Au Théâtre des Quartiers d`Ivry : les relations publiques

Transcription

Au Théâtre des Quartiers d`Ivry : les relations publiques
Au Théâtre des Quartiers
d’Ivry
:
les
relations
publiques, mode d’emploi
Photo : Philippe Rocher
Dans le cadre des Théâtrales Charles Dullin, le Théâtre des
Quartiers d’Ivry présente « Un démocrate », un spectacle écrit
et mis en scène par Julie Timmerman : une véritable immersion
dans le laboratoire de la démocratie.
Edward Bernays, dit Eddie et personnage central de cette
pièce, a vraiment existé. Né en 1891, il est le double neveu
de Freud et sur scène, il aura 100 ans dans un mois. Ses
parents avaient dit : « tu seras marchand de grain Eddie ».
Eddie vendra tout sauf du grain. Il vendra du savon, des
cigarettes, Eddie fera fumer les femmes, il vendra la couleur
verte, des biberons, Eddie invente : les relations publiques.
Quatre comédiens jouent à tour de rôle ce grand homme de la
propagande politique et des relations publiques avec malice et
beaucoup d’énergie. On apprécie notamment le jeu d’Anne
Cantineau, qui n’en finit pas de faire rire le public aux
éclats dès lors qu’elle devient Eddie. Bernays n’est autre que
l’homme qui invente le bien dans le produit, c’est l’homme qui
observe les masses en quête de leur consentement. Pour lui,
les hommes ne sont que des cobayes, y compris sa femme, Doris
Fleishman qu’il instrumentalise à loisir pour en faire un
symbole. Il le dit lui-même, « conseiller en relations
publiques » ça ne veut rien dire, mais c’est quelque chose, et
ça en jette donc ça suffit. Pendant une heure et trente
minutes que dure le spectacle, le spectateur est sans cesse
pris à parti, et face aux rouages de la politique et du règne
de l’opinion publique, il se retrouve comme manipulé, à son
tour instrumentalisé par Eddie Bernays. On a la sensation
d’assister à un talk show, face à nous, le vendeur de désirs
prêt à tout pour savoir avant nous ce dont nous avons besoin,
n’a qu’une idée en tête, instaurer le doute.
Quand il fait fumer les femmes et qu’il met au point une
stratégie de vente pour Lucky strike, il dit que la cigarette
fait mincir, il admet aussi que le cancer existe peut-être,
tout comme le fait qu’il n’y a peut-être pas de tigres en
Inde, en fait, on ne peut être sûr de rien. Eddie Bernays nous
aliène grâce à des acteurs qui le font revivre avec un humour
qui nous heurte dans une mise en scène soignée. Julie
Timemerman crée de très belles images, comme le mur de fond
qui plus la pièce avance, plus il se remplit de photographies,
de papiers, de couvertures de magazines retraçant la très
longue vie et carrière du spécialiste des relations publiques
qui peut-être aussi bien que son oncle, a su comprendre non
pas l’esprit humain, mais la foule, la masse, jusqu’à
l’explosion finale. À plusieurs reprises d’ailleurs, les
quatre comédiens se liguent face au public comme un Big
Brother qui surveillerait ses cobayes de l’American way of
life, programmés pour ne pas avoir de pulsions de sortie,
faire du yoga, manger et fumer. Et quand un humain veut
s’échapper et se marginaliser, on le paralyse par la peur : le
maître de la propagande est né.
En fait, Eddie a fait sa fortune sur les crises, quand il n’a
pas été lui-même à l’origine des crises en question. On pense
à sa campagne de publicité visant, en 1954, à renverser le
président du Guatemala présenté comme communiste au profit de
la CIA, qui sera une réussite. Pour le public, la mise en
scène de ces mécanismes de propagande est ahurissante et donne
matière à réfléchir même si nous savons ou soupçonnions déjà
les relations publiques de fonctionner ainsi. Quoiqu’il en
soit, avec peu de décor, Julie Timmerman produit un spectacle
sarcastique en phase avec l’actualité, qui se veut didactique,
et qui par un tour de force magistral parvient à projeter le
public dans le système encore plus qu’il ne l’est déjà. Comme
le disait Patrick Le Lay en 2004, pour reprendre sa formule
célèbre, ce qui est finalement vendu par Eddie Bernays, c’est
« du temps de cerveau humain disponible ».
Un démocrate, texte et mise en scène de Julie Timmerman,
jusqu’au 27 novembre 2016 au Théâtre des Quartiers d’Ivry
Antoine Vitez, 1 rue Simon Dereure 94200 Ivry-sur-Seine.
Durée
:
1h25.
Plus
d’informations
ici
:
http://www.theatre-quartiers-ivry.com/fr/