Histoire - memoria.dz
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Lettre de l'Editeur Pour une vive mémoire AMMAR KHELIFA [email protected] es nations se hissent par le savoir et se maintiennent par la mémoire. C’est cet ensemble d’événements qui se créent successivement aujourd’hui pour qu’un jour on ait à le nommer : Histoire. Sans cette mémoire, imbue de pédagogie et de ressourcement, l’espèce humaine serait tel un atome libre dans le tourbillon temporel et cosmique. L’homme a eu de tout temps ce pertinent besoin de vouloir s’amarrer à des référentiels et de se coller sans équivoque à son histoire. Se confondre à un passé, à une ancestralité. Cette pertinence va se confiner dans une résistance dépassionnée et continue contre l’amnésie et les affres de l’oubli. Se contenir dans un souvenir, c’est renaître un peu. L’intérioriser, c’est le revivre ; d’où cette ardeur permanente de redécouvrir, des instants durant, ses gloires et ses notoriétés. En tant que mouvement dynamique qui ne s’arrête pas à un fait, l’Histoire se perpétue bien au-delà. Elle est également un espace pour s’affirmer et un fondement essentiel dans les domaines de prééminence et de luttes. Transmettant le plus souvent une charge identitaire, elle est aussi et souvent la proie pitoyable à une éventualité faussaire ou à un oubli prédateur. Seule la mémoire collective, comme un fait vital et impératif, peut soutenir la vivacité des lueurs d’antan et se projeter dans un avenir stimulant et inspirateur. Elle doit assurer chez nous le maintien et la perpétuation des liens avec les valeurs nationales et le legs éternel de la glorieuse révolution de Novembre. Il est grand temps, cinquante ans après le recouvrement de l’indépendance nationale, de percevoir les fruits de l’interaction et de la complémentarité entre les générations. Dans ce contexte particulier et délicat, les moudjahidate et moudjahidine se doivent davantage de réaffirmer leur mobilisation et leur engagement dans le soutien du processus national tendant à éterniser et à sacraliser l’esprit chevaleresque de Novembre. Ceci n’est qu’un noble devoir envers les générations montantes, qui, en toute légitimité, se doivent aussi de le réclamer. A chaque disparition d’un acteur, l’on assiste à un effacement d’un pan de notre histoire. A chaque enterrement, l’on y ensevelit avec une source testimoniale. Le salut de la postérité passe donc par la nécessité impérieuse d’immortaliser le témoignage, le récit et le vécu. Une telle déposition de conscience serait, outre une initiative volontaire de conviction, un hommage à la mémoire de ceux et de celles qui ont eu à acter le fait ou l’événement. Le témoignage devrait être mobilisé par une approche productive d’enseignement et de fierté. Raviver la mémoire, la conserver n’est qu’une détermination citoyenne et nationaliste. Toute structure dépouillée d’histoire est une structure sans soubassement et toute Nation dépourvue de conscience historique est une nation dépourvue de potentiel de créativité et d’intégration dans le processus de développement. C’est dans cette optique de rendre accessibles l’information historique, son extraction et sa mise en valeur que l'idée de la création de cette nouvelle tribune au titre si approprié : Memoria, a germé. Instrument supplémentaire dédié au renforcement des capacités de collecte et d’études historiques, je l’exhorte, en termes de mémoire objective, à plus de recherche, d’authenticité et de constance. [email protected] LA REVUE DE LA MÉMOIRE D'ALGÉRIE (3) www.memoria.dz Supplément N°40 - Octobre - 2015 P.07 P.12 Fondateur Président du Groupe AMMAR KHELIFA Direction de la rédaction Zoubir KHELAIFIA Coordinatrices Meriem Khelifa Chahrazed KHELIFA Reporter - Photographe Abdessamed KHELIFA Sanae Nouioua Rédaction Adel Fathi Boualem Touarigt Dr Boudjemaâ HAICHOUR Farid Ziad Hassina AMROUNI Mohamed Lamine Direction Artistique Halim BOUZID Salim KASMI Impression SARL imprimerie Ed Diwan Contacts : SARL COMESTA MEDIA N° 181 Bois des Cars 3 Dely-Ibrahim - Alger - Algérie Tél. : 00 213 (0) 661 929 726 + 213 (21) 360 915 Fax : + 213 (21) 360 899 E-mail : [email protected] [email protected] 17 octobre 1961 des algériens arrêtés à paris octobre 1961 P.07 Histoire Le couvre-feu du 5 octobre 1961 à Paris Lorsque Papon voulait en finir avec le FLN EN France P.13 Histoire BILAN MEURTRIER D’OCTOBRE 1961 A PARIS LE SANG DES ALGéRIENS SUR SEINE guerre de libération P.09 charles de gaulle P.12 P.19 Histoire Le piratage aérien du 22 octobre 1956 La France déroute un avion marocain sur Alger P.25 Histoire La rébellion du ffs une histoire à revisiter P.29 Histoire aux origines du conflit maurice papon P.19 P.33 Histoire les mystères d’un dénouement P.37 Histoire le témoignage d’un commandant P.41 Histoire l’improbable parcours des négociations www.memoria.dz les prisonniers historiques Supplément du magazine ELDJAZAIR.COM Consacré à l’histoire de l'Algérie P.28 P.37 P.25 Edité par : Le Groupe de Presse et de Communication hocine ait ahmed commandant yaha P.57 mohamed tahar bouchouareb si slimane bouchouareb P.47 Histoire P.68 Le moudjahid, le docteur Mohamed-Tahar Bouchouareb dit « Bounefa ». Le stéthoscope au service de la Révolution P.57 Histoire Le colonel Slimane Bouchouareb sur les traces de son oncle paternel « Bounefa » P.67 Histoire les transmissions de l’aln abdelhafid boussouf UNE arme redoutable P.77 P.77 Histoire Noël Favrelière, le déserteur devenu héros P.81 Histoire 23é Congrés de l’Académie Arabe de Musique VOYAGE MUSICAL DE LA JEUNESSE ARABE HISTOIRE D'UNE VILLE P.89 dellys, la merveilleuse Noël Favrelière SOMMAIRE P.47 mohand oulhadj Dépôt légal : 235-2008 ISSN : 1112-8860 Dellys Avec les compliments du Ministère de la Poste et des TIC, et d’Algérie Telecom ANEP : 349238 Le couvre-feu du 5 octobre 1961 à Paris Lorsque Papon voulait en finir avec le FLN en France Par Mohamed Lamine Guerre de libération Histoire Dès 1958, avec l’ouverture par les dirigeants de la Révolution algérienne, d’un front chargé de mener la guerre sur la terre de France, inaugurée par une série d’attaques contre des cibles stratégiques, le préfet de police Maurice Papon mit en place un dispositif «anti-révolutionnaire» aux fins d’en finir avec le FLN. Ce dispositif fait suite à la mesure prise par le président du Conseil d’alors, le général de Gaulle, consistant en la création d’un «groupe de travail composé de représentants de différents ministères pour émettre des recommandations sur les formes les plus efficaces d’action psychologique et de propagande en vue de dégager la masse des musulmans de leur soumission au FLN». C’est que les Algériens de France étaient en majorité acquis à la Révolution, représentée dans la métropole, par la Fédération de France du FLN, ou la 7e wilaya. F ace à cette réalité amère pour les partisans de l’Algérie française, Papon adresse au groupe de travail le 1er août 1958, des «Notes sur la répression du terrorisme nord-africain», préconisant de «bannir de métropole Groupe El-Djazaïr.com . MÉMORIA . A gauche, Maurice Papon (préfet de police de Paris) et Georges Pompidou (Premier ministre) derrière le général Charles de Gaulle tous les suspects terroristes, laissant les autorités militaires leur réserver un régime répressif approprié, donner davantage de pouvoir aux tribunaux militaires » et « autoriser l’assignation à résidence d’individus suspects d’activité FLN contre lesquels les preuves ne sont pas suffisantes pour lancer une procédure judiciaire». Ces mesures sont mises en œuvre par le gouvernement De Gaulle. Pour tenter de récupérer (8) les Algériens face à sa politique répressive, Papon crée des «structures sociales» en leur faveur, notamment des nouveaux venus en France, qui fuyaient la guerre totale en Algérie ouvertes par les paras pour tenter de réduire les maquis. En réalité, ces structures sociales chargées notamment d’aider les nouveaux venus dans leurs démarches administratives n’étaient que des « bureaux de renseignement» mises en place pour les ficher et suivre leurs activités au cas où.... Alors que pour les actions de sabotage d’infrastruc- Supplément N° 40- Octobre 2015. Guerre de libération Histoire le combattaient, notamment dans la région parisienne, parallèlement aux forces de répression françaises. La politique de Papon allait se poursuivre et la répression augmentait de niveau, notamment avec la création, fin 1960, d’une force de police auxilliaire (FPA) formée d’Algériens acquis au colonialisme. Les harkis de Paris Dans l’esprit de Papon et de ses soutiens ultras, les agents recrutés dans cette police, de par leur connaissance des milieux algériens à Paris, allaient contribuer à disloquer les organisations du FLN. La stratégie adoptée par cette police dirigée par un militaire français, le capitaine Raymond Montagner, était d’isoler les militants du FLN de la population, par des tures économiques stratégiques lancées par le FLN de France, Papon remet les mêmes recommandations au « Comité de coordination et d’action psychologique (CCAP) », uns structure dirigeant le groupe de travail, formée des ministres de l’Intérieur, de la Justice et des Forces armées. La guerre pour le démantèlement du FLN de France était totale, mais cette politique répressive et « sociale » ne réussira pas à atteindre ses objectifs. Bien au contraire, le FLN de France renforçait sa présence auprès des Algériens en parvenant à réduire, fin 1958, les forces messalistes qui LA REVUE DE LA MÉMOIRE D'ALGÉRIE assassinats de ses membres armés, sinon leur arrestation, jugement et emprisonnement, en recourant à des « indicateurs » notamment, ceux activant dans le commerce (hôtels, débits de boissons, etc). « La méthode utilisée par les hommes de Montanier est invariable: occupation d’hôtels habités par les travailleurs algériens, infiltration et recueil de renseignements, violences policières, tortures», selon l’historien français JeanPaul Brunet. «La première compagnie de FPA implantée dans un quartier du XIIIe arrondissement parvient à disloquer l’organisation frontiste dans cet arrondissement », ajoute Brunet. « Ce succès amène le préfet de police à implanter une deuxième compagnie dans le quartier de la Goutte d’Or. Dès lors, les patrouilles en file indienne de ces hommes en calots bleus, mitraillette à la ceinture, fait partie du paysage des XIIIe et XVIIIe arrondissements. Dans la lutte Arrêstation massive des Algériens à Paris (9) www.memoria.dz Guerre de libération Histoire que mène la Préfecture de Police de Paris contre le FLN, les FPA sont en première ligne», écrit-il. Et de conclure que «l’efficacité de la FPA a eu pour contrepartie l’emploi de moyens illégaux et moralement condamnables comme les arrestations et détentions arbitraires et la pratique systématique de la torture». Brunet rappelle que ces méthodes policières dénoncées dans la presse de gauche, mais aussi l’ouverture des premiers pourparlers d’Évian entre le gouvernement français et le GPRA à la fin du mois de juin 1961, mettent fin aux sinistres ac- Groupe El-Djazaïr.com . MÉMORIA . tivités des harkis de Paris contre les Algériens. La FPA était dissoute au grand dam de Papon et des ultras de l’Algérie française, qui allaient poursuivre la répression à Paris, profitant des actions armées du FLN contre les ennemis de la Révolution qu’ils soient d’origine algérienne ou française. Sont visés les harkis irréductibles, mais aussi des policiers et para-policiers auteurs d’exactions contre les Algériens. Ces derniers sont d’abord mis en garde de cesser leurs actions et en cas de de refus, ( 10 ) sont tout simplement supprimés pour en faire des exemples auprès de leurs collègues ultras. Prenant prétexte de ces opérations ciblées du FLN, qualifiées par les ennemis de la Révolution et la presse acquise à l’Algérie française, d’«attentats terroristes» contre des agents «paisibles» de la police parisienne, des policiers tentent de sensibiliser leurs collègues réellement paisibles, notamment lors des cérémonies d’entrainement, de riposter par des représailles contre les Algériens. Supplément N° 40- Octobre 2015. Guerre de libération Histoire Manifestants algériens arrêtés Se faire justice soi-même Ces policiers ultras voulaient se faire justice eux-mêmes, y compris en visant des Algériens sans aucun lien organique avec le FLN, et c’est peut-être de là qu’est né chez la police française raciste, le «délit de faciès». Ces représailles aveugles, qui avaient fait de nombreuses victimes innocentes parmi la communauté algérienne, n’étaient pas «mal vues» par le préfet de police de Paris. Ces assassinats attribués à la police, par le FLN, sont qualifiés de «règlements de comptes» entre Maghrébins dans les médias colonialistes, qualifica- LA REVUE DE LA MÉMOIRE D'ALGÉRIE tif destiné à laver de tout soupçon la police parisienne. Les victimes étaient exécutées sans témoins ni archives officielles. «Il n’existe, concernant ces groupes (d’exécuteurs), que des présomptions : ils auraient été constitués par des policiers entrés dans la voie d’une sorte de contre-terrorisme, pour se faire justice eux-mêmes en dehors de leurs heures de service», écrit l’historien Brunet, pour qui «du 2 au 4 octobre, 24 corps de Nord-Africains sont enregistrés à l’Institut médico-légal. Presque tous sont victimes d’homicides, 9 ne peuvent être identifiés». Pourtant, les nombreuses disparitions ne sont pas répertoriées. Et c’est pour tenter de porter «un coup fatal» au FLN à Paris, que Papon, ( 11 ) malgré les avancées des négociations entre le gouvernement français et le GPRA, en juillet et août 1961, décide d’imposer un couvrefeu aux seuls Algériens de Paris, le 5 octobre. Voici le texte intégral de cette mesure raciste affiché partout: «Dans le but de mettre un terme sans délai aux agissements criminels des terroristes, des mesures nouvelles viennent d’être décidées par la préfecture de police. En vue d’en faciliter l’exécution, il est conseillé de la façon la plus pressante aux travailleurs algériens de s’abstenir de circuler la nuit dans les rues de Paris et de la banlieue parisienne, et plus particulièrement de 20h30 à 5h30 du matin. Ceux qui, par leur travail, seraient dans la nécessite de circuler pen- www.memoria.dz Guerre de libération Histoire Des algériens arrêtés et mis dans des bus à Paris dant ces heures, pourront demander au secteur d’assistance technique de leur quartier ou de leur circonscription une attestation qui leur sera accordée après justification de leur requête. D’autre part, il a été constaté que les attentats sont la plupart du temps le fait de groupes de trois ou quatre hommes. En conséquence, il est très vivement recommandé aux Français musulmans de circuler isolément, les petits groupes risquant de paraître suspects aux rondes et patrouilles de police. Enfin, le préfet de police a décidé que les débits de boissons tenus et fréquentés par les Français musulmans d’Algérie doivent fermer Groupe El-Djazaïr.com . MÉMORIA . chaque jour à 19 heures». La prise de cette décision et sa mise en œuvre, qui gênaiثt les activités nocturnes du FLN et indisposait la vie des Algériens en général, n’allait pas mettre fin aux attentats perpétrés des deux côtés. La mesure raciste donnera lieu à la manifestation pacifique du 17 octobre 1961, décidée par le FLN, en guise de protestation. Elle sera réprimée dans le sang par la police avec la bénédiction de Papon et gouvernement français. Mohamed Lamine ( 12 ) Maurice Papon Supplément N° 40- Octobre 2015. BILAN MEURTRIER D’OCTOBRE 1961 A PARIS Dr Boudjemâa HAICHOUR. Chercheur universitaire, ancien ministre LE SANG DES ALGéRIENS SUR SEINE Guerre de libération Histoire Je remercie tout d’abord les autorités locales, à leur tête Monsieur le wali de la wilaya de Skikda, ainsi que les organisateurs de cette journée, en l’occurrence l’association du 1er Novembre, la direction régionale du musée Colonel Ali Kafi, et enfin la direction des moudjahidine de la Wilaya de Skikda de cette opportunité de commémorer l’une des pages les plus sanglantes de la France coloniale qui a touché notre communauté le 17 octobre 1961, quelques mois avant l’indépendance. Cette wilaya a connu des gloires et des héros lors de la révolution, les attaques du Nord-Constantinois le 20 août 1955, sous la direction du héros et martyr Zighoud Youcef, attestent et témoignent de la grandeur de cette région et de sa nitescence. Elle-même a connu les horreurs du colonialisme et ses crimes, quand on se souvient du stade municipal qui a recueilli, à lui seul, 134 cadavres alignés sur le terrain, parmi les 1500 Algériens exécutés par les troupes françaises dans la ville de Skikda, à travers ses différents quartiers, n’épargnant même pas des civils isolés. Il n’est pas étrange pour une ville, qui a compté ses chouhada en centaines et même en milliers, de revivre le passé douloureux d’un massacre similaire commis par la France coloniale aux mains du criminel Papon il s’agit bien du 17 octobre 1961. Nous commémorons le 54e anniversaire des tueries et des noyades d’Algériens par l’ignoble personnage Maurice Papon qui a ordonné aux forces de police de mater une manifestation pacifique et qui se solda par des centaines de victimes ce 17 octobre 1961 au cœur de Paris. Les peuples algériens et français se souviennent des massacres perpétrés lorsque la Seine a charrié les cadavres d’Algériens devenant rouge de sang. Leur tort a été d’avoir manifesté pacifiquement dans les rues de Paris. Maurice Papon ou crimes sur ordonnance Maurice Papon « Ce soir-là, dira Ali Haroun, 17 octobre à 20 heures à cette heure même où le préfet Maurice Papon prétendait les consigner dans leur ghetto, les Algériens vont entreprendre une longue marche silencieuse à travers les principales artères de la capitale. Ils Groupe El-Djazaïr.com . MÉMORIA . vont surgir de partout de l’Etoile à Bonne nouvelle, à l’Opéra et à la Concorde, au pont de Neuilly. Ces portes que Papon leur fermait, cinquante mille Algériens les ont franchies ». Ce fut une révélation. Ce soir-là les policiers font preuve d’un zèle inaccoutumé. Le sang coule à flots dans les eaux de la Seine. Dans la nuit du souvenir, à travers les émotions et les peines, nous allons revisiter l’histoire à la source même de ce qui nous fait agir, penser ou croire. Loin des passions, la jeune génération veut découvrir les vérités d’une tranche de vie de l’histoire où l’horreur, la peur, la misère et la douleur s’y rencontraient sans cesse. Le plus grave c’est d’accepter et de vouloir l’oublier. Ce jour-là, Papon, préfet de police de Paris, avait déployé un important dispositif des forces de l’ordre. Les Algériens sont sortis avec des slogans soigneusement étudiés : « A bas les mesures racistes », « A bas les internements », « Libérez nos ( 14 ) ministres du GPRA ». La Fédération FLN de France avait donné des consignes pour ne pas répondre à la provocation. Ce fut un jour tragique, car Papon avait donné carte blanche à ses policiers pour massacrer. Des milliers d’arrestations dont un grand nombre furent reconduits en Algérie. Des corps d’ouvriers algériens gisaient par-dessus la Seine. Jean-Luc Einaudi parle de plus de 200 morts dans son livre La Bataille de Paris, 17 octobre 1961 sans compter les disparus. Le Film Octobre à Paris a été tourné à chaud par Jacques Panijel, membre du Comité Maurice Audin, sans oublier le livre qui parut à l’époque par Paulette Péju sous le titre Ratonnades à Paris, publié par François Maspero. Nous sommes en octobre 2015 et le temps de passer sous silence cette répression à ciel ouvert d’octobre 1961 ne peut rester oublié par devoir de mémoire. Supplément N° 40- Octobre 2015. Guerre de libération Histoire Terrible déchainement de la barbarie et massacre d’état Dans l’ouvrage d’Alain Dewerpe paru en janvier 2006, Charonne 8 Février 1962- Anthropologie historique d’un massacre d’Etat met en exergue cette manifestation pacifique un certain 17 octobre 1961 la comparant à la violence d’État et aux matraquages que subirent les Français dont son père mort lors d’une manifestation. Ce 17 octobre 1961, plus de vingt mille Algériens descendus dans les rues de Paris se sont vus tabasser et jeter dans la Seine par celui qui fut impliqué dans les persécussions massives contre les minorités raciales ou religieuses, je veux parler de Maurice Papon. Ce dernier s’est rendu coupable de tout ce que la conscience universelle considère comme une atteinte à la dignité humaine et par conséquent condamné par les hautes cours de justice. Déjà le 24 octobre 1941, il fut directement lié à l’affaire des cinquante otages fusillés à Bordeaux considérés comme les résistants contre le nazisme. C’est également sous son autorité que des centaines de juifs de tous âges internés au camp de Mérignac, furent déportés de 1942 à 1944 à Drancy et moururent exterminés dans les camps dont 81 enfants. Son procès a été intenté par une dizaine d’associations où les plaignants ont mis en exergue son implication dans les affres touchant aux droits de l’homme. LA REVUE DE LA MÉMOIRE D'ALGÉRIE Des scènes insoutenables ( 15 ) www.memoria.dz Guerre de libération Histoire Cirta/Paris/des bords du Rhumel aux bords de la Seine Les habitants de Constantine, l’Antique Cirta, se souviennent des atrocités de Maurice Papon qui a entrepris une véritable chasse à l’homme quand il a été préfet en 1949 et Igame dans le département de Constantine. Jouissant de cette référence de préfet régional du Constantinois de 1956 à 1958, il rejoindra ses fonctions de préfet de police de Paris sur recommandation du ministre de la Défense de l’époque Maurice Bourgès-Maunoury. Groupe El-Djazaïr.com . MÉMORIA . Il introduira les DOP (Détachements opérationnels de protection), sorte de cellules spécialisées, qui vont servir dans l’investigation et les interrogatoires, de même que les Centres de renseignement et d’action (CRA) des bords du Rhumel qu’il reprendra à Paris, alors préfet de Police (1958/1967) sous le nom de « Service de coordination des affaires algériennes ». Ratonnades et noyades dans la Seine rouge-vermeil Les Algériens ont connu les triques, les noyades et les ratonnades, moyens illégaux condamnés moralement. On leur a fait subir la pratique systématique de la torture par les forces de police auxiliaire comman- ( 16 ) dées par le capitaine Raymond Montanier au bord et dans les eaux de la Seine. Ces méthodes furent dénoncées par la presse de l’époque. Il faut dire que les événements qui ont eu lieu à Paris en octobre 1961 ont permis d’ouvrir les négociations entre le GPRA et le gouvernement français le 20 mai 1961. Deux rapports sont issus de deux enquêtes initiées en 1998 par la gauche au pouvoir, celui de la commission ordonnée par Jean-Pierre Chevènement, « le Rapport Mandelkern » en consultant les archives de la police et celle d’Élisabeth Guigou dirigée par Jean Géronimi le « Rapport Géromini » sur la base des archives judiciaires. Supplément N° 40- Octobre 2015. Guerre de libération Histoire En 1961, Paulette Péju fut mandatée par le FLN pour rédiger le récit détaillé des événements d’Octobre publié chez Maspero sous le titre Les Ratonnades d’Octobre rapidement interdit à la vente. En 1985, Michel Levine publie son livre sous le titre Les ratonnades d’Octobre un meurtre collectif à Paris précédé d’un roman de l’écrivain Didier Daenick Meurtres pour Mémoire. En 1986, Ali Haroun publie son ouvrage intitulé La 7e Wilaya-la guerre du FLN en France 1954/1962 à Casbah éditions. En 1991, parait La bataille de Paris de Jean-Luc Einaudi qualifié de travail remarquable par Jim House et Neil Mac Master sans oublier le reportage photos publié par Anne Tristan sous le titre Le Silence du Fleuve et le Documentaire britannique produit par la TV de Philip Broders et Alan Haylong diffusé le 2 mars 1993 par France 3. Le travail des historiens et le devoir de mémoire Beaucoup d’historiens ayant travaillé sur le 17 octobre 1961 feront ressortir la répression policière qui fut féroce et d’une extrême violence causant des centaines de morts (voir l’éditorial d’Hervé Bourges pour Témoignage Chrétien, les photos d’Elie Kagan et l’article américain « La Seine charriant les cadavres algériens »). Olivier Le Cour Grandmaison publie dans l’édition Dispute 2001, Le 17 Octobre 1961 : un crime d’Etat à Paris. LA REVUE DE LA MÉMOIRE D'ALGÉRIE En Octobre 2001, le maire de Paris le socialiste Bertrand Delanoë inaugure la plaque commémorative sur le pont Saint-Michel. En octobre 2003, la mairesse de Nanterre, député-maire Mme Jacqueline Fraysse, rejoint la même initiative en dévoilant une plaque commémorative aux abords de la Seine en mémoire des victimes avec un appel aux autorités françaises de reconnaitre les crimes du colonialisme et d’assumer enfin son passé colonial. En mai 2005 l’ambassadeur de France en Algérie, Hubert Colin de La Verdière, s’est déplacé à Sétif pour se recueillir à la mémoire des massacres du 8 Mai 1945. Conflits mémoriels et regard sur l’avenir Il serait impensable qu’on puisse parler d’une mission civilisatrice du colonialisme et d’en glorifier ses actes génocidaires par la loi du 23 Février 2005. ( 17 ) La proposition de Loi présentée par un groupe de députés algériens qui a été déposée n’invente en rien de ce que d’autres Nations ont demandé, c’est-à-dire les excuses pour les crimes et les massacres commis par le colonialisme. Le devoir de mémoire nous rappelle toujours cette longue nuit coloniale et contre la culture de l’oubli. La France a un devoir de vérité et on ne peut falsifier l’histoire ni l’occulter. Elle doit être assumée sans passion ni haine, avec raison et sagesse. Le regard vers l’avenir des générations passe par la reconnaissance des faits historiques coloniaux. Cette évocation intervient à un moment où l’Algérie entame la dernière étape des réformes politiques et institutionnelles annoncées par Le Président Abdelaziz Bouteflika, depuis le 15 avril 2011 et reprise sous la conduite de son Directeur de Cabinet, le ministre d’Etat Ahmed Ouyahia, afin de consolider les assises de la démocratie par la rédaction d’une « Constitution Consensuelle » qui devrait en principe voir le jour avant décembre 2015. www.memoria.dz Guerre de libération Histoire 54 ans âpres, les peuples des deux rives se souviennent Cinquante-quatre ans après, les douleurs restent vivaces. Entre l’Algérie et la France, le contentieux de l’histoire reste à assumer de part et d’autre de la Méditerranée. La reconnaissance des crimes commis par le colonialisme ne peut être comprise comme une humiliation d’autant que d’autres peuples sont allés à la repentance. On peut citer l’exemple de l’Allemagne qui a reconnu ses torts causés au peuple français durant la Seconde Guerre mondiale. L’interprétation de certains articles des Accords d’Evian n’entrave en rien à ce que la reconnaissance et pourquoi pas la repentance se fasse comme ce fut le cas pour la torture reconnue par la France officielle. C’est de cette repentance que se glorifiera la France des Lumières comme l’avait grandie la Révolution de 1789. C’est à cette condition et seulement cette condition que nous aurons, comme dira le Président Bouteflik,a « à chanter l’hymne d’une coopération fructueuse et mutuellement bénéfique entre la France et l’Algérie loin du syndrome du paradis perdu ». Loin du syndrome du paradis perdu Notre Émigration est à sa quatrième génération. Les problèmes sont tout à fait différents de leurs aînés. Il en ressort de ces ren- Groupe El-Djazaïr.com . MÉMORIA . contres que notre communauté est partie prenante de tout ce qui se passe dans le pays. Son attachement à la patrie est viscéral et de plus en plus les jeunes générations veulent contribuer par tous les moyens à la vie de leur pays. Des discussions riches et des questions pertinentes que les membres de la communauté m’ont posées postulent à l’idée d’une Stratégie à mettre en œuvre quant à sa place dans le pays d’accueil et dans leur pays. Notre communauté vivant à l’étranger à la place qui lui est sienne dans son pays d’origine et en tant que Diaspora, peut jouer un rôle prépondérant également dans le pays d’accueil afin d’infléchir sur le cours des événements notamment dans les échéances électorales. Est-il venu le moment de préparer les assises sur l’Émigration par la mise en place d’une Stratégie prenant une charge les préoccupations de notre communauté nationale à l’étranger, sa participation sur le sol d’accueil et dans le pays d’origine ? Le legs mémoriel et la quête de vérité Il est nécessaire en ce mois d’octobre 2015, de continuer à développer un dialogue sur les deux rives de la Méditerranée dans une géopolitique de plus en plus complexe, en vue de parvenir à un climat de solidarité, de complémentarité et de prospérité partagées ( 18 ) dans l’esprit de la reconnaissance des actes touchant aux droits et à la dignité de l’homme que la colonisation a fait subir sur les peuples colonisés. La France officielle en la personne de son Président actuel François Hollande est descendu sur les rives de la Seine, alors qu’il était candidat suivi de l’ancien maire de Paris, Delanoë pour inaugurer la plaque commémorative des massacres du 17 Octobre 1961. Une date qui restera marquée à jamais dans la mémoire collective de notre peuple et de la glorieuse émigration pour que les jeunes générations des deux côtés de la Méditerranée se souviennent de ce pogrom que la revue les Temps modernes de Jean-Paul Sartre qualifie de massacre d’Etat après les noyades. Le massacre du parc des Sports a vu toutes les formes de tortures, dira Ali Haroun, des juifs parqués au Vél d’Hiv comme du temps de l’occupation nazie expérimentée par le sinistre et criminel de guerre Maurice Papon. Dr Boudjemaâ HAICHOUR Chercheur Universitaire, Ancien Ministre NOTES/ 1-Jean-Luc Einaudi : « Octobre 1961 – Un massacre à Paris » Nouvelle édition augmentée Edition Pluriel/Fayard, 2011. 2-Ali Haroun : « La 7e Wilaya – ou la guerre du FLN en France 1954/1962», Casbah Editions, Alger, 2005. 3-Jean Paul Brunet : « Police contre FLN-Le drame d’Octobre 1961 », Flammarion, 1999, Paris. 4- Olivier Le Cour Grandmaison : « Le 17 Octobre 1961-Un crime d’Etat à Paris-Edition La Dispute 2001. 5-Lévine Michel : « Les Ratonnades d’Octobre », Ramsay, 1985. Supplément N° 40- Octobre 2015. Le piratage aérien du 22 octobre 1956 La France déroute un avion marocain sur Alger Par Adel Fathi Guerre de libération Histoire Le 22 octobre 1956, la France coloniale commet le premier piratage aérien de l’histoire de l’aviation en déroutant sur Alger un avion marocain, transportant cinq dirigeants de la Révolution algérienne, depuis Rabat, qui les conduisait initialement à Tunis. L’acte de piraterie aérienne avait permis l’arrestation de Ahmed Ben Bella, Hocine Aït Ahmed, Mohamed Boudiaf, Mohamed Khider et Mustapha Lacheraf, qui devaient prendre part à un sommet décisif pour la constitution du Maghreb arabe. Ce crime colonial a été préparé et exécuté par les services secrets français avec l’aval de politiques français partisans de l’Algérie française, en tête le criminel de guerre Robert Lacoste, alors ministre résident et gouverneur général de l’Algérie. L ’acte criminel commis contre un pays souverain, le Maroc, met dans l’embarras le gouvernement socialiste de Guy Mollet, alors que Paris, Londres et Israël (entité fantoche installée depuis huit ans en Palestine) tenaient une réunion secrète (du 21 au 24 octobre 1956) dans la capitale française, visant à attaquer militairement l’Égypte de Nasser, qui venait de nationaliser le canal de Suez. Le 2e bureau (renseignements français) qui suivait pas à pas les activités des dirigeants de la Révolution partout en Europe et dans le monde arabe, notamment en Égypte et au Maroc, grâce à ses nombreux agents et à un réseau d’informateurs anonymes, était au courant, bien des jours à l’avance, de la participation d’une délégation du FLN au sommet maghrébin de Tunis, convoqué par le président tunisien Habib Bourguiba et auquel devait prendre part le souverain marocain Mohammed V. Des préparatifs de ce sommet Groupe El-Djazaïr.com . MÉMORIA . s’étaient déroulés en France avec l’assentiment des autorités françaises (lire plus loin). Seulement, le sommet programmé ne concernait que les deux pays, le Maroc et la Tunisie, protectorats français, ayant nouvellement accédé à leur indépendance, respectivement les 2 et 20 mars 1956. Les services de renseignements français au Maroc n’apprirent l’invitation à ce sommet d’une délégation du FLN, que quelques jours avant la date de son déroulement. Le roi Mohammed V avait promis à Ben Bella et à ses compagnons qu’il avait reçus au Maroc, qu’ils seraient du voyage pour Tunis, en sa compagnie, dans son avion. L’information sensible pour la sécurité des dirigeants de la Révolution, déjà sur la table du 2e bureau, à Alger et Paris, avait été rendue publique la veille du 22 octobre dans les médias. Mais que faisaient Ben Bella, Aït Ahmed, Khider, Boudiaf, quatre baroudeurs rompus à la clandestinité, et Lacheraf (professeur dans un lycée à Paris), au Maroc en ce moment précis, ( 20 ) alors qu’ils auraient pu regagner Tunis depuis Le Caire en empruntant un autre itinéraire sécurisé et anonyme ? Les quatre dirigeants étaient venus à Nador, ville marocaine située au nord-est sur la Méditerranée, pour réceptionner un bateau chargé d’armes, le fameux « Athos ». Ben Bella, qui avait minutieusement préparé le convoi depuis Beyrouth (Liban), en passant par l’Égypte, allait déchanter lorsque les services français à l’affût, réussirent à arraisonner le navire avant d’atteindre sa destination finale. Le bateau avait quitté Beyrouth le 19 septembre 1956. Il est suivi par les agents français jusqu’à son arrivée à Alexandrie en Égypte où Ben Bella, mais aussi d’autres agents du 2e bureau français l’attendaient. Ce bateau n’échappera plus à la vigilance des renseignements français depuis son départ vers le Maroc, même s’il avait emprunté une voie maritime en dehors des eaux françaises. Il sera arraisonné le 16 octobre, en haute mer et détourné vers l’Algérie. Les armes saisies sont Supplément N° 40- Octobre 2015. Guerre de libération Histoire consistantes : 400 caisses contenant 80 tonnes d’armes et de munitions. Ben Bella et ses compagnons qui avaient appris le fiasco, rencontrent le prince Hassan (futur Hassan II) pour négocier avec lui une nouvelle livraison d’armes qui faisaient grandement défaut aux maquisards de l’ALN de l’intérieur. Le prince leur fait rencontrer alors Mohammed V. Ben Bella et ses compagnons qui ne désespéraient pas de récupérer les armes saisies, voulaient persuader le souverain de revendiquer auprès des autorités françaises, le bateau chargé d’armes saisi, l’« Athos », comme appartenant au Maroc, mais Mohammed V, qui n’ignorait par les dessous de l’affaire, refusa, invoquant des considérations diplomatiques. C’est à ce moment-là que le souverain proposa à ses hôtes d’être du voyage pour Tunis, dans son avion personnel, un Super-Constellation, pour assister au sommet du Maghreb. Détournement, désinformation et manipulation Convaincus que la délégation du FLN allait voyager dans l’avion royal, les renseignements français avaient prévu, en violation de toutes les règles de la navigation aérienne internationale, et contre toute convention internationale en la matière, de détourner l’avion pour arrêter les dirigeants du FLN. Ce n’est qu’en apprenant le 21 octobre, que les dirigeants du FLN allaient se rendre à Tunis dans un autre avion, qu’ils abandonnent leur sinistre projet. C’est que les dirigeants de la LA REVUE DE LA MÉMOIRE D'ALGÉRIE Révolution avaient changé de plan. Leur désistement d’accompagner le souverain, motivé par le souci de ne mettre en cause sa sécurité devient pour les militaires français partisans de l’Algérie française, un « refus cinglant » du roi face à leur « insistance » d’être du voyage dans l’avion royal. A ce sujet Aït Ahmed, alors chef de la délégation, avait précisé à une télévision marocaine que le changement d’appareil avait eu lieu après ( 21 ) qu’il eut fait état au futur Hassan II de ses craintes de « faire prendre des risques » au roi Mohammed V en le faisant voyager dans le même avion que les dirigeants algériens, recherchés par les services français. Il y ajoute que « l’état-major français du Maroc était présent sur le sol marocain, comme depuis toujours ». Il faut rappeler qu’aussi bien la Tunisie que le Maroc, en cette période, n’étaient indépendants que www.memoria.dz Guerre de libération Histoire politiquement, la France maintenant dans ces pays une présence militaire et un contrôle économique tels qu’ils ne leur donnaient qu’une maigre marge de manœuvre pour imposer leur décision dans ce genre d’affaire de haute importance notamment pour les tenants de l’Algérie française. Une réalité que le FLN n’ignorait guère et c’est en accord avec le roi Mohammed et le Prince Hassan que la délégation algérienne décide d’embarquer pour Tunis dans un DC3 affrété par la compagnie marocaine Air Atlas. Les services secrets français au Maroc eurent vent du chargement d’appareil. Ils informent leurs supérieurs à Alger et Paris qui décident de détourner l’avion sur Alger, pour capturer les dirigeants du FLN. Pour Robert Lacoste, son collègue de la Défense Bourges-Maunoury, le secrétaire d’État à la Défense, Max Lejeune et bien entendu l’étatmajor militaire, intercepter l’avion était une aubaine à ne pas manquer. « C’est l’occasion ou jamais de porter un coup terrible à la rébellion », arguent les militaires français en Algérie, persuadés à tort qu’avec la capture de ces dirigeants, la Révolution algérienne allait être anéantie pour de bon. Versions d’une capture La décision des militaires français de faire atterrir le DC3 à Alger est à présent prise. A Rabat, les diri- Groupe El-Djazaïr.com . MÉMORIA . geants algériens qui s’apprêtaient à embarquer pour rejoindre Tunis, sont seuls à l’aéroport. Ils ignoraient ce qui les attendait, croyant que leur avion allait les emmener à bon port. Dans un document rendu public pour la première fois, en janvier 2008, Mostafa Lacheraf, raconte : « Le 22 octobre, dans l’avion. Premiers pressentiments dès l’envol quand nous nous aperçûmes que personne ne nous accompagnait, aucune personnalité officielle marocaine. Dans mon for intérieur, c’était une chose qui devait aller de soi. » Lacheraf ajoute que « c’est au départ que je réalisai cette absence. Nous sommes livrés à nous-mêmes, aije dit à Ben Bella et à Khider qui, eux aussi, déplorèrent, sans trop insister là-dessus, pareille situation. Comme si les jeux étaient déjà faits. Par la suite, Ben Bella eut des pressentiments plus nets mais dans l’indifférence générale – ou la résignation ou la confiance en la protection royale – personne ne s’y attarda ». L’équipage de l’avion est français du commandant à l’hôtesse et habite avec leur famille au Maroc. Selon la version française, l’équipage ignorait que parmi les passagers, figuraient les cinq dirigeants de la Révolution algérienne. « A 16 heures, les autorités militaires d’Oran prennent contact avec l’équipage de l’appareil : vous avez 5 salopards à bord, il nous les faut. L’équipage ignorait alors qui étaient leurs passagers. Malgré tout, le pilote hésite et prend contact avec sa compagnie. Puis demande à ce que les familles ( 22 ) de l’équipage soient mises en lieu sûr en France. Le Sdece au Maroc fait aussitôt le nécessaire et embarque les familles dans un avion en pleine nuit », lit-on dans cette version. L’avion qui avait fait un détour par les Baléares, soi-disant pour des raisons de sécurité, c’està-dire pour échapper aux militaires français, est malgré tout dérouté sur Alger. La suite on la connait. Les cinq dirigeants algériens sont arrêtés, interrogés et conduits en France pour être incarcérés puis transférés dans une résidence où ils resteront jusqu’à l’indépendance. D’après une version algérienne des faits, le commandant de bord de l’avion travaillait avec les services français et c’est lui qui avait tout fait pour faire atterrir l’avion à Alger. « Cette arrestation se révèle également très maladroite sur un plan tactique. En retirant du circuit des chefs civils plutôt conciliants, elle livre le FLN à sa branche militaire et ses chefs les plus durs, ce qui va entraîner une radicalisation du conflit. Elle provoque aussi un refroidissement des relations entre la France et les autres pays du Maghreb et déchaîne la colère des peuples arabes », rapporte un historien français. « A Meknès, au cœur des plateaux céréaliers du Maroc où sont établis de nombreux colons européens, des manifestants s’en prennent à ces derniers. Les morts se comptent bientôt par dizaines !... Les troupes françaises présentes sur place ont interdiction d’intervenir pour faire cesser la tuerie. Elles restent dans leurs casernes », estime un autre. Mohamed Lamine Supplément N° 40- Octobre 2015. La rébellion du FFS une histoire à revisiter Par Adel Fathi Guerre de libération Histoire Soixante-deux ans après les événements, la création du FFS demeure un sujet d’histoire aussi passionnant que complexe. Passionnant, pour tous les enseignements politiques et historiques qu’elle recèle ; complexe, au vu de l’enchevêtrement et de l’accélération des événements qui ont présidé à la naissance du premier maquis d’opposition en Algérie. D’où cet intérêt grandissant des chercheurs, des historiens et aussi des éditeurs pour ausculter la genèse de cette séquence essentielle de l’évolution politique de l’Algérie, et d’où, aussi, ce besoin de revisiter cette histoire qui ne finit pas de livrer ses secrets. P lus que le résultat d’ « un coup de gueule » de son chef historique qui venait de claquer la porte de l’Assemblée constituante, la création du Front des forces socialistes répondait avant tout à un besoin pressant de fédérer une opposition disparate, affaiblie et qui cherchait désespérément un cadre pour s’organiser. Car, il faut dire qu’au début le FFS avait l’ambition de constituer une alternative au pouvoir politique en place, fondée sur le respect du pluralisme et des libertés collectives. S’il était contraint de recourir à la voie armée, c’est tout simplement parce qu’il n’y avait réellement, à cette époque, aucune possibilité de négocier « un partage de pouvoir », après l’échec de tous les efforts politiques en vue de restaurer la légitimité du CNRA, suppléée par un Groupe El-Djazaïr.com . MÉMORIA . Krim Belkacem Bureau politique concentrant tous les pouvoirs. L’histoire se répète. Aït Ahmed n’a fait qu’essayer de reconstituer le fameux « groupe de Tizi », initié après le coup de force contre le GPRA par Krim Belkacem et Boudiaf, en opposition au « groupe de Tlemcen » représenté par le tandem Ben Bella-Boumediene. ( 24 ) Mohamed Boudiaf Loin d’être une tentative de suspicion, au motif que le maquis a été créé exclusivement en Kabylie, le FFS fut le catalyseur d’une partie de l’opposition nationale en vue de contrebalancer le pouvoir jugé personnel ou despotique du président Ben Bella, mais qui a tourné court, pour des raisons qu’il serait Supplément N° 40- Octobre 2015. Guerre de libération Histoire intéressant, aujourd’hui, d’analyser et de décortiquer. Comment est né le FFS ? L’historiographie retient que devant l’impasse politique et institutionnelle, l’Assemblée constituante ayant échoué à faire valoir son rôle de contrepouvoir, Hocine Aït Ahmed, membre de cette première assemblée élue de l’Algérie indépendante et un des neuf dirigeants historiques de la Révolution, annonce sa démission le 28 août 1963. Le 15 septembre, Ahmed Ben Bella est plébiscité président du conseil ne laissant aucune chance à l’opposition de s’organiser à l’intérieur du « système ». Deux semaines plus tard, le 29 septembre, Aït Ahmed annonce la création du Front des forces socialistes (FFS), lors d’un meeting organisé à Tizi Ouzou, où de nombreux anciens cadres et dirigeants de la Révolution le rejoignent, à commencer par le colonel Mohand-Oulhadj, ancien chef de la Wilaya III et le colonel Saddek Dehilis, ex-commandant de la Wilaya IV, mais aussi d’ancien combattants de la région de l’Ouarsenis, tels que le commandant Lakhdar Bouragaa, qui demeure à ce jour fidèle à son parti et en parle souvent dans des conférences et des déclarations. Initialement lancé comme mouvement d’opposition pacifique, le FFS se transforma rapidement en milice armée, suite à la répression qui s’est abattue sur ses militants, mais surtout en raison de l’impasse absolue dans laquelle se trouvaient les relations pouvoir-opposition, au lende- LA REVUE DE LA MÉMOIRE D'ALGÉRIE Hocine Ait Ahmed Ahmed Benbella ( 25 ) Houari Boumediene www.memoria.dz Guerre de libération Histoire Mohand Oulhadj avec Hocine Ait Ahmed main de l’investiture du président du conseil d’État. Dans les deux camps, les appels à l’entente et à la sagesse étaient vite dominés par les discours d’escalade alimentés par la mort de plusieurs centaines de combattants sur les champs de bataille. Les dirigeants du parti et les survivants de cette guerre réclament aujourd’hui un statut de martyrs pour les victimes, mais n’ont, en réalité, guère espoir d’avoir un jour gain de cause. Une demande a été introduite par les députés du FFS à l’APN en juin dernier, mais a été rejetée. C’est dire que les clivages autour de ces événements sont encore assez importants. Groupe El-Djazaïr.com . MÉMORIA . Plus alambiquée encore est l’issue qu’a connue le maquis du FFS. La déroute militaire, puis l’évasion controversée d’Aït Ahmed de la prison d’El-Harrach après son arrestation dans son fief à Aïn ElHammam, ont toujours suscité la curiosité des chercheurs. Sur cette histoire, nous avons beaucoup de témoignages, dont celui du chef du FFS qui revient sur le contexte politique de l’époque. Il y a aussi celui de Lakhdar Bouragaa, très peu connu, qui est considéré comme un véritable réquisitoire contre le pouvoir en place. Mais le plus intéressant est sans doute le récit de Bessaoud Mohand-Arab. Écrit par un témoin-clé de cette guerre, connu pour son audace intellectuelle et son esprit irrévérencieux, cette ( 26 ) radiographie du maquis du FFS dévoile les zones d’ombre occultées aussi bien par les historiens que par les autres acteurs. Avec son style incisif, Bessaoud, ancien officier de l’ALN et auteur d’un célèbre pamphlet intitulé : Heureux les martyrs qui n’ont rien vu, ne ménage pas les fondateurs du FFS dans certains choix ou certaine orientations, et n’hésite pas à parler de «trahison» des idéaux pour lesquels quelque 450 militants se sont sacrifiés, à savoir : la démocratie et la liberté. A sa sortie en 1964, l’ouvrage intitulé : FFS, espoir et trahison, vient d’être réédité par les Editions Koukou sous un autre titre : FFS contre-dictature. Adel Fathi Supplément N° 40- Octobre 2015. aux origines du conflit Par Adel Fathi Guerre de libération Histoire Nous sommes en juillet 1963, l’Assemblée constituante qui constituait l’ultime cadre rassembleur des cadres et dirigeants de la Révolution du 1er Novembre 1954 est au bord de l’implosion. Hocine Aït Ahmed est le premier à démissionner de son poste de député (il était élu sur la liste de Sétif) et à divorcer avec le système politique mis en place au lendemain de l’Indépendance. Suivi très rapidement de Mohamed Boudiaf et du président Ferhat Abbas. Ces deux derniers seront arrêtés et internés dans le Sud du pays. A ït Ahmed considérait cette institution comme incapable de freiner la «totalitarisation du régime», tout en protestant contre «l’arbitraire» et la montée de la répression contre le les libertés fondamentale, dont celle de la presse et du syndicalisme. Toutefois, il ne s’opposera explicitement au système du parti unique que bien plus tard. A cette époque, un climat délétère régnait dans le pays, sur fond d’émeutes sociales (à Béjaïa, Jijel et Bordj Bou Arreridj notamment) et d’agitation politique et militaire dans la capitale et les grandes villes, où la guerre des wilayas avait laissé des séquelles plus ou moins profondes. Programmée le 3 septembre 1963, en prévision du référendum sur la Constitution prévu pour le 8 du même mois, la proclamation publique du Front des forces socialistes n’eut finalement lieu qu’à la fin du mois, précisément le 29, à cause des « atermoiements » du commandement de l’ex-Wilaya III (devenu la 7e Région militaire) sous l’autorité du colonel Mohand Oulhadj. Ce Groupe El-Djazaïr.com . MÉMORIA . Ferhat Abbas dernier s’était pourtant engagé, dès la proclamation du cessez-le-feu, aux côtés des dirigeants de la Wilaya IV pour faire barrage à l’armée des frontières, qui venait en appui ( 28 ) au Bureau politique installé par Ben Bella et son groupe de Tlemcen. Autrement dit, les combattants de l’ancienne Wilaya III, comme d’ailleurs ceux de l’Algérois, n’avaient Supplément N° 40- Octobre 2015. Guerre de libération Histoire Hocine Ait Ahmed et Ali Mécili pas encore, à cette époque, déposé les armes. La proclamation fut annoncée lors d’un grand meeting populaire organisé le jour-même à Tizi-Ouzou, bastion historique d’Aït Ahmed et de Mohand Oulhadj. Une foule nombreuse y a assisté. Aït Ahmed dénonce «le coup de force constitutionnel» et lance un appel à l’union des « avant-gardes politiques et syndicales nationales ». Aucune déclaration de guerre, mais le ton suggérait bien l’hypothèse d’une rébellion radicale. LA REVUE DE LA MÉMOIRE D'ALGÉRIE Au même moment dans la région du centre du pays (ex-Wilaya IV), le commandant Lakhdar Bouregaa lut une déclaration du FFS et expliqua, dans une rencontre avec des militants, les objectifs de la création du front dont il fut l’un des premiers membres. Il y est d’ailleurs toujours. Plusieurs cadres politiques dans d’autres régions, déçus ou rejetés par le pouvoir de Ben Bella, n’ont pas hésité à adhérer au FFS. On peut citer, dans la foulée, d’anciens membres du MALG créé par Abdelhafid Boussouf, tels que Ali ( 29 ) Mecili ou encore le futur ministre de l’Intérieur Aboubeker Belkaïd. C’est dire que, contrairement à une certaine idée reçue, le FFS n’était pas confiné en Kabylie, même si l’essentiel des «troupes» y était concentré et les opérations militaires eurent comme théâtre les maquis de cette région. La stratégie initiale conçue par les dirigeants du FFS consistait à renforcer et à structurer la résistance pacifique et populaire, en vue de faire échec à l’hégémonie du pouvoir. La direction avait même élaboré un www.memoria.dz Guerre de libération Histoire A gauche Youcef Khatib et à droite Lakhdar Bouregaâ maniant son arme programme politico-économique, axé sur une série de revendications et de propositions (pluralisme, dialogue, autogestion…) dans le cadre d’un « Etat national démocratique ». Le communiqué du 3 septembre 1963 décrivait l’autogestion en ces termes : « (Elle) tire ses racines dans la révolution démocratique populaire, dans la démocratie décentralisatrice issue des traditions historiques du peuple algérien ». Les masses rurales, déshéritées, qui furent les supports et principales victimes de la guerre doivent être les premières bénéficiaires de l’indépendance grâce à l’autogestion et à la récupération des terres coloniales. La seconde priorité du projet de société du FFS fut Groupe El-Djazaïr.com . MÉMORIA . la démocratie décentralisatrice. Sur la base des anciennes wilayas de l’ALN/FLN, au nombre de six, des ensembles stratégiques de développement seront créés, qui auront comme avantage initial la cohésion. Plus important, la décentralisation fut pensée comme « une méthode d’intégration nationale par une densification de la société à la base ». La démocratie décentralisatrice était, en somme, «un pari de confiance contre le clientélisme, le clanisme et le régionalisme». Pour les partisans de ce parti, le basculement vers l’action armée aurait été déterminé, quatre jours plus tard, par l’envoi de l’armée aux fins d’investir la ville de Tizi-Ou- ( 30 ) zou. Cette réaction fut interprétée sur le coup comme une déclaration de guerre. Plusieurs centaines de militants, certaines sources parlent de quelque trois milles, furent arrêtés dans le sillage de cette campagne de répression, et incarcérés dans diverses prisons du pays. L’engrenage dura deux ans. L’armée nationale se redéploya en force en Kabylie et traqua sans relâche les rebelles dans leurs fiefs, notamment en Basse-Kabylie, où le FFS a pu « libérer » des villages et des bourgs entiers, dont ElKseur, et y régna en maître pendant quelques mois. Les combats furent souvent violents, mais inéquitables, puisque les troupes de l’ANP étaient plus nombreuses et mieux équipés. Des centaines de combattants (on dénombre un peu plus de 450), qui étaient dans leur quasi-totalité d’anciens maquisards ou de jeunes militants, sont morts dans les combats. Au commandement de la guérilla, il y avait, avec le commandant de l’État-major Mohand Oulhadj, le leader politique Hocine Aït Ahmed en personne qui refilait pour la première fois le treillis militaire, et qui s’est fait filmer avec une arme de guerre à la main, en compagnie de ses adjoints, notamment le commandant Yaha Abdelhafid. Un véritable climat de guerre civile régnait alors en Kabylie, où la population était prise en tenaille et supportait douloureusement cet affrontement fratricide. Adel Fathi Supplément N° 40- Octobre 2015. les mystères d’un dénouement Par Adel Fathi Guerre de libération Histoire Après deux ans d’affrontements sanglants entre l’armée régulière et la milice du FFS, aucune initiative n’est venue mettre fin à cet engrenage, les deux camps ayant campé sur leur logique jusqu’auboutiste. Ce n’est qu’au bout de la troisième année que les militants du FFS, à leur tête Hocine Aït Ahmed, durent accepter leur défaite face à un pouvoir qui avait déployé tous ses moyens pour tuer dans l’œuf cette première résistance armée et l’empêcher de faire tache d’huile dans le pays. O r, pour certains historiens, comme pour les thuriféraires du FFS, les coups «terribles» portés à la résistance du FFS, à commencer par la défection de la moitié du l’Etat-major, sous la férule du colonel Mohand Oulhadj, emmenant avec elle l’essentiel de l’infrastructure militaire en novembre 1963 au moment de la guerre des frontières avec le Maroc, n’ont pas pu écraser complètement la rébellion. Même l’arrestation de Hocine Aït-Ahmed en octobre 1964 n’a pas mis un terme au conflit. Ce qui dénote au moins que la résistance du FFS ne liait pas son sort à celui de ses dirigeants. Cela dit, la victoire militaire était-elle «impossible pour les deux camps», comme le pensent sérieusement les partisans du FFS aujourd’hui, pour que la nécessité d’une négociation globale s’imposât logiquement aux deux parties en conflits ? Difficile de le croire, quand on connait la nette suprématie militaire de l’armée Groupe El-Djazaïr.com . MÉMORIA . Hocine Ait Ahmed régulière sur le terrain, et aussi le nombre de victimes dans les rangs de la rébellion, qui était nettement supérieur à celui enregistré dans le camp adverse. Pour ces historiens, le pouvoir de Ben Bella dut se résoudre au dialogue avec la rébellion en Kabylie, pour éviter un enlisement qui risque de lui être politiquement fatal, alors qu’il était encore fragile et surtout divisé. Le Président Ben Bella ne semblait ( 32 ) guère s’accommoder de la montée en puissance de son ministre de la Défense, le colonel Houari Boumediene, qui d’ailleurs, finira bientôt par le destituer. Ben Bella a-t-il voulu s’appuyer sur «le front kabyle» pour contrebalancer le rapport de forces qui passait petit à petit en faveur de son rival ? Mais, n’était-ce pas trop tard, parce que les deux ex-compagnons depuis l’OS, Ben Bella et Aït Ahmed, avaient perdu trop de temps et Supplément N° 40- Octobre 2015. Guerre de libération Histoire Mohand Oulhadj, 2e debout à gauche d’énergie à se faire la guerre pour une histoire de pouvoir ? De nombreux témoignages, y compris celui de Ben Bella dans ses mémoires, évoquent des tractations qui auraient été entamées au début de l’année 1965 et auraient été conclues par des «accords préliminaires» le 16 juin 1965. Ces accords portaient sur le cessez-le feu, la libération de tous les prisonniers politiques et l’intégration des militants du FFS dans la vie civile. La deuxième phase des négociations portant sur les questions fondamentales, liées au volet politique et stratégique, devait, d’après cette version, reprendre après la conférence afro-asiatique d’Alger, prévue à la fin du mois de juin 1965. D’aucuns parmi les vétérans du FFS et les partisans LA REVUE DE LA MÉMOIRE D'ALGÉRIE du premier président de l’Algérie indépendante, estiment que les jalons du «multipartisme» étaient jetés à travers ces accords –qui demeurent secrets et dont l’opinion publique ne savait presque rien –, et que le FFS était reconnu de facto comme un deuxième parti politique, après le FLN. Il faut dire que jusque-là, aucun parti d’opposition n’était officiellement reconnu, mais certains courants idéologiques étaient tolérés, leurs organes de presse n’étaient pas encore interdits, à l’image d’Alger Républicain, proche du Parti communiste algérien (PCA). Les deux seront frappés d’interdiction juste après le coup d’Etat du 19 juin 1965, et leurs responsables incarcérés et bannis pour longtemps. ( 33 ) Ce qui accrédite aussi cette thèse de «promesse d’ouverture», à la veille du mouvement de redressement conduit par le colonel Boumediene, c’est une déclaration faite par Hocine Aït-Ahmed au lendemain de son arrestation, le 9 avril 1965 devant la Cour criminelle révolutionnaire d’Alger, où il dit : «Le recours au peuple doit transcender les petits calculs tactiques. Il doit exprimer un tournant décisif. Nous pensons qu’il peut s’effectuer en permettant au FFS, à l’opposition en général, d’avoir une activité légale et publique, d’avoir sa presse et ses publications et de tenir au grand jour son congrès constitutif.» Les partisans de cette thèse jugent ainsi que les accords secrets FFS/FLN furent considérés www.memoria.dz Guerre de libération Histoire A gauche : Hocine Ait Ahmed, Mohamed Khider, Mohamed-Seddik Benyahia, Ahmed Benbella, Rabah Bitat et Mohamed Boudiaf comme dangereux par «l’aile dure du régime» incarnée, selon eux, par l’institution militaire et notamment les services de sécurité, réduits dans la littérature du parti d’Aït Ahmed à son rôle de «police politique». Cette crainte d’une nouvelle alliance «fatale» entre deux anciens dirigeants historiques de la Révolution aurait accéléré le processus du coup d’Etat, qui déposera Ben Bella le 19 juin 1965, soit trois jours après la conclusion de ces accords. Aucune suite ne sera, après cette date, donnée à ces ac- Groupe El-Djazaïr.com . MÉMORIA . cords ; le FFS qui sortait laminé d’une guerre impitoyable a cessé presque toute activité en Algérie, jusqu’à fin des années soixante-dix et début des années quatre-vingt, avec l’évènement du «printemps berbère». Arrêté en octobre 1964, son chef historique fut condamné à mort, puis gracié. Il est ensuite déporté à la prison de Lambèse. Dans la nuit du 30 avril au 1er mai 1966, Aït Ahmed réussit à s’évader de la prison d’El Harrach. Il aurait dû être libéré avec les derniers prisonniers du FFS en août 1965. Mais les nouvelles discussions en- ( 34 ) gagées entre les nouveaux maîtres du pays et la direction du FFS, plus divisée que jamais, avaient abouti à un échec. Les avis sont toutefois partagés sur les circonstances de cette évasion. A sa sortie, Aït Ahmed prend le chemin de l’exil et ne revient au pays qu’en 1990, à la faveur de l’ouverture démocratique. Malgré les multiples déboires qu’il a dû subir, il a réussi à (ré)implanter son parti historique et à lui imprimer sa ligne politique originelle. Adel Fathi Supplément N° 40- Octobre 2015. le témoignage d’un commandant Par Adel Fathi Guerre de libération Histoire Abdelhafid Yaha est un ancien commandant de l’ALN qui a rejoint le FFS dès sa création. Le deuxième tome de son témoignage saisissant : FFS contre dictature, vient de sortir aux éditions Koukou à Alger. Très connu dans le microcosme politico-révolutionnaire, Abdelhafid Yaha demeure toutefois inconnu du grand public. Or, son apport à la révolution en Wilaya III, puis avec les rebelles du FFS, à partir de 1963, est si important. Ce deuxième livre de ses mémoires est l’occasion pour connaitre son rôle dans la guérilla du FFS dont il fut un acteur de premier plan, mais aussi d’en savoir un peu plus sur certains épisodes peu connus, voire occultés, de notre histoire. Car, de courage intellectuel, le commandant Yaha l’auteur n’en manque pas ! N Yaha Abdelhafid au milieu en treillis é en 1933 à Takhlijt Ath Atsou, au sommet du Djurdjura, tout près du village de Fadhma N’soumer, dans une famille de révolutionnaires, Abdelhafid Yaha fait partie de ces combattants de la première heure ayant pris le maquis après la Seconde Guerre mondiale, et militera des années durant aux côtés des Krim Belkacem, Amar Ouamrane et Amar Nath Cheikh, avec qui il s’attellera à organiser les premiers maquis en Kabylie. Désabusé en 1962 par la «terrible situation» dans laquelle se trouvait le pays, avec les luttes intestines qui ont éloigné les dirigeants de leur peuple, il décide se rebiffer. « L’Algérie mérite mieux, écritil, et nous ne pouvons pas nous taire plus longtemps ». Avec les dirigeants de la Wilaya III (Kabylie), il avoue son impuissance, et celle de ses pairs, face Groupe El-Djazaïr.com . MÉMORIA . ( 36 ) Supplément N° 40- Octobre 2015. Guerre de libération Histoire à l’ampleur des problèmes socioéconomiques qui s’accumulaient et qu’il fallait affronter : chômage galopant, misère, dénuement des familles des chouhadas, absence totale d’infrastructures viables, une administration inefficace… Après quelques mois d’observation, les officiers en charge de la transition dans cette région déshéritée, sont arrivée à la conclusion qu’il fallait « agir ». Car, pour eux, ce serait « renier le combat et trahir le serment fait aux martyrs », estime le commandant Yaha. LA REVUE DE LA MÉMOIRE D'ALGÉRIE Ce petit cercle d’officiers supérieurs, à leur tête le colonel Mohand Oulhadj, décide alors de joindre sa voix à celle des politiques tout aussi désabusés, pour créer un mouvement d’opposition comme «réponse politique aux errements autoritaires d’un pouvoir de fait accompli imposé par la force», comme il le décrit. Le FFS fut proclamé le 29 septembre 1963. Selon Yaha, la naissance de ce front de l’opposition qui regroupa des personnalités et des officiers de tous les horizons et de ( 37 ) toutes les régions du pays « a mis le pouvoir en place à Alger en alerte ». D’après l’analyse de cet ancien officier de la Wilaya III, «les pratiques autoritaires et la répression qui a frappé d’anciens responsables de la Révolution» étaient à l’origine de la création du FFS et du maquis en Kabylie. Les éléments déclencheurs sont, selon lui, l’arrestation de Mohamed Boudiaf, le 21 juin 1963, et l’adoption «expéditive» de la nouvelle constitution par les partisans de Ben Bella. Puis, les événements s’accélérèrent. www.memoria.dz Guerre de libération Histoire Yaha Abdelhafid Durant cette période, les rencontres entre anciens dirigeants de la Révolution se multipliaient. L’auteur relate les discussions qui ont eu lieu au siège de l’état-major de la l’ex-Wilaya III (devenue la 7e Région militaire), toujours sous le commandement de l’incontournable Mohand Oulhadj, auxquelles le commandant Yaha était lui-même présent, et qui virent au début la participation de Krim Belkacem, lequel était en quête d’appui. Yaha témoigne ici que c’est lui qui a été chargé par Krim et Mohand Oulhadj de contacter Hocine Aït Ahmed pour le sonder sur leur projet de constituer un front d’opposition, corrigeant au passage une certaine idée reçue selon laquelle Aït Ahmed serait à l’origine de la création du FFS. Le lendemain matin, Abdelhafid Yaha prend la voiture du PC, direction Alger. Il rejoint Aït Ahmed chez lui, dans sa villa située à Groupe El-Djazaïr.com . MÉMORIA . Hydra. Celui-ci accepte de rencontrer les deux dirigeants, Krim et Mohand Oulhadj, en plus de certains anciens officiers et membres de la Fédération de France, chez lui, pour des discussions plus approfondies. Entretemps, Aït Ahmed devait rencontrer Ben Bella au siège de la présidence (à la villa Joly), à l’occasion d’une réception organisée en l’honneur du célèbre responsables des services secrets égyptiens Fethi Dib, en visite en Algérie, pour lui faire part de la gravité de la situation qui prévalait dans le pays, après les dernières mesures prises à l’encontre des militants. « Ben Bella est buté. Il est décidé à continuer dans sa politiquez de répression et d’arrestations », a-t-il rapporté au commandant Yaha. Après avoir écouté le compte rendu d’Aït Ahmed, le groupe se sentit davantage conforté dans son choix. Aït Ahmed fut, selon l’auteur, le dernier à parler. ( 38 ) « Si vous pouvez faire un coup de force, dira-t-il, je vous cautionnerai ». Sur le coup, les présents se voyant incapable d’affronter les forces loyales, refusèrent l’option d’un coup de force militaire. Ils campèrent sur l’idée de créer un parti politique qui fédérerait tous les militants mécontents de la situation. Yaha témoigne que Hocine Aït était au début réticent à l’idée de création d’un parti. L’auteur cite Mohand Oulhadj, exprimant sa déception, en disant que c’est la deuxième fois qu’Aït Ahmed leur faisait faux bond. Contre toute attente, Aït Ahmed décide, quelques jours plus tard, de rejoindre secrètement la Kabylie, en compagnie de Yaha, mais sans n’avoir encore pris aucun engagement en faveur du projet d’opposition. C’est à Michelet (actuellement Aïn El Hammam), où il s’est installé dans la clandestinité totale, qu’il rencontre à nouveau Mohand Oulhadj et d’autres militants des anciennes Wilayas III et IV, dont le commandant Lakhdar Bouregaa, pour annoncer enfin sa décision de rejoindre le mouvement. Adel Fathi FFS contre dictature – De la résistance armée à l’opposition politique Tome II : 1962-1990 Abdelhafidh Yaha – récit recueilli par Hamid Arab Edition Koukou Alger 2014 301 pages Supplément N° 40- Octobre 2015. l’improbable parcours des négociations Par Adel Fathi Guerre de libération Histoire Arrêté le 12 octobre 1964, le leader charismatique du FFS, Hocine Aït Ahmed, comparut, avec plusieurs militants et d’opposants, devant la Cour criminelle révolutionnaire d’Alger. Ils sont accusés de « participation à la contre-révolution », un chef d’inculpation pour lequel ils encouraient de très lourdes peines. Cependant, avant la tenue du procès, prévu à huis clos, le pouvoir, certainement dans un souci de pousser à l’apaisement, a envoyé des émissaires au maquis pour proposer aux combattants du FFS de cesser les combats et d’annuler toute manifestation dans les villes pour protestation contre l’arrestation d’Aït Ahmed. En contrepartie, le pouvoir promet d’ouvrir des discussions avec l’opposition, et notamment avec la direction du FFS, pour une sortie de crise honorable, et aussi d’éviter une condamnation de son chef. L e pouvoir a tenu sa promesse, puisque, effectivement, Aït Ahmed sera officiellement condamné à mort dans un procès « formel », mais il sera très vite gracié par le Président Ben Bella, le jour de l’Aïd. S’ensuivit alors une trêve. Mais un climat de méfiance régnait toujours entre les deux parties en conflit. Sur fond d’accrochages sporadiques, mais parfois sanglants, entre les forces gouvernementales et la milice du FFS, des négociations s’ouvraient enfin, à partir du printemps 1965. Elles se poursuivront jusqu’au mois de juin. Les combattants de l’opposition étaient encore loin de douter qu’une lutte, autrement plus farouche, s’aiguisait alors au cœur même du pouvoir central, Groupe El-Djazaïr.com . MÉMORIA . entre le Président Ben Bella et son ministre de la Défense, le colonel Houari Boumediene. C’est pourquoi ils ne comprenaient pas, au début, ce «double langage» auquel ils étaient confrontés : dialogue politique d’un côté et répression accentuée de l’autre. Les militants du FFS sont aujourd’hui persuadés que l’avancée qu’ont connue les pourparlers entre Ben Bella et le FFS a davantage exacerbé la tension entre le président et Boumediene et accéléré ainsi le renversement du premier. Ces militants sont même convaincus que le « coup d’Etat » du 19 juin 1965 a mis un coup d’arrêt à un « processus démocratique » amorcé à travers les négociations engagées avec la direction du FFS et les mesures de clémences prises en faveur des détenus de l’opposition. ( 40 ) Les négociations se sont déroulées sur plusieurs étapes. Le pouvoir a mobilisé d’anciens militants nationalistes de Kabylie, mais aussi des hauts fonctionnaires de l’administration locale, dont le préfet (wali) de Tizi Ouzou, des sous-préfets (chefs de daïra), et même des coopérants techniques étrangers, dont un Norvégien, pour entretenir des contacts avec les chefs de la rébellion et tenter d’esquisser une solution politique et négociée au conflit, qui a fait plus de 450 morts. Les commandants rebelles avaient raison de rester méfiants, puisqu’un des leurs, le commandant Si Moussa, a été, justement, abattu par un officier de l’ANP lors d’une rencontre « fraternelle ». Supplément N° 40- Octobre 2015. Guerre de libération Histoire Du fond de sa cellule, Aït Ahmed adresse une lettre à ses adjoints au maquis leur demandant d’engager des négociations avec le régime. La lettre fut transmise par Omar Oussedik, ancien militant du PPA/MTLD et ancien commandant de l’ALN en Wilaya IV. Un homme de confiance qui réussit à convaincre les chefs de la rébellion, dont le commandant Abdelhafid Yaha, le plus actif d’entre tous après la défection du colonel Mohand Oulhadj et d’une partie de son état-major. La délégation a accepté de se rendre à Alger pour approfondir les discussions. La première prise de contacts s’est déroulée au siège du Bureau politique avec les représentants de Ben Bella : Aït El-Hocine, Zoubir Bouadjadj et Mohamed Lebdjaoui. D’entrée, les représentants du FFS exigent des garanties et posent des conditions, en tête desquelles figure la situation des prisonniers politiques, plus particulièrement le cas de Hocine Aït Ahmed, détenu à Lambèse, et dont la délégation du FFS a exigé le transfert à Alger. Le pouvoir a exaucé leur vœu, en ordonnant, au bout de quelques jours, le transfert du chef du FFS à la prison d’El Harrach. Pour le reste, les deux parties ont convenu de poursuivre les discussions à Paris, « loin des pressions ». Arrivée en France, la délégation du FFS, conduite par l’incontournable commandant Yaha, sera renforcée par le colonel Saddek, Mohand Akli Benyounes (dit Daniel), coordinateur du FFS en Europe, et Mohand Arab Bessaoud. Ce der- LA REVUE DE LA MÉMOIRE D'ALGÉRIE De g. à dr. : Arezki Belhamri, Si Moussa, Medjber Maarouf, à Médéa le 27 Septembre 1963. Porteurs de la déclaration d’Ait Ahmed à Lakhdar Bouragaâ, qu’il devait lire deux jours après pour sceller son alliance avec le F.F.S. nier exprimera plus tard sa désillusion dans un ouvrage retentissant : FFS, espoir et trahison (paru en 1966) Les protagonistes ont accepté de poursuivre les négociations secrètes chez un autre membre de la famille Oussedik, Mourad, avocat et ancien militant nationaliste. Les deux parties parvinrent à un accord de principe, en vertu duquel le pouvoir s’engageait à libérer les prisonniers politiques, à reconnaitre le statut de martyrs aux morts du FFS et à réintégrer ( 41 ) les militants à leurs postes de travails. Un communiqué a été rendu public le 16 juin 1965, annonçant notamment « un cessez-le-feu en Kabylie » (les représentants du FFS avaient, pourtant lors des pourparlers exigé de ne pas confiner leur mouvement à la seule région de Kabylie). La première étape consistait essentiellement à libérer les détenus ( y compris Boudiaf et d’autres personnalités politiques de l’opposition) et à réintégrer les combattants à leurs postes de travail. La deuxième étape, prévue après la Conférence afro-asiatique à Alger, www.memoria.dz Guerre de libération Histoire 1- Le commandant Si Moussa et ses compagnons d’armes (Si Rezki, Ali Kherata,...) 1 devait aborder l’aspect politique, avec l’intégration de membres du FFS dans des postes de responsabilité et la formation d’un nouveau gouvernement. Tout était fin prêt. Mais, deux jours plus tard, tout bascula. Ben Bella fut destitué dans des conditions tout à fait inattendues, même si le climat de tension entre lui et son ministre de la Défense allait crescendo depuis quelques semaines. De fait, le « redressement » opéré par Boumediene mit un terme aux négociations. Tout était bien sûr remis Groupe El-Djazaïr.com . MÉMORIA . en cause. Heureusement qu’une grande partie des militants arrêtés entre 1964 et 1965, estimés à quelque 3 000, ont été libérés suite à la signature de l’accord. Aït Ahmed, lui, s’évade de prison le 1er mai 1966, et se réfugie en Suisse. Entretemps, les nouveaux décideurs du pays tentèrent de renouer le dialogue avec les dirigeants du FFS, mais la rupture était consommée. Adel Fathi ( 42 ) Supplément N° 40- Octobre 2015. Le moudjahid, le docteur Mohamed-Tahar Bouchouareb dit « Bounefa ». Oncle paternel de l’actuel Ministre de l’Industrie et des Mines, Abdeslam Bouchouareb Le stéthoscope au service de la Révolution Par Ziad Farid Guerre de libération Histoire En juin 1956, des centaines, voire des milliers d’étudiants désertent les bancs de l’université pour monter au maquis. Des intellectuels, des médecins, des écrivains et des artistes ont également répondu à l’appel du FLN. Ils sont venus élargir les rangs de l’ALN tout en mettant leur savoir au service de la Révolution. Cet appel a même dépassé les frontières et touché la même classe d’Algériens vivant de l’autre côté de la Méditerranée. Mohamed-Tahar Bouchouareb alias Hamou Kabrane Bounefa, oncle paternel de l’actuel Ministre de l’Industrie et des Mines, Abdeslem Bouchouareb, n’a pas hésité un seul instant à faire ses valises pour rentrer au pays alors qu’il venait de terminer ses études en médecine, en France. Il n’a pas résisté à l’appel du cœur ni à celui de l’ALN en lutte pour l’indépendance de l’Algérie. Il a bradé son avenir contre le fusil alors qu’il était voué à sauver des vies humaines et qu’il possédait toutes les chances de percer dans un métier autrement très demandé à l’époque. Groupe El-Djazaïr.com . MÉMORIA . ( 44 ) Supplément N° 40- Octobre 2015. Guerre de libération Histoire 1 2 1-Houari Boumediene. 2- Mohamed Tahar Bouchouareb alias Hamou Kabrane Bounefa LA REVUE DE LA MÉMOIRE D'ALGÉRIE ( 45 ) www.memoria.dz Guerre de libération Histoire Dr Mohamed Tahar Bouchouareb examinant un patient Groupe El-Djazaïr.com . MÉMORIA . L ’histoire de ce natif de Ain Kercha, dans la wilaya d’Oum El Bouaghi, ressemble à celles de tant d’autres Algériens épris de liberté à la différence que la sienne est un peu particulière dans la mesure où il pouvait aisément faire l’impasse sur la guerre pour ensuite gravir les échelons à l’indépendance. Mais, cet enfant des Aurès-Nememchas, qui a vu le jour le 6 mars 1911, avait une autre vision des choses, une autre dimension qui faisait de lui cet être qui ne pouvait être spectateur alors que son pays avait besoin de ses services. En 1956, il est donc de retour dans son pays natal, au maquis, avec toute sa rudesse et sa brutalité. Son enfance, il l’a passée auprès des siens à Aïn Kercha, ville située à mi-parcours entre Ain M’lila et Ain Fakroun. Ayant décelé son penchant pour les études, ses parents, propriétaires terriens, l’ont envoyé à Aïn M’lila où il a accompli les études primaires. Cette période a coïncidé avec la naissance de l’Etoile nord-africaine (ENA), œuvre de Messali Hadj. La lutte politique venait de commencer en ce début des années 1920 qui a vu des Algériens appeler pour la première fois à l’indépendance du pays. Le jeune écolier a gravi les échelons pour passer avec succès ce premier palier où il a brillamment réussi à l’examen d’entrée au collège. Ne s’arrêtant pas en si bon chemin, il part à Skikda s’inscrire au collège. La ville de la fraise lui offre l’opportunité de continuer les études alors que dans les Aurès, il était quasiment impossible de les poursuivre. ( 46 ) Supplément N° 40- Octobre 2015. Guerre de libération Histoire Le Moudhahid Mohamed Tahar Bouchouareb au milieu Il grandit dans cette ville jusqu’à l’obtention du baccalauréat en 1937. Aussi étrange soit-il, cette dernière date coïncide également avec la naissance du PPA du même Messali Hadj. C’est à cette époque d’ailleurs que le jeune Mohamed Tahar prend conscience du drame vécu par le peuple algérien, soumis au joug du colonialisme. N’empêche que cet Aurèsien continue son bonhomme de chemin. Avide de connaissances qu’il mettra plus tard au service de son pays, il part d’abord à Alger les consolider à la faculté de médecine où il s’y inscrit à la fin des années 1930. La faculté de la capitale regorgeait à cette époque de militants de la cause nationale, tous appartenant au PPA avant que ce parti soit LA REVUE DE LA MÉMOIRE D'ALGÉRIE frappé d’interdit par les autorités coloniales. Ayant pris conscience de la justesse de cette cause, « Bounefa » y adhère tout naturellement comme tous les jeunes de son âge. Il faut dire que le PPA, presque seul sur le terrain, ratissait large, notamment dans les rangs des étudiants. Mohamed-Tahar Bouchouareb s’inscrit dans la continuité en adhérant au MTLD dès sa création au milieu des années 1940 par le même Messali Hadj. C’est alors que « Bounefa » connaîtra les premiers accrocs avec la police française. Pour échapper à une éventuelle arrestation, il traverse la Méditerranée, en 1950, pour s’installer momentanément en France où la passion pour les études reprend le ( 47 ) dessus. Bien parti pour réussir une belle carrière en médecine, il arrête tout et retourne au bercail pour accomplir la noble mission de participer à la libération du pays. Il est enrôlé par l’ALN dans le secteur 1 des Aurès-Nememchas. Il participe à plusieurs batailles, les armes à la main. L’homme de sciences les manie tout aussi bien que le stéthoscope. Son engagement et son dévouement lui valent d’être transféré, en 1958, au Commandement opérationnel COM-Est, à Ghardimaou, à la frontière algérotunisienne. Ses qualités d’organisateur en matière de santé et ses aptitudes militaires attirent l’attention des responsables de la révolution, notamment Krim Belkacem, www.memoria.dz Guerre de libération Histoire Mohamed Tahar Bouchouareb, portant des lunettes Houari Boumediene, le docteur Nekkache, chef des services de la santé sous le GPRA, et bien d’autres dirigeants, unanimes à lui reconnaître son abnégation. Il y demeure jusqu’au recouvrement de l’indépendance. Un autre tournant décisif dans son parcours puisque dans un autre élan de patriotisme, « Bounefa » quitte le navire, tourne le dos au passé, refuse même de l’évoquer, y compris devant ses enfants. Une page est tournée, s’ouvre alors celle de la médecine à laquelle il 1 1- Mohamed Tahar Bouchouareb Groupe El-Djazaïr.com . MÉMORIA . ( 48 ) Supplément N° 40- Octobre 2015. Guerre de libération Histoire 2 1 3 1- Abdelhafid Boussouf. 2- Krim belkacem. 3- Hamou Kabrane Bounefa consacre toute son énergie. Il est d’abord inspecteur divisionnaire de la santé de la wilaya de Batna avant d’opter encore une fois pour la blouse blanche au service psychiatrie de la même ville. Un juste retour à ses origines auxquelles il est foncièrement attaché et à son métier qu’il chérit par-dessus tout. Mohamed-Tahar Bouchouareb s’installe à Khenchela avec un profond sentiment du devoir accompli non sans tirer un trait sur le passé malgré les sollicitations de ses proches et de ses amis. Il meurt à Aïn Kercha, le 23 octobre 1987. 2 1 1- Krim belkacem. 2- Hamou Kabrane Bounefa Ziad Farid LA REVUE DE LA MÉMOIRE D'ALGÉRIE ( 49 ) www.memoria.dz Guerre de libération Histoire 2 1 1- Hamou Kabrane Bounefa. 2- Colonel Chaâbani 2 3 1 1- Colonel Chaâbani. 2- Hamou Kabrane Bounefa Groupe El-Djazaïr.com . MÉMORIA . 2 1 1- Houari Boumediene. 2- Larbi Belkheir . 3- Hamou Kabrane Bounefa ( 50 ) Supplément N° 40- Octobre 2015. Guerre de libération Histoire 1 2 1- Mohammedi Said. 2- Hamou Kabrane Bounefa 1 1- Hamou Kabrane Bounefa Mohamed Tahar Bouchouareb en médaillon derrière Boumediene LA REVUE DE LA MÉMOIRE D'ALGÉRIE ( 51 ) www.memoria.dz Guerre de libération Histoire Feu Houari Boumediene avec Hamou Kabrane Bounefa Groupe El-Djazaïr.com . MÉMORIA . ( 52 ) Supplément N° 40- Octobre 2015. Le colonel Slimane Bouchouareb sur les traces de son oncle paternel « Bounefa » Au 1er plan : Si Slimane Bouchouareb et Houari Boumediene. Par Ziad Farid Guerre de libération Histoire Si Slimane Bouchouareb en surbrillance, en visite d’inspection sur le canal de Suez en Egypte Groupe El-Djazaïr.com . MÉMORIA . ( 54 ) Supplément N° 40- Octobre 2015. Guerre de libération Histoire Un parcours tout aussi glorieux, essentiellement marqué par un engagement patriotique sans faille de Slimane Bouchouareb, neveu de Mohamed-Tahar, alias « Bounefa » et frère de l’actuel Ministre de l’Industrie et des Mines, Abdeslem Bouchouareb. LA REVUE DE LA MÉMOIRE D'ALGÉRIE ( 55 ) www.memoria.dz Guerre de libération Histoire N Si Slimane Bouchouareb donnant un cours aux jeunes militaires é à Ain Kercha en 1937, celui-ci grandit au sein de sa famille rurale, en plein cœur des Aurès. Son enfance n’a rien de spécial sauf que la date de sa naissance coïncide étrangement avec celle où le docteur « Bounefa » décroche brillamment le baccalauréat. Les deux destins se croisent alors, bien qu’à l’indépendance Slimane embrasse une carrière militaire jalonnée de plusieurs exploits alors que Groupe El-Djazaïr.com . MÉMORIA . Si Slimane Bouchouareb et Houari Boumediene ( 56 ) Supplément N° 40- Octobre 2015. Guerre de libération Histoire Le président Boumediene saluant Si Slimane Bouchouareb son oncle ferme définitivement la page du passé. Le neveu est incontestablement sur les traces de son oncle, figure emblématique du COM-Est, commandé alors par le colonel Mohamedi Saïd, ancien chef de la Wilaya III. Le jeune Slimane, âgé à peine de 24 ans, déserte l’armée française en 1961 et rejoint les rangs de l’ALN à la frontière tunisienne. Il ne tarde pas à se distinguer à son tour en devenant instructeur, dès son en- LA REVUE DE LA MÉMOIRE D'ALGÉRIE rôlement dans les unités de l’ALN. Il s’acquitte convenablement de sa tâche jusqu’au recouvrement de l’indépendance. Fort de cette expérience, il est affecté à Réghaïa où il est nommé responsable de la première école anti-aérienne. Ce n’est là que le début d’une longue carrière qui le mènera dans différentes régions du pays où il a incontestablement laissé les traces d’un officier dévoué à son travail dans lequel il n’a jamais fait la moindre ( 57 ) compromission. Un militaire dans tout le sens du terme et, peut-être, bien plus quand on connaît son côté intransigeant. Son aura grandit dans la grande muette tant et si bien que ses supérieurs voient en lui l’avenir de l’ANP. C’est ce qui fait que Slimane soit envoyé à Moscou pour affermir ses connaissances militaires qui serviront plus tard l’ANP, qui était à cette époque en pleine phase de construction. Il fait un autre passage à l’école de www.memoria.dz Guerre de libération Histoire 1- Si Slimane Bouchouareb au milieu des officiers supérieurs de l’ANP 1 guerre de Paris. « Il est tour à tour, chef du bureau instruction et opérations, où il a travaillé sous les ordres du futur président de la République, Chadli Bendjedid, alors chef de la 2e Région militaire puis chef d’état-major, successivement de la 4e et de la 7e Région militaire ». Il se distingue par des qualités militaires irréprochables qui lui valent d’être promu aux postes de directeur de l’Institut militaire de documentation, d’évaluation et de prospective (IMDEP), instrument de réflexion du ministère de la Défense nationale), puis directeur des sports militaires et enfin directeur des personnels et de la justice militaire. Il ne rechigne jamais devant la responsabilité ni ne montre la moindre Groupe El-Djazaïr.com . MÉMORIA . 1- Si Slimane Bouchouareb 1 ( 58 ) Supplément N° 40- Octobre 2015. Guerre de libération Histoire 1- Gaid Salah. 2- Abbas Gheziel. 3- Si Slimane Bouchouareb 3 2 1 faiblesse, y compris dans les moments les plus difficiles, notamment quand il est marginalisé pour des raisons occultes. Affecté en Yougoslavie en qualité d’attaché militaire, le colonel Slimane ne rejoindra jamais son poste et préfèrera se retirer sur la pointe des pieds non sans avoir marqué de son passage l’histoire de l’ANP. Il tire sa révérence à l’âge de 72 ans en léguant un lourd héritage aux nouvelles générations d’officiers appelés à suivre les traces de leurs aînés pour sauvegarder le pays des turbulences et des menaces qui le guettent de tous les côtés. Ziad Farid Remise des galons par Si Slimane Bouchouareb LA REVUE DE LA MÉMOIRE D'ALGÉRIE ( 59 ) www.memoria.dz Guerre de libération Si Slimane Bouchouareb en surbrillance au sein de la premiére promotion d’officiers d’Etat-major Histoire Groupe El-Djazaïr.com . MÉMORIA . ( 60 ) Supplément N° 40- Octobre 2015. Par Abderrahmane Berrouane dit Saphar Les transmissions de l’ALN « Voici un témoignage pour empêcher que les actions accomplies par les hommes ne s’effacent avec le temps ». Hérodote Une arme redoutable Guerre de libération Histoire Le 1er novembre 1954 trouva Ben M’hidi et son adjoint Boussouf à la tête de la zone 5, devenue après le congrès de la Soummam la wilaya 5 historique. Malgré le temps consacré à l’organisation de la zone : structuration, recrutements, nominations des responsables et autres, ils songèrent dès le début à la mise au point d’un plan (programme) stratégique pour lutter contre l’armée coloniale. Ils avaient comme projet, la création d’une zone franche, le long de la frontière Algéromarocaine et la mise en place d’un service des transmissions pour pouvoir communiquer avec l’ensemble des responsables de la révolution aussi bien à l’intérieur de l’Algérie occupée qu’à l’extérieur. La zone franche devait être lancée avec l’arrivée prévue du 13 au 16 octobre 1956 d’un bateau contenant une cargaison d’armements de toutes sortes et de munitions destinés à l’ALN. Boussouf, connu sous le nom de Si Mabrouk, a attendu ce bateau pendant trois jours mais celui-ci ne viendra jamais. La radio coloniale annonça son arraisonnement au large de la ville d’Oran. Abou El Feth et moi étions avec si Mabrouk, hébergés dans une maison située à 2 ou 3 km de la mer. L’arme des transmissions aussi indispensable que le fusil C’est au mois de juin 1956 que le colonel de la wilaya 5 historique, Abdelhafid Boussouf, convoque tous les membres de son PC pour une réunion exceptionnelle. Il leur annonce sa décision de créer un corps des transmissions, vital pour la révolution. Tous les officiers présents à cette réunion sont manifestement demeurés sceptiques sur les chances de succès d’une œuvre de cette envergure. En effet, la réalisation d’un service de télécommunications paraissait à l’époque comme une utopie. Un seul y croyait, le colonel Boussouf. En visionnaire, il en fit un défi qu’il fallait relever. Il le releva et le gagna au-delà de toute espérance. Cette opération de création de la zone franche fût donc reportée à des jours meilleurs. En revanche, le projet des transmissions a rencontré le plein succès. En effet, et durant la même réunion du mois de juin 1956, le colonel de la wilaya 5, bien déterminé à traduire son projet sur le terrain ordonne aux membres de son PC de passer à l’action. Il fallait d’abord trouver une maison à Oujda, au Maroc, qui servira d’Ecole des Transmissions et ensuite, penser à doter cette école de moudjahidine ayant un bon ni- Abdelhafid Boussouf Groupe El-Djazaïr.com . MÉMORIA . ( 62 ) Supplément N° 40- Octobre 2015. Guerre de libération Histoire Stage de contrôleurs des transmissions de l’ALN á la Marsa en Tunisie Larbi Ben M’hidi veau d’instruction. Les responsables à l’intérieur de la zone 5 et de l’organisation civile du FLN au Maroc sont donc avisés et la machine est ainsi mise en marche. Et c’est ainsi que le 05 août 1956, des volontaires, notamment des lycéens et grévistes de l’UGEMA, ont répondu à l’appel du FLN pour rejoindre les rangs de l’ALN. Commença alors l’épopée des transmissions devenues plus tard la DTN (Direction des Transmissions Nationales) après la création du 1er GPRA en septembre 1958. L’école des transmissions accueillit les premiers stagiaires de la première promotion dans des conditions très difficiles. La salle des cours était équipée de nattes à même le sol, de deux bancs en bois et de trois chaises. En guise de table, chaque élève avait un carton sur les genoux pour écrire sur son cahier. Un seul manipulateur, confectionné par Si Moussa, était à la disposition des stagiaires qui, à tour de rôle, avaient droit à un quart d’heure de manipu- LA REVUE DE LA MÉMOIRE D'ALGÉRIE lation. Mais ne dit-on pas que la foi soulève des montagnes ? A la fin d’un mois de travail intense et acharné, la plupart des stagiaires ont pu prendre le morse à la vitesse de 900 mots minute. Les quadors ont même atteint la vitesse de 1200 mots minute. Ceux qui avaient l’oreille musicale étaient les plus doués pour le morse. Il fallait maintenant s’exercer sur les postes récepteurs-émetteurs « RCA marine » achetés à Tanger par le grand Driss alias le docteur Mohamed Gueniche, originaire de Relizane. Des postes acquis dans l’urgence et sans aucune indication précise sur leur utilisation. Les équipes destinées à former les stations radio furent rapidement Techniciens à l’oeuvre : Mahmoud Baba Ali et Abdelmadjid Bouabdellah ( 63 ) www.memoria.dz Guerre de libération Histoire La première promotion des transmissions baptisée Promotion « Zabana ». Août-septembre 1956 1- Mustapha Hadjadj-Aoul dit Mahfoud. 2- Abderrahmane Berrouane dit Saphar. 3- Commandant Omar Telidji en civil. créées. Chacune d’elles était pourvue d’un opérateur radio et d’un chiffreur. La station radio dite PCR (poste de commandement du réseau) était placée auprès du PC de la wilaya 5 et comprenait des équipes qui se relayaient pour couvrir les vingt-quatre heures de l’écoute radio. Plusieurs zones de la wilaya 5 furent ainsi dotées de station radio ainsi que les instances politiques de la révolution à Tétouan (Mohamed Boudiaf) et à Rabat (l’organisation civile du FLN). Après six mois environ d’exploitation de ces stations, Boussouf Groupe El-Djazaïr.com . MÉMORIA . ( 64 ) Supplément N° 40- Octobre 2015. Guerre de libération Histoire 1 La 2e promotion des Transmissions, février 1957. 1- Si Saphar encadrant la promotion après des exercices militaires. convoque une réunion extraordinaire pour faire le point sur la situation et tirer les enseignements prodigués par l’expérience de cette première promotion dite promotion Zabana après l’assassinat du premier guillotiné par les colonialistes. Les postes émetteurs-récepteurs, « RCA marine », destinés aux bateaux de plaisance avaient trois défauts majeurs : 1- Ils étaient préréglés par un système quartz (donc impossible de chercher sa fréquence). 2- ils ne comportaient que trois fréquences, toujours encombrées par d’autres émissions. 3- Leur portée était de courte distance (40 km environ) LA REVUE DE LA MÉMOIRE D'ALGÉRIE Une caisse de bois de 1 mètre de haut sur 90 centimètres était confectionnée pour recevoir l’appareil et ses accessoires (antenne, micro, manipulateur, etc …). Si on ajoute à cela la batterie avec son poids et son volume, on obtient un ensemble intransportable et difficilement mobile. Ce qui ne répondait ni aux exigences de la mission elle-même, ni à celles de la guérilla. Les leçons tirées de cette première expérience extrêmement bénéfique puisque les 60 jeunes lycéens de la 2é promotion, eurent des conditions idéales pour leur formation. En effet, une école digne de ce nom fut créée près de la basse moulouya au Maroc et porta le nom de CITT (Centre d’Instruction Technique Territorial). Ce dernier était équipé de : ( 65 ) - Une grande salle de cours - Un manipulateur pour chaque élève - Des enseignants cooptés de la 1ère promotion Ainsi, le commandant Omar et le capitaine Abou El Feth s’occupaient de la lecture du son et la manipulation, le lieutenant Moussa de l’instruction technique, le lieutenant El Ghaouti des cours théoriques et enfin, le commandant Houari Boumediene de l’instruction militaire. Les postes radios étaient choisis avec soin et en temps opportun. C’est l’AN-GRC-9, poste radio, récepteur-émetteur, étanche, blindé, d’une grande portée (900 à 1000 km) qui fut choisi. Un poste idéal pour la guérilla, adopté par l’OTAN et acquis en Allemagne grâce à la www.memoria.dz Guerre de libération Histoire L’AN-GRC- 9 récupéré de l’armée française lors d’une embuscade sagacité du frère Chaneg Riha dit Tchang. C’est la véritable naissance des transmissions nationales qui deviendront plus tard la DTN (Direction des transmissions nationales). Douze (12) promotions allaient être formées sur le modèle de la 2é promotion aussi bien à l’ouest (Maroc), qu’à l’est (Tunisie). -4 promotions de techniciens-réparateurs radio (est-ouest) -4 promotions de chiffreurs (estouest) Le service du chiffre fut lui aussi une grande bataille qu’il fallait gagner pour assurer la sécurité des messages radios transmis. Abou El Feth fut l’un des premiers d’entre nous à percevoir l’importance capitale du « chiffre » dans l’utilisation du ser- Groupe El-Djazaïr.com . MÉMORIA . vice des transmissions. En effet, la cryptographie était pour nous un art et une science, tout à fait nouveaux. Ce n’est que progressivement que nous allions apprendre à « déchiffrer » les règles et les arcanes de ce nouveau service qui prit une grande importance avec l’augmentation considérable des messages radios envoyés et reçus. Partant, Abou El Feth rédigea un rapport circonstancié et approfondi pour attirer l’attention des responsables sur le degré d’importance du chiffre dans son utilisation dans les transmissions. A la suite de cette étude, Abdelhafid Boussouf décida de donner une autonomie pleine et entière au service du chiffre qui fut érigé en une sous-direction, rattachée à la DVCR pour un maximum de sécurité et ( 66 ) dotée de moyens humains et matériels adéquats. Le service des transmissions de l’ALN est le premier exploit réalisé par le commandement de la wilaya 5 historique. Il ne fut pas le seul. Encouragé, Abdelhafid Boussouf décida alors de créer la radiodiffusion algérienne. Le frère Rachid Zeghar dit Rachid Casa acheta le récepteur adéquat. Les premiers essais furent réalisés par Boussouf, le commandant Omar et Sedar Senoussi dit Si Moussa. Cette équipe était renforcée par les trois frères Aissa, Azzouz et Kaddour, tous trois issus de la première promotion. Les militants au Maroc et les moudjahidine à l’intérieur du pays furent priés d’écouter « la voix de l’Algérie libre et combattante qui vous parle du cœur d’Algérie». L’indicatif était répété à plusieurs reprises tant en arabe qu’en tamazight et en français. L’hymne national « Qassaman » suivait cet indicatif. L’appel du 1er novembre était le principal éditorial diffusé à cette époque (époque des essais). L’impact sur le peuple algérien fut exceptionnel. Le docteur Frantz Omar Fanon, analyse cet impact psychologique en le qualifiant de « profond et déterminant ». La radio algérienne a joué un rôle fulgurant pour nourrir la ferveur nationaliste. Le service d’écoute Les services des transmissions ont aussi donné naissance au service d’écoute radio qui prit une extension considérable et donna lui-même naissance à d’autres services spécialisés. Une excellente interview donnée par le frère Lakhdar Abdelha- Supplément N° 40- Octobre 2015. Guerre de libération Histoire 2 3 1 De g. à dr. : 1- Bouzid Abdelkader dit Abou El Feth. 2- Mustapha Hadjadj-Aoul dit Mahfoud. 3- Hakiki dit Rachid mid dit Benaïssa et rélaisée par Leïla Boukli fut publiée par « Memoria » dans son numéro de novembre 2012. Je vous engage à lire cette interview pour comprendre mieux le rôle du service d’écoute. L’Agence télégraphique de Presse (ATAPI) Une autre arme médiatique sera créée et lancée par le commandant Omar. Il s’agit de l’ATAPI (l’Agence Télégraphique de Presse et d’Information) qui a vu le jour le 09 janvier 1959. L’émission se faisait par le système TRAM (Transmission Radio-électrique à Adresse Multiple). LA REVUE DE LA MÉMOIRE D'ALGÉRIE Elle consistait en un bulletin télégraphique de presse qui était transmis quotidiennement à partir de 18 heures. Ses émissions étaient biens reçues en Europe et au MoyenOrient. Emetteur BC 610 de 400 watts et T47/ ART 13. TRAM orientée vers les pays du Moyen-Orient, d’Afrique du Nord, Vers l’Espagne, la France, l’Italie, l’Allemagne chaque jour entre 18 heures et 19 heures GMT ou 19 heures et 20 heures GMT sur les fréquences 6690 Kcs ou 10.250 Kcs. Le bulletin était diffusé en graphie (morse) avec un droit de reproduction autorisé à tous les pays. L’indicatif était : CQ de ALG. ( 67 ) L’Agence Presse Service (APS) Le GPRA décidé la création de l’APS. Le ministre de l’information M’hamed Yazid et du MALG Abdelhafid Boussouf sont chargés d’unir leurs moyens (humains et matériels) pour la création d’une agence de presse. L’APS verra le jour le 1er décembre 1961. Le directeur de cette agence fut désigné et le choix se porta sur Messaoudi Zitouni, ancien militant du PPA (responsable de la cellule de Boussouf avant le déclenchement de la révolution). Les Artisans du service des transmissions de l’ALN www.memoria.dz Guerre de libération Histoire Rahali Boumediene au maquis des Aurès Les transmissions de l’est Abderrahmane Laghouati dit Laroussi a réussi avce de très faibles moyens à créer une école des transmissions à la Base de l’Est. Mohtchikou, alias Mohamed Seghir Hakem en était l’instructeur principal. Abdelmadjid Maâlem, dit Bezouiche, relate cette épopée dans sa trilogie « Les témoignages de Bezouiche », Editions Anep. Les martyrs des transmissions contribué au lancement de la radio, Abdelhafid Boussouf fut le premier à vouloir et à décider de la création des de l’ATAPI et de l’APS. Télécommunications. Il trouva des -Le lieutenant Moussa alias Sedar hommes idoines pour l’accomplisseSenoussi a participé avec Omar à ment de cette mission dont les frères toutes les créations des télécomsuivant : munications. - Le commandant Omar alias Teli-Le capitaine Abou El Feth alias dji Ali était un travailleur acharné, Bouzid Abdelkader, devint formainfatigable. Il avait une grande teur et responsable du service du « expérience dans les télécommuchiffre ». nications. Il est le créateur des premiers codes de l’ALN : OBT - Le lieutenant El Ghaouti alias Hassani Abdelkrim a participé en tant (Ordre de Base des Transmissions), que formateur et responsable dans OPT (Ordre Particulier des Transla direction des transmissions. missions)s et autres. Il a également Groupe El-Djazaïr.com . MÉMORIA . ( 68 ) Les deux premiers martyrs du service des transmissions sont tombés au champ d’honneur, le 22 novembre 1956. Ce sont le chahid Dib Boumediene dit Abdelmoumen et le chahid Attar Mohamed dit Farid. Je ne peux donner un chiffre exact des martyrs des transmissions mais nombreux sont les martyrs qui sont morts jeunes, à la fleur de l’âge, à l’image de Sifaoui, de son vrai nom Berri Mohamed tombé au champ d’honneur, le 13 novembre 1957 alors qu’il avait à peine 17 ans (il était né le 12 mai 1940). Dans son livre « Histoire des martyrs des transmissions », Hadj Haddou Mohamed a réussi, grâce à un travail acharné et minutieux, à situer le lieu et à révéler la date de décès de la plupart des martyrs des transmissions (de la DTN et du MALG). C’est un livre incontournable pour les historiens et tous les moudjahidine. Gloire éternelle à tous les martyrs de la révolution algérienne qui ont donné leur vie pour que leur pays, l’Algérie vive libre et indépendante. Supplément N° 40- Octobre 2015. Guerre de libération Histoire Conclusions Il faut rendre hommage à cette génération de jeunes, à son sacrifice et à l’œuvre exaltante entreprise par elle durant la guerre de libération nationale. L’hommage s’adresse également à tous les responsables politiques et militaires et en particulier à Si Abdelhafid Boussouf, le créateur de tous les services spécialisés de l’ALN et enfin, à tout le peuple algérien qui soutint la révolution jusqu’à l’indépendance arrachée à l’ennemi colonialiste.Le FLN/ALN a su montrer à cet ennemi que l’Algérie combattante était en mesure d’accéder seule, par ses propres moyens et avec ses propres enfants à la maitrise des techniques aussi hautes que complexes que sont les services spécialisés et techniques de l’ALN. Puisse la jeunesse d’aujourd’hui mesurer, méditer et enregistrer l’effort gigantesque et l’abnégation quasi surhumaine consentis par la jeunesse d’hier et suivre son exemple afin de perpétuer l’esprit du sacrifice, nécessaire au moment où la patrie se trouve en danger. Direction des Transmissions Nationales (DTN) Les opérateurs radio 1- Les quatre premières promotions sont à l’ouest (Maroc) - La 1ère à Oudja (Zabana) - La 2é, 3é et 4é à Nador 2- La 5é promotion à Foundouk Choucha (Tunisie) LA REVUE DE LA MÉMOIRE D'ALGÉRIE De g. à dr. : Aboulfath, Chouaïb, Djaffar et Mustapha. A la veille du le départ au maquis 3- La 6é promotion à l’ouest La 7é promotion à l’est La 8é promotion à l’ouest La 9é promotion à l’est La 10é promotion à l’ouest La 11é promotion à l’est La 12é promotion à l’ouest La 13é promotion à l’est II-Les techniciens-dépanneurs radio : 4 promotions - Les deux premières à l’ouest - Les deux dernières à l’est - La dernière spécialisée des contrôleurs à l’est III- Les chiffreurs : 4 promotions - Les deux premières à l’ouest - Les deux dernières à l’est IV- Total - Promo opérateurs radio : 670 - Promo dépanneurs : 72 - Promo chiffreurs : 70 - Techniciens RDA : 20 - Membres de sécurité : 150 - Total : 982 ( 69 ) Pendant la guerre de libération les Transmetteurs-radio ont crée un lien au sein de la Direction des Transmissions Nationale. Cette revue des Transmissions nationales, d’une haute facture, a été rééditée par le service historique du ministère des Moudjahidine. Les chercheurs et historiens y trouveront de très nombreuses informations. Ils pourront se faire une idée du degré élevé de ces jeunes assoiffés de connaissance. Les poètes qui ont taquiné leur muse à des moments perdus ont été révélés par la revue des Transmissions Nationales. Par Hadj SAPHAR Sources : Ondes de choc, de Seddar Senoussi dit si Moussa, Editions Anep Guérilla sans visage, de Abdelkrim Hassani, dit El Ghaouti L’arme des transmissions, de Bouzid Abdelkader dit Abou El Feth Aux Origines du MALG, de Abderrahmane Berrouane dit Saphar Une vie pour les transmissions, de Abdelhamid Lakhdar dit Benaissa. Interview parue dans la revue Memoria de novembre 2012. www.memoria.dz Guerre de libération Histoire Le numéro 6 de la Revue des Transmissions Nationale, éditée en avril 1961 Groupe El-Djazaïr.com . MÉMORIA . ( 70 ) Supplément N° 40- Octobre 2015. Guerre d’Algérie Noël Favrelière, le déserteur devenu héros Par Adel Fathi Guerre de libération Histoire « A la guerre, on perd toujours quelque chose. Parfois, c’est seulement la vie » Noël Favrelière Méconnu de la génération pos-indépendance, Noël Favrelière fait partie de ces soldats français qui n’ont pas hésité à rallier la cause algérienne durant la guerre de libération nationale. Déserteur pour les Français, héros pour les Algériens, son histoire a fait le tour du monde et même inspiré le cinéaste René Vautier, connu lui aussi, pour être un grand ami de l’Algérie. Une enfance marquée par le combat des Résistants Originaire de la Rochelle, dans le sud-ouest de la France, le jeune Noël, qui n’a alors que 10 ans, est marqué par les combats menés par les résistants français contre l’Allemagne du Reich, lors de la Libération. Nous sommes en septembre 1944, en pleine Seconde Guerre mondiale. A la fin de la guerre, l’enfant grandit dans une France libérée mais quelque part, il garde en mémoire les images belliqueuses de son enfance. Appelé sous les drapeaux, avant le déclenchement de la Révolution algérienne en 1954, il effectue son service militaire à Skikda. Les Algériens, qui vivent sous le joug du colonialisme depuis plus d’un siècle déjà, connaissent toutes les formes de privations et d’injus- Groupe El-Djazaïr.com . MÉMORIA . tices. Ainsi plongé au cœur de la société algérienne, Noël Favrelière découvre avec horreur le sort inique et inhumain infligé par son pays à la population indigène musulmane. Choqué par ce qu’il a vu, il en parle avec ses amis, après 1954 et dit même : « Si j’étais Algérien, je serais fellagha. » Une fois son service terminé, il retourne en France et c’est à Paris qu’il choisit de s’installer. La ville ( 72 ) des lumières lui permet de mener une vie d’artiste lui qui est si doué en dessin. Son carnet de croquis sous le bras, il croque les scènes parisiennes avec son coup de crayon mais il ne parvient pas à oublier ce qu’il a vu en Algérie. Toute cette misère, tous ses abus l’obnubilent. Il ignore, à ce moment-là, qu’il y retournera pour vivre l’horreur de la guerre de l’intérieur. Supplément N° 40- Octobre 2015. Guerre de libération Histoire Débarquement à Alger En 1956, Noël Favrelière est, à son grand dam, rappelé au sein des rangs de l’armée. Il rejoint Mont-de-Marsan et de là, il part pour Bayonne où il est affecté au 8e régiment de parachutiste coloniaux. Envoyé en Algérie, il prend part à des opérations de ratissage dans la région d’Aumale (Bouira). Le jeune sous-officier est au front, il voit de près toute l’abjection de cette guerre et il se pose des questions. « Je ne comprenais pas que seulement quelques années après s’être libéré des Allemands, après s’être battu, comme l’ont fait mon père et mes oncles par exemple contre les Allemands, on envoie des jeunes couillons de mon espèce se battre contre les gens qui voulaient la même chose, libérer leur pays et obtenir une indépendance. Je trouvais cela absolument injuste », écrira-t-il, à ce propos. Au cours d’une des opérations, sa compagnie se rend coupable du meurtre d’une petite fille de sept ans. Ce ne sera pas la seule exaction commise par l’armée française qui multipliera les attaques meurtrières contre la population démunie. Pour le jeune sous-officier, ç’en est trop, ce qui renforce chaque jour un peu plus son hostilité à cette guerre. Il se souvient : « Mon père m’a emmené, au moment où j’étais rappelé, au train, il m’embrasse en montant sur le marchepied et me dit : ne deviens pas un Boche. Lui, il disait ça parce qu’ancien prisonnier évadé puis ensuite Résistant. Puis, le train a bougé, mon LA REVUE DE LA MÉMOIRE D'ALGÉRIE père s’est mis à courir et est remonté sur le marchepied et m’a dit : excuse-moi fils, je n’aurais pas dû te dire ça, je sais que tu ne le seras jamais. Il pensait absolument comme moi. J’étais absolument contre cette guerre. C’était pour six mois disait-on, puis avec les congés, etc. cela aurait été cinq mois, seulement cinq mois ou alors je refusais et je me retrouvais en taule. Alors pour cinq mois, surtout qu’à l’époque il n’était encore pas question d’une guerre, c’était une opération de police, c’est ça : ça ne durera pas longtemps et ce n’est pas méchant, mais dès mon arrivée là-bas, les bavures, comme la mort d’une petite fille, comme brûler une forêt, on allait de bavures en bavures, de plus en plus graves et comme si c’était normal. On allait devenir des Boches si on s’était laissé faire. Il fallait réagir. Justement, avec les copains, on en discutait, on était tous d’accord et quand moi je proposais de faire une action disons plus collective, je me suis retrouvé tout seul… » ( 73 ) Rallier le camp adverse La guerre fait rage. Les deux camps enregistrent des morts, des blessés et des prisonniers. A l’aube du 19 août 1956, Noël Favrelière est chargé de surveiller un prisonnier algérien dont l’exécution est imminente. Le jeune sous-officier français ne peut laisser ce jeune moudjahid qui combat pour la libération de son pays se faire tuer. Aussi, trompant la vigilance de ses collègues, il prend la fuite du camp, en compagnie du prisonnier algérien et prend ses armes avec lui. Il n’a qu’une seule idée, rejoindre les rangs de l’Armée de libération nationale et combattre aux côtés des moudjahidine. Pendant près d’une année, Noël « Noureddine » (son nom de guerre) Favrelière luttera au sein du FLN, dans la partie du Sahara et des montagnes situées à la frontière de la Tunisie et de l’Algérie. Blessé au pied après une attaque de l’aviation française, il est passé en Tunisie, pour y être soigné. Noël Favrelière dont l’engagement aux côtés des Algériens est médiatisé, s’explique www.memoria.dz Guerre de libération Histoire face aux journalistes sur les raisons qui l’ont poussé à faire un tel choix. Il demande ensuite un visa d’entrée aux Etats-Unis où vit sa sœur. Jugé par le Tribunal militaire de Constantine pour plusieurs chefs d’inculpation, Noël Favrelière est condamné à mort par contumace en 1958. Une peine qui sera prononcée une seconde fois lors d’un nouveau jugement en 1960. En 1962, il retourne en Algérie et rencontre Ahmed Ben Bella et M’Hamed Yazid. Une année plus tard, il rentre clandestinement en France. Aidé par Jean-Paul Sartre, il parvient à organiser une conférence de presse, au cours de laquelle il fait des déclarations importantes, il expose également ses tableaux. Il effectue ensuite un séjour en Yougoslavie, à partir de 1964. En 1966, il est enfin amnistié de ses deux condamnations à mort, ce qui lui permet de retourner en France, libre. Reprenant le cours de sa vie, il tente de retrouver ses anciens amis. Il confie : « Quand j’ai retrouvé un de mes amis à Paris, un peu par hasard, dans une galerie d’art, on a parlé des autres et je lui ai dit : je serais bien heureux, bien content de les revoir, de les rencontrer. Il m’a dit : mais eux, ils ne veulent pas te voir, ils ont honte d’eux-mêmes parce qu’ils pensaient comme toi mais ils n’ont rien fait. Je ne voyais qu’une chose à faire, c’était de déserter en même temps je sentais ça comme un énorme « Merde » que je criais à l’armée et à cette France colonialiste ». Groupe El-Djazaïr.com . MÉMORIA . Un livre pour tout raconter Marqué par ces années de guerre, Noël Favrelière décide de publier un ouvrage pour raconter ce qu’il a vu, ce qu’il a vécu. Dédié à la mémoire de son « camarade Kakou (Abd El Kader Benazouz ) et à tous ceux qui, comme lui, sont morts pour que d’autres vivent libres et en paix », l’auteur plonge le lecteur de « Le Désert à l’aube » dans l’horreur des combats mais il lui dévoile également pourquoi il a choisi de rejoindre le camp « ennemi ». Publié en octobre1960 aux éditions de Minuit, l’ouvrage est censuré et saisi dans la semaine suivant sa parution. Interdit de diffusion, le récit ne reparaît qu’en 1974, sous le titre « Le déserteur ». Un film inspiré du récit Le récit de l’engagement courageux et juste de René Favrelière servira de base au scénario écrit par René Vautier pour son film « Avoir vingt ans dans les Aurès », sorti en 1972. L’histoire se déroule dans le massif des Aurès, en avril 1961 : « Un commando formé d’appelés bretons, affronte un groupe de l’Armée de libération nationale : il fait un prisonnier algérien. Le soldat français blessé au cours de l’accrochage, instituteur dans le civil, se rappelle les événements qu’il a vécus avec ses camarades au cours des derniers mois : leur opposition à la guerre en Algérie les a conduits dans un camp réservé aux insoumis ; il se remémore la façon dont leur chef a su les transformer, de jeunes Bretons antimilitaristes qu’ils ( 74 ) étaient, en redoutables chasseurs de fellaghas, prêts à tuer et y prenant goût, tous sauf lui, cèdent progressivement à l’escalade de la violence ». Le film s’attire très vite les foudres d’une certaine classe politique française. Il est considéré comme une vision « incorrecte » de la guerre d’Algérie, avec une « apologie de la désertion ». Il fera longtemps polémique. Reconnaissance algérienne Nombreux à avoir rejoint l’Algérie dans son combat contre le colonialisme français, l’État algérien, en signe de reconnaissance à tous ces « Justes d’Algérie » a inauguré en 2002 à Alger, une stèle à leur mémoire. Hassina Amrouni Source : http://www.dandelotmije.com http://justesdalgerie.forumactif.org Supplément N° 40- Octobre 2015. 23 e Congrés de l’Académie Arabe de Musique Constantine les 5.6 et 7 Octobre 2015 Dr Boudjemâa HAICHOUR. Chercheur universitaire, ancien ministre VOYAGE MUSICAL DE LA JEUNESSE ARABE entre le traditionnel et le moderne Guerre de libération Histoire Je voudrais tout d’abord remercier les autorités de la wilaya de Constantine à leur tête le wali, Hocine Ouadhah, Lakhdar Bentorki, directeur général de l’ONCI, Monsieur Sami Bencheikh, commissaire de la Manifestation « Constantine-capitale de la culture arabe 2015 » de l’invitation ainsi que Monsieur Lamine Bechichi, président actuel de l’Académie arabe de musique traditionnelle. L’intervention remarquable de Monsieur Paul Dujardin, président du Conseil international de la musique, et l’allocution d’ouverture de Monsieur Azzeddine Mihoubi, qui a placé les travaux de cette 5e édition arabe sous l’égide de Monsieur le président de la République. Cet événement se tient dans une ville qui depuis la Numidie était le réceptacle des musiques méditerranéennes. Rappelons-nous les banquets d’orchestres venus de Grèce qu’organisait Massinissa dans Cirta. Constantine ville-phare des cultures du monde J’avais déjà participé par une contribution figurant aux actes des travaux du 16e Congrès présidé par SE Lamine Béchichi. Pour ce colloque, le thème que j’ai retenu est celui du : « Voyage musical de la jeunesse arabe entre le traditionnel et le moderne ». L’approche d’un tel sujet nous renvoie à une vision à la fois sociologique et ethnomusicologique dans ce vaste mouvement historique des cultures du monde. Groupe El-Djazaïr.com . MÉMORIA . La jeunesse entre l’esthétique et l’émotionnel Comment la jeunesse arabe traduit-elle ses émotions dans une esthétique musicale où s’entrecroisent les faits culturels ? Constantine, ville d’Art et d’Histoire, capitale arabe de la culture, offre ce rendez-vous des « airs musicaux » pour transcender les nuances des modes et des gammes entre tradition et modernité. Ainsi vouloir passer du traditionnel au moderne sans altérer les valeurs identitaires entre l’Occidental et l’Oriental expose-t-il les traits de ressemblance où se dégage une réflexion qui se meut ( 76 ) vers l’universalité ? Quelles sensations les deux concepts provoquent en nous ? Si Platon justifie le beau en une forme sensible de l’idée et la présentation sensible du Vrai, Hegel considère l’esthétique comme l’expression inférieure du concept dans le champ de la sensibilité. Les jeunes face à la transcendance musicale Jean During, dans les Cahiers de l’ethnomusicologie dans sa contribution « l’enjeu de la modernité dans les arts et les musiques de l’islam », note que la modernité en Occident correspond à la réhabilitation du sensible d’où il confirme l’idée de Kant qui traite de l’autonomie du Supplément N° 40- Octobre 2015. Guerre de libération Histoire sensible par rapport à l’intelligible dont Nietzsche consacre la tradition qui éclate en une multiplicité de perspectives. Le mur de la transcendance cède devant le flux impétueux de la vie et dans cette brèche s’engouffre la modernité. Mais cette modernité qui oriente les arts à partir du romantisme fut tour à tour philosophique, épistémologique, politique, idéologique et esthétique avant de devenir sociologique. Dans l’Orient, les cultures ont connu une évolution comparable. Les arts dans l’esthétique orientale ont connu de grandes ruptures et même des bouleversements qui les ont conduits à une forme de modernité. La musique entre le sensible et l’intelligible Les Arts et la musique en particulier doivent être réinterprétés et ajustés aux exigences du temps. L’esthétique orientale établit une connexion directe entre le sensible et l’intelligible comme chez les mystiques soufis qui perçoivent l’apparent et le caché. Y a-t-il une finalité sacrée ou une finalité morale dans l’expérience esthétique qui réalise l’extase mystique du moins pour la musique et la poésie ? Mais de tous les arts, c’est la musique qui reflète le mieux l’ordre de l’univers, c’est-àdire de l’intelligible. Si les sociétés traditionnelles ont leur histoire, il nous faut avec le temps voir ce qui a changé dans la musique et qui peut être considéré comme processus de modernisation. LA REVUE DE LA MÉMOIRE D'ALGÉRIE El Farabi témoigne d’un sens aigu de l’histoire et de l’évolution de la musique. Al Hassan Al Khatib dès le XIe siècle résume la musique comme une science et une pratique relevant de l’intellect ou la raison (‘aql) ainsi que des sentiments ou émotions (ihsas). La musique a pour objet d’émouvoir ceux qui possèdent sa connaissance. Al Khatib est un mélomane exigeant et un esthète avant d’être un savant ou un théoricien. On peut dire même qu’il est un moderne. Mais il se démarque en disant que « tout ce qui est dans la musique moderne, s’écarte des procédés de la musique ancienne, ne peut que rarement être considéré comme beau et plaire ». La jeunesse et la délectation musicale Quelle est la finalité d’une musique pour les Anciens ? La valeur de la musique tient à son objectivité, à son utilité et à ses vertus. Car une audition contrôlée par la raison procure une délectation spirituelle, une joie intellectuelle. Pourrait-on parler d’un clivage tradition/modernité ? Il n’est moderne que ce qui est voué à passer de mode. Les chants modernes sont des « airs du temps ».Selon toujours Al Khatib, « la musique moderne se caractérise par sa sensualité, son éclat, ses effets riches et voluptueux, la pratique du jeu instrumental alors que l’art traditionnel se distingue par sa simplicité, sa sobriété, sa sérénité et sa stabilité. » ( 77 ) La querelle des Anciens et des modernes Avec la querelle des Anciens et des modernes selon le « livre des Chants », les critères d’esthétique s’altèrent. Le temps se fragmente aussi bien dans la performance libre (taqsim) que dans les pièces rythmées qui abandonnent les longues compositions. Il ne suffit pas qu’une mélodie soit agréable, il lui faut encore une signification. L’intelligibilité de la musique sera assurée par le poème qui assure son mètre, sa prosodie, ses sonorités et sa signification. Elle devient langue du cœur et signe des passions. La musique déferle dans la société de consommation. Chacun se croit compétent pour en juger et le jugement de la masse consacre dorénavant les talents envers et contre celui des experts. C’est le signe de la fin de la tradition et le commencement de la modernité. La conception de la performance musicale décrite par les Arabes anciennement ne préfigure-t-elle pas des valeurs exaltées dans l’Occident contemporain ? La pratique musicale des Arabes apparait comme une célébration de la beauté dans sa forme la plus sensible, sensuelle même, sans justifications philosophiques et sans les effets transcendantes des mystiques. Ce type de performance musicale créatrice, conviviale, consensuelle, communicative et interactive, a été découvert seulement récemment en Occident www.memoria.dz Guerre de libération Histoire avec le jazz (négro-spiritual) et les expériences des modernes. Dans les pays du Maghreb et au Moyen Orient est née une sorte de musique qui fascine les nouvelles générations par ce couple « tradition/modernité » qui reste attaché aux musiques traditionnelles tout en s’impliquant dans la modernité. Ce n’est pas une ambivalence mais une complémentarité dans l’exécution des airs musicaux. Une musique raffinée et poétique Les jeunes interprètent des chansons qui épousent le contexte à la fois politique, sociale et psychologique de leurs sociétés respectives. Si on évoque par exemple les icônes qui ont marqué leur temps dans le monde arabe, la Diva Oum Kalsoum, Fayrouz, Ismahan ou Warda ne sont-elles pas des voix qui ont envoûté les mélomanes ? Tant de gloire ont couvert leurs personnalités dans toute la splendeur d’une langue arabe raffinée et poétique. Ces voix orientales sublimes ont voyagé à travers les airs autant que Abdelwahab, Abdelhalim Hafez, Farid El Atrach…par des compositions aux valeurs poétiques traditionnelles en empruntant quelques traits de modernité notamment l’introduction d’instruments philarmoniques. C’est au travers des différents répertoires que naquit au Maghreb des chanteurs qui tout en puisant du terroir s’enrichissent de l’apport Groupe El-Djazaïr.com . MÉMORIA . à la fois moyen-oriental et occidental. A Constantine par exemple, le Malouf qui est une musique classique par ses mouwachahates et zajals, appelée d’ailleurs musique savante, a donné des grands interprètes de la chanson aux abords du chant moyen-oriental. Depuis le premier Congrès de la musique arabe en 1932 au Caire qui a entériné et adopté une grille de vingt-quatre quarts de tons égaux pour l’échelle générale de la musique arabe, des rencontres sur la musique associent des réflexions de chercheurs et d’intellectuels. Les musiques du monde dans une globalisation essaient de sauvegarder les particularités des différentes cultures. instruments à divisions continues pour l’exécution des modes au regard des variations des intonations et des tempéraments selon l’instrument et la pratique de chaque musicien. Ceci n’empêche pas qu’une composition en musique arabe « moderne » dans une perspective polyphonique d’avoir une évolution linéaire différente. Le Caire devient le centre des arts modernes des artistes qui ont rompu avec la tradition classique pour satisfaire le goût des nouvelles générations. La world music et les particularités culturelles Désireuses et friandes d’une musique pop internationale, les médias et les technologies nouvelles ont imposé un tout autre style qui a bouleversé le socle identitaire par une rythmique en harmonie avec la musique occidentale. Le langage musical supposé « moderne » et « universel » se heurte frontalement à une différence de tempérament et se trouve être biaisé par rapport à la modernité inspirée par la démarche des musiciens occidentaux. Ce désir d’ouverture sur d’autres cultures doit se faire par une volonté dans la recherche identitaire qui s’exprime naturellement en musique à travers ce processus social loin de tout exotisme. Les vagues de la « world music » permettent des métissages avec l’originalité d’une transcription mélodique orientale dans une trame parfois occidentale. La mode des claviers-arrangeurs « orientaux » a bouleversé aujourd’hui la donne dans la distribution instrumentale. Le mode hijaz kâr noté par la majorité des compositeurs contemporains à partir de 1932, a décrit l’époque de la Nahdha arabe dans la configuration du maqam rasd (mode principal de la musique arabe). Seule la voix humaine en musique arabe traditionnelle possède une souplesse comparable à celle des ( 78 ) La jeunesse et les chansons engagées Supplément N° 40- Octobre 2015. Guerre de libération Histoire S’éloigner des musiques hybrides Autrement, nous aurons des musiques hybrides, caricature de la musique traditionnelle originale. Il faut proposer un retour aux sources de cette musique traditionnelle, c’est-à-dire la référence à l’authenticité par rapport au moule initial. L’Algérie est un pays carrefour des cultures méditerranéennes autant orientale qu’occidentale, amazigh, arabe et africaine. Cette ville qui nous accueille est numidienne qui oscille entre tradition et modernité. Cette terre de l’homme libre par ses musiques traditionnelles allant du sahraoui au tergui, du chant kabyle de Lalla Khedidja au chaâbi, du chant chaoui des hauteurs de Chélia des Aurès en passant par les chansons steïfi des Hauts plateaux au gharnati de Lalla Setti, du Malouf des ponts du Rhumel, du Medh de la vallée du Mzab tout en affirmant son identité, se projette vers par les musiques modernes. Séduire les nouvelles générations La question qui se pose est de savoir pourquoi par un raccourci étonnant, l’Occident et sa musique sont devenus synonymes de modernité pour les musiciens et les sociétés arabes ? Même si le raï chez nous est une évolution d’un style inspiré du terroir mais reprenant des arrangements de type occidental pour séduire les nouvelles LA REVUE DE LA MÉMOIRE D'ALGÉRIE générations ouvertes à l’explosion des variétés musicales des récitals occidentaux. Le chant wahrani qui dérive du Melhoun vient s’incruster aux noubas de la musique andaloumaghrébine. Le raï avec l’entrée en jeu de la trompette, l’accordéon et le saxophone, l’orgue, la guitare électrique, annonce cette mutation vers le moderne. Une nouvelle génération s’inspirant des textes du melhoun envahit l’espace citadin oranais puis national et international. Les nouvelles sonorités et la jeunesse Le raï et le rap devenant aussi une forme de résistance et de lutte contre la malvie. C’est l’intronisation des synthétiseurs et des boîtes à rythmes qui vont accélérer le passage de la tradition musicale à la modernité. Ces nouvelles sonorités impriment au raï une nouvelle performance dans l’exécution de la musique de style rock, pop, jazz, disco etc. C’est un véritable voyage musical de la jeunesse dans le temps. On privilégie le rythme et la mélodie au détriment des paroles. La prosodie arabe reste comme toute poésie une référence à une civilisation arabe omeyade puis abbasside qui a permis l’émergence des mouwachah et des zajal en Andalousie arabe et au Maghreb produisant les noubas. ( 79 ) Sauvegarder notre patrimoine immatériel Cet héritage médiéval enrichi et remanié à travers les générations, nous le revendiquons et nous l’enseignons grâce à la mémorisation de nos maîtres ou chouyoukh qui l’ont transmis à travers les âges. La modernité devrait passer par la transcription solfiée en même temps d’une transmission par l’oralité dans ce duel tradition/modernité. Ce sont les deux tendances qui cohabitent entre conservateurs et modernistes. Tous ces recueils de textes (Sfina ou Kounach) de mouwachahat, de zajal, de melhoun, aroubi, hawzi, mahjouz, haoufi, medh sont interprétés à travers des mélodies chantées dans toute la préservation et la sauvegarde de notre patrimoine immatériel. Rupture épistémologique ou rénovation Pour conclure, on peut dire qu’il ne saurait avoir de rupture entre tradition et modernité dans le domaine des sciences musicales. L’une ne va pas sans l’autre. Qualifier d’innovation ou de conservation ne peut se détourner de la finalité musicale à laquelle aspire la jeunesse qui reste attachée aux références traditionnelles tout en s’ouvrant vers l’universalité. En définitive, la modernité en question n’est qu’une phase, c’està-dire un processus attesté toujours de décadence qui serait la www.memoria.dz Guerre de libération Histoire condition même de la rénovation. « Tout ce qui, dans la musique moderne, s’écarte des procédés de la musique ancienne, ne peut que rarement être considéré comme beau et plaire ». Telle est la teneur de cette communication avec les remerciements à l’honorable assistance. Dr Boudjemâa HAICHOUR, Chercheur Universitaire-Ancien Ministre Bibliographie : 1- Erlanger Rodolphe d’ : « La musique Arabe » Vol III Paris P. Geuthner 1938. 2- Hegel, G.W.Fridrich : « Esthétique » Paris PUF 1945. 3- ean During : « Question de goût. L’enjeu de la modernité dans les arts et les musiques de l’Islam » Cahiers d’ethnomusicologie7/1994, 27-49. 4- André Shaeffner : « Origine des instruments de musique-introduction ethnologique à l’histoire de la musique instrumentale » Paris éditions de l’EHESS 1994. 5- Pilippe Albéra : « Les leçons de l’exotisme » in Cahiers de musiques traditionnelles N°9 Genève 1996. 6- Nidaa Abou Mrad : « Echelles mélodiques et identité culturelle en Orient arabe » Actes Sud Paris 2005. 7- Shehérazade Quassem-Hassan : « Dirassat Fi Al moussika Al Ara bya-Moussiqa Al Madina » Dar Nashr Beyrouth 1991. 8- Amine Beyhom : « Revue des Traditions musicales des mondes Méditerranéen et Arabe » N°1 Baabda Liban université Antonine 2007. Groupe El-Djazaïr.com . MÉMORIA . ( 80 ) Supplément N° 40- Octobre 2015. Par Hassina Amrouni Dellys Histoire d'une ville Située à quelque 50 km de Boumerdès, le chef-lieu de wilaya, à environ 45 km de la wilaya de Tizi-Ouzou et à 100 km d’Alger, Dellys est connue pour son célèbre port de pêche et sa vieille Casbah. L ’Histoire de cette ville s’est forgée au fil des millénaires, écrite par les différentes civilisations qui s’y sont succédé à une époque ou à une autre. Dellys est née sous l’impulsion des bâtisseurs carthaginois. Ils lui donneront pour nom Rousoukkour (le cap des poissons) et en firent un comptoir commercial. La présence carthaginoise dans la région sera pacifique. C’est suite à leur arrivée que la région va connaître des échanges avec le monde antique. Devenu un comptoir commercial, la cité connaîtra des échanges intenses, notamment avec le pourtour méditerranéen. Le commerce concernait les olives, l’huile, le cuir ainsi que divers autres produits. Outre cet aspect commercial, l’influence carthaginoise sur les autochtones concernera essentiellement la langue et la religion. Les Berbères voient ainsi l’introduction dans leur vocabulaire de mots Kanaaniens, de même qu’ils se mettent à croire au dieu « Baal Amoun », un des dieux des Phéniciens. Si cette période s’avère prospère, il n’en sera pas de même avec les Romains dont la conquête se fait de façon « brutale ». Arrivée de la puissance romaine Déjà présents dans plusieurs régions du pays, les Romains s’y installent ensuite, vers l’an 42 après J.-C. Après le décès de Ptolé- Groupe El-Djazaïr.com . MÉMORIA . ( 82 ) mée, fils de Juba II et roi mauritanien, un nouveau découpage administratif aura lieu. Rusuccurus est alors annexée aux provinces romaines. La cité devient une ville forte et, à l’instar des autres cités romaines, elle est ceinte de remparts afin de la préserver d’éventuelles attaques ennemies. Visibles aujourd’hui encore, notamment à l’ouest de la ville, des pans de cette muraille défensive, témoignent de cette période passée. S’en suit alors une longue période de paix et de prospérité, surtout après la fin des résistances de Takfarinas en l’an 24 après J.-C, et Edmond en l’an 46 après J.-C. Le catholicisme se propage peu au sein de la population, à partir du IVe siècle, après que l’empereur Constantin le Grand l’eut déclarée religion officielle de l’empire. Mais Supplément N° 40 - Octobre 2015. Histoire d'une ville Dellys Un coin de plage de Dellys il reste cependant quelques résistants qui se réclament du donatisme (une caste de prêtres donatistes est née à Rusuccurus en se démarquant de l’église catholique). Peu après, l’empire romain commence à décliner, ce qui permet à la Kabylie d’obtenir un peu plus d’autonomie politique et économique. La région oscillera ainsi entre guerre et paix jusqu’à l’arrivée des Vandales qui sèmeront à nouveau le chaos. La ville résistera tant bien que mal aux troupes du roi Genséric, aidée en cela par sa position géographique et au rôle que ses prêtres catholiques jouèrent dans la gestion de la défense de la ville. Femmes romaines de l’époque de l’empereur Constance découvert à Dellys LA REVUE DE LA MÉMOIRE D'ALGÉRIE ( 83 ) www.memoria.dz Histoire d'une ville Magnifique nature de Dellys Arrivée des Arabes et introduction de l’islam Magnifique nature de Dellys Sidi Yahia, l’ancienne ville de Dellys Groupe El-Djazaïr.com . MÉMORIA . Suite à l’invasion vandale et à un violent tremblement de terre, Rusuccurus sera détruite. C’est sur ce tas de ruines que les Arabes, arrivés bien plus tard, décident d’ériger la nouvelle ville : Tedellis. En dépit de l’importance de son port de pêche, la ville ne connaîtra pas l’essor escompté. Nul ouvrage d’histoire de l’époque n’en fait mention. Il faudra attendre le XIIe siècle, l’époque des hammadites, rois de Bougie. Selon Ibn Khaldoun, la cité a d’abord fait partie du royaume de Bougie avant qu’El-Mansour ne la cède au souverain d’Almeria, Moezz-ed-Dol-Ibn-Somadoh après sa fuite d’Espagne, au lendemain de sa prise par les Almoravides en 1088. Tedellis sera alors le lieu de refuge idéal. Cependant, cette dernière changera encore de mains en 1363, lorsque l’émir hafçide Abou-Abd-Allah devient maître de Bougie pour la troisième fois. Il reprend donc Tedellis aux Abd-el-Ouadites et y installe une garnison et un gouverneur. Toutefois, lorsqu’il est, à son tour attaqué par Abou-Hammou, il est contraint de lui céder Tedellis et de lui accorder la main de sa fille contre une suspension d’armes. ( 84 ) Supplément N° 40 - Octobre 2015. Histoire d'une ville Dellys La famille royale Nasride d’Abu Abd’Allah dit Boabdil quitte Grenade 1492 Retour des Andalous A partir du XVIe siècle, Tedellis connaîtra une importante vague d’immigration andalouse. A l’appel des Thaalibaa, qui avaient besoin de main-d’œuvre expérimentée et artistique, surtout dans les domaines agricoles et artisanaux, les Andalous vont débarquer en masse, venant principalement de Saragosse la blanche et d’Almeria. Ainsi, après l’élite andalouse arrivée au XIe siècle, voilà que des gens simples, venaient s’installer sur cette autre rive de la Méditerranée. Tedellis durant la présence ottomane Alors que Tedellis est sous l’autorité espagnole après que cette dernière eut repris Bougie en 1509, les Bougiotes sollicitent l’aide des frères Barberousse. Dellys devient pendant un temps, le siège du gouvernement de Kheireddine. La ville côtière se retrouve sous domination ottomane de 1515 à 1844 et, à l’instar d’autres villes comme Alger, Blida, Koléa ou Cher- LA REVUE DE LA MÉMOIRE D'ALGÉRIE chell, elle sera elle aussi sous l’autorité directe du Dey d’Alger dont le siège était installé à Dar Es-Soltane. Durant cette période, Dellys connaîtra une stratification sociale, sa population étant composée de différentes tribus et groupes ethniques dont les Rayat ou sujets et Ahl elMakhzen ou gens du gouvernement parmi lesquels des guerriers et des propriétaires terriens ainsi que leurs alliés et vassaux. Toutefois, la famille dominante était Dar Hassane. D’ascendance ottomane, cette dernière arrive à Dellys aux alentours de 1535 et son doyen détient les clefs de la ville. C’est une époque faste pour Dellys qui connaîtra alors un réel essor économique et agricole avec ses centaines d’hectares de terres cultivées (blé, vigne, primeurs, etc.) et dont une partie de la production sera même exportée vers l’Europe, plus particulièrement vers la France. Du fait de sa position stratégique et de l’existence d’un grand port de pêche, cette dernière activité sera fortement pratiquée, favorisée par l’introduction de nouvelles technologies de construction d’embarcations et la construction du premier port moderne de Dellys, connu sous l’appellation de « Port ( 85 ) www.memoria.dz Histoire d'une ville Dellys Lekdim » qui sera, malheureusement, balayé par les vents violents soufflant d’est et d’ouest et qui finiront par sérieusement endommager les bateaux à quai. Au plan urbanistique, la ville connaîtra de grandes réalisations, avec notamment la construction des deux Casbah de Dellys. Les habitants de ces deux citadelles, ceintes de murailles défensives, vivaient dans un climat sécuritaire qui amenait beaucoup de famille à venir s’y installer, échappant ainsi aux attaques espagnoles. Dellys sous domination française Alors que ses habitants mènent une vie paisible, les occupants français opèrent une première soumission en 1837, avant une abdication totale, face aux hommes du maréchal Bugeaud, le 7 mai 1844, à la suite de son expédition militaire chez les Flissas. De violents combats mettront aux prises les deux parties, conduisant à la chute définitive de Dellys. Dès leur arrivée, les Français européanisent la ville, en construisant toutes sortes de bâtiments, institutions et blocs administratifs. Dellys sera dès lors connue pour son école des arts et métiers, son port de pêche destiné au cabotage et sports nautiques, etc. En dépit des années de guerre, du boom urbanistique postindépendance, des tremblements de terre, notamment celui de 2003, très destructeur, Dellys réussira à préserver son héritage ancestral, gardant ainsi sa mémoire intacte pour la postérité. Hassina Amrouni Sources : http://openarchive.icomos.org/ - Divers articles de presse Groupe El-Djazaïr.com . MÉMORIA . ( 86 ) Supplément N° 40 - Octobre 2015. Par Hassina Amrouni Par Hassina Amrouni Histoire d'une ville Suite aux présences étrangères qui se sont succédé dans la région, Dellys est, aujourd’hui, le berceau de civilisations millénaires. Le phare de cap Bengut, 1881 D u passage des Berbères, Puniques, Romains, Arabes et autres Ottomans et Français, Dellys a gardé des traces qui sont autant de pans de mémoire, voire de repères pour les générations présentes et à venir. Du vieux port au phare de cap Bengut, en passant par la vieille mosquée du centre-ville, l’école coranique Sidi Amar, le tombeau de Sidi el Harfi ou le mur défensif ceinturant cette cité sur plus de 2000 mètres, le visiteur fait, à travers chaque monument ou vestige archéologique, un bond considérable dans le passé prestigieux de cette ville, tant convoitée par le passé. Détruite puis reconstruite à la force de bras de ses habitants, elle aura réussi à chaque fois renaître de ses cendres, tel le sphinx. Le phare de cap Bengut Il est le repère des pêcheurs. Depuis des centaines d’années, il guide leur chemin vers le port. Erigé sur un promontoire escarpé (cap Bengut), ce phare à feu fixe, date de 1881 et est considéré comme l’un des plus anciens en Algérie. Ses rayons lumineux qui durent 17 secondes ont une portée de plus de 90 km et sont visibles jusqu’à Azzefoun ou encore jusqu’aux hauteurs d’Alger. Portant le nom de celui qui fut à l’origine de sa construction, ce phare est désigné par les Dellyssiens sous l’appellation de « Bordj Fnar ». Ce phare composé de 36 tours trône sur un lieu stratégique, entre le port et le château fort à l’ouest au lieu dit la Djena. Alors qu’il a su résister aux aléas du temps et aux vicissitudes des vents marins, il ne sera pas épargné par la barbarie des hommes puisqu’en 1994, il sera sérieusement endommagé suite à un acte terroriste. Il aura fallu six longues années pour le restaurer et sa remise en service a été saluée par tous les pêcheurs de la région qui retrouvaient ainsi ce repère qui leur montrait le chemin de la maison. Groupe El-Djazaïr.com . MÉMORIA . ( 88 ) Supplément N° 40 - Octobre 2015. Dellys Histoire d'une ville Le nouveau phare de cap Bengut en construction A l’instar des autres constructions de la région, il subira d’autres importants dégâts lors du séisme du 21 mai 2003 mais il continue à tenir bon. La mosquée El Islah de Dellys Egalement appelée par les Delyssiens la « grande mosquée », cette dernière est considérée comme l’un des plus importants monuments historiques de la ville. Datant de l’époque ottomane, elle a été détruite par les occupants français en 1844 qui bâtirent sur ses ruines un hôpital militaire, devant accueillir LA REVUE DE LA MÉMOIRE D'ALGÉRIE ( 89 ) www.memoria.dz Dellys Histoire d'une ville La muraille de Dellys les blessés issus des expéditions du général Bugeaud en Kabylie. Mais face à la pression subie de la part de la population locale et des notables de la ville, l’administration coloniale fait construire en 1847 une réplique exacte de la précédente, et ce, dans la partie haute de la Casbah. Conçue dans un style mauresque, elle possède un minaret quadrilatère à étages et un dôme en demi-sphère. Jusqu’au début des années 1920, la mosquée El Islah était considérée comme le seul lieu de culte musulman où l’on dispensait un enseignement coranique Groupe El-Djazaïr.com . MÉMORIA . ( 90 ) et éducatif et ce, dans toute la région. Suite au violent tremblement de terre du 21 mai 2003, la mosquée sera fermée car ayant subi de sérieux dommages. Toutefois, intégré au titre du plan permanent de préservation et de restauration de la Casbah de Dellys, ce monument connaîtra plusieurs travaux de restauration, de reconstruction et d’aménagement. D’une capacité de 1600 fidèles, la mosquée a été restaurée à l’aide de matériaux de construction spécifiques, préservant ainsi son aspect et son architecture originels. Supplément N° 40 - Octobre 2015. Dellys Histoire d'une ville Grande muraille de Dellys Face aux fréquentes attaques ennemies qui caractérisaient l’époque antique, les cités étaient toutes dotées de murs d’enceinte. Dellys est, elle aussi, entourée d’un mur d’enceinte d’une longueur de 1600 mètres. Il s’étend, dans sa partie nord, du rivage du côté de la source de Tala-Oualdoune jusqu’à la porte des jardins, et se prolonge tout droit à la limite du bureau de poste actuel pour rejoindre la ligne de crête de Bouarbi et poursuit cette ligne jusqu’au blockaus de Sidi Soussan à deux LA REVUE DE LA MÉMOIRE D'ALGÉRIE cent mètres d’altitude, à partir de ce point le rempart descend sur le flanc sud- est pour arriver jusqu’au rivage. La muraille était percée de sept portes qui permettaient de contrôler les allées et venues dans la ville : les portes de la Kabylie, d’Austerlitz, d’Isly et porte d’Alger pour le côté est de la ville et les portes d’El Assouaf, des jardins et de la voie ferrée pour le côté ouest. Hassina Amrouni Source : Articles de la presse nationale http://www.almanach-dz.com/ http://openarchive.icomos.org/ ( 91 ) www.memoria.dz Dellys Histoire d'une ville La mairie de Dellys Le port de Dellys Plage les Salines Groupe El-Djazaïr.com . MÉMORIA . ( 92 ) Supplément N° 40 - Octobre 2015. Par Hassina Amrouni Dellys Histoire d'une ville Bâtie à quelque 30 mètres d’altitude et descendant en dédale jusqu’à la mer, la Casbah de Dellys a, en dépit du temps et de ses aléas, réussi à garder son charme atypique. C onsidérée comme l’espace urbain le plus ancien, la Casbah de Dellys a été érigée de telle sorte à être naturellement protégée par les vents d’ouest et les courants marins par un vieux port turc. Elle est bordée, au nord, par le mur d’enceinte, la porte d’El Assouaf et la porte des jardins, à l’est par Groupe El-Djazaïr.com . MÉMORIA . ( 94 ) la zone des cimetières, chrétien et musulman, au sud par la zone portuaire et à l’ouest, par le quartier européen. S’étendant sur une superficie de 16.25 ha, elle a, durant l’occupation française été séparée en deux par la nationale 24. Depuis, il existe la Basse-Casbah (7 ha) et la Haute-Casbah (9.25ha). Bien évidemment, cela n’a pas été possible sans la défi- Supplément N° 40 - Octobre 2015. Dellys Architecture de la Casbah de Dellys Histoire d'une ville LA REVUE DE LA MÉMOIRE D'ALGÉRIE ( 95 ) www.memoria.dz Dellys Histoire d'une ville guration de cette cité dont plusieurs édifices et habitations ont été carrément rasés, notamment la grande mosquée El Islah qui fut reconstruite plus tard à l’identique, face à la pression locale. A l’origine, la Casbah de Dellys comptait 1000 maisons, plusieurs fontaines des mausolées, des fours et des forts. Ses bâtisseurs l’ont entourée d’un mur d’enceinte, percé de portes. Selon les historiens, la Casbah de Dellys est la plus ancienne d’Algérie. Contrairement à ce que beaucoup pourraient croire, elle n’a pas été construite par les Turcs. C’est Moaz Edawla Ben Samadah qui, chassé d’Almeria en Espagne par les Mourabitine, vient s’installer sur cette rive de la Méditerranée et fait construire en 1068 la cité. La particularité des maisons de la Casbah de Dellys, que l’on ne retrouve Groupe El-Djazaïr.com . MÉMORIA . ( 96 ) pas dans les autres Casbah, c’est l’existence de riyad ou jardin potager attenant à la maison. Ce qui rappelle fortement les maisons andalouses, plus particulièrement celles de la ville espagnole de Grenade. Le riyad se trouve séparé de ouast eddar et s’ouvre vers l’extérieur. Les propriétaires de ces riyads y plantaient le plus souvent du basilic, des arbres fruitiers, du jasmin ou des roses qui exhalaient leur doux parfum dans toute la maisonnée. Ceci pour les maisons d’été, quant aux maisons d’hiver, les terres accueillaient des cultures céréalières. A l’instar des autres Casbah, celle de Dellys est divisée en divers quartiers, délimités par des rues principales et secondaires. Les rues et ruelles sont étroites et sont exclusivement à usage piéton, exceptée Supplément N° 40 - Octobre 2015. Dellys Histoire d'une ville la voie principale qui a subi un élargissement et un alignement durant l’occupation française. Au niveau de la Basse Casbah, existaient quatre grands quartiers, en l’occurrence Houmatte Eddarb, Sidi Elboukhari, Sidi Elharfi, El Mizab et El Marsa (port). Dans la Haute-Casbah quatre autres quartiers : Houmatte Salem, Hammam Erroum, Sidi Yahya et Sidi Mansour. La Casbah, aujourd’hui, ne compte guère que 324 bâtisses à usage de logement ou commerce, dont 125 sont de type traditionnel, 72 de la période française et 137 contemporaines. Selon l’époque de leur construction, certaines sont en bon état de conservation, tandis que d’autres menacent ruine. Elle est très peu dotée d’édifices publics, ne comptant qu’un lycée, une école primaire, un centre de santé, une mosquée et neuf mausolées. LA REVUE DE LA MÉMOIRE D'ALGÉRIE Secteur sauvegardé Il aura fallu attendre six longues années de réflexion, pour la mise au point du Plan permanent de préservation et de restauration de la Casbah de Dellys, lancé en 2007. Répartie en trois phases, la première terminée en 2009, préconisait la réalisation de « travaux d’urgence » (enlèvement des gravats, classement des pièces lithiques disséminées dans le périmètre, et remise à leurs places initiales de celles restées en bon état et confortement des constructions menaçant ruine). Engagée en 2010, la seconde phase a consisté en des « analyses historiques et typologiques » des vestiges et constructions de l’antique Casbah, et l’élaboration de l’avantprojet du Plan permanent de préservation et de restauration de la Casbah de Dellys. Pour ce qui est de la 3e phase du plan, ( 97 ) www.memoria.dz Histoire d'une ville Dellys elle constitue « un outil juridique et urbanistique », mis à la disposition de la commune, pour « l’organisation de tout acte de bâtir ou d’équipement à l’intérieur de ce périmètre urbain, afin d’en préserver l’authenticité et le cachet architectural ». A noter que la mise au point de ce plan a nécessité une enveloppe globale de 256 millions de dinars, tandis que les travaux d’urgence ont coûté 100 millions de dinars, selon la direction de la culture de la wilaya. Groupe El-Djazaïr.com . MÉMORIA . Hassina Amrouni Sources : http://openarchive.icomos.org/ -Yasmina Chaïd- Saoudi, docteur en préhistoire, département d’archéologie, Université d’Alger -Divers articles de presse ( 98 ) Supplément N° 40 - Octobre 2015. Par Hassina Amrouni Par Hassina Amrouni Dellys Histoire d'une ville La ville de Dellys a, par le passé, beaucoup attiré les oulémas et hommes de foi qui venaient y enseigner le Coran et les préceptes de la religion islamique. A u fil du temps, la cité a été dotée de cinq écoles coraniques, connues dans toute la région, où l’enseignement de la chariaâ et de la langue arabe y était prodigué aux enfants, notamment, qui étaient ainsi élevés dans la foi et l’identité musulmanes. Malheureusement, les siècles qui se sont égrenés auront eu raison de nombre de ces édifices qui finiront par tomber en ruine ou carrément disparaître pour certains et ce, au grand dam des habitants de Dellys qui auraient tant voulu que cette mémoire cultuelle soit préservée. tion française, la gestion de cet établissement a été confiée à l’Association des oulémas musulmans algériens qui a poursuivi la noble mission de cette école, non sans certaines contraintes et pressions. Le temps finira par s’imprimer sur ses murs et le séisme de 2003 endommagera gravement cet édifice religieux, ce qui amènera les autorités locales à engager un processus de restauration, englobant un centre culturel avec musée et ateliers artisanaux pour un coût de plus de 9 millions de dinars algériens. Ecole coranique Sidi-Amar Ecole coranique Sidi M’hamed El-Harfi Erigé dans la partie basse de la Casbah de Dellys, cet édifice d’enseignement religieux est l’un des plus prestigieux. Construite avant la période coloniale française, cette école a contribué à la formation de dizaines d’élèves de la région, ils venaient y assouvir leur quête de savoir et de science. Au lendemain de la colonisa- Située, elle aussi, dans la basse Casbah de Dellys, elle a vu le jour grâce à l’engagement d’un groupe de réformateurs indépendants, à leur tête M’hamed El- Harfi et ce, avant l’arrivée des Français à Dellys. L’établissement religieux jouera ainsi un grand rôle dans l’éveil des consciences et la préservation de l’identité nationale. Figure Groupe El-Djazaïr.com . MÉMORIA . ( 100 ) Supplément N° 40 - Octobre 2015. Histoire d'une ville Dellys respectée pour ses valeurs tant humaines qu’intellectuelles et religieuses, Sidi M’Hamed El-Harfi est aujourd’hui un saint homme cité en référence dans toute la région. Son tombeau est situé dans l’enceinte même de l’école portant son nom. En 2010 et après qu’il eut subi d’importantes dégâts suite au tremblement de terre du 21 mai 2003, le site a bénéficié de travaux de restauration et de réhabilitation qui ont rendu à l’édifice son aspect originel. Le montant de l’opération a avoisiné les 7 millions de dinars. Grande Mosquée El Islah A leur arrivée à Dellys, les Ottomans se lancent dans la fondation de cette grande et belle mosquée. Malheureusement, cette dernière sera détruite en 1844 par les occupants français qui firent construire sur les ruines un hôpital militaire. Cela ne sera pas du goût des Dellyssiens qui se mobilisent et font pression sur les autorités coloniales pour reconstruire une autre mosquée. Celle-ci sera rebâtie à l’identique en 1847 mais cette fois, dans la partie haute de la Casbah, à hauteur de la RN 24. Après le séisme dévastateur de La Mosquée El-Islah LA REVUE DE LA MÉMOIRE D'ALGÉRIE ( 101 ) www.memoria.dz Dellys Histoire d'une ville 2003, la mosquée El Islah subira de grands dommages, ce qui amènera les autorités concernées à lancer des opérations de restauration. Lancés en 2010, les travaux de réhabilitation ont été interrompus deux ans plus tard, suite à la découverte de vestiges préhistoriques, avant leur relance en 2013. Coût de l’opération : plus de 35 millions de dinars. Hassina Amrouni Source : Divers articles de la presse nationale Autre vue de la Mosquée El-Islah Groupe El-Djazaïr.com . MÉMORIA . ( 102 ) Supplément N° 40 - Octobre 2015. Cheikh Namous Chaïd -Saoudi Yasmina Par Hassina Amrouni Hocine Ziani Dellys Histoire d'une ville Ville côtière à la beauté féérique, Dellys ne pouvait qu’enfanter des artistes qui loueraient ses beaux atours. Cheikh Namous, le doyen Doyen des musiciens algériens, Cheikh Namous est né il y a 95 ans, à la Casbah d’Alger. Mais pour les Dellyssiens, il demeure l’enfant du pays, lui dont la famille est originaire de Afir. Dès lors, cheikh Namous est la fierté de tous, tout comme l’est E t il en fut ainsi, puisque des chanteurs, des artistespeintres, des écrivains, des poètes, des scénaristes, des chercheurs et on en oublie encore, y ont vu le jour et ont, chacun dans son domaine, rendu hommage à cette ville qui se perpétue dans les œuvres de ses enfants prodiges. De l’artiste-peintre Hocine Ziani au journaliste-écrivain et scénariste Belkacem Rouache, en passant par d’autres personnalités dont certaines très connues comme le musicien cheikh Kabaili ou encore cheikh Namous, pour ne citer que ces quelques noms, Dellys est connue pour être le berceau des artistes dont certains sont de véritables ambassadeurs de la culture algérienne. Cheikh Namous Groupe El-Djazaïr.com . MÉMORIA . ( 104 ) Supplément N° 40 - Octobre 2015. Cheikh Kabaili au milieu un autre cheikh, aujourd’hui disparu et qui a, lui aussi, connu une carrière artistique prodigieuse, le regretté cheikh Kabaili. De son vrai nom, Mohamed Brahimi, il est né à Dellys en 1910. Alors que sa famille s’installe dans le quartier algérois de Notre Dame d’Afrique, il apprend à lire au sein de l’école coranique Madrasset Feth, devient ensuite cordonnier mais il s’intéresse beaucoup à la musique. C’est sur les encouragements du grand cheikh marocain El Ouazani qu’il se lance dans une carrière artistique en 1926. Cheikh Kebaili prodiguera à son tour ses connaissances musicales à de jeunes artistes en herbe qui finiront par devenir de célèbres maîtres, à l’image du grand Boudjemaâ El Ankis. Dellys est connue pour son chaâbi et ses chanteurs de talent dont Tayeb Gaya, Mohamed Saibi, Mohamed Lamraoui, cheikh Makhlouf El Mouhoub, et d’autres encore qui aiment à se retrouver régulièrement pour des qaâdate et interpréter ces qçaid qui racontent la vie d’hier et d’aujourd’hui. Salah Nejar, « Khali » pour les Delyssiens, est un autre génie des arts plastiques. Ne en 1936, il a notamment suivi des formations à l’Ecole municipale des arts industriels et décoratifs (1964-1965) et la Grande Chaumière de Paris (1974). Artiste-plasticien fougueux, ses toiles racontent tout ce qui le nourrit en tant qu’artiste et tout ce qui l’inspire. Dellys Histoire d'une ville Des plasticiens prodiges Hocine Ziani est né en 1953 à Dellys. Artiste émérite, ses œuvres plastiques sont un hymne à la beauté de l’Algérie sous toutes ses facettes. De son côté, Mohamed LA REVUE DE LA MÉMOIRE D'ALGÉRIE Hocine Ziani ( 105 ) www.memoria.dz Dellys Histoire d'une ville Chaïd -Saoudi Yasmina Une chercheure engagée Difficile d’évoquer ici, tous les grands noms qui ont vu le jour à Dellys ou dont les racines familiales y sont viscéralement rattachées sans rendre hommage à cette grande dame, chercheure émérite qui, tout en se consacrant à son travail dans la recherche scientifique, se bat aussi pour Dellys, sa ville de ses ancêtres mais aussi pour sa Casbah, lieu de mémoire de plusieurs générations de Dellyssiens. Chaïd -Saoudi Yasmina est native de Sidi Zayed, à Dellys. D’abord diplômée en archéologie (Alger), elle est aussi détentrice d’un diplôme d’études approfondies DEA en sciences préhistoriques (Aix-en-Provence), d’un doctorat de 3e cycle en paléontologie des vertébrés (Lyon I) et d’une habilitation universitaire en Groupe El-Djazaïr.com . MÉMORIA . ( 106 ) archéologie (Alger). Maître de conférences à l’Institut d’archéologie d’Alger, elle est aussi chef de recherches d’un projet Cnepru sur les faunes préhistoriques de sites qu’elle a fouillés ou en cours de fouilles. Elle est membre fondateur de l’Organisation mondiale du cheval barbe (OMCB), de l’association sur le patrimoine AASPA ainsi que des deux associations Delphine et Nouhoudh de Dellys. Mme Chaïd-Saoudi voue une passion sans failles à sa ville natale et les nombreux articles ou conférences animées surtout autour du patrimoine archéologique ou de la Casbah de Dellys sont autant de sonnettes d’alarme tirées par cette universitaire pour la prise en charge de cet héritage précieux. Hassina Amrouni Source : Divers articles de la presse nationale Supplément N° 40 - Octobre 2015.