardes.
Le commerce de l'Egypte était, à cette époque, très florissant. Les
caravanes, qui s'y arrêtaient, étaient en sûreté, et, de là, pouvaient se rendre,
par de bonnes routes, en Ethiopie, en Afrique septentrionale, en Arabie, au
Niger, en Arménie, au Caucase, à Babylone, à Carthage.
C'est d'Arabie que les Egyptiens recevaient les aromates destinés à
l'embaumement des corps. Ils échangeaient ces produits contre du sel et des
plumes d'autruche.
Les Indiens (des Indes), eux, avaient une grande expérience du
commerce. Ils avaient leur réglementation et connaissaient, déjà la taxation
des prix.
"Les sanctuaires de Bénarès et de Jagrenat étaient des lieux de négoce,
comme, plus tard, le deviendront les monastères du Moyen-Age".
L'Europe, en grande partie inculte et pas civilisée, ignorait tout du
commerce qui se pratiquait en Asie et en Afrique. La monnaie n'étant pas
encore en usage, le commerce se faisait par troc. On échangeait des tissus,
des bijoux, des esclaves, contre des produits alimentaires.
Les marchands, en caravanes, se dirigeaient vers les pays qui avaient le
plus de denrées à échanger. Ils se faisaient escorter d'hommes armés à cause
du peu de sûreté des routes. L'extrême longueur des distances à parcourir
d'un point à un autre obligeait de ménager les forces des bêtes. C'était donc
des marchandises de faible volume qui étaient transportées.
En Asie, les Etats construisaient des caravansérails aux haltes choisies
par les caravanes; ces caravansérails devinrent vite des villages, puis des villes
très riches à cause du commerce qu'on y faisait.
C'est aux Phéniciens, peuples sémitiques, établis sur les bords de la
Méditerranée (la Syrie d'aujourd'hui) dès le 24° siècle avant Jésus-Christ, qu'il
revenait d'utiliser la voie maritime pour les transactions commerciales.
Les Phéniciens commerçaient pour leur propre compte, à la différence
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des autres peuples chez lesquels le commerce était un privilège royal. Leurs
premiers voyages nautiques, qui se situent au moment de la guerre de Troie,
en 1280 avant Jésus-Christ, se distinguent par des actes de piraterie.
Les vaisseaux phéniciens, qui avaient très peu de quille et qui étaient
presque ronds, naviguaient en longeant les côtes; ils se manoeuvraient au
moyen de grandes rames et d'une large voilure.
En s'orientant sur la constellation de la Petite Ourse, les Phéniciens
abordèrent la Grande-Bretagne et les ports de la Baltique. Le trafic, qu'ils
firent avec l'Egypte, l'Italie, l'Espagne, Israël, la Grèce, portait principalement
sur le blé, du vin, de l'huile, de la cire, des fruits, du miel, de la résine, des
parfums, etc ...
8.3 - La lutte entre la Croix et le Croissant pour la maîtrise du
commerce des épices - Au Moyen Age, le commerce extérieur se faisait par
la Méditerranée. Les Grecs et les Arabes nous apportaient les marchandises de
l'Orient, qu'ils chargeaient à Alexandrie."
"Mais les Croisades firent passer entre les mains des Francs cette source
de richesses. Les conquêtes des croisés, dit l'Abbé Fleury, leur assurèrent la
liberté du commerce pour les marchandises de la Grèce, de Syrie et d'Egypte,
et, par conséquent, pour celles des Indes qui ne venaient point encore en
Europe par d'autres routes. "
Toujours selon l'Abbé Fleury : "Gènes, Venise, Pise, Florence et Marseille
durent leurs richesses et leur puissance à ces entreprises."
"On ne peut se dissimuler, ajoute Chateaubriand, que la marine et le
commerce modernes ne soient nés de ces fameuses expéditions. Ce qu'il y eut
de bon en elles appartient à la religion, le reste aux passions humaines".
Après l’expansion de l’Islam en Egypte, puis Afrique du Nord et enfin en
Espagne, la route des épices par le sud était aux mains des commerçants
arabes. Les conquêtes des Turcs en Asie Mineure et dans les Balkans
fermaient la route caravanière des épices. La prise de Constantinople en 1453
et la chute de l’Empire Romain d’Orient causèrent un choc pour l’Occident, qui
prit conscience de la grave menace des Mulsulmans.
Les seules routes ouvertes étaient celles de l’ouest soit en contournant
l’Afrique, soit en traversant l’Atlantique.
8.4 - Les conséquences des routes des épices - En 1492,
Christophe Colomb, recherchant une nouvelle route commerciale pour se
41
rendre aux Indes, pays des épices, découvre le continent américain, dont il ne
soupçonnait pas l'existence. Une des routes des épices est ouverte.
Dès 1497, le portugais Vasco de Gama, par la route du Cap de Bonne
Espérance, arrive aux Indes; son second voyage sera "une véritable croisade
des marchands de poivre, de gingembre et de cannelle".
En 1520, toujours à la recherche de la route des épices, Magellan
découvre le détroit qui porte son nom. "Le grand explorateur portait comme
armes parlantes; un globe terrestre chargé de deux bâtons de cannelle, de
trois muscades et de douze girofles, avec comme tenants deux rois indigènes
couronnés portant à la main externe une branche d'épice et comme devise :
Primus me circumdedisti".
La découverte de la route des Indes et la possession des colonies
productrices d'épices donnèrent tour à tour à la Hollande, au Portugal, à
l'Espagne, à la France et à l'Angleterre richesses et puissance maritime et
furent l'occasion d'innombrables guerres, de rapines, de pillages.
C'est la fièvre de l'or, l'appât des richesses, qui occasionnèrent la
destruction des paisibles Incas et marquèrent les hommes de ce temps du
sceau de la honte, à cause de la traite et de l'esclavage, qu'ils pratiquaient
alors, bien que ce fût au nom de la "Très Sainte Trinité".
Les armateurs nantais, dieppois, bordelais avaient mis sur pied un trafic
triangulaire; le bateau quittait l'un de ces ports chargé de verroterie et autres
colifichets, les échangeait en Afrique contre du bétail humain, qui lui-même,
était troqué sur un point quelconque des régions américaines contre du petun,
de l'indigo, du sucre ou du rhum.
Cependant, si, pour certains, le commerce des épices était synonyme de
pleurs et de grincements de dents, d'autres, au contraire, lui durent l'origine
de leurs fortunes et de toutes sortes de privilèges et de considérations.
La famille des Médicis, qui régna sur la France, débuta comme épicier
droguiste. Elle n'en rougissait pas, étant donné qu'elle ajouta dans ses
armoiries 3 grains de poivres à côté des fleurs de lis du blason des Capétiens.
Selon Brillat-Savarin, le commerce des épices furent un des moteurs de
l’économie en Europe : "Si vous tardiez à planter au coin de la rue principale
un épicier, comme vous avez planté une croix au-dessus du clocher, tout
déserterait. Le pain, la viande, les tailleurs, le prêtre, les souliers, le
gouvernement, la solive, tout vient par la poste, par le roulage ou le coche,
mais l'épicier doit être là, se lever le premier, se coucher le dernier, ouvrir sa
boutique à toute heure, aux chalands, aux cancans, aux marchands.
42
"Sans lui, aucun de ces excès qui distinguent la société moderne des
sociétés anciennes, auxquelles l'eau de vie, le tabac, le sucre était inconnus”.
8.5 - Les épices et la Guadeloupe - Le 28 juin 1635, de l'Olive et
du Plessis débarquent à la Guadeloupe, à la Pointe Allègre, avec cinq cents
hommes. C'est le début de la colonisation de l'île. Les Caraïbes, qui se
donnaient mutuellement ce qui leur manquait, en vinrent à troquer avec les
colons : "pierres vertes", hamac, perroquets, etc ... contre couteaux, fusils,
toile à voile, et, plus tard, eau de vie.
De 1643 à 1759, la ville de Basse-Terre est le grand centre d'activité
commerciale de la Guadeloupe, suivit du Moule et de Ste-Anne. Elle perd de
son importance vers 1763, dès la fondation de la ville de Pointe-à-Pitre, qui
"par la sécurité de son port, devient la rade la plus fréquentée des Antilles".
En 1644, la fabrication du sucre commence à la Guadeloupe. Jusqu'à
cette date, l'argent n'a pas cours dans le pays; le système est au troc et à la
vente à crédit que les négociants métropolitains consentent aux planteurs, à
condition que ceux-ci leur réservent une partie de leurs récoltes.
En 1671, une ordonnance, rendue le 13 février par De Baas, gouverneur
général des Iles d'Amérique, fixe, à la Guadeloupe, à un pour cent, c'est-à-dire
à une livre pour chaque cent livres pesant de marchandises, l'impôt sur les
marchandises d'épicerie, payable à l'arrivée des vaisseaux, après
déchargement des marchandises et avant embarquement à l'égard de celles
sortant.
Dans "la Quinzaine en Guadeloupe", n° 38 du 1er mai 1965, M. Alain
Boismery, dans son article : "Les relations commerciales entre Marseille et les
Antilles", déclare : "En 1671, fut aménagée par Gaspard Maurellet la première
raffinerie marseillaise travaillant le sucre des Antilles". Il est dit plus loin que le
même Maurellet s'essaya le premier au trafic du "bois d'ébène" et, "dès 1750,
on retrouve des provençaux à la Guadeloupe et à la Martinique ..."
En 1674, la Guadeloupe est prospère et sa société constituée. Elle
possède 113 sucreries (97 à la Guadeloupe proprement dite, 12 à MarieGalante et 4 à la Grande-Terre) qui fabriquent 4.375.000 livres de sucre par
an. Le coton, le gingembre et le tabac sont produits à raison de 80 à 100.000
livres chacun.
Elle consomme 3.461.340 livres de marchandises diverses parmi
lesquelles nous relevons : 4.000 barriques de boeuf d'Irlande, 800 barriques
de lard salé, 400 barriques d'eau-de-vie, 200 tonneaux de vin rouge de
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Bordeaux, 200 pipes de vin de madère, 400 barriques de farine minot de
Bagneux, 100 petites barriques d'huile d'olive de 15 pots, 60 demi-barriques
d'huile à brûler, 50 caisses de chandelles de Hollande, 10 caisses de chandelles
moitié cire et moitié suif, 50 caisses de savon, 20 barriques de morue verte,
15 boucauts de morue sèche, 20 caisses de saumon.
Le reste se répartit en d'autres objets, tels que tissus, chaussures,
chapeaux et notamment : 500 grages (râpes) à manioc en cuivre, 400 grages
de poivre, 100 grages de muscade, 130 grages de girofle et 40 grages de
cannelle.
Le 10 octobre 1679, le vaisseau du Roy "Le Triomphant" revient à
Brest, après avoir établi le commerce français aux Antilles; il apporte à Louis
XIV le chocolat préparé avec le cacao des premières plantations antillaises.
En 1705, la charge de chocolatier de la reine est créée.
Mme de Sévigné, dans les lettres à sa fille, raconte les mérites et les
désagréments du chocolat : "il vous flatte pour un temps, et puis vous allume
tout d'un coup une fièvre continue qui nous conduit à la mort; ... la marquise
de Coëtlogon prit tant de chocolat l'an passé, qu'elle accoucha d'un petit
garçon noir comme le diable, qui mourut !"
En 1720, il y a 3.650 pieds de cacaoyers à la Guadeloupe; en 1777, il y
en aura 45.000.
En 1782, le corps des épiciers verse la somme de cent mille livres sur
celles de cent cinquante mille que les six corps marchands offrent au roi pour
la construction d'un navire de guerre, à la suite de la défaite essuyée, le 12
avril, par le lieutenant-général de Grasse, au cours de la bataille navale qu'il
livra aux Anglais, entre la Dominique et les Saintes, pendant la guerre de
l'indépendance américaine.
9 - Le mythe du bon sauvage - Le cannibalisme des Caraïbes ont
beaucoup marqué Christophe Colomb et ses marins. Le mot : cannibale vient
du nom caraïbe : “Cariba” ou “Caniba”, et en espagnol, cela s’écrit “caribales”,
puis “cannibales”.
L’installation des Français aux Antilles, 140 ans après leur découverte
par Christophe Colomb, nous permet d’avoir une autre vision des Caraïbes,
moins sinistre que celle de Christophe Colomb.
Nous reprenons le texte intégral de l’article du Dr Chatillon : “Le Mythe
du bon sauvage”, paru dans la revue : “Parallèles” en 1966. :
En 1658, paraissait à Rotterdam “L'histoire naturelle et morale des
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Antilles” de César de Rochefort, pasteur protestant, qui fit plusieurs voyages
aux Antilles, dont il revient en 1650. Il a visité de nombreuses îles et est l’ami
du Commandeur de Poincy gouverneur de l'île de St Christophe. Il fait une
excellente étude des Caraïbes de près de deux cents pages, document
ethnologique de la plus grande importance, car c'est une des meilleures études
que nous possédions sur les Caraïbes.
L’Histoire Général des Antilles Françaises du R.P. DUTERTRE et le
Dictionnaire des Caraïbes du R.P. BRETON sont d’excellent témoignages de ce
peuple.
Depuis peu (1993), nous connaissons le document de l’inconnu de
Carpentras. Avec l’équipage du navire du Capitaine Fleury de Dieppe, il vécut
ainsi qu’une centaine de marins chez les Caraïbes, à réparer leur navire
endommagé. Cela se passe à la Martinique quarante ans avant la colonisation
française.
Les chroniqueurs espagnols de la conquête : Las Casas et Garsilaso de la
Vega ont fait une description très élogieuse des indiens, mais il s'agit avant
tout de ceux qui formaient les civilisations avancées des Mayas, Aztèques et
Incas.
Avec Jacques Cartier et Champlain se trouvèrent au contact de ces
civilisations primitives du Canada.
Tous les récits de ces voyageurs insistent sur le fait qu'alors qu'ils
s'attendaient à trouver ces infidèles dominés par le vice, ils constatent au
contraire chez eux des vertus naturelles manquant souvent aux vrais
chrétiens. Même leur anthropophagie est mise sur le compte de l'ignorance et
ils insistent sur le fait qu'il s'agit là d'une vengeance envers leurs ennemis.
Deux grands auteurs devraient en prenant la défense de ces sauvages
menacés par les exactions des européens fonder ce mythe du Bon Sauvage.
Ronsard montre cette société sans morale, sans loi, sans gouvernement
et défend ces hommes qui connaissent l'âge d'or et ne sauraient qu'être gâté
par ce que nous leur apporterions.
"Pauvre Vilgaignon, tu fais une grande faute
De vouloir rendre fine une gente si peu caute
Comme ton Amérique ou le peuple inconnu
Erre innocemment tout farouche et tout nu
Qui ne connaît les noms de vertu ni de vice."
Montaigne, à son tour, au livre I des Essais dans le chapitre intitulé : Des
Cannibales s'attache à montrer que ces sauvages, s'ils ont des coutumes
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différentes des nôtres, nous sont par bien des côtés supérieurs. Quoiqu'il en
soit, notre jugement devrait tenir compte de la relativité historique de nos
opinions.
A l'époque de la colonisation des Antilles, le sauvage américain avait
donc été un thème littéraire très apprécié et il était naturel que le Caraïbe
rentre à son tour dans cette lignée. César de Rochefort ne se cache pas dans
sa préface de recourir aux mêmes procédés que ces prédécesseurs.
"A l'exemple de Lery et Lescarbot, nous avons parsemé cet ouvrage de
parallèles empruntées de divers pays et de divers peuples. Si certains ne les
considèrent pas comme des traits appartenant au dessin essentiel du tableau,
ils les pourront regarder avec quelque plaisir comme des bordures de fleurs, de
fruits et d'oiseaux pour l'ornement de la pièce."
Voici sa vision des Caraïbes :
"Les Caraïbes sont gens bien faits et proportionnés de leur corps, assez
agréables, la mine riante, large d'épaules et de hanches et presque tous en
assez bon point et plus robustes que les français. Leur bouche est
médiocrement fendue et leurs dents sont parfaitement blanches et serrées. Ils
ont aussi le front aplati, mais par artifice et non pas naturellement car leur
mère leur presse à la naissance. Entre ceux du pays, on ne voit ni borgne, ni
aveugle ou qui ait de nature aucune infirmité."
Moralement, le portrait est aussi flatteur :
"Les Caraïbes, dans leur naturel, sont d'un tempérament triste, rêveur
et mélancolique, la température de l'air contribuant à l'entretien de cette
humeur, mais ayant remarqué que cette fâcheuse constitution altère leur
santé, ils font pour la plupart une telle violence à leur inclinaison, qu'ils
paraissent gais, agréables et enjoués, aussi ont-ils de la peine à souffrir la
compagnie des mélancoliques et ceux qui ont conversés souvent avec eux les
ont toujours reconnus fort facétieux et fort soigneux de ne laisser écouler
aucun sujet de rire."
Leur naturel au reste est doux et bénin et ils sont si ennemis de la
sévérité que lorsqu'ils sont traités avec rigueur, ils en meurent souvent de
déplaisir.
Ce bon naturel leur vient du dédain des biens matériels et les chrétiens
devraient bien s'en inspirer.
"Ils nous reprochent souvent notre avarice et le soin déréglé que nous
avons d'amasser des biens pour nous et nos enfants puisque la terre est si
capable de donner la nourriture à tous les hommes pourvu qu'ils veuillent
46
prendre tant soit peu la peine de la cultiver. Aussi quant à eux, ils sont
entièrement libres du souci des choses qui appartiennent à la vie et
incomparablement plus gras et plus dispos que nous sommes. En un mot, ils
vivent sans ambition, sans chagrin, sans inquiétude, n'ayant aucun désir
d'acquérir des honneurs, d'amasser des richesses. Que s'ils vont à la chasse ou
s'ils abattent des arbres, pour faire un jardin, ils font tout cela sans
empressement, par manière de divertissement et de récréation, en se jouant.
Surtout, s'ils s'étonnent, quand ils voient que nous estimons tant l'or et
disaient : "voici le Dieu des chrétiens". Pour ceci, ils nous ont réduits en
esclavage, nous ont chassés de nos demeures. Pour ceci, ils sont toujours en
inquiétude, ils dérobent, ils blasphèment et il n'y a ni vilenie, ni méchanceté où
ils se portent."
"Pour nos Caraïbes, quand ils voient les chrétiens tristes, ils sont
accoutumés de leur faire doucement la guerre (le reproche) en disant :
Compère, tu es bien misérable d'exposer ta personne à de si longs et si
dangereux voyages et de te laisser ronger à tant de soucis et de crainte. La
passion d'avoir des biens te fait endurer toutes ces peines et tu n'es pas
moins en inquiétude pour le bien que tu as déjà acquis que pour ceux que tu
recherches encore. Ainsi tu vieillis en peu de temps, tes cheveux blanchissent
et tu cours à grand hâte vers le tombeau; que ne méprises-tu les richesses
comme nous."
Ce grand détachement des biens temporels explique qu'il n'y ait point de
vol.
"Ils ne sont point enclins de leur nature à dérober, ils vivent sans
défiance les uns des autres tellement que leur maison et leur héritage sont à
l'abandon sans porte, ni clôture.
"Tous les intérêts des Caraïbes sont communs entre eux, ils vivent en
grande union et s'entraident beaucoup les uns les autres. Cet amour fait que
l'on ne voit que fort peu de querelle et d'inimitié entre eux."
Leur nudité, qui aurait dû choquer notre pasteur calviniste, témoigne au
contraire de la pureté de leurs moeurs "ils vont nus entièrement hommes et
femmes et si quelqu'un voulait cacher les parties naturelles, il serait moqué
des autres. Quand on leur reproche leur nudité, ils disent que nous venons nus
au monde et que c'est folie de cacher le corps qui nous a été donné par la
nature."
"Les jeunes hommes antillais ne fréquentent point de filles, ni de
femmes, qui ne soient pas mariées et l'on remarque que les hommes sont
47
d'ordinaire en ces pays-là moins amoureux que les femmes. Hommes et
femmes Caraïbes sont naturellement chastes et quand nos gens les
considèrent trop curieusement et se rient de leur nudité, ils sont accoutumés
de leur dire : “Compère, il ne faut regarder qu'entre les deux yeux.” Vertu
digne d'admiration en un peuple nu et barbare."
Ils savent pratiquer l'hospitalité la plus avenante.
"Ces sauvages, tout sauvages qu'ils sont ont de la civilité et de la
courtoisie, la plupart témoignent de la docilité et du jugement et ceux qui les
ont pratiqués longtemps ont remarqués plusieurs traits d'amitié, de
reconnaissance, d'honnêteté et de générosité."
Ils semblent donc vivre dans l'état d'innocence de l'homme avant la
faute, en dehors de ce qu'un psychiatre contemporain a appelé l'univers
morbide de la faute.
"Ils ne savent pas le nom de plusieurs vices, mais les chrétiens en leur en
apprennent que trop. Il n'y a point de mots qui réponde à celui de péché, mais
il n'y en a point aussi qui exprime la vertu."
Assurément, il y a deux grandes ombres à ce tableau pour notre
pasteur, leur plus grand crime est non seulement de ne pas connaître la vraie
religion, mais encore de la refuser.
"Quelqu'un d'entre les Caraïbes travaillant un jour le dimanche, Monsieur
Dumontel rapporte, qu'il lui dit : “Celui qui a fait le ciel et la terre sera fâché de
ce que tu travailles aujourd'hui car il a ordonné ce jour pour son service.” Et
moi, lui répondit le sauvage, “je suis fâché contre lui, car il n'a pas envoyé la
pluie en son temps et a fait mourir mon manioc et mes patates par la grande
sécheresse. Puisqu'il m'a si mal traité, je veux travailler tous les dimanches
pour le fâcher."
"Quand on leur parle de l'essence divine et des mystères de la foi, ils
écoutent fort patiemment tout le discours, mais après qu'on a achevé, ils
répondent comme par moquerie : “Compère, tu es fort éloquent, tu es mouche
manigat c'est-à-dire fort adroit, je voudrais aussi bien parler que toi, mais si je
me laisse persuadé à de tels discours, mes voisins se moqueront ."
Enfin leur cannibalisme ne pouvait que faire horreur à César de
Rochefort, cependant, il l'excuse en partie car il est répandu dans le monde
entier et il montre même que c'est pour eux la forme de l'extrême vengeance,
il était difficile de lui demander de comprendre qu'il se trouvait en présence
d'un cérémonial sacré au cours duquel la tribu en mangeant le prisonnier
accroît sa force et son courage.”
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Quoiqu'il en soit notre fréquentation ne les ont certaine-ment pas
améliorés.
"Depuis que les Caraïbes ont fréquentés avec les nations étrangères, ils
ont beaucoup relâchés leurs anciennes pratiques et ont quittés plusieurs
façons de faire qui leur étaient auparavant inviolables. De sorte qu'ils se
trouvent aujourd'hui en un notable changement de ce qu'ils étaient autrefois.
Ce qui est arrivé est en partie de ce que nous les européens les ont déniaisés
et en partie aussi de ce que nous les avons corrompus."
On ne saurait nier l'intérêt de cette étude de Rochefort qui prolonge
l'effort humaniste de la Renaissance en nous montrant dans ses ouvrages des
êtres qui quoique très différents de nous n'en ont pas moins gardés les vertus
naturelles. Cette description devait susciter l'ironie du Père Dutertre, qui
donne cependant une étude assez bienveillante des Caraïbes, mais ne
pardonnait pas ses plagiats à l'auteur.
"Je prie cependant le lecteur de m'excuser si je ne fais pas les Caraïbes
si polis que le Sieur de Rochefort les a faits en quelque endroit de son livre
puisque je suivrais, en cela, le sentiment de ceux qui les ont fréquentés qui
m'ont protesté plusieurs fois, qu'ils ne les reconnaissaient plus dans la
peinture, qu'il en a faite."
Par contre, on ne trouve pas chez Rochefort, comme un siècle plus tard
chez Rousseau et les philosophes, la volonté d'opposer l'état de nature à
l'ordre social européen et ce n'est jamais chez lui une critique de la société,
mais tout au plus un rappel aux mauvais chrétiens des vertus, qu'ils devraient
pratiquer.
Assurément cette description peut apparaître comme un jeu littéraire et
l'on sait que ces Caraïbes devaient en quelques années ou être massacrés ou
être relégués à la Dominique, le système politique colonial exigeant
l'occupation totale des terres cultivables comme le remarque le Docteur
Bangou dans son histoire de la Guadeloupe.
Cependant Aubert, Gouverneur de la Guadeloupe en 1640 et ami de
Rochefort à qui il a fourni des documents après les premières guerres avec les
Caraïbes menées par son prédécesseur L'Olive, avait réussi à établir une paix
et d'excellentes relations avec ces Caraïbes qui malheureuse-ment ne devait
durer que quelques années.
Si le mythe du Bon Sauvage n'eut donc des conséquences éphémères
aux Antilles françaises, par contre, il eut au moins à son actif, dès le XVI° et
XVII° siècle, deux réalisations importantes.
49
Las Casa après des années de lutte devait obtenir en 1537, une bulle
pontificale reconnaissant la nature authen-tiquement humaine des indiens
d'Amérique texte peut-être aussi important dans l'histoire coloniale que, plus
tard, la déclaration des droits de l'homme.
C'est surtout l'ordre religieux le plus probe alors, qui prenant la défense
des indiens guaranis, pour les soustraire aux exactions des portugais, les
jésuites, qui fondent en 1610 la république des guaranis, indiens appartenant à
la même souche que les Caraïbes. Cet état, objet de scandale pour le monde
colonial, a duré 150 ans et ne devait disparaître que grâce aux intrigues
qu'avaient suscité sa réussite admiré même par les philosophes du XVIII° siècle.
Ces deux initiatives marquent bien que le sauvage n'a pas été seulement
un thème littéraire, mais que des hommes d'action ont essayés de le sauver
contre les entreprises coloniales.
Enfin peut-être l'étonnement de Rochefort devant ces primitifs, qui se
trouvant en dehors des vérités de la foi n'en sont pas moins souvent meilleurs
que nous explique-t-il le dernier avatar du mythe du Bon Sauvage : celui qui
répondant à l'angoisse de notre monde moderne explique sa nouvelle fortune
dans la littérature de Loti à Aléjo Carpentier.
Se sentant de plus en plus inadapté aux transformations dans le monde
duquel il vit, l'homme du XX° siècle se tourne vers les civilisations primitives où
il semble retrouver l'image d'un monde perdu et le contact avec l'inconscient.
Gauguin n'en est-il pas le meilleur exemple qui après sa première enfance
au Pérou recherche, d'abord en Martinique, puis en Polynésie, la solution à son
angoisse qu'il devait traduire dans la toile précédant son suicide :
"D'où venons-nous ? Qui sommes-nous ? Où allons-nous ?"
10 - La Révolution Française à la Guadeloupe ou “O liberté, que
crimes on commet en ton nom !”
10.1 - Début de la Révolution et la perte des Iles - C’est
en septembre 1789 que l’on connut à la Guadeloupe les grands événements
qui, en juillet, avaient changé la face du régime en France. La nouvelle causa
un véritable délire. Le peuple s’empressa d’arborer la cocarde tricolore et il y
eut dans les villes et les campagnes des fêtes populaires.
La révolte gagna toute la colonie. Les propriétés furent pillées,
incendiées et les blancs massacrés. La désorganisation fut complète dans l’île.
Le 4 avril 1792, le roi Louis XVI signe un premier décret donnant aux
noirs libres et aux hommes de couleur le droit de vote. Puis le 28 mars 1792,
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l’Assemblée législative fait un premier pas vers l’émancipation des esclaves.
Craignant en même temps des mouvements populaires, l’Assemblée
législative envoie aux Iles trois commissaires avec 12.000 hommes sous les
ordres de Rochambeau pour la Martinique, Collot pour la Guadeloupe et Ricard
pour Ste Lucie.
L’annonce d’une telle expédition causa une émotion extrême aux
Antilles. Les rumeurs disaient que ces 12.000 hommes étaient des
révolutionnaires assoiffés de sang qui allaient tout mettre au pillage.
Cette division fut repoussée par les batteries de la rade de Fort de
France, puis par les boulets du Fort St Charles à Basse Terre. L’expédition
retourna simplement en France.
Le 21 septembre 1792, la Convention, qui a succédé à l’Assemblée
législative, a aboli la Royauté et proclamée la République dans sa première
séance. Les Gouvernements Généraux des îles décident de soutenir la Roi et
rentrent en rébellion.
En Guadeloupe, les hommes de couleurs se retirent de l’Assemblée
coloniale et à Pointe-à-Pitre, le 20 décembre 1792, la foule et les soldats
parcourent les rues avec le drapeau tricolore en réclament la République. La
Municipalité se sépare du Gouverneur de de l’Assemblée coloniale.
Lacrosse, représentant de la République, arrive le 5 janvier 1793 à
Pointe-à-Pitre, où l’on fête la liberté, puis il passe ses pouvoirs à Collot,
gouverneur nommé par la Convention.
La République doit faire face en Europe à la coalition de l’Angleterre, la
Prusse et du Piémont; elle ne peut aider les colonies. Le 5 février 1794,
l’amiral Jervis et le Général Sir Charles Grey se présentent devant la Martinique
avec quatre vaisseaux, neuf frégates, plusieurs corvettes et galiotes. Le 23
mars 1794, Rochambeau signait la capitulation et se rendait avec les 250
hommes restant.
Le 9 avril, les Anglais débarquent aux Saintes et 12 au Gosier. Le Fort
Fleur l’Epée est pris le lendemain et le 22 avril 1794, Collot capitule à BasseTerre.
En février, Ste Lucie était prise et en un mois, les Anglais s’étaient
emparés de nos colonies aux Antilles.
10.2 - Victor Hughes débarque à la Guadeloupe et remporte la
victoire de Pointe-à-Pitre - Robespierre décide de reprendre les îles aux
Anglais et confie cette tâche à Victor Hughes, accusateur public à Rochefort
51
et à Brest où il avait ordonné l’hécatombe des officiers et des marins de
l’Appolon.
Il quitte l’île d’Aix avec 1.153 hommes de troupes sur trois bateaux et
arrive à la Désirade, le 2 juin 1794, où il apprend l’occupation de la Guadeloupe
par 8.000 anglais, auxquels se sont joints 2.000 blancs. De plus, l’escadre
anglaise (14 vaisseaux de ligne et 18 transports) de l’amiral Jervis est
présente.
Dans la nuit du 2 juin, les hommes débarquent à la Pointe des Salines et
écrasent les anglais qui se retirent au Fort Fleur l’Epée. Mais Victor Hughes
s’empare du morne Mascotte, qui domine le fort (ancien fort).
Le 6 juin, par une nuit obscure il attaque avec 200 marins et enlève le
fort à une heure du matin. L’ennemi épouvanté se retire au-delà de la Rivière
Salée. Le Fort est aussitôt remis en état. Les trois bateaux français sous les
ordres du contre-amiral Leissègues entre dans la rade de Pointe-à-Pitre et
s’empare de 87 bâtiments de commerce anglais.
Avec le décret d’abolition de l’esclave du 4 février 1794, Victor Hughes
est soutenu par les hommes de couleur, qui viennent renforcer ses troupes. Il
en a bien besoin, car la flotte anglaise bloque Pointe-à-Pitre et les troupes
ennemi tiennent toute la Basse-Terre.
La ville de Pointe-à-Pitre comptait alors 12.000 âmes, dont 4.000
blancs, 3.000 hommes de couleur libres et 5.000 esclaves.
Tout le Petit Cul de Sac est en feu. Les Anglais tiennent les batteries de
Saint Jean et du Morne Savon d’où ils bombardent la ville de Pointe-à-Pitre. Ils
ont débarqué au Gosier ont repris le morne Mascotte et la bataille fait rage
pour le contrôle du Fort Fleur l’Epée. Trois généraux français sont déjà tués :
Aubert, Cartier et Rouyer. Il ne reste que 200 hommes sur les 1.153 au
départ. Dans la ville de Pointe-à-Pitre, les hommes sont réduit à défendre le
Morne du Gouvernement.
Dans la nuit du 1er au 2 juillet 1794, les Anglais bombardent la ville
pendant huit heures, puis attaquent en trois colonnes. Le combat est difficile
pour les Français. Soudain, une formidable explosion se fait entendre. Par
mégarde, des soldats anglais ont mis le feu à un dépôt de poudre. Le dépôt a
sauté en tuant plusieurs officiers anglais. C’est le signal d’une panique et le
commencement de la déroute. Les Anglais fuient vers la Place Sartines
(aujourd’hui place de la Victoire) en criant : “La ville est minée”.
Boudet et le capitaine d’artillerie Pélardy rassemblent les hommes
disponibles. Ils descendent du morne, se précipitent sur l’ennemi, le mettent
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en déroute, capture son artillerie et le poursuivent jusqu’à ses
retranchements.
Les Anglais ont perdu 475 hommes, dont 25 officiers, parmi lesquels le
général Gown, commandant en second et le capitaine de vaisseau Robertson.
Le Général Symes, commandant en chef de l’attaque, est blessé. Il y a en plus
400 autres blessés et 300 prisonniers.
Dans la nuit, l’amiral Jervis décide de rembarquer ses troupes de GrandeTerre pour le transporter au camp de Berville.
Deux cents Français et quelques recrues inexpérimentées ont remporté
une brillante victoire sur deux mille Anglais. Mais il reste à vaincre le reste des
troupes anglaises et les colons alliés qui tiennent l’île de Basse-Terre.
10.3 - La victoire totale et l’exécution des colons - Victor
Hughes n’a plus de généraux, il nomme le capitaine Pélardy, général de division
et commandant en chef et il donne au chef de bataillon Boudet, le grade de
général de brigade. Il fait recruter 2.000 hommes noirs et de couleur, qui sont
rapidement formés pour le combat.
L’ennemi est regroupé au camp de Berville, en face de Pointe-à-Pitre, de
l’autre côté de la Rivière Salée, où se trouve maintenant la zone industrielle de
Jarry. Les Anglais tirent nuit et jour sur la ville et les Français à court de
munitions ne peuvent pas répondre.
Le Général Grey, convaincu que la famine et la fièvre jaune ne tarderont
pas à forcer les Français à se rendre, décide à cause de l’hivernage et la
crainte des cyclones, de retourner avec ses vaisseaux à la Martinique.
Dès son départ, Victor Hughes décide d’aller attaquer les Anglais dans
leur camp. Il forme trois colonnes. La première avec Pélardy doit débarquer à
Goyave pour attaquer les ennemis à gauche. La seconde avec Boudet doit
attaquer, à partir du Morne à l’Eau, sur la droite, le camp de Berville. La
troisième commandée par Bures, chef de bataillon attaque au centre.
Le 26 septembre au point du jour, l’attaque générale commence.
Pélardy parvient au Petit-Bourg et tombe à l’improviste sur l’ennemi. Il les
culbute, tue 140 hommes et s’empare de la Pointe à Bacchus où 3 officiers et
160 hommes sont faits prisonniers. Les Français trouvent des vivres et des
munitions, dont 160 barils de poudre. Les canons de la batterie sont pointés
sur deux bateaux anglais qui sont contraints de s’éloigner après avaries.
Boudet bouscule les troupes des colons de M. de Richebois et traverse
Baie-Mahault et dresse son camp face à Berville.
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Bures, qui a traversé la Rivière Salée et mis l’ennemi en fuite, va
rejoindre Boudet; le 28, le camp de Berville est complètement cernée. Le 29,
Boudet attaque sans reconnaissance des lieux. L’ennemi écrase les Français
dans un défilé où ils sont entassés. 400 hommes, l’élite des troupes restent
sur le champ de bataille. Les républicains cèdent du terrain, mais Pélardy le
rejoint la nuit avec 300 hommes.
L’émmigré de Richebois propose à Graham, qui refuse, de faire une
trouée dans l’armée républicaine et de se rendre dans la ville de Basse-Terre,
où le Général Prescott, qui a des forces considérables, ne bouge pas.
Le 6 octobre, le général Graham dont les troupes sont décimées par la
fièvre jaune, fait demander un armistice. Hughes exige la capitulation que
Graham accepte. Les Anglais se retirent sur leurs vaisseaux, en abandonnant
leurs alliés colons, aux républicains.
Les colons sont au nombre de 865. Hughes en choisit 365 qui sont
fusillés aussitôt. Le Général Graham assista à l’exécution de ses alliés colons.
Le 7 octobre, les 500 autres sont conduits le long du fossé de la batterie du
Morne Savon, attachés par groupe de cinq. Ils sont hachés par les canons, les
blessés sont jetés à la mer.
Mais le Général Prescott tient toujours la ville de Basse-Terre. Le 11
octobre Pélardy part en avant-garde. Les Anglais évacuent la ville et se
retirent dans le fort Saint Charles, avec 800 hommes. Dès le 20 octobre,
Pélardy fait tirer sur le fort en attendant des renforts.
Dans la nuit du 19 au 20 novembre, les Anglais s’embarquent sur une
escadre de quatre vaisseaux, qui ont mouillés sous le fort. Il ne restait plus
qu’à libérer Marie-Galante, ce qui fut fait le 27 novembre.
10.4 – Le gouvernement de Victor HUGHES – Selon Lucien-René
Abenon dans “Petite histoire de la Guadeloupe” : Après sa victoire, Victor
Hughes était le maître de l’île. Alors qu’en France, après la mort de
Robespierre, la Terreur s’adoucissait, elle régnait en maîtresse dans l’île. La
guillotine faisait chaque jour de nouvelles victimes. On pourchassait les colons
insurgés qui s’étaient réfugiés dans les montagnes, pour les exécuter.
Beaucoup ne durent la vie qu’à l’émigration et il est certain que cette époque
marqua profondément la population blanche de la colonie.
Le départ des colons posa le problème de leurs biens. Victor Hughes
décida de les mettre sous séquestre et en confia la garde à ses partisans qui
en profitèrent pour s’enrichir facilement. Le proconsul s’appuyait sur une
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armée où Noirs et Blancs vivaient de conserve. Il n’avait pas hésité à décorer
du grade d’officier les Noirs qui arrivaient à la tête de leur troupe.
La dureté de la répression que Victor Hughes exerça sur les colons
décima les familles et fit naître des haines inexpiables qui resurgiront par la
suite.
Sous le Gouvernement de Victor Hughes, les 2/3 des colons furent
exécutés, la colonie ne se releva pas de cette saignée.
Le Directoire sous la pression des Anglais et des Américains décida de
se débarrasser de son encombrant représentant. Le 5 juin 1798, il fut destitué
et remplacé par le général Desfourneaux.
Quelques années plutard, il sera chargé du rétablissement de l’esclavage
en Guyane, tâche dans laquelle il excella.
10.5 – Les corsaires de la Guadeloupe : Victor Hugues sut aussi
organiser la course contre les Anglais et cela rapporta aussi beaucoup
d’argent. Les corsaires guadeloupéens réalisèrent des centaines de captures
entre 1795 et 1801.
Ces marins n’avaient que de petits bâtiments. Ils causèrent des pertes
sérieuses aux Anglais, malgré la flotte de guerre basée à la Barbade, qui
comprenait 31 bâtiments de guerre, portant ensemble 1.412 canons.
Le Gouverneur de Curaçao ayant favorisé la capture d’un corsaire
guadeloupéen par les Anglais, ses amis décidèrent de venger cette perte. Ils
attaquèrent et pillèrent Curaçao, qu’ils occupèrent pendant sept mois. Furieux,
les Etats-Unis déclarèrent la guerre à la France et s’associèrent aux Anglais
pour anéantir les corsaires guadeloupéens. Cette lutte se faisait entre les
petits navires corsaires et de puissants vaisseaux de guerre.
• Les principaux corsaires de la Guadeloupe : La liste complète de ces
corsaires a disparu des archives, mais certains noms sont restés : Langlois dit
Jambe de Bois, Vida, Grassin, Giraud-Lapointe, Facio, Vilac, Pierre Gros,
Augustin Pillet, Ballon, Mathieu Goy, Joseph Murphy, Lamarque, Laffitte,
Dubas, Christophe Chollet, Perendreaux, Petrea, le mulâtre Modeste et Antoine
Fluet.
• Les prises des corsaires de la Guadeloupe : Voici l’état de prises faites
sur les Anglais, par les corsaires de la Guadeloupe ou par les bâtiments armés
du Gouvernement, de 1795 jusqu’à la fin janvier 1810, époque de la prise de
la colonie par les Anglais :
- Nombre de corsaires :
175
- Nombre de prises :
700 navires anglais,
55
- Produit brut des prises :
29.521.687,28 livres
• Antoine Fluet dit Capitaine Moëde : Dans l’excellent livre de SainteCroix de la Roncière : “Victor Hughes”, nous avons relevé ce texte :
“Le plus illustre des corsaires de la Guadeloupe est Antoine Fluet,
surnommé “Capitaine Moëde”, à la suite d’un combat mémorable. Il revenait
sur son bateau “La Thérèse” ayant enlevé à l’ennemi une quantité de petits
barils pleins d’or et de “moëdes” (pièce d’or portugaise).”
“Près de la Guadeloupe, un brick anglais lui barra la route. Malgré son
infériorité, Fluet accepta le combat et fit tirer sabord après sabord, son maître
d’équipage allant de canon à canon pour faire le pointage. Trente cinq hommes
à la mousqueterie avaient devant eux des piles de fusils tout chargés, qui
faisaient un feu continu. Vingt-cinq Noirs étaient occupés à monter les boulets
du magasin et à les entasser dans les caissons. Fluet, à la barre, dirigeait la
manœuvre et évitait les bordées anglaises. Après sept heures de combat, il
n’avait plus de boulets, or l’ennemi était désemparé, les voiles en pantenne et
plusieurs vergues brisées. Fluet commanda : “Qu’on défonce les barils et qu’on
charge les canons avec les pièces d’or, et, sous cette mitraille dorée, courons
à l’abordage.”
“Les barils ouverts, les canonniers bourraient leurs pièces de ces
“moëdes”, qu’ils envoyaient à l’ennemi. À l'abordage, tous les Anglais furent
tués et les marins crièrent : “Vive le capitaine Moëde.”
“Fluet entra triomphalement dans la rade de Pointe-à-Pitre traînant à la
remorque le brick de guerre anglais. De la coque, on tira mille huit cent treize
écus et plus de trois cents autres pièces d’or dans le corps des Anglais
morts.”
“Antoine Fluet a été le plus important des corsaires du Consulat et de
l’Empire et ses bénéfices dans les prises furent considérables :
- Six corsaires armés par lui, avaient fait 29 prises dont la valeur totale
brute a été de 7.146.456 livres coloniales et nette de 6.088.216 livres.”
“Napoléon fit de lui le premier décoré de la légion d’honneur de la
Guadeloupe.”
• Autres exploits des corsaires : Toujours dans le livre “Victor Hughes”
de Sainte-Croix de la Roncière, nous relevons :
“En 1807, le corsaire Général Ernouf enlève à l’abordage le cutter
anglais Barbade, portant 49 hommes et 10 canons de 18. Puis il s’empare du
brick anglais Elisabeth, armé de 14 canons de 6, portant 24 hommes
d’équipage et chargé de 176 esclaves. Il ramène ces deux prises à Pointe-àPitre.”
“En 1807, le bateau corsaire La Revanche du capitaine Vidal, se bat
contre le brick anglais Le Curieux, armé de plusieurs pièces de 36 et portant
56
120 hommes d’équipage. Le brick prend la fuite et rentre à la Barbade,
désemparé, ayant perdu son capitaine, son second et plusieurs hommes. À
bord de La Revanche, il n’y a que deux tué et 13 blessés. En 1808, le même
corsaire prend un bâtiment anglais armé de 16 canons de 4, portant 28
hommes et chargé de 208 esclaves.”
“En août 1806, l’Austerlitz, en croisière le long des côtes du Venezuela,
rencontre le bâtiment de guerre anglais Le Prévost, commandé par un
lieutenant de vaisseau et armé de 12 pièces de canon. Il l’attaque et après un
combat d’une heure, enlève le navire à l’abordage.”
“Le 15 juillet 1804, le capitaine Lamarque avec 75 hommes à son bord
et des canons de 6 livres, rencontre la corvette anglaise Lily portant 16
canons de 12 et 105 hommes d’équipage. Lamarque ménage bien son feu et
tue beaucoup d’Anglais et fait des avaries majeures au navire qu’il prend à
l’abordage. Il le conduit à Basse-Terre.”
10.6 - De l’Empire à la Seconde République - Selon Lucien-René
Abenon, le coup d’état du 18 Brumaire modifia le paysage. Bonaparte voulait
restaurer l’industrie sucrière. Il était convaincu que le seul moyen pour y
parvenir était de faire renaître l’ancien état de chose. Pour lui l’esclavage
faisait partie intégrante du monde colonial.
Le mouvement révolutionnaire était passé sur la Guadeloupe comme une
vague de fond. Il ne restait plus qu’un milliers de Blancs contre plus de 13.000
en 1789.
Une seconde vague de fond déferla, mais sur les Noirs, avec son cortège
de sang. En 1801, Bonaparte nomma Lacrosse, comme capitaine général, le
général Lescallier comme préfet colonial et le sieur Coster comme commissaire
à la justice.
Cinq mois après son arrivée, Lacrosse avait contre lui les mulâtres de
Pointe-à-Pitre, les troupes se mutinèrent et offrirent le pouvoir au général
mulâtre Pélage, qui avait derrière lui toute la colonie. Il refusa un pouvoir
révolutionnaire, mais favorisa le départ de Lacrosse.
Dès la signature de traité d’Amiens, la France récupéra la Martinique et
décida de maintenir l’esclavage. Pour reprendre la Guadeloupe, une expédition
fut confiée au général Richepance.
Après son débarquement, les troupes noires furent désarmées, Pélage
fut mis à l’écart et une dure répression s’annonça. Certains officiers noirs le
comprirent et décidèrent de s’opposer par les armes au coup de force qui se
préparait. Ils quittèrent donc Pointe-à-Pitre et se réfugièrent à Basse-Terre.
Delgrès, Ignace, Codou, Palème, Noël Corbet étaient donc bien décidés à
57
résister aux forces françaises. Delgrès et Ignace se trouvèrent au Fort St
Charles où ils furent assiégés par les troupes de Richepance auxquelles s’était
joint Pélage. Les insurgés, face à des forces très supérieures, ne pouvaient pas
faire grand chose. Le 10 mai 1802, ils adressèrent une lettre publique à
l’opinion française où ils affirmaient mourir pour la liberté.
Le fort, intenable, fut évacué après de durs combats. Ignace se réfugia
avec ses troupes près de Pointe-à-Pitre. Il fut littéralement balayé sur le site
de Baimbridge par les canons de ses adversaires. Ceux des siens qui purent
s’échapper furent tous exécutés.
Delgrès s’était retranché sur les hauteurs de Basse-Terre. Sur le point
d’être pris à l’habitation Danglemont, il se fit sauter avec plusieurs centaines
de ses compagnons le 28 mai 1802. Leur mort montra que le peuple
guadeloupéen n’acceptait pas avec résignation le sort qui lui était fait; certains
avaient préféré la mort à la servitude.
Une répression féroce s’abattit sur les insurgés, dont un très grand
nombre furent exécutés. Les fugitifs se réfugièrent dans les bois. On organisa
le corps des coureurs des bois, pour mieux les atteindre. Pélage lui-même fut
emprisonné, puis déporté en Floride.
On proclama le rétablissement de l’ancien système colonial, qui
maintenait l’esclavage.
La Guadeloupe ne s’est jamais relevé des excès de Victor Hughes et
ceux de Richepance. Une grande saignée parmi les Blancs, puis une grande
saignée parmi les Noirs, pour revenir à un système inhumain, qui relevait de
l’ancien régime, que la Révolution avait aboli. Encore quelques années et après
Waterloo en 1815, les Bourbons seront de retour. La restauration sera aussi
valable pour les Métropolitains.
10.7 - L’abolition de l’esclavage – Selon Lucien-René Abenon, la
proclamation soudaine de la Seconde République (24 février 1848) permit
l’abolition rapide de l’esclavage le 27 avril 1848.
Aux Antilles, l’agitation des esprits était telle qu’il ne fut pas possible
d’attendre passivement la nouvelle. A la Martinique, une émeute se produisit
au Prêcheur et déferla sur St Pierre. La maison Desabaye, où s’étaient réfugiés
plusieurs Blancs, fut incendiée et 32 occupants brûlés vifs le 22 mai. Pour
éviter les troubles, le gouverneur Rostoland prit sur lui de proclamer l’abolition
le lendemain.
En Guadeloupe, les choses se passèrent plus calmement, mais pour les
58
mêmes raisons, le gouverneur Layrle mit fin le 27 mai à deux siècles
d’esclavage. L’insurrection ouverte avait forcé les autorités de la Martinique à
agir et, sans attendre, la Guadeloupe avait suivi le même chemin dans une
atmosphère enthousiaste et passionnée.
Maintenant que la liberté était acquise, restait à savoir ce qu’on allait en
faire. Il fallait d’abord donner une identité complète à ceux qui venaient
d’échapper à la servitude. Une commission d’état-civil fut constituée pour
ouvrir de nouveaux registres, où les esclaves qui n’avaient qu’un prénom,
furent dotés d’un nom. Beaucoup de nouveaux citoyens gardèrent ceux dont
ils s’étaient servis jusqu’alors, se contentant d’y adjoindre un prénom.
Quelques-uns, pour éviter les homonymies trop fréquentes, choisirent
d’accoler deux prénoms ensembles. On eut aussi beaucoup recours à des
surnoms, à des sobriquets qui se retrouvent encore actuellement d’une façon
assez courante. Il arriva que certains prirent simplement les noms de leurs
maîtres, ce qui s’expliquait parfois par des filiations qui, pour être officieuses,
n’en avaient pas moins un haut degré de probabilité.
Comment allait vivre ceux qui venaient d’être libérés de la servitude ?
Beaucoup n’avaient guère le goût du travail de la canne qui leur rappelait trop
leur situation antérieure. Le travail agricole était discrédité pour longtemps aux
Antilles. Les villes étaient encore incapables d’abriter la grande majorité des
habitants de l’île.
L’abolition ne donna pas lieu à des mouvements migratoires très
importants. Une partie notable de la population resta sur les domaines où elle
avait toujours vécu. Elle n’entendait nullement abandonner les cases où elle
demeurait, et les jardins à vivres concédés par les maîtres et considérés
comme leurs biens propres par ceux qui les détenaient. Dans la plus grande
partie des cas, les maîtres durent s’incliner.
Il fallait pourtant continuer à cultiver la canne et promouvoir pour cela
de nouvelles relations entre les cultivateurs et les colons. On décida d’avoir
recours à l’association, les travailleurs signant avec le planteur un contrat où
ils s’engageaient à cultiver ses champs de cannes. Les bénéfices de la vente
du sucre seraient partagés en parts. Un certain nombre allaient au propriétaire,
d’autres aux contremaîtres ou aux géreurs et le restant était partagé entre les
ouvriers. Beaucoup de travailleurs s’estimèrent lésés en fin de contrat. Ils
n’avaient aucun moyen de contrôler les chiffres que leur avançait le
propriétaire. Ils perdirent confiance dans le système, d’autant qu’ils ne
pouvaient être payés qu’en fin de contrat et qu’il leur fallait alors vivre à
59
crédit. Le système d’association, inadapté, disparut très vite.
On recourut alors au colonage partiaire. Le colon recevait une petite
exploitation agricole et la cultivait en cannes, puis il apportait sa récolte au
propriétaire ou à l’usine. Il était payé proportionnellement à sa production. Ce
type de contrat fut le plus communément adopté car il présentait l’avantage
d’accorder aux travailleurs une certaine indépendance, d’autant mieux acquise
que la crise sucrière s’accentuait, ruinant bon nombre de propriétaires malgré
les indemnités accordées lors de la suppression de l’esclavage. Beaucoup
furent obligés de vendre leurs terres à des entreprises métropolitaines qui
voyaient les choses de plus loin que ceux qui détenaient séculairement le sol
de la colonie. Le système des travailleurs casés fut aussi parfois adopté. On
laissait ceux-ci bénéficier de leur case et de leur jardin à condition qu’ils
travaillent sur la terre de leur patron.
Toute une transformation sociale était en marche. Elle allait
profondément marquer la colonie. L’aristocratie des planteurs avait été
durement touchée par l’évolution économique et sociale; elle ne cessa de
décliner. Une petite paysannerie noire se créait à la périphérie des grands
domaines sucriers, entre les grands colons déclinants et la masse des ouvriers
agricoles, un groupe social était en formation avec lequel il fallait compter.
Enfin le personnage de l’usinier prenait chaque jour une importance croissante.
Bientôt il fallut élire les représentants de l’île. Les hommes de couleur
défendaient leurs idées. De nombreux clubs s’ouvrirent comme en France. Ils
jouèrent un rôle important dans la désignation des deux candidats à la
députation : Schoelcher et Perrinon.
Les colons désignèrent l’un d’eux : Charles Dain, avocat de Basse-Terre,
issu d’une vieille famille de l’île, qu’une brochure publiée en 1835, “L’abolition
de l’esclavage”, permettait de considéré comme relativement modéré.
Finalement, les colons se rallièrent aux candidatures de Perrinon et de Dain.
Le 22 août les élections eurent lieu. Les résultats furent les suivants :
Perrinon 19 233 voix, Schoelcher 13.038, Dain 10.196. Louisy Mathieu et
Wallon furent élus suppléants avec respectivement 11.632 et 11.588 voix.
Schoelcher avait été plébiscité; il était au comble de sa popularité et toute la
population de couleur lui savait gré de son passé d’abolitionniste. Comme il
avait été élu en même temps à la Martinique, il décida d’opter pour cette
dernière île. Il céda alors sa place à Louisy Mathieu qui devint ainsi le premier
représentant noir de la colonie.
60
10.8 - Le Second Empire - Selon Lucien-René Abenon, sous le
Second Empire, l’Assemblée vota en 1850, une aide de 30 millions pour
indemniser les colons dépossédés. Finalement, la commission de l’Assemblée
proposa le versement immédiat de 6 millions en espèces sur lesquels 3 millions
seraient prélevés pour la création des comptoirs d’escompte.
Cette solution avait l’avantage d’apporter des liquidités immédiate, alors
que le prix du sucre continuait à décliner. Les colons guadeloupéens reçurent
1.947.105 francs pour 86.946 esclaves libérés. Le capital des rentes, allouées
à titre d’indemnité, se montait à 38.949.303 francs.
En 1851, une nouvelle Banque de la Guadeloupe voyait le jour, son
capital était constitué du huitième des fonds accordés pour l’indemnisation.
Le Second Empire favorisa l’évolution économique de la Guadeloupe. Le
système bancaire se révéla positif de même que l’indemnité accordée aux
colons et l’immigration indienne. Une nouvelle génération d’usines sucrières
centrales vit le jour.
“Jusqu’en 1860, les usines manipulaient leurs propres cannes pour en
obtenir du sucre par des procédés d’une technique assez rudimentaire ... Les
usines centrales qui étaient destinées à travailler la récolte de plusieurs
propriétés représentaient un progrès technique important ... La centralisation
diminuaient considérablement le prix de revient, permettait une meilleure
fabrication” selon J. Adélaïde.
10.9 - La Troisième République - Selon Lucien-René Abenon, le
problème le plus préoccupant de la Guadeloupe était à nouveau celui du sucre.
La crise, qui s’était estompée sous le Second Empire, reprenait de la vigueur.
Le problème n’était pas la production qui passait de 39.000 tonnes en 1879 à
49.000 tonnes en 1888, mais celui de la baisse continuelle du prix du sucre.
__________________________________________________
Années
Prix au quintal
Prix de vente du
payé au producteur
quintal
__________________________________________________
1877
55,77
67,91
1878
41,86
59,97
1879
35,13
52,83
1880
45,23
58,98
1881
43,37
58,28
1882
41,45
56,70
61
1883
41,45
50,56
1884
42,72
39,54
__________________________________________________
La conjoncture sur le marché international s’assombrissait. désormais, la
France produisait plus de sucre de betterave qu’elle n’en consommait.
Beaucoup de colons se retirèrent après avoir vendu leur terre. Les
journaux de l’époque sont remplis d’acte de vente d’habitations sucrières.
Le Crédit Foncier Colonial parvint ainsi à réaliser de fructueuses
opérations et s’appropria, d’après M. Chemin Dupontès pour 3.972.780 frs de
terre à la Guadeloupe, alors qu’il n’en détenait que 87.079 frs à la Martinique.
Les capitaux français, contrairement à ce qui se passait dans l’île soeur où les
békés surent rester maîtres de l’économie du pays, acquirent une place de
choix dans l’économie guadeloupéenne. En 1907, la Compagnie Sucrière de
Pointe-à-Pitre, auparavant dominée par Ernest Souques, passait sous le
contrôle de capitaux métropolitains et devenait la SIAPAPA, regroupant l’usine
Darboussier, 26 habitations et 8.000 hectares de terrain. Progressivement,
d’autres usines subirent le même sort. La SIAPAP s’appropria de : Darboussier
et Blanchet; la Société Sucreries Coloniales : Marquisat et Bonne-Mère; la
Société de Beauport : Beauport et Port-Louis; la Société du Centre de la
Retraite : La Retraite. Les békés martiniquais se rendaient maîtres des
usines de Courcelles, de Gardel et du Comté de Lohéac. Présents dès les
origines de la colonie dans l’île, les Blancs-Pays guadeloupéens avaient traversé
la Révolution, mais succombaient devant la crise sucrière.
L’émergence des Noirs et la montée du mouvement socialiste sont deux
phénomènes conjoints. Dès l’origine l’élément noir a souffert de sa maîtrise
insuffisante du français. Longtemps on a considéré que, pour participer à la vie
politique, il convenait de posséder une bonne connaissance de la langue. Il
fallait même en rajouter; les discours du temps sont remarquables par leur
aspect fleuri et redondant qui exclut d’ailleurs pas toujours les impropriétés et
les fautes de syntaxe. Or ce discours politique fut longtemps impraticable pour
des gens non scolarisés. La langue d’expression populaire était le créole jugé
indigne d’exprimer les réalités des luttes politiques. Toutefois, les conquêtes
scolaires et la lutte contre l’alphabétisation amenèrent chaque jour de
nouveaux citoyens à s’intéresser davantage au fait politique.
Hégésippe Légitimus, fils d’un marin pêcheur, avait été élève au Lycée
Carnot à Pointe-à-Pitre. Après sa terminale, il a fondé le Comité de la Jeunesse
62
Républicaine Socialiste. Dès les élections de 1892, il fut une menace pour
Auguste Isaac. En 1894, son parti s’empara des mairie de Ste Rose, de Gosier,
du Lamentin et de l’Anse Bertrand. En 1898, les élections législatives allaient
permettre au nouveau parti de s’imposer définitivement.
Puis son parti se divisa et Achille René Boisneuf devint un concurrent.
Son mouvement politique se situait au confluent de plusieurs tendances : le
radicalisme, le socialisme et l’anti-cléricalisme. Gratien Candace, qui parvint à
se faire élire à Basse-Terre en 1910, était un spécialiste de l’agriculture
coloniale.
Alors que le socialisme déclinait en Guadeloupe, Boisneuf devint maire de
Pointe-à-Pitre, puis Président du Conseil Général et Député de la Guadeloupe,
avec Candace comme un des leaders essentiels de la vie politique locale.
Le Syndicat des Fabricants de Sucre, créé par Ernest Souques (usine
Daboussier), regroupait toutes les usines. Petit à petit, ce mouvement gagna
les petits planteurs et les colons, puis les ouvriers agricoles. Le syndicalisme
fut d’abord agricole, car l’activité industrielle était limitée.
Le 15 juillet 1889 fut votée une loi étendant le service militaire aux
colonies anciennes, mais elle ne fut appliquée que tardivement que le 19
octobre 1913, par le départ des premiers conscrits vers la métropole.
10.10 - L’époque
Lucien-René Abenon
contemporaine
de 1914 à nos jours - Selon
1 - Développement, puis contingentement - La guerre de 19141918 retarda les échéances économiques, car les régions betteravières
étaient devenues le théâtre des opérations militaires. Les productions de sucre
et d’alcool ayant été réduites en France, celles des colonies se développèrent :
__________________________________________________
1913
1915
1917
1919
1921
__________________________________________________
En milliers de
litres de rhum
2.887
1.829
2.900
3.854
5.000
N.B. - Le rhum et l’alcool servent de base à la fabrication des explosifs.
La guerre de 1914 allait pourtant marquer la colonie de manière plus
tragique. La Guadeloupe eut 11.021 mobilisés, 8.700 envoyés au front et
1.470 morts.
Comme il fallait permettre à l’agriculture française de se relever et,
63
peut-être, lutter contre l’alcoolisme qui avait progressé depuis le début du
conflit, on décida par la loi du 31 décembre 1922, de limiter à 160.000 hl
d’alcool pur les importations de rhums coloniaux. Les quota suivants furent
imposés : 80.000 hl pour la Martinique, 60.000 hl pour la Guadeloupe et
18.000 hl pour la Réunion.
Une fois de plus la Guadeloupe était défavorisée par rapport à la
Martinique et la Guyane complètement oubliée. Chaque usine sucrière et
chaque distillerie obtient un quota précis.
2 - Le cyclone de 1928 - Le terrible cyclone du 12 septembre 1928
eut des incidences graves dans tous les domaines de la vie de la colonie. Le
quotidien “Nouvelliste” rapporte : “Un sinistre sans précédent vient d’apporter
dans la colonie la ruine et le deuil. Dans la matinée du 12, un cyclone d’une
violence extrême s’est abattu sur la Guadeloupe et en moins de deux heures
toutes les communications, toutes les routes ont été détruites, les cultures
dévastées et la mort a frappé de nombreuses personnes. Dans ces
douloureuses circonstances, le gouverneur adresse à la population de la
Guadeloupe les condoléances les plus émues du gouvernement et de Monsieur
le Ministre des colonies.”
Le cyclone commença le mardi 11 septembre vers 11 heures du matin,
le paroxysme a été noté le mercredi 12 septembre vers 14 heures et la fin le
jeudi 13 septembre vers 12 heures.
Toutes les communes de l’île furent plus ou moins détruites. Partout on
décomptait les morts : 2.000 environ. Les neuf dixième des maisons étaient
endommagés, sans toits, sans fenêtres, délabrées comme après un
bombardement. d’autres complètement détruites formaient un amas de
décombres. Les usines étaient détruites, les troupeaux décimés, les récoltes
détruites et les habitations anéanties.
La Guadeloupe avait été durement frappée. Il fallut l’aide de la France,
pour refaire surface. Le cyclone de 1928 resta longtemps gravé dans les
mémoires.
La vie économique en fut très affectée. La récolte de sucre qui s’était
élevée à 32.000 tonnes en 1928 (récolte de février à mai) tomba à 2.300
tonnes en 1929, pour remonter à 26.300 tonnes en 1930.
3 - La guerre 1939-1945 - La Guadeloupe se trouva dans la guerre
de 1939, sans bien se rendre compte du cours des événements. Le nouveau
64
gouverneur Constant Sorin a été très controversé. Chargé de maintenir l’ordre
au cours d’une période difficile, il l’a fait sans états d’âme excessifs. Il
s’appuyait sur la Jeanne d’Arc (navire école en temps de paix et croiseur de
combat), aux ordres du contre-amiral Rouyer, lui-même placé sous la
dépendance de l’amiral Robert, qui siégeait à Fort de France. Ces amiraux
représentaient l’Etat vichyste. Le gouverneur de la Guadeloupe fut le jouet des
événements que nul ne pouvait dominer. On a dit qu’il s’inquiétait du sort de
ses beaux parents israélites demeurés en France et c’est la raison pour laquelle
il demeura dans l’obédience vichyste alors qu’il aurait eu la velléité de se rallier
à la France libre. Comme l’amiral Robert, il symbolise pour la Guadeloupe une
période ambiguë au cours de laquelle le pays hésitait sur la voie à suivre.
Dans les premiers temps du conflit, une grande partie de la population
de l’ile se rallia au maréchal Pétain. Sa personnalité tutélaire et paternaliste
symbolisait assez bien les liens traditionnels qui unissaient la colonie à la
métropole.
Le gaullisme eut du mal à s’implanter. C’est après la déclaration de
guerre des Etats-Unis que les Antillais saisirent la portée de la résistance
gaulliste. Dorénavant, la dissidence prit un sens. Pour prendre part à la lutte
contre l’Allemagne nazie, il fallait aller à la Dominique, pour s’engager.
Malgré les dangers de la traversée du canal de la Dominique, environ
5.000 antillais quittèrent la Guadeloupe et la Martinique, pour partir en fraude.
Arrivée à destination, ils étaient pris en mains par les services de la France
Libre.
L’île ne pouvait qu’être durement affectée sur le plan économique par
les événements. Elle fut soumise à un blocus particulièrement rigoureux. D’une
part, les bateaux qui faisaient le commerce transatlantique se faisaient rares;
d’autre part, les Anglais et les Américains n’hésitaient pas à arraisonner les
bateaux qui leur paraissaient suspects. En quelques mois, la Guadeloupe
renoua avec la situation des temps de blocus qu’elle avait tant de fois connue.
Impossibilité d’exporter le sucre et la banane qui constituaient les principaux
produits de son agriculture. Impossibilité de se fournir en denrées alimentaires
de consommation courante qui, en grande partie, lui venaient de France.
L’économie de l’île était ruinée, car il lui était impossible de vendre ou
d’acheter quoi que ce soit.
Un nouvel état d’esprit, inventif, anima certains qui tirent parti des
ressources locales trop souvent négligées. On mélangea l’essence, avec de
l’alcool de cannes. Le savon fut fabriqué avec de la noix de coco. On en revint
65
au manioc et on refit cuire des cassaves pour remplacer le pain. On mangea
beaucoup le fruit de l’arbre à pain. On mangea des bananes vertes cuites
comme légumes, que l’on appelait “ti-bandit” ou “ti-sorin” (petit bandit ou
petit sorin, du nom du gouverneur), car ce légume est assez indigeste. On
utilisa la toile des sacs pour faire des vêtements, on créa des sandales en
herbes tressées, etc ...
En mars 1943, la Guyane passa à la France Libre. La tension montait
dans les îles, la population avait définitivement viré de bord. Le 14 juillet
1943, l’amiral Robert abandonnait la partie et nouveau haut commissaire pour
les Antilles venait d’être nommé. Le Gouverneur Sorin s’embarqua avec
quelques fidèles sur le “Terrible” pour Porto-Rico. La Guadeloupe adhérait à la
France Libre et entrait dans la guerre à côté des Alliés.
La guerre avait été, pour la Guadeloupe, une période de dure privation.
Tout manquait car le pays dépendait de la Métropole, pour une grande partie
des vivres et la totalité des produits manufacturés. Mais la population a eu la
sagesse d’être rester calme, malgré la défaite de la France et la tempête qui
balayait l’ensemble de l’Europe. Le Gouverneur Sorin obligea les agriculteurs à
développer sur 10% de leurs surfaces cultivables, soit des cultures
maraîchères, soit des cultures particulières (arachide pour faire de l’huile, etc).
La consommation des cocos était réservée aux fabricants de savon, etc ...
Ces contraintes, mal comprises pendant la guerre, ont permis à la
population de manger. Après la guerre, j’ai entendu les agriculteurs remercier
le gouverneur Sorin (lors de son passage en Guadeloupe en 1963) : “Nous ne
vous aimions pas pendant la guerre, mais avec le travail, nous avons d’abord
mangé, puis nous nous sommes ensuite enrichi. Aujourd’hui, nous vous
remercions ...”
5 - L’après guerre - La Guadeloupe sortit de la guerre dans des
conditions relativement enviables. Alors que des pays entiers avaient été
dévastés et comptaient leurs morts (50 millions pour l’ensemble de la guerre),
l’île n’avait connu que des petites privations, mais rien n’avait changé par
rapport à l’avant-guerre.
Les élections, qui suivirent la Libération, amena la victoire des socialistes
et des communistes aux Antilles.
La loi du 18 mars 1946 qui apportait la départementalisation aux
anciennes colonies, fut très bien accueilli à la Guadeloupe. La France, ruinée
par la guerre, ne pouvait en faire plus. Aussi, le changement ne se fit que très
66
longuement. Il fallut attendre le retour au pouvoir du Général de Gaulle, pour
que la V° République fasse un important programme de réformes.
L’arrivée au pouvoir de Fidel Castro attisa les illusions. Un mouvement
révolutionnaire le GONG apparu en 1964, prêt à recourir au terrorisme, pour
faire émerger des solutions radicales.
En 1967, un simple incident déclencha une émeute à Basse-Terre, puis
deux mois plus tard à Pointe-à-Pitre. Le procès remua l’opinion, malgré les
peines légères, qui frappèrent les accusés. Les événements suscitèrent un
regain du mouvement révolutionnaire qui prit une forme clandestine et
recourut au terrorisme. La Guadeloupe devint l’ïle où l’on posait des bombes.
Les attentats se multiplièrent avec leur cortège de dégâts et de victimes,
fauchant parfois les terroristes eux-mêmes infiltrés par les policiers. Tout cela
créa à la Guadeloupe une atmosphère bien particulière et lui forgea une
réputation de violence et d’activisme révolutionnaire.
L’industrie sucrière est expirante et la production bananière est touchée
par une grave polution. Le rhum vivote.
L’île est trop petite pour avoir une culture extensive, les cyclones
réguliers freinent la mise en place d’infrastructures vulnérables.
Il ne reste guère que le tourisme comme réel espoir, grâce à la baisse
des tarifs aériens. Les infrastructures sont lourdes, mais elles résistent assez
bien aux cyclones. Les îles ont le soleil et la chaleur toute l’année, de très
belles plages, sans danger. La population est accueillante et parle le français.
67
SOMMAIRE
1 – Les Précolombiens
1.2 – Avant les Caraïbes
1.2 - La migration des Calibis
1.3 - L'installation victorieuse des Caraïbes
2 - De COLOMB à D'ESNAMBUC
2.1 - L'arrivée de Christophe Colomb aux Iles
2.2 - Le second voyage de Christophe Colomb et découverte
de l'île de la Guadeloupe
2.3 - Les Espagnols aux Antilles
2.4 - La guerre entre les Espagnols et les Caraïbes
2.5 - L'arrivée des autres Européens
2.6 - Les Français dans les îles
3 - L’arrivée des premiers colons
3.1 - L'arrivée des premiers colons en Guadeloupe
3.2 - La Guadeloupe à l'arrivée des premiers colons en 1636
3.3 - Les Caraïbes et les premiers colons
3.4 - L'apport des Caraïbes aux premiers colons
3.5 - La première guerre des colons avec les Caraïbes
3.6 - Nouvelle guerre avec les Caraïbes
3.7 - La paix et la disparition des Caraïbes
3.8 - Les premières années de la colonie
3.9 - Les grands Blancs
3.10 - Les 36 mois ou petits Blancs
3.11 - Les femmes
4 - L’organisation coloniale
68
4.1 - Le contexte général
4.2 - Le Gouvernement
4.3 - La justice au début de la colonisation
4.4 - Les bâtiments publics et particuliers
4.5 - La communication
4.6 - Le colon et la capitation
4.7 - La répartition des terres
4.8 - La dépendance vis-à-vis de la Martinique
4.9 - Un aveu toujours d’actualité
5 - La Compagnie des Indes Occidentales
5.1 - Une idée fausse
5.2 - La création de la Compagnie des Indes-Occidentales
5.3 - Le privilège du pavillon français
6 - L’esclavage
6.1 - Les débuts de l'esclavage
6.2 - Le "Code Noir"
6.3 - L'église et l'esclavage
6.4 - La lourde responsabilité de l'Ancien Régime
6.5 - La première révolte à Capesterre
6.6 - L'esclavage, la résistance et la répression
6.7 - Les sources du préjugé de couleur
6.8 - La destruction du système esclavagiste
6.9 – L’esclavage persiste de nos jours
7 - La route des esclaves
7.1 – Trafic des esclaves
7.2 – La route des esclaves
7.3 - Les ravages du trafic
8 - La guerre des épices
8.1 - Pourquoi les épices ?
8.2 - Un commerce très ancien
8.3 - La lutte entre la Croix et le Croissant pour la maîtrise du
commerce des épices
8.4 - Les conséquences des routes des épices
8.5 - Les épices et la Guadeloupe
9 - Le mythe du bon sauvage
1 – Les Précolombiens
1.2 – Avant les Caraïbes
69
1.2 - La migration des Calibis
1.3 - L'installation victorieuse des Caraïbes
2 - De COLOMB à D'ESNAMBUC
2.1 - L'arrivée de Christophe Colomb aux Iles
2.2 - Le second voyage de Christophe Colomb et découverte
de l'île de la Guadeloupe
2.3 - Les Espagnols aux Antilles
2.4 - La guerre entre les Espagnols et les Caraïbes
2.5 - L'arrivée des autres Européens
2.6 - Les Français dans les îles
3 - L’arrivée des premiers colons
3.1 - L'arrivée des premiers colons en Guadeloupe
3.2 - La Guadeloupe à l'arrivée des premiers colons en 1636
3.3 - L'apport des Caraïbes aux premiers colons
3.4 - La première guerre des colons avec les Caraïbes
3.5 - Nouvelle guerre avec les Caraïbes
3.6 - La paix et la disparition des Caraïbes
3.7 - Les premières années de la colonie
3.8 - Les grands Blancs
3.9 - Les 36 mois ou petits Blancs
3.10 - Les femmes
4 - L’organisation coloniale
4.1 - Le contexte général
4.2 - Le Gouvernement
4.3 - La justice au début de la colonisation
4.4 - Les bâtiments publics et particuliers
4.5 - La communication
4.6 - Le colon et la capitation
4.7 - La répartition des terres
4.8 - La dépendance vis-à-vis de la Martinique
4.9 - Un aveu toujours d’actualité
5 - La Compagnie des Indes Occidentales
5.1 - Une idée fausse
5.2 - La création de la Compagnie des Indes-Occidentales
5.3 - Le privilège du pavillon français
6 - L’esclavage
6.1 - Les débuts de l'esclavage
70
6.2 - Le "Code Noir"
6.3 - L'église et l'esclavage
6.4 - La lourde responsabilité de l'Ancien Régime
6.5 - La première révolte à Capesterre
6.6 - L'esclavage, la résistance et la répression
6.7 - Les sources du préjugé de couleur
6.8 - La destruction du système esclavagiste
6.9 – L’esclavage persiste de nos jours
7 - La route des esclaves
7.1 – Trafic des esclaves
7.2 – La route des esclaves
7.3 - Les ravages du trafic
8 - La guerre des épices
8.1 - Pourquoi les épices ?
8.2 - Un commerce très ancien
8.3 - La lutte entre la Croix et le Croissant pour la maîtrise du
commerce des épices
8.4 - Les conséquences des routes des épices
8.5 - Les épices et la Guadeloupe
9 - Le mythe du bon sauvage
10 - La Révolution Française à la Guadeloupe ou “O liberté, que
crimes on commet en ton nom !”
10.1 - Début de la Révolution et la perte des Iles
10.2 - Victor Hughes débarque à la Guadeloupe et remporte la
victoire de Pointe-à-Pitre
10.3 - La victoire totale et l’exécution des colons
10.4 – Le gouvernement de Victor HUGHES
10.5 – Les corsaires de la Guadeloupe
10.6 - De l’Empire à la Seconde République
10.7 - L’abolition de l’esclavage
10.8 - Le Second Empire
10.9 - La Troisième République
10.10 - L’époque contemporaine
de 1914 à nos jours
71

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